La réunion

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La commission procède tout d'abord à l'examen du rapport de M. Jean-Pierre Demerliat, rapporteur spécial, sur la mission « Provisions » du projet de loi de finances pour 2011.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Avant d'aborder l'examen des rapports spéciaux, permettez-moi de faire le point sur l'organisation de nos travaux. J'ai pris la décision de reporter cette réunion en fin d'après-midi afin que chacun puisse participer au débat sur le vote final du projet de loi portant réforme des retraites et à la séance de questions cribles. Je proposerai une autre date à M. Bernard Vera, rapporteur spécial de la mission « Publications officielles et informations administratives », retenu par un engagement impératif à cette heure.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Demerliat

La mission « Provisions » a pour originalité de regrouper en deux dotations programmes des crédits destinés à couvrir des dépenses indéterminées au moment du vote de la loi de finances, ensuite répartis en tant que de besoin entre les autres missions par voie réglementaire. En outre, conformément à la LOLF, elle est une mission spécifique dénuée de stratégie de performance : ses programmes ne font l'objet d'aucun objectif ni indicateur et leur présentation ne s'accompagne pas d'un projet annuel de performances.

D'un montant de 259,7 millions d'euros, cette mission est, cette année encore, la moins dotée du budget général. La dotation du programme « Provision relative aux rémunérations publiques » correspond aux « mesures générales intéressant les agents du secteur public », dont la répartition par programme ne peut être déterminée a priori. Pour 2011, le ministère du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État a prévu 59 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement afin de « faire face à d'éventuels besoins d'ajustements en gestion sur la dépense de titre 2 ». Si cette dotation ne doit pas financer des aléas de gestion en matière de rémunérations publiques, ce qui pourrait s'apparenter à un contournement du principe de fongibilité asymétrique, ménager une certaine souplesse est légitime afin de corriger d'éventuelles erreurs marginales dans la gestion de la masse salariale de la fonction publique. Quant à la dotation du programme « Dépenses accidentelles et imprévisibles », elle finance, comme son nom l'indique, les dépenses accidentelles, imprévisibles, et urgentes occasionnées, par exemple, par des catastrophes naturelles, en France ou à l'étranger, ou des événements extérieurs qui nécessiteraient le rapatriement de Français. En 2011, 200,7 millions d'euros d'autorisations d'engagement et de crédits de paiement sont demandés, soit un montant supérieur aux deux derniers projets de loi de finances. D'après les informations disponibles, environ 140 millions d'euros sont inscrits au sein de cette enveloppe par anticipation, à titre non reconductible, pour être répartis ultérieurement conformément aux souhaits exprimés par les commissions des finances.

Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose d'adopter sans modification les crédits de la mission « Provisions ».

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Provisions ».

Puis la commission procède à l'examen du rapport de M. Bernard Angels, rapporteur spécial, sur la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » ainsi que sur les comptes de concours financiers « Avances à divers services de l'Etat ou organismes gérant des services publics » et « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés ».

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Angels

La mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », principale mission du pôle économique et financier de l'Etat, est devenue interministérielle lors de la réorganisation du Gouvernement, en mars 2010, qui a donné lieu au transfert de la compétence en matière de fonction publique du ministère chargé du budget au ministère chargé du travail. Pilotée par ces deux ministères, elle regroupe essentiellement les moyens du ministère du budget. Elle retrace à la fois des fonctions régaliennes liées à l'impôt et des activités d'état-major, d'expertise, de contrôle et de soutien, ainsi que la formation des fonctionnaires et l'action sociale interministérielle.

Pour 2011, cette mission est dotée de 11,7 milliards d'euros de crédits. La programmation triennale pour les années 2011 à 2013 marque une relative stabilité. Le ministère du budget représentant le quatrième employeur de l'Etat, après l'Education nationale, la Défense et l'Intérieur, la maîtrise de la masse salariale constitue ici le principal enjeu budgétaire. Les dépenses de personnel de la mission s'élèvent à près de 8,4 milliards d'euros, soit plus de 70 % des crédits. Le plafond d'emplois de 142 466 équivalents temps plein représente une baisse des effectifs de 1,9 %, qui intervient après la diminution de 2 % prévue de 2009 à 2010 et celle de 1,4 % constatée de 2008 à 2009.

Depuis 2007, cette mission constitue en effet le support budgétaire de nombreuses réformes, principalement menées au ministère du budget. Le rythme soutenu de ces efforts atteste une recherche active de gains de productivité.

L'année 2011, comme l'an passé, sera marquée par la poursuite de l'intégration des réseaux de la direction générale de la comptabilité publique (DGCP) et de la direction générale des impôts (DGI), qui ont été fusionnées, en 2008, au sein d'une direction centrale unique : la direction générale des finances publiques (DGFiP). Les services déconcentrés sont regroupés au sein de directions départementales ou régionales des finances publiques, chacune placée sous l'autorité d'un administrateur général des finances publiques qui exerce l'ensemble des compétences précédemment attribuées au trésorier-payeur général et au directeur des services fiscaux. Pour les usagers, cette réforme se traduit par la mise en place progressive d'un « guichet fiscal unifié » : soit le centre des impôts, soit le service des impôts des particuliers constitué à partir du centre des impôts et de la trésorerie situés dans une même commune, soit enfin la trésorerie de proximité pour les localités dépourvues de centre des impôts.

La mise en oeuvre est plus rapide que prévu : sur 101 directions locales de la DGFiP à créer, 52 étaient installées au 1er septembre dernier et, d'après les prévisions du ministère, 88 le seront avant la fin de l'année. Cette efficacité est louable, mais prenons garde à une accélération de la réforme qui serait trop brusque.

De fait, l'évolution du taux d'absentéisme du personnel, qui constitue un indicateur pertinent du climat social, se révèle assez préoccupante. En 2009, au sein du pôle « Bercy », les congés de maladie de longue durée et les congés de maladie ordinaire, qui représentent respectivement 20 % et 45 % des absences, ont, pour les premiers, stagné et, pour les seconds, encore augmenté. À considérer les derniers exercices clos, l'orientation est clairement à la hausse pour les services relevant de la mission. Au reste, j'attire l'attention de la commission sur ce phénomène depuis deux ans.

Je souhaite donc que l'enquête sur la fusion de la DGCP et de la DGI, que notre commission a décidé de demander à la Cour des comptes, en 2011, en application de l'article 58-2° de la LOLF, porte non seulement sur les aspects financiers et comptables de la création de la DGFiP, mais également sur l'accompagnement des agents dans cette mutation.

Par ailleurs, le ministère du budget doit achever deux importants chantiers informatiques. Le premier est le programme CHORUS qui, déployé progressivement depuis 2008, vise à refondre le système d'information financière et comptable de l'Etat. L'un des enjeux est d'obtenir que la Cour des comptes lève la réserve qu'elle a maintenue, en ce domaine, sur les comptes de l'Etat pour 2009.

Pour l'heure, l'incertitude demeure sur l'issue de cette entreprise. D'une part, la nécessité de travaux complémentaires a conduit l'administration à reporter la bascule de la comptabilité générale dans CHORUS du 1er janvier 2011 au 1er janvier 2012. D'autre part, la presse s'est faite l'écho, ces derniers mois, des retards de paiement de factures ou de remboursements de frais aux agents imputables au système CHORUS. Le coût de ce programme, à mon avis, devrait donc dépasser l'enveloppe de 808 millions d'euros officiellement prévu.

Le second chantier informatique est le programme COPERNIC, qui concerne la seule DGFiP. L'enquête de la Cour des comptes, demandée par la commission à mon initiative l'an passé, a établi le coût complet de l'opération à 1,5 milliard d'euros, hors dépenses de fonctionnement, de 2001 à 2012. Grâce à COPERNIC, 9,7 millions de foyers fiscaux ont déclaré leurs revenus en ligne en 2009, plus de 10 millions en 2010, et certainement plus de 11 millions le feront en 2011. Un véritable succès !

Pour autant, je déplore que les interrogations que nous avions soulevées lors de notre audition pour donner suite à l'enquête de la Cour des comptes n'aient pas été levées. En particulier, il est nécessaire de développer une nouvelle application pour le recouvrement contentieux et d'adapter les applications existantes pour le recouvrement ordinaire, mais la Cour des comptes, dans son dernier rapport de certification, a estimé que les projets en cours ne répondent pas aux besoins d'une plus grande traçabilité comptable. De même, notre proposition d'envisager des applications communes à la DGFiP et à la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), pour que les contribuables disposent d'un « compte fiscal » unique, n'a pas été suivie d'effets. Nous pourrions interroger le ministre, en séance publique, sur l'évolution de ces dossiers.

Un autre grand chantier est la révision générale des politiques publiques (RGPP), dont le ministère du budget, qui est aussi celui de la réforme de l'Etat, assure le pilotage. Conformément aux dispositions de la loi de finances pour 2010 introduites à mon initiative, le Parlement dispose désormais d'un bilan annuel chiffré, annexé au projet de loi de règlement : quelque 15 % des réformes de la RGPP étaient achevées, soit 58 mesures, au 31 décembre 2009. Avant la fin de cette année, une trentaine de mesures supplémentaires devraient l'être également. Entre 2007 et 2010, près de 100 000 postes ont été supprimés dans les services de l'Etat, soit près de 5 % des effectifs, dont 24 740 équivalents temps plein en 2009. Cela représente un gain brut annuel de productivité de près de 1,5 % et une économie budgétaire nette de 400 millions d'euros en 2009, 500 millions ayant été redistribués aux agents.

Les comptes spéciaux « Avances à divers services de l'Etat ou organismes gérant des services publics » et « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés », comptes de concours financiers, présentent un caractère essentiellement technique. Néanmoins, notons que le second comporte une avance de 100 millions d'euros destinée au Fonds de prévention des risques naturels majeurs. Cette somme servira à l'acquisition par l'Etat, amiable ou par expropriation, d'immeubles situés dans les zones de solidarité délimitées à la suite de la tempête Xynthia du 28 février 2010. Le remboursement par le Fonds interviendra dans l'année, dès le versement de même montant par la Caisse centrale de réassurance que prévoit l'article 38 du projet de loi de finances. En outre, le solde de ce second compte sera essentiellement fonction des remboursements anticipés d'une partie des 6,25 milliards d'euros de prêts consentis aux constructeurs automobiles en 2009. Ces remboursements sont inscrits à hauteur de 2 milliards d'euros dans le projet de loi de finances, mais cette hypothèse ne reflète pas une intention exprimée par les constructeurs : l'échéance légale de paiement reste fixée à 2014.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

La fusion de la DGI et de la DGCP semble s'opérer dans des conditions satisfaisantes...

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Angels

Certes. Néanmoins, l'important travail de modernisation engagé par le ministère du budget ne doit pas se faire aux dépens des personnels et, donc, de l'efficacité du service. Ne tirons pas trop sur la corde.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

J'entends votre mise en garde, s'agissant d'un ministère régalien chargé de recouvrer l'impôt et de lutter contre toutes les formes de fraudes.

Quant au programme CHORUS, ce défi majeur qui consiste à doter l'Etat d'une comptabilité unique, c'est un véritable serpent de mer !

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Angels

Les différents responsables des ministères, que j'ai rencontrés à l'occasion d'une réunion consacrée à la centralisation des achats de l'Etat, ont tous témoigné des insuffisances de fonctionnement de CHORUS. Il est difficile d'exiger des fournisseurs de meilleures conditions tarifaires pour les payer, ensuite, avec six mois de retard !

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Je souscris à l'observation du rapporteur spécial. À l'occasion de ma mission de contrôle sur pièces et sur place visant la mise en oeuvre de la RGPP dans les préfectures, j'ai eu connaissance du cas d'un entrepreneur de Clermont-Ferrand auquel le ministère de la défense devait, pour de la maintenance aéronautique, quelque 500 000 euros. Il était au bord du dépôt de bilan...

Les agents des préfectures sont très affectés de ne pas pouvoir payer dans des délais convenables, ils ont le sentiment d'être des représentants de l'Etat disqualifiés. Autrefois, le respect des délais de paiement par l'Etat était cité en exemple. La situation actuelle n'est guère rassurante.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

La mise en oeuvre d'un tel système nécessite l'accompagnement et la formation des personnels. Les « bugs » sont inévitables. Il faut tenir bon !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Adnot

Les entreprises peuvent toujours demander le paiement d'intérêts moratoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

En effet, mais cela ne règle pas leur problème de liquidités. Sans compter qu'elles hésitent à recourir à de telles solutions, de peur de mettre à l'épreuve leurs bonnes relations avec l'Etat.

Le programme COPERNIC, quant à lui, et la télé-déclaration fiscale sont un succès remarquable. Mais nous devrons effectivement questionner le Gouvernement sur l'inertie de la DGDDI à rejoindre ce dispositif.

Pour finir, le rapporteur spécial recommande-t-il de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission et des deux comptes spéciaux ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Angels

À titre personnel, non. Je suis contre les suppressions de personnels, qui relèvent d'un mauvais calcul à long terme, car les finances publiques risquent d'y perdre, les agents n'ayant plus les moyens d'effectuer les contrôles nécessaires. Mais je reprendrai ma qualité de rapporteur spécial en séance publique, pour exprimer la position de la commission...

À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » et des comptes de concours financiers « Avances à divers services de l'Etat ou organismes gérant des services publics » et « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés ».

La commission entend ensuite une communication de M. Philippe Adnot, rapporteur spécial, sur la localisation des centres de recherche et développement et d'ingénierie.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Adnot

Je remercie la commission de m'avoir confié ce travail que nous avons décidé d'entreprendre après avoir reçu des informations faisant état de délocalisations de centres de R&D d'entreprises françaises à l'étranger. Pour le mener à bien, j'ai réalisé plus d'une trentaine d'heures d'auditions.

Le 15 septembre dernier, Renault inaugurait un nouveau centre technique dédié à la mise au point des véhicules et des organes mécaniques de la plateforme Logan en Roumanie. Six jours avant, le PDG de Google, Éric Schmidt, annonçait la création en France d'un centre de R&D pour l'Europe qui recrutera prioritairement dans les écoles et les universités françaises dont l'excellence en mathématiques est reconnue. Ces deux exemples montrent la difficulté d'apprécier les flux de R&D en France : si certaines annonces de fermeture peuvent défrayer la chronique, n'oublions pas que nous accueillons également de la R&D étrangère - l'un des exemples les plus emblématiques en est la récente création d'un centre de recherche par Microsoft.

La délocalisation des activités de R&D, qui se dessinerait après celle des activités de production, suscite de fortes inquiétudes, d'une part, parce que leur relocalisation serait rare et entraverait une éventuelle relocalisation industrielle - la production industrielle nécessitant une proximité avec les centres intellectuels - et, d'autre part, parce qu'elle remet en question les plates-formes d'intelligence constituées sur notre territoire. Pour autant, ce mouvement, dont l'ampleur semble réduite à ce jour et n'obéit pas uniquement à une logique de coût, ne restera limité, que si l'on parvient à créer des écosystèmes d'innovation performants.

La France connaît-elle une perte de ses activités de R&D ? D'après les derniers chiffres disponibles, les effectifs de R&D ont régulièrement augmenté entre 2000 et 2008 pour passer de 177 688 à 22l 876, la proportion de chercheurs étant de 58,5 % en 2008 contre 46 % en 2000. D'après les témoignages recueillis, l'impact de la crise s'est fait sentir, en 2009 et 2010, sur les sociétés d'ingénierie dont les personnels ont pu servir de variable d'ajustement, notamment dans le secteur automobile. Pour autant, cet ajustement est seulement la contrepartie d'un système qui se veut flexible, grâce à l'externalisation d'une partie des activités de R&D. Durant cette décennie, la dépense intérieure des entreprises - qui retrace les travaux exécutés sur le territoire, quelle que soit l'origine des fonds - est restée supérieure à la dépense nationale des entreprises - qui mesure le seul effort financier des acteurs économiques nationaux. De fait, les entreprises étrangères financent une part non négligeable de la dépense intérieure en R&D : 20,8 % en 2007 et 22,2 % en 2008, contre 13 % aux USA, 17 % en Finlande et 5 % au Japon. Entre 2007 et 2008, la part des dépenses intérieures de R&D des filiales sous contrôle étranger a augmenté de plus de 11 %. Cette croissance a entraîné la création de 3 166 emplois de chercheurs, soit 60,3 % de ces emplois créés entre 2007 et 2008. L'attractivité de la France en matière de R&D devrait s'accentuer, grâce à l'impact de la réforme du crédit impôt recherche en 2008. Selon l'Agence française pour les investissements internationaux, la France a fait l'objet de 639 décisions d'investissement ou de renforcement de présence en 2009, dont 7 % de décisions d'investissements en R&D, un taux nettement plus élevé que les années précédentes. Il y aurait eu quinze opérations d'extension de service de R&D existants, vingt-deux opérations de créations de services de R&D et cinq reprises de société en difficulté impliquant un centre de R&D.

Pour autant, il est incontestable que les entreprises françaises s'installent des centres de R&D à l'étranger. Sont concernées par ce phénomène les seules entreprises à dimension régionale ou internationale qui disposent d'un centre de production au-delà de nos frontières. La décision de localisation de centres de R&D à l'étranger, qui résulte surtout de la politique de croissance externe des entreprises, s'explique rarement par la volonté d'accéder à des coûts plus faibles, sinon dans le secteur automobile pour les voitures low cost et, de surcroît, pour la seule partie développement. Si la logique de bas coût fait couler beaucoup d'encre, les personnes auditionnées ont souvent souligné les désillusions du off shore : coûts importants liés au turn over des ingénieurs dans certains pays, à la traduction, au transfert et à la reconstitution du savoir... La localisation d'un centre de R&D à l'étranger relèverait d'abord d'une logique de conquête de nouveaux marchés - que ne peuvent critiquer les pouvoirs publics et qui est, parfois, une contrepartie commerciale exigée par les autorités de certains pays- et d'une stratégie d'excellence en vue d'augmenter le capital immatériel de l'entreprise. Les firmes multinationales organisent leur R&D afin d'optimiser les atouts des pays dans lesquels leurs équipes sont installées. Cette vision matricielle et mondiale de la R&D, relativement ancienne dans le secteur des télécoms, a été reprise par EADS en 2006 ou encore par Sanofi Aventis en 2010, qui a conclu plusieurs partenariats avec des organismes renommés, tels l'Inserm ou le MIT. Prédomine donc la qualité de l'environnement scientifique et des écosystèmes d'innovation dans le choix de l'installation d'un centre - le point est primordial pour les pouvoirs publics. Plus ces centres seront intégrés à un écosystème d'innovation dynamique, plus il sera coûteux pour l'entreprise de modifier la géographie de sa R&D. Ces différentes logiques coexistent au sein de l'entreprise : pour financer l'augmentation de leur capital immatériel, les entreprises doivent réaliser des profits, ce qui passe notamment par la conquête de nouvelles parts de marché, grâce à l'optimisation de leurs produits existants et une certaine rationalisation des coûts.

La France a conduit des réformes importantes qui favorisent la création d'un environnement en R&D particulièrement attractif en France. Premièrement, la réforme du crédit impôt recherche de 2008 a réduit de manière significative le coût de la R&D dans notre pays. L'avantage fiscal permet à certaines entreprises d'amortir les variations des taux de change, à d'autres de ramener le coût de l'ingénieur français à celui de l'ingénieur indien si l'on prend en compte les coûts de transfert. Rappelons que le crédit impôt recherche n'a pas vocation à financer les dépenses de R&D des entreprises française à l'étranger, sauf lorsque ces dépenses sont sous-traitées à des organismes publics ou à des entreprises au sein de l'Union européenne. Et encore, les dépenses éligibles de sous-traitance sont soumises à un plafond global, qu'elles soient réalisées en France ou à l'étranger. Deuxièmement, les pôles de compétitivité rassemblent sur un territoire donné entreprises, laboratoires de recherche et établissements de formation. Le ministère de l'économie a identifié 12 528 entreprises étrangères dans les 71 pôles de compétitivité, dont un quart d'entreprises américaines et 13 % de sociétés allemandes. Troisièmement, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche a amélioré l'interface entre le monde académique et le monde de l'entreprise depuis 2006 avec la création de l'Agence nationale de la recherche, l'ouverture croissante des universités sur les entreprises, la création de fondations et l'encouragement aux projets de valorisation de la recherche. Quatrièmement, je citerai le programme d'investissements d'avenir, majoritairement orienté vers le financement de projets de recherche et de démonstrateurs, ainsi que la constitution de centres d'excellence.

Malgré ces évolutions positives, certaines faiblesses persistent. Alors qu'émerge un marché mondial des compétences où la Chine et l'Inde délivrent chaque années des diplômes à des milliers d'ingénieurs et de chercheurs bien formés, notre système d'enseignement ne pourvoit pas aux besoins, affirment les entreprises auditionnées.

Nous ne formons pas assez d'ingénieurs : 30 000 par an depuis dix ans, contre 300 000 pour l'Inde et la Chine. Outre le manque d'appétence des jeunes pour les sciences, soulignons la faible attractivité des postes industriels, moins séduisants que les fonctions bancaires ou financières.

Les donneurs d'ordres comparent les prix nationaux avec les prix near shore et off shore. Les rapports sont de un à trois pour les premiers et de un à cinq pour les seconds. Un marché mondial des chercheurs commence à se développer et un bon chercheur Chinois vaut aussi cher qu'un Français. L'Asie est d'ailleurs capable de mettre des sommes très importantes pour attirer les meilleurs. Les pouvoirs publics, s'ils n'ont pas d'influence directe, peuvent renforcer l'attractivité des filières d'ingénieurs, qui restent particulièrement professionnalisantes - 56 % des élèves d'un établissement que je connais bien sont embauchés avant la fin de leurs études.

Les PME souffrent d'un manque de R&D. Les grands groupes de l'automobile ou de l'aéronautique se comportent plutôt en assembleurs et bénéficient de la plus-value produite par les équipementiers avec leurs composants. Ils refusent de financer la recherche-développement et, dès qu'ils ont la solution à leur problème, ils arrêtent. D'où un risque d'externalisation partielle à l'étranger de la part de ces sous-traitants. Il conviendrait de réfléchir à une mutualisation de ces dépenses, parce que l'assembleur ne partage pas les coûts et les risques de la recherche et du développement dont il retire les bénéfices.

Notre cadre législatif et règlementaire est parfois jugé trop instable ou insuffisant, et le projet de loi de finances pour 2011 n'est pas de nature à rassurer ceux qui craignent une remise en cause du CIR. Certaines réformes peuvent en outre avoir un impact indirect sur la localisation des activités de RD. La réforme de la biologie médicale, opérée par voie d'ordonnance, a soumis certaines entreprises de biotechnologies aux règles applicables aux laboratoires de biologie médicale. Cela les pénalise fortement parce qu'elles ne peuvent plus développer leurs technologies - je pense ainsi à une entreprise très dynamique en matière de marqueurs biologiques. Cette ordonnance doit être ratifiée prochainement ; il conviendrait de lever cet obstacle. Lors d'un colloque que j'ai parrainé au Sénat, on nous a expliqué comment cette réglementation empêchait les laboratoires de lever des fonds propres, une entreprise envisageant même d'installer son centre de recherche en Belgique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Dans certains départements, il va bientôt ne plus rester qu'un seul laboratoire d'analyse biologique.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Adnot

J'ai évoqué l'assimilation de ces entreprises à des laboratoires d'analyse médicale.

Au total, il n'y a pas a priori péril en la demeure, mais la vigilance est de mise car les instances de direction des grandes entreprises vont réexaminer leur R&D afin de renouer avec les bénéfices. L'implantation des centres peut donner lieu à des stratégies variables. Si les pouvoirs publics peuvent difficilement s'élever contre les stratégies commerciales, ils peuvent préserver la compétitivité des coûts comme ils l'ont fait avec le CIR. Rien ne nous interdit de penser à ce qui devrait évoluer pour optimiser les méthodes que nous mettons en place. Si nous ne perdons pas, globalement, de R&D, ces activités pourraient être rapidement touchées par une rationalisation. Il faut donc préparer l'avenir et créer des écosystèmes d'innovation attractifs pour les entreprises françaises et étrangères.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Je vous remercie d'avoir conduit cette étude sur un sujet extrêmement sensible. Il y a 18 mois, vous m'aviez recommandé de rencontrer des ingénieurs travaillant pour des sous-traitants de l'industrie automobile et que l'on encourage à se déplacer en Europe centrale - ce qui peut entrainer des pertes d'emplois. Le cas de Renault et de la Logan est typique. Le CIR peut être utilisé pour des dépenses de sous-traitance réalisées à l'étranger, nous devons être attentifs.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Adnot

Renault essaie, et c'est de bonne guerre, d'obtenir un système similaire du gouvernement roumain.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Adnot

Non. Je peux d'ailleurs vous assurer que nous avons longuement débattu de cette question. Le CIR peut-il servir à faire de la recherche ailleurs ? On ne peut pas dire que ce soit encore le cas, mais il faut rester vigilant.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

De grands groupes organisent la délocalisation en Europe centrale de leurs sous-traitants.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Adnot

La sous-traitance représente 5 % des dépenses du CIR. Nous n'avons pas encore fait complètement le tour de cette question. J'imagine qu'elle mobilisera le successeur de Christian Gaudin.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Il m'arrive de rêver d'autres modalités de prélèvement social et d'impôt qui allègerait les cotisations sur les salaires. Ce serait aussi efficace que le CIR, qui n'aurait plus de raison d'être avec la TVA sociale.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Adnot

Le débat ne concerne pas seulement le CIR : l'emploi, c'est la compétitivité. Il faudrait nommer autrement la réforme à laquelle vous pensez et dont certains parlementaires de gauche me disaient tout à l'heure qu'ils regrettaient qu'on l'ait enterrée trop vite. Si tout ce qui peut faire baisser les coûts est bon, le CIR a l'avantage d'être ciblé. Il faut jouer de tous les leviers et se rappeler que ce qui est décisif pour la recherche, ce sont les centres d'excellence. L'école mathématique française, par exemple, est extrêmement importante pour notre attractivité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Les algorithmes utilisés dans les salles de marché, c'est de la recherche. A ce titre, on a pu constater que le secteur bancaire pouvait profiter du CIF, ce qui m'étonne.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Adnot

Le secteur « Banques et assurances » représentent 2 % des dépenses du CIR.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Adnot

Un autre exemple de l'importance mathématique concerne la simulation virtuelle qui permet d'accélérer la recherche dans de nombreux domaines, comme on l'a fait par exemple pour les essais nucléaires. On pourra bientôt remplacer des corps par des modélisations.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Je félicite Philippe Adnot pour son rapport. Le CIR ne serait-il pas plus un avantage pour les entreprises de taille nationale que pour les grandes entreprises qui recherchent avant tout des pôles d'excellence ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Adnot

Ce serait un peu réducteur. Le CIR est essentiel pour toutes les entreprises innovantes, pour la compétitivité de nos entreprises et pour l'attractivité de notre territoire pour des entreprises étrangères. La maîtrise des savoirs peut déterminer l'avenir de certaines sociétés, mais il n'est pas exclu que des entreprises « moins patriotes » se servent sur le marché mondial de la recherche.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Un dirigeant d'entreprise de logiciels de gestion expliquait qu'il y a un pourcentage de génies dans la population : quand vous avez un milliard d'habitants, votre potentiel de génies est plus élevé qu'avec 60 millions.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Adnot

Tout est relatif. Organisé par Microsoft, l'Imagine Cup fait plancher 12 000 étudiants pendant 48 heures sur le thème de l'innovation. Parrainant cette manifestation, je me suis rendu en Corée pour chercher le drapeau. Des nations se détachent : il y a les Français, l'Europe de l'Est, la Corée, la Chine, mais ni les Anglais, ni les Américains, ni les Allemands.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

N'était-ce pas déjà le sens des chiffres que vous avez cités sur le nombre d'ingénieurs diplômés ? Nous sommes en bonne place mais l'évolution n'affaiblit-t-elle pas notre position ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Adnot

Il y a l'intelligence, et il y a aussi le travail et le dynamisme.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Il serait dommage que cet intéressant rapport ne soit pas publié.

A l'issue de ce débat, la Commission donne acte à M. Philippe Adnot, rapporteur spécial, de sa communication et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

Puis la commission entend une communication de M. Jean Arthuis, président, sur le contrôle de l'application des lois.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Le rapport que le Sénat publie chaque année sur l'application des lois connaît un fort retentissement médiatique... Les commissions permanentes sont chargées d'établir le bilan de la parution des textes règlementaires d'application des mesures législatives votées par le Parlement et dont elles avaient été saisies au fond ; ces bilans sont ensuite consolidés.

Au cours de l'exercice 2009-2010, notre commission a été chargée de contrôler l'application de vingt-et-une lois, dont seize en stock et cinq votées au cours de la dernière session. On constate que quatre-vingt-sept textes d'application ont été pris ou sont devenus sans objet, soit plus de la moitié des mesures prévues ; cependant, le stock de textes en attente de parution reste à peu près stable : soixante-sept contre soixante-dix.

S'agissant des lois les plus anciennes, la publication de plus des deux cinquièmes des textes en attente a porté le taux d'applicabilité du stock à 90%, trois devenant entièrement applicables. Cependant, l'on n'a que peu d'espoir pour les lois votées avant 2007 ; c'est ainsi que le décret prévu par l'article 24 de la loi de finances rectificative pour 2004 portant réforme de la taxe pour le développement de la formation professionnelle dans le bâtiment et les travaux publics est toujours en gestation.

Les deuxième et troisième lois de finances rectificatives pour 2010 étaient d'application directe ; elles organisaient l'aide à la Grèce, la garantie de l'Etat au mécanisme européen de stabilisation financière et la participation de la France aux accords d'emprunt du FMI. La loi sur le crédit aux PME et le premier collectif pour 2010 sont d'ores et déjà intégralement applicables. La loi sur les jeux en ligne a reçu plus de 80 % de ses textes d'application, mais moins de la moitié des mesures attendues pour les textes financiers de l'hiver dernier ont été publiés. Dans le cas de la loi de finances pour 2010, cela est dû à certains aspects de la réforme de la taxe professionnelle - nous y reviendrons dans le cadre du PLF pour 2011.

Le taux global d'application reste stable à 82 %. Attribuable à la vigilance du Sénat et au suivi du travail législatif, ce constat relativement satisfaisant n'est pas contradictoire avec le souhait que les situations de blocage les plus anciennes connaissent leur épilogue et qu'une initiative parlementaire permette l'abrogation des dispositifs abandonnés de fait : l'applicabilité de huit lois n'a pas évolué depuis un an.

Je vous invite à prendre connaissance de la note qui vous a été distribuée comme du rapport général. Je vous encourage surtout, dans le cadre de vos prérogatives, à identifier les difficultés et à interroger les administrations défaillantes.

La commission donne acte à M. Jean Arthuis, président, de sa communication.

Enfin la commission nomme :

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

rapporteur spécial de la mission « Recherche et enseignement supérieur », en remplacement de M. Christian Gaudin.

Debut de section - PermalienPhoto de Edmond Hervé

rapporteur spécial de la mission « Engagements en faveur de la forêt dans le cadre de la lutte contre le changement climatique » (compte d'affectation spéciale créé dans le projet de loi de finances pour 2011).