La commission procède à l'audition de M. Emmanuel Hoog, président-directeur général de l'agence France-Presse (AFP).
Nous avions beaucoup apprécié votre travail à la tête de l'Institut national de l'audiovisuel (INA), monsieur Hoog. Quelle sera votre action dans votre nouvelle fonction, pour que l'AFP reste l'une des grandes agences internationales, marquée par sa liberté d'esprit et témoignant de la place de la France dans le monde ?
J'ai pris mes fonctions à l'AFP le 15 avril dernier, avec la volonté d'agir vite. L'AFP est la troisième agence mondiale, derrière les anglo-saxons Associated Press (AP) et Reuters. Tout en proposant une vision privilégiée de la politique française, elle publie des dépêches en sept langues, et s'adresse à plus de mille clients dans le monde.
Nous avons identifié cinq priorités pour réaffirmer notre position dans la compétition mondiale. Premier chantier : la mobilité. L'AFP doit être présente sur différentes plateformes, comme l'iPad et l'iPhone, à l'instar de ses concurrents, partout dans le monde.
Deuxième chantier : conserver notre place de leader sur le sport. Nous avons signé plus de deux cents nouveaux contrats lors de la dernière Coupe du monde de football ; pour la première fois, la couverture d'un grand évènement mondial a été profitable.
Troisième chantier : la langue arabe. La place de l'AFP dans le monde arabe est de plus en plus contestée par nos concurrents. Nous publions aujourd'hui environ 5 500 dépêches par jour, dont 3 500 en français et 300 en arabe. Il faut développer le fil arabe, y compris en recourant à la traduction.
Quatrième chantier : les archives. L'AFP se dote d'un outil multimédia pouvant produire photos et vidéos ; le fonds historique doit participer à la valorisation de l'agence.
Cinquième chantier : la vidéo. AP a créé une chaîne de télévision, comme l'agence Chine nouvelle ou Bloomberg. Sans aller jusque là, il nous faut produire davantage d'images vidéo pour répondre à la demande de nos clients. Reuters produit une soixantaine de sujets vidéos par jour ; l'AFP, une quinzaine, que nous pouvons décliner en une quarantaine d'objets. L'objectif est de tripler notre production dans les deux années à venir. Ce chantier sera porté par le système 4XML, refonte de notre système de production et d'édition, qui vise à faire coïncider texte, photo et vidéo, avec des bases de données coordonnées. Un financement dédié de 20 millions, sur un total de 30, a enfin été débloqué.
La question du statut de l'AFP est un véritable serpent de mer. À la suite de la réflexion entamée par mon prédécesseur Pierre Louette, le gouvernement a chargé Henri Pigeat, ancien président de l'AFP, d'un rapport sur son avenir. Pour ma part, je suis favorable à une évolution du statut de 1957, car les vertus d'hier emportent aujourd'hui des contraintes. Toutefois, les esprits ne sont pas mûrs pour une transformation de l'agence en société à capital, qui poserait la question du propriétaire, public ou privé, dudit capital.
Je propose donc de mettre ce sujet de côté et de centrer la réforme sur la question de la gouvernance. En 25 ans, AP a connu deux présidents ; Reuters, trois ; l'AFP, sept, dont trois démissionnaires ! Les réformes à l'INA ont abouti car j'ai pu incarner une stratégie sur la durée, stratégie portée par le conseil d'administration. Aujourd'hui, le président de l'AFP est structurellement faible : son mandat n'est que de trois ans, et son conseil d'administration est composé à 80 % de ses clients, dont l'intérêt est avant tout d'obtenir un service de la meilleure qualité au plus bas prix.
Il faut également clarifier les relations financières entre l'État et l'agence et définir les missions d'intérêt général qui justifient une subvention publique aux yeux de Bruxelles. L'AFP ne dispose pas de véritable contrat d'objectifs et de moyens, mais seulement d'une trajectoire financière.
Enfin, d'autres évolutions plus techniques, comme la présence d'une commission financière, redonneraient de l'air. L'agence doit impérativement reprendre le mouvement, dans un contexte à la fois porteur au niveau international et récessif sur le marché français. Cela passe aussi par une réforme du statut.
Merci pour votre exposé. Je donne la parole à M. Assouline, qui est notre rapporteur pour la presse.
Cela fait dix-huit mois que notre commission, tout comme d'ailleurs les élus des Français de l'étranger, se penchent sur le devenir de l'AFP. Il faut pérenniser et développer cette parole française, dont la fiabilité est reconnue. Si nous sommes conscients qu'une évolution du statut s'impose - le Sénat est à la pointe dans le domaine de l'information ! - nous redoutions et la privatisation, et l'étatisation. Une agence de presse aux mains de l'État serait décrédibilisée. Les différents représentants syndicaux reconnaissent que le mode de gouvernance issu du statut de 1957 est obsolète. La presse quotidienne, régionale et nationale, cliente de l'agence, détient 80 % des voix au conseil d'administration : outre la confusion d'intérêts qu'elle induit, cette répartition ne représente pas la réalité de la diffusion de l'AFP, qui est pour l'essentiel internationale.
La presse quotidienne nationale et régionale représente moins de 10 % du chiffre d'affaires de l'agence.
Votre prédécesseur M. Louette a su redresser une situation financière catastrophique. Pouvez-vous préciser votre position sur la question du capital ? Que proposez-vous pour éviter la censure de Bruxelles ?
Je souhaite en rester au statut de 1957 : l'agence n'ayant pas de capital, la question de son éventuel propriétaire ne se pose pas. En revanche, je souhaite que la composition du conseil d'administration évolue : il pourrait par exemple compter des personnalités qualifiées, d'autorité morale ou culturelle, des représentants du monde des nouvelles technologies, prendre en compte la dimension internationale... Au génie parlementaire de s'exprimer !
Je souhaite que le mandat du président de l'agence soit porté de trois à cinq ans, comme pour la majorité des entreprises publiques. Vis-à-vis de Bruxelles, il nous faut définir juridiquement les missions d'intérêt général qui justifient une aide d'État. En revanche, on ne touche pas au mythique article 2 du statut de 1957, socle de toute la philosophie de l'agence. L'articulation entre missions d'intérêt général et contrat d'objectifs et de moyens fera taire les risques de conflit. Enfin, certaines dispositions de 1957 mériteraient d'être déclassées au niveau réglementaire.
J'ai tenu ce même discours au personnel. Chacun voit qu'il faut bouger. Dès lors que le principal sujet de conflit est écarté, on peut envisager sereinement une modification du statut.
Quel sera le calendrier de cette réforme ? Le gouvernement va-t-il déposer un projet de loi ? Le statu quo ne doit pas handicaper l'agence.
Je souhaite que cette réforme intervienne le plus tôt possible : les enjeux sont connus, le climat apaisé, il est temps de légiférer. Je l'ai dit au gouvernement, qui m'a entendu. Le reste ne dépend pas de moi !
L'AFP est un bijou de la couronne républicaine. Ici, la modernisation envisagée n'est pas, comme trop souvent, une destruction, mais une nouvelle construction, dans l'esprit du service public. Je souhaite que l'esprit dont vous avez fait preuve à l'INA, qui vous avait valu le soutien de notre commission lors de la numérisation du patrimoine audiovisuel, se perpétue à la tête de l'AFP.
Les débats sur le statut de l'agence ont été nombreux, les traverses également : l'étatisation comme la privatisation seraient des impasses mortifères. Vous nous avez répondu avec une force tranquille. Je vous souhaite longue vie dans vos nouvelles fonctions !
Je m'inquiète des rapports de l'agence avec la presse écrite. Plusieurs patrons de presse disent pouvoir se passer de l'AFP ; je n'y crois pas. Mais je comprends leurs difficultés, entre journaux gratuits et précarité du métier de journaliste... Nous sommes là pour construire, avec vous : notre commission est un lieu de réflexion et d'écoute !
La presse française n'est pas malade de l'AFP. Au contraire, l'agence est son partenaire naturel. Depuis dix ans, elle l'accompagne en réduisant, année après année, le coût de l'abonnement. L'AFP ne peut faire ces efforts commerciaux qu'en trouvant de nouveaux marchés. Et pourtant, certains quotidiens régionaux se désabonnent, ou nous préfèrent nos concurrents, comme Reuters, qui publie environ 150 dépêches en français, pour 50 000 euros !
À l'époque de Jean Marin, qui a présidé l'agence pendant dix-sept ans, la presse nationale et régionale était florissante, l'accompagnement de l'abonnement d'État très fort ; aujourd'hui, nous sommes à l'heure d'Internet, dans un marché hyperconcurrentiel. La stabilité de la gouvernance dépend aussi d'une consolidation de la tête de l'agence.
La troisième agence du monde doit-elle avoir une stratégie sur Internet ? C'est une évidence. AP et Reuters ont des sites Internet, des applications mobiles, tout comme l'agence espagnole EFE. Mais mon conseil d'administration refusera la création d'une application iPhone ! Le statut de 1957 ne prévoyait pas l'avènement d'Internet, la désintermédiation générale. L'AFP ne souhaite pas rentrer en concurrence avec ses clients, mais elle ne peut plus se permettre d'être absente d'Internet, d'autant que nos propres clients développent des alertes flash sur leurs sites Internet ! Il faut sortir de la logique franchouillarde : si nous n'avançons pas, nous régresserons !
Je salue votre action à la tête de l'INA et j'approuve votre prudence : il est sage de commencer par réformer le mode de gouvernance. Toutefois, pour rattraper son retard sur ses concurrents, notamment sur le plan technologique, l'AFP devra investir. Dès lors que l'on refuse d'augmenter le capital, comment financer ces investissements ?
Au-delà de la théorie, le niveau de valorisation de l'agence n'a à ce jour pas été établi. Par ailleurs, la capitalisation est une opération à un coup, et n'apporterait qu'une réponse temporaire.
Nous avons évalué les besoins de financement de l'agence à 125 millions d'euros, dont 55 millions pour les cinq priorités que je vous ai citées. Je suis arrivé un peu tard dans la négociation, mais j'espère que la numérisation du patrimoine photographique de l'AFP pourra bénéficier des fonds du grand emprunt...
Nous développons un outil informatique puissant, dont le financement est aujourd'hui garanti. Les équipes sont au travail, le déploiement en cours et la brique finale sera posée d'ici deux ans. Nous sommes en pointe sur le plan technologique : site Internet en japonais, solutions mobiles aux États-Unis... L'agence ne manque pas de savoir-faire, mais de visibilité au niveau national !
Enfin, nous rattrapons notre retard sur Reuters dans le domaine de la vidéo. Nous sommes les premiers à publier toutes nos images vidéo en haute définition, à compter d'aujourd'hui 15 septembre ; Reuters ne suivra pas avant fin 2011, tandis qu'AP n'a toujours pas annoncé de calendrier.
Reuters tire d'importantes ressources de son intervention dans le champ économique et financier, domaines dans lesquels l'AFP serait moins performante...
L'AFP se cantonne à l'information, tandis que Reuters offre également des services financiers aux entreprises. Le développement de services, dans un cadre déontologique strict, est d'ailleurs une piste à creuser. Nous avons développé une offre dans le domaine social qui s'accompagne de services personnalisés aux entreprises. Et nous restons loin devant Reuters pour ce qui est de la couverture sportive !
Chaque débat autour de l'AFP a toujours été source de conflit ; je me réjouis de vous voir aujourd'hui aplanir les défis que rencontre l'agence, cette alliance des experts et des experts du quotidien inventée par le personnel.
La réforme est trop souvent destructive ; il est agréable de vous voir adopter une démarche constructive. Penser à neuf pour une situation neuve, voilà qui est prometteur. J'aime à dire que nous avons tous un héritage, que nous devons défendre mais dont nous devons en même temps nous défendre. Autrement, nous aurions des retards d'avenir, nous serions inaccomplis. « L'inaccompli bourdonne d'essentiel », écrit René Char... Face à un exécutif hypertrophié, c'est au législateur d'être le partenaire de l'avenir de l'AFP.
Je souhaite assurer M. Hoog de notre volontarisme : notre commission saura se montrer constructive. Dès lors que l'on ne parle plus de changement de statut mais d'évolution de la gouvernance, les choses devraient avancer.
La commission examine les amendements au texte de la commission pour la proposition de loi n° 586 (2009-2010), adoptée par l'Assemblée nationale, visant à lutter contre l'absentéisme scolaire.
La commission émet les avis suivants sur les deux motions déposées sur la proposition de loi :
Puis la commission adopte les avis suivants :
La commission examine les amendements au texte de la commission pour la proposition de loi n° 563 (2009-2010), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à l'équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques, et la proposition de loi n° 411 (2009-2010) relative à l'équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques.
La commission adopte les avis suivants :
Colette Mélot est nommée rapporteur de la proposition de loi n° 695 (2009-2010) relative au prix du livre numérique.