Dans le cadre de ses travaux sur les concessions autoroutières, la commission d'enquête procède tout d'abord à l'audition de M. Philippe Martin, président de la section des travaux publics du Conseil d'État.
Cette audition, diffusée en direct sur le site internet du Sénat, fera l'objet d'un compte rendu publié.
Monsieur Martin, après vous avoir rappelé qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Philippe Martin prête serment.
Avant de passer la parole à notre rapporteur, et comme convenu la semaine dernière, je vous demande, mes chers collègues, de poser des questions précises, qui ne seront pas groupées, afin que M. Martin puisse répondre précisément à chacune d'entre elles.
Le but de cette commission d'enquête est de faire le point sur les contrats de concession autoroutière, ainsi que sur les avenants et protocoles d'accord conclus postérieurement. Nous voulons surtout aider l'État à envisager l'avenir de ses relations avec les sociétés d'autoroute.
La section des travaux publics du Conseil d'État est chargée de suivre ce sujet, parmi d'autres, avec cette particularité d'être à la fois juge et conseil du Gouvernement.
De quelle façon conseillez-vous l'exécutif sur ces questions relatives aux autoroutes ? Le Conseil d'État lui transmet des avis, mais, si j'ai bien compris, ces derniers ne sont pas publics et il faut obtenir l'autorisation du Gouvernement pour y accéder.
Sur quels sujets le Conseil d'État travaille-t-il en particulier ? Combien de personnes sont-elles impliquées sur ces dossiers ? Selon quelle fréquence les avis sont-ils rendus ?
Enfin, quel est votre point de vue sur la fin des concessions, programmée entre 2031 et 2036 ? Comment voyez-vous l'avenir, notamment sur le plan législatif ? Certains nous disent que l'État ne pourra pas reprendre la gestion des autoroutes sans modifier la loi. Quelles sont les possibilités, et que pourrait dire l'Union européenne ? Faut-il, selon vous, conserver le modèle des concessions ou au contraire évoluer vers un affermage, une régie intéressée ou une gestion en direct ?
La compétence de la section des travaux publics excède largement le domaine des autoroutes, puisqu'elle couvre toutes les relations entre l'homme et le territoire : environnement, urbanisme, aménagement, construction de logements, mines, agriculture, ainsi que toutes les grandes infrastructures de télécommunications, de transports et d'énergie.
Au sein de cet ensemble, les autoroutes occupent une place croissante depuis 2015, à travers quatre modes d'intervention.
Premièrement, nous intervenons sur des projets de lois, d'ordonnances ou de décrets relatifs au secteur autoroutier. Ce fut le cas par exemple pour les décrets portant sur les redevances domaniales payées par les sociétés d'autoroute.
Deuxièmement, les déclarations d'utilité publique, qui portent souvent sur des projets autoroutiers, sont approuvées par décret en Conseil d'État.
Troisièmement, les contrats de concession et leurs avenants sont également approuvés selon la même procédure, ce qui nous a beaucoup occupés en 2015 et 2018, au moment des plans de relance et d'investissement autoroutiers.
Enfin, quatrièmement, le Gouvernement peut nous consulter sur ce qui est juridiquement possible en matière de concessions autoroutières. Nous avons rendu plusieurs avis, mais le Gouvernement a choisi de ne pas les rendre publics, ce qui est son droit le plus strict. Il n'a pas nécessairement envie de divulguer toutes les idées qu'il a eues, ni tous les conseils qui lui ont été donnés.
Je pourrai donc répondre au nom du Conseil d'État à certaines questions. Pour les autres, je répondrai en mon nom personnel.
Je précise que le Conseil d'État porte un regard juridique sur les questions qui lui sont posées, y compris sur les contrats de concession et leurs avenants, en se demandant si leurs clauses sont juridiquement acceptables. Le rôle du Conseil d'État est donc légèrement différent de celui de l'Autorité de régulation des transports (ART).
L'actualité s'est accélérée depuis 2015, en raison du débat public qui s'est engagé à la suite des rapports de la Cour des comptes et de l'Autorité de la concurrence. Nous avons beaucoup travaillé sur ce qu'il est possible de faire à l'égard des concessions en cours.
Pour l'avenir, il n'y a pas de position officielle du Conseil d'État. Le Gouvernement fera ses choix quant au mode de gestion du service public autoroutier. Je ne peux que vous livrer une réflexion personnelle, fruit de l'expérience accumulée au cours des dernières décennies sur ces contrats de longue durée, prolongés à plusieurs reprises.
À mes yeux, l'expiration des concessions à partir de 2031 représente pour l'État une réelle opportunité de reprendre la main en tant que concédant. Il pourrait le cas échéant conclure, après mise en concurrence, de nouvelles concessions équilibrées, portant sur des liaisons rationnelles en termes de desserte du territoire, et affichant des tarifs cohérents. Cela permettrait de recalculer l'équilibre économique global des concessions à partir du point zéro, et d'éviter peut-être aussi d'insérer certaines clauses figurant dans les concessions actuelles.
Il existe une grande variété de clauses, notamment celles de l'article 32, portant sur les variations du « paysage fiscal ». Ces différences peuvent s'expliquer par des considérations historiques, notamment les investissements consentis à telle date par tel ou tel opérateur.
Il existe au fond trois types de clauses, selon que l'on considère le contrat conclu avec Cofiroute, les contrats conclus avec les anciennes sociétés d'économie mixte, ou encore ceux conclus dans le cadre des nouvelles concessions. On pourrait peut-être réfléchir à la rédaction de clauses un peu moins surprenantes.
Par ailleurs, le mode d'évolution des prix des péages a été très fortement contractualisé, alors que le cadre législatif et réglementaire existant ne suppose pas nécessairement une contractualisation aussi poussée des évolutions tarifaires. Peut-être faudrait-il réfléchir au bon équilibre en matière de clauses tarifaires. Faut-il laisser plus de marges de manoeuvre au pouvoir réglementaire ou inscrire dans le marbre des concessions les clauses d'évolution des tarifs ?
Les concessions sont des contrats qui sont faits pour être respectés, même si leur durée est très longue. Parfois, l'État peut regretter d'être engagé par des clauses signées voilà vingt ou trente ans, mais les concessionnaires espèrent à juste titre pouvoir en bénéficier jusqu'à la fin du contrat. Il est juridiquement difficile de conseiller au Gouvernement de trop s'écarter des contrats.
Si la fin des concessions est une opportunité pour l'État, la conclusion de nouvelles concessions ne me paraîtrait nullement incongrue. La concession est en effet un mode de gestion des services publics vieux de plus d'un siècle, parfaitement connu et reconnu, consacré par une directive européenne de 2014.
Au-delà de l'hypothèse de nouvelles concessions de travaux pour des autoroutes à construire, on peut aussi envisager la conclusion de concessions de service, attribuées à l'issue d'une mise en concurrence et fondées sur de nouveaux équilibres, des clauses appropriées ainsi qu'une réflexion sur la cohérence du périmètre du service de transports et la tarification.
Pour moi, l'État a une chance à saisir. Il peut toujours reprendre les autoroutes en régie s'il le souhaite, et s'il peut financer. Mais la concession me semble un bon outil. Il ne me paraît pas incongru que les autoroutes soient gérées par des opérateurs privés. Le métier de concessionnaire suppose des savoir-faire financiers et techniques, notamment parce qu'il faut réaliser des travaux très lourds. La concession me semble donc un outil tout à fait approprié pour une bonne gestion du service public, à condition de bien s'en servir.
Vous avez parlé de « clauses surprenantes », M. Martin. Cela me rappelle les termes de « dividendes étonnants », employés par M. Roman. Rapprochez-vous également ces deux qualificatifs, d'un point de vue juridique ?
Hier, lors de son audition, le ministre Alain Vidalies nous a signifié en creux que les contrats et les clauses mériteraient d'être beaucoup plus précis. Il a évoqué aussi des discussions interminables entre concédant et concessionnaires, lesquelles absorbent une énergie considérable, allant même jusqu'à suggérer que certains termes soient précisés par le Parlement lui-même.
Je souhaite également vous interroger sur le non-respect de la signature de l'État dans les premiers contrats de concession. Il était prévu, en 2006, un inventaire des biens de retour. Un état des lieux devait avoir lieu tous les cinq ans, afin qu'il n'y ait pas de discussions sur la qualité des biens rendus à la fin de la concession. Il semblerait toutefois que nous n'ayons aucun document en ce sens. Qu'a fait le Conseil d'État, ou qu'aurait-il dû faire ?
Il faut distinguer la question des dividendes de celle des clauses.
Certaines données juridiques peuvent éventuellement justifier que l'on modifie un contrat en cours, mais il faut des éléments fondés sur l'équilibre global de la concession.
La distribution de dividendes annuels élevés est un indice de bonne santé économique, qui peut donner lieu à un débat public. Il n'est toutefois pas totalement anormal qu'un concessionnaire soit en meilleure santé économique en fin de concession qu'au début, lorsqu'il consent de lourds investissements et qu'il s'endette fortement.
Pour intervenir sur un contrat en cours, il faut des motifs portant sur l'ensemble de la durée de vie de la concession. C'est pourquoi je fonde beaucoup d'espoirs sur les travaux de l'Autorité de régulation des transports, notamment son rapport quinquennal, dont la parution est prévue d'ici fin 2020. Celui-ci devrait en effet mettre en perspective la rentabilité des capitaux investis sur toute la durée du contrat de concession.
Je rappelle l'arrêt d'assemblée du Conseil d'État de 2009, Commune d'Olivet, selon lequel un concédant peut résilier une concession en cours si le taux de rentabilité du concessionnaire dépasse ce qui est raisonnable en termes d'amortissement des investissements et de juste rémunération du concessionnaire.
La concession est un contrat à très long terme, justifié par la lourdeur des investissements consentis par le concessionnaire, mais elle a pour finalité de gérer efficacement le service public dans l'intérêt des usagers. Le concédant peut donc reprendre la main s'il estime que les conditions de la concession excèdent ce qui est normal pour atteindre un tel objectif.
S'agissant des clauses, ce qui surprend le plus, très sincèrement, c'est leur variabilité. Certaines clauses peuvent se justifier par des facteurs historiques et par certains investissements réalisés, mais la juxtaposition de trois catégories de clauses est surprenante. Certaines s'apparentent à la théorie du fait du prince, d'autres s'en rapprochent, d'autres en sont très éloignées. Tout cela mériterait d'être remis à plat.
Le fait du prince est une théorie qui oblige le concédant à compenser les conséquences de mesures qu'il a prises spécifiquement dans le secteur concédé, qui n'étaient pas prévisibles à l'époque de la conclusion de la concession et qui ont un impact suffisant sur l'équilibre économique de la concession. Toutefois, la rédaction de l'article 32 est très variable selon les concessions. Sur l'inventaire de 2006, je n'exerce mes fonctions actuelles que depuis 2012, monsieur Jacquin. La distinction entre biens de retour et biens de reprise, qui n'est pas aisée, s'affine parfois au dernier moment. Il serait sans doute préférable de la préciser en amont. Dans le cas contraire, des discussions intenses à l'approche du terme de la concession sont inévitables, ce qui n'est pas dramatique non plus...
En revanche, la préparation de la remise des biens de retour me semble plus intéressante. La question se pose de la mise à niveau de ces derniers, le concessionnaire ayant l'obligation de les remettre en bon état. Pour cela, un inventaire doit être réalisé pour que concédant et concessionnaire se mettent d'accord sur les investissements jugés nécessaires.
Pourriez-vous enfin me rappeler votre troisième question, monsieur Jacquin ?
Selon M. Roman, ce débat contradictoire entre le concédant et le concessionnaire doit avoir lieu sept ans avant la fin de la concession.
Vous dites que vous n'étiez pas en poste en 2006, mais je ne doute pas de la continuité du Conseil d'État. Comment expliquer que cet inventaire n'ait pas eu lieu ? Le Conseil d'État ne peut-il pas rappeler à l'État son engagement, certains de mes interlocuteurs m'ayant tout simplement parlé d'un oubli ?
Le Conseil d'État est saisi ponctuellement de demandes d'avis, ou sur des projets de textes et de concessions. Si le Conseil d'État n'est pas saisi, il ne se prononce pas.
Faudrait-il, à l'occasion de dossiers ultérieurs, signaler à l'État qu'il aurait dû penser à cet inventaire ? Il y a beaucoup de matières à traiter dans les projets d'avenants autoroutiers et je reconnais que nous n'avons pas pris le temps de nous pencher sur cette question. Encore une fois, il est sans doute regrettable, mais pas totalement inhabituel qu'un concédant et un concessionnaire discutent assez âprement de la distinction entre biens de retour et biens de reprise.
Les contrats de concession sont des contrats de longue durée qui constituent l'actif essentiel du concessionnaire, lequel tire toute sa rentabilité des droits qui lui sont conférés par le contrat. Lorsque l'État discute avec de grands groupes spécialisés dans les concessions autoroutières, la discussion peut être tendue : il faut prendre garde à la rédaction des clauses, qui font loi entre les parties, dans l'intérêt tant du concessionnaire, qui cherche à se prémunir contre des variations d'humeur de l'État, que du concédant, qui doit veiller à ne pas se dessaisir d'outils de pilotage du service public.
Le cahier des charges fait une centaine de pages : c'est déjà un instrument relativement copieux, et je ne suis pas sûr qu'il faille le porter à 300 pages ! Il faut être attentif à peser les conséquences de chaque clause.
Vous estimez que l'échéance d'un certain nombre de concessions en 2031 représente une opportunité pour l'État. Encore faut-il savoir la saisir ! L'État peut être tenté de reprendre l'exploitation en gestion directe, au vu du profit que peuvent réaliser les sociétés concessionnaires. Mais n'y a-t-il pas un risque qu'il soit moins exigeant envers lui-même en termes de gestion qu'il ne le serait avec des sociétés concessionnaires ? Nous avons des exemples qui montrent que l'État est parfois dans l'incapacité d'entretenir son patrimoine...
Quelles règles l'État pourrait-il s'imposer à lui-même sans que Bercy considère qu'il n'y a pas d'affectation possible de recettes spécifiques à l'entretien du patrimoine ?
Vous avez indiqué que la gestion des autoroutes nécessite un savoir-faire technique et financier. Considérez-vous que l'État dispose aujourd'hui de ce savoir-faire ?
La question du mode de gestion relève plutôt du choix politique que de l'opinion du juriste.
Le système de la concession a un bel avenir devant lui. La gestion directe et la construction des grandes infrastructures sont extrêmement coûteuses pour l'État, qui peine à trouver les financements.
La concession peut être de services. Pour la gestion et l'entretien, il peut être intéressant de conclure un contrat de concession avec un cahier des charges approprié établissant des standards de qualité. Lorsqu'une exploitation se fait en régie, l'expérience montre que la responsabilité du gestionnaire se résout par un débat public sur la qualité du service rendu. Ce qui est écrit dans le marbre juridique, c'est le cahier des charges des concessions. Je ne suis pas certain que l'outil de la concession, y compris de services seuls, soit abandonné à l'avenir. La gestion directe n'est donc pas impossible, mais encore faut-il trouver le financement approprié.
Quant au savoir-faire, l'exemple des concessions montre que les difficultés résident davantage dans l'équilibre de la concession et le montant du péage réclamé à l'usager que dans la qualité de service constatée. Les discussions peuvent être assez âpres sur la question de la mise à niveau des infrastructures : incombe-t-elle aux concessionnaires parce que c'est une mise à niveau attendue par les usagers ? Ou est-ce un investissement supplémentaire demandé par le concédant qui mérite rémunération, laquelle sera évidemment à la charge de l'usager ?
Si l'on choisit la voie de la concession, l'usager devra payer le coût de la mise en concession, alors que, dans le cas de la régie, ce serait plutôt le contribuable.
En matière de concessions, il faut veiller, d'une part, à bien définir les obligations du concessionnaire et, d'autre part, à disposer des outils permettant de vérifier que l'usager paye un prix approprié, qui n'excède pas ce qui est nécessaire pour une bonne gestion du service public.
Vous avez dit que vous n'aviez pas le droit de divulguer les avis pour lesquels le Conseil d'État a été sollicité par le Gouvernement. Je suis surpris : est-ce valable aussi devant une commission d'enquête ? Le rapporteur et le président auraient-ils le droit d'avoir accès à ces documents ?
Par ailleurs, vous avez évoqué l'échéance de 2031 comme une grande opportunité pour l'État, et estimé que les concessions étaient un bon outil. Est-ce votre avis ou celui du Conseil d'État ? Plus qu'un avis technique, c'est une opinion.
Des alternatives sont-elles proposées au Gouvernement, dont le Conseil d'État est le conseiller pour la gestion des affaires publiques ? En 2031, conseilleriez-vous au Gouvernement de proroger les concessions privées de gestion des autoroutes françaises ? Vous n'excluez pas le retour à une gestion publique, qui est une option possible, mais vous avez dit que l'État ne trouverait pas l'argent pour le financer. Or, cette année, l'État va emprunter 205 milliards d'euros sur les marchés financiers.
La gestion directe est une option sérieuse qu'il faut aussi examiner.
Sur la fin des concessions, nous avons appris, il y a quelques semaines, que le gouvernement de Boris Johnson, qui n'est pas un fou furieux de l'étatisation absolue, avait décidé de renationaliser les lignes ferroviaires du nord de l'Angleterre, qui avaient été concédées à la grande époque de Margaret Thatcher à 16 sociétés privées. Quel est votre avis sur cette situation ?
La question du secret se pose entre le Conseil d'État et le Gouvernement, d'une part, et entre la commission d'enquête et moi-même, d'autre part.
À l'égard du Gouvernement, la situation est extrêmement claire. Le Conseil d'État donne un avis au Gouvernement, qui en fait l'usage qu'il souhaite : il peut le rendre public ou non. Nous ne sommes pas censés divulguer le contenu de ces avis, qui sont exclus par la loi des documents librement communicables au public.
S'agissant de la commission d'enquête, l'article 6 de l'ordonnance de 1958 ne délie pas, me semble-t-il, les personnes auditionnées du secret professionnel. Je n'ai donc pas le droit de divulguer le contenu des avis. Sur certaines questions, je peux évoquer les travaux du Conseil d'État ; sinon, je me bornerai à vous donner mon opinion.
Le président de la commission d'enquête et moi-même pouvons demander communication des avis du Conseil d'État au Gouvernement, qui a priori ne peut pas refuser. Seul le secret judiciaire peut nous être opposé.
En cas de problème, je peux, en tant que rapporteur, aller consulter les documents sur place.
Quand je donne une opinion, c'est en mon nom personnel, même si elle est enrichie par les dossiers que j'ai vu passer depuis 2012.
Le Conseil d'État ne participe pas à l'heure actuelle à un débat sur la fin des concessions, peut-être parce qu'il est un peu tôt et que les choix ne sont pas encore faits. Certains y réfléchissent déjà, notamment les concessionnaires qui ont un problème de maintien de leur activité après l'échéance des concessions en cours. Les paramètres du choix sont relativement connus. Je constate qu'en matière d'infrastructures publiques il existe une tendance à recourir au système de la concession en raison de la rareté de l'argent public pour les infrastructures. Le système de la concession, qui présente l'inconvénient d'un péage pour l'usager, est donc assez attractif à cause des contraintes budgétaires.
Par ailleurs, la concession me semble être un outil tout à fait légitime, mais qu'il faut bien gérer : il faut faire en sorte que la qualité du service rendu à l'usager soit garantie par le cahier des charges et que l'équilibre économique de la concession soit de nature à permettre au concessionnaire de garantir le fonctionnement du service.
Vous avez évoqué la tentation du Royaume-Uni de renationaliser certains services : cela peut arriver si l'on s'aperçoit que le concessionnaire est hors d'état de rendre un niveau de service acceptable. Il appartient alors au concédant de reprendre la main. Dans le droit des concessions, l'un des éléments essentiels, y compris dans la jurisprudence contentieuse du Conseil d'État, c'est l'intérêt du service public et de l'usager, dans le respect de la santé économique de l'opérateur, laquelle est vitale pour que le service soit correctement rendu.
De même, si les conditions économiques font que la rémunération du concessionnaire excède ce qui est normal dans le système de la concession, peut-être faut-il réfléchir à la durée de la concession et à son expiration anticipée.
Ces raisonnements procèdent du constat que la concession est un outil de gestion de service public qui doit être piloté par le concédant.
Je veux évoquer le prisme du temps long et du temps court.
Dans les contrats de concession, envisagés sous l'aspect des travaux uniquement et non du service, la question de la soulte n'explique-t-elle pas - je vous prie d'excuser ce mauvais jeu de mots - les « concessions » sur le reste ?
La question des biens de retour et des biens de reprise n'est-elle pas forcément inhérente à la longue durée de la concession ?
Enfin, il existe une asymétrie du temps long et du temps court entre le concessionnaire et l'État lorsqu'ils discutent de la concession. Vous l'avez dit, les concessionnaires réfléchissent déjà à 2031, alors que l'État, avec ses hauts fonctionnaires qui changent de poste tous les trois ou quatre ans et ses ministres dont la durée de vie est en moyenne de deux ans, raisonne forcément à temps court. On assiste donc à une perte d'expérience du côté de l'État, alors que les sociétés concessionnaires continuent de par le monde à gérer ce genre de contrats. Le rapport de force est très inégal.
Je n'ai pas été amené à réfléchir sur la question du versement de soulte : je n'ai donc pas de raison particulière d'avoir des éclairages sur le sujet.
Les biens de retour et les biens de reprise peuvent donner matière à discussion. Comme souvent en matière de concessions, il y a parfois des clauses contractuelles très précises, mais en l'absence de telles clauses on se réfère aux principes généraux, selon lesquels le bien de retour est ce qui est indispensable au concédant pour gérer le service public comme il l'entend. Autrement dit, le concessionnaire ne doit pas garder des biens qui seraient en fait essentiels au concédant pour gérer lui-même le service. Sinon, ce dernier serait dépendant de la bonne volonté du concessionnaire pour récupérer un bien qui lui permettrait de passer en gestion directe. Il peut y avoir des questions de propriété intellectuelle, dans les cas où le concessionnaire peut faire valoir qu'il a créé un bien et qu'il a le droit de le conserver. Une négociation peut alors s'engager en vue d'une indemnisation. Même si l'on peut réfléchir à l'avance, il peut arriver que d'âpres débats naissent en fin de concession car la frontière n'est pas toujours évidente.
La question du temps long et du temps court est une difficulté que l'on rencontre dans de nombreux domaines de l'action publique. Certains opérateurs privés ont une capacité de raisonner sur le temps long, notamment grâce à des compétences humaines et à la conservation des archives. Lorsque nous avons mené des recherches sur le long terme dans le passé, nous avons été surpris de constater que des ministères manquaient d'archives. Certains opérateurs privés ont des archives mieux tenues.
La gestion des ressources humaines est un art difficile : les politiques publiques ont plutôt valorisé la rotation des personnes dans les postes à responsabilité ou d'encadrement, ce qui peut présenter des inconvénients lors des discussions avec des opérateurs privés, lesquels investissent davantage dans le long terme en ce qui concerne leurs personnels et leurs archives.
Une question me taraude depuis un certain temps : celle du lien entre le choix du tracé de l'autoroute et le choix du concessionnaire. La succession des déclarations d'utilité publique (DUP) conduit parfois à choisir automatiquement tel ou tel concessionnaire, soit par adossement, soit en raison de la construction par « petits bouts » - lorsqu'il reste un petit bout d'autoroute à construire, on le donne à celui qui a fait le tronçon précédent sans qu'il y ait finalement de mise en concurrence. J'ai en tête des exemples bien précis. Quel est votre sentiment sur cette réalité ?
Certains sont tentés, pour régler le problème de la remise en état des routes, de prolonger de quelques années les concessions accordées au privé. Qu'en pensez-vous ?
Il faut distinguer deux régimes juridiques : celui de la déclaration d'utilité publique (DUP) et celui de l'attribution des concessions. La DUP est un acte se rattachant au droit d'expropriation dans le but de construire une nouvelle infrastructure : la question est purement géographique. L'attribution de la concession est un autre exercice, pour lequel nous sommes sous contrainte de l'Union européenne : la directive « concessions » de 2014 s'intéresse essentiellement à l'attribution des concessions, et non au régime de fond, lequel demeure très largement régi par le droit interne et par de grands principes qui ont plus d'un siècle.
En matière d'attribution, le régime européen veille avant tout au respect d'une mise en concurrence, afin d'abaisser les coûts et de permettre à de nouveaux entrants, éventuellement d'un autre État membre, de proposer leurs services. Une concession doit faire l'objet d'une mise en concurrence, sauf certaines exceptions, parmi lesquelles le cas où il ne serait pas économiquement faisable de prendre un autre concessionnaire que celui qui gère un tronçon adjacent.
Il y a un art de ne pas se mettre dans ce genre de situations, c'est-à-dire de ne pas concevoir la succession des infrastructures de manière à ce que la mise en concurrence soit éludée. L'application correcte de la directive « concessions » et des principes du droit des concessions impliquerait d'éviter ce genre de situations autant que faire se peut.
Quand j'évoque l'opportunité historique qui se présentera à partir de 2031, c'est aussi pour dire qu'il serait bon que le concédant se mette en situation de reprendre la main et d'attribuer de nouvelles concessions après mise en concurrence, sur la base d'un équilibre économique recalculé et de règles de tarification redéfinies. Je ne dis pas cela par hostilité au régime de la concession, mais je pense qu'il y a des règles du jeu à respecter. L'art d'être un bon concédant peut impliquer l'évitement de situations dans lesquelles des attributions seraient tronçonnées à tel point que le concédant ne pourrait pas reprendre la main.
Votre propos est vertueux, mais quelquefois on s'aperçoit que la gestion du dossier a conduit à en arriver là où on voulait en venir...
Je n'arrive pas à comprendre qui décide en bout de course du tracé de l'autoroute, en passant outre tous les documents d'urbanisme. On a évoqué la volatilité des élus et des techniciens : je crois plus fortement en celle des élus qu'en celle des techniciens, qui sont d'ailleurs les mêmes que l'on retrouve d'un côté - les sociétés autoroutières - et de l'autre - l'État. Je ne porte pas de jugement, et je ne donne pas de noms, mais j'ai tout de même la fâcheuse impression, pour l'avoir vécue sur le terrain, qu'on met les élus dans une nasse.
Le métier du Conseil d'État est de rappeler les grands principes du droit des concessions ainsi que - c'est la raison pour laquelle je me permets de donner une opinion - les quelques principes de base de bonne gestion pour un concédant.
Vous avez parlé de la jurisprudence du Conseil d'État de 2009 sur « l'excès de rentabilité » d'une concession et la possibilité de remettre en cause celle-ci en cas de modification de son équilibre économique. J'ai toujours constaté, pour ma part, la possibilité pour un concessionnaire de remettre en cause son contrat s'il considère que ses conditions économiques en ont été modifiées dans un sens défavorable.
Dans le protocole de 2015 a été introduite une clause non pas de rentabilité mais de chiffre d'affaires : en cas de dépassement de 30 % du chiffre d'affaires cumulé et évalué en euros de 2006, une remise en cause est envisageable. Je pense que nous en sommes loin, et ce taux me paraît presque inatteignable d'ici à la fin des concessions. Nous allons vérifier ce point. Cette clause remet-elle en cause la jurisprudence de 2009 ?
Vous avez dit qu'il faudrait recalculer l'équilibre économique du contrat. Comment faire ? Cela a-t-il déjà été effectué ? Cet équilibre économique est régulièrement évoqué, notamment par les concessionnaires, pour ne rien changer. Selon mon analyse, cet équilibre économique est celui de 2006, établi sur les plans d'affaires de 2006, avec des hypothèses de 2006, puisque c'est à cette époque que les sociétés ont acheté les participations de l'État. On nous dit que tous les avenants ultérieurs, y compris le protocole de 2015, étaient équilibrés, ce qui signifie qu'il y a eu autant de charges mises sur le dos des concessionnaires que de contreparties accordées, soit par des prorogations de concessions, soit par des augmentations de tarifs.
L'impact de la clause de durée endogène, qui a été introduite par les avenants de 2015, est limité à la durée supplémentaire des contrats en cours.
Lorsqu'il s'agit de nouvelles concessions, on peut inscrire une clause de durée endogène pour la durée complète de la concession. Mais pour les concessions qui ont été modifiées en 2015 par avenants, la clause n'était valable, en raison du respect des contrats, que pour la durée supplémentaire.
Les avenants de 2015 ont prolongé de plusieurs années la durée des concessions.
La clause ne concerne que les années qui ont été ajoutées.
Cela dit, cette clause repose sur des indicateurs, sur le chiffre d'affaires, et elle est contractuelle. Si les critères de la jurisprudence Commune d'Olivet étaient remplis, celle-ci pourrait jouer. L'ennui, c'est que cette jurisprudence repose sur des principes relativement généraux : l'hypothèse que l'équilibre de la concession est « non réalisé » en quelque sorte, et ce dans un sens trop favorable aux concessionnaires.
Ce serait un suréquilibre.
Ce que je comprends de votre réponse, c'est que la clause introduite en 2015 s'applique aux années supplémentaires d'allongement des concessions, et non pas aux années précédentes. En cas de suréquilibre, il faut regarder s'il est de 5 % par rapport à l'équilibre initial - on ne dira alors rien - ou de 50 % ou 100 % : là, les choses seraient différentes, la jurisprudence pourrait s'appliquer.
Quid de l'équilibre économique ?
C'est un point fondamental qui n'est pas facile à saisir. L'équilibre économique est un des paramètres essentiels du contrat de concession, dès le début du XXe siècle. Les juristes Jean Romieu et Léon Blum évoquaient déjà cette notion. On parle d'un équilibre « juste » ou « honnête » entre les besoins d'une gestion économe du service public et une rémunération permettant d'amortir les investissements, tout en rétribuant justement le concessionnaire.
La notion d'équilibre est un peu vague, mais elle a quelques marqueurs essentiels. L'équilibre, d'abord, se mesure sur la durée totale de la concession. L'une des difficultés que l'on rencontre dans le débat public, me semble-t-il, depuis 2013, c'est qu'on dispose d'indicateurs laissant penser qu'un certain nombre de concessions en cours font l'objet d'une rémunération aujourd'hui assez confortable pour le concessionnaire. Mais ces indicateurs sont annuels : excédent brut d'exploitation, baisse des taux d'intérêt, distribution de dividendes aux actionnaires. L'équilibre économique d'une concession se calcule sur l'ensemble de la concession. L'exercice n'est pas économiquement impossible.
Il y a deux règles d'usage de ce concept. La première, c'est que ce concept a un aspect contractuel ex ante. Lorsqu'une concession est conclue, les parties calculent la rémunération à partir d'un équilibre économique sous-jacent, qui peut être précisément détaillé ou non. Cet équilibre est constitué de projections de trafic à l'avenir, de conditions économiques générales qui sont très difficiles à prévoir, à l'horizon de quelques dizaines d'années. Il est révisé, rénové, lors des avenants, par une modification des engagements des parties ou des clauses de rémunération, sauf si ces avenants sont présumés neutres.
Avez-vous eu connaissance d'avenants qui n'étaient pas équilibrés ? Pourriez-vous nous en donner la liste ?
Les avenants ont été présentés comme équilibrés, ce qui n'est pas facile à vérifier. Il est également difficile de mesurer la variation éventuelle de l'équilibre lors d'un avenant et de mesurer l'équilibre constaté dans l'exploitation de la concession.
Néanmoins, il n'est pas impossible de constater ce qui est devenu l'équilibre lors de l'évolution de la concession, puisque celle-ci repose sur des paramètres économiques qui sont évalués lors de la signature et, éventuellement, lors des avenants. Ces paramètres sont assez volatiles : il s'agit du trafic, des conditions économiques générales, du coût, des taux d'intérêt...
Cette évaluation peut être refaite lors des avenants et à tout moment, en se projetant sur la durée complète de la concession. La jurisprudence Commune d'Olivet repose sur l'idée qu'il est possible, à l'année N d'une concession qui peut durer 30 ou 40 ans, de calculer ce qu'est devenu l'équilibre économique. Comme certains paramètres ont évolué dans un sens qui n'était pas du tout prévu par les parties lors de l'équilibrage initial, on peut s'attendre à ce qu'en fin de concession il y ait une sur-rémunération du concessionnaire, qui est justement l'objet de la jurisprudence Commune d'Olivet, ou une sous-rémunération.
C'est la raison pour laquelle je dis que le débat public a peut-être manqué d'éléments économiques pertinents pour mesurer l'équilibre économique. C'est aussi pour cela que j'évoquais avec grand intérêt le rapport quinquennal de l'Autorité de régulation des transports (ART) sur l'équilibre des contrats de concession : si nous disposions d'une étude indépendante sur l'équilibre des contrats de concession tel que constaté et, bien sûr, calculé sur le champ temporel correct, c'est-à-dire la durée complète de la concession, le débat public et le Conseil d'État disposeraient d'un indicateur intéressant, permettant de réfléchir à l'hypothèse d'une sur-rémunération.
Je ne me prononce pas, mais comme la jurisprudence Commune d'Olivet existe, elle n'est pas vaine. L'exercice n'est pas simple, mais il n'est pas infaisable non plus.
Je conclus de votre réponse que l'hypothèse que j'ai évoquée est la bonne.
Les sociétés d'autoroute ont investi plusieurs milliards d'euros pour l'ensemble des acquisitions, en prévision d'un plan d'affaires sur la durée des concessions et à partir d'hypothèses dont j'ai pu avoir connaissance. Quand on prévoit l'avenir, on fait forcément des hypothèses, et on se trompe toujours - reste à savoir dans quelles proportions et dans quel sens : sur ou sous-rémunération. Notre commission d'enquête doit faire toute la clarté sur ce point, et pas seulement l'ART.
Savez-vous pourquoi le gouvernement a tenu à l'époque à garder secret le protocole de 2015 ? Il avait été demandé de le rendre public, mais il a fallu deux ou trois ans avant d'en connaître le contenu exact.
Enfin, le projet de loi Macron comprenait des dispositions sur les sociétés autoroutières. Le Conseil d'État a été sollicité pour un avis initial sur ce texte, avis qui n'a, à ma connaissance, pas été publié. Des modifications ont été ensuite apportées par le Gouvernement à ce projet de loi. Avez-vous donné un nouvel avis ?
S'agissant du protocole de 2015, c'est vraiment un choix du Gouvernement qu'il ne m'appartient pas de commenter. Mais ce protocole trouvait en partie une traduction dans les avenants de 2015, qui n'étaient pas secrets - on peut consulter en ligne les cahiers des charges des concessions autoroutières.
En ce qui concerne la loi de 2015 dite « Macron », comme c'est souvent le cas, le Conseil d'État est consulté sur le projet de loi initial mais ne l'est pas sur des évolutions ultérieures du texte en cours de débat parlementaire.
L'ART, émet des avis sur les projets d'avenants. Ses avis sont-ils toujours suivis par le Conseil d'État ? Ce sont des avis simples, et je ne suis pas sûr d'ailleurs qu'il faille changer cette règle. Prévoir des avis conformes donnerait à l'ART un pouvoir très important.
J'ai eu l'impression que les avis de l'ART étaient assez souvent négatifs - mais peut-être me trompé-je - mais qu'ils n'avaient pas forcément de grandes conséquences sur la signature des avenants.
Les relations entre les régulateurs sectoriels et le Conseil d'État dépendent de la nature des missions de l'un et de l'autre. Nous avons plusieurs régulateurs en face de nous, essentiellement l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), la Commission de régulation de l'énergie (CRE) et l'ART. L'Autorité de la concurrence a un rôle plus général.
Quand nous examinons un projet de décret, nous lisons très attentivement les avis des régulateurs sectoriels. Ensuite, nous donnons un avis en droit, parfois en modifiant nous-mêmes la rédaction du texte. Les régulateurs peuvent parfois émettre des opinions d'opportunité que le Gouvernement ne souhaite pas retenir. Si nous estimons que le Gouvernement peut juridiquement faire le choix A, alors que le régulateur conseille le choix B, nous n'allons pas nous opposer au choix du Gouvernement, car c'est un choix d'opportunité.
Sur les analyses techniques de marché, le poids des régulateurs peut être très important car ces instances sont indépendantes. Les travaux de l'ART sur l'équilibre économique, notamment pour le rapport quinquennal, nous intéressent prodigieusement.
Ensuite, il y a d'autres hypothèses, dans lesquelles les interventions du régulateur et du Conseil d'État sont en réalité assez proches. C'est ce qui a pu se produire avec les avenants du plan d'investissement autoroutier (PIA). L'Arafer avait pour mission de rendre des avis simples sur l'application de l'article L. 122-4 du code de la voirie routière, notamment sur la légitimité de la répercussion sur les péages de tel ou tel investissement supplémentaire effectué par les concessionnaires d'autoroutes. Comme chacun le sait, elle a émis en 2017 des avis assez critiques sur un certain nombre de points, et le scénario qui s'en est suivi a été très particulier : réflexion du Gouvernement, retrait des projets qui étaient devant le Conseil d'État, puis nouvelle saisine du Conseil d'État sur la base de textes tenant pour partie compte des observations de l'Arafer.
Le Conseil d'État a dû, sur un exercice très minutieux - il s'agissait de vérifier la légitimité de chaque investissement nouveau -, jeter un regard qui pouvait, à certains égards, sembler assez proche de la mission exercée par l'Arafer. La différence, c'est que l'Arafer a vérifié le respect de l'article L. 122-4 du code de la voirie routière, tandis que le Conseil d'État a eu une approche très juridique, en examinant la compatibilité de la rédaction des avenants avec la directive « concessions » et l'article L. 122-4 susmentionné.
L'avis de l'Arafer est extrêmement intéressant pour le Conseil d'État, sans qu'il soit liant. Nous étions, dans certains cas, d'accord avec l'Arafer, et nous avions parfois des positions plus souples. Il est possible de discerner l'évolution en comparant les avis de l'Arafer et les avenants publiés.
Le Conseil d'État a eu une position très proche de l'Arafer sur les investissements qui incombaient par nature au concessionnaire, qui était l'un des points de contrôle.
Sur la question de l'évaluation des coûts, le Gouvernement a produit des contre-expertises par rapport à celles de l'Arafer. Le Conseil d'État n'a pas souhaité s'engager dans un contrôle des coûts très minutieux.
Sur la question des investissements nécessaires ou utiles, le Conseil d'État a rendu publique sa position dans son rapport annuel sur l'activité de 2018. La loi d'orientation des mobilités a depuis complété le texte, sans abandonner le critère de stricte nécessité ou utilité. La position du Conseil d'État, qui était un peu plus souple que celle de l'Arafer, était la suivante : un investissement « devenu nécessaire » au sens de la directive « concessions » correspond à des ouvrages ou aménagements dont serait nécessairement dotée l'infrastructure autoroutière concédée s'il était envisagé de la réaliser aujourd'hui. Nous avons fixé ce critère assez pragmatique.
Plutôt que de s'interroger sur le caractère absolument indispensable de tel ou tel diffuseur, ce qui aurait été un critère très contraignant proche de ce que j'appelle l'utilité publique avérée, on se demande si le diffuseur aurait été implanté si l'autoroute était construite aujourd'hui, eu égard à la population, aux besoins économiques, etc. La finalité de l'infrastructure est non pas d'être une piste de vitesse, mais de desservir rapidement et en toute sécurité des territoires. Pour que l'infrastructure publique remplisse sa mission et soit efficace, il peut être nécessaire et utile d'implanter un diffuseur à tel endroit.
Merci pour votre réponse qui me paraît très claire. Ce qui nous importe, c'est de savoir si les plans d'investissement autoroutiers incluent des travaux qui étaient à la charge du concessionnaire dans son contrat d'origine, et qui, par conséquent, ont déjà fait l'objet d'une compensation tarifaire. Sur ce point, y a-t-il un avant et un après-2015 ? J'ai le sentiment que les contrôles se sont renforcés récemment. Les avenants d'avant 2015 étaient peut-être un petit peu moins surveillés.
La situation a évolué depuis cette date, et je pense qu'elle peut prêter à une certaine dose d'optimisme. Deux éléments vont en ce sens.
D'abord, l'échéance de 2031 : si le concédant prend bien garde de ne pas perdre la main, il a la capacité de remettre à plat le mode de gestion des infrastructures autoroutières et de décider, s'il le souhaite, de conclure de nouvelles concessions recalculées avec des précautions contractuelles appropriées et avec mise en concurrence, ce qui n'interdit pas aux gestionnaires actuels de candidater avec tout leur savoir-faire. Le concédant a l'opportunité de reprendre la main, et c'est pour moi un élément d'optimisme, car je ne présume pas que l'État ne saura pas le faire.
Ensuite, c'est la mise à disposition d'outils. Le régulateur sectoriel a un rôle éminent de surveillance du secteur et de documentation à jouer. Ce qu'il a fait avec ses moyens techniques sur les avenants du PIA a été extrêmement utile pour le Conseil d'État. Son analyse de l'équilibre des concessions sera extrêmement intéressante, parce qu'elle correspond aux critères juridiques de l'équilibre, calculé sur la durée complète de la concession. Nous aurions enfin une analyse qui serait pertinente.
En réaction à ce que vous venez de dire sur l'intérêt de disposer d'une analyse pertinente, d'une étude indépendante, pour définir l'équilibre économique de ces concessions autoroutières, je voudrais citer quelques extraits extrêmement évocateurs de l'avis de l'Autorité de la concurrence du 17 septembre 2014 : « un secteur caractérisé par une rentabilité très élevée malgré une augmentation limitée du trafic autoroutier », « l'activité des concessionnaires autoroutiers peu risquée en elle-même leur procure des recettes dont la croissance à long terme est quasiment garantie », « des charges qui globalement progressent moins vite que le chiffre d'affaires et qui, s'agissant des investissements, sont partiellement compensées ». L'avis évoque aussi la dette de ces sociétés, qui a augmenté depuis la privatisation et qui leur permet de bénéficier d'un avantage fiscal, dans la mesure où les intérêts de ces emprunts peuvent être déduits du résultat global.
Ne dispose-t-on pas avec ce document de l'étude que vous appelez de vos voeux ? Quelle suite a pu être donnée à ce rapport, qui émettait également des recommandations ?
Ce rapport de l'Autorité de la concurrence, qui mettait en évidence des caractéristiques du secteur autoroutier, a été très fortement critiqué par les concessionnaires à l'époque, notamment avec un argument qui n'était pas totalement irrecevable : un certain nombre de données économiques utilisées étaient des données annuelles. Ces indicateurs de prospérité des concessionnaires ne suffiraient pas juridiquement pour intervenir sur des contrats en cours. Les concessionnaires ont estimé que l'Autorité de la concurrence n'avait rien compris car l'équilibre d'un contrat de concession se calcule sur la durée entière de la concession. On peut penser ce qu'on veut de ce genre de débat, mais il est vrai que des éléments économiques annuels ne suffisent pas. C'est la raison pour laquelle j'insiste sur l'intérêt de l'exercice du calcul de l'équilibre sur la durée complète de la concession.
Il est clair que l'investissement dans de grandes infrastructures publiques est très attractif. Lorsque l'État cherche à privatiser des autoroutes ou des aéroports, il rencontre un certain succès. Il s'agit souvent de points de passage économique essentiels, et on peut penser que le concédant ne laissera pas mourir le concessionnaire, puisque le service doit être rendu et l'infrastructure maintenue en état de fonctionnement. L'idée est que le degré de risque n'est pas extrêmement élevé.
Ce type d'infrastructures est un produit attractif sur le plan économique. La concession est un mode de gestion du service public qui a des avantages et des inconvénients, le tout est de bien s'en servir. Il faut savoir qu'elle implique des débats parfois un peu âpres avec de grands opérateurs : l'État doit se mettre en capacité de le faire. L'État doit faire très attention, d'une part, à reprendre la main quand il peut et, d'autre part, à rédiger des clauses qui garantissent sur la durée le respect des nécessités du service public et des droits des usagers à payer un prix qui est nécessaire mais qui doit rester juste.
Je vous remercie, monsieur le président, pour la qualité de vos réponses. Nous avons apprécié votre langage direct pour nous faire part des positions du Conseil d'État et de vos opinions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Nous recevons M. Bruno Angles, qui représentait les sociétés concessionnaires d'autoroutes dans les discussions avec l'État en 2014-2015. Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et fera l'objet d'un compte rendu publié.
Monsieur Angles, je vous remercie de votre présence. Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Bruno Angles prête serment.
Je vous laisserai d'abord vous présenter, car vous avez eu des fonctions différentes dans des ministères, des cabinets ministériels et comme administrateur de sociétés concessionnaires d'autoroutes. Vous nous expliquerez votre avis sur ces concessions et leur historique, le processus de privatisation et les négociations de 2015 - même si notre commission d'enquête se penche aussi sur l'avenir.
Je suis X - Ponts, et ai débuté ma carrière au ministère de l'Équipement, d'abord à la Direction départementale de l'équipement (DDE) d'Ille-et-Vilaine puis comme conseiller technique au cabinet de Bernard Bosson, pendant la seconde cohabitation. J'ai ensuite été nommé directeur général d'Autoroutes et tunnel du Mont-Blanc (ATMB), fonction que j'ai exercée de 1994 à 1996.
J'ai ensuite décidé de rejoindre le secteur privé, d'abord en étant mis en disponibilité, puis après avoir épuisé ces droits à disponibilité, en démissionnant de la fonction publique. J'ai rejoint le cabinet McKinsey pendant huit ans, avant d'être recruté par le groupe Vinci où j'ai passé un an comme directeur général de la division Vinci Énergies - en charge des travaux électriques et télécoms, qui n'avait rien à voir avec Vinci Concessions, division dirigée à l'époque par David Azéma. J'ai ensuite quitté Vinci et ai rebondi comme senior partner au sein du cabinet de conseil Mercer Delta. Pendant ce temps, j'ai occupé deux postes d'administrateur : de la société Saft d'une part - qui n'a rien à voir avec notre sujet - et, au lendemain de la fin du processus de privatisation, de la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) et AREA (Société des autoroutes Rhône-Alpes) d'autre part.
Après dix-huit mois dans cette configuration, j'avais appris à connaître Macquarie, société pour le compte de laquelle j'étais administrateur. Nous avons eu envie de travailler plus intensément ensemble, et j'ai donc quitté Mercer Delta pour travailler à temps plein pour Macquarie, comme président France. J'étais aussi en charge, pour les fonds d'infrastructures, de l'Europe continentale de l'Ouest - Scandinavie, Benelux, péninsule ibérique et France. J'ai donc eu à connaître d'APRR et d'AREA, car Macquarie était devenu en 2006 actionnaire à 50%, à parité avec Eiffage, de ces deux sociétés. J'ai occupé ce poste chez Macquarie jusqu'en mars 2016. À cette fonction, j'ai vécu une période très particulière, sur laquelle vous souhaitez m'entendre : du 3 décembre 2014 au 9 avril 2015, les sept sociétés concessionnaires d'autoroutes m'ont demandé d'être leur représentant dans les négociations avec l'État. J'ai ensuite quitté Macquarie en avril 2016 pour être président, pour la France et la Belgique, de Crédit suisse.
J'ai lu attentivement les documents que vous m'avez adressés, et j'aime que les choses soient parfaitement claires. Pour vous répondre sur d'éventuels liens voire conflits d'intérêts qui pourraient me concerner, je précise que je n'ai de lien personnel avec aucune des parties, que ce soit du côté du concédant ou des concessionnaires. J'ai rejoint il y a presque quatre ans la banque Crédit suisse, qui est en relation d'affaires avec plusieurs parties, que ce soit du côté privé avec Vinci, Eiffage, Macquarie, FFP ou Ardian, qui sont les actionnaires des sociétés concessionnaires d'autoroutes, du côté public avec l'Agence des participations de l'État (APE), la Caisse des dépôts et consignations et la CNP, ces deux derniers étant à l'époque actionnaires du groupe Société des autoroutes du Nord et de l'Est de la France (Sanef) et Société des autoroutes Paris-Normandie (SAPN). Crédit suisse n'a travaillé depuis 2016 avec aucune des parties que je viens de citer sur les sujets liés aux concessions autoroutières ni avec aucune des sept sociétés concessionnaires d'autoroutes.
Vous m'interrogez sur la situation des sociétés d'autoroute fin 2014 et la négociation - nous pourrons revenir sur les détails de celle-ci. L'élément déclencheur a été le rapport de l'Autorité de la concurrence, publié en septembre 2014, contenant des affirmations dont un certain nombre étaient fausses. Nous pourrons reprendre les points un par un si vous le souhaitez. Du 17 septembre 2014 au 3 décembre 2014 - date du démarrage de négociations un peu structurées -, il y a eu une phase « d'exubérance irrationnelle collective », comme je l'avais qualifiée devant le groupe de travail parlementaire mis en place par le Premier ministre par la suite, durant laquelle tout et n'importe quoi était dit, sans s'appuyer sur des faits. Or l'Autorité de la concurrence a été mise en très grande difficulté lorsqu'elle a été forcée de s'expliquer pour justifier ses affirmations, au moins à trois reprises.
La première fois fut le 17 septembre 2014, lors de l'audition du président de l'Autorité de la concurrence par la commission des finances de l'Assemblée nationale. Vous pouvez retrouver ces éléments dans les comptes rendus de l'Assemblée nationale. Le président de l'Autorité avait été pris à partie par au moins quatre parlementaires, tous bords confondus, et pas les moins pointus en matière de finances : Olivier Faure, Jérôme Chartier, Valérie Rabault et Gilles Carrez, alors président de la commission des finances. Lors de cette réunion, on sent que la commission essaie de pousser dans ses retranchements le président de l'Autorité de la concurrence - et c'est très dommage que cela ne soit pas allé au-delà ce jour-là. La commission lui a notamment demandé s'il était sûr d'avoir les bons chiffres et s'il avait la certitude que son analyse était correcte.
J'ai retrouvé les notes que j'avais préparées pour mon audition devant le groupe de travail des parlementaires en février 2015. Ingénieur, j'ai appris que lorsque le point de départ d'une démonstration était faux, il y avait peu de chances que le point d'arrivée soit juste. L'exécutif - et non les sociétés concessionnaires d'autoroutes ! - nous avait dit, dès octobre 2014, les yeux dans les yeux, que ce rapport était un « mélange d'incompétence et de malveillance. » L'Autorité de la concurrence peut être comparée, dans ce cas précis, à un médecin qu'on enverrait contrôler la tension d'un patient et qui reviendrait, en disant à qui veut l'entendre que le patient a 36,5, ce qui est très grave - sauf qu'il s'agit de la température, et de surcroît d'une température normale. Le patient, c'est les sociétés concessionnaires d'autoroutes ; le médecin, c'est l'Autorité de la concurrence ; la tension, c'est la rentabilité ; et le 36,5, ce sont les 20 % à 24 % mentionnés dans le rapport de l'Autorité de la concurrence. Mais toute personne qui s'intéresse sérieusement aux concessions sait que le bon indicateur de rentabilité n'est pas une marge brute sur le chiffre d'affaires, mais le taux de rentabilité interne (TRI) sur la durée de la concession. Durant neuf ans chez Macquarie, j'ai participé à un nombre incalculable de comités d'investissement, et on ne regardait jamais cette marge sur chiffre d'affaires sur une année donnée - cela n'a strictement aucun sens s'agissant d'une concession - mais nous regardions le TRI. Lors de cette phase d'exubérance irrationnelle collective, les sociétés concessionnaires n'ont eu de cesse d'essayer de rétablir cette vérité.
Une réunion importante a été convoquée par les ministres de l'écologie et de l'économie de l'époque le 3 décembre 2014, qui a mis en place le processus de négociation. Dès le 8 décembre, les sociétés concessionnaires ont adressé au ministre un courrier avec une annexe spécifique sur les problèmes que posait le rapport de l'Autorité de la concurrence. Le 3 décembre, les ministres nous ont demandé de travailler à la fois sur des négociations avec l'État et sur une confrontation avec l'Autorité de la concurrence. Nous avons avancé rapidement avec les deux négociateurs désignés par l'État, Alexis Kohler et Élisabeth Borne, mais nous avons eu beaucoup de mal à obtenir une réunion contradictoire avec l'Autorité de la concurrence. Le 18 décembre au matin, le ministre de l'économie - chacun se souvient de qui il s'agissait - a affirmé qu'il était inadmissible que cette réunion n'ait pas eu lieu précédemment. Elle a eu lieu le 18 décembre après-midi à La Défense, sous l'égide de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), dans les bureaux du ministère de l'écologie. Il est alors apparu au cours de cette réunion, de façon assez flagrante, que l'Autorité de la concurrence s'était trompée - cela peut arriver à tout le monde.
Troisième circonstance, j'ai été auditionné en février 2015 par le groupe de travail rassemblant quinze parlementaires désignés par le Premier ministre, lequel estimait qu'il était indispensable d'organiser à nouveau une confrontation entre les sept sociétés concessionnaires et l'Autorité de la concurrence. Il doit rester, dans les archives parlementaires, des traces de cette confrontation de trois heures et demie, à laquelle les sociétés concessionnaires d'autoroutes étaient présentes mais à laquelle je n'ai pas assisté. À la suite de mon audition fin février-début mars, il n'y avait aucun doute, dans l'esprit des parlementaires présents - et sans faire de procès d'intention à qui que ce soit, ni à l'Autorité de la concurrence, ni à son président - que l'Autorité de la concurrence avait envoyé l'exécutif et les parlementaires, dans le mur. C'est un constat. Il a fallu un peu de temps, entre le 3 décembre 2014 et le 9 avril 2015, pour rétablir un certain nombre de vérités, que ce soit sur les fantasmes des surprofits, de la rentabilité excessive ou sur les tarifs. Je suis prêt à débattre de tous ces points.
Marge, surprofits et rentabilité me semblent être le même sujet. J'entends vos reproches à l'égard du rapport de l'Autorité de la concurrence, qui n'aurait pas été contradictoire ; un tel rapport devrait l'être. J'ai entendu aussi les sociétés concessionnaires d'autoroutes protester contre les erreurs du rapport. Celles-ci ont-elles réalisé une synthèse de leurs observations, factuelles et ponctuelles, sur ce rapport, sur les chiffres cités par l'Autorité - en dehors de l'analyse, qui peut être sujette à débat ?
Je suis d'accord avec vous, le TRI est effectivement plus important que la marge. À l'époque, quel taux de rentabilité interne était considéré comme normal, par rapport aux risques pris par les concessionnaires ? Selon moi, ce n'est pas 8 %.
Les trois fois où il y a eu un peu de contradictoire - le 17 septembre à la commission des finances de l'Assemblée nationale, le 18 décembre après-midi avec la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) et lors de l'audition par le groupe de travail des parlementaires - cela a fait progresser la vérité. Vous devriez interroger les sept sociétés d'autoroute qui ont leurs propres archives. Si j'en crois les notes que j'ai conservées, un courrier conjoint de ces sociétés a été adressé le 8 décembre aux deux ministres ; il contenait un développement sur les griefs contre le rapport. Je peux vérifier de mon côté, mais si je n'ai pas conservé ce courrier, ces sociétés l'ont probablement. Il est possible qu'elles aient aussi réalisé, individuellement, d'autres documents.
Selon mes notes, les TRI des sociétés d'autoroutes, tels que mesurés à l'époque, étaient tous significativement inférieurs à 10 %, alors que la Caisse des dépôts et consignations, investisseur public, utilisait habituellement des TRI-cibles supérieurs à 10 % pour ses investissements.
Dans son avis d'octobre 2014, à l'occasion de l'examen du plan de relance autoroutier, qui est une partie de l'accord global du 9 avril 2015, la Commission européenne a clairement exprimé que le TRI des sociétés concessionnaires permettait, même en prenant en compte les éléments rajoutés par le plan de relance, « de répondre aux exigences de l'encadrement de 2012 sur la notion de bénéfices raisonnables pour le secteur des autoroutes, en fonction du type de travaux concernés, du mécanisme de compensation et du niveau de risque ». Ce ne sont pas les sociétés concessionnaires qui le disent, mais la Commission européenne.
Durant la présentation des résultats du groupe Vinci, dans la période 2014-2015, une question a été posée concernant le TRI. Le président de Vinci, qui l'est encore actuellement, avait répondu que dans l'offre remise, ce taux-cible était de 8,5 %, mais qu'il était de 7,5 % au moment où il a été réellement mesuré, car les conditions étaient moins bonnes que celles attendues au moment de la privatisation.
Comment définiriez-vous l'équilibre économique du contrat, et comment le calculeriez-vous ?
Le contrat est la loi entre les parties ; le contrat de concession lie le concédant et les concessionnaires ; par construction, il est équilibré. Dans le cas contraire, l'une des deux parties ne l'aurait pas signé. C'est vrai pour les concessions lors de la privatisation en 2006. C'est le résultat de l'appel d'offre et des avenants successifs qui font l'équilibre. Si un projet d'avenant ne convient pas soit au concédant, soit au concessionnaire, alors il ne le signe tout simplement pas.
Permettez-moi une remarque importante : l'existence de cette commission d'enquête le prouve ; les sociétés concessionnaires d'autoroutes et leurs actionnaires sont extrêmement critiqués, régulièrement, dans le débat public. Mais ce ne sont pas ces sociétés qui ont décidé la privatisation, ni leurs actionnaires actuels. Le principe de la privatisation, ses modalités, le contenu des objets à privatiser, y compris celui du contrat de concession, ont été décidés par l'État.
En outre, en 2006, les actionnaires des sociétés concessionnaires ont changé, mais pas le contenu des contrats de concession. Nous pouvons revenir plus en détail sur les idées fausses en matière de tarifs, mais en 2006, les relations entre sociétés concessionnaires et l'État ont continué à être régies par ledit contrat.
Vous n'avez pas vraiment répondu à ma question. Il ne s'agit pas seulement de l'équilibre lors de l'achat des actions. Comment calcule-t-on cet équilibre économique aujourd'hui ?
Pour moi, le TRI est le seul indicateur synthétique d'appréciation de la rentabilité d'une concession. On ne peut avoir une certitude sur le niveau du TRI, une réalité objective quasiment indiscutable, qu'à la fin de la concession. En fonction du passé et des prévisions, on peut mesurer le TRI le plus probable, mais ce TRI probable sera soit au-dessus, soit en dessous du TRI réel constaté in fine.
J'ai avec moi le rapport de l'Autorité de la concurrence. Considérez-vous que tout soit faux dans ce rapport, qu'il est à jeter à la poubelle ? Vous tenez des propos très clairs, et nous devons avoir un débat de fond.
Vous avez « explosé » l'Autorité de la concurrence, ferez-vous de même avec la Cour des comptes qui, en juillet 2013, a publié un rapport dans lequel elle « épinglait » les sociétés concessionnaires, selon le titre d'un article du Monde, journal sérieux ? Selon la Cour des comptes, « la négociation des avenants aux contrats de concession (notamment les contrats de plan) et le suivi par le concédant (assuré par le seul ministère chargé des transports) des obligations des concessionnaires se caractérisent par un déséquilibre au bénéfice des sociétés autoroutières ». Est-ce que ce sont des propos malveillants ? Je poursuis la lecture de l'article du Monde, qui cite la Cour : le système retenu pour calculer les tarifs des péages a aussi conduit à « des augmentations tarifaires supérieures à l'inflation ». Autre problème, « l'État ne se montre pas assez exigeant en cas de non-respect de leurs obligations par les concessionnaires, qu'il s'agisse de préserver le patrimoine, de respecter les engagements pris dans les contrats de plan ou de transmettre les données demandées » par l'État. Par conséquent, la Cour recommande de « mettre en oeuvre les dispositions contraignantes » si besoin, de « réaliser systématiquement une contre-expertise (...) de tous les coûts prévisionnels des investissements ». « Il convient de faire évoluer un cadre qui conduit à une hausse continue et importante des péages autoroutiers ». Ces recommandations de la Cour ont-elles été suivies ?
Vous évoquez les potentiels conflits d'intérêts. En 2014, 150 députés du groupe socialiste ont demandé à l'État de réexaminer les contrats de concession ; c'était un peu compliqué, puisque le Gouvernement était train de négocier avec les sociétés d'autoroutes un plan d'investissement de 3 milliards d'euros. Le Premier ministre a donc mis en place un groupe de travail, dont le député socialiste Jean-Paul Chanteguet a claqué la porte après quelques semaines en déclarant : « On a bien compris qu'entre les représentants des sociétés concessionnaires d'autoroutes et la haute administration, il y avait de nombreuses convergences. Je pense que ces grands groupes sont particulièrement puissants et qu'ils disposent d'un réseau qu'ils ont, en ces circonstances, actionné. Réseau qui a fait preuve de son efficacité. » Je soumets ces points à votre réflexion.
Si je vous répondais que tout était faux dans le rapport de l'Autorité de la concurrence, cela ne serait pas sérieux. Bien sûr, tout n'est pas faux, mais le rapport de l'Autorité et sa communication ont envoyé l'exécutif et les parlementaires dans le mur ; je maintiens mes propos.
À l'époque, j'avais regardé attentivement tous les rapports qui sortaient sur les autoroutes, mais mon rôle transversal n'a duré que quatre mois et six jours ; j'étais davantage focalisé sur APRR et AREA. Je n'ai pas souvenir que la Cour des comptes ou l'Autorité de la concurrence aient mis en évidence le moindre manquement d'APRR et AREA dans l'exécution de leur contrat. Les sociétés d'autoroute voulaient alors respecter le contrat et ne demandaient qu'une chose au concédant, qu'il fasse de même.
Je me souviens de l'hystérie collective sur les tarifs au coeur de la polémique. L'Autorité de la concurrence avait pointé que les tarifs avaient évolué plus rapidement que l'inflation depuis la privatisation. C'est un point exact du rapport. Mais la véritable interrogation est : pourquoi une telle augmentation ? Or il n'y a que deux raisons au monde pour que ces tarifs augmentent plus rapidement que l'inflation, puisque par défaut, les contrats de concession stipulent que les tarifs évoluent à 70 % de l'inflation. La première, c'est l'existence de contrats d'entreprise quinquennaux, qui rémunèrent des investissements supplémentaires par une formule tarifaire contractuelle. Il n'y a aucune obligation de conclure un tel contrat quinquennal. À l'époque où j'étais en charge du sujet, de mémoire, seules les trois sociétés du groupe Vinci, AREA et APRR avaient un contrat d'entreprise, mais pas la société des autoroutes du nord et de l'est de la France (Sanef) ni la société des autoroutes Paris-Normandie (SAPN) - dont les tarifs ont continué d'évoluer à 70 % de l'inflation. En cas de contrat d'entreprise, le contrat de concession prévoit une rémunération à 85 % de l'inflation, plus un terme constant. Pour le contrat d'entreprise d'APPR de 2014-2018, la formule était de 0,85 plus 0,37 ; pour AREA, de 0,85 plus 0,41.
La seconde raison pour aller au-delà des 70°% est la compensation, éventuelle, prévue par le contrat de concession, de toute hausse de taxes spécifiques comme la taxe d'aménagement du territoire ou la redevance domaniale. Les sociétés ne sont évidemment pas favorables à de telles augmentations de taxe, malgré la compensation : toutes choses étant égales par ailleurs, cela ne leur rapporte rien, voire peut faire diminuer le trafic. Ces deux décisions sont aux mains du concédant.
L'association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA) avait calculé qu'entre 2000 et 2006, lorsque l'État était actionnaire, unique puis majoritaire, pour une inflation moyenne de 1,63 %, les hausses de tarifs ont été de 2,06 %. Entre 2007 et 2014, pour une inflation moyenne de 1,43 %, les hausses de tarifs ont été de 1,81 %. Quoi qu'en dise l'Autorité de la concurrence, ces tarifs ont augmenté moins vite quand les actionnaires étaient privés que lorsque l'État était actionnaire. Certes, l'inflation n'était pas la même, mais en corrigeant de l'inflation, les deux chiffres deviennent exactement comparables, à la deuxième décimale près. Ce n'est pas le fruit du hasard, mais cela est dû au fait que le contrat de concession n'a pas changé.
Je suis d'accord en valeur absolue, mais en proportion, c'est un peu plus... Sur la période suivante, nous avons eu 1,4 % et non 1,6 % d'inflation.
Je suis à votre disposition pour approfondir ce calcul. Mais la formule d'évolution des tarifs n'a pas été inventée en 2006 pour faire plaisir aux nouveaux actionnaires ; c'est celle qui préexistait et que l'État s'appliquait à lui-même. Le 22 octobre 2014, BFM Business avait comparé les hausses des tarifs des sociétés d'autoroute à celles du rail en prenant une base 100 en 2003. Onze ans plus tard, les tarifs autoroutiers sont à 122, ceux de la RATP à 133, ceux de la SNCF à 129.
Le courrier adressé au Premier ministre par les 152 députés socialistes, emmenés par M. Chanteguet, qui demande la résiliation des contrats d'autoroute, date du 4 décembre, soit le lendemain de la réunion du 3 décembre entamant les négociations. C'était un peu inattendu, mais les sociétés concessionnaires d'autoroutes avaient trois options possibles : la première était d'attendre tranquillement la résiliation demandée. Macquarie aurait pu faire ce calcul cynique et attendre l'indemnisation à la juste valeur prévue par le contrat de concession. Macquarie gérait une société, Macquarie-Autoroutes de France, qui avait quatre actionnaires, un fonds dit MIF 1, un fonds MIF 2, un fonds Macquarie-Atlas et une petite société qui s'appelait Mercer - qui n'a rien à voir avec la précédente. Peu de temps avant cette séquence agitée, le fonds MIF 1 avait vendu ses parts à deux investisseurs internationaux, ADIA et PGGM. Le prix auquel avaient été vendues les parts était satisfaisant à la fois pour MIF 1 et les autres actionnaires de la société Macquarie-Autoroutes de France. Si nous avions été cyniques, nous aurions pu bénéficier d'un effet d'aubaine et attendre la résiliation et l'indemnisation. Les fonds MIF 2, Macquarie Atlas et Mercer, auraient alors été rachetés à la valeur à laquelle MIF 1 venait de vendre ses parts à ADIA et PGGM.
Seconde option, les sociétés auraient pu décider de faire respecter leur bon droit contractuel et de mener jusqu'au bout leurs contentieux devant le Conseil d'État. Elles les auraient probablement gagnés. Or ces sociétés ont fait le choix, différent et exigeant, malgré les attaques les visant, d'un accord gagnant-gagnant avec l'État, pour sortir de la crise la plus sévère depuis cinquante ans en matière de concessions autoroutières. Je pense encore aujourd'hui que c'était la bonne approche. Si le protocole qui a été proposé aux différentes parties signataires par Alexis Kohler, Élisabeth Borne et moi-même n'avait pas été équilibré, par définition il n'aurait pas été signé.
Concernant la remarque un peu agressive de M. Chanteguet, je note qu'il est le seul des quinze parlementaires à avoir quitté le groupe de travail, composé d'élus de tous bords, qui ont considéré que le travail en cours permettrait d'aboutir à un résultat intelligent. Si les propos de M. Chanteguet visaient à me mettre dans le même sac qu'Élisabeth Borne et Alexis Kohler, et si l'on raisonne sur des faits plutôt que sur des opinions, je prends cela plutôt comme un compliment.
J'ai le sentiment que d'une certaine manière, vous avez été victime des privatisations en 2006.
Je ne sais pas ce qui vous donne ce sentiment.
C'est ce que vous avez dit : « ce ne sont pas les concessionnaires qui ont décidé de privatiser ». C'est vrai, ce n'est pas moi non plus, je m'y serais opposé. Vous avez été, comme moi, une victime des privatisations...
Je ne pense pas avoir été victime des privatisations. Mais je vous le redis avec sérénité, en 2006, ce ne sont pas les sociétés concessionnaires, ni leurs actionnaires actuels qui ont décidé de privatiser, c'est l'État. Et pour aller jusqu'au bout du raisonnement, il faut aussi une loi de privatisation, proposée par le Gouvernement mais votée par le Parlement.
Je vous ai entendu parler des TRI de la Caisse des dépôts, mais ce n'est pas dans le cadre d'une concession. J'ai l'honneur de siéger au comité des investissements de la Caisse des dépôts et consignations et je connais bien ses TRI historiques. Je suis d'accord avec vous sur le fait qu'il ne faut pas regarder la marge annuelle, mais le TRI. Toutefois, selon les concessionnaires, il y a plusieurs façons de faire le TRI in fine et de répartir les marges pour arriver au TRI cible. Est-ce que certains n'ont pas eu intérêt à prendre la concession, à survaloriser les bénéfices faits pour revendre potentiellement une partie des fonds, puis à investir auprès de ceux qui vont faire les travaux et prendre les marges ? Les investisseurs ne font-ils pas de l'optimisation financière ?
Nous pouvons débattre de la Caisse des dépôts, mais j'ai un souvenir assez précis, car j'ai quitté mes fonctions chez Macquarie moins d'un an après la fin de la négociation, mais suffisamment longtemps pour avoir travaillé sur un point de son implémentation, c'est-à-dire la mise en place du Fonds de modernisation écologique des transports (FMET). Le FMET est prévu par une des clauses du protocole de 2015 et est abondé de 200 millions d'euros par les sociétés concessionnaires. Il fallait trouver un gestionnaire de fonds. Ce n'est pas mentionné contractuellement dans le protocole, mais nous avions évoqué avec l'État que cela puisse être la Caisse des dépôts et consignations pour éviter toute suspicion. Or les négociations n'ont pas abouti car les représentants de la Caisse des dépôts refusaient de descendre en dessous d'un TRI de 10 %. Nous avons donc été contraints de trouver un autre gestionnaire, le fonds Demeter. À l'époque, la référence incontestable était l'avis de la Commission européenne, pour lequel le TRI présenté pour les concessions, y compris le plan de relance qui s'y ajoutait, était conforme à son ordonnance de bénéfices raisonnables.
Concernant les travaux, il y a une certaine asymétrie dans le paysage des concessions. D'un côté, il y a les trois sociétés du groupe Vinci qui en est actionnaire à 100 %. D'autre part, APRR et AREA sont détenues par Eiffage et Macquarie, Eiffage étant constructeur mais pas Macquarie, et enfin Sanef et SAPN n'ont aucun actionnaire constructeur. Je n'ai aucune visibilité sur les sociétés de Vinci. Pour APRR et AREA, je ne sais plus si c'était prévu par le cahier des charges de la privatisation, c'était vraisemblablement le cas, une commission des marchés a été mise en place. Selon les accords passés entre Eiffage et Macquarie, la présidence de cette commission des marchés au sein du groupe APRR était assurée par un représentant de Macquarie - ce n'était pas moi. Macquarie n'avait aucun intérêt à avoir des surfacturations ou des surmarges sur les travaux qui seraient facturés au groupe APRR. Aucun des présidents de la commission des travaux n'a détecté d'anomalie.
Merci de cette dernière précision. Dans le cadre des deux sociétés citées et contrôlées par Eiffage et Macquarie à parité, il y a un allié du concédant qui est le fonds d'investissement qui ne fait pas de travaux lui-même et qui n'a aucun intérêt à ce que le groupe partenaire en fasse et dégage des profits ailleurs qui lui échappent.
Si j'ai bien compris, le fonds d'investissement de 200 millions d'euros de 2015 aurait dû être géré par la Caisse des dépôts, et il est finalement revenu à Demeter. Ce n'est pas un fonds d'investissement à perte, mais un fonds qui investit dans des sociétés d'énergies renouvelables. Les groupes qui ont apporté ces 200 millions d'euros restent propriétaires de ces fonds, sous réserve des variations de valeur des sociétés dans lesquels le fonds a investi.
Vous avez parfaitement compris. Dans le protocole de 2015, que j'ai relu, la clause E2 prévoyait la mobilisation de 200 millions d'euros d'investissements dans les projets de transport écologique, qui sont devenus le FMET. C'est donc bien une contribution collective de 200 millions d'euros de fonds propres, gérés sous mandat par un professionnel, par exemple la Caisse des dépôts.
Pour revenir sur ce que vous évoquiez tout à l'heure, cela n'a rien à voir avec le TRI.
Une fois les 200 millions d'euros mis dans le fonds en question, ce ne sont pas les actionnaires qui prennent les décisions d'investissement. Ce sont des fonds propres, à la différence de la contribution volontaire obligatoire exceptionnelle qui est à fonds perdus pour les sociétés concessionnaires.
Il y avait deux choses dans le protocole : outre le plan de relance autoroutier de 3,2 milliards environ, mis à la charge des sociétés concessionnaires, il y avait les 200 millions d'euros du FMET, qui ne sont pas des versements à fonds perdus. Les versements à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) sont des versements demandés aux sociétés concessionnaires d'autoroutes.
Pour la privatisation, sur le lot récupéré par Vinci, il n'y a eu que la réponse de Vinci. Pourquoi Eiffage et Macquarie n'étaient pas intéressés ? Et sur le lot obtenu par Eiffage-Macquarie, comment expliquez-vous que l'offre du consortium Cintra, légèrement supérieure, n'ait pas été choisie ?
Je ne sais pas. Je suis revenu dans le secteur autoroutier, au sens large, le 20 février 2006 lors des premiers conseils d'administration d'APRR et AREA qui se sont tenus immédiatement après le transfert des actions de l'État vers les nouveaux actionnaires. C'est à partir de là que j'ai eu à connaître ce dossier. Je n'étais pas du tout impliqué dans le processus de privatisation, ni du côté du concédant, ni du côté des sociétés concessionnaires, ni du côté de tel ou tel candidat. Je ne sais donc pas.
Non.
Quelles étaient les relations entre Eiffage et Macquarie ? Est-ce que Macquarie possédait des titres d'Eiffage ? Y avait-il des liens autres que ceux de deux entreprises se rencontrant pour faire une offre ?
Sur la période allant jusqu'à mars 2016 inclus, à ma connaissance, le seul dossier de relation contractuelle entre Eiffage et Macquarie est celui des autoroutes en France. Je suis à peu près certain que Macquarie n'a jamais été actionnaire d'Eiffage, à quelque niveau que ce soit.
Vous avez été fonctionnaire dans un premier temps. Comment évaluez-vous les capacités de contrôle de l'État lorsqu'il est concédant ? M. Martin, président de la section des travaux publics du Conseil d'État et que nous venons d'auditionner, doutait de la capacité de l'État à tenir correctement ses archives - même s'il ne l'a pas formulé ainsi - contrairement aux entreprises privées. Que pensez-vous de cette capacité de contrôle, sachant que la première évaluation prévue par la clause de 2006 a été oubliée ? Personne ne l'a rappelée, et vous non plus.
Devant une commission d'enquête, on parle de ce que l'on sait, pas de ce que l'on ne connaît pas... Lorsque j'étais au cabinet du ministre, en 1993-1994, il me semblait que le contrôle qui s'exerçait sur les sociétés d'autoroute était tout à fait satisfaisant - les sociétés concessionnaires venaient d'ailleurs s'en plaindre régulièrement.
À l'exception de la période entre le 3 décembre 2014 et le 9 avril 2015, je n'étais pas en relation directe avec le concédant, puisque c'était le représentant d'un des deux actionnaires des sociétés APRR et AREA. C'était le travail du PDG d'APRR, Philippe Nourry.
Pour la période que je connais, je peux témoigner vraiment très sincèrement que les intérêts de l'État ont été âprement défendus par les négociateurs Alexis Kohler et Élisabeth Borne ; ce sont de très grands serviteurs de l'État. Ils n'ont rien lâché. C'était une discussion courtoise à chaque instant, mais âpre.
Lors de ces négociations de 2015, comment la clause de plafonnement de la rentabilité à 30 % au-dessus de la valeur de référence a-t-elle été définie ? Est-elle réaliste ou ce plafonnement ne peut-il être atteint ?
Cette clause limitant la rentabilité a été introduite par l'État. Nous avions eu un échange exploratoire pour qu'il instaure un mécanisme symétrique, par lequel, si la rentabilité était inférieure à un seuil, le concédant aurait compensé le concessionnaire. L'État n'a pas souhaité s'engager en ce sens. Nous nous sommes donc orientés vers une clause asymétrique que les concessionnaires ont fini par accepter. Cela n'a pas été facile. Rien n'obligeait les sociétés concessionnaires à accepter une clause de plafonnement de leur rentabilité, en fonction des contrats de concession qu'elles avaient achetés en 2006. Je n'ai pas de souvenir plus précis que cela sur les détails de la discussion du mécanisme. Mais comme je vous l'ai dit, l'appréciation de la rentabilité se fait en fin de concession. C'est pour cela que la première annexe du protocole prévoit qu'à la fin de la concession, le concédant et le concessionnaire voient ensemble si l'on se situe au-dessus ou en dessous du seuil, et il y a un mécanisme d'ajustement sur la durée de la concession.
Est-il difficile d'ajouter, à la fin de la concession, un temps de concession supplémentaire ?
L'annexe 1 du contrat de concession prévoit une clause de revoyure à la date de fin de la concession, avant la prolongation prévue par le plan de relance. À la fin de la concession - hors période prévue par le plan de relance - nous examinons la rentabilité. Si la rentabilité est élevée, nous revoyons à la baisse la durée de l'extension de la concession.