La commission examine tout d'abord le rapport pour avis de M. Albéric de Montgolfier sur le projet de loi n° 445 (2015-2016) renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale.
EXAMEN DU RAPPORT POUR AVIS
Notre commission a souhaité se saisir pour avis du projet de loi de lutte contre le financement du crime organisé et du terrorisme, examiné au fond par la commission des lois sur le rapport de Michel Mercier. Les dispositions entrant dans notre champ de compétence figurent aux articles 12 à 16 quinquies et à l'article 33 du projet de loi, soit douze articles.
Dans le courant des années 2000, de nombreuses mesures ont été prises au niveau international, européen et national, afin de lutter contre les circuits de financement du terrorisme et du crime organisé. Le Groupe d'action financière (GAFI) a élaboré des recommandations, l'Union européenne a adopté plusieurs paquets anti-blanchiment qui ont été transposés en droit français. La transposition complète de la quatrième directive anti - blanchiment du 20 mai 2015 est prévue par habilitation dans le présent projet de loi.
La France dispose d'outils juridiques élaborés et de services spécialisés, qu'il s'agisse des services des douanes ou de la cellule de renseignement financier Tracfin, auquel la présidente Michèle André et moi-même avons rendu visite le 20 janvier dernier, saluant à cette occasion son professionnalisme. L'évolution des risques et les enseignements tirés des deux vagues d'attentats commis en 2015 incitent toutefois le Gouvernement à proposer de nouvelles dispositions législatives sur le financement du terrorisme et du crime organisé, qui présentent des liens bien connus. Ces initiatives interviennent alors que la Commission européenne, sous l'impulsion de notre pays, s'est engagée à proposer, à la fin du deuxième semestre 2016 au plus tard, une nouvelle série de dispositions que le présent projet de loi anticipe.
L'article 12 crée une nouvelle infraction réprimant le trafic de biens culturels depuis des zones où agissent des terroristes. On voit bien tout l'intérêt de cette disposition qui trouve sa source dans la connaissance des modalités de financement du groupe Daech.
L'article 13 plafonne la capacité d'emport des cartes prépayées et renforce leur traçabilité, prenant ainsi acte de l'utilisation de ces moyens de paiement, souvent anonymes, pour financer des opérations terroristes. Sur ce point, malgré nos efforts, une harmonisation européenne sera évidemment nécessaire. Je vous proposerai un amendement plafonnant plus précisément les mouvements réalisés « en monnaie électronique anonyme et en espèces » sur ces cartes.
L'article 14 permet à Tracfin de signaler aux établissements de crédit des situations générales mais aussi des situations individuelles présentant des risques élevés. Il s'agit d'un renversement de la procédure habituelle, car aujourd'hui Tracfin se contente de recevoir des déclarations de soupçons, même si des appels généraux à vigilance ont pu être diffusés par le passé.
Si cette mesure est particulièrement utile, les signalements individuels pourraient conduire les établissements financiers à fermer les comptes concernés, ce qui irait à l'encontre des objectifs poursuivis. Je vous proposerai donc un amendement autorisant Tracfin à interdire ces fermetures tout en exonérant les établissements de responsabilité civile et pénale s'ils remplissent leurs obligations. L'article 14 bis introduit par l'Assemblée nationale, étend d'ailleurs le régime d'irresponsabilité pénale en cas d'ouverture de compte sur désignation de la Banque de France.
L'article 15 étend le droit de communication de Tracfin aux gestionnaires d'un système de cartes de paiement ou de retrait, tels que le Groupement des cartes bancaires ou les sociétés Visa et Mastercard ; soit. Mais je vous proposerai un amendement pour aller plus loin et inclure les plateformes de monnaies virtuelles dans la liste des personnes assujetties aux obligations de vigilance, en les soumettant au statut de prestataire de services de paiement ; j'aimerais entendre le Gouvernement sur ce point.
L'article 15 bis étend l'accès direct des agents habilités de Tracfin au fichier de traitement d'antécédents judiciaires (TAJ), alors que cet accès était limité à la prévention du terrorisme. Je vous proposerai un amendement harmonisant la rédaction inscrite dans le code monétaire et financier et celle du code de la sécurité intérieure. Je vous proposerai également un article additionnel donnant aux établissements de crédit, de paiement et de monnaie électronique un accès aux informations relatives aux numéros des documents d'identité perdus, volés ou invalidés, afin qu'ils puissent vérifier les éléments d'identification fournis par leurs clients.
L'article 16 instaure une présomption d'origine illicite des fonds en matière de délit douanier. Je vous proposerai de l'étendre à « tout crime ou délit ».
L'article 16 bis simplifie le droit existant en autorisant les agents de la douane à prélever des échantillons dans le cadre de leurs missions. L'article 16 ter autorise l'utilisation d'un pseudonyme par les agents des douanes qui recherchent et constatent des infractions sur Internet, les cyberdouaniers, à qui nous avions rendu visite avec Philippe Dallier pour notre rapport sur la fraude à la TVA. Ces dispositions sont bienvenues, compte tenu de l'utilisation massive d'internet et du développement des risques de fraude organisée via le commerce électronique, comme l'a souligné le rapport du groupe de travail de notre commission sur le recouvrement de l'impôt à l'heure de l'économie numérique. Toutefois, je vous proposerai de mieux encadrer cette possibilité en limitant le champ d'application aux seuls délits douaniers, en imposant une habilitation des agents et en informant le Procureur de la République qui pourra s'y opposer.
L'article 16 quater institue une obligation de justification de la provenance des sommes transférées en liquide vers ou depuis l'étranger, dès lors qu'elles dépassent un certain seuil fixé par décret. Les défauts de déclarations - incluant les déclarations incomplètes ou incorrectes - seront sanctionnées à hauteur de 50 % des sommes, contre 25 % aujourd'hui en vertu de l'article 16 quinquies. Je vous proposerai de fixer par la loi, et non par décret, le seuil de 50 000 euros à partir duquel les justificatifs sont nécessaires et de permettre que les documents justificatifs soient « tenus à disposition » des douanes, au lieu de leur être systématiquement présentés. Imaginons qu'une personne transporte légitimement le produit d'une vente ; il n'est pas forcément facile d'avoir l'acte avec soi.
Enfin, l'article 33 habilite le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnance diverses mesures relatives à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, et notamment à transposer les dispositions les plus techniques de la quatrième directive anti-blanchiment. L'habilitation sollicitée prévoyait également que le Gouvernement soit autorisé à adopter, le cas échéant, des « dispositions plus strictes ». Cette possibilité a été supprimée à juste titre par l'Assemblée nationale.
Je vous proposerai d'émettre un avis favorable à l'adoption de ces articles, sous réserve de l'adoption de mes amendements.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Article 12
L'amendement n° FINC.1 modifie la localisation des dispositions de l'article 12 dans le code pénal.
L'amendement n° FINC.1 est adopté.
Article 13
En France, le paiement par carte prépayée est limité à 1 000 euros, mais ce n'est pas le cas dans la plupart des autres pays. Le présent article permettra également de plafonner la capacité d'emport, le chargement, le remboursement et le retrait. Nous souhaitons sur ce sujet une harmonisation européenne, qui concerne pour l'instant uniquement le seuil au-delà duquel l'anonymat doit être levé (2 500 euros). En attendant, l'amendement n° FINC.2 précise le périmètre des limitations que contient l'article 13, afin de ne pas pénaliser les utilisateurs traçables.
L'amendement n° FINC.2 est adopté.
Article 14
L'amendement rédactionnel n° FINC.3 est adopté.
L'amendement n° FINC.4 interdit aux établissements financiers de fermer les comptes sur demande de Tracfin et crée un régime d'irresponsabilité civile et pénale inspiré du régime prévu en cas d'ouverture de compte sur demande de la banque de France.
L'amendement n° FINC4. est adopté.
Article 14 bis
L'amendement de coordination n° FINC.5 est adopté.
Article 15
L'amendement n° FINC.6 applique le statut de prestataire de services de paiement aux plateformes d'échanges de monnaie virtuelle de type bitcoin. Le citoyen ordinaire utilise de préférence l'euro...
L'amendement n° FINC.6 est adopté.
Article 15 bis
L'amendement n° FINC.7 précise que l'accès direct de Tracfin au fichier Traitement d'antécédents judiciaires (TAJ) se fera dans le strict respect de ses attributions.
L'amendement n° FINC.7 est adopté.
Article additionnel après l'article 15 bis
L'amendement n° FINC.8 permet aux établissements de crédit, de paiement et de monnaie électronique d'accéder aux informations relatives aux numéros des documents d'identité perdus, volés et invalidés : actuellement, un établissement ouvrant un compte ne peut vérifier que les documents qu'on lui présente sont réguliers.
L'amendement n° FINC.8 est adopté.
Article 16
L'amendement n° FINC.9 étend le délit douanier de blanchiment aux opérations financières entre la France et l'étranger portant sur des fonds provenant de tout crime ou délit. Actuellement, les douaniers ne peuvent théoriquement saisir une somme provenant d'un braquage à la frontière belge, à la différence de celles provenant d'un délit douanier tel que le trafic de stupéfiants ou la vente frauduleuse d'oeuvres d'art.
L'amendement n° FINC.9 est adopté.
Article 16 ter
L'amendement n° FINC.10 encadre le régime des cyberdouaniers, avec notamment une habilitation des agents, un contrôle du procureur de la République et une limitation de leurs compétences aux délits douaniers.
Les douaniers ont déjà une capacité à agir sur internet, mais sur des points précis qui s'ajoutent les uns aux autres : pédopornographie, stupéfiants ou, plus récemment, contrefaçons. À chaque fois, la mise en place est compliquée et prend au moins deux ans. Ne serait-il pas temps d'adopter une approche globale ?
Je suis tout à fait favorable au régime des cyberdouaniers. Mais le Gouvernement, qui a promis la création de 1 000 postes, a en réalité maintenu le programme Douane 2018, et ses 250 suppressions de postes annuelles. L'intersyndicale demande des moyens, sans lesquels les grandes déclarations ne servent à rien. Dans la pratique, les contrôles sur les trafics d'armes et autres sont devenus tellement aléatoires qu'ils en sont inefficaces.
Les moyens humains sont essentiels. Même si les douaniers font au mieux, leur tâche reste immense pour réprimer tous les trafics. La technologie, c'est bien, mais il est juste de se pencher aussi sur l'insuffisance des moyens humains.
Je soutiens la démarche de Roger Karoutchi. J'ai moi-même interrogé le ministre sur la question. Ne faudrait-il pas que la commission adopte un amendement rappelant les engagements du Président de la République de créer 1 000 postes ?
La commission des finances devrait le déclarer irrecevable au titre de l'article 40 ! Certes, le plan Douane 2018 est toujours en vigueur. Mais il n'est pas en contradiction avec la création de postes spécialisés. La difficulté, comme pour la justice et les forces de sécurité, provient des délais de recrutement. Il faut deux ans pour former un magistrat, un an pour un douanier, neuf mois pour un gendarme, sans compter l'organisation des concours, alors que les besoins sont immédiats. Mais il est vrai qu'au total le solde net pourrait s'avérer négatif.
Je n'en suis pas certain. C'est plutôt une opération en accordéon : avec l'espace douanier unique, nous n'avons plus besoin d'agents aux frontières terrestres, mais de spécialistes, ce qui pose le problème de la reconversion. Le principal problème de la douane aujourd'hui est de surveiller le flux du fret express et les 8 millions de paquets qui arrivent chaque jour à Roissy-Charles de Gaulle. Tous les trafics passent par là.
Je propose que nous étudiions ce sujet cette année dans le cadre du projet de loi de règlement. Nous pourrons interroger le ministre mais aussi le responsable de programme.
L'amendement n° FINC.10 est adopté.
Article 16 quater
L'amendement n° FINC.11 fixe par la loi à 50 000 euros le seuil à partir duquel les justificatifs de la provenance des sommes transférées en liquide depuis ou vers l'étranger doivent être fournis. Il n'y avait pas lieu de le renvoyer à un décret alors que le seuil de 10 000 euros de déclenchement de l'obligation déclarative est fixé par la loi.
Je ne suis pas enthousiaste à l'idée de fixer par la loi de tels montants. Cela oblige le législateur à revenir dessus régulièrement. N'aurait-il pas fallu plutôt prévoir un décret pour les deux seuils ?
Le seuil de 10 000 euros est fixé par un règlement européen. Nous interrogerons le ministre sur ce point, mais il est important de savoir quelles seront exactement les nouvelles obligations à la charge des citoyens.
L'amendement n° FINC.11 est adopté, ainsi que l'amendement rédactionnel n° FINC.12.
À l'issue de ce débat, la commission émet un avis favorable à l'adoption des articles 12, 13, 14, 14 bis, 15, 15 bis, 16, 16 bis, 16 ter, 16 quater, 16 quinquies et 33, sous réserve des amendements qu'elle a adoptés. Elle autorise le rapporteur pour avis à déposer en vue de la séance publique les amendements que la commission des lois, saisie au fond, n'aurait pas intégrés à son texte.
Nous avons arrêté le 3 février dernier notre programme pour 2016. Depuis lors, André Gattolin a engagé des travaux sur l'Académie de France à Rome, plus connue sous le nom de villa Médicis. Je vous propose d'ajouter ce sujet à notre programme.
Il en est ainsi décidé.
La commission des finances a reçu une délégation au fond de la part de la commission des lois sur trois des quatre articles dont nous nous étions saisis pour avis sur le projet de loi pour une République numérique : l'article 37 A, qui prévoit l'éligibilité au fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) des dépenses d'investissement en matière d'infrastructures de réseaux de téléphonie mobile - article identique à celui qu'avait adopté le Sénat lors de l'examen du projet de loi de finance pour 2016 ; l'article 37 D, qui prévoit l'éligibilité au dispositif de suramortissement Macron des co-investissements liés au déploiement de la fibre optique - lui aussi identique à un article adopté par le Sénat en projet de loi de finance pour 2016 ; l'article 41, qui assouplit le régime applicable aux opérations de paiements par SMS, notamment aux dons aux associations caritatives, à condition que la valeur des paiements ne dépasse pas 50 euros par opération et 300 euros par mois.
L'article 42, qui vise à prévoir un cadre juridique pour les compétitions physiques de jeux vidéo en réseau, fera l'objet d'un avis simple de notre commission. Le rapport de Philippe Dallier sera examiné le 5 avril prochain en commission des finances.
La commission procède enfin à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2 de la LOLF, sur la journée défense et citoyenneté (JDC).
Le compte rendu de cette réunion sera publié ultérieurement.
La réunion est levée à 12 h 19