Monsieur le Président, Mes chers collègues, Messieurs, Nous poursuivons notre série d'auditions consacrées à la question : « Comment garantir un accès efficient des PME à des réseaux et services numériques ? ». Ces auditions s'inscrivent dans la continuité du rapport de notre collègue Pascale Gruny sur l'accompagnement de la transition numérique des PME. À l'occasion de ces travaux, nous avons été frappés par la répétition des « stratégies nocives » des grands opérateurs historiques dont les premières victimes sont les PME (coûts élevés pour être raccordés à la fibre, immeubles d'entreprises régulièrement « oubliés », service universel dégradé...). Le rapport soulignait également le rôle très positif joué par Kosc, nouvel opérateur neutre sur le marché de gros pour les entreprises. Aussi les récentes décisions quasi-concomitantes de l'Autorité de la Concurrence et de la Banque des Territoires nous ont interpellés car elles placent Kosc dans une situation très délicate et nous avons entendu à cet égard les vives inquiétudes des agrégateurs de réseaux et de services de télécommunication. La disparition de Kosc ou son rachat par un grand opérateur également présent sur le marché de détail serait en quelque sorte un retour en arrière et le signal qu'une meilleure concurrence sur le marché des télécoms semble quasi-impossible.
Pour alimenter notre réflexion, nous avons déjà entendu, au cours des deux dernières semaines, les représentants de Kosc, des entreprises de services numériques, la Présidente de l'Autorité de la Concurrence et le Président de l'Arcep. Même si nous comprenons les contraintes juridiques s'imposant à l'ADLC, les propos de sa Présidente ne nous ont pas rassurés car ils donnent le sentiment que l'Autorité ne prend pas en compte l'impact économique de ses décisions et qu'elle n'a pas à se préoccuper des conséquences qui affaibliraient la concurrence. Si l'on ajoute à cela des procédures d'instruction longues et des sanctions peu dissuasives, on peut avoir l'impression que l'on laisse finalement les grands opérateurs devenir des « entreprises multirécidivistes ».
Pour le Président de l'Arcep, la situation concurrentielle sur le marché télécoms des entreprises n'est pas satisfaisante et si le modèle wholesale only n'est pas le seul, il permet d'éviter les discriminations. Ce fait est confirmé par l'OCDE. Dans ce contexte, et soucieux que les acteurs publics défendent l'intérêt général dans ce domaine, nous sommes heureux de pouvoir vous entendre aujourd'hui, Messieurs. La Banque des Territoires a pour mission de cofinancer des projets d'initiatives publiques ou privées dans le domaine des services numériques, porteurs de solutions innovantes pour les territoires et le développement de la Société numérique.
Peut-être pouvez-vous commencer par nous indiquer votre stratégie dans le domaine des télécoms d'entreprises, et nous présenter vos actions passées, présentes et à venir dans ce domaine. Patrick Chaize puis d'autres sénateurs présents vous poseront ensuite leurs questions.
Je vous remercie et propose, pour démarrer cette audition, d'évoquer notre stratégie d'accompagnement à la transition numérique des PME au sein des territoires. Cette problématique se pose de manière particulièrement aiguë depuis les difficultés rencontrées par l'entreprise Kosc. Nous ne nous défausserons en aucun cas et répondrons à toutes les questions et interrogations que vous pourrez formuler.
La Banque des Territoires, créée en mai 2018, a récupéré une partie des activités anciennement dévolues à la Caisse des dépôts qui accompagne la transition numérique des territoires depuis une quinzaine d'années. Elle a elle-même accompagné le Plan France Très Haut Débit (PFTHD). . La Banque des Territoires a, à cet effet, joué un rôle majeur dans le développement des Réseaux d'Initiative Publique (RIP) en finançant une dizaine de millions de prises sur les 16 millions que compte la « zone RIP » : 6 millions ont été financés à travers nos participations en fonds propres dans un peu plus d'une cinquantaine de RIP et le reste en prêts au dispositif .. Notre première attention s'est portée sur la bonne exécution de ce Plan France Très Haut Débit. Nous avons tenté de nous comporter en investisseur avisé. Notre contribution a, à cet égard, excédé la simple valorisation de nos investissements. Nous nous sommes ainsi attachés à ce que l'ensemble des opérateurs et entreprises concernés puissent se développer de manière efficiente et que les réseaux remplissent leurs objectifs en termes de nombres de prises déployées mais aussi de délais et de qualité de service Nous sommes, au final, globalement satisfaits du cours pris par les événements, même si le déploiement numérique s'avère un combat de tous les instants.
Nous accompagnons également les territoires en aidant les collectivités territoriales à réfléchir à leur stratégie numérique. . Nous consacrons des sommes substantielles à la question de l'ingénierie, c'est-à-dire au financement d'études en amont. Ces études visent à aider les collectivités à penser leur transition numérique. Nos réflexions ont également porté sur le développement du wifi territorial, de la 5G ainsi que sur des questions d'infrastructures. Notre démarche vise ainsi à répondre, avec agilité et cohérence, aux besoins des territoires en matière d'offre numérique, notamment via un soutien au plus près aux entreprises. Nous agissons, entre autres, par le biais d'investissements dans des Corporate Ventures.
Notre soutien à Kosc s'inscrit dans le cadre de ce soutien au déploiement numérique des entreprises. Je rappelle qu'entre l'investissement de Bpifrance et celui de la Banque des Territoires, ce sont au total plus de 60 % des fonds levés par Kosc qui ont été investis par le groupe Caisse des Dépôts.
La société Kosc est tout d'abord composée d'une société-mère, Kosc Services, au sein de laquelle la Banque des Territoires n'est pas actionnaire : c'est un point essentiel pour le dossier. L'actionnariat y est réparti entre le groupe OVH, des actionnaires individuels dont le dirigeant Yann de Prince, et Bpifrance. La société est par ailleurs constituée d'une filiale créée à l'occasion de l'investissement de la Banque des Territoires, Kosc Infrastructures, dans laquelle nous sommes présents à hauteur de 24 %. J'insiste donc sur le fait que la Banque des Territoires n'est présente qu'au niveau de l'actionnariat de la filiale d'infrastructures.
C'est avec cette participation et celle de Bpifrance que vous atteignez 60 % des fonds ?
Le fléchage des 60 % s'analyse de la façon suivante : Bpifrance a investi en actionnariat mais également en prêts à la maison mère, Kosc Services ; pour ce qui nous concerne, c'est dans le cadre de notre investissement décidé en 2017, que nous avons effectivement injecté 20 millions d'euros sous forme de fonds propres pour contribuer au financement de l'infrastructure de Kosc.
Je vous ai, dans mon introduction, promis de faire preuve de la plus grande transparence. Or permettez-moi simplement de rappeler, comme vous le savez déjà, que la société Kosc se trouve actuellement en procédure de conciliation. Une certaine confidentialité entoure cette procédure.
De façon générale, notre stratégie a toujours consisté à soutenir le développement d'une offre numérique haut débit à destination des PME. En dépit des difficultés récentes rencontrées par Kosc, nous sommes toujours porteurs de cette vision. Elle explique les sommes substantielles investies par la Banque des Territoires dans l'infrastructure de Kosc.
Au cours de l'année 2019, un certain nombre d'éléments nous ont toutefois incités à une certaine prudence et convaincus de la nécessité d'un nouveau projet pour Kosc. Le premier élément est que Kosc Services n'a, pas réussi sa levée de fonds. Sans entrer dans le détail de ce point, il faut rappeler la situation de contentieux avec la société SFR, faisant peser un risque important sur la société. Le deuxième élément est le changement de stratégie du groupe OVH. J'ai lu le compte rendu de l'audition de Yann de Prince : on ne peut être que d'accord avec ses propos sur OVH. Comme il vous l'a dit 90 % du chiffre d'affaires de la société Kosc est issu d'OVH. Je ne veux pas parler au nom de ce groupe mais il y a très clairement un changement d'orientation qui fait obstacle à l'alignement actionnarial qui aurait été nécessaire pour la continuité de Kosc sans heurts.
Il est dit que la Banque des Territoires a manqué à ses devoirs fin juillet en ne suivant pas une augmentation de capital. Je tiens à rappeler que ce n'est pas la décision d'un jour et d'une personne mais le résultat d'un processus itératif entre l'ensemble des actionnaires de Kosc. Or ces derniers ne sont pas parvenus à se mettre d'accord sur un scénario de financement. C'est la raison pour laquelle son PDG a décidé de lancer cette procédure de conciliation. Cette procédure ne fait, en réalité, qu'accélérer un scénario bénéficiaire pour l'intérêt général et pour la concurrence sur ce marché. Nous pensons que Kosc a besoin, pour réussir, de s'adosser à un acteur industriel plus important qu'elle. C'est un enjeu majeur et votre Délégation le sait bien. L'adossement de Kosc à un investisseur de poids, pour des investissements pouvant s'élever à des dizaines de millions d'euros, est la condition essentielle pour la poursuite de son développement, au sein de ce marché fortement concurrentiel.
Notre conviction est donc que la situation de crise rencontrée par Kosc n'a fait qu'accélérer l'adossement de cette entreprise à un projet industriel de grande envergure. Plusieurs offres ont, dans le cadre de la procédure de conciliation, d'ores et déjà été reçues à titre préliminaire. Le conciliateur attend les offres finales, au cours du mois de novembre 2019, pour se prononcer. Nous sommes optimistes sur le fait qu'une offre, au minimum, permettra à Kosc de s'inscrire dans un nouveau scénario industriel, à la fois positif et porteur. Il s'agit de notre vision à date.
Vous pouvez, légitimement, vous interroger sur le bien-fondé d'une stratégie du « compte-gouttes » visant à instiller, au fur et à mesure des besoins, des sommes modestes dans cette entreprise et non à investir de façon plus massive compte tenu de notre vision. L'explication d'une telle stratégie s'explique par la menace actuelle posée pour Kosc par SFR, notamment la saisie conservatoire des comptes. Si la Banque des Territoires décidait de s'engager sur des investissements plus lourds, elle pourrait se heurter à un risque juridique et pourrait, de ce fait, perdre ces sommes, à moins que ces dernières n'aboutissent, au final, dans les comptes du groupe SFR.
Les jours qui viennent seront donc décisifs pour l'avenir de Kosc. Ce dossier se gère au jour le jour, pour ne pas dire heure par heure. La Banque des Territoires est certes un investisseur public, mais elle est également un investisseur avisé qui doit gérer sérieusement les fonds qui lui sont confiés. Elle continuera à jouer son rôle de soutien en essayant de trouver une sortie par le haut à ce dossier complexe.
Je vous remercie également pour votre exposé. En dépit du grand nombre de précisions apportées, je souhaiterais obtenir des informations complémentaires. Vous avez notamment déclaré que la Banque des Territoires n'était qu'un simple actionnaire parmi d'autres de Kosc. Je me permets de regretter cet état de fait. Il me semble que son ambition doit aller au-delà. Si vous m'autorisez cette métaphore dans l'air du temps, la naissance de Kosc s'est apparentée à une véritable « procréation assistée ». Au même titre que d'autres acteurs, la Banque des Territoires a été invitée à cette conception. Elle aurait dû, à cet égard, jouer un rôle prépondérant dans ce dossier.
Je m'interroge, plus globalement, sur votre vision du modèle Kosc. Ce modèle vous parait-il viable à long terme ? Si c'est le cas, comment expliquez-vous qu'on ait pu aboutir à une telle situation de crise ? La Banque des Territoires n'aurait-elle pas dû, selon vous, davantage anticiper cette situation ?
De même, avez-vous suivi au fur et à mesure de ses différents développements les difficultés rencontrées par Kosc dans ses relations avec SFR pour le transfert de Completel ? Il ne s'agit pas de dire qui porte la responsabilité de ces difficultés - à titre personnel j'estime qu'elles sont partagées - mais de savoir si vous avez été en mesure d'alerter de la situation ?
Vous avez, par ailleurs, évoqué l'aspect bénéfique, à terme, de la procédure en cours pour l'entreprise. J'y vois, au contraire, une situation potentielle de risques. Ce risque est que le modèle Kosc d'opérateur indépendant et alternatif disparaisse avec une éventuelle reprise par une entreprise intégrée. Parmi les offres de reprise que vous avez précédemment évoquées, quelles sont celles qui vous paraissent les plus pertinentes ? Au final, quel modèle serait préférable ?
Je souhaiterais également vous adresser des questions annexes au dossier Kosc. Quelle est votre vision sur l'articulation idéale entre les deux « géniteurs » ayant présidé à la naissance de Kosc, à savoir l'Arcep et l'Autorité de la concurrence (ADLC) ? Pensez-vous que ces deux acteurs fonctionnement harmonieusement ? Dans le cas contraire, que faudrait-il faire pour améliorer, le cas échéant, cette collaboration et, ainsi, favoriser la vision partagée d'un fonctionnement plus rationnel ?
Vous avez enfin évoqué le cas du groupe OVH que nous allons auditionner. Pensez-vous qu'il n'aurait pas dû être du ressort de la Banque des Territoires d'alerter Kosc sur le risque encouru par un changement drastique de stratégie de la part de l'un de ses actionnaires principaux qui détenait l'avenir de la société ?
Nous sommes, tout comme vous, attachés à dégager un modèle viable qui soit sous-tendu par une égalité d'accès au numérique dans les différents territoires. Nous nous sommes, de fait, engagés au-delà de notre seul rôle d'actionnaire. Il reste toutefois difficile d'affirmer, à ce stade, qu'il existe un modèle soutenable pour une entreprise telle que Kosc. La perspective d'élaborer un business plan demeure encore, pour nous, une interrogation.
Si je vous suis bien, vous n'avez pas encore de réponse, à ce stade, concernant la viabilité d'un modèle alternatif ?
Tout à fait. Nous en sommes encore au stade de la réflexion. Notre conviction est la nécessité aujourd'hui pour Kosc de s'adosser à un projet industriel plus solide. Nous avons dû choisir entre deux risques. Le premier était de dépenser de l'argent à perte dans des investissements hasardeux. Le second était d'adosser Kosc à un acteur industriel puissant avec le danger, afférent, d'un accroissement du processus de concentration dans le secteur des télécommunications. Sur ce point je voudrais citer le Président de l'Arcep qui indique qu'un opérateur tel que Kosc apparaît souhaitable mais non indispensable au sein de ce marché.
Ce n'est pas ce qu'il a dit lors de son audition devant nous, ni devant la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire quelques semaines auparavant. Il a précisé au contraire, que Kosc était un modèle idéal.
En tant qu'investisseurs nous n'avons pas été convaincus, à date, de la soutenabilité du business plan.. Il existe un certain nombre d'alternatives tout à fait viables au scénario de « l'ingestion » de Kosc par un grand opérateur. Un certain nombre de sociétés, aux profils des plus divers, ont fait part de leur intérêt pour le projet de reprise. Cette diversité d'offres explique notre optimisme actuel. Mais nous demeurons toujours, à ce stade, sans aucune certitude quant à l'issue de procédure de conciliation.. Vous nous avez interrogés sur la nature de l'offre de reprise qui serait, à nos yeux, la plus pertinente. Cette offre ne serait pas, selon nous, celle qui permettrait d'optimiser et valoriser les titres de Kosc Services, mais, au contraire, celle qui reposerait sur un projet solide et qui permettrait une compatibilité entre l'actuel management et celui du repreneur. Nous nous intéressons, à cet égard, à la qualité de la reprise des anciens personnels et surtout à l'élaboration du futur business plan. L'objectif, en effet, est que les actionnaires continuent, dans le nouveau contexte, à investir dans Kosc. Nous sommes d'ailleurs, à titre personnel, tout à fait enclins à continuer à investir dans cette entreprise.
Je souhaiterais, pour ma part, revenir sur la définition du modèle économique. La conviction de l'ensemble des acteurs sur ce dossier est que le modèle de départ était un modèle incertain. Je vous rappelle que Kosc est un opérateur qui utilise les infrastructures d'Orange pour délivrer à ses utilisateurs une offre sur-mesure. Or, sur la durée, cet opérateur ne peut se passer du soutien du régulateur. Cette dépendance explique la fragilité initiale de ce modèle ainsi que les nombreuses incertitudes qui pèsent aujourd'hui sur l'entreprise. J'ajoute que nous étions les seuls, au départ, à avoir financé ce projet. Mais je ne vous cache pas que ce modèle reste un modèle sous tension dont l'efficacité repose entièrement sur la constance dans le soutien du régulateur. Ce que nous pouvons espérer, à ce stade, est que la reprise de l'entreprise permette de créer des synergies avec le repreneur et que ces synergies permettent à terme, de valoriser le modèle Kosc.
L'avenir de cette entreprise me semble donc conditionné à une double contrainte : la création de synergies avec le futur repreneur et un pari sur le soutien continu du régulateur. Vous comprendrez, par ailleurs, qu'il nous est difficile, au nom de la Banque des Territoires, de porter un jugement sur l'articulation entre les différentes autorités impliquées dans ce dossier. Il s'agit, en effet, d'un dossier extrêmement technique. Il nécessite une excellente articulation entre l'Autorité de la Concurrence et l'opérateur sectoriel. Si nous ne sommes pas encore, à ce stade, en mesure d'évaluer la qualité de cette collaboration, elle nous semble, en revanche, indispensable.
J'ajoute que nous avons pleinement joué notre rôle d'alerte. De par leur expertise, nos équipes de terrain sont, en effet, très proches de l'entreprise Kosc. Il nous était, en revanche, difficile d'anticiper la réaction de l'Autorité de la Concurrence. Je ne vous cache pas qu'un certain nombre d'incertitudes pèsent sur Kosc à l'heure actuelle. Notre souhait le plus cher est que le projet de reprise permette de sortir, par le haut, de cette impasse du contentieux avec SFR.
Vous nous avez également interrogés sur notre rôle d'alerte dans ce dossier. Je précise que nous avons versé des fonds dans l'entreprise en mars 2018 et suivi, au plus près, la situation dès lors que nous avons mesuré les risques d'incertitude pensant sur Kosc. Je reconnais, en revanche, qu'il nous a fallu un certain temps pour mesurer pleinement les conséquences du désalignement actionnarial dans l'entreprise. Ce désalignement explique les freins dans la levée de fonds par la société-mère. Face à ce constat d'une impasse financière, il nous est alors apparu que la seule porte de sortie pour Kosc était d'accélérer son processus de transition plutôt que de la financer à perte, dans l'espoir de gagner du temps.
Il est indéniable qu'au départ, aucun acteur n'avait souhaité participer au financement de Kosc. Vous avez estimé qu'il aurait fallu, dès le départ, adosser Kosc à un projet industriel viable. Pour quelle raison cet adossement n'a-t-il pas conditionné le lancement du projet ?
L'idée de départ était d'utiliser les réseaux FTTH d'Orange à destination des PME. J'ajoute que l'actionnaire principal, à l'origine, était le groupe OVH. La stratégie de départ était ainsi fondée sur la rencontre entre un entrepreneur créatif, Yann de Prince, et un investisseur, en l'occurrence OVH. Ce que nous n'avions pas anticipé était que le groupe OVH puisse changer de stratégie en cours de route. Dès lors, la nécessité d'adosser Kosc à un nouvel industriel s'est imposée.
Il s'agit effectivement d'un point-clé de ce dossier. Ces revirements existent dans nombre d'entreprises. Mais il n'est pas toujours possible de les anticiper dès le départ d'un projet. Notre rôle n'a, en l'espèce, pas varié. Il a consisté à nous montrer à la fois agiles et positifs et à continuer, en dépit des aléas, à porter nos convictions. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de poursuivre notre soutien à Kosc. Nous ne sommes toutefois pas assurés, à ce stade, du devenir de cette entreprise. Nous sommes, pour le moment, en phase d'expectative. Mais, comme je vous l'ai dit, nous avons bon espoir de sortir de ce dossier par le haut.
Nous avons constaté, au cours de l'été 2019, une baisse d'investissement du groupe OVH dans ce projet. Quand je parle de baisse d'investissement, il s'agit naturellement d'un euphémisme. Leur vision, pour Kosc, est celle d'une reprise de l'entreprise par un grand opérateur. Celle de Yann de Prince, à rebours, visait à trouver un partenaire financier avec lequel il ne serait pas contraint de partager la prise de décisions.
Il est difficile, comme vous le savez, de lutter contre les forces du marché. La situation de Kosc est actuellement grevée par un certain nombre de difficultés, comme les risques inhérents à son business model, ceux liés au contentieux avec SFR ainsi qu'un certain nombre de dysfonctionnements techniques. Compte tenu de cette donne complexe, il nous est difficile, en l'espèce, d'outrepasser notre pouvoir.
Je m'interroge, pour ma part, sur la façon de recourir à vos services ainsi que les outils qui sont à votre disposition pour désenclaver certains territoires, pour l'heure exclus de l'offre numérique. Il m'apparaît, en effet, nécessaire de poursuivre ce mouvement de désenclavement en raison de l'injustice numérique qui frappe certains territoires comme le Gers. Certaines de ces zones sont, en effet, littéralement « étrillées ». Vous n'imaginez pas le coût et l'énergie qu'il faut déployer pour obtenir un minimum de débit. Nous souhaitons que le développement de la fibre permette de diminuer ce désenclavement. La Banque des Territoires serait-elle susceptible de soutenir un certain nombre de projets en ce sens et de supporter, de manière locale, certaines initiatives consistant à faire passer la fibre dans certains fourreaux disponibles à cet effet.
Nous sommes tout à fait décidés à soutenir ce type de projets. Ces soutiens sont même notre raison d'être. Nous allons examiner ces situations au cas par cas. Votre demande m'évoque nos actions passées, au moment du lancement des réseaux de première génération. Nous sommes effectivement en mesure d'agir dans la mesure où existent des fourreaux permettant, à bas coût, de faire passer la fibre et de desservir en points hauts de téléphonie certaines entreprises encore enclavées. Il nous est même permis d'envisager des infrastructures d'initiative partagée ad hoc pour ces entreprises. Ce type d'actions me semble, en revanche, plus complexe à mettre en place à destination des particuliers.
Ce volet d'accompagnement de l'infrastructure pourrait-il s'établir dans le cadre d'un partenariat ?
Oui, tout à fait.
Je me permets de rappeler que nous sommes actuellement l'opérateur de référence pour les territoires d'industrie. Nous mettrons tout en oeuvre pour tenter de lever les obstacles qui se présentent à vous. Notre mission est, en effet, d'intervenir en cas de carence des acteurs privés. Notre doctrine est, par essence, diligente. Nous intervenons à des moments critiques où le couple risque/rentabilité ne fonctionne plus. Nous nous targuons d'être des fournisseurs de solutions. Nous avons ainsi récemment voté pour la création d'une enveloppe de 26 millions d'euros à destination de l'ingénierie. Il nous est donc tout à fait possible de dégager les fonds nécessaires à ce type de projets de désenclavement sans, pour autant, mettre financièrement à genoux les collectivités.
Je souhaiterais, à présent, vous interroger sur un certain nombre de questions d'actualité. Il existe un risque non négligeable que l'entreprise Kosc cesse ses activités dans les heures qui viennent. Dans ce cas, comment une telle transition se gère-t-elle ? Plusieurs PME utilisatrices pourraient-elles se voir, de fait, pénalisées par une telle cessation d'activité ? Quels remèdes et garanties la Banque des Territoires fournit-elle pour assurer le maintien du service pour les entreprises partenaires ? Si le modèle Kosc ne s'avère, au final, pas viable, quel modèle général doit-on promouvoir pour éviter à ces entreprises utilisatrices d'être pénalisées ?
OVH s'est déclaré soucieux d'assurer une continuité de services. Nous sommes, pour notre part, disposés à assurer cette continuité de services en accord, naturellement, avec les autres actionnaires de l'entreprise. Mais ce support se heurte malheureusement à un certain nombre d'obstacles juridiques, notamment ceux liés aux actions en cours et la saisie des comptes par le groupe Altice.
En dépit de ces obstacles, nous sommes pleinement confiants dans une reprise de Kosc. Une continuité de services sera, dès lors, assurée par le repreneur qui s'adressera, à cet effet, à l'administrateur judiciaire. Il ne devrait donc pas, à mon sens, se produire de rupture de services pour les clients et entreprises-partenaires de Kosc. J'ajoute que ce type de situations n'est jamais advenu. Même si le scénario se présente de manière compliquée pour les actionnaires, je n'ai aucun doute sur le fait que le groupe OVH fera tout son possible pour éviter une rupture de réseaux. Nous croyons, plus généralement, à la pérennité du modèle Kosc, dans la mesure où, comme je l'ai dit, l'entreprise s'adosse à un acteur industriel puissant afin qu'elle puisse, avec lui, créer un certain nombre de synergies efficientes.
Non. Ce modèle économique est toutefois tributaire des conditions de marché ainsi que de l'accès aux infrastructures d'Orange.
Orange pourrait-il profiter de cette situation de crise pour faire monter les enchères ?
Si Kosc n'est pas en mesure d'obtenir l'appui du régulateur, elle se retrouvera alors dans une impasse. Elle a tout de même bénéficié jusqu'ici de plus de 70 millions d'investissements.
Nous croyons toujours à la reprise de l'entreprise par un industriel. La marge de Kosc me paraît, en effet, suffisante pour que son business model, s'il est bien exécuté, soit viable à court et moyen terme. Nous mettons tout en oeuvre pour assurer la viabilité de ce modèle dans lequel nous croyons.
J'ajoute que les dirigeants de Kosc n'ont pas eu de propos indélicats à l'égard d'Orange. Ils nous ont même assuré qu'il s'agissait d'un partenariat viable. Je vous remercie pour la qualité de cet échange.
Monsieur le Président, Mes chers collègues, Messieurs, nous poursuivons notre série d'auditions consacrées à la question : « Comment garantir un accès efficient des PME à des réseaux et services numériques ? ». Ces auditions s'inscrivent dans la continuité du rapport de notre collègue Pascale Gruny sur l'accompagnement de la transition numérique des PME. A l'occasion de ces travaux, nous avons été frappés par la répétition des « stratégies nocives » des grands opérateurs historiques dont les premières victimes sont les PME (coûts élevés pour être raccordés à la fibre, immeubles d'entreprises régulièrement « oubliés », service universel dégradé...). Le rapport soulignait également le rôle très positif joué par Kosc, nouvel opérateur neutre sur le marché de gros pour les entreprises. Aussi les récentes décisions quasi-concomitantes de l'Autorité de la Concurrence et de la Banque des Territoires nous ont interpellés car elles placent Kosc dans une situation très délicate. La disparition de Kosc ou son rachat par un grand opérateur également présent sur le marché de détail serait en quelque sorte un retour en arrière et le signal qu'une meilleure concurrence sur le marché des télécoms semble quasi-impossible.
Pour alimenter notre réflexion, nous avons déjà entendu au cours des deux dernières semaines les représentants de Kosc, des entreprises de services numériques, la Présidente de l'Autorité de la Concurrence, le Président de l'Arcep et à l'instant la Banque des Territoires. Pour le Président de l'Arcep, la situation concurrentielle sur le marché télécoms des entreprises n'est pas satisfaisante et si le modèle wholesale only n'est pas le seul, il permet d'éviter les discriminations. Ce fait est confirmé par l'OCDE.
Dans ce contexte, et soucieux de l'intérêt général dans ce domaine, nous sommes heureux de pouvoir vous entendre aujourd'hui, Messieurs. OVH est un acteur privé majeur dans le domaine du numérique. Peut-être pouvez-vous commencer par nous indiquer votre stratégie dans le domaine des télécoms d'entreprises, et nous présenter vos actions passées, présentes et à venir dans ce domaine, ainsi que leur impact sur l'écosystème. Patrick Chaize, président du groupe d'étude sur le numérique, puis d'autres sénateurs présents vous poseront ensuite leurs questions.
Je souhaiterais, pour commencer, vous remercier de nous accueillir dans le cadre de ces auditions. J'ajoute, de manière liminaire, que le groupe OVH s'appelle désormais OVH Cloud. 75 % de notre chiffre d'affaires est, en effet, corrélé au cloud. Le cloud, comme vous le savez peut-être, ce sont de grands data centers qui permettent la gestion ainsi que le stockage de données pour le compte d'acteurs significatifs tels que des éditeurs de logiciels, des intégrateurs de systèmes - nous avons ainsi des partenariats avec CAP, Sopra ou Accenture, ou directement avec de grandes entreprises mais surtout avec des PME. Ces dernières représentent le coeur de cible historique du groupe. Nos services s'adressent à environ 1,5 million de clients dans le monde, notamment via notre activité d'hébergement de sites internet. Nous sommes d'ailleurs responsables de l'hébergement d'un tiers des sites en France, qui sont pour l'essentiel ceux de PME. Nous sommes très attachés à garantir l'accès des PME à des services numériques de qualité. Nous pensons qu'OVH a modestement contribué à cet objectif grâce aux différentes composantes de notre offre : l'accès à des tarifs extrêmement compétitifs, et à des services à la fois très innovants et très modernes. Nous visons toujours le meilleur rapport entre la performance, l'innovation et les prix.
Au-delà de l'activité d'hébergement, nous sommes également présents dans le cloud. Dans le cadre de cette activité, nous nous situons dans le « top 10 » mondial. J'ajoute qu'au sein de ce classement, nous sommes, malheureusement, la seule entreprise européenne. Il s'agit, selon nous, d'un véritable sujet de souveraineté nationale. Nous avons la ferme intention de tenir notre rang d'acteur européen majeur et influent dans un secteur aujourd'hui phagocyté par les Américains et les Chinois. Notre objectif est de fournir aux PME et TPE les solutions les plus innovantes dans le domaine du numérique, et plutôt dans le cloud. Je précise que nous ne sommes plus un opérateur de télécommunications.
Cela date d'avant mon arrivée, il y a 4 ou 5 ans. OVH a alors décidé de confier ses clients et son réseau à Kosc, qui est aujourd'hui notre fournisseur de prestations de réseau. Ce n'est donc pas le coeur de notre activité. Puisque ce dernier était une alternative crédible d'infrastructure pour les opérateurs télécoms, il nous paraissait important de pouvoir mutualiser nos compétences et de contribuer, de fait, à l'émergence d'une concurrence dans ce secteur. C'est en ce sens que nous avons aidé Kosc ; je ne connais pas tous les détails de l'accord de l'époque. Nous sommes actionnaires car nous avons apporté un certain nombre d'actifs, mais Kosc est surtout un fournisseur pour nos clients qui ont un besoin de connectivité. Cette connectivité figure parmi les différentes options de nos services de cloud. Elle est toutefois d'un niveau modeste dans la mesure où elle ne s'adresse qu'à quelques dizaines de milliers de personnes sur nos 1,5 million de clients au total. Je précise qu'un cloud sans connectivité est inopérant. Il nous semble donc qu'une concurrence saine est essentielle pour tous les acteurs, pour pouvoir offrir une connectivité accessible sur tout le territoire dans des conditions économiques satisfaisantes. Kosc répondait à cet objectif en offrant une alternative à des acteurs beaucoup plus importants, au premier rang desquels Orange, l'acteur dominant du marché, et SFR - les autres acteurs étant beaucoup plus marginaux. C'est donc dans ce cadre qu'OVH continue à fournir des services de télécommunication sans être un acteur d'infrastructure. Elle le propose en option à ses clients sans que cela ne constitue son coeur de métier.
Je rappelle que les activités de connectivité représentent, in fine, moins de 10 % de notre chiffre d'affaires total. En outre OVH établit une ligne franche entre d'une part l'activité d'infrastructure et de connectivité, qui requiert une importante capacité d'investissement - il est sain qu'un autre acteur y contribue car nous investissons déjà 1,5 milliard d'euros en cinq ans essentiellement en France - et d'autre part les autres services (ni fibre ni DSL) que nous fournissons sur la base de notre propre infrastructure - c'est le cas par exemple de la voix sur IP, service non offert par Kosc. Nous nous focalisons donc sur les services de cloud et les options de télécommunications, mais ne sommes pas et ne souhaitons pas être un acteur d'infrastructure dès lors que nous pouvons nous appuyer sur des acteurs spécialisés dans ce domaine.
Je vous remercie pour ces précisions. Pouvez-vous, à présent, nous éclairer sur la structure du capital du groupe OVH ?
OVH est détenu à hauteur de 80 % par la famille d'Octave Klaba, le fondateur, les 20 % restants étant répartis équitablement entre deux fonds d'investissement, KKR et Towerbrook.
Je vous remercie pour cette présentation. Je souhaiterais, pour ma part, revenir sur le contexte ayant présidé, à l'origine, à votre actionnariat dans société Kosc. Pour quelle raison avez-vous opté, au départ, pour un tel partenariat ? D'après les différents témoignages que nous avons pu recueillir à l'occasion de ces auditions, il semble que le groupe OVH ait changé de stratégie depuis le début de cette collaboration. Corroborez-vous ce changement de cap ? Votre modèle initial ne correspondait-il plus à votre projet initial d'entreprise ?
Comme vous le savez, la situation présente de la société Kosc est pour le moins complexe. Les difficultés qu'elle rencontre actuellement risquent, en effet, d'aboutir à une dégradation de sa situation, susceptible d'aller jusqu'à la liquidation de l'entreprise. Notre inquiétude porte principalement sur les conséquences d'une éventuelle liquidation pour vos clients, utilisateurs des réseaux Kosc. Quelles solutions avez-vous imaginées, à cet égard, pour assurer une continuité de service aux clients ? Par ailleurs, quelles sont vos attentes relatives aux discussions en cours sur l'avenir de Kosc ? Avez-vous compris la position tenue, dans ce dossier, par la Banque des Territoires, qui a été sollicitée cet été pour pouvoir apporter un financement complémentaire ? Partagez-vous leurs options ? Enfin, de manière plus générale, le business model de Kosc vous paraît-il être un modèle viable et susceptible de répondre aux besoins des clients?
Je vais tenter de répondre, de manière organisée, à ces nombreuses questions. Pour commencer, je souhaiterais revenir sur le changement de stratégie qui nous est imputé. Je récuse fortement l'idée d'un changement de cap de la part d'OVH. Je rappelle que lorsque notre groupe a décidé de s'associer à Kosc, c'était parce qu'il avait fait le diagnostic que l'activité de connectivité n'était pas son coeur de métier et que l'existence d'un acteur spécialisé dans les infrastructures était nécessaire. Notre stratégie a, dès lors, consisté à apporter nos clients et nos actifs pour permettre à Kosc de progresser en étant focalisé sur cette activité. Tout en restant l'acteur de référence, nous avons d'ailleurs oeuvré pour que d'autres acteurs interviennent auprès de Kosc, en disant que notre finalité n'était pas d'investir de façon permanente puisqu'au contraire nous favorisions la mutualisation. Il était hors de question, dans notre plan initial, qu'OVH soit celui qui représente plus de 95% du chiffre d'affaires de Kosc comme c'est le cas aujourd'hui : notre stratégie consistait à l'aider à se développer en mutualisant, à trouver d'autres clients.
Ce modèle initial n'a pas, contrairement à ce qu'affirment certains, évolué entre-temps. Il n'a jamais changé. Nous avons toujours dit qu'OVH n'avait pas vocation à garder une position d'actionnariat forte ; nous souhaitions avoir un fournisseur fiable qui garantisse un accès à la connectivité compétitif à l'ensemble du territoire. Kosc nous semblait - et nous semble toujours d'ailleurs - capable de garantir cet objectif. Nous avons toujours indiqué notre position d' « aidant » et nous sommes aujourd'hui très inquiets pour nos clients. Ils risquent, en effet, d'être ceux qui seront les plus pénalisés par cette situation de crise. J'ajoute que nous n'avons pas, pour l'heure, de rôle actif de management - nous n'en avons jamais voulu, et sommes uniquement positionné dans un contrat clients/fournisseurs. Notre objectif, depuis le départ, est d'être de moins en moins un actionnaire et de plus en plus un fournisseur. Le schéma initial ne s'est malheureusement pas déroulé comme prévu ; nous pourrons revenir sur les causes. Nous essayons toujours de garantir la pérennité du service à nos clients avec Kosc.
Le choix opéré par la Banque des Territoires a surpris tout le monde, et, au premier chef, OVH en tant que client de Kosc mais aussi en tant qu'actionnaire. Ce n'est pas le scénario que nous avions compris, jusqu'à la veille de la décision. Nous avons été pris de court, ce que d'autres ont dû vous confirmer. Aujourd'hui notre position est très claire : nous souhaitons trouver des solutions de long terme pour nos clients. C'est notre unique préoccupation. Il nous paraît important, dans cette optique, qu'il existe des solutions alternatives aux deux acteurs dominants sur le marché des télécoms. Kosc aurait pu être cette alternative, mais son système n'a pas fonctionné - il faudrait une analyse complète pour comprendre les raisons de cet échec. Notre vocation, je le répète, est d'être des « aidants » dans la recherche de solutions pérennes pour nos clients.
Sans faire une analyse exhaustive, comment expliquez-vous ce dysfonctionnement ?
J'avais participé, avec d'autres, à l'aventure de LDCOM et à la création d'une alternative à Orange, qui possédait un monopole sur le marché. Cette expérience a montré que la clé pour réussir passe par la mutualisation avec de nombreux clients. C'est ce qui a motivé le choix d'OVH de se diriger vers un acteur spécialisé, car il est évident que le groupe OVH seul est bien incapable de constituer un opérateur alternatif aux acteurs dominants sur le marché. OVH sera toujours trop « petit » pour devenir un acteur alternatif de télécommunications. Ce n'est, d'ailleurs, aucunement son ambition. Une masse critique de clients est, à cet égard, nécessaire, pour survivre et garantir une qualité de services sur le long terme.
On pourrait discuter des raisons pour lesquelles Kosc n'a pas réussi la mutualisation nécessaire pour pouvoir rapidement créer une infrastructure alternative, ayant un effet de taille suffisant pour être pérenne à long terme. Je ne saurais dire si son échec se justifie par un manque de temps ou des distorsions de la concurrence. Le marché des télécoms est particulièrement exigeant et difficile ; encore une fois, c'est la raison pour laquelle il faut réussir à mutualiser un maximum de clients, ce que OVH est incapable de fournir, car ce n'est pas le coeur de métier de notre entreprise. OVH, par exemple, ne lance pas de campagne marketing pour son volet télécoms. Il s'agit simplement d'une option supplémentaire que nous offrons à nos clients. Sur 1,5 million de clients - qui ne sont pas tous en France - seul un petit pourcentage est aujourd'hui raccordé à la fibre.
Nous sommes convaincus que tout projet d'infrastructure pérenne nécessite la mutualisation de nombreux acteurs, comme c'est d'ailleurs le cas dans une délégation de service public. Seul ce modèle mutualisé permettra de survivre financièrement et de continuer à mener une politique d'investissements. Kosc n'a pas réussi ce pari. En revanche nous mettrons tout en oeuvre pour l'aider à trouver une solution à la fois pérenne et surtout rapide, car nous n'avons pas d'autre alternative pour nos clients. Enfin j'explique la décision de la Banque des Territoires par le caractère soudain et imprévu des événements récents. Ils n'ont fait qu'accélérer le refinancement de Kosc qui était déjà envisagé.
Quelle est aujourd'hui la nature de vos échanges actuels avec les dirigeants de Kosc ?
Nous étions avant tout, avant cette procédure, de simples clients de Kosc. Tous nos clients bénéficient, en effet, des infrastructures Kosc, même lorsqu'ils passent par les portes nationales d'Orange ou de SFR. Notre choix, au départ, était d'être des actionnaires de référence certes, mais passifs. Nous étions favorables à une recapitalisation de l'entreprise par la Banque des Territoires, car nous ne souhaitions pas investir davantage dans le projet. Nous avons aujourd'hui deux préoccupations majeures, qui sont la recherche d'une situation optimale pour nos clients et les incertitudes liées à notre position d'actionnaire.
Je vous remercie pour ces explications très éclairantes sur la situation actuelle. Le but de ces auditions est, en effet, de recueillir les informations à la source.
Il nous apparaît, plus que jamais, nécessaire d'offrir au public un maximum d'alternatives dans ce secteur. La concurrence a prouvé son utilité dans nombre de domaines, bien au-delà de celui des télécommunications. Ce postulat motive notre action d'« aidant » et il est évident que nous continuerons à agir selon cet état d'esprit constructif. En fonction du cours pris par les discussions - nous n'avons pas d'informations très claires sur les différents types de scénario, nous arrêterons notre décision et prendrons nos responsabilités. Mais, je le répète, notre objectif premier est de garantir la pérennité de service à nos clients.
Totalement. Pourquoi notre groupe confierait-il une partie de ses actifs pour les racheter par la suite ? Nous sommes actionnaires de Kosc Services, pas de Kosc Infrastructures. Un tel rachat ne répondrait donc à aucune logique puisque nous ne sommes pas opérateur d'infrastructures télécoms, ce n'est pas notre objet social. En revanche, un certain nombre de mécanismes au sein des pactes d'actionnaires autorisent certaines préemptions ainsi que la protection des actionnaires existants au moment de la vente de certains actifs. Mais cela n'implique aucun engagement, encore moins dans la filiale d'infrastructure dont nous ne sommes pas actionnaires.
Monsieur le Directeur général, Messieurs,
Vous avez souhaité être auditionné par notre Délégation et le groupe Numérique, présidé par Patrick Chaize, en indiquant que les entreprises artisanales étaient concernées par l'accès des PME à la fibre, et c'est dans ce cadre que nous avons le plaisir de vous écouter aujourd'hui. Je vous laisse immédiatement la parole afin de connaître vos préoccupations.
Je vous remercie de nous auditionner. Je souhaiterais, pour commencer, réaffirmer l'importance de ce dossier pour les entreprises artisanales. Lors de notre séminaire de travail du 8 octobre 2019, la stratégie pour l'artisanat que souhaite développer le Gouvernement et ses ramifications numériques ont été évoquées, or, celles-ci ne sauraient voir le jour si les artisans n'ont pas accès au haut débit ou au très haut débit. Il s'agit d'une préoccupation majeure soulevée à l'occasion du déploiement du Plan Fibre de 2013 et du retard que nous constatons au niveau national. Les entreprises artisanales expriment certes une grande diversité de besoins en matière de connectivité. La montée en puissance des plateformes a, en outre, montré l'émergence de nouvelles formes de commercialisation qui concerne également les entreprises artisanales. Une connexion internet viable demeure, pour nous, le préalable à l'accès à ces plateformes. L'usage du numérique est, de même, de plus en plus présent dans le fonctionnement quotidien de l'entreprise artisanale : les opérations de gestion logistique, comme l'acheminement des produits destinés à la transformation, mais également la gestion d'entreprise, la relation avec les différentes administrations ou encore la commercialisation des produits via les plateformes. Aujourd'hui, un grand nombre d'entreprises artisanales passent par des abonnements numériques destinés aux particuliers. Pendant longtemps, cela était suffisant. La situation se présente différemment désormais compte tenu des nouveaux besoins que je viens d'évoquer mais aussi dans la mesure où ces artisans développent leur activité à l'export. Nous représentons, à cet égard, une part non négligeable des exportations de notre pays. Nous devons ainsi améliorer notre capacité à communiquer avec nos clients. En bref, les besoins des entreprises artisanales évoluent. Les 15 000 entreprises industrielles que nous représentons, pour la plupart situées dans votre département Mme la présidente, sont par ailleurs les sous-traitantes de grands groupes, de multinationales comme Airbus. Pas un avion d'Airbus ne vole sans que soit intervenue une entreprise artisanale ! Cela paraît incroyable mais elles interviennent sur des activités souvent très pointues comme les traitements de surfaces métalliques ou la découpe « jet d'eau ». Dans ce contexte, il est difficilement concevable qu'elles ne puissent avoir accès au très haut débit, particulièrement à l'heure du développement de la 5G et des objets intelligents. Cet accès s'avère crucial si nous souhaitons que la filière artisanale, créée par la loi Pacte, puisse innover et se développer efficacement. J'ai dans ce contexte, récemment visité un fablab situé dans la CMA de l'Ariège qui agit comme véritable site ressource pour les entreprises qui peuvent y faire de la conception, utiliser des imprimantes 3D et être accompagnées. C'est la condition sine qua non si nous désirons rester dans la course. Nous nous trouvons malheureusement bien loin aujourd'hui de cet objectif.
Nous entendons naturellement votre souhait que les entreprises artisanales françaises, dont les15 000 entreprises artisanales industrielles puissent, au plus vite, avoir accès au haut débit et être desservies par la fibre, ce qui est pour elles une nécessité de développement. Cet accès est aujourd'hui possible par le biais des deux grands opérateurs présents sur ce secteur. Toutefois, l'arrivée d'un opérateur de gros, Kosc, sur ce secteur, a permis d'offrir aux entreprises la possibilité d'un raccordement à la fibre entreprise, accès qui profite à plusieurs dizaines de milliers d'entreprises en France. La menace qui pèse aujourd'hui sur Kosc, et son risque de disparition, est la raison d'être de ces auditions. Nous souhaitons, en effet, sortir par le haut de ces difficultés face à la nécessité absolue qui existe pour les PME de conserver cet accès à prix compétitif à la fibre. Avez-vous eu écho de la part des entreprises artisanales de leur éventuel recours à des sociétés alternatives et, plus généralement, de leurs inquiétudes relatives à la situation présente ?
Je rappellerai quelques données de base concernant les entreprises artisanales. Elles sont implantées à 38 % dans les grandes agglomérations, dans des zones denses dans lesquelles Orange, par exemple, déploie la fibre, à 25 % dans des agglomérations de 10 000 à 200 000 habitants et, enfin, à 37 % dans des communes de moins de 10 000 habitants, dont 23 % de communes rurales. Le poids de ces communes rurales varie selon les régions. Nous souhaitons que le calendrier de déploiement de la fibre soit tenu et que l'échéance prévue de 2022 respectée. Ce raccordement préoccupe particulièrement les créateurs d'entreprises. Il s'agit, pour ces derniers d'un sujet essentiel quant à leur implantation. Ceux déjà implantés souffrent, de leur côté, des retards dans le calendrier de ce déploiement. Certaines zones, telles que les périphéries d'agglomérations, sont confrontées à des situations ubuesques, où les grands opérateurs prennent du retard dans leur déploiement en zones très denses et sont rattrapés par le RIP, face à cela les communes suburbaines situées entre la zone très dense et la zone RIP se retrouvent défavorisées, alors même qu'il s'agit de zones où l'artisanat est extrêmement présent (car le foncier y est moins cher). Elles ne peuvent, compte tenu de leurs besoins, souscrire à des abonnements de particuliers alors qu'ils ne prévoient pas l'engagement de services que l'on retrouve dans les abonnements professionnels. Nous sommes particulièrement attentifs à la qualité, à la continuité, tout comme au coût de ces services. Si Kosc devait disparaître, nombre d'entreprises artisanales risqueraient d'être confrontées à une rupture de services. Cet impact serait plus significatif pour elles que pour des entreprises de plus grande taille.
Quelle est, plus généralement, votre vision du déploiement de l'accès au numérique sur le territoire? Certains secteurs sont-ils, en la matière, plus concernés que d'autres ? Dans quelle mesure l'aspect territorial joue-t-il dans ce domaine ? Quelle est, enfin, votre appréciation sur le statut (public ou privé) du porteur de projet ?
Le déploiement se déroule, pour l'heure, de manière hétérogène, ce qui crée des distorsions économiques entre les entreprises. Ce déploiement non uniforme pose question, même si nous sommes naturellement conscients des contraintes techniques et économiques en la matière. Les Réseaux d'Initiative Publique (RIP) assurent une qualité de dialogue entre les utilisateurs des différents territoires ; les collectivités sont étroitement associées à ces discussions via les différents conseils départementaux et régionaux. J'ajoute que les RIP possèdent une connaissance très fine de ces différentes zones d'activité dans la mesure où elles en assurent la gestion. La logique de déploiement en zone très dense est différente. On peut légitimement s'interroger sur certains choix faits en la matière, motivés, entre autres, par les contraintes techniques inhérentes à la fibre. Il s'agit, en effet, avant tout d'un sujet d'ingénierie corrélé aux questions de bâtiments et d'infrastructures. Le coût de la fibre est, en effet, tributaire des infrastructures existantes ou à construire, et de l'obtention des autorisations ; cela représentent plus de 50 % du coût.
Le sujet s'avère donc complexe. Il est, certes, toujours possible de regretter que les engagements pris au départ n'aient pas été tenus quant à la vitesse de déploiement. Cette complexité est parfois incompréhensible pour le client : que penser quand la rue voisine bénéficie de la fibre mais pas celle où se trouve son entreprise? Les RIP ont, à cet égard, fait un effort de pédagogie louable à destination des entreprises.
Vous considérez donc que les RIP sont plus efficients et prennent bien en compte les besoins des secteurs économiques ?
J'ai, personnellement, vécu de manière très concrète la question de ce déploiement en tant que secrétaire général pour les affaires régionales (SGAR), d'abord en Alsace puis dans le Grand Est. J'ai pu, à cette occasion, mesurer la complexité du sujet et l'insatisfaction des élus quant au manque de visibilité sur les déploiements de la fibre par Orange. A contrario, les RIP émanant des collectivités locales ont permis que ses dernières s'emparent du sujet. Elles ont mené des concertations très larges avec, notamment, les chambres d'artisans qui ont pu faire valoir leurs spécificités et mettre en avant les zones d'activités où les entreprises artisanales sont implantées. Grâce à leur action, beaucoup d'élus seront désormais attentifs à ce que les zones d'activités soient rapidement connectées. Cet enjeu est d'autant plus important pour eux que la question des emplois est étroitement corrélée à cet accès. Il était difficile de s'attendre aux mêmes logiques de déploiement pour les opérateurs privés car on sait qu'Orange déploie la fibre sur ses fonds propres. La logique qui prévaut est différente dans le cas des communes moyennes ou rurales. Les choix opérés par les collectivités dans le cadre des RIP semble, pour l'heure, donner satisfaction, tant en vitesse de déploiement qu'en qualité de concertation. Notre rôle aujourd'hui est d'assurer la continuité des réseaux mobiles pour les entreprises artisanales, dans le contexte d'un développement de la 5G. Nous avons fait le choix de développer la fibre partout quand il aurait peut-être fallu, à mon sens, développer dans un premier temps la fibre d'une part, et la 4G d'autre part, dans les zones plus difficiles d'accès.
M. Patrick Chaize, sénateur, président du groupe Numérique. - L'accès à la fibre est en réalité un préalable à la 4G et 5G. Il s'agit de réseaux complémentaires qui ne peuvent être concurrents. Les questions du mobile ou du fixe doivent être dissociées au risque de dégrader la qualité des deux types de réseaux.
Elles sont selon moi complémentaires. Un accès dégradé au numérique est ainsi parfois plus souhaitable que pas d'accès du tout.
Mais aujourd'hui dans certains territoires, c'est plutôt tout ou rien, car sans la fibre pas de réseau 4G, les deux étant imbriqués.
Je précise que cette question de la complémentarité entre fixe et mobile n'a pas été posée comme principe de départ.
Elle a été posée. Les dysfonctionnements et retards s'expliquent par les réalités techniques sur le terrain.
La fibre est nécessaire pour raccorder les équipements entre eux. En l'absence de connexion et d'opérateurs en capacité de relier à la fibre le fameux « dernier kilomètre », il est toujours possible de s'appuyer sur des réseaux mobiles.
Aujourd'hui ces opérateurs existent, et il y a de tels projets de raccordement dans tous les départements français. Il faut en garantir les financements. Il reste aujourd'hui 25 départements, soit le quart du territoire national, où le raccordement ne s'effectue pas à 100 %. Ce chiffre n'est pas négligeable.
Dans le cadre de notre contractualisation avec l'État, nous avons tenté d'accélérer la digitalisation dans les entreprises. Mais l'accès, pour elles, au très haut débit constitue un préalable en vue de stimuler cet accompagnement. Notre sujet, je le rappelle, est d'assurer la meilleure mise en oeuvre possible du numérique au sein des entreprises artisanales. Or dans certaines zones rurales, la création d'un écosystème numérique est indispensable. En l'absence d'accès au haut débit, l'implantation d'entreprises est inenvisageable, autant pour les entreprises artisanales que pour les services et les conseils dont elles ont besoin. Le premier objectif des chambres artisanales sera donc d'effectuer un premier audit de ces écosystèmes avant de nous tourner vers les entreprises spécialisées dans les services numériques aux entreprises, mais celles-ci ne sont pas présentes sur l'ensemble du territoire. Je ne vous cache pas qu'il existe, aujourd'hui en France, une véritable fracture numérique.
Je vous remercie d'avoir répondu à notre demande d'audition relative, au « dossier Kosc » dont nous avons été saisis dans le cadre de nos travaux sur la numérisation des PME. Vous êtes mandataires agréés par l'Autorité de la concurrence, que nous avons d'ailleurs déjà auditionnée, dans le cadre de l'auto saisine visant à contrôler le respect des obligations de SFR, s'agissant du transfert du réseau Completel. Nous souhaiterions vous entendre à ce sujet, en commençant par nous préciser les actions que vous avez conduites dans le cadre du mandat qui vous a été confié, puis par nous indiquer la nature de ce mandat ainsi que les étapes de votre calendrier. Puis vous nous donnerez vos éventuelles conclusions ou votre analyse de la situation telle qu'elle se présente aujourd'hui, sachant que nous avons déjà entendu la présidente de l'Autorité de la concurrence, l'Arcep, Kosc, OVH et la Banque des Territoires. Nous sommes impatients de vous écouter aujourd'hui.
Madame la Présidente, Mazars est un cabinet international d'audit et de conseil de premier plan d'origine française. En août 2015, Mazars Londres a acquis CompetitionRx, un des cabinets leaders dans le domaine du droit de la concurrence, de la mesure de datas et du contrôle des engagements. Auparavant, c'est-à-dire à la fin de 2014, CompetitionRx, aujourd'hui Mazars Royaume-Uni, a été choisi par Numéricable-Altice et SFR, et agréé par l'Autorité de la concurrence, pour mener la mission de mandataire de contrôle sur la fusion entre Numéricable et SFR. Les engagements pris par SFR-Numéricable sont de deux types : des engagements dits comportementaux d'une part, mais aussi des engagements structurels, c'est-à-dire des cessions d'actifs. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes adjoint les services de Philippe Nataf, ici présent, qui est spécialiste des fusions-acquisitions. De l'e-mail que vous nous avez adressé, je comprends que vous vous intéressez ce soir à la décision de l'Autorité du 6 septembre 2019 clôturant la saisine d'office de l'Autorité de la concurrence concernant la cession du réseau DSL de Completel. Nous vous remercions de votre invitation et nous efforcerons de répondre aux questions.
Je tiens cependant à préciser que nous sommes tenus par le secret des affaires. Nous ne pourrons pas partager d'éléments sur les documents que nous avons produits à l'intention du service de concentration de l'Autorité et de SFR-Numéricable. L'Autorité de la concurrence pourra éventuellement partager ces éléments avec vous. En revanche, M. Nataf et moi-même serons heureux d'évoquer notre rôle en tant que mandataire de contrôle et sur la manière dont nous l'avons exercé, notamment dans le cadre de la cession du réseau DSL de Completel. M. Nataf, qui a été plus proche du dossier, répondra à vos questions sous mon contrôle ; il était le membre d'équipe responsable du contrôle du respect des engagements.
Je vous remercie pour ces précisions liminaires. Ma première question pourra vous paraître quelque peu brutale, mais je souhaiterais connaître votre regard sur la décision de l'Autorité de la concurrence prise en septembre 2019 sur le dossier Kosc, sachant que votre mission était engagée et avait mis en évidence un certain nombre d'éléments sur le sujet.
Il serait difficile pour nous de donner un regard sur une décision de l'Autorité. Je peux peut-être vous préciser quel a été notre rôle, comme madame la Présidente l'a demandé initialement. Notre rôle intervient, en effet, très en amont de cette décision. Je peux peut-être vous préciser le rôle du mandataire en général, qui s'est appliqué sur ce cas particulier. Comme l'a dit M. Menezes, il existait un certain nombre d'engagements, dont l'un était la cession du réseau DSL de Completel. Je rappelle que le rôle du mandataire est de suivre la mise en place des engagements pris par la partie notifiante quand il y a une fusion entre deux sociétés, en l'occurrence Numéricable et SFR. Notre mandat est calé sur la durée des engagements, qui sont des engagements de cinq ans dans ce cas précis. Sur le sujet particulier de Kosc, le rôle du mandataire a été de suivre cette cession et de rassembler des éléments pour informer de l'évolution le service des concentrations. Cette opération n'a pas été facile, car, comme les personnes que vous avez auditionnées ont pu vous le dire, il s'agit d'une opération inédite de grande ampleur, d'autant plus que l'acquéreur ne possédait pas initialement de réseau. Kosc était une start-up avec des actionnaires très puissants, mais demeurait tout de même une start-up.
Il ne s'agissait pas simplement de transférer un réseau (essentiellement ce que l'on appelle les noeuds de raccordement), il a fallu aussi développer un projet, créer un backbone. L'opération était complexe et le rôle du mandataire a été aussi d'aplanir la relation entre l'acquéreur et le cédant. Parce que, et vous en avez été informés, il y a par ailleurs une procédure au tribunal de commerce. Donc la relation s'est tendue à un moment donné et nous avons eu pour rôle d'accompagner les parties dans l'« allumage » du réseau, puisque nous recevons les commentaires des tiers, et le commentaire du tiers le plus concerné, qui était l'acquéreur, était « je n'arrive pas à démarrer mon réseau ». Donc notre rôle a été d'abord de mettre en place ce que l'on a appelé une task force pour que les parties se parlent et pour que les problèmes soient résolus aussi rapidement que possible. Nous avons demandé à la partie notifiante de mobiliser des personnes au sein de sa structure, jusqu'au directeur exécutif en charge des opérations, de façon à avoir, quand il y avait rupture d'un signal ou non continuité, une action immédiate du vendeur. Notre rôle était également un rôle d'alerte, puisqu'il y a eu auto saisine. Nous avons signalé un doute et une interrogation. Nous ne pouvons pas donner plus de détails, étant tenus par le secret des affaires. Nous avons ainsi informé le service des concentrations de la situation, après avoir essayé d'aplanir les différends et l'Autorité, plus particulièrement son service des concentrations, a décidé de s'auto saisir. C'est là que notre rôle s'est arrêté. L'autorité mène son enquête, qui va des auditions des parties jusqu'à des questionnaires, des échanges auxquels nous n'avons pas participé. Les services instruisent et présentent leur rendu au Collège de l'Autorité qui prend une décision. Nous avons eu quelques auto-saisines sur ce dossier et le Collège peut sanctionner ou clôturer sans sanction. Notre rôle se situe très en amont. C'est un rôle d'information, de suivi. Nous essayons d'arrondir les angles et, en cas de doutes, nous en informons l'Autorité, qui décide ou pas de s'auto saisir. C'est la décision des services d'instruction.
Je prends acte de votre réponse. Mais excusez-moi d'insister, si vous avez orienté l'Autorité à se saisir de ce dossier, c'est que vous avez, dans vos travaux préliminaires, eu un certain nombre d'éléments qui vous permettaient de le faire. Aujourd'hui, pouvez-vous dire que ces éléments n'étaient pas suffisants ou n'ont-ils pas été suffisamment creusés ? Vous avez le droit d'avoir un avis, malgré le secret des affaires, vous êtes ici devant une commission parlementaire, avec tout le sérieux et la réserve dont on dispose. Nous avons conscience de notre devoir de réserve en la matière. Ce que l'on a pu entendre dans ces auditions, c'est que l'un des acteurs, qui est Kosc, a souvent évoqué vos travaux comme étant une source rassurante le concernant. Ces propos n'engagent qu'eux. Mais, ce qui m'intéresse est que vous puissiez venir challenger ces propos, pour peut-être les assouplir, les atténuer ou au contraire les confirmer. C'est pourquoi j'insiste sur ma question : est-ce que finalement cette décision de l'ADLC, même si j'entends que vous n'avez pas à la commenter, est en cohérence avec vos travaux ?
Nous sommes tenus par un contrat, par un mandat qui ne nous permet pas de divulguer le contenu des rapports, y compris dans ce dossier.
Vous pouvez tout de même donner une appréciation personnelle, un avis dans cette affaire.
Cela ne relève pas d'un avis personnel ou d'une opinion. Il y a un travail, mené par les services d'instruction, auquel nous n'avons pas eu accès. Nous ne pouvons donc pas avoir un avis car je n'ai pas les éléments pour juger.
Quels sont les éléments qui vous ont permis de pousser l'Autorité de la concurrence à s'auto saisir de cette affaire ?
Je ne peux pas donner les éléments dans les détails. Je peux en revanche parler des questions de calendrier. La cession a été organisée en plusieurs parties. La date échéance était le 31 mars 2017. Nous avons eu, un peu avant cette date, de la part de Kosc, des signaux négatifs ; ils n'arrivaient pas à allumer et évoquaient des ruptures de liaisons optiques. Notre rôle était de vérifier que les engagements étaient bien respectés à la lettre mais, au-delà de tout ça, le but était qu'un concurrent émerge sur le marché et donc que le réseau soit fonctionnel. Nous avons convenu de dialoguer avec les deux parties prenantes deux fois par semaine à partir de là, à travers des conférences téléphoniques et des réunions, pour essayer de résoudre la situation. C'est un effort qui a été mené avec l'accord de tous jusqu'au 22 décembre 2017. À l'issue de cette phase, Kosc nous a annoncé toujours constater des pertes de signal. Nous ne pouvons pas vous donner le détail de nos rapports, mais globalement, Kosc était toujours demandeur d'efforts supplémentaires en expliquant que son réseau n'était toujours pas fonctionnel.
Il n'empêche que vous êtes témoin du fait que, tout au long de la mise en oeuvre, le réseau n'était pas opérant à 100 %. Est-ce correct ?
Ce n'est pas parce qu'il n'est pas opérant que la responsabilité incombe à l'une ou à l'autre des parties, il faut aller plus loin. C'est l'objet de l'enquête qui a démarré au moment de l'auto saisine. Nous avons constaté une situation. Notre rôle est un rôle d'alerte. C'est à l'Autorité de tirer une conclusion, après instruction et après présentation au Collège. Nous nous situons vraiment très en amont.
J'espère que vous allez pouvoir répondre à cette question. À propos du rôle partagé de l'ADLC et de l'Arcep, selon vous, est-ce que l'Arcep aurait pu ou du jouer un rôle dans le déroulement de ce dossier ? Formulé autrement, l'Autorité de la concurrence aurait-elle du saisir l'Arcep sur une question de régulation qui est hors de son domaine de compétence ?
Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question. J'en serais bien incapable, car je n'ai pas la formation pour y répondre, cette question étant davantage d'ordre juridique ou institutionnel. En revanche, ce que je peux vous dire, c'est que le sujet est extrêmement technique, et donc nous avons nous-mêmes fait appel à l'Arcep pour avoir des éclairages et des opinions. Tout au long du suivi des engagements, l'Arcep nous a toujours répondu avec beaucoup de pédagogie, beaucoup de patience, nous aidant dans notre compréhension.
Cela signifie que sur ce dossier, il y avait un certain nombre d'aspects qui étaient plus techniques que juridiques et liés à la concurrence.
J'ai lu les minutes de votre entretien avec Etienne Chantrel qui parlait des RNO/RVO. Au-delà de l'aspect concurrentiel, il faut savoir de quoi on parle et, pour nous, il fallait que quelqu'un nous explique. C'est l'Arcep qui traduit en langage courant toutes ces abréviations et qui nous permet de comprendre. Ensuite, se pose la question de savoir qui a mené telle mesure, est-ce que celui-ci a tort ou non. Il faut d'abord comprendre le sujet technique pour ensuite émettre une alerte, comme nous l'avons fait, puisqu'il y a eu auto saisine.
Sur un point technique, l'Autorité de la concurrence nous a dit que pour que le réseau fonctionne, il fallait qu'Orange livre les liens intra-bâtiments. Kosc nous dit qu'il aurait fallu des mandats de SFR pour pouvoir les obtenir. Il s'agit d'un véritable triangle décisionnel, particulièrement complexe. Pouvez-vous nous préciser les prérogatives de chaque partie ?
Le mandat de lien inter-bâtiment doit être demandé par le propriétaire du matériel qui est dans le RNA. C'est effectivement à Kosc de le demander, en ayant obtenu des informations de SFR.
Je ne peux pas rentrer dans ce détail.
Il nous est difficile d'appréhender ce dossier, en l'absence de réponses précises de votre part. Quelle est, de manière plus générale, votre vision de la concurrence sur le marché de gros des télécommunications ?
J'ai compris, des voeux du président de l'Arcep en janvier 2019, qu'il était heureux qu'un nouvel acteur arrive sur le marché. C'était aussi l'objectif de la décision. Personnellement, je ne peux que constater le souhait formulé par les institutions de l'émergence d'un nouvel acteur. Je ne peux qu'approuver, étant moins spécialiste qu'eux.
Pour poursuivre, en cas de liquidation de l'entreprise Kosc, à votre sens, quelles pourraient être les conséquences sur le marché entreprises ?
Plusieurs étapes précèdent une éventuelle liquidation, qu'entendez-vous par ce terme ?
Je parle de l'étape définitive, l'étape ultime. D'après les informations dont nous disposons à ce jour, l'option de la liquidation n'est pas à écarter. Évidemment, il faudra d'abord passer des étapes, mais certaines ont déjà été passées. On s'y dirige, à mon sens, en considérant les démarches parallèles de SFR sur Kosc, mesures évoquées par le président de Kosc devant nous. Depuis septembre. Il essaye tant bien que mal de trouver des solutions pour pouvoir passer la période, mais cela ne durera pas très longtemps.
Je ne sais pas du tout à quel stade Kosc se trouve. Toute société peut entrer en règlement judiciaire. La liquidation est vraiment l'étape ultime. Lorsqu'il y a un actif comme celui en question, il est rare d'arriver jusqu'à cette extrémité. J'ai lu qu'une banque d'affaires a été mandatée, je crois que Yann de Prince vous l'a dit. Il faudrait plutôt interroger cette dernière.
Vous ne voyez donc pas du tout la liquidation sèche, mais vous pensez que, compte tenu des actifs, il y aura automatiquement une reprise pour qu'il y ait continuité. C'est votre sentiment ?
Quand il y a un actif, c'est souvent le cas, on ne va pas forcément à la liquidation. Mais je ne connais pas la situation précise, donc j'ai du mal à me projeter. Je suis peut-être trop optimiste. Ce n'est pas du tout dans mon périmètre.
Sur un point concret, dans les documents que vous avez remis à l'Autorité de la concurrence, est-ce que certains pourraient-nous être communiqués par l'Autorité ?
Il faut leur demander. Tout au long des 5 ans, on émet des notes et des rapports à l'Autorité de la concurrence. Nous sommes rémunérés par la partie notifiante. Nous sommes indépendants, comme vous avez pu le comprendre, en ayant un rôle proche de celui du commissaire aux comptes, rémunéré par la société pour vérifier ses comptes. Nous transmettons des informations à l'Autorité et des versions expurgées -dans ce cas précis il y a des informations sur Kosc - adressées à la partie notifiante - ici SFR - Numéricable. Ces informations sur Kosc sont évidemment couvertes par le secret des affaires. C'est à l'Autorité de vous répondre.
Est-ce que vous avez d'autres points pour nourrir notre réflexion, après avoir déjà entendu beaucoup d'acteurs ?
Je suis mandataire, la plupart de mes affaires étant auprès de la Commissions européenne, mais également des Autorités de la concurrence en Chine, aux États-Unis ou en Amérique du Sud. Ce mandat, comme d'autres mandats, est un mélange entre engagements comportementaux et structurels. Nous devons rédiger des rapports trimestriels. Parfois, il faut également rédiger des rapports ad hoc. La plupart des Autorités de la concurrence fonctionnent comme ici, en France. Ils lisent les rapports et éventuelles questions. En ce qui concerne les processus qui sont menés en cas d'infraction des engagements, le mandataire ne partage pas les délibérations des Autorités. Parfois elles demandent encore plus de preuves pour soutenir les conclusions de l'enquête, mais le mandataire n'est jamais concerté pour la décision.
Je n'ai qu'une expérience avec la commission européenne. Comme expliqué au début de l'audition, notre rôle s'arrête à l'auto saisine. Nous pouvons avoir des demandes pour éviter de refaire le même travail de production de documents, d'explications ou d'informations. En revanche, nous ne participons pas du tout à l'enquête. C'est totalement distinct. Les services d'instruction de l'Autorité mènent l'enquête et nous ne sommes pas invités aux délibérations du Collège. Nous n'assistons même pas à la présentation des conclusions. Nous découvrons la décision, comme vous, le jour où elle est publiée.
Compte tenu de l'expérience que vous avez sur ce dossier, dans le domaine de la concurrence dans les télécoms, pensez-vous qu'il pourrait y avoir des dispositions législatives dans l'intérêt général du bon fonctionnement des télécoms avec une concurrence adaptée et suffisamment large ? Est-ce que cela vous inspirerait des propositions ?
Il faudrait, pour cela, établir des comparaisons avec d'autres pays. Je ne suis pas en mesure de le faire. Je n'ai pas vraiment d'opinion. Je ne peux pas vous donner de propositions, je n'en ai pas la capacité.
Plus concrètement, sur ce dossier, que vous connaissez bien depuis le début, est ce que la décision rendue par l'Autorité de la concurrence vous a surpris ?
Je vous ai déjà répondu, je ne peux pas commenter une décision de l'Autorité. D'autant plus que je n'ai pas eu accès aux éléments de l'enquête.
Mais, avec votre connaissance du dossier que vous suivez depuis le début des engagements, est ce que les événements vont dans le sens que vous auriez pu imaginer ou au contraire ils vous surprennent ?
Quelle que soit la décision, on la découvre. Notre rôle s'arrête au moment de l'auto saisine. On ne sait pas ce qu'il se passe. L'Autorité peut vous demander des choses, en revanche, nous ne demandons pas à l'Autorité des informations sur le déroulement de l'enquête.
Quel est votre ressenti par rapport à l'avis qu'elle a rendu ? Cela ne vous a pas interpelé ou surpris ?
C'est une auto saisine sur le respect des engagements par SFR. On ne peut que se réjouir qu'une partie notifiante respecte ses engagements. Ensuite, le jugement de l'Autorité ne se discute pas publiquement. Peut-être que l'on peut le faire en privé mais je discute rarement avec mes amis d'une décision de l'Autorité de la concurrence.
En ayant travaillé 5 ans sur le dossier, on peut dire que vous êtes devenus des spécialistes du sujet.
Je ne suis pas spécialisé dans quoi que ce soit. On a essayé de comprendre de quoi il s'agissait. On ne peut pas, contrairement à monsieur le Président, se prétendre spécialistes des télécoms.