La mission commune d'information a procédé à l'audition de M. Patrick Ricard, président directeur-général de Pernod-Ricard.
a rappelé que la société Pernod-Ricard manifestait une forte culture d'entreprise et un ancrage réel sur le territoire national, bien qu'elle fût une multinationale disposant d'un portefeuille de marques étrangères réputées. Il a ensuite demandé à M. Patrick Ricard d'exposer à la mission d'information ses réflexions sur la nationalité des entreprises, le contenu de la notion de centre de décision économique et le rôle qui revenait, le cas échéant, à l'Etat pour sécuriser l'implantation des centres de décision et valoriser les atouts du territoire français.
a indiqué que son groupe, issu du rapprochement en 1975 entre les sociétés Pernod et Ricard, avait eu la chance de préserver une certaine continuité stratégique, malgré les importantes évolutions qu'avait connues son activité. Le chiffre d'affaires était ainsi passé de moins de 500 millions d'euros à près de 6,7 milliards d'euros entre 1975 et 2005, et était désormais réalisé à l'étranger à hauteur de 89 %, contre 17 % en 1975. Il a ajouté que le siège du groupe avait été maintenu en France, mais que la réussite de son internationalisation dans 80 pays devait beaucoup à son organisation très décentralisée, préservant une grande faculté d'adaptation aux conditions locales. Le siège social n'employait ainsi que 130 personnes, sur un effectif total de 17.000 salariés, et les décisions opérationnelles étaient essentiellement prises dans les pays où étaient élaborés les produits et où les marchés étaient les plus étendus.
Il a considéré que Pernod-Ricard n'était pas réellement confronté à la question de la délocalisation de la production, compte tenu de la nature même des alcools et spiritueux, associés à une origine géographique, mais que les équipes de vente étaient, pour leur part, largement délocalisées. Les unités géographiques disposaient également de vrais décideurs locaux. Il a ajouté que l'ancrage en France demeurait néanmoins fort et que 3.000 collaborateurs y étaient employés. L'usage du français dominait pour les réunions importantes du groupe, qui avaient lieu en France, mais l'anglais était de plus en plus utilisé, compte tenu de l'internationalisation de la société.
a ajouté que les formations et séminaires internes des cadres étaient le plus souvent assurés à Rambouillet, en trois langues, mais demeuraient imprégnés de culture française. Le fait que le président du groupe fût un membre de la famille du fondateur et portât le même nom que la société contribuait également à conforter la perception de la nationalité française de Pernod-Ricard. Cette identification à la France pourrait cependant, selon lui, s'atténuer si le groupe devait, à l'avenir, être dirigé par une personne de nationalité étrangère, ou délocaliser de nouvelles activités stratégiques pour bénéficier de moindres coûts de main d'oeuvre. Il a néanmoins estimé que la France disposait toujours d'atouts importants, parmi lesquels le niveau élevé de formation, la qualité de vie et la sécurité quotidienne des salariés.
Revenant sur le caractère international de son groupe, il a présenté la charte d'organisation, diffusée en quarante langues, et la charte globale de développement durable, davantage dédiée aux actionnaires et aux clients. Il a évoqué l'adhésion en 2003 de la société au forum « Global Compact » des Nations Unies et le cas du travail des enfants en Inde, auquel le groupe n'avait pas recours mais qui pouvait faire l'objet de perceptions différentes selon les pays et les cultures, dans la mesure où il contribuait à faire vivre des familles.
Il a enfin précisé que la majorité des dirigeants de Pernod-Ricard étaient français, et davantage issus des fonctions de gestion financière et d'audit interne que des services commerciaux et de marketing.
a posé trois questions :
- rappelant que M. Patrick Ricard était le premier chef d'entreprise issu du capitalisme familial auditionné par la mission d'information, il lui a demandé si cette forme de capitalisme constituait, de son point de vue, une manière particulière de faire face à la mondialisation et aux risques de prise de contrôle hostile, et si le fait qu'il ait annoncé son intention de quitter prochainement ses fonctions était susceptible de peser sur le destin du groupe ;
- puis il a évoqué le souhait de M. Patrick Ricard que fussent mises en place un certain nombre de défenses à caractère juridique, telles que les nouveaux bons de souscription d'actions, couramment dénommés « bons Breton », dont l'objectif était de renchérir le coût d'une opération hostile, ou un éventuel renforcement de la règle statutaire qui prévoyait déjà un plafonnement des droits de vote à 30 % par actionnaire présent ou représenté, quelle que fût sa part au capital. Il s'est demandé si ces défenses avaient vocation à être utilisées dans d'autres groupes, et dans quelle mesure ce type de stratégie pouvait se substituer à une défense économique fondée sur la valorisation du titre ou la recherche d'actionnaires stables ;
- il a enfin souhaité obtenir des précisions sur la manière dont le groupe était parvenu à intégrer les équipes d'Allied Domecq, et sur la politique globale de gestion des ressources humaines de Pernod-Ricard.
a souligné que le capitalisme familial permettait de garantir la présence au capital de la société d'un « noyau dur » pérenne et axé sur le long terme, susceptible de ne pas trop « écouter les bruits de la rue » et de construire des marques sur la durée, à la différence des fonds spéculatifs qui étaient focalisés sur le court terme mais n'en influençaient pas moins la stratégie des entreprises, ce qui constituait, à ses yeux, un vrai problème. Il a également confirmé qu'il avait récemment annoncé son futur retrait de la présidence du groupe d'ici novembre 2008, et a estimé que son successeur immédiat ne serait probablement pas un membre de sa famille.
S'agissant de la défense des sociétés contre les offres hostiles, il a considéré que la meilleure défense résidait surtout dans les bonnes performances de l'entreprise et dans sa valorisation boursière. Il a relevé que les conseils d'administration des sociétés américaines disposaient parfois d'une très grande latitude dans la mise en place de défenses statutaires, telles que l'attribution à un actionnaire de la quasi-totalité des droits de vote pour une fraction bien moindre du capital. Il a estimé que les « bons Breton » figurant dans la récente loi sur les offres publiques d'acquisition n'avaient pas vocation à protéger les dirigeants en place, mais à mieux valoriser la société-cible pour le bénéfice des actionnaires, et a rappelé que la clause statutaire de Pernod-Ricard, tendant à plafonner les droits de vote à 30 %, ne pouvait plus s'appliquer, conformément à cette même loi, dès lors que l'initiateur d'une offre venait à détenir au moins les deux tiers du capital de la société.
Puis M. Patrick Ricard a évoqué l'intégration d'Allied Domecq, qui s'était révélée relativement aisée car elle s'était surtout effectuée au niveau régional. Il a ajouté que le siège social de cette entreprise, qui était situé à Bristol et employait 450 personnes, avait été fermé. Il s'est félicité de l'attitude de ces salariés qui, bien que nombre d'entre eux n'aient pas souhaité rejoindre la France et aient donc été reclassés, avaient fait preuve d'une grande implication et de professionnalisme jusqu'à la date de transfert du siège.
a considéré que ce cas de fermeture du siège d'une société consécutif à son acquisition, susceptible de se faire au profit comme au détriment de l'emploi en France, était caractéristique de la notion de centre de décision.
a indiqué que son groupe aurait, effectivement, pu devenir anglais, ce que lui-même n'avait pas souhaité, et a constaté que les mesures de reclassement de salariés en France, analogues à celles proposées au Royaume-Uni, s'étaient heurtées à de plus fortes résistances, bien que seulement 150 collaborateurs fussent concernés, conduisant à une situation qu'il a qualifiée de « deux cultures, deux mesures ».
Se référant aux propos de M. Patrick Ricard sur le caractère très décentralisé du groupe, et à la situation de la société Coca-Cola, qui disposait de nombreuses implantations locales mais dont l'organisation demeurait très verticale et impliquait de très fréquents « reportings » à la maison mère, Mme Nicole Bricq s'est demandée quelle était la marge réelle de décision des responsables locaux. Elle a également souhaité savoir si la croissance du groupe depuis sa création en 1975 avait été essentiellement externe.
a relevé que Pernod-Ricard était une société française car son siège et son lieu de cotation demeuraient à Paris, et son capital était majoritairement détenu par des actionnaires français. Il s'est interrogé sur le périmètre de son « noyau dur » d'actionnaires et sur sa capacité à faire face aux importants flux d'épargne en provenance de l'Asie qui, à terme, pourraient également investir dans les secteurs de la grande consommation.
a corroboré les propos de M. Patrick Ricard sur l'intérêt que présentait, sur le long terme, la présence d'un actionnariat familial, et a souhaité connaître ses éventuelles suggestions sur les mesures fiscales qui permettraient de faciliter le maintien de « noyaux durs ».
s'est interrogé sur les frontières de la nationalité d'une entreprise, d'autant plus floues, selon lui, que la société était grande. Il a relevé que l' « enracinement » dans un territoire semblait en être une composante importante, et a illustré ce constat par les exemples des banques mutualistes, ainsi que par celui de LVMH, qui communiquait beaucoup sur l'image française du luxe, indépendamment de la localisation réelle de ses activités. Il s'est demandé si les différences de législation sur les alcools et spiritueux exerçaient un impact sur les implantations du groupe Pernod-Ricard, et s'il était désormais possible de concevoir une entreprise européenne.
a précisé que les décisions portant sur l'établissement et le suivi du budget prévisionnel étaient, par nature, centralisées, et que la réalisation du budget annuel constituait un objectif essentiel, conditionnant l'attribution des primes au niveau local. Il a indiqué que la création et le développement des produits était largement décentralisés, à l'exception de ce qui avait trait au goût et à l'emballage des marques stratégiques. En réponse à une question de Mme Nicole Bricq, il a ajouté que les décisions afférentes aux marques étaient prises dans le pays d'origine, et que les choix d'ouverture ou de fermeture des sites de production étaient faits par les filiales. A ce titre, il a relevé l'exemple de Martell, filiale qui avait connu de réelles difficultés et avait été conduite à des reconversions de sites à Cognac, lesquelles s'étaient cependant traduites par davantage de créations que de suppressions d'emplois, notamment grâce aux aides locales à l'investissement. Les décisions en la matière avaient été prises par Martell, et la maison-mère, simplement tenue informée, de même que pour la fermeture d'une usine au Canada.
a estimé que ce processus décisionnel pouvait créer un avantage, en termes de capacités de négociation, pour les salariés établis en France, compte tenu de leur proximité géographique du siège social.
a ajouté que les Français témoignaient encore d'une culture de l'égalité et de la revendication, héritage de la Révolution. Puis il a exposé les principales étapes du développement de Pernod-Ricard, marquées par une moindre attention portée à l'anis, et de nombreuses opérations de croissance externe -notamment le rachat de Seagram's qui a nécessité l'émission d'obligations convertibles- permises par une amélioration des marges et une consolidation de la réputation du groupe, de nature à abaisser le coût des emprunts.
Il a indiqué que ces acquisitions successives avaient contribué à diluer la part de l'actionnariat familial, qui était tombée à moins de 9 % du capital après le rachat d'Allied Domecq, avant que des rachats d'actions permettent à la famille Ricard de détenir aujourd'hui environ 10 % du capital et environ 18 % des droits de vote. A ce socle familial s'ajoutaient des partenaires financiers exerçant une action de concert, l'ensemble représentant 16 % du capital et 20 % des droits de vote. Il a précisé que les investisseurs institutionnels étrangers, essentiellement américains et britanniques, détenaient désormais une fraction du capital supérieure à celle des investisseurs français, parmi lesquels il a cité la Caisse des dépôts et consignations, le Crédit agricole et la Société générale. Il a considéré que ces derniers n'offraient pas nécessairement les meilleures garanties de stabilité en cas d'offre d'acquisition non sollicitée.
Il a ensuite rappelé que le nouveau dispositif des bons de souscription d'actions avait d'abord suscité un certain rejet de la part des investisseurs français. Il a jugé que la fiscalité avait effectivement un impact positif sur la pérennité du « noyau dur » au sein de l'actionnariat de Pernod-Ricard, et qu'à ce titre, des progrès réels avaient été accomplis en France au cours de la période récente. Il a indiqué que le fondateur du groupe avaient ainsi organisé sa succession au profit de ses petits-enfants, et que les actions détenues par la famille, logées dans une holding, bénéficiaient des dispositions dites « Dutreil » en faveur des pactes d'actionnaires.
s'est félicité que M. Patrick Ricard fût ainsi l'un des rares chefs d'entreprise à rendre publiquement hommage à M. Renaud Dutreil pour les aménagements positifs qu'il avait initiés.
a ensuite déclaré que la maison-mère s'attachait à faire connaître la France aux principaux collaborateurs et clients étrangers du groupe, notamment des cadres chinois et italiens, qui s'y étaient récemment réunis en séminaire. Ces manifestations permettaient de rappeler l'origine française du groupe et de pérenniser sa culture, même si la plupart des produits qu'il commercialisait n'étaient pas français.
a évoqué deux aspects : la recherche-développement et la mise au point des produits, dont il a souhaité connaître la localisation, et la diffusion de l'actionnariat salarié, que le fondateur Paul Ricard avait amorcée. Il s'est dès lors demandé si la société avait développé des véhicules d'épargne salariale ou d'épargne retraite, et quelle était sa politique en matière d'attribution d'actions gratuites et de stock-options.
En réponse, M. Patrick Ricard a indiqué que les activités de création et de recherche sur les produits n'étaient plus centralisées, et que des contrats avec des prestataires extérieurs avaient été conclus. Il a précisé qu'elles étaient localisées dans certaines régions de production, selon les grandes catégories d'alcools. Par exemple, en France pour les liqueurs, en Ecosse et en Irlande pour le whisky, et en Australie et en Espagne pour le vin. Il a précisé que le régime favorable des brevets et des droits de propriété en Irlande constituait une incitation à y développer des centres de recherche.
S'agissant de l'épargne salariale, il a évoqué l'abondement de l'entreprise sur les plans d'épargne investis en actions de Pernod-Ricard, et a indiqué que la part du capital détenue par les salariés, actuellement de 3 %, tendait à augmenter. Il a ajouté que le groupe ne recourait pas aux augmentations de capital réservées aux salariés, et que le projet d'attribuer des actions gratuites faisait aujourd'hui l'objet de débats internes, compte tenu de ses avantages et inconvénients au regard des stock-options. Il a estimé que celles-ci contribuaient, en effet, à fidéliser les cadres, tandis que les actions gratuites représentaient un capital réellement disponible, et donc également attractif.
a clos la réunion en remerciant M. Patrick Ricard pour la franchise et l'intérêt de ses propos.