La commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au prix du livre numérique s'est réunie le mardi 3 mai 2011 à l'Assemblée nationale.
Elle a tout d'abord procédé à la désignation de son bureau, qui a été ainsi constitué :
Christian Kert, député, président ;
Jacques Legendre, sénateur, vice-président.
La commission a ensuite désigné :
Hervé Gaymard, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale ;
Colette Mélot, sénateur, rapporteur pour le Sénat.
La commission a ensuite procédé à l'examen des dispositions restant en discussion.
Cette commission mixte paritaire est la première à être réunie à l'Assemblée nationale depuis la création de la commission des affaires culturelles et de l'éducation. Je souhaite la bienvenue au président Legendre ainsi qu'à nos collègues sénateurs et je rappelle que quatre articles restent en discussion : l'article 2, l'article 3, l'article 5 bis et l'article 7.
Dans nos deux assemblées, les débats ont été très riches et nous pouvons nous féliciter d'examiner le premier texte au monde à légiférer sur ce nouveau monde en mutation qu'est le livre numérique.
Quels que soient nos groupes ou nos assemblées, nous menons le même combat en faveur de la diversité culturelle et de la rémunération de la création. Nous souhaitons tous éviter que le numérique ne devienne une jungle qui tue la création.
S'agissant des articles 2, 5 bis et 7, nous avons amélioré conjointement la rédaction de la proposition de loi et, à l'issue des débats à l'Assemblée nationale en deuxième lecture, ces dispositions paraissent équilibrées.
En ce qui concerne l'article 3, nous poursuivons le même objectif, c'est-à-dire la fixation du prix du fichier par l'éditeur, avec toutefois une divergence d'appréciation sur l'extraterritorialité de ces dispositions. Pour autant, je suis prêt à me rallier à la rédaction souhaitée par le Sénat.
Je suis convaincue que nous pourrons trouver un accord susceptible à la fois de conforter la validité juridique du texte et de satisfaire l'ensemble des objectifs exprimés par les uns et les autres au cours des deux lectures au Sénat et à l'Assemblée nationale.
Il me semble qu'à l'article 2, nous pourrions accepter la rédaction adoptée par les députés, une disposition pour le commerce transfrontière concernant les éditeurs ne s'imposant pas, en définitive. Nous proposons ainsi de tenir compte des avis circonstanciés de la Commission européenne et de répondre aux impératifs de nécessité et de proportionnalité des mesures retenues afin d'atteindre nos objectifs.
En revanche, nous estimons qu'une disposition de cette nature est indispensable à l'article 3 qui, je le rappelle, impose au libraire de respecter le prix de vente fixé par l'éditeur. Nos collègues députés avaient souhaité n'obliger - par la loi - au respect du prix unique que les détaillants établis en France, tout en complétant l'article par une disposition tendant à encadrer les contrats passés entre éditeurs et détaillants établis hors de France. Une telle disposition pouvait paraître séduisante mais elle s'avère de facto sans effet juridique réel, voire même contreproductive et de nature à fragiliser la sécurité juridique de l'ensemble de la proposition de loi, au regard du droit communautaire et du droit de la concurrence.
En outre, l'examen des règles du droit civil, du droit international privé et du droit communautaire montre que la disposition adoptée par l'Assemblée nationale ne permettrait pas d'atteindre nos objectifs. Pour avoir quelque effet, une telle disposition supposerait tout d'abord que la loi applicable aux parties au contrat soit la loi française. Or, les parties déterminant la loi applicable, et compte tenu des rapports de force en présence, il y a peu de chances que ce soit le cas. En effet, il n'est pas évident qu'un éditeur établi en France puisse imposer à une plate-forme internationale une clause d'application du droit national ; d'ailleurs tel n'est pas le cas aujourd'hui. En cas de silence du contrat sur ce point, les règles du droit international s'appliquent. Or, en application du règlement européen « Rome I » du 17 juin 2008 et de l'article 17 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, qui transpose la directive dite « commerce électronique », la loi applicable au contrat sera celle du détaillant établi hors de France.
Le fait de cumuler nos deux rédactions ne serait pas plus efficace et introduirait même une confusion, laissant supposer que la rédaction proposée par le Sénat était insuffisante.
Celle-ci se suffit pourtant à elle-même. En outre, le caractère de « loi de police » dont on peut qualifier la présente proposition de loi, en application du règlement européen dit « Rome I », devrait permettre son application à tous.
En effet, cette qualification - qui certes ressort des compétences du juge au regard des travaux préparatoires du Parlement - nous semble clairement résulter des engagements internationaux de la France, et de l'Union européenne, au titre de la Convention de l'Unesco de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Notre proposition de loi apparaît à ce titre impérative pour la sauvegarde de cette diversité culturelle, qui représente un intérêt public majeur.
Par conséquent, nous proposons d'opter pour la rédaction adoptée à l'unanimité par le Sénat, à l'initiative de notre collègue Jean-Pierre Leleux, la pleine efficacité du dispositif supposant son application à l'ensemble des libraires exerçant leur activité sur le territoire national.
Nous pourrions en revanche nous rallier à la rédaction, semble-t-il consensuelle, à laquelle sont parvenus nos collègues députés à l'article 5 bis, en vue de garantir aux auteurs une rémunération juste et équitable, en cas d'exploitation numérique de leur oeuvre. Il me semble que le souhait ainsi exprimé par notre collègue David Assouline, et partagé par l'ensemble des sénateurs, se trouve ainsi satisfait.
Enfin, s'agissant du rapport annuel que le Gouvernement devra présenter au Parlement, les précisions apportées par l'Assemblée nationale à l'article 7 nous paraissent très utiles : elles font référence au développement de l'offre légale, à la rémunération des auteurs et elles spécifient dans la loi son objectif premier de diversité culturelle.
S'agissant de l'opportunité de cette proposition de loi, elle est incontestable. Le Parlement doit être au rendez-vous du numérique.
Le travail parlementaire a été fructueux et démontre l'utilité des « navettes », qui permettent de rapprocher les points de vue des deux assemblées. L'article 5 bis illustre bien cette volonté de travail en commun.
Nous nous montrerons cependant attentifs à la mise en oeuvre d'une des conclusions du rapport de M. Bruno Patino sur le livre numérique concernant les contrats de cession des droits d'exploitation, les contrats « papier » et les contrats « numériques » devant être disjoints pour traiter efficacement cette question.
Sur l'extraterritorialité des dispositions de notre texte, je souscris à l'analyse développée par Mme Colette Mélot. La rédaction adoptée par l'Assemblée nationale nous semble en effet largement insuffisante.
Chaque fois que nous avons dû légiférer sur les conséquences de la révolution numérique, nous n'avons pas su créer le consensus.
Au Sénat, sur le présent texte, nous avons essayé de nous écouter mutuellement afin d'aboutir sur ce texte à une position commune.
La rédaction proposée par le Sénat pour l'article 2 était importante, mais il nous faut rédiger ensemble et nos deux assemblées doivent être capables de s'accorder. Il ne me semble pas dès lors déraisonnable d'abandonner notre rédaction au profit de celle de l'Assemblée nationale.
En ce qui concerne l'article 5 bis, je souscris à l'analyse de notre rapporteur. Mais il me semble que subsiste soit un désaccord, soit un malentendu.
La rédaction proposée par l'Assemblée nationale me convient, à ceci près qu'elle ne figure plus dans le code de la propriété intellectuelle, ce qui lui fait perdre sa valeur.
Les auteurs doivent pouvoir s'appuyer sur la loi pour créer un rapport de force. On ne peut avoir souligné l'importance des droits d'auteur dans le débat sur la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI) et envoyer ici un signal inverse. Ce signal est d'autant plus attendu par les auteurs que les économies générées, dans d'autre pays, par le recours à l'édition numérique sont considérables.
Je propose donc une rédaction qui complète l'article 5 bis dans le texte de l'Assemblée nationale pour le codifier à l'article L. 132-5 du code de la propriété intellectuelle.
Sur l'article 3, nous poursuivons tous le même objectif ; je me rallie à la proposition du Sénat, car de la même manière « qu'il faut savoir terminer une grève », il faut savoir terminer une loi.
J'admets que la rédaction que nous avions adoptée n'était pas exempte de quelques fragilités juridiques. Cependant, la rédaction du Sénat comporte aussi une fragilité intrinsèque. Certes, nous faisons un acte politique, mais il ne faudrait pas penser que ce texte est parfait.
« Il n'est rien de plus menteur que l'unanimité » dit-on... Nous allons ainsi aboutir ainsi à un consensus sur l'article 3, mais cela ne nous interdit pas d'être réalistes. Pas de triomphalisme donc ! La loi devra certainement être remise sur le métier.
S'agissant de l'article 5 bis, la proposition de rédaction de M. David Assouline me convient. Je souligne toutefois que nos deux assemblées devront mener une réflexion approfondie sur l'application du droit de la propriété intellectuelle à l'univers du numérique. Cette réforme ne peut se faire à la sauvette et il conviendra de s'interroger sur l'opportunité d'une loi spécifique ou de la transposition du droit issu de la loi de 1957 à l'univers numérique.
Loin de tout triomphalisme, nous poursuivons un même objectif en la matière. D'autre part, comme M. David Assouline, il me semble souhaitable que la disposition de l'article 5 bis, telle que rédigée par l'Assemblée nationale, reste introduite dans le code de la propriété intellectuelle, comme le prévoyait le Sénat. Il est en effet important que tous les acteurs de la filière puissent bénéficier de ce nouveau marché ; il appartiendra au comité de suivi de la loi d'ajuster ce dispositif.
La démarche consensuelle qui est la nôtre est heureuse, car si le texte de la proposition de loi est adopté à l'unanimité, il n'en aura que plus de force. Le vote unanime du Parlement français n'aura certes pas tout résolu, mais il constitue un point d'appui non négligeable : gagnée ou perdue, une bataille doit d'abord être engagée. En plus du Parlement, le Gouvernement doit prendre toute sa place dans cette bataille communautaire.
S'agissant de l'article 5 bis, ses dispositions n'en sont pas secondaires : s'il est bien que soient pris en compte les intérêts des éditeurs et des distributeurs et que ne soient pas pénalisées les plateformes de vente installées en France, il convient de ne pas oublier les auteurs, sans lesquels il n'est pas d'oeuvre. Aussi l'insertion des mesures touchant leur rémunération dans le code de la propriété intellectuelle n'est pas qu'une formalité. L'échec, acté la veille du Salon du livre, d'un accord entre les partenaires sur les préconisations du rapport de M. Bruno Patino sur le livre numérique conduit le législateur à créer le cadre législatif définissant les rapports entre les plus faibles, les auteurs dans la majorité des cas, et les plus forts, les éditeurs. Notre groupe aurait souhaité aller plus loin, nous nous contenterons pour le moment d'un texte qui est une première étape.
Il semble que l'on s'achemine vers un texte de convergence. Un vote unanime du Parlement français donnera de la force à notre position dans le dialogue qui va s'engager avec la Commission européenne. Les deux avis rendus par la Commission sur cette question montrent d'ailleurs qu'elle est interpellée par la problématique du prix unique du livre. Une lecture attentive des pages conclusives de ces avis me semble plutôt montrer une invitation à plaider notre cause et à fournir des arguments à l'appui de notre défense de la diversité culturelle par le biais de ce texte, ainsi que nous avons pu le faire dans le cadre de l'adoption de la convention de l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Nous devons être les artisans de ce combat auprès de la Commission. Je suis également favorable à l'insertion des dispositions de l'article 5 bis dans le code de la propriété intellectuelle.
Mon intervention ira dans le même sens que celles qui ont précédé. La préparation de la proposition de loi par le Sénat, tout comme l'adhésion du rapporteur de l'Assemblée nationale à notre travail, montrent clairement notre volonté de contrer la remise en cause constante, au plan européen, du droit d'auteur. Ainsi, presque tous les textes actuellement discutés sont accompagnés d'avis qui militent contre le droit d'auteur.
Dans les discussions autour de la convention de l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, d'aucuns nous ont fait remarquer qu'il fallait changer et s'adapter. Or, si de nouveaux outils appellent parfois une pensée nouvelle, elle est ici destructrice. Force est de constater également que le droit moral, qui est une des spécificités françaises, a cessé d'être nommé et d'être mis en application, y compris chez les auteurs eux-mêmes.
Le texte, tel qu'il est, traduit la volonté de porter un coup d'arrêt à ces remises en cause. Je me réjouis que le rapporteur de l'Assemblée nationale ait souligné que nous sommes les premiers au monde à légiférer dans ce domaine. Cette ouverture devrait ainsi rallier l'évolution et l'héritage. La jungle numérique est à notre porte. Mais la méthode retenue pour y faire face, même fragile, est la bonne. En outre, la Commission européenne, si j'en juge par ses avis, semble autant concernée par la question du prix unique du livre que par celle de l'extraterritorialité. Notre travail d'aujourd'hui est un pas, petit mais réel, en défense de la création.
Le texte de la proposition de loi, initiée par M. Jacques Legendre et moi-même, a progressé ; je voudrais à cet égard remercier les députés et le rapporteur de l'Assemblée nationale pour les échanges fructueux qui nous permettent aujourd'hui d'aboutir à un texte qui conforte notre culture mais aussi le rôle du Parlement.
Je souscris au texte final, tel qu'il se dessine, qui est équilibré et qui témoigne de la convergence du travail de nos deux assemblées. C'est un signe fort destiné aux milieux de la création. Cependant, comme le soulignait le rapporteur de l'Assemblée nationale, les évolutions techniques sont telles aujourd'hui que, quel que soit le texte, comme on le constate depuis la loi du 1er août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, la législation dans ce domaine est un chantier continu. La question de l'applicabilité des mesures prises se pose à chaque instant dans le domaine si complexe de l'Internet. Le combat de conviction à mener au niveau de la Commission européenne devrait faire valoir qu'un bien culturel, matériel ou dématérialisé, a peu à voir avec un simple service encadré par les directives correspondantes.
Il est nécessaire de légiférer sur cette problématique d'actualité, certes, mais dont les enjeux culturels et financiers sont très importants. Il est pour cela important que nous le fassions ensemble afin de peser sur les décisions de la Commission européenne. Notre travail n'est en effet que l'amorce de ce qui devra être fait plus tard. C'est ainsi que la rédaction qui vient d'être proposée pour l'article 5 bis me paraît être la meilleure pour garantir aux auteurs que leurs droits seront préservés dans la révolution numérique que nous vivons, reprenant ainsi les conclusions du rapport de M. Bruno Patino sur le livre numérique.
Nous sommes obnubilés par la Commission européenne, mais le sujet n'est pas qu'européen, il est mondial. Comment traiter une plateforme de téléchargement légal d'un distributeur numérique située à Zurich, Genève ou Alma Ata ? Il faut à cet égard se féliciter de l'initiative française du « G 8 numérique ». Nous avons certes un travail important à faire au niveau européen auprès de la Commission dont la culture intrinsèque est très éloignée de nos préoccupations communes, puisqu'elle repose sur le principe « la concurrence ou la mort ».
Pour consolider ce texte et ses applications en Europe, il s'agit juridiquement d'intégrer l'objectif de diversité culturelle, déjà reconnu dans un certain nombre de textes européens, dans la directive sur les services dans le marché intérieur (« directive services ») et la directive relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »). La procédure de co-décision, qui associe pleinement le Parlement européen, devra être pleinement prise en compte.
Force est de constater que dans notre société le producteur cède de plus en plus la place au distributeur. Aussi, chaque fois que nous le pouvons, nous tentons d'aider les producteurs. Nous avions pour ce faire envisagé des amendements s'inscrivant dans la logique du rapport de M. Bruno Patino, mais nous souhaitons parvenir à l'élaboration d'un texte unanime, tel qu'il se dessine.
Au-delà de notre position consensuelle, nous sommes au début d'un combat politique à mener, notamment en direction de la Commission européenne mais aussi d'un combat de société. Il s'agit de savoir quelle société nous devons construire pour demain, dans l'intérêt général du citoyen mais aussi de l'aménagement du territoire et notamment de la place qu'y tiennent les libraires.
J'ai abordé cette réunion de la commission mixte paritaire avec confiance. Nous tendions tous vers le même objectif, avec la perspective très claire d'une menace réelle. La discussion entre nous ne portait donc que sur les moyens les plus efficaces pour y faire face, dans le cadre européen. Le texte ne pouvait avoir de valeur politique forte que si l'Assemblée nationale et le Sénat, majorité et opposition, étaient d'accord. C'est le cas et je m'en réjouis. Cette condition de l'efficacité de notre combat commun est donc réalisée.
La commission mixte paritaire est ensuite passée à l'examen des articles restant en discussion.
La commission mixte paritaire adopte à l'unanimité l'article 2 dans la rédaction de l'Assemblée nationale.
La commission mixte paritaire adopte à l'unanimité l'article 3 dans la rédaction du Sénat.
L'article 5 bis est adopté à l'unanimité dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire qui, sur proposition de M. David Assouline, sénateur, insère à l'article L. 132-5 du code de la propriété intellectuelle le texte de l'Assemblée nationale.