Le bureau de notre commission a souhaité que nous abordions la thématique de la qualité de vie au travail des personnels hospitaliers.
Il y a quelques jours a été rendu public le rapport que l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) a remis cet automne à la ministre des affaires sociales et de la santé sur les risques psychosociaux des personnels médicaux des établissements de santé. L'Igas constate que ces risques étaient soit passés sous silence, soit non décelés, voire niés, et que leur gestion par l'institution hospitalière est quasi inexistante.
La ministre a présenté au mois de décembre plusieurs axes de travail touchant au fonctionnement interne des établissements et au suivi national d'une dimension de la politique hospitalière qu'il paraît aujourd'hui indispensable de renforcer.
Nous avons donc souhaité évoquer ce sujet ce matin avec un certain nombre d'interlocuteurs plus spécifiquement concernés.
M. Mathias Albertone est sous-directeur des ressources humaines du système de santé à la Direction générale de l'offre de soins (DGOS). Je lui demanderai de nous présenter l'évaluation effectuée par le ministère et surtout les mesures concrètes qui vont suivre la stratégie nationale annoncée par la ministre.
Je solliciterai ensuite le point de vue des représentants des établissements publics, Mme Marie Houssel, responsable du pôle ressources humaines hospitalières de la Fédération hospitalière de France (FHF), et Mme Cécile Kanitzer, conseillère paramédicale.
Nous avons tous en mémoire le drame survenu à l'hôpital Georges Pompidou fin 2015. Quelques semaines après, l'AP-HP annonçait un plan d'action visant à prévenir et traiter plus efficacement ces situations. M. le professeur Rémi Salomon, président de la commission de la vie hospitalière, et M. Gérard Cotellon, directeur des ressources humaines de l'AP?HP, vont certainement nous en parler.
Enfin, je remercie de sa présence Mme Véronique Ghadi, chef de projet à la Haute Autorité de santé (HAS), qui évoquera les liens entre qualité de vie au travail et qualité des soins.
Je propose donc à chacun des intervenants un propos introductif et nous les solliciterons ensuite pour répondre aux membres de notre commission.
Plusieurs faits générateurs, notamment des suicides ou tentatives de suicide au sein du personnel, ont ému les communautés hospitalières ; les organisations syndicales représentatives et des organisations représentatives catégorielles ont exprimé un malaise qui a conduit la ministre à demander à la DGOS, à l'automne dernier, de décrypter la question de la qualité de vie au travail et de proposer des mesures nouvelles.
L'exercice n'était pas simple car on ne pouvait laisser entendre que cette question n'avait pas identifiée. Depuis plusieurs années, des mesures concrètes ont été prises pour améliorer la qualité de vie du personnel, mais nous avons constaté que les résultats n'étaient pas toujours à la hauteur des attentes. Les outils mis en place - notamment des plans d'action dotés de financements importants - ont surtout porté sur les conditions de travail, avec des plans de formation, de prévention des troubles musculo-squelettiques, et l'installation d'équipements destinés à faciliter les tâches du quotidien. Il nous a paru opportun de considérer la question sous un angle complémentaire : celui des relations humaines, de la communication et du travail en équipe, dans l'idée que la qualité de vie ne se réduit pas à sa dimension matérielle.
Nous avons rencontré un grand nombre d'acteurs professionnels, de psychologues du travail, d'universitaires pour élargir le spectre de la réflexion. Au terme de notre travail, la ministre a présenté, le 5 décembre dernier, une stratégie nationale d'amélioration de la qualité de vie au travail des professionnels de santé. L'hôpital est en perpétuelle évolution mais des phénomènes récents l'ont particulièrement impacté : l'évolution des pathologies, du rapport entre les professionnels de santé et les patients, de la prise en charge, des conditions financières d'exercice des établissements. Enfin, c'est un fait, la tarification à l'activité (T2A) a modifié l'organisation et le management hospitaliers en profondeur. Ces tendances ayant vocation à perdurer, notre mission est de mieux les expliquer et d'accompagner les équipes dans la conduite du changement.
La stratégie nationale présentée par la ministre repose sur trois axes : d'abord, la nécessité de porter un message politique fort au niveau national ; ensuite, l'appropriation des objectifs définis nationalement par tous les acteurs locaux et régionaux ; enfin, l'inscription des orientations définies dans la durée : la mise en oeuvre des mesures annoncées ne s'appréciera que dans le moyen et le long terme, ce qui implique un système de suivi et de pilotage.
Le premier baromètre des enjeux RH conduit par la FHF au printemps 2016 auprès des DRH et directeurs des affaires médicales a montré l'investissement de ceux-ci en faveur des conditions de travail, et en particulier de la prévention des risques psycho-sociaux : plus de 84 % des répondants ont ainsi déclaré avoir entrepris des démarches de prévention. Cependant, un tiers des DRH considèrent que les conditions d'exercice se dégradent, surtout dans les petits établissements. Une moitié des professionnels interrogés estiment que la part du personnel non médical en situation de précarité sociale augmente. Enfin, une proportion analogue constate une augmentation de l'insécurité.
Le baromètre met également en évidence une très forte contrainte budgétaire : le premier sujet de mobilisation est la maîtrise de la masse salariale pour 80 % des DRH sondés, soit un taux supérieur à celui du secteur privé ; cela laisse peu de temps pour l'accompagnement des personnels. Enfin, 80 % des DRH ont une perception positive du climat social dans leur établissement, mais plus de la moitié anticipent une dégradation dans les prochains mois. Or les défis à venir en matière de structuration de l'offre et d'efficience sont nombreux.
Les établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux s'appuient sur des professionnels engagés et des DRH investis. La FHF se donne pour mission de faciliter les initiatives déjà lancées par les DRH et directeurs des affaires médicales, pour que la gestion des ressources humaines, simple outil de maîtrise budgétaire pour les tutelles, se donne pour ambition d'accompagner les professionnels sur des projets porteurs de sens. Depuis plusieurs années, la question de la qualité de vie au travail est prise en compte dans les projets sociaux et managériaux et figure parmi les indicateurs du compte qualité de la HAS ; mais il était indispensable qu'une stratégie rassemblant des démarches éprouvées soit reconnue au niveau national comme une priorité. Au-delà des plans de prévention, il convient de permettre aux établissements de déployer des démarches d'accompagnement autour des projets.
Le véritable changement consiste à recentrer les organisations sur leur propre production, portée par les acteurs. Il convient de rendre aux personnes qui produisent l'activité de soins la possibilité de définir elles-mêmes le contenu de leur travail, pour lui redonner du sens. Nous passerions ainsi d'une démarche d'intérêt individuel à une démarche d'intérêt collectif. Dans ce but, l'encadrement de proximité appelle une vigilance particulière, afin de responsabiliser les équipes au plus près du terrain.
Le professeur Jean-Louis Mégnien s'est suicidé le 17 décembre 2015. Ce n'est pas le premier passage à l'acte au sein de l'hôpital ; nous connaissons tous des collègues en difficulté, qui s'arrêtent parfois plusieurs mois pour cause de burn out. Or quand le stress au travail augmente, la qualité des soins diminue. Il est évident que donner du sens au travail est un élément essentiel de la qualité de vie.
Je suis chef du service de néphrologie pédiatrique à l'hôpital Necker-Enfants malades depuis cinq ans. Voici ce qu'une infirmière du service récemment démissionnaire a confié à une collègue : « Quand je suis passée, un soir, devant une maman qui pleurait et que j'ai fait mine de ne pas la voir parce que je n'avais pas le temps de m'occuper d'elle, j'ai décidé de quitter le service ». Ses propos m'ont été rapportés en conseil de service - un temps d'échange qui a lieu tous les deux mois, premier pas vers une appropriation par les équipes de la réflexion sur l'organisation.
Après le suicide du professeur Mégnien, le directoire de l'AP-HP s'est réuni dès le 4 janvier, estimant que la situation ne pouvait plus durer. Le management des équipes médicales était insuffisant. Les chefs de service sont recrutés sur un critère de qualité scientifique, de capacité de communication, mais pas sur leurs aptitudes managériales, qui sont très variables. Nous avons formulé des préconisations sur la prévention des risques psycho-sociaux : il convient que les chefs de service reçoivent une formation en management. Au moment de leur renouvellement, tous les quatre ans, un bilan de leur action dans ce domaine sera présenté en conseil de service. En la matière, le secteur de la santé a pris du retard sur le reste de la société. C'est sans doute un héritage du mandarinat : le médecin sait, il n'a pas besoin de se faire expliquer quoi que ce soit.
L'accueil des médecins est à revoir. Il n'y a pas de journée d'accueil, pas de présentation des nouveaux arrivants. La médecine du travail est très peu présente : moins de 10 % des médecins de l'AP-HP vont voir le médecin du travail.
Le directeur général m'a chargé de constituer un groupe de travail sur la concordance entre les temps médicaux et paramédicaux. La récente réforme de l'organisation du temps de travail des infirmiers a fait débat ; les syndicats ont demandé que les médecins s'y impliquent davantage.
Le partage de la réflexion est un élément essentiel : nous sommes tous dans le même bateau. La T2A impose une exigence de productivité qui donne parfois le sentiment au personnel de perdre le sens du travail et des objectifs.
directeur des ressources humaines de l'AP?HP. - L'AP-HP emploie 20 000 médecins et 72 000 agents non médicaux. Son action repose sur trois convictions fortes : nous devons les meilleurs soins à nos patients, la qualité de la prise en charge est très intimement liée à la qualité de vie au travail des professionnels et la T2A, si elle a incontestablement amélioré la productivité de l'hôpital, a également entraîné un accroissement de la pénibilité au travail. À l'AP-HP, la question de la qualité de vie au travail est principalement abordée sous l'angle de la qualité de l'exercice professionnel.
Produit d'une réflexion collective, le plan stratégique de l'AP-HP pour la période 2014-2019 affirme que la performance sociale et managériale doit se concrétiser dans la qualité de l'exercice professionnel des agents. La qualité du management fait par conséquent l'objet d'une attention particulière - c'est le premier axe du plan. Le directeur général promeut le management par la confiance, condition essentielle du bien-être au travail.
Dans la même perspective d'amélioration de la qualité de vie au travail, le plan stratégique souligne la nécessité d'une sécurisation et d'un accompagnement des parcours professionnels des agents.
Troisième élément, la nécessité d'un travail approfondi sur l'amélioration de la santé et de la sécurité au travail. Un grand nombre d'établissements de santé publics souffrent d'une pénurie de médecins du travail : à l'AP-HP, on compte soixante ETP, et vingt postes vacants... Nous ne pouvons afficher fièrement nos innovations médicales tout en baissant la tête lorsque l'on nous interroge sur la santé de nos propres travailleurs.
Enfin, il est indispensable de se tenir à l'écoute des professionnels. La réforme de l'organisation du temps de travail conduite l'an dernier a donné lieu à la mise en place d'un dispositif d'écoute, dans un contexte de conflit social fort à l'AP-HP. La principale remontée était la demande des agents d'être associés aux décisions sur les conditions d'exercice et le quotidien du travail. Il convient en particulier de préserver des espaces de discussion avec les responsables.
Nous avons tous été touchés par les suicides survenus à l'AP-HP, soit au travail, soit en dehors. Dès 2013, j'avais obtenu de la précédente directrice générale de l'AP-HP, Mireille Faugère, la création d'une commission d'analyse des suicides, afin de déterminer si l'environnement professionnel ou les conditions de travail peuvent expliquer le passage à l'acte et, dans le cas contraire, pourquoi cet environnement n'a pas été plus protecteur.
L'investissement de la HAS sur la question des conditions de vie au travail est ancien. Dès 2010, elle était prise en compte dans le manuel de certification des établissements de santé, dans un contexte où la souffrance au travail faisait l'actualité, avec les suicides au sein de France Télécom, mais aussi en réponse à une demande des professionnels de santé. Enfin, un travail engagé sur la maltraitance ordinaire dans les établissements de santé avait fait apparaître que les conditions de travail et la culture managériale avaient une influence sur la maltraitance vis-à-vis des patients. C'est pourquoi le manuel de certification comporte un critère sur le thème des conditions de vie au travail.
Pour approfondir le sujet, la HAS a commencé fin 2010, un partenariat avec l'Agence nationale d'amélioration des conditions de travail (ANACT). L'accord national interprofessionnel sur la qualité de vie au travail dans le secteur privé n'avait pas encore été signé ; les négociations dans la fonction publique n'avaient pas encore été engagées : il s'agissait d'un terrain nouveau. Notre action a consisté à organiser des échanges sur la notion de qualité de vie au travail avec tous les acteurs : professionnels des établissements, organisations syndicales, organisations médicales (notamment les anesthésistes et les urgentistes), experts visiteurs qui portent le message de la HAS.
Ce travail, qui a duré trois ans, visait à sortir d'une approche centrée sur la prévention des risques psycho-sociaux. Le travail n'est pas seulement un coût ou une source de souffrance : c'est aussi une ressource organisationnelle, un espace de créativité, de débat et d'accomplissement ; rappelons que les professionnels de santé qui ont un emploi sont en meilleure santé que ceux qui sont au chômage ! L'approche psychologisante et réparatrice doit céder la place à une réflexion sur l'organisation du travail, pour la remettre au coeur des préoccupations.
Enfin, la HAS a procédé à une revue de la littérature, consultable sur notre site, sur le lien entre la qualité des soins et la qualité de vie au travail. Les conditions de travail à l'hôpital sont, d'après les études, plus difficiles que celles du BTP, combinant une exposition à des substances dangereuses, une charge physique et mentale importante et des horaires décalés. À cela s'ajoute l'effet des réformes conduites au cours des dernières années, qui ont transformé la qualité des soins, la place du patient dans le système de santé, le rapport entre le soignant et le soigné. Les objectifs étaient louables, mais la qualité de vie au travail n'a pas été prise en compte dans l'application des mesures ; c'est pourquoi les résultats ont été en deçà des objectifs.
Autre enseignement important, les études visant à quantifier le lien entre la charge de travail, le niveau de formation, les relations au sein des équipes, d'une part, et la mortalité des patients, les événements indésirables et la bientraitance ou la maltraitance, d'autre part, ont fait apparaître un parallélisme certain entre la satisfaction des professionnels et la satisfaction des patients.
Comment repartir du terrain ? Restreintes au niveau des instances de gouvernance, les marges de manoeuvre existent au sein des services, pour peu que l'on laisse un espace de liberté et de discussion se développer dans les équipes.
Une fois le constat porté, se pose la question de la mise en oeuvre. Les changements de paradigme demandent du temps : la HAS y contribue à travers la certification, la qualité de vie au travail étant devenue une thématique obligatoire dans le compte qualité. La visée est avant tout pédagogique : lorsque nous avons commencé notre réflexion, les établissements envisageaient plutôt la qualité de vie sous l'angle du bien-être, en proposant par exemple des massages. Leur approche a mûri, mais reste très centrée sur les RH. Il reste du travail à faire autour du management participatif et de la notion de prise de décision. Nous avons poursuivi nos échanges avec les organisations syndicales et les fédérations d'établissements de santé et produit une plaquette intitulée Dix questions sur la qualité de vie au travail dans les établissements de santé pour aider les directions à s'en saisir.
La HAS expérimente aujourd'hui, en partenariat avec la DGOS, les « clusters qualité de vie au travail » dans le but d'impliquer davantage les agences régionales de santé (ARS). En effet, d'après de nombreux directeurs d'établissements que nous avons entendus, le dialogue avec les ARS porte exclusivement sur les facteurs financiers, au détriment de thématiques comme les conditions de travail. Une certaine acculturation des ARS est donc nécessaire.
Onze ARS et 79 établissements participent à l'expérimentation, qui consiste à engager une démarche sur la qualité de vie au travail dans différentes thématiques : la performance des blocs opératoires, l'hospitalisation à domicile, la filière gérontologique, les groupements hospitaliers de territoire, la bientraitance, etc. Une deuxième vague de clusters sera lancée en mars. La capitalisation de la première vague est en cours et une évaluation externe va commencer. Nous espérons pouvoir présenter les retours d'expérience à l'automne.
Depuis le débat en séance sur la situation de l'hôpital, le 12 janvier, dont notre groupe avait pris l'initiative, j'ai reçu un grand nombre de témoignages de médecins, d'infirmiers et d'autres agents, qui nous remercient d'avoir posé la question de la souffrance au travail des professionnels de santé. Je vous remercie à mon tour, monsieur le président, d'avoir organisé cette table ronde, qui sera suivie d'une autre où les organisations syndicales et les coordinations de défense de l'hôpital exprimeront leur point de vue.
Les intervenants ont posé, entre autres, le problème de la participation du personnel à l'organisation du travail. En revanche, je n'aime pas le mot de management appliqué à l'hôpital : il tend à faire de celui-ci une entreprise comme une autre. Je lui préfère l'expression, utilisée par Rémi Salomon, d'animation des équipes.
Je remercie également Véronique Ghadi d'être sortie de la problématique de gestion pure et simple pour mettre en avant la participation du personnel à la réflexion. Pour la mettre en valeur, il convient de revivifier la notion de démocratie sanitaire mise à mal par les réformes. Comment mieux associer les personnels aux décisions ?
Le rôle de plus en plus important des directeurs d'établissement, qui trop souvent se comportent exclusivement en gestionnaires, n'a pas été évoqué par les intervenants. Qu'en est-il ?
Vous n'avez pas non plus parlé des conséquences des suppressions de postes et de lits provoquées par les réformes successives, contre lesquelles les infirmiers manifestaient encore hier ; on ne peut pas y répondre que par le développement de l'ambulatoire et de l'hospitalisation à domicile. La souffrance provient du manque de moyens ; or nous sommes en situation de pénurie, comme la dernière épidémie de grippe l'a montré. Enfin, les hôpitaux ont-ils vraiment besoin de la T2A, qui les met en compétition et réduit le temps passé auprès des patients ?
Nous connaissons le mal-vivre des professionnels de santé, des médecins aux infirmiers et aux équipes de soignants. Trois thématiques les préoccupent plus particulièrement : la frustration - vous avez évoqué ces soignants qui passent en courant devant les familles parce qu'ils ne peuvent les prendre en charge -, la place qui leur est assignée dans le service et la question de l'objectif de l'exercice de leur métier.
Rappelons que le service est l'élément structurant de l'hôpital, le pivot de son organisation. Les médecins sont recrutés sur la foi de leurs qualités professionnelles, pas de leur capacité à animer des équipes ; or le projet de service concerne l'ensemble du personnel. Les résultats sont meilleurs et les difficultés du travail mieux acceptées, si les objectifs sont partagés.
La T2A a imposé la notion de productivité, jusqu'alors très inhabituelle en milieu hospitalier ; on est allé très loin dans ce domaine. Elle a aussi demandé au personnel un important travail d'objectivation de l'activité, qui fait perdre un temps insensé ; peut-être faudrait-il imiter le privé, où la codification des actes est confiée à des prestataires privés. La loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST) a fait prévaloir une logique de gestion ; la loi de modernisation de notre système de santé ne l'a pas totalement corrigée.
Il y a quarante ans, les personnels administratifs au sein du système de santé étaient traités avec une certaine condescendance : à eux de gérer, aux professionnels de santé de soigner. Nous revivons aujourd'hui cette rupture : les équipes dirigeantes sont avant tout jugées sur leurs qualités de gestionnaires, et non leur capacité à animer les équipes. Or la matière du système de santé, c'est l'humain. Il est impératif de réconcilier les équipes administratives et les équipes de santé. Cela passe par un rôle renforcé de la commission médicale d'établissement et des représentants du personnel hospitalier. Les réformes ont créé une hiérarchisation, là où il faudrait mettre en place une co-construction.
Au-delà de la question des moyens, le fonctionnement de l'hôpital est grippé. Vous l'avez dit, au-delà de la prévention des risques psycho-sociaux, il faut s'attaquer aux conditions de défense d'un projet partagé à l'intérieur de l'hôpital.
En matière de promotion, plutôt que les carrières administratives jusqu'à présent privilégiées, il convient de mettre l'accent sur la promotion clinicienne et de redonner à la formation professionnelle à l'hôpital toute sa place et sa valeur.
Les intervenants, en particulier le professeur Salomon, ont en partie devancé mon propos. La dégradation des conditions de travail à l'hôpital s'est faite en plusieurs étapes. D'abord, le passage aux 35 heures, toujours payées 39, combiné à la continuité des soins a entraîné une surcharge de travail dont l'ambiance au sein de l'hôpital a pâti, comme j'ai pu le constater lorsque j'étais chef de service au Puy-en-Velay. Ensuite, en faisant dépendre le revenu de l'activité, la T2A a incité les hôpitaux à accroître leur activité sans augmenter les dépenses de personnel. Enfin, la réduction du déficit de la Sécurité sociale grâce au contrôle de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) a d'abord pesé sur l'hôpital, parce que c'est là qu'il est le plus facile d'imposer des contraintes financières.
Le personnel a répondu à cette dégradation par une grogne contre l'administration. Avec l'Ondam et la prévention - nécessaire - des plaintes médico-légales, les professionnels de santé se plaignent d'être devenus moins nombreux que les cadres administratifs... Plus grave, ils expriment un véritable mal-être. Entrer à l'hôpital reste une vocation, même si l'on n'utilise plus ce terme. Les techniques de soins ont beaucoup progressé. Reste que le personnel souffre de ne pas pouvoir prendre en charge, faute de temps, la détresse psychologique et physique des patients et de la pression imposée par les ARS et la direction de l'hôpital - avec pour conséquence des burn out, voire des suicides, ou alors des changements d'orientation professionnelle.
Je serai dans la même tonalité. Entré dans le monde du travail il y a 56 ans, j'ai été témoin des difficultés grandissantes de la gestion des ressources humaines. Auparavant, on parlait très peu des problématiques du travail. Ayant participé à la restructuration de l'hôpital psychiatrique du Vinatier, j'ai été frappé par le caractère difficile des relations entre le personnel et les administrateurs ; je pensais pourtant ce milieu moins sujet à ce genre de problème.
Restaurons la notion d'humanité dans les rapports entre les directeurs, élus, gestionnaires et acteurs de terrain. La pire des choses, dans la gestion des ressources humaines, est de recevoir les informations par e-mail : dans l'organisation existante, le lien avec le personnel est compromis par le manque de temps et les priorités. Il faut traiter les spécificités des hôpitaux au plus près du terrain, pas seulement dans une grande direction nationale. Tous les outils de dialogue et de concertation sont en place ; ce sont des moyens adaptés qui manquent sur les postes essentiels.
Quelles sont les conséquences des non-embauches pour cause de gel des dépenses de sécurité sociale ? Les 35 heures ont toujours des conséquences à l'hôpital. Enfin, les réductions financières des PLFSS successifs ont été soulignées dans nos débats. Je souhaiterais que vous reveniez sur ces trois éléments.
Vous avez évoqué, madame Ghadi, le besoin d'innovation, d'esprit pédagogique, d'expérimentation, au service du bien-être au travail. L'AP-HP a créé une chaire de philosophie confiée à Cynthia Fleury. Pouvez-vous nous éclairer sur cette initiative originale ?
Les années 2013 à 2015 ont vu des changements très importants dans la façon de travailler du personnel de santé ; celui-ci a été très sollicité par les événements tragiques que nous avons connus. Les médecins sont fatigués ; dans notre bassin de vie, cinq urgentistes ont démissionné en même temps d'un service, entraînant sa fermeture. Les conditions de travail, la formation des médecins font-elles l'objet d'une plus grande attention ?
J'ai pu observer une organisation très différente des échanges et des évaluations en Suisse, où j'ai travaillé. Nous sommes loin des pressions des ARS. L'évaluation à 360 degrés y a été mise en place il y a plus de vingt ans.
La question des moyens financiers suscite de fortes inquiétudes. J'entends parfois que le personnel ne peut pas changer les draps... Les patients sont victimes de cette pression financière quotidienne. Que pensez-vous de cette situation ?
Quelles ont été les conséquences des réformes sur le personnel des structures d'hospitalisation spécialisée ? La problématique est-elle différente dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées et dépendantes (EHPAD), dont une partie des personnels est rattachée au monde hospitalier ?
Suivez-vous l'évolution du taux d'absentéisme dans les établissements médicaux ? Je siège dans les instances dirigeantes de deux établissements présentant des taux d'absentéisme très différents ; de telles variations s'expliquent en général par la motivation du directeur et surtout les moyens financiers. C'est un indicateur intéressant.
Vous avez pointé la grogne et le malaise des professionnels de santé ; mais il faut aussi reconnaître ce qui fonctionne bien, grâce à l'investissement du personnel. Les progrès techniques sont intégrés tous les jours dans le système de soins, dont la qualité est reconnue. Il y a une juste mesure à trouver, sans pour autant négliger les points sur lesquels il faut travailler.
Nous avons dégagé, à la DGOS, différents éléments de diagnostic et axes de travail. D'abord, l'évolution de la gouvernance hospitalière autour des pôles a éloigné la gestion de la cellule de base qu'est l'équipe de soins. C'est à ce niveau que se discutent les questions d'organisation, que se résolvent les problèmes urticants liés à la désynchronisation des temps ou aux mécompréhensions entre le personnel médical et le personnel soignant ; là aussi que l'on identifie les situations d'agents en souffrance.
Les équipes conservent également une part d'autonomie et de capacité d'initiative qu'il convient de préserver. Or il est un sentiment partagé à tous les niveaux, du directeur à l'aide-soignant : celui d'une inflation des contraintes et des procédures - certification des comptes, indicateurs de qualité, baromètres, etc. Certes, il y a de plus en plus de cadres administratifs, mais le problème est surtout l'augmentation des tâches administratives incombant aux soignants eux-mêmes. C'est pourquoi la ministre a demandé une réflexion sur la pertinence des procédures administratives, sous l'angle du rapport coût-bénéfice : les informations collectées sont-elles toujours réellement utiles ? L'objectif est toujours le même : rendre un peu de temps, d'autonomie et de prise sur l'organisation du travail au personnel.
Pendant longtemps, l'idée que la société ou que la profession elle-même se faisait de l'activité médicale a conduit à soustraire les médecins des règles communes de gestion des ressources humaines à l'hôpital. Le renouvellement générationnel, les changements sociétaux - en matière de temps de travail, de besoin de considération, d'équilibre avec la vie familiale - ont depuis rapproché les attentes des médecins de celles des autres agents hospitaliers. Nous en tenons compte dans la conduite du plan d'action sur l'attractivité médicale en complétant la gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences par un travail sur le suivi médical, la formation, l'accès aux oeuvres sociales, etc.
Un mot sur le management et la gestion des équipes...
C'est en tout cas une question cruciale. Il ne s'agit pas de dire que les directeurs d'hôpitaux ou les cadres soignants ne sont pas formés à la gestion d'équipes - les médecins, eux, ne le sont pas, c'est entendu -, mais qu'il est nécessaire d'enrichir l'offre de formation initiale et continue en la matière. On ne naît pas manager, c'est une compétence que l'on développe tout au long de sa carrière.
L'amélioration de la qualité de vie au travail nécessite une implication des gestionnaires au plus haut niveau, dans une logique, comme l'ont dit Gérard Cotellon et Véronique Ghadi, de performance sociale. Celle-ci ne reposera pas seulement sur l'efficience économique, mais aussi sur la qualité des soins et la qualité de vie au travail...
En la matière, le chemin à parcourir est encore long, mais le regard sur ces questions est en train de changer. Il faut quoi qu'il en soit l'inscrire dans les priorités au plus haut niveau de gestion : ARS, directions d'établissement, services.
Le ministère a déjà lancé deux plans sur la médecine du travail. Nous essayons de renforcer l'attractivité de cette spécialité, qui est la dernière choisie par les étudiants. Le problème est donc plus généralement le déficit de médecins du travail dans notre pays, y compris dans les services de santé interentreprises. Il faudrait, au moins à court terme, élargir la réflexion aux services de santé au travail, car les réponses à apporter reposeront certes sur le suivi et la prise en charge médicale, mais aussi sur ces services, qui pourront faire appel à des préventeurs et des psychologues du travail.
Il y a en effet un problème de gouvernance à l'hôpital. La gestion en pôles a éloigné les décideurs des acteurs de terrain, et le service rendu, le travail d'équipe, ont en conséquence perdu de leur sens.
Je rejoins M. Albertone pour dire que notre système hospitalier fonctionne plutôt bien ; pour les personnels hospitaliers, leur métier reste une vocation et soigner des gens, une fierté. Cependant, les conditions de travail se sont dégradées ces derniers temps. L'hôpital Necker-Enfants malades, où j'exerce, est loin d'être le plus mal loti, c'est même une vitrine de l'excellence française, mais de nombreuses préoccupations ont émergé, et trop nombreux sont mes collègues, médecins ou paramédicaux qui, fatalistes, jettent l'éponge. C'est ce qui a motivé mon engagement au sein de la commission médicale d'établissement (CME) de l'AP-HP.
La question des moyens est incontournable. Nous manquons d'infirmières. La croissance de l'Ondam a été ralentie, et cela se voit. Or, des économies pourraient être faites ailleurs que sur les ressources humaines : sur les médicaments, sur le transport sanitaire - qui coûte 3 milliards d'euros par an à l'AP-HP par exemple.
Nous n'avons pas d'outil sérieux d'évaluation de la charge de travail - des infirmières par exemple. Toutes les entreprises en ont...
À l'hôpital en tout cas, ces outils sont insuffisants.
Certaines spécialités pâtissent d'un véritable déficit d'attractivité, comme l'anesthésie, la radiologie, la chirurgie. De plus en plus de médecins de l'AP-HP rejoignent des structures dotées de plus de moyens, où ils sont mieux payés.
Autre problème : le turnover du personnel, surtout dans les services très spécialisés comme le mien ; la néphrologie pédiatrique traite en effet de maladies rares, ce qui nécessite des agents expérimentés. Or, si les médecins ne bougent guère, les infirmières, elles, bougent trop. Il y a vingt ans, plus de la moitié d'entre elles avaient au moins dix ans d'ancienneté, ce qui facilitait la formation et l'encadrement des plus jeunes. Leur ancienneté moyenne est désormais de l'ordre de trois ans. Fidéliser les infirmières dans les services très spécialisés doit être une priorité. Cela passe par la qualité de vie au travail ou le salaire. En effet, 1 200 euros par mois, lorsque l'on travaille à Paris, c'est peu, et les plus jeunes, qui pouvaient supporter plusieurs heures de transport quotidien pour se rendre dans un établissement prestigieux comme Necker, y renoncent lorsqu'elles ont des enfants. Je sais que vous avez déjà commencé à réfléchir au problème du logement des infirmières. Les médecins, quant à eux, ne sont pas toujours attentifs aux conditions de travail des infirmières. Or, sans elles, les prouesses que la science leur permet d'accomplir ne servent à rien.
Un plan dit « RHPM » a été mis en place après le suicide du professeur Jean-Louis Mégnien, pour remédier à l'isolement des collègues en souffrance, qui ne savent pas à qui s'adresser. Les commissions « vie hospitalière », instaurées sous la précédente mandature, ont été généralisées dans tous les établissements - je suis moi-même membre de la sous-commission « vie hospitalière » de la CME. Nous avons proposé d'instaurer un entretien individuel annuel du chef de service avec les différents membres de son équipe, qui ne donnerait lieu ni à évaluation ni à notation, mais institutionnaliserait un temps d'échange. Nous avons en outre réactivé les conseils de service, qui doivent se tenir plusieurs fois par an, et écrit une charte du management de l'équipe médicale.
La mobilité des médecins hospitaliers est trop faible. Un médecin intègre généralement un service vers trente ou trente-cinq ans, et y fait le restant de sa carrière. Cela pose problème lorsque le chef de service ou le projet de service change. Aux États-Unis, les médecins sont beaucoup plus mobiles au cours de leur carrière. C'est en partie un problème culturel : les médecins doivent comprendre que changer d'établissement, même temporairement, peut être enrichissant. L'AP-HP a pourtant la taille nécessaire pour organiser des échanges en son sein. J'ai moi-même reçu pour quatre mois dans mon service, en remplacement d'une collègue partie en congé de maternité, une chef de clinique d'un hôpital concurrent, et l'expérience s'est révélée très enrichissante.
Absolument, les nominations procédant encore de cooptations... Nous devons changer de modèle.
De même que la qualité de vie au travail, la qualité de management des cadres, dirigeants ou intermédiaires, a un impact sur la prise en charge des patients. D'où le plan « cadres », lancé par l'AP-HP en septembre 2015, qui aborde tous les aspects - conditions matérielles d'exercice, encadrement et gestion des équipes... Les cadres de l'AP-HP ne sont d'ailleurs pas évalués uniquement sur leurs qualités de gestionnaires, mais aussi sur leur capacité à animer une équipe et à faire vivre le dialogue social, avec le personnel et leurs représentants. Nous leur demandons en outre d'interroger le personnel pour intégrer dans l'élaboration de leur projet les contraintes et les charges qui pèsent sur eux.
La dernière semaine du mois de juin sera dédiée à la santé et à la sécurité au travail. Nous demanderons à l'ensemble du personnel exerçant des responsabilités hiérarchiques, tout au long d'une journée dédiée, de prendre des initiatives pour diminuer la pénibilité au travail.
L'attractivité de certaines fonctions et la fidélisation du personnel sont de vrais problèmes. C'est pourquoi nous travaillons également sur l'équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle de nos agents, majoritairement des femmes. Nous avons par exemple une forte politique de la petite enfance, dont l'organisation est adaptée aux rythmes des agents hospitaliers, puisque nos crèches sont ouvertes de 6 heures 15 à 21 h 30. Notre gestionnaire des oeuvres sociales porte un regard particulier sur les familles monoparentales, nombreuses en région parisienne, auxquelles une aide concrète est apportée. Nous développons aussi le télétravail, surtout à l'attention des cadres qui s'acquittent de leur travail administratif depuis leur domicile ; une charte spécifique a été rédigée sur la base du décret du 11 février 2016.
Nous regardons enfin de très près le phénomène d'absentéisme, qui n'est toutefois pas plus élevé à l'AP-HP que dans les autres CHU français.
Non, le taux d'absentéisme à l'AP-HP est plus proche de vingt-cinq jours par an, ou 8,5 %. Une chose nous préoccupe : l'absentéisme de longue durée, c'est-à-dire supérieur à cinq jours, est en augmentation. Nous travaillons avec l'Anact pour éviter le décrochage de ces personnes du monde du travail - j'ai ainsi connu le cas d'un agent cumulant près de 130 jours d'absence dans l'année -, en regardant notamment s'il existe des déterminants sociaux de l'absentéisme propres au personnel de l'AP-HP. J'ai par exemple découvert en consultant notre système d'information RH que 1 500 agents de l'AP-HP habitaient à une distance de 150 à 300 kilomètres de leur lieu d'affectation, ce qui n'est pas sans conséquence sur le logement ou le temps de transport... Sur la qualité de vie au travail comme sur l'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, nous pouvons encore progresser.
En matière de démarches participatives, le professeur Philippe Colombat a montré l'intérêt des staffs pluridisciplinaires, inspirés de pratiques déjà anciennes en psychiatrie. Cela permet d'améliorer la qualité de vie au travail et la fidélisation des équipes - qui contribue beaucoup, je rejoins les orateurs précédents, à la qualité des soins.
Un métier n'a pas encore été évoqué : celui de directeur des soins. Celui-ci fait le lien entre l'administration et les soignants, le médical et le paramédical, le hiérarchique et le fonctionnel. Faute de candidats, il n'y en a que 800 en France, ce qui n'est pas suffisant. Les travaux conjoints entre le directeur des soins, le président de la commission de soins et la CME traitent à la fois des activités de soin et de l'animation des équipes.
Oui, mais leur nom a changé en 2002. Ce changement de nom n'est d'ailleurs pas anodin : l'infirmière générale était connue des agents ; plus personne n'identifie, hélas, le directeur des soins.
L'encadrement de proximité est devenu difficile, car le cadre de santé, le manager, l'animateur, le responsable de proximité - peu importe le nom qu'on lui donne - gère désormais jusqu'à 70 ETP sur plusieurs sites, ce qui n'est pas sans incidence sur sa présence auprès des équipes, leur pilotage et leur accompagnement. Bref, nous gagnerions à investir dans un maillage plus fin du réseau des responsables de proximité.
Les outils d'évaluation de la charge de soins existent, tels les soins infirmiers individualisés à la personne soignée (SIIPS) portés par les CHU, ou le projet de recherche en nursing (PRN) développé dans les soins de suite et réadaptation ou la psychiatrie. Ils existent depuis vingt ans, sont performants, et permettent de distinguer les soins directs des soins indirects, mais sont sous-utilisés, faute d'être intégrés à un système d'information. En conséquence de quoi l'évaluation de la charge en soins, que le personnel paramédical sait faire, et qui se trouve souvent dans les dossiers des patients, dépend de saisies manuelles.
Nous préférons parler de présentéisme plutôt que d'absentéisme. En effet, si chacun connaît son nombre de jours de congés ou d'absence, peu d'agents savent dire combien de jours ils travaillent. Or cette approche permet de mieux cerner ce que l'on fait au travail : est-ce un moment de production de soins sous contraintes, une occasion d'épanouissement ? Mon travail est-il soumis à des échéances claires ou suis-je tenu de naviguer à vue ? Quand mon investissement sera-t-il reconnu ?
Soignante de formation, je sais que nos agents sont fatigués, et que cette fatigue est liée au manque d'écoute directe des agents, en dehors des instances organisées de dialogue social.
Vous avez raison sur l'évaluation de la charge de travail, les outils existent - et je suis d'ailleurs très investi au sein de la CME centrale pour les informatiser. Mais leur développement insuffisant s'explique aussi par le risque de s'apercevoir qu'il manque, ici ou là, du personnel... Ce n'est la faute ni de M. Cotellon ni de M. Hirsch, car il est demandé à l'AP-HP de faire des économies, et celles-ci sont en partie faites sur la masse salariale du personnel paramédical.
L'hôpital public a su maîtriser ses coûts en dépit de la progression constante de son activité depuis plusieurs années, grâce à l'implication de l'ensemble des professionnels. La qualité de vie au travail doit être portée au plus haut niveau, et pour la FHF, rien n'est pire que de défendre cet objectif tout en alourdissant les contraintes qui pèsent sur les établissements. Les réorganisations ne doivent pas être imposées, mais pensées avec les équipes dans un esprit de co-construction et de dialogue. Nous déplorons la ponction de 300 millions d'euros sur les fonds de l'Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier - 150 millions d'euros avaient toutefois été rétablis en première lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale au Sénat -, qui ne sera pas sans conséquence sur la formation des soignants, alors que la mise en place des groupements hospitaliers de territoire la rend plus que jamais nécessaire.
La FHF défend prioritairement la santé et la sécurité des professionnels. Il faut pour cela engager un virage managérial à l'hôpital. La stratégie ministérielle était attendue, mais il faut aller plus loin, notamment sur la formation des médecins au management, qui doit pouvoir être reconnue au titre de la formation médicale et s'articuler avec les obligations de développement professionnel continu. La situation de la médecine du travail à l'AP-HP est catastrophique ; pour tenir compte des spécificités des professionnels de santé, nous aurons besoin de davantage de médecins du travail...
L'absentéisme dans la fonction publique hospitalière est comparable à celui du secteur privé hospitalier, en tenant compte des congés de maternité. La FHF a été force de proposition, puisqu'elle a mis en place des outils de prévention de l'absentéisme : nous avons lancé le projet hospitalier absentéisme recherche efficience et organisation santé au travail, ou PHARES, kit spécifique distribué dans les établissements, et diffusons les bonnes pratiques en matière de projet social médical. Nous ambitionnons d'aller plus loin en accompagnant les établissements.
Le problème ne réside pas dans la pertinence des réformes - 35 heures, virage ambulatoire, pôles, T2A, etc. -, mais dans leur mise en oeuvre. La chirurgie ambulatoire, par exemple, change en profondeur le travail des infirmiers : davantage de tâches administratives leur incombent, ce qui, disent-ils, leur fait perdre le sens de leur travail. En effet, le patient quitte l'établissement après l'opération sans avoir été complètement guéri ; les agents ne peuvent manquer de se demander s'ils ont rempli correctement leur mission, ce qui les leste d'une forte charge émotionnelle. Si nous ne développons pas les espaces de discussion permettant aux agents d'évoquer ce qu'est devenu du « travail bien fait », nous allons dans le mur. Arguer que nous n'en avons pas le temps ou les moyens n'est pas convaincant : nous en gagnerions en permettant aux agents de s'exprimer sur ces questions.
La responsabilité de ces bouleversements est partagée à tous les niveaux. Le cadre intermédiaire a déserté la scène de travail, car il lui faut rendre des comptes au directeur d'établissement, renseigner tels indicateurs dans l'ordinateur, préparer le travail de certification... Nous réfléchissons à proposer une médicalisation de la certification, afin d'alléger la charge de travail des établissements et de redonner du sens au travail de chacun, ce qui stimulerait l'investissement professionnel.
Je confirme à Mme Malherbe que nous faisons la même analyse pour les établissements médico-sociaux. À ce propos, veillons également à ce que les réorganisations des établissements de santé ne se répercutent pas sur la qualité de vie au travail des autres professionnels, libéraux par exemple.
Merci à tous. Nous auditionnerons la semaine prochaine les syndicats des infirmiers et la semaine suivante les syndicats des médecins hospitaliers.
Nous examinons à présent le rapport de M. Gilbert Barbier sur la proposition de loi visant à mettre en place une stratégie nationale d'utilisation du transport sanitaire héliporté.
De manière quelque peu poétique, mais aussi très pratique, le professeur Pierre Carli, médecin-chef du Samu de Paris, m'a confié lors son audition que « chaque hélicoptère du Samu a son histoire ».
Nous le savons, dans nos collectivités, le financement par les hôpitaux de rattachement des structures mobiles d'urgence et de réanimation (Smur), qui sont les équipes d'intervention des Samu, permet rarement la location d'un hélicoptère dédié. Ce sont donc les collectivités - les villes, les départements, les régions, plusieurs d'entre elles ou une seule du fait d'un maire ou d'un président particulièrement impliqué - qui permettent de réunir le financement nécessaire pour doter l'équipe d'urgence de moyens héliportés.
Il y a en France, à l'heure actuelle, 45 hélicoptères affectés aux Samu. Ils exercent deux types de missions. Les missions dites de soins primaires impliquent de se rendre sur le lieu de la prise en charge des personnes malades ou blessées pour assurer leur transport vers les services d'urgence. Les missions dites secondaires, ou plus exactement de second temps, sont celles du transport des patients entre hôpitaux pour une prise en charge adéquate ; ces transports ne sont pas nécessairement urgents et peuvent être programmés. Néanmoins, la distinction entre les deux missions doit être relativisée, car certains patients sont d'abord dirigés vers l'hôpital le plus proche pour y être stabilisés, diagnostiqués, avant d'être éventuellement orientés par hélicoptère, en fonction de l'urgence, vers l'établissement disposant du plateau technique adapté à leur état.
Le double impératif de qualité optimale des soins prodigués et de sécurité entraîne nécessairement la concentration des plateaux techniques très spécialisés sur quelques hôpitaux universitaires ou généraux et, par là même, renforce le besoin en moyens de transport médicalisés et rapides. L'attractivité de l'hélicoptère est donc forte.
Les moyens en hélicoptères sont cependant mal répartis et le mode de financement des heliSmur rend leur gestion complexe. Les appareils sont loués à des entreprises qui assurent l'entretien technique et emploient les pilotes. Les possibilités techniques de ces appareils, ainsi que le niveau d'habilitation des pilotes, restreignent souvent l'usage qui peut en être fait.
Les médecins régulateurs des Samu, qui sont les seuls à pouvoir décider d'une intervention médicale d'urgence, ont donc régulièrement recours aux autres hélicoptères de secours disponibles, essentiellement ceux de la sécurité civile. Les hélicoptères de la gendarmerie n'interviennent en effet pour les secours à personne que dans le cadre historiquement délimité du secours en haute montagne.
La question qui se pose est essentiellement celle de l'articulation entre les heliSmur et les hélicoptères de la sécurité civile. On estime en effet que près de la moitié des hélicoptères de la sécurité civile sont en pratique employés pour des activités de transport sanitaire. Ce sont des appareils plus polyvalents avec des pilotes hautement entraînés et habilités notamment au vol de nuit.
Si le Samu peut donc faire appel aux hélicoptères de la sécurité civile, il ne peut en disposer à sa guise. Les appareils ne sont pas forcément basés à proximité des hôpitaux et, surtout, ils sont prioritairement affectés aux missions de sécurité civile pour lesquelles ils ont été créés, et donc pas toujours disponibles.
Tant du côté des Smur que de celui de la sécurité civile, on appelle logiquement à une rationalisation de l'implantation et de l'emploi des hélicoptères en matière sanitaire. L'important travail que nos collègues Catherine Troendlé et Pierre-Yves Collombat ont fait pour la commission des lois sur l'aide à la personne plaide en ce sens. C'est aussi l'objet de la proposition de loi de mes collègues Alain Bertrand, Jacques Mézard et des membres du groupe du RDSE dont nous sommes saisis aujourd'hui.
Celle-ci s'inspire des travaux du Conseil national de l'urgence hospitalière (CNUH) que préside le professeur Carli. Il s'agit essentiellement de confier aux ARS la gestion de l'implantation et de l'emploi de tous les hélicoptères participant au transport sanitaire dans le cadre d'un contrat national, afin de permettre la mise en oeuvre de l'accès aux soins, et pas seulement aux services d'urgence, en moins de trente minutes.
Cette proposition de loi pose effectivement une vraie question, mais ne peut être adoptée en l'état. D'abord, notre commission a déjà donné un avis défavorable à ce texte, présenté sous forme d'amendement au PLFSS. Présenté à nouveau dans le cadre du projet de loi Montagne, et quoiqu'adopté par le Sénat contre l'avis de la commission du développement durable saisie au fond et celui du Gouvernement représenté par le ministre Jean-Michel Baylet, il n'avait pas été retenu dans le texte de la commission mixte paritaire.
Ensuite, sur le fond, gardons-nous de la tentation d'un « hélicentrisme » exagéré. Tous les acteurs en sont d'accord : l'hélicoptère n'est qu'un moyen parmi d'autres pour le transport sanitaire et, même dans les cas d'urgence, il n'est pas toujours le plus approprié. Accessoirement, il est relativement coûteux. Entre le moment où le médecin régulateur des urgences reçoit l'appel et celui où l'hélicoptère peut arriver sur les lieux, plusieurs retards peuvent se cumuler : il faut savoir où se trouve l'hélicoptère du Samu ou celui de la sécurité civile, et dans ce cas combien de temps il lui faudra pour embarquer une équipe Smur, et si les conditions météo et la situation géographique lui permettront de voler et de se poser. Bref, l'avantage sur les véhicules terrestres n'est pas toujours établi. De nuit, donc lorsque seuls les hélicoptères de la sécurité civile peuvent voler, le transport par un véhicule du Smur peut, quand les routes sont dégagées, aller plus vite qu'un hélicoptère indisponible dans l'immédiat.
Il faut donc utiliser l'hélicoptère là où il présente un avantage évident et on ne peut l'envisager indépendamment des transports sanitaires terrestres. Inversement, si l'engagement de rendre partout sur le territoire les soins urgents accessibles en moins d'une demi-heure se justifie par des raisons sanitaires, il n'est pas pertinent pour les déplacements programmés entre hôpitaux. Or la proposition de loi ne pose pas ces distinctions de manière suffisamment claire.
La solution d'une gestion des transports sanitaires héliportés par les agences régionales de santé dans le cadre d'un contrat national aboutit de fait à transférer une part importante des hélicoptères de la sécurité civile aux Samu. Cette solution a le mérite de la cohérence sur le plan sanitaire, mais elle est difficilement acceptable sur le terrain.
Enfin, sur la forme, les mesures proposées relèvent plus certainement du niveau réglementaire.
La question de la gestion des hélicoptères chargés du transport sanitaire appelle pourtant une réponse du législateur. La solution la plus adaptée au plan législatif me paraît être celle préconisée par nos collègues Troendlé et Collombat dans leur rapport. Il s'agirait de mutualiser les hélicoptères au moyen d'un service rattaché au Premier ministre et ne dépendant donc ni du ministère de l'intérieur ni de celui de la santé. La gestion des hélicoptères serait faite à l'échelon le plus adéquat, sans doute la région. Les objectifs assignés à ce service seront ainsi d'assurer le maillage territorial et de garantir l'accès aux urgences en moins de trente minutes. C'est l'objet de l'amendement de réécriture que je vous présenterai, dont l'adoption nous permettrait d'adopter cette proposition de loi.
Certains territoires sont-ils plus que d'autres privés du recours aux hélicoptères ? Les conséquences financières de cette proposition de loi ont-elles été évaluées ? En toute hypothèse, l'amendement du rapporteur me semble être la meilleure solution pour offrir des solutions héliportées sur l'ensemble du territoire.
Ce texte soulève un problème sanitaire, territorial - celui des zones rurales et hyper rurales -, mais aussi de moyens. S'il s'agit d'améliorer les choses à moyens constants, l'amendement du rapporteur est en effet un bon compromis, et permettrait de poursuivre la réflexion sur la mutualisation des moyens entre les Smur et la sécurité civile.
Je remercie le rapporteur de son rapport très mesuré. J'en retiens trois choses importantes : chaque hélicoptère a son histoire, gardons-nous de toute forme d'hélicentrisme, et son amendement de compromis. Confier à un service du Premier ministre la mutualisation des hélicoptères semblera, en effet, à quiconque connaît la rivalité qui oppose les « blancs » et les « rouges » une solution fort sage...
Je connais bien ce sujet, car le Samu d'Arras dispose d'un hélicoptère sanitaire payé par le ministère de la santé - auquel toutefois, à ses débuts, le département du Pas-de-Calais avait également contribué. M. Barbier a raison d'indiquer que les missions primaires sont très contraintes par la météo et le balisage du terrain. Mais je ne peux le rejoindre sur les missions secondaires par hélicoptère : celles-ci sont plus que souhaitables, de jour comme de nuit, dans un département comptant 1,5 million d'habitants, dépourvu de centre hospitalo-universitaire et très étendu géographiquement... Il n'est d'ailleurs pas exact que seuls les hélicoptères de la protection civile volent la nuit : ceux du Samu du Nord et du Pas-de-Calais le font également.
Si on ne peut donc pas exclure le recours à l'hélicoptère en zone rurale ou hyper rurale, il est vrai que ce ne peut être la seule solution, et qu'elle est fragile, surtout lorsqu'il faut récupérer l'équipe du Smur - je le sais d'expérience. L'amendement du rapporteur me semble être une solution intelligente.
Je rejoins le rapporteur : l'hélicoptère est un outil parmi d'autres. En cas d'intervention primaire, au médecin régulateur de décider, sur la base des informations qui lui sont données par le médecin traitant ou les pompiers, qui doit intervenir sur le terrain. Le transport par hélicoptère en zone rurale ne pose aucun problème si le terrain est balisé par les sapeurs-pompiers. Si c'est la sécurité civile qui intervient, l'hélicoptère doit être mis au service du médecin régulateur ; à lui d'en disposer dans les meilleurs délais.
Le cas des missions secondaires est différent, puisque le patient est stabilisé. Au médecin des urgences et au médecin régulateur d'indiquer comment effectuer la jonction entre l'hôpital secondaire et le CHU.
Élu d'un département concerné par le secours en montagne, je sais que le recours aux hélicoptères donne parfois lieu, sur le terrain, à des affrontements... Ce texte pourrait être l'occasion d'améliorer les relations entre la gendarmerie et la protection civile, dont la concurrence peut porter préjudice aux patients. Il y a certainement des clarifications à apporter dans le partage des prérogatives respectives du ministère de la défense et de l'intérieur.
Le vrai sujet à l'origine de cette proposition de loi est la généralisation de l'accès aux soins d'urgence en moins de trente minutes. Pour nous autres hyper-ruraux, c'est un vrai problème : nous ne sommes pas capables, pour l'heure, d'offrir une réponse dans un délai si court. Dans la Nièvre, le premier CHU, qu'il s'agisse de celui de Dijon, de Clermont-Ferrand ou de Paris, est à trois heures de route, et ce n'est pas sans lourdes conséquences sur la prise en charge des accidents vasculaires cérébraux.
La régionalisation de la gestion des appareils soulève une autre difficulté, que lève l'amendement du rapporteur : certains territoires en bordure de région auraient plus intérêt à se tourner vers la région voisine que vers celle dont ils dépendent administrativement.
Je partage les avis de tous les orateurs précédents. Le texte de la proposition de loi a déjà été repoussé deux fois et ne me semble pas permettre d'atteindre les buts recherchés. L'objectif des trente minutes est impossible à remplir dans de nombreux territoires, ce qui fait encourir des risques mortels pour les patients - en cas d'accident vasculaire cérébral, par exemple.
D'aucuns ont évoqué la concurrence entre la sécurité civile et la gendarmerie. En Isère, les choses ne se passent pas trop mal ; les hélicoptères sont très utilisés pour les cas urgents, et chacun peut identifier qui, des « bleus » ou des « rouges », survole nos têtes.
Bref, je suis tentée de voter la proposition réaliste du rapporteur, mais elle ne me semble pas non plus atteindre les buts des auteurs de la proposition de loi. Les positions des membres du groupe du RDSE pourront sans doute converger d'ici à la séance publique !
Comment le seuil de trente minutes a-t-il été calculé ? Je comprends l'amendement de compromis du rapporteur, mais il ne règle rien, au contraire : le délégué interministériel chargé de cette mutualisation sous l'autorité du Premier ministre sera lui aussi tenu de faire des arbitrages. Je m'abstiendrai, car je sais trop bien comment ce type de dispositif marche : il ne marche pas !
Comme Mme David, je trouve cette proposition de loi intéressante, mais je ne crois pas opportun de confier la gestion de ces ressources aux ARS, et je doute que l'amendement apporte une solution aux questions de prise en charge rapide. En cas d'accident vasculaire cérébral, par exemple, le temps d'arrivée des secours sur site compte davantage que le temps d'arrivée à l'hôpital.
Dans les Pyrénées-Orientales, nous avons mis en place une plateforme commune au Samu et au SDIS, qui donne de bons résultats. Tout dépend toutefois de la bonne volonté des hommes ou des femmes à la tête, respectivement, du peloton de gendarmerie de haute montagne, des services d'incendie et de secours ou du Samu. Redéfinir les règles permettant à tous les acteurs de s'entendre - sans doute par voie réglementaire plutôt que par la loi - serait probablement plus efficace pour améliorer la prise en charge des patients.
Au risque de choquer, je conteste l'intérêt de cette proposition de loi. Nous touchons là aux limites de notre système législatif. Comment traiter tous les problèmes concrets de coordination, de territorialité, de coût dans un texte de loi ? Nous n'avons même pas d'étude d'impact !
Cette question mérite d'être traitée avec des moyens dignes du XXIe siècle et nos concitoyens voient que nous nous débattons sur les guerres de frontières entre la sécurité civile et le Smur, etc.
Je soutiendrai l'amendement du rapporteur, mais j'aurais préféré un amendement de suppression de l'article unique.
Je m'étonne moi aussi que nous en arrivions à légiférer sur l'organisation du transport sanitaire par hélicoptère. En quoi tout cela relève-t-il de la loi ? Il faudrait commencer par réfléchir aux objectifs que l'on se fixe et aux moyens nécessaires pour les atteindre avant de légiférer, comme on le fait dans les autres pays.
Je ne partage pas l'avis des deux orateurs précédents. Les propositions de loi permettent aussi d'attirer l'attention sur des problèmes graves. Nos concitoyens ne seront certainement pas choqués que nous nous préoccupions des secours d'urgence. C'est une question vitale !
Je souhaite insister sur les transports secondaires, qui ne concernent pas que des patients stabilisés. Tous les hôpitaux ne disposent pas de tous les équipements de pointe, de même que les maternités, et il faut parfois transférer des patients en urgence. Il ne faut pas minimiser l'importance du transport secondaire.
Pour que cette proposition de loi soit efficace, il faudrait peut-être prévoir une responsabilité conjointe des préfets et des directeurs d'ARS, précisée dans le cadre de chartes départementales.
L'amendement du rapporteur me paraît très clair et parfaitement adéquat. Il prévoit une gestion mutualisée des hélicoptères, coordonnée à l'échelon territorial, sous la responsabilité du médecin régulateur, qui gère seul les appels et déclenche le cas échéant l'envoi de l'hélicoptère lorsque l'urgence est confirmée.
Le transport secondaire est relativement mieux codifié.
Lorsque je présidais le conseil général de la Haute-Loire, j'avais essayé de mettre en place un hélicoptère pour le transport primaire. J'avais contacté les départements voisins du Cantal et de la Lozère pour les associer à la démarche et ils avaient refusé, alors que j'étais prêt à investir un million d'euros - le coût de l'heure d'hélicoptère est d'environ 900 euros. Je suis agréablement surpris de constater que les auteurs de cette proposition de loi sont sénateurs de la Lozère et du Cantal !
Ce dossier est d'actualité, parce que les thérapeutiques endovasculaires modernes, en particulier, exigent une intervention dans un délai de trois ou quatre heures. Les transports primaires et secondaires sont complémentaires, mais pas mutualisables, car ils relèvent de problématiques d'urgence totalement différentes.
Enfin se pose le problème de la prise en charge financière, entre hôpitaux pour le transport secondaire, entre l'État, les collectivités locales ou la sécurité sociale pour le transport primaire. La proposition de loi n'en dit rien et je remercie donc le rapporteur d'avoir déposé cet amendement qui va me permettre de voter cette proposition de loi et de ne pas m'exposer au reproche, une fois rentré en Haute-Loire, d'avoir voté contre le transport sanitaire en hélicoptère.
Enfin, nous pourrions légiférer très rapidement sur un point : la fusion des numéros d'appel d'urgence, le 15 et le 18, dans les départements. L'existence de deux numéros distincts est une source de coûts supplémentaires et d'inefficacité.
La proposition de loi soulève un vrai problème, mais je ne suis pas sûre qu'elle permette de le résoudre. Je la voterai sans grande conviction, afin que nous puissions en discuter dans l'hémicycle. La question me semble relever davantage du domaine réglementaire et je pense qu'il faudrait envisager les transports sanitaires dans leur globalité, puisque les ambulances rencontrent aussi de nombreux problèmes.
Je ne nie pas l'importance du problème, puisque j'ai également contribué à la mise en place d'un hélicoptère dans mon département. J'ai toutefois du mal à saisir le sens de ce texte et je suis plutôt proche des positions de nos collègues Savary et Cadic.
Peut-être cette question devrait-elle être étudiée dans le cadre de la Mecss ? Une vraie réflexion doit être menée, notamment pour la prise en charge financière : va-t-on indéfiniment transporter gratuitement des personnes qui vont se casser la jambe au ski ? C'est presque un choix de société !
Madame Bricq, vous avez demandé d'où venait ce délai de trente minutes. Permettez-moi de vous rappeler qu'il s'agit d'un engagement de campagne de François Hollande...
J'imagine que cette proposition était étayée.
Comme certains d'entre vous, je pense qu'une partie des questions posées par cette proposition de loi relève du domaine réglementaire. Cependant, je vous rappelle que cet article a été adopté par le Sénat lors de l'examen de la loi Montagne et n'a pas été retenu dans le cadre de la commission mixte paritaire, le Gouvernement y étant opposé.
Le délai de trente minutes est symbolique mais tout le monde souhaite que les secours d'urgence puissent intervenir dans un délai raisonnable. Le rapport du Conseil national de l'urgence hospitalière contient des cartes qui montrent la répartition des hélicoptères : ceux de la sécurité civile sont plus concentrés dans le sud-est, en raison des incendies de forêt, ceux des Smur sont plus équitablement répartis. La gendarmerie est chargée du secours aux personnes, non du transport des malades. Outre la répartition, c'est surtout la disponibilité des appareils qui peut poser problème : il faut parfois faire des choix.
Le professeur Carli insiste d'ailleurs sur le fait qu'en région parisienne, il existe aussi des problèmes de transport d'urgence - qui ne concernent donc pas uniquement l'hyper ruralité !
EXAMEN DES ARTICLES
Article unique
Le Gouvernement sera vraisemblablement défavorable à mon amendement. Je propose une coordination interministérielle, même si je connais bien le problème de l'efficacité de l'action des délégués interministériels. Toutefois, on ne peut pas confier la gestion de tous les hélicoptères aux ARS, parce que la sécurité civile refusera de participer. Un autre aspect de la question est technique : tous les hélicoptères n'ont pas les mêmes capacités de vol, en fonction de la météo, etc.
Certains souhaitent demander des études complémentaires à la Mecss, mais je vous rappelle que nous disposons déjà du rapport de nos collègues Pierre-Yves Collombat et Catherine Troendlé et d'une étude de l'Igas sur le coût des différents types de transport sanitaire, qui intéresse également la Cour des comptes, sans parler du rapport du professeur Carli.
On ne peut pas balayer purement et simplement cette proposition de loi, dont le cheminement reste incertain compte tenu du calendrier.
L'amendement n° COM-1 est adopté.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
La réunion est close à 11 h 55.