Nous recevons aujourd'hui, en application de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010, relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, Mme Florence Peybernes, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de présidente du Haut conseil du commissariat aux comptes, également désigné sous l'acronyme H3C. La présidence de ce Conseil n'entrant dans le champ de la procédure de l'article 13 que depuis la loi organique relative aux autorités administratives indépendantes du 10 janvier 2017, vous êtes la première candidate à ce poste à être auditionnée par notre commission. Le président du Haut conseil est nommé par décret du Président de la République pour une durée de six ans.
Le H3C a été créé en 2003 et constitue l'autorité de régulation des commissaires aux comptes, à distinguer de l'organisation représentant la profession, la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC). En tant que régulateur de la profession, le H3C est garant de la bonne application des normes d'audit et de la déontologie des commissaires aux comptes. Ce rôle est indispensable pour assurer la confiance des parties prenantes dans la fiabilité de l'information financière des entreprises. Le H3C est également l'un des principaux acteurs de l'évolution et de l'adaptation des normes nationales d'audit. Il représente la France dans les principaux forums tant au niveau européen qu'international. Le collège constitue l'organe décisionnel du Haut conseil et sa composition est définie à l'article L 821-2 du Code de commerce. La présidence doit être occupée par un membre de la Cour de cassation, condition que vous remplissez, madame, depuis 2017.
Au cours des cinq dernières années, le H3C, qui dispose d'une cinquantaine d'agents pour accomplir les différentes missions que j'ai mentionnées, a dû faire face à un double défi. D'une part, il a été chargé d'accompagner la profession dans la réforme européenne de l'audit, qui renforce notamment les exigences d'indépendance des commissaires aux comptes. D'autre part, il a dû accompagner la mise en oeuvre de la loi Pacte (Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises), qui réduit de manière importante le périmètre des personnes et des entités dont les comptes doivent être certifiés par un commissaire aux comptes. Selon le CNCC, l'application de cette loi pourrait entraîner la disparition de 153 000 mandats, soit 70 % de l'activité. Il s'agit d'une petite révolution pour la profession, qui ne peut plus s'appuyer que partiellement sur l'obligation légale et doit parvenir à convaincre les clients pour leur vendre ses services.
Le H3C accompagne ce changement de modèle, tout en veillant à la préservation de l'indépendance des commissaires aux comptes. L'équilibre est sans doute difficile à trouver ; vous nous indiquerez votre position sur le sujet. La crise que nous connaissons posera sans doute de nouveaux défis pour les commissaires aux comptes et pour le H3C. Vous nous indiquerez quelles devront être, selon vous, les priorités du H3C dans le contexte actuel.
Cette audition est publique et retransmise en direct sur le site internet du Sénat. Les membres de la commission qui ne sont pas physiquement présents peuvent participer à la réunion par téléconférence. Toutefois, les délégations de vote ne sont pas autorisées et seuls les sénateurs présents physiquement pourront prendre part au vote, qui aura lieu à l'issue de cette audition. Le dépouillement aura lieu à l'issue du scrutin, Mme Peybernes ayant été entendue plus tôt ce matin par la commission des finances de l'Assemblée nationale. Nos collègues Rémi Féraud et Marc Laménie, secrétaires du bureau, m'assisteront pour le dépouillement comme scrutateurs.
Avant de vous présenter mes compétences et mes projets, je voudrais d'abord, en ma qualité de magistrat du siège, vous saluer très respectueusement comme étant, avec l'Assemblée nationale, ceux qui votent les lois que, depuis 35 ans, j'essaye d'appliquer auprès des justiciables.
Le H3C est une autorité administrative publique indépendante, placée auprès du garde des Sceaux. Elle a évidemment la personnalité morale et des ressources propres, qui sont les cotisations levées sous forme d'un pourcentage des chiffres d'affaires réalisés par les commissaires aux comptes dans leur mission d'audit des entreprises, qu'il s'agisse d'entités d'intérêt public (EIP) ou non. Le code de commerce impose que son président soit un conseiller à la Cour de cassation. C'est mon cas depuis le décret du président de la République du 16 novembre 2017, et je suis Première présidente de la cour d'appel d'Orléans. Bien sûr, je ne siège pas à la Cour de cassation : c'est mon statut qui veut que j'y sois conseiller. En réalité, j'administre une cour d'appel, ce qui est l'essentiel des fonctions d'un Premier président - même s'il a également des attributions juridictionnelles. Je suis ordonnateur secondaire, avec le Procureur général, de la cour d'appel d'Orléans. Vous connaissez sans doute cette particularité de nos institutions judiciaires, qui impose une dyarchie : il y a deux ordonnateurs secondaires pour piloter chaque cour d'appel.
La cour d'appel d'Orléans est d'importance moyenne : par l'importance de son activité juridictionnelle, elle se classe vingtième sur les 36 cours de France. Elle compte 149 magistrats du siège et du parquet et 421 fonctionnaires, ainsi que de nombreux agents non titulaires, totalisant 63 ETP et dont j'ai supervisé le recrutement. Son budget annuel de fonctionnement est de 5,34 millions d'euros - hors titre 2 - et le budget annuel de ses frais de justice - programme 101 - s'élève à 4,95 millions d'euros. Voilà plus de douze années que ma carrière de magistrat m'a conduite à présider des institutions judiciaires. J'ai d'abord présidé le tribunal de grande instance de Rodez, puis celui de Valenciennes, avant d'arriver dans cette cour d'appel. Je pense donc avoir des compétences de gestionnaire de fonds publics.
En outre, de nombreuses missions du H3C ont des points communs avec les sujets traités par un Premier président. Les questions de déontologie, vous le savez, sont au coeur des fonctions du magistrat. Pour un Premier président, elles sont presque quotidiennes. Il dispose d'un pouvoir de sanction contre les magistrats du siège de sa cour. Il peut délivrer des avertissements, selon des procédures très normées, et il a la possibilité de saisir le Conseil supérieur de la magistrature pour des manquements déontologiques. Au cours de mon mandat de trois ans et demi, j'ai déjà prononcé trois avertissements contre des magistrats du siège de la cour d'appel. J'ai saisi l'Inspection générale de la justice à deux reprises en vue d'une saisine du Conseil supérieur de la magistrature, pour des manquements déontologiques. Le Premier président jouit aussi d'un pouvoir de mise en garde contre les conseillers prud'hommes et de saisine de l'autorité disciplinaire rattachée à la chambre sociale de la Cour de cassation. J'ai eu à exercer ce pouvoir à deux reprises depuis ma prise de fonction. J'ai été amenée à statuer sur les recours formés contre les décisions disciplinaires prises par les ordres des avocats, des huissiers de justice ou des notaires. Je statue aussi - et c'est une des compétences du H3C en ce qui concerne les commissaires aux comptes - sur les recours formés contre les contestations d'honoraires d'avocats. À ce jour, j'ai rendu plus de 200 décisions sur des contestations d'honoraires d'avocat.
Le code de l'organisation judiciaire confie au Premier président et au Procureur général une mission d'inspection des juridictions de leur ressort. Ils doivent s'assurer de la bonne administration des juridictions et de l'expédition normale des affaires. J'ai exercé cette mission de contrôle de fonctionnement, notamment pour le tribunal de grande instance de Montargis et les quatre tribunaux pour enfants du ressort. Et je programme pour cette année - sauf si vous décidez de suivre la proposition du président de la République - le contrôle de fonctionnement des pôles sociaux, à la suite d'une réforme dont il est nécessaire de comprendre et de connaître les effets. L'idée est de s'assurer de l'efficience des organisations, du respect des règles de fonctionnement des tribunaux, de l'état des stocks. J'établis un rapport dans lequel j'édicte des recommandations, et que le transmets à l'Inspection générale de la justice pour la bonne information du garde des Sceaux
Plus généralement, j'entretiens des liens très étroits avec la profession, réglementée, d'avocat. Il s'agit d'échanger, au cours de relations régulières, de réunions, d'échanges de correspondance, pour passer en revue les pratiques professionnelles réciproques, assurer la bonne mise en oeuvre des réformes, comme la fusion des juridictions, la réforme du droit des peines, ou la réforme à venir du Code de justice pénale des mineurs. J'ai une longue habitude du dialogue avec cette profession, qui porte souvent un regard critique sur les réformes dont elle peut penser qu'elles vont fragiliser son exercice professionnel. Je vous parlerai plus tard des rapports du H3C avec la CNCC, qui n'ont pas toujours été très sereins.
Enfin, mes fonctions de Première présidente m'ont conduit à incarner une institution dans un territoire et à dialoguer avec les institutions et les élus - je pense notamment aux conseils régionaux et aux conseils départementaux.
La loi fixe dix missions au H3C. La première est de procéder à l'inscription des commissaires sur la liste. Ils sont 18 000 à être inscrits en France, mais seulement 12 000 cotisent réellement, car environ 6 000 n'ont pas de mandat. Ils sont souvent aussi à la fois commissaires aux comptes et experts-comptables. Avant la réforme européenne de l'audit, la liste était tenue par une commission établie au sein de chaque cour d'appel. Depuis, la compétence a été transférée au H3C, qui avait toutefois la possibilité de la déléguer à la CNCC. La Cour des comptes a rédigé en 2019 un rapport, qui n'a pas été publié. Sa préconisation était de reprendre ces attributions, puisque cela coûterait moins cher au H3C de le faire directement plutôt que de déléguer à la compagnie et de régler les factures. La décision a été prise fin 2020, dans l'espoir de ne dépenser plus que 600 000 euros pour cette activité au lieu des 1,3 million d'euros qu'elle a coûtés au H3C en 2019.
La mission consistant à adapter les normes d'exercice professionnel (NEP) est nettement plus importante, et essentielle pour le H3C. C'est un collège de quatorze personnalités qui édicte les NEP, qui sont les règles de déontologie du commissaire aux comptes. Ces NEP sont homologuées ensuite par le garde des Sceaux et elles sont intégrées au code de commerce. Ces trois dernières années, le travail normatif a surtout consisté à établir des NEP pour la mise en oeuvre de la loi Pacte. Ces normes guident et sécurisent les diligences professionnelles des commissaires aux comptes, dans le but de renforcer l'homogénéité et la qualité de l'audit français. Elles font l'objet d'un processus d'adoption paritaire, dans lequel les commissaires aux comptes jouent un rôle très actif. C'est la violation de ces NEP qui a été reprochée dans une décision qui vient d'être rendue sur l'affaire Agripole, donnant lieu à des sanctions de nature disciplinaire.
Une mission moins forte, mais comportant d'importants enjeux, à cause de la loi Pacte, est celle qui consiste à définir les orientations générales de la formation continue des commissaires aux comptes. La plupart du temps, ce sont la CNCC et les compagnies régionales qui dispensent les formations. Mais c'est le H3C qui en définit les orientations générales et qui contrôle la bonne exécution par les commissaires aux comptes de leur obligation de formation. Le taux de suivi des formations est plutôt bon, puisqu'il varie entre 80 % et 85 % des commissaires aux comptes. Les sujets les plus suivis portent sur les compétences techniques nécessaires à la certification des comptes et aux autres missions du commissaire aux comptes. Je note avec regret que sont moins suivies les formations relatives aux systèmes d'information, à la cybersécurité, au blanchiment, aux fraudes et à la corruption. Le H3C doit peut-être s'engager dans une réflexion plus ou plus volontariste d'adhésion des commissaires aux comptes à ce type de formation continue.
Une petite mission, un peu perdue de vue, est d'autoriser la prolongation des mandats des commissaires aux comptes ou le dépassement du plafond des honoraires. Les commissaires aux comptes sont tenus à la rotation des mandats, dans le but de préserver leur indépendance par rapport aux sociétés auditées. La loi autorise dans certaines conditions qu'un commissaire puisse solliciter une prolongation. Les commissaires aux comptes ne se sont pas emparés de cette possibilité, puisque le H3C est très peu saisi en la matière. Il faut peut-être aussi s'intéresser à cette question.
Beaucoup plus importante est la mission de définir le cadre et les orientations des contrôles des commissaires aux comptes, de superviser leur réalisation et d'émettre des recommandations. Dans la structure actuelle des rapports entre le H3C et la compagnie, ce dernier effectue les contrôles d'audits des EIP, et la compagnie nationale se réserve le contrôle des autres entités. Les deux instances ont défini entre elles une base d'analyse des risques, qui porte à la fois sur le cabinet de commissaires aux comptes et sur l'entité auditée. Naturellement, le H3C se réserve aussi la possibilité de faire des contrôles sur des sociétés qui ne sont pas des EIP, lorsqu'elles revêtent une certaine importance.
À la sortie du contrôle, les cas problématiques sont soumis à la formation du collège qui statue sur les cas individuels, dite FCI. C'est elle qui décide soit de ne pas prendre de décision, soit d'adresser des recommandations aux cabinets d'audit, soit de transférer le dossier au rapporteur général pour le déclenchement d'une enquête, lorsque l'on soupçonne l'existence de manquements déontologiques importants. La FCI a examiné 26 cabinets exerçant des mandats EIP en 2019. Elle a transmis six dossiers au rapporteur général. Dans dix-sept cas, elle a émis des recommandations sollicitant du commissaire aux comptes la mise en oeuvre d'actions correctrices dans les douze mois. En 2019, la FCI a examiné 55 cabinets exerçant sur des mandats non EIP. Dans douze cas, elle a demandé l'ouverture d'une enquête sur saisine du rapporteur général.
Le H3C a décidé de s'engager, dans son plan triennal stratégique publié le 14 janvier 2021, dans la rénovation des contrôles. Il souhaite moduler le contrôle en fonction du niveau de risque que présente le cabinet de commissaires aux comptes. Cela suppose une analyse préalable des risques selon une échelle que le H3C est en train de construire et qui serait revue périodiquement par le collège.
Une autre mission emblématique du H3C est la mission d'enquête et de sanction. Il s'agit de mettre en place un système efficient d'enquêtes et de sanction pour détecter les manquements déontologiques et l'exécution inadéquate du contrôle légal des comptes. C'est une exigence essentielle, requise évidemment par le droit européen. La réforme de l'audit a renforcé les pouvoirs du H3C en la matière. Celui-ci est désormais le seul, à l'exclusion des organes de la profession, à pouvoir prononcer des sanctions et la réforme de l'audit lui a permis de prononcer des sanctions pécuniaires, ce qu'il n'avait pas le droit de faire auparavant. Pour exercer cette mission, le H3C et son rapporteur général disposent de onze agents, qui travaillent actuellement sur 139 dossiers, dont 39 concernent des EIP. Depuis sa création, le service a reçu 298 dossiers ; 58 % proviennent des suites des contrôles effectués par le H3C ou par la compagnie nationale, et 42 % proviennent de plaintes émises par des tiers ou la compagnie régionale.
L'enjeu, pour le H3C, est la sécurité et la fiabilité des systèmes comptables et financiers, qui déterminent la confiance du public dans les entreprises, et garantissent le bon fonctionnement et la stabilité du système financier. Cela ne concerne pas seulement les parties prenantes, c'est-à-dire le commissaire aux comptes et son client, mais intéresse aussi les investisseurs, les prêteurs, les co-contractants divers des entreprises soumis à la certification de leurs comptes. Nous avons vu récemment chez nos voisins européens, en Allemagne avec le scandale Wirecard, ou en Grande-Bretagne, qu'à plusieurs reprises les homologues du H3C ou de l'Autorité des marchés financiers ont été mis en cause à cause de leur défaillance dans la mission de contrôle et de régulateur. Même, de mauvaises pratiques institutionnelles ont été dénoncées en leur sein. Le H3C doit se tenir à l'écart de ces scandales.
Pour cela, il dispose des atouts suivants. D'abord, la qualité du système normatif légal, réglementaire, déontologique. Puis, la qualité de la formation des professionnels, celle des contrôles de la formation, et celle de la politique de sanctions. Le rapport de la Cour des comptes de 2019, qui n'a pas été rendu public, pointe l'insuffisance du H3C en indiquant que le nombre de mandats audités et le nombre d'EIP concernées ne sont pas suffisants pour lui donner une vision suffisamment précise et à peu près exhaustive du niveau de qualité de l'audit en France. Mais le H3C est en proie à des difficultés financières. Son modèle économique actuel semble assez fragile.
Sur la qualité de la politique de sanctions, il y a deux points de vue. D'une part, la sanction est une réponse à une faute individuelle et, à ce titre, la qualité des enquêtes et de la procédure interne au H3C est jugée irréprochable par la Cour des comptes, tant au niveau des poursuites que de sa formation de jugement, ainsi que des sanctions prononcées, lesquelles doivent être adaptées, proportionnées et motivées. Mais d'autre part, la sanction a une dimension de police économique, c'est-à-dire un effet de signal auprès des professionnels et du public. Parmi les différents choix possibles de sanctions, il faut éviter les deux extrêmes que serait une impunité générale trop forte, qui conduirait à affaiblir la confiance dans l'économie, ou une sévérité trop systématique, qui paralyserait l'activité des professionnels. Je trouve, à ce titre, assez emblématique la décision qui vient d'être rendue par le H3C dans l'affaire Agripole, le 19 février 2021. Cette décision était très soigneusement motivée et concernait des cabinets de tailles très différentes, y compris les Big Five, si on ajoute aux Big Four le cabinet Mazars. Elle a appelé à mettre en évidence la nature des manquements déontologiques qui pourraient être reprochés, et à mesurer les sanctions de manière à les rendre proportionnées. La radiation définitive de la liste des commissaires aux comptes en est un exemple, comme aussi des sanctions pécuniaires allant jusqu'à 400 000 euros.
Une mission très importante, que le H3C s'est beaucoup appropriée, est la coopération internationale. Il est très présent dans les institutions internationales qui concernent l'audit, et notamment dans le Committee of European Auditing Oversight Bodies, l'institution européenne qui regroupe les sociétés d'audits. Cette institution, qui conseille la Commission européenne, est présidée par M. Patrick Parent, dont le mandat de quatre ans a commencé en 2020. Le H3C est aussi très présent au sein de l'IFA (International Federation of Accountants), une institution internationale qui regroupe 53 États. L'un du membre du collège du H3C, M. di Cicco, présente sa candidature pour devenir le vice-président de cette institution. S'il était élu, il en serait le président dans quatre ans. C'est l'occasion pour la France de faire valoir la qualité de son audit, et surtout du corpus normatif qu'elle a construit en matière de déontologie, de réglementations et d'indépendance des commissaires aux comptes par rapport à leurs clients.
Le H3C doit aussi suivre l'évolution du marché des missions de contrôle. La loi Pacte a suscité la crainte, dans la profession, de voir ses effectifs réduits. Les commissaires aux comptes sont 18 000 inscrits sur la liste, et ils ne sont que 12 000 à exercer véritablement des mandats. Le marché français n'est pas aussi concentré que celui de nos voisins européens. Chez certains d'entre eux, la classe des Big Four est écrasante. Ainsi, au Royaume-Uni, ceux-ci exercent 82 % des mandats EIP. Aux Pays-Bas, cette proportion atteint même 84 %. En Allemagne, elle est de 72 %. En France, elle tombe à 55 %. La concentration du marché français est moins nette encore sur le marché total, quand on additionne aux mandats EIP les autres : les cinq principaux auditeurs ne réunissent en fait que 26,8 % des mandats. Si nous souhaitons préserver ce niveau de concentration du marché sans accentuer la place des Big Five, il faudrait peut-être renforcer la constitution de binômes entre Big et non Big dans les situations où un co-commissariat aux comptes doit être créé, c'est-à-dire pour les sociétés qui ont l'obligation de consolider leurs comptes. Je souhaite travailler sur cette solution avec la compagnie nationale, en accord avec le collège. Cela ferait monter en puissance les cabinets d'importance moyenne, et leur permettrait d'acquérir des moyens supplémentaires, avec de nouvelles compétences, pour accéder eux aussi aux mandats EIP.
L'équilibre budgétaire du H3C est un sujet épineux - mais je suis devant la commission des finances ! La situation est inquiétante puisque, en 2019, le H3C a affiché un déficit de 1,55 million d'euros, et qu'il prévoyait pour 2020 un déficit de 1,7 million d'euros.
Ses ressources sont, depuis 2018, constituées par une contribution forfaitaire des contrôleurs des pays tiers qui sollicitent leur inscription sur la liste française et, surtout, par une cotisation des commissaires aux comptes assise sur le montant total des honoraires qu'ils ont facturés au cours de l'année précédente. Une autre cotisation est assise sur le montant des honoraires facturés au cours de l'année aux EIP dont ils certifient les comptes. C'est le H3C qui se charge, depuis 2020, à la demande de la Cour des comptes, de procéder au recouvrement de ces recettes. La mission de les collecter avait été déléguée à la compagnie nationale, pour un coût refacturé au H3C plus important que ce que cela lui coûterait de procéder lui-même à cette collecte. Surtout, après le vote de la loi Pacte, par mesure de représailles, la compagnie a effectué la rétention des cotisations, elle ne les a pas restituées au H3C. Il était donc nécessaire que le H3C reprenne son indépendance en la matière. Il s'en est donné les moyens en recrutant un comptable public, et la convention a été modifiée en 2020. Nous verrons au cours de l'exercice 2021 si ce choix se traduit par une réduction des dépenses de collecte. Les cotisations versées par les commissaires aux comptes s'élèvent à 15,2 millions d'euros par an.
Les dépenses du H3C sont constituées pour moitié par des dépenses de personnel - il emploie une soixantaine d'agents - et pour un tiers par les refacturations par la CNCC des missions de contrôle que le H3C lui a confiées pour le contrôle des autres structures que les EIP. Là aussi, des incompréhensions peuvent exister sur les factures émises par la compagnie nationale, et un contrôle plus fin par le H3C s'impose.
Malgré le déficit de 1,55 million d'euros que j'ai mentionné, la Cour des comptes a reproché au H3C de ne pas avoir fait suffisamment de contrôles. Nous sommes pris en ciseaux : la Cour des comptes nous demande de travailler davantage, mais nos ressources ne nous le permettent pas... Je devrai me pencher sur cet enjeu, en dialogue avec la compagnie nationale. Pour réaliser des économies, une piste très modeste est actuellement à l'étude : il s'agirait de procéder à une sous-location immobilière. On peut aussi réinterroger les conventions de délégation avec la compagnie. Les refacturations sont en effet passées de 750 000 euros en 2017 à 1,1 million d'euros en 2019 : il y a des questions à se poser... Nous pourrions enfin relever les cotisations des commissaires aux comptes. Cela ne dépend pas du H3C mais du garde des Sceaux. La fourchette actuelle est fixée par un arrêté, qui la place entre 0,5 et 0,7 % du chiffre d'affaires. Le taux appliqué est de 0,5 %. Le garde des Sceaux a la faculté de le faire passer à 0,7 % par décret. Ou alors, nous pourrions élargir l'assiette des cotisations sur les nouvelles missions confiées par la loi Pacte aux commissaires aux comptes, mais il n'y a pas de texte réglementaire le permettant. Merci de m'avoir écoutée si longuement !
Merci. Il est intéressant pour nous d'entendre parler d'institutions dont nous apprenons beaucoup à l'occasion de telles auditions. Nous avons compris que la question financière est devant vous, et qu'il est trop tôt pour vous demander des pistes concrètes - même si on imagine bien qu'elles passeront soit par une diminution des dépenses, soit par une hausse des recettes ! La Cour des comptes a indiqué que les mandats étaient trop limités. Quelle serait la bonne règle ? Nous avons auditionné avant vous une structure de même nature, l'Autorité des normes comptables, pour laquelle les questions internationales étaient très importantes. Il y a des discussions internationales sur la qualité de l'audit, sur les contenus, etc. Or la mission de commissaire aux comptes semble assez franco-française. Est-il nécessaire d'avoir des mandats de commissaire aux comptes de même nature partout dans le monde ? Autrement dit, une vision franco-française du métier de commissaire aux comptes pèserait-elle sur les entreprises françaises, ou européennes ? Parmi les contrôleurs légaux de pays tiers, vous avez ceux du Royaume-Uni. Quel est l'effet du Brexit sur vos relations avec eux ?
Merci pour cet état des lieux. La situation que vous décrivez pose question, s'agissant de ceux qu'on appelle les professionnels du chiffre !
La loi Pacte a réduit le nombre d'entreprises ayant recours aux commissaires aux comptes. Cela implique une perte partielle de chiffre d'affaires et la possibilité pour les commissaires aux comptes de développer une nouvelle offre. Comment voyez-vous ce que doit être demain le commissariat aux comptes - et ce qu'il ne doit pas être ? Si l'on se dirige vers un modèle comportant davantage de prestations de services aux entreprises, on pourrait craindre une perte d'indépendance dans la mission originelle et originale des commissaires aux comptes. Quel serait le bon point d'équilibre entre ces évolutions ?
Dans le rapport de la mission « Justice économique » dirigé par Georges Richelme, il est question de renforcer encore les missions hors certification des commissaires aux comptes et il est même recommandé d'étendre leur rôle en matière de prévention et d'alerte auprès du tribunal de commerce ou du tribunal judiciaire, en pérennisant notamment la procédure d'alerte introduite par l'ordonnance du 20 mai dernier. Quelle est votre position sur ce sujet ?
Je mène actuellement une mission de contrôle sur la sortie des prêts garantis par l'État, et notamment l'accompagnement des entreprises qui sera nécessaire en sortie de crise. Les commissaires aux comptes doivent-ils participer à cet accompagnement en exerçant un rôle d'alerte et de prévention ? Si oui, selon quelles modalités ? En début d'année, j'ai assisté à la rentrée d'un tribunal de commerce et ce sujet de la sortie des PGE a été abordé comme constituant une nécessité, et même une urgence, pour les tribunaux de commerce.
Sur les mandats EIP, la Cour des comptes a fait des remontrances au H3C, en disant qu'il en faisait trop. Pourtant, le H3C vérifie moins de 3 % des mandats, ce qui est insuffisant pour en avoir une bonne lecture. Quand bien même il doublerait cette proportion, ce serait toujours insuffisant. En fait, il faut une étude des risques, c'est-à-dire une cartographie préalable. Après des années d'expérience, le H3C sait quels risques pèsent sur certains types de mandats ou certains types de cabinets. C'est par l'étude des risques qu'il acquerra une cartographie des contrôles approchant d'une bonne connaissance de la qualité de l'audit en France, davantage que par des contrôles exhaustifs qui sont impossibles à réaliser.
Sur les questions internationales, je souhaite souligner la grande différence entre les ISA (International Standard on Auditing), qui sont les normes d'exercice professionnel anglo-saxonnes, et les NEP. Elles sont très différentes dans leur structure : les NEP sont beaucoup plus courtes, concises et précises que les ISA, ce qui fait gagner en qualité et surtout en compréhension entre l'organe régulateur et la profession qui comprend mieux ce qui est attendu d'elle. Si la France a un rôle à jouer dans les instances internationales, c'est dans cette direction-là. Une autre particularité française est le co-commissariat aux comptes. C'est une des garanties françaises qui existent pour éviter les catastrophes. Certes, nous avons eu l'affaire William Saurin - mais pas Wirecard ! Avec un véritable co-commissariat aux comptes, il est plus difficile de ne pas voir que les comptes ne reflètent pas la réalité. Quant aux conséquences du Brexit, je n'ai pas d'information.
C'est encore un peu tôt après la promulgation de la loi Pacte pour avoir des certitudes. Nous savons qu'il y a, forcément, une perte de chiffre d'affaires, puisque les seuils ont été relevés, et que moins de sociétés sont contraintes de recourir au commissariat aux comptes. Toutefois, les règles d'entrée en vigueur de la loi, étalée sur six années, retardent la perte du mandat. Les pertes de chiffre d'affaires ne seront donc pas immédiates. Puis, on commence à constater que même parmi les entités qui n'ont plus l'obligation de recourir à leur commissaire aux comptes, plusieurs continuent à le faire. La certification des comptes accroît la qualité de leurs échanges avec les prêteurs ou les investisseurs, voire même les interlocuteurs commerciaux, qu'il s'agisse des fournisseurs ou des gros clients. On peut donc penser que bon nombre d'entre elles conserveront les services du commissaire aux comptes. Il appartient à ces derniers - et c'est un virage qui n'a pas encore été pris - de s'approprier les nouvelles possibilités que la loi Pacte leur ouvre pour offrir davantage de services à de plus petites structures. Je pense par exemple au conseil dans la conduite de leur activité, dans la réorientation ou dans le rééquilibrage de leurs comptes. Garder leur indépendance par rapport aux experts-comptables permettra d'asseoir la qualité de leurs conseils en la matière.
Le rapport Richelme est né à Orléans, monsieur le rapporteur général, lorsque le garde des Sceaux est venu et s'est intéressé à la manière dont les tribunaux de commerce s'étaient emparés de la prévention pour les petites structures. Ce marché est d'ailleurs surtout celui des experts comptables. Les structures agricoles sont plutôt entre les mains de la Mutualité sociale agricole, ou de la Fédération départementale des agriculteurs, qui est leur syndicat professionnel. Pour les commissaires aux comptes, ce rapport ne me paraît pas une source d'information ou d'idées particulièrement développée. J'ai regretté que M. Richelme n'ait pas pensé à solliciter l'avis du H3C. Il n'a sollicité que celui de la compagnie. Une lettre lui a été adressée sur ce point.
Merci pour votre exposé, très intéressant. Vous avez évoqué les réflexions et les recommandations du H3C sur les NEP. Le H3C intègre-t-il à ses réflexions les conséquences de la crise sanitaire et du soutien massif de l'État aux entreprises ? Dans le cadre d'un audit, un commissaire aux comptes constate des dettes classiques - emprunts, dettes aux fournisseurs, etc. - mais il y a désormais aussi les PGE et les reports de charges sociales, qu'on peut considérer comme des dettes moins certaines. Puisqu'il s'agit de certifier la sincérité, la régularité des comptes, le H3C envisage-t-il de distinguer la comptabilisation de ces dettes, qui ne sont pas les mêmes que les autres ? Ainsi, les investisseurs ou les prêteurs se feraient une meilleure idée de ce qu'est l'entreprise. Vu la masse de ces concours financiers, la question est d'importance.
Merci pour cette présentation détaillée et fidèle, et pour l'exposé de votre parcours antérieur au ministère de la justice et dans les tribunaux de grande instance. Même nous, nous ne connaissons pas forcément toutes les autorités administratives indépendantes - que dire du grand public ! Les experts-comptables et commissaires aux comptes ont pourtant un rôle majeur auprès des entreprises de toutes tailles. Vous avez beaucoup insisté sur la notion de déontologie et sur les moyens humains : une soixantaine de personnes, c'est peu, étant donnés les enjeux. Comment allez-vous résorber le déficit budgétaire que vous avez signalé ? Comment mieux communiquer compte tenu des difficultés que les commissaires aux comptes vivent au quotidien avec la crise sanitaire, et vu la complexité des dossiers ? Comment mieux coordonner ces derniers, et mieux les aider à développer une bonne communication ?
Votre exposé a été particulièrement clair et montre que vous connaissez bien le sujet. Les conséquences de la loi Pacte dans le secteur sont extrêmement importantes : nous avions estimé que, sur les 260 000 entreprises relevant du commissariat aux comptes, seules 120 000 étaient au-dessus des seuils réglementaires. Cela augurait d'une baisse significative du nombre de commissaires aux comptes. La situation financière du H3C ne peut que nous inquiéter, puisque cette évolution implique qu'il y aura dans les prochaines années beaucoup moins que 18 250 inscrits au tableau des commissaires aux comptes. Avez-vous déjà des idées sur les mesures qu'il va falloir prendre, notamment en termes de personnel ? Il y a une cinquantaine de personnes pour une masse salariale de 7,5 millions d'euros, et des efforts de rationalisation pourront sans doute être effectués : l'activité diminuant, il convient d'adapter le niveau des moyens du H3C.
Avec la loi Pacte, les quelques grands cabinets d'audit vont concentrer encore davantage les missions d'audit entre leurs mains. Il n'y a qu'un cabinet français, Mazars, parmi les sept principaux. Ces grands cabinets ne risquent-ils pas de prendre de plus en plus de place, au détriment des petits, qui n'arriveront pas à survivre à la réforme ?
Le H3C réfléchit-il à l'évolution des sociétés qui entrent dans les tribunaux du commerce ? On nous a dit la semaine dernière que 30 % des dossiers allaient en redressement judiciaire, et que 2 % seulement allaient jusqu'au bout du plan et repartaient dans l'économie.
Je n'ai pas la réponse à toutes vos questions...
La première question est pertinente, mais relève d'une autre institution, l'Autorité des normes comptables, avec laquelle j'estime nécessaire que le H3C développe ses liens car, à l'occasion des contrôles et des audits, il se rend compte que les normes comptables ne sont parfois pas bien comprises par les commissaires aux comptes, ou sont sujettes à des interprétations différentes.
Pour résorber le déficit budgétaire, il faut surtout reprendre le dialogue avec la CNCC. Sur 18 000 commissaires aux comptes inscrits, seuls 12 000 cotisent : nous devons vérifier nos rapports économiques avec la compagnie nationale. Reprendre certaines de nos missions, comme l'inscription sur la liste, devrait être une source d'économie, aussi. Enfin, nous devons réinterroger nos échanges en matière de délégation des mandats EIP : les sommes demandées par la compagnie sont peut-être à remettre en cause.
Vous évoquez la communication : il y a souvent des articles dans la presse économique spécialisée. Le H3C publie un rapport annuel, sans doute un peu épais : nous en produirons une synthèse destinée aux corps institutionnels. Son site Internet a été rénové, et le Congrès annuel des commissaires aux comptes est aussi une plateforme de visibilité.
La loi Pacte induira-t-elle une baisse du nombre des commissaires aux comptes ? C'est trop tôt pour le dire. Le H3C va le vérifier. En réduisant, par la réforme de l'audit, le nombre d'EIP, puis en relevant les seuils au-delà desquels le recours aux commissaires aux comptes est nécessaire, la réforme devait logiquement aboutir à ce résultat. Pourquoi, dès lors, le H3C devrait-il s'inquiéter en particulier de cette évolution ? En France, les seuils étaient quasiment les plus bas d'Europe, et l'objectif de la loi était justement de redonner de la liberté et du souffle aux entreprises, en leur retirant cette charge.
Non, je ne m'en prendrai pas aux salariés du H3C, dont je pense qu'ils ne sont pas en nombre suffisant - et c'est aussi l'avis de la Cour des comptes. Le H3C ne fait pas assez de contrôles pour avoir une vision claire de la qualité de l'audit en France. Ce n'est pas en réduisant le personnel que j'atteindrai cet objectif, que fixe la Cour des comptes. Nous travaillerons sans doute sur des contrôles différenciés, selon la nature des mandats ou du commissaire aux comptes contrôlé. Dans l'affaire Agripole, par exemple, la même obligation déontologique, rappelée tous les ans au même commissaire aux comptes, n'avait toujours pas été suivie cinq ou six ans plus tard. C'est le signe, pour le H3C, que ce commissaire aux comptes est en risque, et qu'il faut intensifier les contrôles sur lui.
Enfin, le H3C n'est pas chargé du suivi des sociétés en difficulté économique qui ont un plan de redressement.
Merci, madame la Première présidente, pour la clarté et l'honnêteté de vos réponses.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La commission procède au vote sur la proposition de nomination de Mme Florence Peybernes aux fonctions de présidente du Haut Conseil du commissariat aux comptes.
La réunion est close à 12 h 20.
À l'issue du vote de la commission des finances de l'Assemblée nationale, la commission des finances du Sénat procède au dépouillement, simultanément à celui de la commission des finances de l'Assemblée nationale, en présence de M. Claude Raynal, président, et MM. Rémi Féraud et Marc Laménie, secrétaires, en leur qualité de scrutateurs.
Le résultat du vote, qui sera agrégé à celui de la commission des finances de l'Assemblée nationale, est le suivant :
Nombre de votants : 22 ; Blancs : 3 ; Pour : 19 ; Contre : 0.