La commission procède à l'audition de M. Eric Molinié, candidat proposé par M. le Président de la République à la présidence de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité en application de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution ainsi qu'au vote sur cette proposition de nomination.
Nous avons le plaisir d'accueillir M. Eric Molinié. Le Premier ministre nous a saisis de sa candidature à la présidence de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité des chances (Halde). Après l'avoir entendu, nous voterons dans notre salle de commission - les délégations de vote ne sont pas admises. Nous ne dépouillerons le scrutin que demain vers 17 h 30, en même temps que l'Assemblée nationale et ce, conformément aux dispositions de la loi organique et de la loi ordinaire du 23 juillet 2010.
Tous nos collègues connaissent votre parcours professionnel et associatif. Je vais vous laisser vous présenter et exprimer votre conception de votre rôle ; nous vous poserons ensuite des questions. Nous attendons que l'Assemblée nationale se prononce sur le Défenseur des Droits, mais, si la Halde n'a pas vocation à perdurer dans cette forme, ses missions, elles, perdureront.
Vous m'accueillez donc salle Médicis et non salle Clemenceau.
Vous avez jusqu'en 2015 ! Les élévateurs restent faits pour 200 kilos alors que les fauteuils deviennent plus lourds : les normes doivent évoluer. L'accessibilité passe aussi par ces éléments techniques.
Puisque vous avez eu la gentillesse de regarder mon parcours, je me contenterai d'en relever deux ou trois points saillants. C'est un grand honneur pour moi d'avoir été retenu il y a quinze jours à l'unanimité des membres du collège pour assurer l'intérim et rendre les avis les plus urgents en vue de décisions de justice, et d'avoir ensuite été proposé par le président de la République pour venir devant vous.
Je viens d'avoir cinquante ans. Je suis diplômé d'HEC. J'ai été victime de quelques discriminations dès ma jeunesse : en raison de la charge de travail et de l'accessibilité, le proviseur de mon lycée ne pensait pas possible que je suive une classe préparatoire - j'en ai heureusement trouvé une autre...
Je suis directeur adjoint du dialogue social à EdF et conseiller du président sur le handicap. Je participe au comité de suivi de la loi Hôpital Patients Santé Territoires présidé par M. Jean-Pierre Fourcade, comme j'avais siégé à la commission Larcher. J'avais déjà commis un rapport au Conseil économique et social en 2005 dans lequel il était d'ailleurs question d'agences régionales de santé, et de gouvernance.
Je suis vice-président de l'Association des paralysés de France (APF), au nom de laquelle je préside l'enseigne Handeo, de labellisation des services aux personnes handicapées.
Tous ces engagements sont marqués par une fertilisation croisée. Financier, j'ai été trésorier du téléthon ; attentif aux biotechnologies, j'ai conscience des enjeux de la génétique et des investissements d'avenir. Il en va de même entre EdF et l'APF, entre engagements associatifs et développement durable.
J'en viens à ce que j'ai vu et compris de la Halde depuis six mois. Elle travaille beaucoup : chaque juriste a 100 à 150 dossiers actifs et, sur 40 000 dossiers reçus depuis la création, 37 000 ont été traités. Ce n'est que la partie émergée de l'iceberg, car nous avons toute une activité de médiation, de résolution à l'amiable grâce à l'intervention de nos correspondants locaux.
Notre expertise technique sur les dossiers de discrimination crée une jurisprudence, par exemple celle qui vient d'être reprise à Toulouse à propos d'une discrimination dans une entreprise de cette région, grâce à une approche quantitative par la caractérisation sans aller jusqu'à une statistique ethnique. On peut en effet, en regardant l'origine des noms, caractériser quantitativement une discrimination.
Cette expertise est reconnue par l'Union européenne et au niveau international, par le biais d'échanges avec nos homologues : hier encore, nous recevions nos confrères québécois à l'occasion d'un colloque à l'Institut d'études politiques de Paris.
Au-delà des décisions individuelles et des cas particuliers, la Halde apporte une contribution à des enjeux de société. Rendue à la demande d'entreprises, notamment de PME se demandant comment atteindre le quota de 6% de handicapés sans faire montre de discrimination positive dans les recrutements, la délibération du 14 juin présente de bonnes pratiques ; le guide dont elle sera suivie en renforcera le rôle pédagogique.
La Halde s'est également autosaisie de la réforme des retraites en montrant qu'on risquait une discrimination contre les femmes, offrant ainsi au législateur des pistes d'amélioration.
Cela nous renforce dans la conviction que le budget de la Halde, récemment commenté par la Cour des comptes, constitue un investissement de cohésion sociale et de développement durable, au même titre qu'un plan de cohésion sociale. Grâce à la Halde, un jeune issu de l'immigration peut se lancer avec confiance dans un parcours d'éducation et de formation : elle est créatrice de valeur sociale et économique.
Quel est mon projet pour la Halde ? Je veux être au service de missions d'intérêt général, des valeurs républicaines, et de la volonté populaire. Ces missions sont claires : lutter contre les discriminations et promouvoir l'égalité des chances, faire avec la même détermination du préventif et du curatif - notre pays avait plutôt la culture du curatif. La Halde doit statuer sur les cas particuliers dont elle est saisie, mais elle doit également, à partir de situations complexes, tirer des lignes de force et soumettre des propositions à la représentation nationale. Sans prendre de positions sur la loi, nous pouvons par exemple pointer un vide juridique. Au-delà du cadre juridique, qui relève de la représentation nationale, je ne conçois cette responsabilité qu'au travers de la collégialité, qui est la meilleure garantie au service des citoyens.
Deux outils sont nécessaires. Le comité consultatif, d'abord, a tissé des liens avec la société civile, et permet de prendre du recul ainsi au sujet des gens du voyage. Nous pourrions établir des relations plus fortes avec le Conseil économique, social et environnemental. La Halde a ensuite besoin de son réseau de correspondants locaux, qui sont à l'origine du tiers des saisines et du quart des solutions.
Si j'ai l'honneur d'être nommé, je fixerai une feuille de route pragmatique dans le traitement des dossiers. Faut-il traiter toutes les saisines, ou y a-t-il lieu de définir des priorités et de les hiérarchiser ? Il convient ici d'éviter les caricatures et d'accélérer le traitement des affaires.
Il convient en outre d'accroître les liens avec nos partenaires comme avec le monde de l'entreprise. Il convient de développer les bonnes pratiques. De même, les juristes de la Halde pourraient suivre des stages d'immersion pour découvrir la réalité économique de la vie en entreprise ; plusieurs entreprises, dont EdF, sont candidates pour les accueillir.
M. Peyronnet, rapporteur du budget des autorités administratives indépendantes, posera les premières questions.
Je suis rapporteur de cette mission, mais j'appartiens aussi à une formation politique qui considère qu'il n'y a pas lieu de participer à un scrutin quand il faut réunir les trois cinquièmes des votants pour refuser une nomination. Cela n'a rien de personnel et j'ai trouvé votre propos plutôt satisfaisant.
Vous connaissez cette institution ; la collégialité en est consubstantielle. Avez-vous des garanties sur la collégialité à venir ?
S'agissant de la gestion, on a beaucoup parlé de certaines dépenses excessives de communication. Pensez-vous des économies possibles - je ne parle pas des loyers.
Comment voyez-vous l'avenir ? Avec l'institution d'un Défenseur des droits, quel sera votre avenir ? Deviendrez-vous son adjoint ou démissionnerez-vous dans quelques mois ? Même si vous ne pouvez nous dire quelles garanties vous avez obtenues, la question est légitime. Le Défenseur des droits fera ce qu'il voudra bien faire...
Je vais être très franc, je dirai ce que je sais et ce que je pense. En matière de plan de carrière, je n'ai rien demandé et l'on ne m'a rien proposé. Mon avenir n'est pas le plus important : j'ai une mission, assurer la pérennité de la Halde, et c'est mon seul combat. La structure actuelle me semble bonne, même si des aménagements me semblent possibles. Cela dit, c'est vous, membres de la représentation nationale, qui déterminez le cadre. Je n'en sais pas plus, la loi n'est pas encore votée, il y aura des amendements - je pourrais vous proposer quelques idées. La collégialité est indissociable de cette mission et j'y mettrai toute mon énergie.
S'agissant enfin de la gestion, il y a eu des indiscrétions dans la presse, mais un grand nombre de questions ont trouvé leur réponse dans le rapport définitif de la Cour des comptes. J'ai moi-même interrogé nos équipes : il y a eu 800 000 euros d'économies cette année. Si on cherchait à aller au-delà, on toucherait à la substance même de la Halde. Quelles économies de personnel pouvons-nous réaliser quand les demandes pleuvent et que le déploiement des correspondants locaux est une priorité ? Une communication est nécessaire, et l'économie n'ira pas loin. Enfin, nous n'avons pas à rougir de la comparaison avec nos homologues anglais ou danois : notre structure de lutte contre les discriminations coûte moins cher aux citoyens français.
Vous pouvez présenter des observations ou être entendu par les juridictions, ce qui n'est pas neutre pour elles. Dans une affaire récente, il y a eu le point de vue de la Halde et celui d'un de ses membres. Puisque vous avez parlé de collégialité, comment élaborez-vous ces observations et comment les présentez-vous ? Que s'expriment des opinions divergentes au sein de la Haute autorité affaiblit l'institution.
L'on évoque souvent l'invisibilité statistique des minorités visibles : comment mesurer les discriminations liées à la couleur de la peau sans statistiques ? J'aimerais aussi connaître votre sentiment sur les discriminations au sein des prisons françaises.
Ma première question rejoignant celle qu'a posée M. Zocchetto, je vous interrogerai seulement sur une situation qui me tient à coeur et sur laquelle j'ai essayé à plusieurs reprises d'attirer l'attention des ministres : comment atteindre les 6% de handicapés dans les cadres opérationnels des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) ? Ne pouvez-vous vous saisir de cette problématique ?
La Halde apporte ses conclusions, elle transmet son avis aux juridictions. Cela ne porte-t-il pas atteinte au principe du procès équitable ? La Cour de cassation s'est exprimée là-dessus en juin et de nouveau en novembre, en considérant que dès lors qu'elle avait fourni ses conclusions aux deux parties et que celles-ci avaient toutes les données, le principe du débat contradictoire était respecté. Je suis assez serein sur ce point-là. Je ne puis quant à moi concevoir une position différente de celle du collège - j'ai été assez clair à cet égard. Pour répondre sur l'affaire de la crèche Baby Loup, nous en avons parlé hier au collège et, contrairement à ce qui a été dit, nous n'avons pas refusé d'ouvrir le dossier, nous avons choisi de le traiter loin des feux médiatiques. Le jugement de prud'hommes sera rendu lundi prochain ; nous pourrons d'ici l'appel apporter de nouvelles conclusions : le débat n'a pas été écarté mais traité dans la clarté et la sérénité.
J'ai donné tout à l'heure un exemple sur les statistiques ethniques. Nous sommes arrivés à démontrer une discrimination sans statistiques ethniques. Certes, nous avons accès à des données chiffrées et à des enquêtes que les entreprises ne peuvent pas mener mais, puisque les statistiques ethniques n'ont d'autre but, elles ne sont pas nécessaires dès lors qu'on y parvient autrement, comme cela a été jugé à Toulouse. Cela nous renvoie à la question des quotas : je n'y suis pas défavorable quoiqu'ils ne constituent qu'un pis-aller. L'objectif étant d'aller vers la non-discrimination, des mesures temporaires peuvent compenser une situation provisoire de déficit. A 20%, le chômage des handicapés est le double de celui des personnes valides, on peut donc considérer que des mesures sont utiles mais, dès que le taux de chômage sera identique, on n'aura plus besoin du quota de 6%. Je connais mal la situation des SDIS, mais je sais que la Halde ne peut traiter que des situations dont elle est saisie : il faudrait que des personnes concernées lui soumettent leur dossier. Je sais aussi qu'il y a tellement de situations de handicap qu'il faut raisonner au cas par cas. Certains postes ne sont pourtant pas disponibles pour les handicapés, à l'instar des moniteurs de skis mis à la retraite d'office. Notre position est au contraire qu'il faut que la médecine du travail statue sur l'aptitude car certains handicaps ne sont pas déterminants : je pense à ces sourds dont les tourneuses-fraiseuses sont équipées de signaux lumineux au lieu d'être sonores.
Je connais la situation des prisons par le biais de l'APF. On a fait état de conditions difficiles, mais, là encore, nous devons être saisis, ce qui n'est pas le cas à ma connaissance.
Il me semble au contraire que la Halde a été saisie d'un cas de ce genre.
Le premier président de la Halde souhaitait que celle-ci se substitue au juge pénal : le Sénat y a mis bon ordre. Mais en 2004 nous vous avons confié un pouvoir de transaction pénale, sous le contrôle du parquet. Or huit dossiers seulement ont été traités en 2009, le nombre d'observations émises à la demande du parquet ou d'un juge étant beaucoup plus élevé. Pourquoi ce retard ? Cette procédure est pourtant utile, par exemple dans les cas de discrimination salariale entre hommes et femmes.
Si l'on compare les avis transmis par la Halde au parquet et ceux transmis à d'autres instances et juridictions -prud'hommes, tribunaux administratifs...- on n'observe pas de différence significative. En 2010, la Halde a procédé à douze transactions pénales et reçu du parquet vingt-et-une sollicitations pour avis. Nous cherchons à développer ce dispositif : plusieurs conventions ont été signées avec des parquets, comme celui de Grenoble, et d'autres sont en préparation, notamment avec celui de Paris ; un référent est alors désigné au parquet pour traiter avec nous. Si les chiffres restent encore modestes, c'est que les plaignants, plutôt que de s'orienter vers une procédure pénale hasardeuse, préfèrent souvent un règlement à l'amiable.
Merci de vos réponses.
L'audition terminée, les commissaires rejoignent la salle de la commission des lois pour procéder au vote.
VOTE SUR LA PROPOSITION DE NOMINATION
MM. Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel sont désignés scrutateurs.
Le groupe CRC-SPG ne participera pas au vote. Nous sommes hostiles à la création d'un Défenseur des droits telle qu'envisagée par la majorité sénatoriale, et notamment à l'absorption par cette nouvelle institution des anciennes autorités indépendantes, qui avaient montré leur autonomie et leur pertinence. Nous y voyons une tentative de reprise en main. Que les commissions des assemblées ne puissent s'opposer qu'à la majorité des trois cinquièmes aux nominations proposées par le Président de la République n'autorise pas un véritable contrôle du Parlement.
J'ai d'ailleurs depuis peu un autre sujet d'inquiétude : le Sénat avait décidé que la nomination des adjoints du Défenseur des droits, qui tiendront le rôle des anciens présidents des autorités indépendantes fusionnées, serait soumise à l'avis des commissions permanentes compétentes des assemblées parlementaires. Leur crédit en aurait été renforcé. Or la commission des lois de l'Assemblée nationale est revenue sur cette décision.
L'intervention de Mme Borvo Cohen-Seat m'épargne un long discours. Pas plus qu'au précédent, notre groupe ne participera à ce vote. Les autorités indépendantes ont fait leurs preuves. Il serait exemplaire pour notre démocratie que le Défenseur des droits ainsi que ses adjoints soient désignés par les commissions compétentes des assemblées à la majorité des trois cinquièmes, ce qui obligerait la majorité et l'opposition à se mettre d'accord. Toutefois nous n'avons pas d'objection contre la candidature de M. Molinié.
Je rappelle que jusqu'à la révision constitutionnelle de 2008, les présidents des autorités étaient nommés par le Président de la République, sans aucun contrôle du Parlement. Or vous avouez vous-mêmes que ces autorités ont fait la preuve de leur indépendance...
J'ajoute que le projet de loi organique relatif au Défenseur des droits n'a pas encore été adopté définitivement. Le Sénat saura faire entendre sa voix.
Je vous rappelle que nous procéderons au dépouillement demain après-midi car nous devons l'effectuer en même temps que l'Assemblée nationale dont la commission des lois entendra M. Molinié demain après-midi.