Évoquons tout d'abord les rapports d'information à programmer au cours du semestre. À la suite du procès Xynthia et des sanctions pénales prononcées récemment, nous souhaiterions faire le point sur la mise en oeuvre des recommandations que nous avions données, dans un rapport publié il y a quatre ans déjà. Le nouveau rapport pourrait s'intituler « Les collectivités territoriales face aux catastrophes naturelles provoquées par les inondations et les submersions ». Il serait confié à un binôme de rapporteurs (représentant la majorité et l'opposition), que nous nommerons quand les candidats se seront fait connaître.
Sur proposition de notre collègue Michel Le Scouarnec, nous envisageons également de produire un rapport sur les aires d'accueil pour les gens du voyage. Nous attendons les candidatures pour nommer des rapporteurs.
Comme sénateur de la Somme, j'ai été directement confronté à une catastrophe naturelle provoquée par une submersion marine. C'était en 1991, et le Président de la République, François Mitterrand, était venu nous soutenir. J'ai été également président du parc naturel marin des estuaires picards et de la mer d'Opale, ce qui me rend sensible au problème des catastrophes naturelles provoquées par les inondations et les submersions. Je pose donc ma candidature pour être rapporteur.
Elle est actée. Nous attendrons qu'un candidat issu de la majorité sénatoriale se déclare pour procéder à la nomination.
Passons maintenant à notre ordre du jour. Je remercie les représentants de la Sofres qui ont accepté de venir nous présenter les conclusions de leur enquête sur le financement des lieux de culte. Le sujet résonne dans l'actualité, même s'il faut se garder de tout amalgame. Cet exposé nourrira la réflexion parlementaire.
Le sujet de notre rapport sur les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte pourrait sembler déterminé par l'actualité, tragique. Nous y travaillons en réalité depuis le début de l'année 2013.
Dans la pratique, la loi de 1905 continue de faire référence. Répond-elle encore aux attentes et aux besoins des élus ? Nous sommes dans une République laïque, c'est un fait. Il n'en demeure pas moins que les élus locaux restent les interlocuteurs principaux des différents cultes sur notre territoire. La société a évolué depuis 1905, le fait religieux aussi. On constate un recul de certaines religions, alors que d'autres se sont implantées. L'enquête de la Sofres a été menée auprès de près de 3 000 élus, représentatifs de l'ensemble du territoire. On est loin du micro-trottoir !
Notre enquête propose un état des lieux sur la perception et les pratiques des maires en matière de financement des lieux de culte. Nous avons mis en place un dispositif d'envergure, en envoyant un questionnaire à 10 000 maires de France, à l'été 2014, puis en menant des entretiens plus approfondis avec certains d'entre eux pour mieux comprendre les divers positionnements. En obtenant 28 % de taux de réponse, c'est-à-dire 2 788 questionnaires retournés, soit par la poste soit sur internet, nous sommes parvenus à établir un échantillon représentatif des profils sociodémographiques et géographiques de la population française.
Les maires sont 75 % à déclarer l'existence d'un lieu de culte catholique dans leur commune, 14 % de deux lieux de culte et 8 % de trois et plus. Parmi ces communes, 73 % sont propriétaires d'un de ces lieux. Les maires sont également 5 % à déclarer la présence d'un lieu de culte protestant dans leur commune et 3 % celle d'un lieu de culte musulman ou évangélique, les autres religions n'ayant qu'une présence mineure. Seulement 2 % des communes sont propriétaires d'un lieu de culte protestant. En moyenne, on compte un seul lieu de culte par religion et par commune.
Ce sont aussi des éléments du patrimoine, joyaux, emblèmes, symboles des communes où ils sont implantés. Ils suscitent un fort attachement affectif, émotionnel et culturel de la part des populations. Certains maires nous ont dit que leur église était comme « l'ADN de leur commune », « l'âme » ou « l'identité du village ».
Des besoins de rénovation et d'aménagement se font sentir, selon 73 % des maires, pour les lieux de culte catholiques, selon 52 % d'entre eux pour les lieux de culte musulmans et selon 46 % pour les lieux protestants. Les lieux de culte évangéliques sont plus en retrait, mais font l'objet d'une attention particulière compte tenu de leur nombre et de leur faible visibilité publique.
Une large majorité d'élus (60 %) est favorable au financement des lieux de culte existants, 28 % y sont défavorables. Pour autant, les dépenses nécessaires sont jugées excessives ou lourdes par près d'un élu sur deux, et raisonnables par 38 % des interrogés. Ces dépenses sont rarement une priorité dans le budget municipal. Les aides publiques sont considérées comme indispensables, même si elles sont difficiles à obtenir, surtout dans la conjoncture budgétaire actuelle : « La Drac est partenaire, mais ce n'est pas suffisant ».
Les maires sont 97 % à ne pas juger nécessaire la construction de nouveaux lieux de culte dans leur commune, et 76 % à répondre qu'elle n'est pas du tout nécessaire. Globalement, le nombre de lieux de culte leur paraît suffisant, avec une exception pour les lieux de culte musulmans, selon 8 % des interrogés. Peu de demandes effectives ont été enregistrées : 10 % des maires ont reçu une demande de la part des catholiques et 6 % une demande des musulmans.
La demande d'édification de nouveaux lieux de culte musulmans concerne surtout les communes de plus de 5 000 habitants, soit 5,4 % des communes de France. Les élus sont partagés face à cette demande. Dans les communes de moins de 2 000 habitants, ils la considèrent comme hors-sujet et disent ne pas recevoir de sollicitation particulière, les lieux de culte existants dans les agglomérations voisines étant facilement accessibles.
C'est l'avis des maires, qui ne recoupe pas forcément celui de la majorité des habitants.
Certes. La question a plus de poids dans les communes de plus de 5 000 habitants. Certains maires, redoutant la réaction de leurs administrés ou craignant de mettre en péril l'identité de leur commune, retardent sans cesse les projets de nouveaux édifices, en usant de l'arsenal administratif lié à l'attribution des permis de construire. D'autres, au contraire, rappellent les deux impératifs de l'État laïc, la liberté religieuse et le principe d'égalité entre les cultes, avec le souci de normaliser les pratiques cachées non officielles.
Les élus ont fait état d'une tendance à la multiplication des lieux de culte évangéliques sur le territoire. Faut-il y voir la réponse à un besoin local ou bien la volonté de développer des lieux de prosélytisme ? Les maires y sont en tout cas peu favorables, car cela se fait en toute discrétion, sans sollicitation ni interaction avec les pouvoirs publics, de sorte que des bâtiments désaffectés sont transformés du jour au lendemain en lieux de prière. Les maires appellent à la vigilance pour éviter les dérives sectaires et le développement de lieux cultuels inadaptés pour l'accueil du public et donc dangereux, comme en témoigne le drame de Stains, en 2012.
Si les élus sont sollicités et souvent prêts à accompagner les projets, ils restent défavorables à toute modification de la loi de 1905 et au financement public de ces nouveaux lieux : 59 % des élus se disent défavorables, un élu sur deux pas du tout favorable. Seuls 10 % y sont favorables.
Parmi les maires interrogés, 31 % ne se prononcent pas. La question est sensible : certains ne veulent pas répondre, mais d'autres, tout simplement, ne savent pas quoi répondre...
Les élus justifient leur opposition au nom du respect de la loi actuelle, qu'ils jugent suffisamment claire, pertinente et garante de l'État laïc. Ils rappellent le devoir de neutralité des acteurs publics vis-à-vis des religions, ainsi que leur obligation de défendre l'intérêt général contre les intérêts des communautés. Ils invoquent aussi l'état des finances publiques locales et l'existence de mesures et d'aides alternatives comme le bail emphytéotique, la location de salle ou le prêt temporaire de terrain. À leurs yeux, le financement public des nouveaux lieux de culte risque d'enclencher un mécanisme d'engrenage et de surenchère entre les différentes communautés. À cela s'ajoutent un risque financier et un risque politique, la construction de ces nouveaux lieux devenant un enjeu électoral.
Nous avons également interrogé les maires sur le co-financement. Pour 61 % d'entre eux, ce n'est pas à la commune d'assumer les charges liées au financement des nouveaux lieux de culte, tandis que 29 % se déclarent séduits par un co-financement public et privé, impliquant les organisations religieuses (73 %), l'Etat (45 %) et les particuliers (42 %). Ce système faciliterait la transparence et éviterait l'implication d'organisations terroristes ou d'États étrangers dans le financement des lieux de culte, avec les problèmes qui s'ensuivent - perte d'identité, politisation du religieux et importation sur le territoire national de problématiques venues d'ailleurs. Pour certains élus, il contribuerait aussi à renforcer le sentiment d'égalité entre les cultes, entre les églises d'avant 1905 et les nouveaux lieux de culte.
Sur les vingt élus que nous avons interrogés, cinq ont tenu à nous faire part de leur gestion sereine et maîtrisée de l'implantation d'un nouveau lieu de culte musulman dans leur commune. Ils indiquent avoir posé dès le début des conditions très claires : le besoin du nouveau lieu de culte doit être justifié par l'existence d'une communauté de fidèles dans la commune ; un porteur de projet identifié doit présenter des plans organisés et structurés. C'est ainsi qu'une communauté de fidèles disparate, formée de nationalités diverses - Maliens, Algériens ou Marocains - doit fédérer ses diverses composantes autour d'un lieu de culte unique. Le porteur de projet doit également s'engager à respecter le principe de laïcité et les lois de la République. On veillera à opérer une séparation stricte entre le culturel et le cultuel pour éviter des financements publics indirects : les subventions à une association dispensant des cours de danse traditionnelle ne doivent pas servir à financer un lieu de culte. Cette séparation doit se concrétiser dans le phasage, la création d'une association culturelle constituant une première étape, avant d'envisager la construction d'une mosquée.
Pour réussir l'implantation du nouvel établissement cultuel, des maires se sont impliqués clairement dans le suivi du dossier. Cela a consisté à assurer la communication avec les administrés, en leur exposant dans le détail la nature du projet et de son financement, en leur présentant les porteurs du projet, en organisant des concertations. Le dialogue et l'écoute ont ainsi été favorisés. Les maires ont parfois proposé la solution alternative des baux emphytéotiques. Ils ont anticipé les tensions et calmé les inquiétudes des riverains. Enfin, à chaque étape, ils se sont assurés de la conformité du projet avec la règlementation en vigueur.
Ces maires tenaient beaucoup à nous parler pour que leurs « bonnes pratiques » soient connues et érigées en principes d'action.
D'après les élus, la question du financement est porteuse de conflits. Lorsqu'il s'agit de financer des interventions sur des lieux de culte et des équipements existants, majoritairement catholiques, il y a consensus parmi les administrés. Ce n'est plus le cas quand il s'agit d'implanter de nouveaux lieux de culte, notamment musulmans. Sur une échelle de 0 à 5, le niveau de conflictualité atteint alors 2,8 points, alors qu'il est à 1 pour les autres religions. La tendance se vérifie quand on parle du financement des lieux de culte musulmans.
Les Français sont 37 % à considérer que les relations entre les communautés religieuses sont mauvaises. En Angleterre comme en Allemagne, ils sont 54 % à penser que ces relations sont bonnes. La France est en bas du classement européen. Ce chiffre de 37 % résonne dans l'actualité...
Pour autant, il y a très peu de contentieux liés à la question du financement des lieux de culte, quelle que soit la religion concernée.
La question des cimetières devient de plus en plus prégnante. Les sollicitations émanent surtout de la communauté musulmane, soit pour construire de nouveaux cimetières, soit pour augmenter la part des espaces dédiés dans les cimetières existants. Ces nouveaux besoins s'expliquent par le coût de plus en plus élevé de l'inhumation dans le pays d'origine - pratique qui, en outre, est surtout le fait des anciennes générations.
Le financement des lieux cultuels qui appartiennent à la commune est plutôt bien accepté, même si les coûts d'entretien sont importants. La construction des nouveaux lieux de culte est un enjeu qui concerne surtout la communauté musulmane. Les élus restent majoritairement défavorables au financement public des lieux de culte, malgré une volonté affichée de s'impliquer dans les projets. Les Français sont très attachés au principe de laïcité. Le sujet reste sensible, porteur de conflits chez les administrés.
Je vous remercie pour la qualité de votre travail et pour cette présentation synthétique que vous avez su rendre vivante et intéressante. Mon expérience de maire fait que certains de vos propos m'ont touché : j'ai été confronté à toutes les situations que vous évoquez. En lisant les résultats de cette enquête, les élus se sentiront moins seuls face aux problèmes qu'ils rencontrent sur leur territoire.
J'aimerais préciser que cette enquête a été menée uniquement en France métropolitaine, et là où le régime dérogatoire du Concordat ne s'applique pas. Il faut également rappeler que depuis la loi de 1905, le principe de l'interdiction du financement public des lieux de culte s'est beaucoup assoupli, grâce aux apports de la jurisprudence et à la distinction subtile, voire hypocrite, entre lieux cultuels et lieux culturels.
La jurisprudence a apporté des ajustements par le haut et par le bas. Dans mon département, on pratique les ostensions, qui ont une dimension à la fois religieuse et festive, cultuelle et culturelle. Les gens y participent quelle que soit leur appartenance politique. Depuis toujours, les collectivités locales finançaient ces évènements. Il y a sept ans, cela ne posait aucun problème. Il y a quatre ans, un débat a eu lieu pour savoir s'il s'agissait d'une pratique cultuelle ou culturelle. Les subventions ont été soumises au vote, adoptées ; puis le tribunal administratif a été saisi, et les bénéficiaires ont dû rembourser. La jurisprudence a exacerbé la situation. La prochaine fois, il ne sera plus question de subvention.
Je me félicite que notre délégation se soit saisie de ce sujet mais les réponses sont complexes, d'autant que les circonstances actuelles sont particulières.
En Ille-et-Vilaine, la commission chargée de répartir la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), composée d'élus, siège à la préfecture. Cette commission a affecté des crédits pour des églises construites avant 1905, mais seulement pour leur mise en sécurité, non pour restaurer leur décor, et le préfet a validé ces décisions.
En Bretagne, la tradition religieuse reste vivante : les églises sont un élément du patrimoine de nos communes. Il y a quatre ans, le maire d'une toute petite commune a organisé un référendum pour demander à ses administrés s'ils voulaient restaurer leur vieille église qui menaçait ruine, et s'ils acceptaient par là-même que les capacités d'investissement soient entièrement obérées pour une dizaine d'années. La réponse a été très majoritairement positive.
Si l'État est le garant de la laïcité depuis 1905, doit-il également garantir la liberté de culte ? Nous ne pouvons laisser les maires seuls face à leurs administrés, pour traiter une question qui peut devenir très conflictuelle.
En outre, doit-on laisser construire des lieux de culte de toute nature dans notre pays sans s'assurer de leur respect de la laïcité et la neutralité ? Enfin, vous avez évoqué le prosélytisme : n'oubliez pas le mercantilisme.
Notre rapporteur fera certainement des propositions, notamment en ce qui concerne l'émergence de l'Islam dans notre pays. Le concordat n'est pas une réponse satisfaisante, il entretient au contraire un hiatus entre les cultes.
Combien d'édifices cultuels ont été construits dans notre pays avant la loi de 1905 ? Le coût de rénovation et d'entretien des monuments très anciens dépasse la capacité financière de bien des communes rurales. Dans la Somme, qui compte 782 communes, il existe plus de 1 200 lieux de culte. Des communes ferment leur église, les abandonnent. Abbeville, deuxième ville de département qui compte 25 000 habitants, a rasé une grande église du XIXe siècle, car le coût de sa restauration était prohibitif.
En Alsace, nos concitoyens créent des associations de rénovation afin de faire appel aux dons et de conventionner avec la Fondation du patrimoine.