La commission procède à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur l'évaluation de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs et entend Mme Marie-Thérèse Cornette, contre-rapporteur, Mmes Tsiporah Fried, Fleur Pellerin et M. Jacques Brana, rapporteurs, de la Cour des comptes, Mmes Emilie Pecqueur, présidente de l'Association nationale des juges d'instance (ANJI), Anne-Marie David, présidente de la Fédération nationale des associations tutélaires, MM. Philippe Didier-Courbin, chef du service des politiques sociales et médico-sociales, adjoint à la directrice générale de la cohésion sociale, Jean-Pierre Hardy, chef du service « Affaires sociales » à l'Assemblée des départements de France (ADF), Mme Amélie Duranton, conseillère en charge du droit civil, et M. Denis Fauriat, conseiller en charge des affaires judiciaires au cabinet du Garde des Sceaux, M. Laurent Vallée, directeur des affaires civiles et du Sceau et Mme Véronique Malbec, directrice des services judiciaires du ministère de la justice et des libertés.
En recevant aujourd'hui les magistrats de la quatrième chambre de la Cour des comptes venus exposer les conclusions de leur enquête sur l'application de la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, nous clôturons un cycle d'auditions assis sur les travaux conduits par la Cour des comptes, l'an dernier, à la demande de la commission des finances du Sénat sur le fondement de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances.
Ouverte à la commission des lois, à la commission des affaires sociales et à la presse, cette audition fait suite aux travaux lancés à l'initiative de MM. du Luart, Cazalet et de Montgolfier, lorsqu'ils étaient rapporteurs spéciaux, le premier de la mission « Justice », les deux autres de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Depuis, Edmond Hervé et Eric Bocquet ont repris le travail au pied levé. Après les avoir entendus esquisser les thèmes de cette audition, nous écouterons la Cour. Puis les rapporteurs spéciaux questionneront nos invités. Les membres des commissions pourront intervenir ensuite.
Je souhaite une audition aussi vivante que possible, faisant la part belle au jeu des questions-réponses, plus qu'aux exposés ex cathedra.
Je tiens à souligner tout d'abord l'excellence méthodologique de la Cour des comptes, qui a bien sûr analysé un texte concernant quelque 700 000 majeurs protégés, mais qui a également sollicité dix départements représentatifs, les dix présidents de TGI des chefs-lieux de ces départements, ainsi que les chambres régionales des comptes et les ministères concernés. Je suis très favorable à la coopération entre les chambres régionales et la Cour.
Je voudrais maintenant formuler quelques observations. Tout d'abord, la loi du 5 mars 2007 est récente. Bien que l'enquête réalisée par la Cour des comptes porte sur une période très brève, ses auteurs aboutissent toutefois à certaines conclusions. Ainsi, le nouveau dispositif reste méconnu des professionnels et du public. Nous devrions réfléchir sur la pédagogie du législateur et la manière d'écrire les textes. D'autre part, la tutelle familiale régresse au profit des mandataires judiciaires à la protection des majeurs. Cette évolution est peut-être positive, mais la volonté de simplifier devrait nous inciter à revoir un dispositif complexe associant pour ces mandataires un certificat national de compétence et une procédure d'agrément.
J'en viens à une observation fondamentale portant sur la sécurité juridique de la protection des majeurs. Au plus tard au 31 décembre 2013, les mesures prises devront avoir été révisées, mais, selon les magistrats, ce ne sera fait au mieux que dans la moitié des cas !
Enfin, le rapport de la Cour des comptes conforte celui que j'avais eu l'honneur de présenter, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2012, à la commission des finances sur la mission « Justice », où je m'étais interrogé sur la sincérité budgétaire et les insuffisances en personnel. J'insiste en particulier sur le report à 2014 de l'objectif tendant à disposer d'autant de greffiers que de magistrats. Car cette loi peut occasionner une véritable surcharge dans les tribunaux : la hauteur des missions affirmées se heurte à l'insuffisance des moyens.
En conclusion, il importe que nous prenions le temps d'évaluer l'incidence de toute nouvelle loi, ainsi que les conditions de son application : il faudrait mettre un terme à l'inflation législative ! Comme ancien élu local, je constate que les départements subissent des charges croissantes relevant de la solidarité nationale. En l'espèce, l'addition sera passée de 29 millions d'euros avant la loi de 2007 à quelque 44,3 millions en 2013.
J'appelle de mes voeux un véritable dialogue sociétal sur la politique conduite en direction des plus démunis.
J'évoquerai le volet social du travail de la Cour. Sur le plan budgétaire, la protection juridique des majeurs coûte au total 546 millions d'euros, dont 216 à la charge de l'État, 325 acquittés par la sécurité sociale et 5 pesant sur les départements. D'après le ministère des solidarités et de la cohésion sociale, l'État finançait autrefois 70 % des mesures de protection, contre 38 % aujourd'hui. On peut se demander si la loi de 2007 n'a pas provoqué un transfert de charges. La rénovation du dispositif de protection reposait sur un postulat - l'excès des mesures fondées sur des raisons sociales - qui a conduit à la création des « mesures d'accompagnement social personnalisé » (MASP), confiées aux départements. Estimé à quelque 20 millions d'euros, leur coût pourrait bientôt doubler, alors que la réforme devait être neutre pour les budgets des conseils généraux. Est-ce le cas ? Sinon, quelle est son incidence ?
Le deuxième enjeu social concerne la pertinence des MASP. Permettent-elles d'accompagner efficacement les personnes en situation de fragilité sociale, notamment celles éprouvant des difficultés à gérer leur budget ?
Le rapport de la Cour des comptes était orienté dans deux directions : les effets de la réforme sur les tribunaux et le coût induit au niveau départemental par l'accompagnement social personnalisé.
La Cour s'était déjà penchée en 2006 sur la protection des majeurs, à la demande de l'Assemblée nationale, toujours sur le fondement de l'article 58-2° de la LOLF. Le sujet ne nous était donc pas inconnu. Les 700 000 majeurs protégés en 2007 représentaient 1,4 % de la population majeure en France. Leur nombre s'accroissait de 6 % par an, il aurait donc pu atteindre un million de personnes en 2012 ou en 2013. Les quelque 500 millions d'euros dépensés à ce titre en 2006, dont 400 millions à la charge des pouvoirs publics, auraient pu atteindre les 800 millions cette année.
La réforme repose sur l'idée que la protection était excessivement judiciarisée, certaines personnes ayant besoin d'un accompagnement pour gérer leur budget, sans qu'il soit nécessaire de leur imposer une moindre capacité civile à agir. Pour ne plus confondre le simple besoin d'assistance sociale et la protection judiciaire motivée par une déficience physique ou mentale médicalement constatée, la loi met l'individu au centre du dispositif. Elle a tout d'abord amélioré la protection judiciaire, en faisant transmettre les signalements au procureur de la République en lieu et place du juge des tutelles. Elle a également imposé l'audition des personnes mises sous protection, ainsi que la révision quinquennale systématique des mesures de protection judiciaire. En outre, la loi a favorisé la professionnalisation de la tutelle. Une rémunération est instituée, en principe à la charge de la personne protégée.
Parallèlement, une solution alternative est introduite : la MASP, qui peut être de niveau 1, 2 ou 3. Il s'agit là de mesures nécessairement provisoires et réversibles, supposant l'adhésion de l'intéressé. En cas d'échec, une mesure d'accompagnement judiciaire (MAJ) peut être décidée à titre provisoire. Ce dispositif d'accompagnement est confié aux départements.
Le deuxième objectif de la loi consiste à maîtriser les dépenses : les MASP sont censées être moins coûteuses que la protection judiciaire ; la participation des intéressés au financement de cette dernière a été réaffirmée. Ainsi, la charge budgétaire nette supportée en 2012 devrait être ramenée de 800 à 700 millions d'euros.
En ce domaine, les constats de la Cour sont provisoires, puisqu'elle a examiné en pratique le démarrage du dispositif. Pour mieux connaître la réalité du terrain, nous avons étudié la situation de dix départements, certains ruraux, d'autres urbains, deux en région parisienne. Parallèlement, nous avons envoyé des questionnaires aux présidents des dix TGI correspondants.
Très intéressés par le déroulement de l'enquête, nous en avons pris connaissance dans le document écrit. Sans minimiser l'importance des travaux de la Cour, il serait donc préférable que vous formuliez les réactions que vous inspirent les interventions des rapporteurs spéciaux.
J'ajoute simplement que nous avons rencontré l'Association des départements de France (ADF) et de nombreuses personnes impliquées et j'en viens aux constats de la Cour.
D'abord, l'hypothèse de judiciarisation excessive n'est pas confirmée, puisque les placements judiciaires n'ont pas subi de décélération.
Ensuite, le délai de traitement des dossiers n'a pas été réduit, au contraire, par l'intervention du procureur.
Nous doutons que la révision quinquennale puisse intervenir à temps, ce qui laisse planer un fort risque de voir toute une population sans protection. Au demeurant, la révision n'est peut-être pas utile pour des personnes très âgées ou soufrant d'un mal irréversible.
Ainsi, la réforme n'a pas amélioré la situation des personnes protégées.
Le contrôle des comptes de tutelle représente pour les greffiers une charge d'autant plus lourde que leur présentation n'est pas normalisée. La réforme étant intervenue en même temps que celle de la carte judiciaire, il est difficile d'apprécier les moyens dont disposent les juges des tutelles.
J'en viens aux tuteurs. En ce domaine, la réalité des progrès n'est pas contestable. La loi réaffirme la prééminence de la tutelle familiale, qui représente toutefois moins de la moitié des cas. Les tuteurs professionnels ont été unifiés, ils figurent sur une liste et bénéficient d'un agrément préfectoral après avis du procureur de la République. Enfin, les financements sont explicites et unifiés.
Toutefois, la réforme des tuteurs reste au milieu du gué sur deux points : la formation et la répartition sur le territoire. Le premier aspect est positif, mais coûteux et peu accessible aux tuteurs bénévoles ou familiaux. Sur le plan géographique, la situation est très variable, mais aucun recensement exhaustif n'a été réalisé. Certains tuteurs sont surchargés, ce qui nuit au suivi des dossiers.
Les contrôles ne sont pas coordonnés. Nous n'avons d'ailleurs pas obtenu d'informations sur la manière dont ils étaient conduits. Sur un autre plan, le nouveau financement manque de lisibilité pour les personnes les plus faibles, qui ignorent à quoi elles s'engagent en demandant une tutelle.
L'accompagnement social peine à monter en charge : quelque 4 000 MASP ont été mises en place fin 2009, alors que les travaux préparatoires misaient sur 9 000 à 13 000 mesures. L'écart peut s'expliquer notamment par le caractère contractuel du dispositif, que les intéressés vivent mal. D'autre part, la MAJ passe par une procédure bien trop longue. Fin 2009, on dénombrait un millier de MAJ, contre 30 000 escomptées au cours des travaux préparatoires. Les 68 000 tutelles aux prestations sociales adultes (TPSA) auraient dû disparaître fin 2011, pour être transformées en MAJ ou en MASP. Or, très peu de transformations ont eu lieu, ce qui a rendu nombre de TPSA caduques, mais a laissé subsister les curatelles généralement associées à ce dispositif. La déjudiciarisation souhaitée n'a donc pas eu lieu.
Le coût de ces mesures est supérieur aux prévisions, puisque l'équilibre financier reposait sur la réduction des mesures judiciaires au profit de mesures sociales, théoriquement moins coûteuses. Dès 2009, les départements ont économisé 6 millions d'euros, mais les mesures d'accompagnement coûtent environ 500 euros par personne et par mois, soit largement le triple des 150 euros envisagés ! J'observe à ce propos que l'accompagnement social exige un personnel compétent, ce qui a induit une anticipation du recrutement pendant les deux premières années de mise en oeuvre, malgré le faible nombre des mesures décidées, car les départements voulaient avoir le temps de s'organiser.
Les trois quarts des départements ont opté pour une délégation complète de gestion pour les MASP, de préférence à l'intervention en régie directe.
Enfin, les personnes concernées n'ayant en général que des ressources limitées, la MASP n'est que difficilement facturable. C'est pourquoi 82 % des départements l'ont rendue gratuite.
Le coût du dispositif est donc incertain, mais tout suggère qu'il sera supérieur aux prévisions. Au titre de l'exercice 2011, la charge pesant sur le département est évaluée à 47 millions d'euros, au lieu des 21 millions attendus.
Tous ces constats sont provisoires, car le bilan quantitatif et qualitatif de la loi n'a pas encore été publié.
La réforme de 2007 est-elle utile ? A-t-elle été suffisamment préparée ? Les surcoûts induits seront-ils significatifs ? A-t-elle pris en compte les moyens existants ou a-t-elle tablé sur leur hausse illusoire ? A-t-elle provoqué un transfert des charges vers les collectivités territoriales ?
Limité aux deux premières années de mise en oeuvre, le constat fait par la Cour des comptes est éminemment provisoire. Très clairement, les situations dans les juridictions sont hétérogènes au plus haut point.
Est-ce à dire qu'il faudra reprendre le sujet dans une dizaine d'années ?
La Chancellerie partage le constat de situations extrêmement variables selon les juridictions.
Votée il y a cinq ans, la loi n'est entrée en vigueur que le 1er janvier 2009. Son principe a été très bien accueilli, puisqu'elle tendait à recentrer le dispositif sur les besoins de la personne en introduisant les principes de subsidiarité, de proportionnalité et d'individualisation. Nous ne sommes pas loin des exigences formulées par le Conseil constitutionnel à propos de la loi réformant les soins psychiatriques, domaine où le juge contrôle la proportionnalité de l'atteinte aux libertés.
L'effet de la déjudiciarisation n'apparaît pas en deux ans, mais les mesures de protection judiciaire ont diminué de 20 % la première année. Elles augmentent actuellement. Le constat est donc mitigé. Il faudra du temps pour apprécier cet aspect de la réforme.
Lorsqu'elle a étudié le budget de la justice, la commission des lois a constaté le retard considérable pris dans la mise en oeuvre de la réforme, dont il nous est apparu très vite que le calendrier ne serait pas respecté.
Au vu des moyens de la justice, pourquoi avoir imposé une révision quinquennale ?
Le nouveau régime de tutelle a amplifié les difficultés rencontrées par certains tribunaux, au moment où la nouvelle carte judiciaire réduisait la proximité des juridictions, si utile à la protection des majeurs.
Quelle que soit sa justification, le nouveau dispositif accroît notablement la charge pesant sur les greffes, si bien qu'il risque d'être largement inopérant.
D'où vient le retrait des familles ? La Cour des comptes s'est-elle penchée sur ce sujet ?
L'ADF pourrait-elle nous communiquer son analyse budgétaire de la loi ?
Qu'est-il arrivé aux quelque 50 000 TPSA qui n'ont pas été transformés en MASP ?
Monsieur Didier-Courbin, où en est l'élaboration des derniers décrets d'application ? Quels points posent encore problème ?
Pourquoi la part de l'État dans le financement public a-t-elle autant décru ? Faut-il s'attendre à une explosion des coûts pour la Sécurité sociale, avec l'accroissement des personnes âgées dépendantes admises en établissement ?
Il y a trois types de MASP. Le premier, limité à un accompagnement budgétaire et une aide à la gestion, s'inscrit dans la compétence du service social polyvalent. Les actions réalisées à ce titre ne sont pas individualisées au sein des budgets départementaux. La variante renforcée conduit le président du conseil général à percevoir et à gérer les prestations pour le compte de la personne protégée. Les actes correspondants sont mieux identifiés. Enfin, la version contrainte, qui suppose l'intervention d'un juge d'instance, ne semble guère appliquée, la logique de la contractualisation s'opposant à l'injonction.
L'ampleur du travail social exigé par la négociation et la mise en place d'un programme d'accompagnement spécifique explique un coût mensuel de 500 euros par personne. Saisi par le conseil général du Val-de-Marne, le Conseil constitutionnel a jugé qu'il n'y avait là aucun transfert de compétences, tout en observant que la précarité sociale caractérisant le public touché exigeait un accompagnement plus difficile et plus long. Il est parfois délicat de tracer la frontière entre ce dispositif, celui introduit par la loi Besson sur le logement des plus démunis et d'autres textes portant sur l'accompagnement de l'enfance, l'économie sociale ou familiale, voire le droit au logement opposable.
Cette coexistence de trois MASP complique la comptabilisation d'ensemble des dépenses des départements. La montée en charge a été lente, mais la réforme commence à prendre, et l'on peut s'attendre à des évolutions budgétaires d'ampleur.
C'est essentiellement le MASP 2, par lequel le conseil général se substitue à la demande des personnes, qui est concerné dans le cas des six départements sur cent un qui ont fait le choix d'une gestion en régie.
En ce qui concerne la délégation, la question a été posée d'un possible conflit d'intérêts : un département peut-il sans danger contractualiser avec un service qui exerce d'autres mesures de protection ? Mais l'offre de services et le nombre de gestionnaires étant ce qu'ils sont, c'est généralement le service tutélaire qui exerce ces autres mesures.
Sans doute la loi aurait-elle pu ajouter, à l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, outre un 14° sur les tutelles et les curatelles et un 15° sur les anciennes tutelles aux prestations sociales enfants, un 16° autorisant les départements à contractualiser avec les services de MASP - à condition que ce soit sans l'obligation de lancer des appels à projet, car on voit mal comment un conseil général pourrait en lancer pour se sélectionner lui-même ensuite : les associations ne manqueraient pas d'exercer des recours.
Certaines des maisons de retraite publiques sont établissements publics de santé : leurs préposés aux tutelles, puisque le débat sur leur présence a été tranché en 2007, sont financés par l'aide sociale à l'hébergement des départements. C'est un élément à prendre en compte dans la consolidation, de même que la question des résidents.
La disparition des tutelles aux prestations sociales adultes (TPSA) n'a rien de mystérieux : depuis bien des années, les mesures civiles de curatelle ou de tutelle étaient doublées, pour des questions de financement, de TPSA, lesquelles étaient rarement prises isolément. La loi a, depuis, prévu une alternative entre système social et mesure d'accompagnement judiciaire, d'une part, système de tutelle-curatelle de l'autre : les TPSA préexistantes se sont donc éteintes, et ne sont restées que les mesures civiles. La MASP a correspondu à un nouveau besoin. Dès lors que l'on a permis l'ouverture des tutelles-curatelles sur production d'un certificat médical, et non pas pour prodigalité, ces mesures n'avaient pas de raison d'être levées et sont aujourd'hui en phase de renouvellement.
J'insiste sur cette question des renouvellements, source de difficultés majeures. La réforme de la protection des majeurs a entrainé, pour les tribunaux d'instance, une surcharge de travail de 50 % - et le nombre de dossiers et d'ouvertures ne fait que progresser. Cette charge de travail est venue s'ajouter à celle qu'ont suscitée les nombreuses réformes qui ont touché ces tribunaux - réforme de la carte judiciaire, accompagnée d'une diminution globale des moyens, transfert du contentieux du surendettement, qui a accru la charge de travail de 25 % des tribunaux...
L'ensemble du dispositif du surendettement a été transféré.
Sauf ce qui est instruit par la Banque de France, par exemple. N'est transféré que ce qui doit aboutir à une décision.
Mais il y a bien eu transfert, au sein de l'institution judiciaire, du juge de l'exécution, relevant des tribunaux de grande instance, aux tribunaux d'instance.
S'ajoutent à tout cela l'extension de la compétence en matière de crédit à la consommation, jusqu'à 75 000 euros, et la suppression des juridictions de proximité, qui reporte la compétence en matière civile sur les tribunaux d'instance.
Le résultat, c'est que plus de 50 % des mesures de tutelle-curatelle ne sont pas révisées, à quoi s'ajouteront les mesures prises en 2009, qui arriveront bientôt à échéance et les mesures prises depuis 2009. Cette accumulation du passif, avec les risques d'engagement de responsabilité qui y sont associés si toutes ces mesures deviennent caduques sans que rien ne soit prévu pour y remédier, met les tribunaux d'instance en grande difficulté.
C'est pourquoi nous avons émis un certain nombre de propositions dont j'espère pouvoir vous donner tout à l'heure le détail.
Pour ce qui est des textes d'application, la quasi totalité sont parus. Ne reste pendant que ce qui concerne les conditions de formation des préposés intervenant en établissements hospitaliers, et qui relève du ministère de la santé.
Les conditions de formation sont pourtant établies dans les décrets.
Un texte manque encore. Pour le reste, dès lors que les services tutélaires obéissent, en termes de financement, aux règles de droit commun des établissements sociaux et médico-sociaux, nous continuerons à faire progresser les textes pour améliorer l'efficience des mécanismes de financement.
J'en viens à la répartition entre les financeurs. La loi a prévu que l'Etat finance les tutelles et curatelles pour ceux qui n'ont pas de prestations sociales et se substitue aux départements pour ceux dont les prestations sociales sont à la charge du département, la Sécurité sociale intervenant, quant à elle, pour les personnes percevant des prestations sociales qui relèvent majoritairement de l'un de ses régimes.
Seuls 1 % ou 2 % du coût des services tutélaires continuent d'incomber aux départements, au lieu des 2 % à 3 % que retenaient les prévisions. Pour ce qui est de la répartition entre l'Etat et les caisses, la CNAF et la MSA notamment, les prévisions étaient respectivement de 56,8 % et 36,3 %. En réalité, ce sont 40,1 % seulement qui incombent à l'Etat et 48 % à la CNAF, dont la charge se révèle plus lourde que prévu.
Quel a été l'impact de la réforme sur les départements ? Le coût du dispositif social était estimé à 30 millions, il n'est en fait - sachant cependant que les remontées de l'enquête ont été incomplètes, et qu'il a ainsi fallu établir des projections - de 15,5 à 20 millions. Quant au coût du dispositif juridique, la moindre dépense, évaluée à 22 millions, s'est globalement vérifiée, à 21,86 millions. Au total, l'économie, qui devait être, en 2009, de 6,07 millions, aura été entre 11 et 13,6 millions, si bien que l'impact de la réforme, qui devait conduire, en 2010, à une dépense supplémentaire de 7 millions, aura conduit, en réalité, à une économie de 1 à 6 millions.
S'il y a consensus sur ces chiffres, y compris avec l'ADF, qui n'en a pas cité, c'est un élément intéressant à verser au dossier.
Ce que fait observer M. Hardy, c'est que tout dépend de ce que l'on fait entrer dans ces chiffres. Un exemple : les départements avaient, par prudence, évalué à 300 ETP la charge de travail suscitée par les mesures d'accompagnement social. Mais il se révèle que, pour 75 % de la dépense, ces professionnels ne sont pas directement employés par les départements, puisque beaucoup délèguent. On ne pouvait pas l'anticiper, mais c'est ainsi.
Je reviens sur la question de l'emploi dans les juridictions d'instance, soulevée par la Cour des comptes et votre rapporteur spécial.
Un mot sur les greffiers, tout d'abord, essentiels au fonctionnement des tribunaux d'instance, et dont il serait bon qu'ils atteignent le même effectif que celui des magistrats.
Pour ce qui est des magistrats, la réforme a donné lieu à l'affectation dans les tribunaux d'instance de vingt-deux juges d'instance supplémentaires et de sept magistrats placés. En même temps, la réforme de la carte judiciaire, qui a vu la suppression de 178 tribunaux d'instance, a entraîné une relocalisation des postes de magistrats et de greffiers dans ceux qui demeurent. Il est peu de magistrats qui ne traitent pas des tutelles, en raison de la répartition des tâches : il est donc difficile de mesurer avec précision le temps consacré à ces dossiers. Mme Pecqueur a évoqué la réforme du contentieux, citant la modification du seuil pour celui du surendettement. Mais on pourrait aussi citer la tutelle des mineurs, dont le juge d'instance a été déchargé. A la même époque, le nombre accru de juges de proximité l'a soulagé - il faudra voir, avec le rattachement nouveau des juridictions de proximité, comment se répartiront les rôles.
On comptait, en 2008, 798 juges d'instance. Ils étaient 829 en 2011. Pour le greffe, le gain a été, entre 2007 et 2012, de 164 postes - il est vrai que les emplois de catégorie C ont parallèlement reflué, mais ce qui compte ici pour nous, ce sont les greffiers des comptes de tutelle. En 2011-2012, le garde des Sceaux a obtenu d'importantes créations d'emplois, qui aideront à accompagner la réforme des tutelles. Nous attendons des chefs de cour qu'ils identifient précisément les besoins en emplois équivalent temps plein (ETP) suscités par la réforme. Nous avons, de notre côté, mis en place un groupe de travail destiné à évaluer la charge de travail des magistrats, poste par poste, et engagé une remise à jour du logiciel e-greffe, destiné à évaluer le travail du greffe. Tout ceci doit nous aider à prendre les bonnes décisions de répartition des emplois.
C'est notre expérience de terrain que je m'attacherai à retracer. Expérience des familles, tout d'abord, qui peuvent participer aux mesures de protection de leur parent. Le code de l'action sociale et des familles prévoit, en leur faveur, accompagnement et soutien. La plupart des associations, qui se sont portées candidates auprès des procureurs pour apporter ce soutien, ont été agréées, mais ne peuvent agir, faute de moyens. La loi incitait pourtant les familles à s'occuper de leurs parents.
L'obligation de mettre en contact les personnes protégées avec du personnel formé avait, de même, été bien accueillie. Mais les textes sont trop exigeants au regard des moyens disponibles.
Pour autant, il est bon que la loi édicte des principes éthiques qui renouent avec l'exigence de proximité et d'accompagnement. Il faudrait que les moyens suivent.
Si le bilan est difficile à dresser, cela est aussi dû à la précipitation. On a demandé de mettre en place accompagnement et formation dans la plus grande urgence, ce qui a pu obérer les effets de la loi sur le terrain, alors qu'il aurait fallu prendre le temps.
Dans bien des départements, les exigences de la réforme - compétences nouvelles, nombre de dossiers, notamment - ont conduit à une restructuration des associations. Combien d'associations ont-elles été concernées par des fusions, et le phénomène vous paraît-il un progrès ? Les associations tutélaires ne gagnent-elles pas, au contraire, à rester de taille humaine et ancrées localement ?
C'est en effet la gageure. Nous regroupons soixante-dix associations, et les fusions n'ont concerné que très peu d'entre elles. La région parisienne compte une pluralité de petites associations que l'on incite à fusionner. La chose n'est pas aisée. Il est bon, de fait, de parvenir à une taille raisonnable, pour respecter les règles nouvelles et disposer des moyens suffisants.
300 à 400. Mais c'est un avis personnel. Reste qu'il ne faut pas avoir peur des grosses associations. Elles se sont structurées différemment, en créant des antennes délocalisées, pour rester au plus près du terrain. Je dirige une association qui s'occupe de 2 800 personnes protégées ; depuis 1991, nous avons créé des antennes, dont chacune ne gère que 300 à 400 mesures.
Une précision sur les effectifs des tribunaux d'instance. La directrice des services judiciaires nous dit que les besoins sont encore en cours de chiffrage. A quel horizon le ministère disposera-t-il d'une vision précise des manques ? Quid, enfin, du fléchage de certains emplois sur les tutelles, auquel le Garde des Sceaux s'était engagé ?
Je salue le travail de la Cour des comptes, qui donne une vision assez claire des choses, même s'il est difficile, deux ans seulement après l'entrée en vigueur de la réforme, de parvenir à une évaluation complète. D'où ma question aux représentants de l'Etat : à quand un rapport d'évaluation global, sachant que l'article 46 de la loi prévoit une clause de rendez-vous ?
Il semblerait que le dispositif MASP n'ait pas reçu un accueil très favorable sur le terrain, tant de la part des publics visés que des travailleurs sociaux. Faut-il l'imputer à une trop grande complexité de la loi ? A un manque d'information ? Certains départements n'y ont vu qu'un outil subsidiaire à leur propre politique sociale, et ont peut-être hésité à s'en emparer. Faut-il y voir un échec de la réforme ou, en tout cas, son insuffisante préparation ?
Il faut porter attention, en matière de gestion, à l'accumulation de la charge de travail. En 2012, 400 ETP ont été supprimés au ministère de la justice. Sur la période 2011-2013, le nombre des suppressions atteindra 1 726.
Mme Cornette a parlé de la reconduction automatique de certaines mesures de protection. Ne faudrait-il pas prendre en compte le caractère durable de certaines situations pour alléger la charge de travail des tribunaux ?
Les associations s'interrogent, en effet, sur la nécessité de maintenir le délai de cinq ans. On sait bien que dans le cas de maladies neurodégénératives, par exemple, la situation ne va pas s'améliorer. De même pour les victimes de certains accidents, ou les handicaps de naissance. J'ajoute que les familles qui s'impliquent dans la prise en charge vivent mal l'obligation de révision à cinq ans.
Pour autant, il semble difficile de revenir en arrière. Car comment définir juridiquement les cas ? On risque, à s'aventurer dans cette voie, de perdre tout le bénéfice de la loi. Il est permis, en revanche, de s'interroger sur la pertinence d'une révision à dix ou quinze ans.
Plusieurs autres améliorations pourraient être apportées à la réforme, notamment pour gagner du temps dans les greffes. Aujourd'hui, toutes les ordonnances rendues doivent être notifiées par lettre recommandée, y compris de simples autorisations, qui n'ouvrent pas de recours, comme l'ouverture d'un livret A. Il serait bon qu'un certain nombre de ces ordonnances, dûment listées, puissent être notifiées, en cas d'acceptation, par lettre simple.
Se pose également le problème de l'insuffisance du nombre des médecins inscrits. Pour y remédier, pourquoi ne pas substituer, pour des démarches comme la résiliation de bail ou la vente du logement en cas d'accueil en établissement, l'avis du médecin traitant à celui du médecin inscrit ? Cela résoudrait le problème de surcharge en même temps que des coûts - sachant que la rémunération des actes des médecins inscrits est de 25 euros.
L'article 427 du code civil exige l'autorisation préalable du juge des tutelles pour toute ouverture de compte. L'objectif de la loi était louable : éviter les comptes pivot, et que tous les comptes des majeurs protégés soient regroupés dans une seule banque. L'obligation paraît logique pour les associations, mais est très lourde pour les familles. Cela complique leur tâche et alourdit la charge de travail du juge.
Autre point, le dispositif du mandat de protection future ne fonctionne pas ; il n'en est guère qu'un ou deux par tribunal, ce n'est pas satisfaisant. Pour autant, certaines familles ont besoin de certains actes qui ne peuvent faire l'objet, quand il y en a plusieurs, d'un mandat spécial. Il serait donc intéressant de réfléchir à un mécanisme d'habilitation des enfants pour les personnes âgées, qui fonctionnerait comme l'habilitation des conjoints, avec bien sûr des garanties, comme l'accord de l'ensemble de la fratrie.
Je rejoins la présidente de la FNAT sur la nécessité d'assurer le financement des associations. Les familles sont inquiètes, d'autant que leur responsabilité peut être mise en cause. Il faut trouver des fonds pour la formation. A long terme, une meilleure prise en charge par les familles sera source d'économies.
Merci de cette approche concrète, fruit de l'expérience de terrain : la commission des lois y trouvera sans doute matière à de futures initiatives législatives.
Si le délai de caducité a été fixé à cinq ans, c'est que le principe avait été posé d'une révision périodique et que le code civil, pour les mesures d'ouverture, prévoyait une caducité au maximum à cinq ans. On a donc estimé que le stock des mesures déjà prises devait connaître le même sort.
Pour régler la question délicate des situations durables, si le délai de réexamen à cinq ans s'impose pour les mesures initiales, il n'en va pas de même pour les renouvellements, qui souffrent de dérogations, sous les conditions énumérées à l'article 442 du code civil. Serait-il opportun d'aller jusqu'à dix ou quinze ans pour une mesure initiale ? Il faudrait examiner si cela serait constitutionnellement possible. Ce ne serait, en tout état de cause, envisageable que selon la même procédure dérogatoire, assortie de garanties.
Cela vous semble préférable à une durée de droit commun allongée, sauf décision contraire du juge ?
Pour la première mesure, oui. Il faut circonscrire à des cas spécifiques, avec des garanties.
Le problème est qu'aujourd'hui, faute d'obligation de formation des médecins, certains certificats restent très approximatifs quant à la notion d'impossibilité d'amélioration de l'état de santé. C'est pour remédier à cette situation que nous envisagions la possibilité, tout en conservant une durée de caducité à cinq ans, de prévoir qu'un renouvellement, avec les garanties nécessaires, puisse être porté à dix ou quinze ans, s'il est établit que l'amélioration de l'état de santé, en l'état actuel des connaissances scientifiques, n'est pas possible. En revanche, il nous paraît extrêmement dangereux de prévoir une durée indéterminée de droit commun s'appliquant à des cas exceptionnels, sachant combien il est fréquent de voir la justice manier l'exception au quotidien...
J'avais compris que vous évoquiez une durée ab initio de quinze ans ?
Mme Emilie Pecqueur. - Dans des cas dérogatoires.
J'en viens à la question délicate, pour le législateur, du stock des mesures qui n'auront pas été révisées avant le délai de cinq ans. Il faudra trouver un dispositif pour éviter la caducité automatique, sans pourtant se borner à prolonger indéfiniment les mesures non encore révisées. Equilibre essentiel qui ne sera pas facile à atteindre.
Le rapport qu'exige l'article 46 de la loi de 2007, monsieur Bocquet, fruit d'un travail commun entre le ministère de la cohésion sociale et celui de la justice, est en voie de finalisation. Nous ne disposions pas, quand la Cour des comptes a mené son travail, de toutes les données. Elles sont aujourd'hui collationnées et le rapport sera transmis fin février.
La réforme, comme l'ont fait ressortir les interventions, visait à « déjuridictionnaliser » les mesures de protection, considérant qu'elles font partie des compétences des services sociaux des départements. Si l'on a, cependant, créé la MASP, c'est que les publics n'étaient plus les mêmes que dans les années 1970, lorsque furent mis en place les services polyvalents de secteur : précarité, surendettement, difficultés d'accès au logement...
L'évaluation du dispositif porte sur seize mois. Il faudra y revenir, pour vérifier qu'il ne se surajoute pas à d'autres, concernant le logement ou la protection de l'enfance, par exemple, au risque de créer un effet de mille-feuilles. Cela suppose d'évaluer non seulement la MASP, mais aussi les autres dispositifs d'accompagnement qui ont des éléments communs.
La TPSA n'a pas trouvé sa place, alors qu'elle datait d'avant la réforme, même si son nom a aujourd'hui changé. Il faudra voir comment elle pourra la trouver demain, dans un dispositif plus complexe.
Le groupe de travail que nous avons mis en place pour évaluer la charge de travail des magistrats rendra ses conclusions, madame Tasca, dans le courant de l'année. Les syndicats y ont été associés, ce seront donc des conclusions partagées.
Pour ce qui concerne les emplois de greffiers, le projet de loi de finances pour 2011 en a créé 399. Il en va de même pour 2012. Sachant que la scolarité dure 18 mois, les premières arrivées interviendront dans le courant de l'année. Plus de 770 greffiers étaient, en 2011, scolarisés à l'Ecole nationale des greffiers. Ils seront affectés en juridiction en mai, autant en fin d'année, à quoi s'ajoute une fin de promotion de 80 greffiers qui entreront en fonction au début du mois prochain. A nous de les affecter où le besoin s'en fait sentir.
Si l'enquête de la Cour des comptes avait été décalée d'un an, ses appréciations sur la charge de travail et les effectifs auraient-elles été différentes, compte tenu de ces informations ?
Je ne pense pas que nous aurions infléchi nos constats. La surcharge constatée tient pour beaucoup à des phénomènes automatiques, à la démographie, en particulier, et en partie à la loi elle-même, fût-ce en application de principes intéressants - je pense à l'individualisation, à la révision, à l'exigence d'une audition, au délai de saisine du Parquet.
Tous les greffiers partant en retraite sont remplacés, à quoi s'ajoutent les créations d'emplois que j'ai indiquées, ce qui aboutit, en effet, à un total de 778 greffiers nouvellement affectés, en 2012 pour la première promotion, et en 2013-2014 pour le reste.
En effet, mais ces greffiers ne seront pas tous fléchés sur la tutelle, loin s'en faut : les tribunaux d'instance ont bien d'autres charges à remplir. Le problème reste donc malheureusement posé.
La commission autorise, à l'unanimité, la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte-rendu de la présente audition sous la forme d'un rapport d'information.