La réunion

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La commission a procédé à l'audition de M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, à l'occasion de la remise de son rapport annuel.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

a rappelé que jusqu'à présent le Médiateur présentait son rapport annuel dans l'hémicycle du Sénat mais que, en accord avec le Président du Sénat et le Médiateur, il avait paru plus interactif d'organiser cette année une audition publique devant la commission des lois, audition ouverte à l'ensemble des sénateurs et à la presse.

Il a ajouté que le Médiateur était régulièrement entendu par les commissions ou les rapporteurs à l'occasion de l'examen de certains projets de loi et que ses recommandations fournissaient fréquemment la matière d'amendements parlementaires.

Il a enfin relevé que le Médiateur présentait probablement son dernier rapport annuel, eu égard à l'évolution prochaine de l'institution en un Défenseur des droits, doté de pouvoirs plus étendus et d'un champ de compétences élargi. Le Sénat se prononcera prochainement sur la prorogation du mandat du Médiateur jusqu'à la mutation de l'institution.

Debut de section - Permalien
Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République

a précisé que ses compétences étaient articulées autour de trois actions :

- la résolution des litiges avec les services publics, les réclamations portant sur quatre thèmes principaux : le surendettement, la santé, les relations locataires-propriétaires et les aspects sociaux ;

- la proposition de réformes aux ministres et parlementaires ;

- la défense des droits de l'homme.

Insistant sur la nécessité de « replacer l'humain au centre du système », il a mis en avant les facilités d'accès et la capacité d'écoute de son institution, au travers :

- de la mise en place, en 2005, d'une cellule d'urgence, capable de traiter des dossiers en quelques heures ;

- de l'existence d'un réseau de 281 délégués présents sur 419 points d'accès, dont 275 dans des structures de proximité, telles que les Maisons de justice et du droit ou les points d'accès au droit, souvent situés dans des quartiers sensibles, les délégués traitant eux-mêmes plus des deux tiers des saisines ;

- de la création, en janvier 2009, d'une plateforme téléphonique pour le pôle « santé et sécurité des soins » ;

- de la possibilité, ouverte en septembre 2009, de saisine en ligne ;

- de la création, le 10 février 2010, d'une plateforme d'échanges et de débats www.lemediateuretvous.fr.

Il a indiqué que le pôle « santé et sécurité des soins » avait reçu 5000 dossiers en 2009 ; nombre d'entre eux portent sur la maltraitance, l'impossibilité d'accès au dossier médical ou encore sur des maladresses commises par les personnes chargées de l'accueil dans les structures médicales.

Présentant ensuite sa plateforme « lemediateuretvous », il a souligné qu'elle avait reçu, depuis sa création, 4 000 visiteurs, 180 contributeurs et plus de 40 experts. A titre d'exemples, elle a permis d'aborder la question du radicalisme religieux, en particulier sous l'angle des droits des agents hospitaliers ou encore celle de l'opportunité de mettre en place une action de groupe administrative.

Sur le plan budgétaire, il a indiqué que la Cour des comptes avait récemment salué la bonne gestion des crédits de l'institution, qui a su, à budget constant, traiter 20 % de dossiers supplémentaires depuis 2004.

Il a également relevé que l'indépendance et la neutralité de l'institution constituaient ses principaux atouts et garantissaient des relations confiantes avec ceux qui la saisissent.

Présentant les « pathologies du service public », il a regretté le passage de la « force du droit » au « droit à la force », la loi n'apparaissant plus comme le bouclier du plus faible contre le plus fort, mais comme une nouvelle arme aux mains du plus fort pour asseoir sa domination contre le plus faible.

Il a également déploré :

- une rupture du contrat de confiance entre la population et les dépositaires de l'autorité publique ;

- une dégradation de la qualité de la décision publique et de son acceptation, conséquence d'un défaut de pédagogie des enjeux et d'une culture du chiffre trop marquée ;

- un report sur le service public, par exemple le SAMU social, de responsabilités individuelles qui ne sont pas assumées.

Abordant l'action internationale de son institution, M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, a souligné être un acteur majeur au sein des différents réseaux de Médiateurs ou Ombudsmans en Europe et dans le monde, réseaux qui sont autant de lieux d'écoute et de dialogue, qui permettent, par exemple, un rapprochement de ses homologues en Israël et en Palestine.

Il s'est par ailleurs réjoui que nombre de ses préoccupations en matière de malendettement et de consommation aient été prises en compte par le législateur, citant le projet de loi sur le crédit à la consommation, en cours d'examen par le Parlement, la loi du 17 décembre 2007 sur les assurances vie en déshérence, et la récente initiative dans ce domaine du sénateur Hervé Maurey.

Il a également souligné la nécessaire évaluation par le Parlement de la loi sur les tutelles, adoptée en 2007, qui semble rencontrer de nombreuses difficultés d'application dans les départements.

En outre, il a appelé le Parlement à prendre une décision politique claire concernant l'état civil des enfants nés sans vie, soulignant que la peur de relancer le débat sur l'avortement ne devait pas dispenser le législateur de lever les doutes actuels sur cette question éminemment sensible et complexe.

Abordant la réforme annoncée des retraites, il a insisté, d'une part, sur la nécessité d'améliorer les modalités de calcul du salaire annuel moyen pour la détermination de la pension de retraite, d'autre part, sur la modicité des retraites perçues par de nombreuses femmes.

En conclusion, il s'est réjoui de la création prochaine du Défenseur des droits, Ombudsman à la française qui sera capable d'apporter des repères à une société marquée par la violence verbale, le règne de l'immédiateté et la disparition de la conscience de l'intérêt général.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

a déclaré partager les analyses du Médiateur sur l'état de la société française tout en jugeant difficile d'y remédier par la seule voie législative. Il a souligné que certains différends pouvaient trouver une solution simple et rapide si les parties en présence faisaient preuve de bon sens et de bonne volonté. Il a également rappelé que la commission des lois avait décidé de confier aux sénateurs M. Laurent Béteille et Richard Yung une réflexion sur l'action de groupe. Enfin, il a relevé que le Médiateur insistait dans son rapport sur son pouvoir de recommandation en équité. Ce pouvoir figure dans la loi de 1973 portant création du Médiateur et dans le projet de loi organique sur le Défenseur des droits. Le rapport annuel explique que ce pouvoir permet de revenir sur une décision administrative qui, bien que conforme à la règle de droit, « vient heurter les droits de la personne ». S'il a reconnu qu'un droit suprême pouvait se révéler une injustice suprême, conformément à l'adage « Summum jus, summa injura », M. Jean-Jacques Hyest, président, s'est demandé si ce pouvoir de recommandation en équité n'était pas délicat à mettre en oeuvre dès lors qu'il porte sur une décision dont la légalité ne peut être contestée. Il s'est demandé comment, dans ces conditions, ce pouvoir pouvait reposer sur des critères objectifs. Enfin, il s'est étonné que le Médiateur présente la loi « comme une nouvelle arme aux mains du plus fort pour asseoir sa domination contre le plus faible », alors que la loi avait, au contraire, vocation à protéger les plus faibles, comme l'a écrit Lacordaire : « Entre le fort et le faible, c'est la liberté qui opprime, c'est la loi qui affranchit ».

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Peyronnet

a indiqué avoir rencontré, en tant que rapporteur pour avis du budget des autorités administratives indépendantes, de nombreux délégués du Médiateur et constaté leurs qualités et leur dévouement. Il a relayé leurs inquiétudes concernant l'évolution du Médiateur en un Défenseur des droits, les délégués craignant, d'une part, de voir leurs fonctions de médiation dénaturées en défense des droits, d'autre part, de devoir à l'avenir exercer également les missions des délégués des autres autorités administratives indépendantes intégrées au Défenseur. Il a également douté que la création du Défenseur des droits génère de quelconques économies par une meilleure mutualisation des moyens en termes de locaux, de ressources financières et de personnel, eu égard à la grande spécificité des missions des différentes autorités. Enfin, il s'est demandé si la création de collèges au sein du Défenseur des droits, proposée par le projet de loi organique, était la meilleure solution pour préserver les savoir-faire particuliers des autorités fusionnées, insistant en particulier sur les méthodes très rigoureuses de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) en matière d'instruction des dossiers.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

s'est demandé s'il serait souhaitable de donner un caractère plus contradictoire au rapport annuel d'activité du Médiateur, comme il est envisagé pour la CNIL, autrement dit s'il était envisageable que, préalablement à la présentation du rapport, le Médiateur fasse connaître aux ministres, personnes et organismes concernés les observations qui les concernent et sont susceptibles d'y figurer. Sauf opposition de leur part, leurs réponses aux observations formulées par le Médiateur seraient annexées au rapport.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrice Gélard

a rappelé être l'auteur d'une proposition de loi prorogeant le mandat du Médiateur, afin de faciliter son intégration au sein du futur Défenseur des droits. Il a relevé que le rapport du Médiateur soulignait, cette année encore, que, dans le domaine des infractions au code de la route, certains officiers du ministère public (OMP) se prononcent directement au fond sur les contestations sans les transmettre au juge. Pourtant, une circulaire du 7 avril 2006 relative à la politique pénale en matière de contrôle automatisé de la vitesse a rappelé aux OMP qu'ils ne pouvaient s'arroger le pouvoir de juger eux-mêmes les contestations, sauf à méconnaître l'article 530-1 du Code de procédure pénale. Par ailleurs, notant que le Médiateur ne pouvait actuellement intervenir dans une procédure engagée devant une juridiction, il a rappelé que le projet de loi organique sur le Défenseur des droits prévoyait la possibilité pour ce dernier de présenter des observations devant les juridictions, soit à la demande du juge ou des parties, soit d'office. Il s'est demandé si ce pouvoir était conforme à la vocation du Défenseur des droits, étant précisé que ce dernier devrait exercer des compétences plus larges que celles qui sont actuellement reconnues au Médiateur.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-René Lecerf

s'est prononcé en faveur de la possibilité d'intervention des autorités administratives indépendantes devant les juridictions eu égard à l'autorité morale qui s'attache à leurs prises de position.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

a signalé que le rapport du Médiateur exprimait certaines craintes concernant la mise en oeuvre de la RGPP (révision générale des politiques publiques) dans les départements : en effet, les directions départementales traditionnelles, comme Jeunesse et Sports, Équipement ou Agriculture, seront totalement fondues dans de nouveaux organigrammes qui ne correspondront plus à ce que connaît le public. L'ensemble des appellations, sigles, interlocuteurs et coordonnées seront modifiés, ce qui devrait déboussoler les usagers, au moins dans un premier temps.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

a indiqué avoir dénoncé, en tant que rapporteur spécial des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'Etat », certaines lourdeurs administratives : en particulier, elle s'est étonnée que l'Etat ait décidé de recueillir huit empreintes digitales pour l'établissement du passeport biométrique, alors que deux seulement sont nécessaires. En outre, elle a regretté certaines tracasseries administratives pour l'établissement de la preuve d'identité nécessaire à la production de titres. Elle a enfin remercié le Médiateur pour son examen attentif du niveau de pauvreté des femmes, sujet que la Délégation parlementaire aux droits des femmes, qu'elle préside, suit particulièrement.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Après avoir salué le travail accompli par le Médiateur, M. Pierre-Yves Collombat a déclaré que les dysfonctionnements administratifs relevés résultaient des choix politiques, voire philosophiques opérés par les pouvoirs publics depuis longtemps.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

s'est demandé si la CNDS ne devait pas rester autonome eu égard à sa spécificité.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Après avoir mis en avant l'utilité du Médiateur pour le règlement des différends et salué la justesse de ses analyses sur les dysfonctionnements administratifs et les évolutions de la société, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'est interrogée sur le périmètre de compétence et l'étendue des pouvoirs du futur Défenseur des droits.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

a rappelé que le Défenseur des droits pourrait être saisi directement par toute personne alors que le Médiateur ne peut actuellement être saisi que par un parlementaire.

Debut de section - Permalien
Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République

En réponse aux différents orateurs, M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, a indiqué :

- au sujet de la recommandation en équité, qu'il était nécessaire d'interpréter la loi « comme si législateur était présent » ;

- que le législateur n'entendait jamais protéger le fort par rapport au faible mais que l'application de la loi profitait souvent au plus fort, capable d'exploiter les failles du système et d'engager des recours pour faire valoir ses positions ;

- que le glissement sémantique « Médiateur/Défenseur » devrait être bien expliqué aux délégués ;

- qu'il souhaitait intervenir d'office devant une juridiction, et non être saisi par une partie à un procès ;

- que le futur Défenseur des droits, non seulement préserverait les spécificités des autorités fusionnées, au travers de collèges ou de tout autre système, mais également renforcerait leur efficacité et la synergie entre les différentes instances ; il a toutefois reconnu la nécessité pour le Parlement de suivre avec attention la mise en place du futur Défenseur des droits afin d'évaluer la pertinence des choix opérés ;

- qu'il approuvait la proposition de donner au rapport annuel du Médiateur un caractère plus contradictoire ;

- qu'il remerciait M. Patrice Gélard pour sa proposition de loi ;

- qu'il était regrettable que certains OMP méconnaissent le code de procédure pénale en matière d'infractions au code de la route ; il a ajouté qu'en tout état de cause il n'était pas certain que le droit en vigueur soit conforme aux exigences de la Convention européenne des droits de l'homme en matière d'accès au juge ;

- à propos de la RGPP dans les départements, que la France savait fixer des objectifs de changement mais était moins douée pour la conduite du changement ;

- que la protection des femmes était au coeur de ses préoccupations ;

- que l'administration devait modifier son « rapport au temps », citant le cas des allocations compensatrices versées en tenant compte des revenus d'années antérieures.