Je salue tous nos collègues présents, et également ceux qui sont reliés à nous par visioconférence.
Nous avons à examiner ce matin les amendements de séance déposés sur les articles 5, 6 et 9 du projet de loi visant à apporter un cadre stable d'épanouissement et de développement aux mineurs vulnérables sur le territoire français, qui nous ont été délégués au fond.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE AU TEXTE DE LA COMMISSION
Article 9
L'article 9 prévoit que l'attribution des allocations familiales dues au titre d'un enfant placé ne peut être maintenue à la famille, sur décision du juge, qu'à titre partiel. Notre commission a proposé la semaine dernière de ne pas adopter cet article. L'amendement de suppression n° 4 rejoint donc notre position. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 4.
En supprimant le fait que le maintien, sur décision du juge, du versement des allocations à la famille ayant un enfant placé, ne puisse être que partiel, l'amendement n° 15 rejoint la position de notre commission. Mais un alinéa prévoit toutefois que, lorsque le président du conseil départemental saisit le juge d'une demande de maintien des allocations à la famille, il doit le faire au vu d'un rapport établi par le service de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Je doute de l'impact réel de cette mesure, le président du département étant libre de consulter ses propres services pour l'éclairer sur l'opportunité de saisir le juge. À défaut d'un retrait par son auteur, je vous propose donc un avis défavorable.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 15 et, à défaut, y sera défavorable.
TABLEAU DES AVIS
Nous examinons à présent le rapport de notre collègue Élisabeth Doineau sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à répondre à la demande des patients par la création de Points d'accueil pour soins immédiats (PASI).
Le 28 novembre 2019, l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité une proposition de loi de notre collègue député Cyrille Isaac-Sibille proposant la création de PASI.
Cette initiative fait écho à des enjeux que nous connaissons tous : l'accès aux soins - en particulier pour nos concitoyens résidant dans des zones où la démographie médicale est fragile - et l'engorgement des services d'urgence, dont la fréquentation connaît une croissance continue, avec 21,4 millions de passages en 2017, soit un doublement en vingt ans.
Le rapport de 2017 sur les urgences hospitalières de nos collègues Laurence Cohen, Catherine Génisson et René-Paul Savary avait déjà largement analysé ce phénomène. Ces services permettent une prise en charge complète, à toute heure du jour et de la nuit et en un seul lieu, cela sans avance de frais. Ils offrent une réponse à une urgence médicale ressentie que les patients ne trouvent pas toujours auprès des professionnels de ville.
La gestion de l'amont des urgences, par une meilleure prise en charge des soins non programmés, est au coeur des priorités des politiques de structuration des soins ambulatoires. La stratégie Ma Santé 2022, comme le Pacte de refondation des urgences présenté en septembre 2019, s'appuie sur le déploiement de l'exercice coordonné au sein des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), ou encore sur les structures d'exercice regroupé que sont les centres et les maisons de santé.
Les PASI apportent une pierre à cet édifice. Ils ont vocation à être un outil, parmi d'autres, de prise en charge des soins non programmés, selon un dimensionnement intermédiaire entre le cabinet médical et les urgences. Équipés d'un plateau technique léger - ou organisés avec les autres acteurs pour l'accès à un tel plateau -, offrant un accès à l'imagerie et à des actes de biologie, ils pourraient traiter la petite traumatologie ou des soins relevant de la médecine générale, en sollicitant si nécessaire des expertises, le cas échéant par télémédecine, ou en orientant les patients vers les structures plus adaptées si leur état le requiert.
Les PASI proposeraient le tiers payant et garantiraient l'absence de dépassements tarifaires, afin d'assurer un accès aux soins dans les mêmes conditions financières que les services d'urgence, gage de leur attractivité.
Les PASI ne sont pas une création ex nihilo : ils sont inspirés d'expériences de terrain. L'objectif est ainsi de donner de la visibilité à des structures qui existent déjà, pour aider le patient à se repérer dans un système de soins souvent perçu comme complexe. Le directeur général de l'ARS d'Auvergne-Rhônes-Alpes, par ailleurs auteur en 2015 d'un rapport sur le territorialisation des urgences, a soutenu dans cette région des « centres de soins non programmés » issus de la transformation de services d'urgence. D'autres initiatives sont portées par des médecins de ville, souvent adossées à des maisons ou centres de santé.
La proposition de loi apporte une reconnaissance attendue à de telles structures, en stabilisant leur financement, notamment là où elles ne sont pas soutenues par les agences régionales de santé (ARS). Elle permettra également aux patients de bien les identifier par une signalétique spécifique : l'auteur du texte a proposé une croix orange, à l'instar de la croix rouge des urgences ou de la croix verte des pharmacies.
Lors de son examen par l'Assemblée nationale, le texte a connu d'importantes évolutions. Le principe d'une autorisation aux seuls établissements de santé a été remplacé par celui, plus souple, d'une habilitation délivrée par l'ARS, sur la base d'un cahier des charges national. En outre, les députés ont tenu à renforcer l'articulation des PASI avec les CPTS dont l'une des missions est d'améliorer l'accès aux soins non programmés. Pour ménager une certaine souplesse, les députés ont toutefois prévu une possibilité de labellisation par l'ARS sans attendre la constitution d'une CPTS. En effet, si plus de 530 projets de CPTS sont recensés, une soixantaine seulement a un projet de santé validé et seule une vingtaine a adhéré à l'accord conventionnel.
Au terme des nombreuses auditions que j'ai conduites, j'ai constaté que la proposition de loi est accueillie très positivement par certains, mais qu'elle suscite également des réserves, voire des incompréhensions.
Il ne faudrait pas, au travers des PASI, encourager une approche consumériste du soin. À cet égard, je me suis interrogée sur la notion de soins immédiats, qui pourrait véhiculer l'image d'un drive du soin. Mais ce terme me semble néanmoins plus parlant, pour les patients, que celui de « soins non programmés », qui relève d'un vocabulaire d'initiés.
Au-delà des questions de terminologie, la régulation médicale vers les PASI sera déterminante et devra se faire en cohérence avec les acteurs libéraux dans les territoires, ou dans le cadre du numéro unique ou du service d'accès aux soins annoncé dans le Pacte de refondation des urgences. L'inscription des PASI dans les CPTS permettra de garantir la pertinence médicale de ces structures, à la fois pour ne pas consommer du soin inutile ou à l'inverse retarder une prise en charge relevant de l'urgence. L'information des patients sur l'offre existante, à travers une communication grand public, apparaît comme un indispensable corollaire au texte.
Il ne faudrait pas non plus déstabiliser l'organisation existante dans les territoires, en venant à rebours du parcours de soins ou en semant de la confusion. L'idée n'est nullement d'ajouter un étage au millefeuille. Les PASI doivent s'inscrire dans un projet territorial, comme l'a prévu l'Assemblée nationale, qui articule les PASI avec les CPTS ou les projets territoriaux de santé créés par la loi de juillet 2019.
Il me semble que le cadre général posé par ce texte permet d'assurer la nécessaire plasticité du dispositif pour l'adapter aux réalités de chaque territoire. L'implantation des PASI devra tenir compte des organisations mises en place par les acteurs du territoire pour éviter les situations de concurrence. L'objectif n'est pas de mailler l'ensemble du territoire en PASI. Il ne s'agit pas non plus de créer des services d'urgence au rabais, qui viendraient fragiliser l'accès aux soins.
Les PASI ne résoudront pas les problèmes de démographie médicale. Mais cette initiative, avec son approche centrée sur le patient et son caractère pragmatique, me semble intéressante.
Je vous propose donc d'adopter cette proposition de loi, sous réserve des amendements que je vais vous soumettre, afin de renforcer la cohérence des PASI avec l'offre de soins et le parcours de santé et de réaffirmer l'initiative première des acteurs du territoire dans la démarche de labellisation. Il me semble également important de sortir d'une vision médico-centrée pour prendre en compte le rôle important que peuvent jouer les autres professionnels de santé, notamment les infirmiers et les kinésithérapeutes.
Je tiens à féliciter notre rapporteure. Dans le cadre de la stratégie Ma Santé 2022, les PASI pourront contribuer à la diminution de 25 % de l'accès aux urgences. Les patients pourraient être adressés au PASI par le service d'accès aux soins, par le médecin régulateur du SAMU, par les pharmacies, par les professionnels paramédicaux ou par un établissement de santé. Il ne s'agit pas d'un service d'urgence bis. Au sein d'une CPTS, les maisons de santé assurant des gardes - même sans plateau technique ou biologique de proximité - pourraient jouer le rôle de PASI à tour de rôle.
Je ne suis pas contre le nom de PASI, mais je crains que la notion de soins immédiats n'évoque trop l'urgence. Ne serait-il pas souhaitable d'utiliser plutôt la notion d'accès aux soins ?
Je suis favorable à cette proposition de loi qui me semble importante pour nos territoires ruraux.
Je remercie notre rapporteure pour le travail effectué. De nombreux rapports ont déjà traité de ce sujet. Depuis l'abandon, par l'ordre des médecins, au début des années 2000, de l'obligation pour les médecins libéraux d'assurer des gardes, des réponses diverses ont émergé sur les territoires : maintien du tour de garde, maison de santé pluriprofessionnelle (MSP), maison médicale de garde, etc. On note un polymorphisme très important des réponses. Mais celles-ci ne sont ni satisfaisantes ni suffisantes au regard de l'engorgement des services d'urgence. La simplicité et la complétude de l'offre des services d'urgence expliquent que les patients se tournent spontanément vers eux. Nous avons déjà évoqué cette question au cours de l'examen de la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, puis à nouveau lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2020. La réponse à cette question réside-t-elle dans la création d'un nouveau label par l'ARS ? Les PASI ne font pas consensus, comme le souligne le débat autour de leur nom - qui semble accréditer l'idée d'immédiateté, presque de consumérisme.
Alors que débute le Ségur de la santé - et non pas seulement le Ségur de l'hôpital -, nous ne pouvons pas nous contenter d'une petite pierre à l'édifice, nous avons besoin d'une politique claire et beaucoup plus forte sur l'amont des urgences. Cette proposition de loi peut sembler très sympathique, mais elle ne changera rien du tout.
Plutôt que d'ajouter un outil supplémentaire - aussi intéressant soit-il -, analysons et tâchons d'améliorer l'existant. En outre, quel sera l'impact financier de ce nouveau dispositif ? Une étude d'impact sur cette dimension a-t-elle été menée ?
Difficile d'être contre un tel outil... Les différences entre nos territoires sont parfois très marquées : en zone rurale, les PASI seront probablement utiles. Mais dans mon territoire, un établissement a été créé par un médecin qui en est à son douzième ou treizième établissement du même type ! On peut parler d' « ubérisation » de la médecine et du développement du consumérisme. Et ce projet a émergé sans concertation avec les médecins traitants, dans un territoire qui n'est pourtant pas en pénurie de médecins. J'ai donc une certaine réticence quant aux PASI, qui ne me semblent pas suffisamment insérés dans le dispositif global. La question du financement risque en outre de créer un effet d'aubaine. Enfin, les PASI ne doivent pas non plus devenir un dispositif permettant de se créer une patientèle, aux dépens des médecins déjà installés : nous avons tous intérêt à travailler dans la même direction et de façon globale.
Je ne suis pas contre le dispositif - surtout dans les zones rurales -, mais je crains que, dans certains territoires, les PASI ne créent plus de difficultés et de tensions qu'ils n'apporteront de solutions.
L'intention est louable et il est indispensable de travailler à la prise en charge de ces soins non programmés qui concourent à l'embolisation des urgences. Mais les situations entre territoires sont contrastées, au regard de la permanence des soins : sur certains territoires, des MSP ont été créées - ce sont déjà des PASI en quelque sorte - ; dans d'autres territoires, les professionnels travaillent à la mise en place de leur CPTS qui devrait aussi permettre d'organiser ces soins.
La sémantique est importante : qu'est-ce qu'un soin immédiat ?
J'émets beaucoup de réserves sur cette proposition de loi : non pas sur l'intention, mais je considère qu'il faudrait plutôt travailler avec les organisations existantes et les professionnels de terrain, au lieu de bricoler une nouvelle structure.
J'abonderai dans le sens de mes collègues. La situation est problématique depuis la décision de mettre fin à l'obligation de gardes. Il va falloir multiplier les PASI, car, notamment en milieu rural, ils seront toujours trop loin ! Or le principal problème demeure le nombre insuffisant de professionnels de santé. Dans ma commune rurale, nous n'avons jamais souffert d'être éloignés de plus de 40 kilomètres du premier hôpital : le SAMU peut se déplacer auprès des patients. Je comprends l'intention des auteurs, mais je ne suis pas convaincu des bienfaits concrets de ce texte. Quand j'étais interne, on disait souvent : « il n'y a pas d'urgence, il n'y a que des gens pressés ». Ce qui va continuer à manquer, ce sont les professionnels de santé. Je pense aussi, comme mon collègue Michel Amiel, que ce dispositif peut créer des situations de concurrence délétères.
Je remercie notre rapporteure. Je reste perplexe sur l'articulation entre les PASI et l'hôpital. Dans de nombreux territoires, nous manquons de médecins généralistes, de spécialistes ou de matériels. Aller aux urgences, c'est une facilité. Mais les PASI seront un pansement sur une jambe de bois. Il faut d'abord arrêter le mouvement de concentration des hôpitaux et mettre fin aux fermetures d'établissements. Il est temps de reconnaître les erreurs qui ont été faites et de rétropédaler.
Je tiens à remercier très chaleureusement notre rapporteure : les auditions ont été passionnantes. Son rapport reflète bien les aspects positifs et les doutes qui ont été émis sur le dispositif.
Les auteurs de cette proposition de loi tentent de réorganiser les gardes au niveau du territoire, mais le risque est grand de créer une nouvelle usine à gaz. Je regrette que nous n'ayons pas commencé par analyser ce qui existe déjà sur le terrain. Sur mon territoire, douze structures se sont organisées, avec des médecins libéraux qui font des gardes, en lien avec le conseil de l'ordre et les collectivités. Ce sont ces dernières qui financent le vigile, mettent à disposition des locaux et assurent le paiement des frais d'électricité, etc. Il nous faut procéder à un état des lieux et évaluer pourquoi certaines structures fonctionnent et d'autres pas. Nous connaissons une situation de pénurie de médecins généralistes, mais va-t-on régler ce problème avec les PASI ? Les médecins généralistes, qui ont déjà un carnet de rendez-vous particulièrement lourd, vont-ils accepter un effort supplémentaire pour effectuer des gardes ?
Quid de la question de la continuité des soins ? Quid du rôle des centres de santé ? Je pense qu'il conviendrait de repenser le fonctionnement des centres de santé sur les thèmes de l'amplitude d'ouverture, de l'accès à un plateau technique et du tiers payant. Comment l'ARS, dont l'enveloppe est plus que contrainte, financera-t-elle les PASI ? Je pense aussi aux difficultés que les hôpitaux pourraient rencontrer pour travailler en complémentarité avec ces nouvelles structures.
Les PASI risquent de ne pas répondre aux besoins réels et de ne pas prendre en compte la réalité de ce qui existe aujourd'hui. Nous nous abstiendrons.
Je remercie notre rapporteure d'avoir cité notre rapport. Notre approche était différente, car il s'agissait de traiter des urgences hospitalières.
Si j'étais l'ARS, je serais très intéressé par les PASI, qui me donneraient l'occasion de fermer les services des hôpitaux de proximité et les services mobiles d'urgence et de réanimation (SMUR) en milieu rural. Soyons donc attentifs à ce point.
Notre système actuel est très complexe : les ARS, les groupements hospitaliers de territoire (GHT), les CPTS, les MSP, etc. Si l'on veut réussir, notamment dans le cadre du Ségur, il faut repartir du terrain et faire moins d'administration : moins de barreurs, plus de rameurs ! Si nous sortons de ce carcan administratif à l'hôpital, nous pourrons faire mieux à périmètre financier inchangé.
Je remercie notre rapporteure. Des structures de type PASI existent dans les pays nordiques. Depuis le plan Ma Santé 2022, la pratique infirmière avancée ne s'est pas encore suffisamment développée. Nous manquons toujours de médecins, d'infirmiers, de kinésithérapeutes. L'offre de soins s'est démultipliée, sans que l'on sache toujours qui est le meilleur interlocuteur. Pendant la crise du Covid-19, la demande médicale s'est effondrée et les cabinets médicaux étaient vides : voilà qui relativise le besoin en soins immédiats ! Mais c'est une catastrophe pour la prise en charge des maladies chroniques.
Concernant les PASI, je considère qu'il vaudrait mieux utiliser et conforter l'existant. Comment les intervenants des PASI seront-ils rémunérés ?
Cette proposition de loi ne me semble pas avoir été préparée correctement.
Je reconnais que j'adhère aux propos de notre collègue Gérard Dériot. Un Ségur s'est ouvert, dans des conditions toutefois compliquées, car nous sommes plus de 300 intervenants potentiels par visioconférence : nous risquons de n'aboutir qu'à un catalogue de demandes.
N'oublions pas que la France consacre aux dépenses de santé une part plus importante de son PIB que les autres pays européens. Et nos résultats sont aussi bons qu'ailleurs - à l'exception peut-être de l'Allemagne -, notamment durant cette crise sanitaire.
Nous avons assisté à une baisse importante du nombre de patients accueillis dans les cabinets médicaux et à une baisse considérable du nombre de patients accueillis dans les services d'urgence, sans augmentation considérable de la mortalité. Une fois la crise derrière nous, il conviendra d'analyser en détail cette situation : pourquoi nos concitoyens ne se sont-ils pas rendus dans les services d'urgence ?
La question du temps que les personnels soignants consacrent aux tâches administratives devra aussi être évoquée au cours de ce Ségur. Les personnels soignants demandent à diminuer ce temps administratif au profit de leur temps médical.
Je remercie notre rapporteure pour ce très intéressant rapport. Les territoires sont différents, c'est pourquoi la réponse à apporter est complexe. Dans ma commune, nous avons une maison de santé, mais pas de médecin de garde : les gens se rendent donc aux urgences de l'hôpital qui se trouvent à dix kilomètres pour de la « bobologie ». Ne faudrait-il pas obliger les médecins de la maison de santé à assurer un tour de garde ?
Je veux souligner que le PASI repose sur le volontariat, qu'il s'inscrit dans les dispositifs déjà existants et qu'il sera utile dans certains territoires. J'entends toutes les réticences, mais, dans mon département, par exemple, nous constatons que nous manquons d'outils pour intervenir immédiatement et soulager les urgences des interventions les plus légères, ce que nous appelons la « bobologie ».
Toutes vos interrogations sont légitimes et je me suis moi-même posé ces questions. C'est pourquoi j'ai organisé de nombreuses auditions. J'ai aussi pris contact avec notre collègue député Cyrille Isaac-Sibille. Sa proposition de loi est née d'une expérience locale, construite avec l'ARS et les médecins de ville, entre l'hôpital de Rumilly et celui d'Annecy. Ce dispositif a totalement répondu aux attentes : il a permis de désengorger en partie les urgences ; il est désormais bien repéré dans le paysage et est très fréquenté ; son financement est assuré par le Fonds d'intervention régional (FIR). Dans d'autres régions comme en Grand Est, des centres de soins non programmés se sont également développés. Il faut de la plasticité pour ce dispositif : il ne doit pas être figé. Tous les types de structuration encouragent aujourd'hui à la prise en charge des soins non programmés, que ce soient les maisons de santé, les centres de santé, etc. Le PASI est un outil, pas une feuille de plus au mille-feuille. Certaines des expériences que vous évoquez sont déjà des embryons de PASI.
La seule opposition entendue au cours de nos auditions est venue des représentants des médecins... Mais j'ajoute que des médecins se sont aussi lancés dans de tels projets.
Il est important que les usagers se repèrent. L'association France Assos Santé a été très enthousiaste à l'égard des PASI et elle considère qu'il manque aujourd'hui une communication sur l'organisation des soins. Il est essentiel que le PASI fasse partie du système général de régulation médicale, afin que des professionnels de santé puissent aiguiller vers le PASI, vers la MSP, ou vers les urgences.
Je crains que les médecins ne soient les seuls à comprendre ce que recouvre la notion de « soins non programmés ». À ce stade, je n'ai pas trouvé de meilleure terminologie que celle de « soins immédiats » et qui soit le reflet du ressenti d'urgence du patient. C'est pourquoi je n'ai pas proposé de modification de l'appellation des PASI.
Certains territoires, notamment celui de notre collègue Daniel Chasseing, sont très avancés dans la structuration des soins - alors même lorsqu'il y a un certain éloignement des plateaux techniques -, en alliant proximité et coordination.
Le PASI ne se télescope pas avec le Ségur. Il ne s'agit pas d'imposer un nouveau maillage du territoire, mais simplement de proposer une labellisation de structures qui existent ou qui souhaitent s'engager dans un tel projet. Cela permettra en outre de mieux les repérer.
Les PASI seront polymorphes, car adossés à un hôpital de proximité, à une clinique, à une MSP, ou à un centre de santé. Je préconise qu'ils respectent un cahier des charges allégé, qui donne un cadre, mais qui permette à chaque territoire de s'organiser comme il l'entend : c'est aux médecins d'organiser la réponse. Les usagers ont besoin de savoir où aller, plutôt qu'aux urgences.
Les réponses que m'a faites la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) sont très complètes et documentées ; je les mettrai peut-être en annexe de mon rapport, car vous y trouverez des réponses aux questions que vous m'avez posées.
Quand 20 % des personnes qui se présentent aux urgences embolisent le service et retardent les soins des personnes qui en ont réellement besoin, les compétences des médecins urgentistes ne sont pas bien employées, alors que des médecins généralistes, des infirmiers, des kinésithérapeutes, dans un PASI, pourraient parfaitement assurer la prise en charge des personnes concernées.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
Avec l'amendement COM-1, je propose que les nouveaux points d'accueil complètent l'offre locale de soins, plutôt que de la concurrencer, mais aussi qu'ils valorisent le rôle des professionnels de santé non médecins, sortant ainsi d'une approche seulement médico-centrée.
L'amendement COM-1 est adopté.
Les représentants des médecins nous ayant alertés du risque que les nouveaux points d'accueil déstabilisent le parcours de soins coordonné, l'amendement COM-2 rend obligatoire l'information du médecin traitant : cela garantira la coordination des soins.
L'amendement COM-2 est adopté.
Les députés ont prévu que les points d'accueil devraient s'inscrire dans un projet territorial de santé ou dans le projet de santé d'une ou plusieurs CPTS, et nos collègues ont précisé que, jusqu'à la constitution d'une telle communauté, le directeur général de l'ARS pourrait prendre l'initiative de labelliser une structure qui serait ultérieurement intégrée au projet de santé de la CPTS. Avec l'amendement COM-3, je vous propose de garantir que l'initiative revienne bien aux acteurs de santé du territoire, plutôt qu'à l'ARS.
L'amendement COM-3 est adopté.
Nous allons être plusieurs à ne pas voter cette proposition de loi, non pas que nous serions contre le travail de grande qualité réalisé par Élisabeth Doineau, mais parce que nous voulons éviter d'ajouter des carcans, des obligations. Je ne suis pas une professionnelle de santé, mais je constate la lourdeur des structures, leur complexité pour le patient lui-même. En réalité, il faut remettre à plat l'ensemble du dispositif, c'est un travail de longue haleine, à toutes les échelles territoriales. Les points d'accueil peuvent certes avoir leur utilité ici ou là, mais cette réforme est bien trop partielle. Je m'abstiendrai.
Je m'abstiendrai, pour la même raison.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
TABLEAU DES SORTS
Nous passons à l'examen du rapport de notre collègue Cathy Apourceau-Poly sur la proposition de loi relative au statut des travailleurs des plateformes numériques. Je salue la présence de Pascal Savoldelli, auteur de la proposition de loi.
Merci aux personnes que nous avons pu auditionner dans des délais très courts, en une journée, dont vous trouverez la liste dans mon rapport.
La proposition de loi de notre collègue Pascal Savoldelli, que j'ai cosignée avec les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, vise à créer un statut protecteur pour certains travailleurs qui, depuis l'apparition des plateformes numériques, restent des oubliés du droit du travail et de la protection sociale.
Ces « travailleurs de plateformes », qu'ils soient livreurs à vélo ou chauffeurs de voiture de transport avec chauffeur (VTC), se voient refuser la qualification de travailleur salarié au motif que leurs donneurs d'ordres ne seraient que des intermédiaires leur permettant d'accéder à une clientèle.
Partant du constat que les plateformes de travail ne sont pas de simples intermédiaires, mais des organisations productives s'inspirant, plus encore que les entreprises traditionnelles, des logiques de concurrence qui gouvernent le marché, cette proposition de loi vise à adapter le droit du travail à cette situation afin d'intégrer ces travailleurs dans le salariat.
À titre liminaire, et bien qu'aucun amendement n'ait été déposé à ce stade, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution.
Je considère que ce périmètre comprend des dispositions relatives au statut des travailleurs utilisant une plateforme numérique ; à leur affiliation à la sécurité sociale et à l'assurance chômage ; aux modalités de représentation de ces travailleurs et à leurs relations avec les plateformes ; à l'accès de ces travailleurs aux algorithmes utilisés par les plateformes numériques.
En revanche, seraient dépourvus de tout lien avec le texte des amendements relatifs aux droits sociaux des travailleurs autres que ceux des plateformes numériques ; à la régulation des secteurs économiques dans lesquels interviennent des plateformes numériques ; au régime de la micro-entreprise ; à la fiscalité applicable aux travailleurs des plateformes et aux plateformes ; enfin, aux règles de santé au travail.
La relation entre celui qui possède les moyens de production et celui qui loue sa force de travail est, par nature, une relation déséquilibrée : le salarié est placé dans une relation de subordination vis-à-vis de son employeur, dont il dépend pour ses moyens de subsistance. Pour remédier à ce déséquilibre, le droit du travail a progressivement construit un socle de garanties protégeant les salariés, en particulier une rémunération minimale, la mensualisation du salaire et la « prime de précarité » versée aux salariés en contrat à durée déterminée. Les salariés bénéficient également de garanties en matière de temps de travail et de droit au repos. Le préambule de la Constitution de 1946 garantit aux travailleurs des droits sociaux pour la défense de leurs intérêts : le droit syndical, le droit de grève et le droit de participer, par l'intermédiaire de délégués, à la détermination collective des conditions de travail et à la gestion des entreprises.
Au-delà des dispositions visant à rééquilibrer la relation de travail, donc à protéger les salariés contre l'arbitraire d'un employeur, la France assure les travailleurs contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, elle garantit à tous les salariés une couverture santé complémentaire et tous les salariés sont affiliés de droit à l'assurance chômage, qui leur offre une protection contre le risque de perte de leur emploi.
Ces protections offertes par le statut de salarié sont principalement assurées et financées par les employeurs, ou elles limitent leur pouvoir de direction. Aussi les stratégies consistant à assimiler une relation de travail à une prestation de service fournie par un travailleur indépendant sont-elles aussi anciennes que le droit du travail. Face à ces tentatives, la jurisprudence affirme clairement que la nature de la relation de travail est d'ordre public et qu'elle ne dépend pas de la qualification qu'en font les parties.
Pour apprécier l'existence d'un lien de subordination, le juge se fonde sur un faisceau d'indices : l'autorité et le contrôle exercés par le donneur d'ordres, ainsi que les conditions matérielles d'exercice de l'activité. Le fait que le travail soit effectué au sein d'un service organisé, par exemple, peut constituer un indice du lien de subordination. Si celui-ci est démontré, le juge peut alors requalifier en contrat de travail ce qui était présenté comme un contrat de prestation de services.
Les possibilités offertes par le numérique ont donné une nouvelle actualité à ce problème ancien.
Les plateformes, comme l'a montré le rapport de nos collègues Michel Forissier, Catherine Fournier et Frédérique Puissat, interviennent dans un nombre croissant de secteurs. Si les chauffeurs de VTC et les livreurs à deux-roues sont les plus visibles, les plateformes numériques interviennent aussi dans le placement de travailleurs temporaires, contournant les règles imposées au secteur de l'intérim. En réalité, ces plateformes jouent souvent un rôle essentiel dans l'organisation des prestations qu'elles proposent. Dans les secteurs des VTC ou de la livraison, les travailleurs ne sont généralement pas en mesure de fixer le prix de la prestation qui leur est proposée. Le tarif est déterminé par un algorithme dont les travailleurs ne connaissent pas les paramètres, pas plus qu'ils ne connaissent toujours à l'avance la destination de la course qu'on leur demande, tout en étant tenus de respecter des règles imposées par la plateforme. Enfin, alors que, en principe, un indépendant n'est pas juridiquement subordonné à son client, le non-respect par ces travailleurs des directives données par les plateformes les expose à des sanctions pouvant aller jusqu'à la déconnexion, c'est-à-dire une forme de licenciement arbitraire. Ces travailleurs connaissent donc tous les inconvénients de l'indépendance sans en avoir les avantages.
Les juges ont déjà requalifié en contrat de travail la relation entre des travailleurs et des plateformes numériques. Dans un arrêt du 28 novembre 2018, la Cour de cassation a fait application de sa jurisprudence classique pour apprécier l'existence d'un lien de subordination entre un livreur et l'ancienne plateforme de livraison de repas Take Eat Easy. Elle a rendu une décision dans le même sens, le 4 mars dernier, à propos de la relation entre un chauffeur de VTC et la société Uber. Une tendance à la requalification se dessine. Toutefois, on ne saurait se satisfaire de laisser les juges requalifier au cas par cas des situations individuelles.
Les travailleurs de plateformes portent en germe une nouvelle classe de travailleurs précaires. Certes, ils sont encore peu nombreux - entre 100 000 et 200 000 personnes - mais leur nombre croît à mesure que se développe l'« ubérisation » de notre société.
Surtout, comme le rappelle la crise sanitaire que notre pays traverse, les travailleurs des plateformes font partie des emplois les plus exposés de notre économie.
Les revenus perçus par les travailleurs des plateformes, notamment par les livreurs à vélo, sont souvent dérisoires. Si le chiffre d'affaires affiché par les chauffeurs VTC est plus important, il ne leur permet pas toujours de couvrir leurs charges. En plus d'être faiblement rémunérés, les travailleurs de plateformes sont nombreux à ne bénéficier ni d'une assurance contre les accidents du travail, pourtant fréquents chez les usagers de la route, ni d'une complémentaire santé.
Ce phénomène est la suite logique du mouvement général d'externalisation, qui fait sortir les travaux jugés non rentables de l'entreprise jusqu'à transformer les salariés en entrepreneurs faussement indépendants, et qui recherche toujours plus de flexibilité. Il pourrait donc connaître un développement exponentiel dans certains secteurs et s'étendre à de nouveaux domaines jusqu'ici épargnés, comme le montre le projet de certains groupes bancaires d'expérimenter l'emploi de conseillers indépendants.
Cette évolution a pour corollaire de faire peser toujours davantage le risque économique sur les travailleurs.
Face à cette tendance, on assiste cependant à l'émergence d'îlots de résistance. Malgré leur éloignement spontané du syndicalisme et une certaine « culture de l'immédiateté », ces travailleurs peuvent se mobiliser, à l'image du mouvement concerté des livreurs Deliveroo, en juillet 2019, face à la modification de la politique tarifaire de la plateforme.
Un mouvement de fond émerge : celui de l'organisation croissante de ces travailleurs. Certaines organisations, telles que le Collectif des livreurs autonomes de Paris (CLAP), se sont constituées depuis plusieurs années et ont acquis une forme de reconnaissance de la part des plateformes. Plusieurs organisations syndicales de salariés s'intéressent aux travailleurs de plateformes. Enfin, des tentatives de structuration des collectifs se dessinent.
Ces tentatives butent sur l'absence de reconnaissance légale d'une représentation des travailleurs de plateformes et de règles structurant le dialogue social.
Les instances de dialogue mises en place par certaines plateformes ne doivent pas faire illusion. Les associations de livreurs contestent la représentativité du Forum Deliveroo, l'instance de consultation créée par la plateforme en novembre dernier, qui fonctionne suivant des règles qu'elle a établies unilatéralement.
Des initiatives proposent un modèle alternatif, notamment sous la forme de sociétés coopératives fondées sur une gouvernance démocratique et un partage équitable des résultats. Ainsi, CoopCycle, qui met à disposition depuis 2017 une application développée en open source, constitue un réseau de coopératives de livraison européennes. Ces structures, employant des salariés coopérateurs, proposent un modèle économique différent de celui des grandes plateformes et se positionnent sur des niches que ces dernières n'occupent pas - la coopérative Lille.bike, par exemple, propose aux commerçants de la métropole lilloise des services de livraison du « dernier kilomètre ». Si de telles initiatives présentent le grand intérêt d'offrir à la fois autonomie et protection aux travailleurs concernés, elles ne sauraient convenir à tous les travailleurs, car le modèle coopératif suppose un engagement volontaire et de long terme.
Face à cette situation, le législateur s'est montré bien timide jusqu'à aujourd'hui.
Le principe d'une responsabilité sociale des plateformes, institué par la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, se traduit par la prise en charge par les plateformes des cotisations d'assurance volontaire contre le risque d'accident du travail, de la cotisation « formation professionnelle » et des frais liés à la validation des acquis de l'expérience. Cette loi a aussi créé un embryon de droit syndical et de droit de grève au bénéfice des travailleurs.
La loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM) est allée dans le même sens, en donnant aux plateformes de mobilité la possibilité d'élaborer des chartes déterminant les conditions et modalités d'exercice de leur responsabilité sociale. Elle a également introduit de nouveaux droits au bénéfice des chauffeurs de VTC et des coursiers à deux-roues, tel celui de se voir communiquer par la plateforme, avant chaque prestation, la distance couverte et le prix garanti, ainsi que celui de refuser une course.
Cette construction d'une responsabilité sociale des plateformes témoigne d'une prise en compte de la situation des travailleurs concernés. Cependant, les avancées concédées demeurent largement tributaires du bon vouloir des plateformes elles-mêmes. Surtout, elles consacrent le recours à des travailleurs indépendants pour des tâches qui pourraient être réalisées par des salariés.
Ainsi, d'importants droits ne sont pas garantis par la loi à ces travailleurs : le droit à la négociation collective, l'obligation pour les plateformes de motiver la rupture du contrat commercial, sans oublier le droit à l'assurance chômage ou la couverture contre les accidents du travail. Ensuite, rien ne garantit la transparence des décisions que les plateformes prennent sur le fondement d'algorithmes.
Il est temps de reconnaître que l'emploi subordonné doit donner accès à un statut protecteur. En réalité, seule l'intégration de ces travailleurs dans le salariat, tout en prenant en considération leur besoin d'autonomie professionnelle, peut améliorer réellement leur situation.
La proposition de loi déposée par notre collègue Pascal Savoldelli crée un nouveau statut de salarié doté d'autonomie, sans remettre en cause les bénéfices apportés à la société par les offres nouvelles.
L'article 1er crée une nouvelle forme de contrat de travail applicable aux travailleurs de certaines plateformes numériques, celles pour lesquelles la mise en relation n'est pas l'objet de l'activité mais la modalité d'accès et de réalisation du service. Il s'agit en particulier des principales plateformes du secteur des transports. Les dispositions du code du travail seraient largement applicables à ces travailleurs sous réserve de certains aménagements. Les travailleurs des plateformes ne seraient pas soumis aux règles relatives au temps de travail, sauf celles qui fixent la durée maximale quotidienne et la durée maximale hebdomadaire de travail.
Le texte laisse une large place à la négociation collective. Ainsi, les modalités de délivrance et de signature des contrats conclus entre les travailleurs et les plateformes, les modalités de construction et de gestion des plannings horaires et les modes de calcul de la rémunération feraient l'objet d'une négociation annuelle avec les représentants des travailleurs. Le résultat de cette négociation constituerait un socle auquel il ne pourrait être dérogé par contrat individuel. Il ferait l'objet d'une information des travailleurs au moment de leur inscription, ainsi que d'un accès permanent, simple et clair sur le site de la plateforme.
L'article 2 prévoit l'affiliation obligatoire des travailleurs de plateformes au régime général de la sécurité sociale. Il étend à ces travailleurs le bénéfice de l'assurance chômage.
Les décisions algorithmiques prennent une place croissante dans la sphère du travail et du management. L'article 3 introduit, au bénéfice de l'ensemble des salariés, un droit d'information et d'expression sur les algorithmes dès lors que ces derniers déterminent certains aspects essentiels de la relation de travail. Les représentants des travailleurs pourraient solliciter le recours à un expert qui serait pris en charge par la plateforme ou l'employeur.
Enfin, l'article 4 complète les dispositions du code du travail applicables aux travailleurs indépendants des plateformes. Il élargit la possibilité d'assurance des travailleurs à la charge de la plateforme en mentionnant, outre le risque d'accident du travail, les maladies professionnelles. Il laisse aux travailleurs le choix d'adhérer au contrat collectif proposé par la plateforme et impose à cette dernière, lorsque le travailleur souscrit individuellement une autre assurance, de prendre en charge ses cotisations.
Cette proposition de loi n'entend donc pas sécuriser le modèle des plateformes, qui repose sur de faux indépendants et engendre de la précarité, mais tranche clairement, dans la lignée des décisions récentes de la Cour de cassation, en faveur d'une assimilation à des salariés de ces travailleurs qui n'ont pas la pleine maîtrise de leur travail, dont tirent profit quelques grandes entreprises.
Les plateformes numériques de travail sont un sujet tout à fait nouveau et, avec cette proposition de loi, nous disons tout net ce dont nous ne voulons pas. Nous n'entendons pas proposer un nouveau modèle pour ces plateformes, qui sont un nouvel hybride d'entreprise et de marché : ne nous trompons pas d'objectif.
Nous ne confondons pas le salariat et le travail indépendant. Les indépendants assurent une activité à leur compte et ils en assument les risques, mais ce n'est pas du tout le cas des travailleurs des plateformes numériques. Ce que nous voulons, ce n'est pas définir un statut nouveau, mais sécuriser des travailleurs - qui sont et seront toujours davantage des travailleuses -, en leur ouvrant le droit du travail et la protection sociale.
J'insiste sur cet angle précis, car ces plateformes posent bien d'autres problèmes passionnants, par exemple celui de l'évasion fiscale - je suis prêt à y travailler également, mais ce n'est pas notre question du jour. Cependant, notre angle précis a bien des implications, je pense en particulier - et je vous invite à penser - au tissu économique existant : une fois que ces travailleurs disposeront des protections qui sont celles du code du travail, les plateformes ne pourront plus organiser une concurrence déloyale avec les entreprises vertueuses et avec les artisans, lesquels ont des comptes à rendre parce qu'ils exercent une responsabilité sociale, définie elle-même par tout un ensemble de règles fixées par le code de commerce et le code du travail. En réalité, le code du travail est prêt à accueillir ces travailleurs nouveaux, la jurisprudence est là, assise sur la législation sociale.
Nous avons construit ce texte pendant deux ans, par des rencontres parfois difficiles sur le terrain - le débat a été vif avec ces travailleurs qui se demandaient ce qu'on leur voulait. Il a fallu trouver un équilibre, prévoir de la souplesse : c'est ce que fait ce texte. Cette proposition de loi laisse ainsi les travailleurs des plateformes parfaitement libres de travailler quand ils le veulent, de faire les heures qu'ils souhaitent, de travailler pour plusieurs plateformes, mais elle leur accorde, quand ils ont fait un certain nombre d'heures, le droit d'avoir des représentants, de discuter de leurs conditions de travail et de leur rémunération, alors qu'ils sont les seuls, actuellement, à ne pas pouvoir le faire.
Enfin, il y a la question de l'algorithme, dont on parle beaucoup. En réalité, l'algorithme n'est qu'une suite d'opérations et d'instructions, c'est un outil qui fait ce qu'on lui demande de faire. Et nous ne faisons que donner aux travailleurs, non pas un contre-pouvoir, mais un droit d'information et de visibilité sur cet outil via le data scientist que nous mettons à leur disposition.
Des outils nouveaux existent, que ma génération n'a pas connus, il faut les démocratiser, c'est notre rôle de parlementaires de proposer une telle avancée.
Merci à Pascal Savoldelli pour son initiative et à Cathy Apourceau-Poly pour son travail, en particulier pour les auditions qu'elle a dû réaliser dans un délai très contraint. Ce sujet passionnant est complexe parce qu'il est difficile de recueillir une parole unique pour élaborer des règles fixes, tant les usages sont diffus et les réalités diverses. Cette diversité de situations nous a conduits, dans le rapport que nous avons écrit avec Michel Forissier et Catherine Fournier, et que la commission a adopté la semaine passée, à constater que la réalité, dans sa diversité, débordait le principe de requalification des contrats, à l'inverse donc de ce que nous proposent aujourd'hui nos collègues dans la mesure où ils préconisent des contrats à durée déterminée ou indéterminée avec les plateformes, ce qui revient en fait à une requalification. Nous proposons, quant à nous, de sortir de la question du statut, pour universaliser certains droits sociaux qui font aujourd'hui défaut, ce qui demande une intervention du législateur.
Cette proposition de loi allant à l'encontre de notre rapport, nous y serons opposés, mais nous pouvons nous abstenir pour que nous en débattions en séance plénière, car il y a effectivement matière à débat.
La question des algorithmes, en particulier, est très complexe, car, au-delà des bonnes intentions, nos auditions nous ont fait mesurer combien il est difficile de régler l'intervention de spécialistes en algorithme, qui sont nombreux et pas toujours au fait du droit du travail. Il en est de même pour la représentation des travailleurs des plateformes, où nous avons aussi pris des positions qui demandent à être débattues.
Enfin, cette proposition de loi comprend des risques constitutionnels, en déléguant à la négociation avec les utilisateurs des plateformes, des pouvoirs que la Constitution fait entrer dans le domaine de la loi.
Je m'associe aux propos de Frédérique Puissat, le problème posé est effectif et visible, quoiqu'il ne concerne directement qu'une partie infime de la population active, moins de 1 %, comme nous l'avons constaté dans le rapport que nous avons présenté la semaine dernière. Cette proposition de loi est un texte d'appel : ses défenseurs nous disent qu'elle ne vise pas à sécuriser le modèle des plateformes, mais à choisir l'alternative, dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour de cassation, c'est-à-dire l'assimilation des travailleurs concernés au statut de salarié. Or, les liens de subordination qui ont motivé des requalifications sont très précis, loin d'être généraux. Ces travailleurs ne bénéficient pas suffisamment de protections en matière d'accident du travail et de maladie professionnelle, nous en sommes bien d'accord. Mais ce sont des travailleurs indépendants, et ils bénéficient à ce titre d'un régime simplifié de protection sociale : ils ne sont donc pas sans protection, c'est important de le dire.
En fait, si des problèmes se posent, liés en particulier à l'utilisation abusive du statut de travailleur indépendant par les plateformes, si nous sommes d'accord avec l'idée de clarifier les règles, en particulier celles de la micro-entreprise, nous pensons qu'on ne saurait le faire dans une simple proposition de loi, qui simplifierait nécessairement les choses. Nos auditions nous ont montré que les travailleurs concernés sont des travailleurs indépendants, et que très peu d'entre eux réclament le statut de salarié. Faut-il dès lors les assimiler à des salariés ? Imaginer un statut de salarié où le salarié travaillerait quand il veut ?... Ce serait quelque peu choquant, car cela revient à ne conserver que les avantages du statut de l'indépendant.
Ensuite, nombre de plateformes numériques ne sont pas rentables à l'heure actuelle, et si tous ceux qui travaillent pour elles devenaient des salariés, il n'y aurait tout simplement plus de plateformes en France. Est-ce ce que nous voulons, alors même que nous y avons grand recours, surtout en ville, dans la crise que nous traversons ? Ce modèle particulier doit être traité en tant que tel. Cette proposition de loi est trop restrictive, je suis en désaccord sur le fond. Pour que le débat ait lieu en séance, cependant, je m'abstiendrai.
Nous touchons le coeur de ce débat important, qui doit avoir lieu dans l'hémicycle. Je trouve nos collègues Frédérique Puissat et Catherine Fournier un peu dures d'exiger d'une proposition de loi qu'elle épuise un tel sujet - depuis 2011 que je suis sénatrice, je ne souviens pas qu'une proposition de loi ait suffi à régler l'entièreté d'une problématique importante...
Ensuite, ce texte ne reproduit pas une parole unique, comme je l'ai entendu : cette proposition de loi a été construite à partir du terrain, au gré de consultations très nombreuses depuis l'année dernière. Son objectif, outre le débat, c'est d'assurer une meilleure protection aux travailleurs de ces plateformes, en ayant en perspective le recours que nous avons à ces travailleurs peu protégés. Ces plateformes contribuent à dégrader les conditions de travail de salariés d'autres entreprises, je pense en particulier à Amazon. Il faut donc accompagner ces travailleurs pour les faire accéder à des droits sociaux pleins et entiers, précis, en proposant des innovations en vue de protéger les droits individuels et collectifs. Aujourd'hui, ces travailleurs ne sont pas assez protégés et, même s'ils sont peu nombreux, il est de notre devoir de leur apporter les protections nécessaires, propres à garantir qu'ils ne soient pas corvéables à merci - car le lien de subordination existe bel et bien.
Je m'associe aux remerciements adressés à Mme la rapporteure et à M. Savoldelli pour le travail mené sur ce sujet que nous abordons pour la troisième fois devant notre commission.
J'ai quelques doutes sur la façon dont la question a été traitée par les auteurs de la proposition de loi : ils proposent de créer un espace particulier, une sorte de sous-statut, au sein du code du travail - c'est du moins ainsi que je perçois le résultat de leur travail.
On ne peut pas laisser perdurer un modèle comme celui des plateformes numériques. Ces travailleurs sont peut-être minoritaires, mais on voit leur nombre croître. Derrière les livreurs de repas se développe toute une économie qui va finir par concerner des pans entiers de métiers.
Nous ne sommes pas très nombreux à nous intéresser à ce sujet. Ces métiers sont souvent regardés avec condescendance, et nombreux sont ceux qui pensent que ces travailleurs ne peuvent pas faire autre chose, qu'ils sont des perdants. C'est la pensée dominante, qui n'est bien sûr pas celle de la commission !
Je suis peut-être archaïque, mais, pour moi, la seule méthode valable, c'est celle du contrat de travail, avec la protection apportée par le code du travail. J'entends qu'une partie de ces travailleurs veut un modèle qui leur offre, selon eux, de la liberté.
Devons-nous adapter le code du travail à un modèle économique qui ne permet pas à un travailleur de vivre dignement de son métier ? En tant qu'utilisateurs, devons-nous accepter de recourir à un service qui, certes, coûte très peu cher, mais qui ne permet peut-être pas à celui qui l'a fourni de vivre décemment ?
Je ne suis pas tout à fait en phase avec la façon d'adapter le code du travail à ces métiers qui nous est ici proposée. Mais c'est déjà un moyen de faire avancer le débat, tout comme le rapport de nos collègues que nous avons examiné la semaine dernière. À force de débattre de ce sujet, nous finirons par arriver à quelque chose ! Il faut réfléchir aux adaptations qui peuvent être apportées au droit du travail, dans le respect du salarié. Le préalable devrait être que tout travail doit permettre à celui qui l'exerce de vivre dignement. Vaste débat...
Je félicite l'auteur et la rapporteure de la proposition de loi. Ce débat d'actualité est passionnant, et s'inscrit dans la lignée du rapport présenté par nos trois collègues la semaine dernière.
Je veux vous faire part d'un témoignage : mon fils, qui est étudiant à Nantes, fait aussi des livraisons. Il trouve le système extraordinaire, car il travaille quand il veut, quand il peut. Tout est automatisé, et ce qu'il gagne est versé directement sur son compte en banque. Il n'a pas de papiers à remplir, il est satisfait de la rémunération. La sécurité et l'accompagnement, dont nous venons de parler, ne sont pas des problèmes pour lui ; il ne se soucie que d'obtenir un revenu. Nous sommes dans cette logique de mission à la tâche, pour récupérer rapidement une rémunération.
La proposition de loi est intéressante. Mais il faut avoir une vision globale, car le débat est à la fois économique et social. Les propositions vont dans le bon sens - apporter un statut à ces travailleurs -, mais le modèle économique des plateformes est extrêmement fragile et mondialisé. Quelles particularités « à la française » pourrions-nous apporter pour introduire des éléments de protection sans pour autant casser ce modèle ?
Durant la crise, nous avons été heureux de trouver les plateformes pour nous faire livrer ! Dans ma commune, la livraison des repas était pratiquement vue comme un service public...
Je suis très heureux que nous puissions avoir cette discussion en séance. Il faudrait élargir le débat, et impliquer nos collègues de la commission des affaires économiques. Merci pour cette initiative très intéressante.
En écoutant vos critiques constructives, je me disais que cette proposition de loi mérite vraiment une abstention, pour qu'un débat puisse avoir lieu en séance. Car pour l'instant il n'y a rien ! Au moment où les institutions sont bousculées, il est bon que le Sénat s'inscrive dans la contemporanéité de ces mutations modernes. Car on ne voit pas venir d'initiatives de l'Assemblée nationale.
Ce n'est pas la quantité de travailleurs concernés qui peut justifier l'appréciation que l'on porte sur la proposition de loi. Il y a 200 000 médecins en France, et personne ne se permettrait de dire qu'ils ne représentent que tel pourcentage de la population active. La société est violente et secouée, il faut prêter attention à tous.
On nous dit qu'il faut une proposition de loi globale, qui traite de tous les aspects. Mais il faut légiférer sur cette question, car aujourd'hui il y a un vide. Nous avons travaillé deux années sur ce sujet, pour lequel nous nous sommes passionnés, en allant largement sur le terrain. J'ai rencontré des livreurs à vélo qui défendent de véritables projets de société : ils répondent aux enjeux climatiques en exerçant cette activité ; d'autres ont un salaire horaire supérieur au Smic. Mais le modèle est hybride et nous devons en débattre. Quelles qualifications ont ces travailleurs ? Nous devons faire preuve d'anticipation. Regardez les dix premières offres sur le site de Pôle emploi : elles concernent des métiers assez peu qualifiés, pour lesquels la demande n'est pas satisfaite. Sans proposition de loi - peut-être pas la nôtre, mais nous devons accélérer nos travaux -, des centaines de milliers, voire un million ou un million et demi de travailleurs basculeront vers ce type de travail proposé via des plateformes numériques.
Je partage évidemment les propos de Pascal Savoldelli. Je plaide aussi pour une abstention, afin que nous puissions avoir ce débat.
Cette proposition de loi n'est qu'un texte d'appel. Aucune disposition ne prévoit de salarier les travailleurs qui ne souhaitent pas l'être. Les plateformes finiront par détruire le lien social, et leurs travailleurs seront les nouveaux canuts : ce n'est pas moi qui le dis, ces propos ont été tenus par le président de ma région, Xavier Bertrand ! Pour l'instant, ces plateformes contournent les règles fiscales et sociales.
Je demande à M. Savoldelli de bien vouloir nous quitter afin que nous puissions procéder au vote. (M. Pascal Savoldelli quitte la salle.)
Mes chers collègues, je vous rappelle que si elle est adoptée, la proposition de loi deviendra le texte de la commission ; si tel n'est pas le cas, elle sera tout de même examinée en séance publique, mais en tant que proposition de loi du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
EXAMEN DES ARTICLES
Les articles 1er, 2, 3 et 4 ne sont pas adoptés.
En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique portera sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.
La réunion est close à 11 h 35.