La commission a tout d'abord procédé à l'audition du Professeur Saad Khoury, sur son expérience en matière de sauvegarde et de diffusion du patrimoine littéraire mondial.
En introduction, M. Jacques Legendre, président, a souligné que cette audition répondait à deux préoccupations de la commission : les relations culturelles extérieures de la France et les actions à mener pour donner le goût de la lecture aux jeunes.
Le Professeur Saad Khoury a tout d'abord indiqué que cette initiative était un projet initié voici il y a deux ans par des Français d'origine libanaise qui avaient souhaité manifester leur attachement à la France et à la langue française et exprimer à notre pays leur gratitude de les avoir accueillis.
Ce projet « Romans de toujours », géré par l'Association pour la sauvegarde et la diffusion du patrimoine littéraire mondial, a pour objectif de faire aimer la lecture et la culture, de soutenir la langue française et de développer l'identité française et européenne. Il s'agit de mettre sous forme de bandes dessinées (BD) de grande qualité des oeuvres romanesques et classiques de la littérature européenne et mondiale. Ces BD sont réalisées avec la collaboration de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, les sciences et l'éducation (UNESCO), de l'Organisation internationale de la francophonie (OIT), des éditions Glénat ainsi qu'avec des associations de professeurs de français, de langues vivantes, d'histoire et de géographie. Une cinquantaine de titres ont pour l'instant été choisis, vingt-six sont en cours de publication et seize ont déjà été publiés.
Une BD de la collection « Romans de toujours » est composée, d'une part, de l'oeuvre avec un scénario très proche du texte original et, d'autre part, d'annexes culturelles qui évoquent l'auteur, son oeuvre et son contexte politique, économique et social ainsi qu'un lexique en six langues et des textes choisis. Cette BD contient également, sous forme d'un CD-rom, un livre numérique constitué du texte intégral de l'oeuvre originale mais aussi un livre audio permettant d'écouter l'oeuvre lue par un comédien.
Le Professeur Saad Khoury a observé que des études réalisées aux Etats-Unis montrent que les BD font aimer la lecture aux enfants, augmentent le nombre de lecteurs et le temps de lecture, et améliorent le vocabulaire. Les lectures « légères » conduisent à des lectures plus sérieuses.
Partant du constat de l'insuffisance du sentiment d'appartenance européenne des habitants de l'Union, le Professeur Saad Khoury a souligné que le projet « Romans de toujours » souhaite favoriser le développement de l'identité européenne. Le comité de rédaction, présidé par M. Amin Maalouf, préconise à cet effet de renforcer le multilinguisme et la connaissance mutuelle des cultures européennes ; les BD de la collection sont pour cela un instrument efficace. Elles sont représentatives de la littérature et de la culture européennes et accessibles au plus grand nombre. La langue européenne étant la traduction, cette collection peut être facilement traduite. D'ores et déjà, neuf pays de l'Union européenne sont représentés dans « Romans de toujours » : la France, le Royaume-Uni, la Grèce, l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, la Pologne, le Portugal et la Suède.
Le Professeur Saad Khoury a indiqué qu'il s'agit donc de publier les BD progressivement dans les différentes langues et dans les différents pays de l'Union à un prix modéré compatible avec la diffusion la plus large. Ce projet peut être réalisé sans subvention directe en répartissant la charge de travail et les frais sur les différents acteurs, sachant qu'un soutien initial de l'Union européenne est nécessaire. Le soutien des instances européennes est souhaité pour la traduction des BD, la recherche des éditeurs dans les différents pays et la garantie concernant le risque éditeur. Cette stratégie a été un succès aux Etats-Unis.
a salué l'intérêt d'une initiative qui permet aux jeunes d'accéder à la lecture sur de nouveaux supports tels que la BD ou le lecteur MP3 qui correspondent à leur mode de communication et peuvent susciter l'envie de lire. Elle a demandé si des partenariats avaient été conclus avec le ministère de l'éducation nationale pour cette opération. Elle a également souhaité savoir si les éléments figurant dans les « bulles » des bandes dessinées respectaient les textes originaux.
Le Professeur Saad Khoury lui a répondu que l'association travaille en liaison avec les ministères de l'éducation nationale et de la culture, sans que leur appui soit toujours efficace. Il est plus utile d'agir par l'intermédiaire des associations de professeurs. Quant aux scénaristes, ils s'efforcent d'utiliser le texte original de l'auteur lorsque cela est possible, ce qui n'est pas toujours le cas.
a estimé que cette initiative pourrait également contribuer à favoriser la connaissance des littératures étrangères par les jeunes Européens. Il a rappelé que dans le cadre de ses fonctions au Conseil de l'Europe, il avait présenté l'an dernier un rapport préconisant une meilleure connaissance par les jeunes Européens des littératures des pays de l'Union européenne. Le ministre de l'éducation vient d'indiquer que des modifications pourraient être apportées aux programmes scolaires à cet effet.
saluant la qualité de ce nouvel outil, a estimé qu'il pourrait être mis à la disposition des enseignants chargés des heures de soutien scolaire.
a fait part de son intérêt pour cette démarche éducative qui devrait connaître un grand succès auprès des jeunes enfants et favoriser la lecture par un accès ludique. Il a souhaité savoir comment le Sénat pourrait soutenir l'association.
s'est félicitée de cette présentation en commission d'une initiative de terrain très séduisante, tout en souhaitant la publication de titres reflétant mieux la diversité culturelle de la littérature, citant à cet égard l'exemple de M. Amin Malouf.
a suggéré au Professeur Saad Khoury de se rapprocher de l'association ATD Quart-Monde qui développe des actions dans le domaine culturel.
a indiqué qu'elle organisait à Paris une opération d'échanges de livres, chaque participant offrant un ouvrage repartant avec un autre, et a souhaité acquérir des titres de la collection pour en assurer la diffusion.
En réponse aux intervenants, le Professeur Saad Khoury a apporté les précisions suivantes :
- vingt-six titres seulement ont été publiés sur cinquante prévus, et il est bien entendu prévu d'élargir le champ des ouvrages à des genres littéraires illustrant la diversité culturelle ;
- l'aide recherchée ne consiste en aucun cas en une demande de subvention ; le Sénat pourrait aider l'association dans ses démarches auprès des institutions communautaires afin de faire connaître le projet aux responsables européens.
En conclusion, M. Jacques Legendre, président, a invité les membres de la commission appartenant à la commission des affaires européennes à soutenir ce projet auprès de cette dernière, afin de le présenter dans les meilleures conditions aux autorités de Bruxelles.
La commission a procédé, ensuite, à l'audition de M. Marin Karmitz, délégué général du Conseil de la création artistique.
a rappelé que l'ensemble des secteurs de la culture et de la création subissaient, depuis la fin des années 1990, de considérables bouleversements liés, notamment, à la mondialisation des échanges et à la révolution numérique. Ce phénomène, qui concerne tous les pays, a des conséquences préjudiciables en termes de pluralisme et de diversité. Tel est le cas, en particulier, dans les secteurs des arts plastiques ou de la musique. Dans le domaine de l'édition, la « loi Lang » sur le prix unique du livre a permis, en France, le maintien de petits éditeurs indépendants, alors qu'ils ont le plus souvent disparu à l'étranger. Le domaine du spectacle vivant reste le moins exposé, en particulier le théâtre, en raison de l'obstacle de la langue. En revanche, les spectacles de musique, de danse ou de cirque s'exportent bien.
Relevant, dans ce contexte, un mécontentement assez généralisé, bien que difficile à cerner, des artistes et des créateurs, il a indiqué que la mission du Conseil de la création artistique était de servir de « boîte à idées » pour définir une politique culturelle prenant en compte ces grandes évolutions.
A l'issue de cette intervention, un large débat s'est engagé.
a confirmé que le mécontentement du milieu artistique était perceptible sur le terrain. Puis elle a demandé des précisions sur le rôle du Conseil de la création artistique, relayant les interrogations qui ont pu être exprimées sur le coût de cette nouvelle structure.
s'est interrogée sur les modes de diffusion des contenus cinématographiques. Elle a indiqué que l'intérêt d'une « boîte à idées » serait notamment de trouver des moyens ingénieux permettant d'assurer la diffusion des oeuvres auprès du public le plus large, citant plusieurs initiatives prises en ce sens dans la ville d'Aix-en-Provence dont elle est l'élue.
s'est demandé si la mise en place du Conseil de la création artistique était venue pallier une défaillance du ministère de la culture. Puis il a souhaité connaître l'articulation entre les deux structures et la plus-value que pourrait apporter le conseil.
a indiqué que toutes les idées nouvelles étaient les bienvenues dans un domaine comme celui de la création culturelle. Puis il a souligné les difficultés rencontrées par de jeunes créateurs, notamment dans le secteur des arts plastiques et du spectacle vivant, pour parvenir à atteindre un certain degré de visibilité. Relevant que nombre d'entre eux ont le sentiment que le système est « fossilisé », il a indiqué que cela posait également la question du nombre insuffisant de lieux permettant de faire émerger de jeunes créateurs.
a rappelé son intervention, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2009, pour soutenir l'opération financière d'achat par l'Etat de la salle Pleyel. Alors que ces débats ont posé la question de l'opportunité de la construction, en parallèle, d'une nouvelle salle philharmonique à proximité de la Cité de la musique, il a souhaité connaître l'avis de l'intervenant sur ce projet. Il a regretté, enfin, qu'aucun membre de la commission des affaires culturelles n'ait été invité à l'occasion de l'installation du Conseil.
s'est demandé si le ministère de la culture avait toujours une utilité, du fait de l'intervention croissante des collectivités territoriales dans le domaine culturel. Il a jugé indispensable, toutefois, de mieux définir ses missions plutôt que de cantonner son action à la réponse aux besoins immédiats.
a centré son propos sur les questions liées à la rémunération des créateurs, actuellement en débat dans le cadre du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet. Il a ainsi considéré que le mode de rémunération de la création en France devait être profondément modifié.
S'interrogeant sur le rôle de l'Etat en matière de lutte contre le téléchargement illégal, il a proposé la mise en place de plates-formes de téléchargement dans tous les domaines de la création, dans le cadre d'une mission de service public qui incombe à l'Etat, en recensant l'offre gratuite ou peu coûteuse actuellement disponible, afin de légaliser une pratique, en plein essor, devenue incontournable.
Il a jugé indispensable une refondation du ministère de la culture, aujourd'hui caractérisé par des rigidités excessives, surtout dans le contexte d'un monde en profonde mutation.
a relevé que, lors du vote du projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, un amendement présenté par M. Jack Ralite avait introduit une disposition sur la mise en place d'une plate-forme publique de téléchargement.
s'est interrogé sur la dérive qui s'est produite dans le champ de la commande publique et a évoqué son affaiblissement. Il a plaidé en conséquence pour une véritable remise à niveau de la commande publique.
Préconisant la mise en oeuvre d'une politique publique ambitieuse, il a considéré que l'Etat, en relation étroite avec les régions, devait rester au centre des actions. Il a ainsi cité les opérations de prêts d'oeuvres d'art.
Face à une opinion dans son ensemble réticente à toute démarche novatrice dans le domaine de l'architecture, il a encouragé les acteurs publics à conserver une approche volontariste et ambitieuse en la matière.
S'appuyant sur l'expérience mise en oeuvre dans la ville de Créteil, M. Serge Lagauche a fait remarquer que toute politique publique en matière d'architecture nécessitait un soutien financier des collectivités territoriales.
a souligné l'intérêt du Conseil pour la création artistique et l'utilité de son rôle de « boîte à idées », dès lors que ses missions sont bien articulées avec celles du ministère de la culture. Elle a demandé des précisions sur la méthodologie de travail du Conseil et sur sa « feuille de route », s'interrogeant notamment sur les contacts que le conseil entendait nouer avec l'Europe ou des institutions comme l'Observatoire des politiques culturelles.
s'est interrogée sur la position de l'intervenant à l'égard des salles de cinéma de proximité et d'art et d'essai, ainsi que sur les conséquences de la numérisation sur ce réseau. Elle a insisté, en outre, sur l'intérêt de développer des « lieux d'itinérance », citant plusieurs initiatives mises en place par la région Limousin. Enfin, elle a voulu savoir si le Parlement pourrait assurer un contrôle sur les crédits dont disposera le Conseil de la création artistique.
Après avoir souligné le poids des groupes de pression dans le domaine de la création, M. Jack Ralite a estimé que le Conseil de la création artistique devrait servir de levier d'action, et non pas devenir un ministère « parallèle », chargé de définir une politique culturelle d'ensemble.
En réponse à ces intervenants, M. Marin Karmitz a apporté les précisions suivantes :
- composé d'une équipe de cinq personnes, le Conseil de la création artistique dispose d'une enveloppe de 200 000 euros en frais de fonctionnement ; des crédits d'investissements pourront lui être attribués pour la mise en oeuvre de projets concrets, sous le contrôle des ministères concernés, dans la limite de 10 millions d'euros ;
- la création du Conseil a été accueillie positivement par l'ensemble des représentants des différents secteurs de la création, à la seule exception du SYNDEAC (Syndicat national des directeurs d'entreprises artistiques et culturelles) ;
- le développement des dispositifs d'éducation au cinéma est une priorité ; une idée consisterait à mettre en place, en lien avec les syndicats d'enseignants, un site de vidéo à la demande (VOD) dédié à l'éducation nationale, ce qui serait peu coûteux ;
- le ministère de la culture est pris dans une gestion quotidienne très lourde, sur des sujets complexes ; le Conseil peut apporter un regard extérieur, dans un cadre informel et plus près du terrain ;
- l'existence de « goulots d'étranglement » par rapport aux lieux de diffusion constitue, dans tous les domaines, un problème central pour faire émerger de jeunes créateurs ; il est essentiel d'améliorer l'utilisation des structures existantes et d'assurer leur mise en réseau ;
- le nombre de salles de concert, d'opéra ou de danse est insuffisant et la Cité de la musique accomplit déjà un travail considérable pour accueillir des orchestres ;
- la question de l'utilité du ministère de la culture est souvent posée, alors que son rôle est important et que l'on peut être fier de son action ; il s'agit, toutefois, de mieux définir ses missions ainsi que le projet culturel qu'il porte ;
- le réseau Internet se situe au centre de la réflexion du Conseil de la création artistique, notamment dans un contexte de démocratisation de l'accès à la culture. Plusieurs propositions traduisent cette préoccupation, comme l'aide à la traduction et à la numérisation d'ouvrages dans le domaine des sciences sociales et humaines, afin de favoriser la promotion de certains éléments de la culture française sur Internet, ou l'utilisation d'Internet comme un catalogue pour diffuser auprès d'un large public à travers le monde les expositions organisées par les musées français ;
- le jugement critique de l'opinion publique à l'encontre de l'art contemporain est notamment lié au problème de l'éducation artistique à l'école. L'action conduite par la mairie de Lille en faveur de la promotion des pratiques artistiques afin de mieux faire accepter l'art contemporain par les populations est particulièrement exemplaire ;
- le service de vidéo à la demande (VOD) lancé par la société de production et de distribution cinématographique MK2 ne fonctionne que sur les micro-ordinateurs, les fournisseurs d'accès à Internet via le boîtier Internet bloquant l'accès à ce service sur les écrans de télévision ;
- le Conseil procède à des auditions afin de confronter les différents points de vue ; il n'a pas encore eu de contact avec l'Observatoire des politiques culturelles mais envisage d'en établir ; s'agissant de ses relations avec l'Europe, une mission d'étude sur les troupes théâtrales vient d'être lancée dans plusieurs pays ; par ailleurs, l'idée d'un « théâtre de l'Europe », ouvert sur les pays de la Méditerranée, serait également à approfondir ;
- l'intervention publique en faveur des salles de cinéma de proximité ou d'art et d'essai doit tenir compte de l'existence de salles privées, afin de parvenir à une gestion cohérente de l'offre sur le territoire ;
- les techniques de numérisation mises en place sont très coûteuses, alors que l'on aurait pu opter pour d'autres équipements moins lourds et moins coûteux ;
- l'existence de contrepouvoirs est primordiale, face au poids des groupes de pression notamment ; le Conseil, qui n'a que deux mois d'existence, est là pour agir et non pour se limiter à des déclarations d'intention.