Le premier point de notre ordre du jour porte sur la proposition de loi relative à l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse. La délégation ayant toujours eu à coeur d'exprimer son attachement à ce qu'il est convenu d'appeler les droits sexuels et reproductifs, il me paraissait nécessaire que nous échangions sur ce point.
La ministre nous avait annoncé l'arrivée de ce texte, au cours de son audition du 27 octobre, pour la fin du mois de novembre à l'Assemblée nationale, mais nous ne l'attendions pas si tôt au Sénat.
La proposition de loi vise à étendre le délit d'entrave à l'IVG, institué en 1993, aux sites internet qui, sous couvert d'une neutralité apparente et d'un aspect faussement institutionnel (avec un numéro vert...), cherchent à dissuader les jeunes filles et les femmes d'avorter en leur donnant des informations délibérément négatives sur les conséquences d'une IVG (stérilité, fausses couches à répétition...).
Le délit d'entrave, tel qu'il a été créé en 1993, fait référence à des actes physiques et matériels. Nous n'avons pas encore le texte définitif de l'Assemblée nationale, puisque la proposition de loi y sera examinée aujourd'hui en séance publique. La rapporteure du texte, Catherine Coutelle, cherche une solution pour améliorer le dispositif juridique afin d'éviter le risque d'une censure du Conseil constitutionnel sur le fondement de la liberté d'expression. En tout état de cause, il conviendrait que ces sites, plutôt que d'avancer masqués, se présentent pour ce qu'ils sont.
Enfin, je m'interroge : la solution à ce problème passe-t-elle par une modification du code de la santé publique à l'article sur le délit d'entrave ?
Dans vos dossiers, vous trouverez un état des lieux de la situation. Mais à ce stade, nous ne sommes pas en mesure d'envisager une autre formule législative, étant donné que nous n'avons pas le texte de l'Assemblée nationale.
Notre collègue Françoise Gatel a été nommée chef de file du groupe centriste sur ce texte. Dans ce cadre, elle a effectué des auditions auxquelles j'ai pu assister. Elle considère que le délit d'entrave doit être caractérisé par un critère physique (manifestation de violence par exemple), ce qui n'est pas le cas d'une fausse information. Les juristes que nous avons entendus ont souligné également que le délit d'entrave et la presse sont deux sujets différents, et qu'il ne faut donc pas mélanger, comme la proposition de loi le propose, le droit de la presse et de la communication avec le droit de la santé publique. Nous avons aussi reçu le Planning familial, qui a évoqué le manque de moyens pour être en mesure de rivaliser avec les sites que vous évoquiez et de fournir une information objective relative à l'IVG sur l'ensemble du territoire, immédiatement accessible aux internautes.
J'entends bien ce que dit Annick Billon, mais je voudrais faire remarquer que le délit d'entrave institué en 1993, qui visait des actes physiques, a été élargi en 2001 à la notion de pression morale et psychologique. De même, la loi de 2014 sur l'égalité réelle a encore élargi le champ de ce délit non plus seulement au fait d'empêcher l'acte, mais également au fait de faire obstacle à la recherche d'information sur l'IVG.
Pour moi, la proposition de loi s'inscrit dans ce mouvement d'élargissement.
La proposition de loi vise les sites qui se livrent à de la désinformation et à quelque chose qui ressemble à de la tromperie.
En ce qui me concerne, je voudrais faire part de mon embarras. Nous savons qu'il y a aujourd'hui à l'oeuvre de multiples tentatives de remises en cause du droit à l'IVG dans toute l'Europe. Je comprends bien l'intention louable de cette proposition de loi dans ce contexte. En revanche, je ne vois pas comment le texte, dans sa rédaction actuelle, pourrait franchir la barre du Conseil constitutionnel en cas de saisine. Ce dernier le censurerait probablement au titre du principe de liberté d'expression ou de neutralité du net, problématique à laquelle nous sommes forts sensibles au sein de la commission de la culture présidée par Catherine Morin-Desailly.
On voit bien le problème, lié au fait que les sites visés par la proposition de loi se font passer pour des sites officiels de santé publique, ce qui s'apparente à du faux. Mais la proposition de loi ne se trompe-t-elle pas sur la porte d'entrée juridique ?
Je crains également les effets pervers de cette démarche, qui ne répond pas à la vraie question et qui risque d'ouvrir la boîte de Pandore. Pour moi, le coeur du problème se situe au niveau du référencement des sites d'information sur l'IVG. Or, les sites incriminés, notamment ivg.net, disposent de moyens considérables qui leur permettent d'apparaître en première position dans les moteurs de recherche sur Internet, avant même les sites gouvernementaux.
Ce texte pointe un vrai problème mais ne choisit probablement pas les bonnes armes juridiques. Le Planning familial le dit lui-même, me semble-t-il.
Soyons conscients que si l'on transposait un tel raisonnement à tous les sujets, il n'y aurait plus d'Internet ! C'est pourquoi la proposition de loi me semble fragile juridiquement.
Le Gouvernement a conscience des problèmes de référencement et a dégagé des moyens pour améliorer la situation.
Je m'exprime à titre personnel car nous n'avons pas encore défini de position sur ce texte au niveau du groupe. J'ai consulté le site ivg.net et je suis frappée par la subtilité de sa présentation, qui le rend d'ailleurs très dur à démonter.
D'autres sites sont moins subtils et moins trompeurs. Par exemple, le site afterbaiz.com vise un public d'adolescents, et le site les survivants présente une argumentation très grossière, et l'on voit bien quelle position elle sous-tend. Par un dangereux syllogisme - l'avortement est une violence, le viol est une violence, donc l'avortement conduit au viol -, ce site en vient à assimiler l'avortement à un viol. C'est clairement de la désinformation !
Pour moi, le vrai problème vient du fait que cette proposition de loi va ouvrir la boîte de Pandore et permettre aux opposants à l'IVG de s'exprimer. Il n'y a qu'à écouter les prises de position de certains et voir le nombre d'amendements qui ont été déposés à l'Assemblée, et qui proposent des mesures visant à remettre en cause l'IVG.
Les sites incriminés par la proposition de loi véhiculent une désinformation qui instrumentalise le désarroi de personnes qui se trouvent souvent dans une situation de grande fragilité. Ils le font de façon très subtile, ce qui justifie à mon avis de renforcer la loi sur ce point.
Je suis par ailleurs frappée et désolée de constater que, à chaque fois qu'un débat relatif à une atteinte aux droits des femmes envahit la sphère publique, on nous attaque tout de suite sur le terrain de la liberté d'expression. Rappelez-vous la polémique sur ce rappeur qui appelait au viol. Il me semble que notre société ne condamne pas de la même façon les atteintes aux droits des femmes et les atteintes pouvant viser des religions ou des minorités, et c'est bien regrettable.
Il serait dommage d'aboutir à une remise en cause de l'IVG à cause d'une « fausse bonne idée ». Il faut pourtant faire quelque chose, mais les délais d'examen du texte sont particulièrement contraints.
Nous avons en effet un vrai problème de calendrier. Le texte de l'Assemblée nationale ne sera adopté qu'en fin d'après-midi, et l'examen en commission au Sénat aura lieu dès mardi 6, et en séance le mercredi 7 décembre !
On nous parle de liberté d'expression, mais on laisse pour le moment prospérer la liberté de désinformation !
En effet, derrière tous ces sites, se cachent des financements et une propagande mensongère qui déstabilise des personnes en détresse, au service, c'est clair, d'une idéologie. Il faut le dire et prendre une position déterminée sur ce point.
Le site ivg.net se caractérise par une ergonomie et un design qui tiennent la comparaison avec ceux des sites officiels. Il est très professionnel dans son apparence.
Le but de la proposition de loi n'est pas d'interdire les sites qui sont contre l'IVG, mais bien de sanctionner les sites mensongers qui prétendent informer tout en diffuant un message orienté, de façon cachée, à un public qui peut se trouver dans une position de fragilité. Tout cela est très bien fait, mais au bout du compte, les femmes qui consultent ce site perdent du temps dans les démarches qui peuvent les conduire à mener une IVG.
Il me semble que ce n'est pas tant le fait d'entraver qui est ici en cause, que la fausseté de ces sites qui adoptent des couleurs officielles et se présentent comme des sites de référence. Ne pourrait-on pas juste imposer qu'ils n'usurpent pas un logo ou une identité officielle ?
Le droit d'Internet est une discipline en soi. Peut-on mettre au même niveau le délit d'entrave qui s'appuie sur un empêchement physique, et le délit d'entrave par voie numérique, qui porte sur l'information ? Ne pourrait-on pas intervenir dans le code de la santé publique en créant un article spécifique, sans le rattacher au délit d'entrave existant ? Il s'agirait de sanctionner le fait de publier, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des présentations faussées, ou des indications de nature à induire intentionnellement en erreur sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d'une IVG.
En tout état de cause, la délégation pourrait formuler une recommandation pour exiger que les sites internet proposant une information relative à l'IVG affichent un message clair sur leur orientation, qui consiste à proposer aux femmes une autre solution que celle de mettre fin à leur grossesse.
Merci pour ces réflexions qui nous permettent d'avancer. Je regrette que le calendrier soit aussi contraint et ne permette pas un travail commun entre les différentes commissions et la délégation. Le Sénat sortirait grandi si les commissions concernées parvenaient à trouver une solution solide du point de vue juridique. Par ailleurs, je regrette de constater que les élus savent se mobiliser lorsqu'il s'agit d'enjeux électoraux mais que, s'agissant des droits des femmes, c'est beaucoup plus difficile.
Je partage ce que dit Corinne Bouchoux, tout en rappelant que ce n'est pas le Sénat qui a imposé ce calendrier. Rappelons-nous également qu'au départ, la mesure proposée avait fait l'objet d'un amendement au projet de loi « Égalité et citoyenneté », qui a été rejeté par la commission spéciale pour absence de lien direct avec le texte examiné.
Je remercie également la présidente pour ces réflexions intéressantes. Par ailleurs, je m'interroge : se référer au caractère intentionnel de la présentation tronquée des faits par des sites internet tels qu'ivg.net ne risque-t-il pas d'être contreproductif ? En effet, ces derniers pourraient chercher à s'en exonérer en contestant cette volonté délibérée de tromper et en affirmant que seule une volonté d'information du public les anime.
Je laisse le soin aux juristes d'examiner l'intérêt d'une disposition réprimant des indications de nature à pervertir l'information...
On peut induire en erreur sans volonté délibérée, donc je ne vois pas ce qui s'opposerait à se référer à l'intentionnalité.
On peut regretter qu'un tel sujet ne puisse être abordé de manière plus approfondie et à part entière par l'ensemble du Sénat. Chaque parlementaire devrait se sentir concerné par cette évolution des techniques et ses conséquences.
On l'a vu aussi pendant le débat sur les violences conjugales, où peu de nos collègues étaient présents. Il faut attirer davantage l'attention du Sénat sur les questions liées aux droits des femmes.
Ce sujet sera sans doute davantage suivi par nos collègues, mais probablement plus pour des raisons tenant à la conjoncture politique pré-électorale que pour des préoccupations liées aux droits des femmes...
Je voudrais souligner que le débat est à mon avis plus vaste que la désinformation en matière d'IVG. Il faudrait mener une vraie réflexion de fond sur la propagande et la désinformation que distillent ces sites internet à des fins idéologiques. Nous avons besoin d'une position très claire de la délégation sur ce point.
Le sujet sur lequel nous débattons aujourd'hui pose la question plus générale de la révolution numérique et des révolutions législatives afférentes, problématique que nous avons récemment abordée à la commission de la culture, au cours de l'audition de la présidente de la commission de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Nous n'avons pas assez intégré, de façon transversale, comment Internet va mettre à mal toutes nos législations qui datent du siècle dernier. Sur ces sujets, il nous faudrait des réponses de fond et pas seulement de circonstance.
Je propose que nous sollicitions une saisine de la délégation auprès du président de la commission des affaires sociales. Cela nous permettrait de faire valoir notre point de vue devant la commission et de nous exprimer au cours de la discussion générale, tout en publiant un rapport qui, compte tenu des circonstances, sera bref et davantage destiné à porter notre contribution au débat qu'à proposer des formules techniquement imparables, que nous ne sommes d'ailleurs pas en mesure d'envisager puisque la proposition de loi ne sera transmise au Sénat que ce soir, vraisemblablement.
Nous pourrions en revanche formuler deux recommandations dans notre rapport.
La première pourrait être rédigée ainsi :
La délégation recommande au Gouvernement de faire en sorte que les sites d'information sur l'IVG affichent clairement leurs intentions, par exemple en faisant apparaître de manière distincte, sur toutes leurs pages, un message qui pourrait être ainsi rédigé : « Ce site a pour finalité de proposer aux femmes une autre solution que celle de mettre fin à leur grossesse ».
Il me semble que tout le monde est d'accord.
Cette recommandation est adoptée.
La deuxième pourrait être formulée ainsi :
La délégation recommande au Gouvernement de poursuivre les efforts entrepris pour assurer, en matière d'accès à l'information sur l'IVG, un bon référencement des sites officiels sur Internet, de sorte que les femmes souhaitant s'informer sur l'IVG y accèdent directement, avant même les sites dispensant des allégations orientées sous couvert d'une apparence prétendument neutre.
Là encore, je ne vois pas d'objection.
Cette recommandation est donc adoptée.
Si la saisine est acceptée et si vous en êtes d'accord, je propose d'assister à la réunion de la commission des affaires sociales mardi 6 décembre pour y présenter le point de vue de la délégation.
Cette proposition est approuvée sans réserve à l'unanimité des présent-e-s.
À l'issue de ce débat, la délégation autorise la publication d'un rapport d'information sur le délit d'entrave à l'IVG par voie numérique. Elle mandate sa présidente pour exposer son point de vue lors de la réunion de la commission des affaires sociales et en séance publique.
Venons-en à présent à l'organisation des travaux de la délégation de janvier à mars 2017.
La première proposition concerne l'organisation d'un débat sur le rapport « Femmes et laïcité », le jeudi 12 janvier en salle Clemenceau. Ce débat pourrait avoir lieu dans la matinée, entre 9h30 et 12h30. Les participants à la table ronde du 14 janvier 2016, les personnes auditionnées depuis, les auteurs des ouvrages cités par le rapport, les associations partenaires, des aumôniers et aumônières et des ministres du culte seraient invités.
Le deuxième projet concerne l'organisation d'une commémoration de la loi Neuwirth promulguée en décembre 1967. Cette cérémonie aurait lieu à l'occasion du lancement d'un timbre à l'effigie de Lucien Neuwirth, décédé il y a trois ans, et serait organisée le jeudi 9 février au matin.
À propos du colloque sur les agricultrices, qui se déroulera le mercredi 22 février après-midi, nous aurions une première table ronde sur les défis à relever, et une seconde sur les innovations porteuses d'avenir pour l'agriculture et la vie rurale. Vous avez déjà été saisis, comme tous les sénateurs et sénatrices, pour proposer des noms d'agricultrices à inviter. Je vous précise par ailleurs que nous avons sollicité le ministre de l'agriculture pour la conclusion du colloque.
En outre, ce colloque sera suivi d'auditions qui donneront lieu à la publication d'un rapport d'information, que nous pourrions examiner et publier à la reprise des travaux en séance publique, fin juin-début juillet. Je propose que nous désignions un co-rapporteur par groupe, comme nous l'avons déjà fait pour d'autres rapports. M'ont fait parvenir leur candidature : Annick Billon (UDI-UC), Brigitte Gonthier-Maurin (CRC), Françoise Laborde (RDSE), Michelle Monier (PS) et Didier Mandelli (LR). Corinne Bouchoux est ipso facto co-rapporteure.
Il me semble que la composition de ce groupe de travail ne suscite aucune objection. Nous sommes donc d'accord sur la nomination des co-rapporteurs.
Je pense qu'il serait intéressant de prévoir des déplacements dans quelques départements pendant la période d'interruption des travaux en séance publique. Certains de nos collègues nous ont communiqué des listes d'agricultrices très prometteuses. Peut-être pourrions-nous envisager un déplacement dans la Drôme et en Haute-Garonne. Il y a aussi beaucoup d'implication en Lozère et dans le département des Ardennes.
Cela me semble une très bonne idée. Enfin, avant la suspension des travaux, qui interviendra comme vous le savez à la fin du mois de février, deux auditions sur le thème des violences faites aux femmes sont envisagées. Tout d'abord, l'une des auditions porterait sur les résultats de l'étude « Violences et rapports de genre » (VIRAGE) qui concerne les statistiques des violences faites aux femmes, dont nous savons qu'elles sont accablantes. Il me paraît très intéressant d'avoir un échange sur ces statistiques avec une démographe.
L'autre audition aurait pour objet de nous présenter les réflexions en cours pour réaliser une enquête VIRAGE dans les DOM. En effet, ces territoires présentent des spécificités qui impliquent d'y adapter la politique de prévention et de traitement de la violence, sur la base de données statistiques fiables. Nous pourrions convier la Délégation à l'Outre-mer à cette audition.
En outre, je rappelle que la délégation examinera d'ici la suspension des travaux parlementaires le rapport de nos collègues Maryvonne Blondin et Corinne Bouchoux sur les enfants à identité sexuelle indéterminée. L'audition d'une professeure de droit, en format « rapporteures », est prévue le mardi 13 décembre à 16h00 sur ce thème.
Enfin, nous avions envisagé une table ronde sur le thème « sénatrice en 2017 », à partir de la présentation d'un bilan des travaux de la délégation et d'une réflexion sur les femmes au Sénat. Notre souhait est de faire passer des messages avant le renouvellement de notre assemblée, par exemple pour encourager nos nouvelles collègues à investir des commissions où l'on constate un déséquilibre aux dépens des sénatrices, comme la commission des lois et celle des finances. Je me demande si le moment le plus opportun pour organiser cette réunion ne serait pas la reprise des travaux du Sénat, en juin-juillet 2017. Je suis à l'écoute de vos propositions. Nous en reparlerons.