Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation

Réunion du 22 septembre 2021 à 9h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Claude Raynal

Nous commençons par un contrôle réalisé par Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial pour les crédits consacrés au transport aérien, mais aussi à l'expertise, l'information géographique et la météorologie, sur Météo-France.

Je salue la présence de Guillaume Chevrollier, rapporteur pour avis des crédits dédiés à la biodiversité, à la météorologie et à la transition énergétique au sein de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Capo-Canellas

Plusieurs raisons m'ont conduit à entreprendre un contrôle budgétaire de Météo-France.

Premièrement, les phénomènes météorologiques extrêmes se rappellent de plus en plus souvent à nous. Les dérèglements climatiques augmentent leur fréquence et leur intensité. Le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) est évocateur sur ce point. Il nous faut mieux prévoir et mieux anticiper ces phénomènes dangereux.

Deuxièmement, depuis dix ans, Météo-France met en oeuvre une succession de plans ambitieux de transformation et de rationalisation de son organisation dans un contexte de réduction régulière de ses moyens financiers et humains. Quelques chiffres en témoignent. Depuis 2012, le plafond d'emplois de l'opérateur a été réduit d'un quart tandis que la subvention pour charges de service public aura baissé de près de 20 % en dix ans. L'établissement a également considérablement restructuré son réseau territorial, avec la suppression des deux tiers de ses implantations entre 2011 et 2022.

Troisièmement, l'établissement vient tout juste de mettre en service ses nouveaux supercalculateurs, un investissement qui a représenté près de 150 millions d'euros. La course à la puissance de calcul est telle qu'il faut déjà se projeter dans la réalisation d'un nouveau programme à l'horizon de 2025.

Quatrièmement, Météo-France va devoir relever une série de défis dans les prochaines années : l'appropriation des technologies de rupture en matière de prévision, la révolution des données d'observation météorologique, le développement des services climatiques et l'émergence d'une concurrence exacerbée avec l'arrivée sur le marché des start-up et des géants du numérique.

Cinquièmement, Météo-France est sur le point d'adopter de nouvelles orientations stratégiques.

J'ai pu constater que l'établissement avait accompli de nombreux efforts de rationalisation : Météo-France a tenu ses engagements, les transformations sont profondes et les métiers ont évolué. Aujourd'hui, l'établissement comme son corps social ont besoin d'une pause pour consolider ces réorganisations. Le modèle de Météo-France lui permet de figurer parmi les meilleurs services météorologiques : il faut, me semble-t-il, le préserver. Son coût doit être relativisé au regard des bénéfices socio-économiques qu'il produit, au minimum quatre à huit fois plus élevés.

Les prévisions de Météo-France vont être mises sous tension dans les années à venir. Un projet de nouveau contrat d'objectifs et de performance (COP) a été adopté par le conseil d'administration pour répondre aux différents enjeux. Sa concrétisation est conditionnée à une stabilisation des moyens.

Pour toutes ces raisons, je considère qu'après les efforts consentis pendant dix ans, le moment est venu où l'État a la responsabilité de se réengager auprès de Météo-France.

J'en viens aux missions de l'établissement.

Météo-France assure d'abord la sécurité météorologique des personnes et des biens. Il joue un rôle central dans la chaîne d'alerte. Après la tempête de 1999, il a créé une carte de vigilance, qui a fait des « émules » à l'étranger. La prévention d'autres risques naturels, comme les avalanches ou les feux de forêt, fait également partie de ses missions.

L'établissement assume également des missions stratégiques, le meilleur exemple étant le soutien qu'il apporte aux forces armées, notamment en opérations extérieures (OPEX). Il est aussi le prestataire exclusif de services météorologiques à l'aviation civile. En contrepartie, la direction générale de l'aviation civile (DGAC) lui verse une redevance qui représente près du quart de ses ressources totales. Toutefois, cette redevance est stable en euros courants depuis 2012 : elle se déprécie donc chaque année du niveau de l'inflation. Météo-France voit comme une épée de Damoclès la perspective d'une diminution de cette ressource essentielle à son équilibre financier et se satisfait de ce statu quo. Il faut briser le tabou et s'assurer que le niveau de la redevance couvre réellement le coût des services délivrés par Météo-France.

L'opérateur se distingue aussi par ses activités de recherche. Il remporte d'ailleurs de nombreux appels d'offres européens. La traduction de la recherche météorologique dans les activités opérationnelles est fondamentale et détermine la qualité des modèles de prévision. Aussi, il apparaît fondamental de sanctuariser le budget de recherche de Météo-France et de lui accorder plus de souplesse pour recruter des contractuels hors plafond d'emplois afin que l'établissement puisse répondre à l'ensemble des appels d'offres et stimuler son innovation.

Les capacités de modélisation climatique de l'établissement lui permettent de contribuer activement aux travaux du GIEC. Cette activité, qui participe au rayonnement international de l'opérateur et de la France, gagnerait à être davantage valorisée. Dans l'Hexagone, l'expertise de Météo-France est très attendue, notamment par les collectivités territoriales, pour accompagner l'adaptation au changement climatique. La proposition d'une nouvelle offre de services sur cette thématique, étendue à l'ensemble des acteurs climato-sensibles, constituera un enjeu majeur.

L'organisation des services météorologiques varie largement d'un pays à l'autre. Certains, comme le MetOffice britannique, sont très centralisés et se passent de réseau territorial. D'autres, comme les services américain et allemand n'interviennent pas dans le champ concurrentiel et limitent strictement leur activité à leurs missions de service public. Le champ d'activités varie également d'un service à l'autre notamment en ce qui concerne les risques naturels couverts, la recherche ou la climatologie. Avec ses homologues britannique et allemand, Météo-France est l'un des trois seuls services européens à disposer d'un modèle de prévision numérique du temps dit à « aire globale », c'est-à-dire qu'il couvre la planète entière. Ce modèle a un coût, mais il contribue à notre souveraineté militaire ainsi qu'à notre rayonnement international. L'organisation des services est dépendante des contraintes météorologiques. En ce qui concerne la France, la récurrence d'épisodes dangereux, tels que les pluies cévenoles ou les enjeux spécifiques à l'outre-mer, notamment le risque cyclonique, ne semble pas compatible avec un scénario de suppression du réseau territorial. Ce scénario doit être écarté et la réduction du réseau en France a une limite. Après les restructurations mises en oeuvre ces dernières années, l'organisation territoriale et les effectifs de Météo-France sont comparables à ceux de son homologue allemand.

Il existe une tradition de collaboration entre services météorologiques, et Météo-France en est un des moteurs. Je l'encourage à redoubler d'efforts, pour concrétiser des mutualisations de moyens.

Météo-France s'est vu administrer un traitement de choc budgétaire, avec la réduction d'un quart de son plafond d'emplois et la diminution de 20 % de sa subvention pour charges de service public. S'il existait indéniablement des marges de manoeuvre de performance à exploiter, notamment en raison des évolutions technologiques, force est de constater que l'effort réalisé a été significatif, d'autant que l'établissement a aussi subi les effets de coups de rabots transversaux en cours de gestion jusqu'en 2017. Entre 2014 et 2017, ces rabots se sont élevés à près de 22 millions d'euros. D'où l'intérêt du contrat budgétaire original que Météo-France a signé en 2019 avec la direction du budget. Original, car Météo-France était alors le premier opérateur hors Bercy à s'engager dans cette voie et seul Business France lui a emboîté le pas. L'État s'est engagé sur une trajectoire ferme d'évolution des ressources et de plafond d'emplois. Certes cette trajectoire est rigoureuse mais au moins elle n'est plus aggravée en cours d'année et offre une visibilité à l'opérateur. Ce contrat a néanmoins une limite. Il ne couvre pas la même période que le COP de l'établissement. Actuellement, l'opérateur s'engage sur des orientations stratégiques de moyen terme sans savoir s'il disposera des moyens pour les concrétiser. Cette situation n'est pas satisfaisante. Notamment parce qu'il doit déjà se projeter dans un nouveau renouvellement de ses capacités de calcul intensif. Le contrat budgétaire qui court jusqu'en 2022 devra être reconduit, mais il faudra le coordonner avec le COP faute de quoi la situation est kafkaïenne.

Les charges de personnels sont en baisse sous l'effet de la réduction des effectifs, mais elles représentent toujours les deux tiers des dépenses. J'ai découvert qu'une gestion complexe de personnels partagés avec la DGAC limitait l'autonomie de Météo-France sur une part non négligeable de ses effectifs. Les effets collatéraux des protocoles sociaux de la DGAC sur la masse salariale de l'opérateur ne sont pas suffisamment anticipés. Il faut clarifier et fluidifier les relations entre Météo-France et la DGAC.

L'opérateur a commencé à tailler dans ses dépenses de fonctionnement, mais il doit continuer de rechercher des gains de performance, d'autant que les charges d'exploitation des supercalculateurs augmentent. En revanche, il apparaît nécessaire de préserver ses dépenses d'investissement hors puissance de calcul. Autour de 15 millions d'euros, elles sont dimensionnées au minimum. Les réduire risquerait de dégrader ses infrastructures techniques et donc sa qualité de service.

J'ai évoqué l'ampleur de la restructuration du réseau territorial de Météo-France. Une première phase, entre 2012 et 2016, a conduit à réduire de moitié le nombre de ses implantations territoriales. Le réseau cible comptera, en 2022, 39 implantations en métropole contre 115 en 2011. Après une mobilisation des élus locaux, l'opérateur a renoncé à son plan initial de rationalisation de ses implantations en montagne.

Ces programmes de restructuration sont assortis d'un dispositif d'accompagnement des personnels, dont le coût est partiellement couvert par des subventions de l'État. Un dispositif spécifique de travail à distance permet aux agents dont le site a fermé de ne pas effectuer de mobilité géographique. En raison des risques d'isolement qu'elle suppose, cette disposition doit faire l'objet d'un suivi renforcé.

La réorganisation du réseau territorial s'accompagne de projets d'automatisations dont la mise en production doit être conditionnée à la robustesse des solutions techniques. Certains des projets ont pris du retard. Il reste encore un gap technologique à franchir qui peut appeler des questionnements scientifiques. Les transformations de l'opérateur se traduisent aussi par une évolution de ses métiers, tout particulièrement de celui de prévisionniste qui s'orientera vers davantage de conseils aux bénéficiaires finaux. C'est une condition essentielle à l'optimisation des bénéfices socioéconomiques générés par les services météo. En cas de risque d'évènements météorologiques dangereux il ne suffit pas de donner l'alerte. Il faut qualifier l'évènement et expliquer aux bénéficiaires de l'information comment ils peuvent la traiter de façon optimale.

Cette succession de transformations ne peut être sans conséquence sur le climat social. Le corps social de l'opérateur est aujourd'hui en quête de sens et attend un signe de réengagement de l'État. Des tensions, qui s'expliquent aussi par des problèmes d'attractivité, apparaissent sur les effectifs. L'opérateur a même dû faire temporairement appel à des agents retraités. Des services ultramarins ont dû être renforcés par des volontaires de métropole. Ce sont des signaux qui doivent nous interpeller.

Météo-France devra à la fois consolider ses récentes transformations et relever une série de défis.

S'agissant des activités commerciales, la concurrence va être beaucoup plus intense. L'entrée des géants du numérique sur le marché de la météo pourrait à courte échéance faire perdre des parts de marché à Météo-France et menacer ses ressources commerciales, qui diminuaient depuis 2012 à cause du déclin du service de météo par téléphone. Les recettes avaient recommencé à augmenter en 2017, mais la crise y a mis un coup d'arrêt. En 2020, elles représentaient 30 millions d'euros.

Dans les années à venir, l'établissement sera confronté à un pic de départs à la retraite qui impliquera des recrutements et un ajustement de ses schémas d'emplois.

Pour délivrer des prévisions plus fines, Météo-France doit se saisir des nouvelles technologies. L'intelligence artificielle sera décisive. Elle accompagnera l'assimilation et le traitement de masses d'informations toujours plus importantes dans le cadre de la révolution du paysage des données météorologiques alimentée par les objets connectés.

L'ouverture des données publiques provoque un « effet ciseau » sur le budget de l'établissement. Les redevances de réutilisation vont disparaître en 2023 tandis que la mise en ligne de données publiques est coûteuse. L'effet cumulé pourrait s'élever à 3 millions d'euros de pertes annuelles. En mai dernier, devant notre commission, j'avais interrogé Mme Pompili qui avait annoncé que ce coût pourrait être au moins partiellement couvert par l'État. Il faudra être attentif à l'accompagnement de Météo-France par l'État.

Aujourd'hui, les capacités de calcul intensif sont le principal déterminant de la performance des services météo. Elles permettent d'assimiler plus de données, d'affiner les prévisions et d'offrir de nouvelles perspectives en matière de recherche. Il existe un besoin perpétuel d'augmenter la puissance de calcul. Météo-France vient de renouveler ses supercalculateurs et de multiplier leurs capacités par 5,5. Toutefois certains de ses homologues ont déjà annoncé ou réalisé des investissements considérables et Météo-France doit déjà se projeter dans le prochain renouvellement de ses capacités de calcul, en 2025. Une nouvelle multiplication par 6 de la puissance de calcul de Météo-France est envisagée. Elle pourrait avoisiner les 300 millions d'euros. Une étude vient de conclure que cet investissement pourrait engendrer 1,4 milliard d'euros de bénéfices socio-économiques. Il convient d'explorer des pistes de mutualisation et envisager l'hypothèse d'une contribution des secteurs économiques et des ministères qui profiteront de ces bénéfices.

Pour résumer, j'ai le sentiment que Météo-France a été un opérateur sérieux. Il a réalisé des gains d'efficience significatifs qu'il doit consolider. Il faut maintenant faire une pause dans la diminution de sa subvention pour charges de service public. Aujourd'hui, l'établissement est confronté à une série de défis, aux premiers rangs desquels la nécessité de produire une prévision plus fine des phénomènes météorologiques extrêmes. Il est important que l'État se réengage auprès de l'opérateur et lui donne de la visibilité en lui permettant de stabiliser ses moyens financiers et ses effectifs sur la période du prochain COP.

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Chevrollier

À l'heure où le dérèglement climatique nous impose d'agir pour la préservation de la biodiversité, une information de qualité est nécessaire. L'opérateur national doit être soutenu financièrement. Le supercalculateur doit être opérationnel, et il faut les compétences pour analyser les données. Mieux prévoir la météo est un moyen de limiter les dégâts. La fiabilité des données nous permettra de faire des économies dans un contexte d'intempéries de plus en plus fréquentes.

Un modèle à aire globale est un élément de souveraineté et d'influence. Là où notre pays a des atouts, il est important de conserver notre savoir-faire. Lors d'un déplacement à Toulouse dans le cadre de la préparation de mon avis budgétaire, j'ai constaté la mobilisation des personnels de Météo-France et leur capacité d'adaptation.

Je remercie le rapporteur spécial pour ses conclusions, que je relaierai au sein de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Je remercie à mon tour Vincent Capo-Canellas pour sa présentation complète et objective. Météo-France a été victime du rabot budgétaire, mais elle est passée à côté de la générosité de l'État durant la pandémie...

La France a fait le choix original de faire maîtriser son dispositif de connaissances météorologiques par la puissance publique - Guillaume Chevrollier a rappelé l'enjeu de souveraineté, auquel il faut ajouter des enjeux de défense et militaires.

Comment clarifier la question des personnels partagés avec la DGAC ?

L'utilisation de l'intelligence artificielle et des supercalculateurs doit être mise en corrélation avec les ressources humaines nécessaires, pour donner à Météo-France un temps d'avance.

Au-delà de la prévision des phénomènes climatiques, il faut penser à la prévention, qui conduirait in fine à faire des économies sur le budget de l'État. À cette fin, faut-il prévoir des moyens supplémentaires, financiers et/ou en personnels, pour Météo-France ? Un lien plus fort avec les collectivités locales est souhaitable, mais il faut veiller à ce qu'il n'ouvre pas la porte à une participation des collectivités au financement de cette mission régalienne portée par l'État.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Bascher

Il est souhaitable que la France ait un modèle global en matière de météo : nous sommes tout de même le pays sur lequel le soleil ne se couche jamais !

La question des données publiques et de la concurrence ne concerne pas seulement Météo-France. On demande à l'impôt de produire de la donnée publique et gratuite, et la valeur ajoutée revient au monde concurrentiel. C'est également le cas à l'Insee, qui récolte dans le cadre d'enquêtes complexes des données accessibles ensuite à tous. On produit donc des données qui conduisent à détruire nos politiques publiques, en permettant à certaines entreprises de faire du profit. Prenons l'exemple des données météorologiques relatives aux parcelles agricoles : qui gagne de l'argent grâce à ces données ?

S'agissant des supercalculateurs, existe-t-il une mutualisation avec le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ?

Debut de section - PermalienPhoto de Victorin Lurel

Je remercie Vincent Capo-Canellas pour son rapport éclairant.

Depuis dix ans, Météo-France subit une rationalisation, certainement nécessaire, qui lui a fait perdre 1 000 emplois et a entraîné une baisse de ses subventions. Je suis quelque peu gêné pour donner quitus à cette politique et dire qu'il faut continuer à remplacer les hommes par des machines.

Comme Jérôme Bascher, j'ai l'impression qu'on assiste à une forme de privatisation qui permet de faire prospérer le privé. Météo-France ne paraît pas être en voie de stabilisation. Je veux faire remarquer qu'il y a souvent des grèves à Météo-France. Dans mon territoire, on assiste déjà à une défausse sur les collectivités pour financer des outils comme des houlographes. En l'absence de pluviomètre, il n'a pas été possible de prévoir certains cyclones au sud de la Guadeloupe.

Les restructurations, les restrictions et l'austérité budgétaire sont compensées par un surdéveloppement technologique et capacitaire sur lequel je m'interroge.

Quel est le montant du budget de Météo-France ? Comment est répartie la pénurie entre les régions et les territoires ? La France est un archipel : il faut des moyens appropriés.

Aujourd'hui, un plan de relance de Météo-France, de modernisation et de qualification du personnel et peut-être de mutualisation avec d'autres agences est nécessaire.

Les satellites doivent couvrir correctement l'Indopacifique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Arnaud

Je remercie le rapporteur spécial de son excellent travail.

S'agissant de l'implantation territoriale, le président de Météo-France avait défini en septembre 2020 une feuille de route des suppressions d'antennes sur les territoires, notamment à Bourg-Saint-Maurice, Briançon, Grenoble et Chamonix, avec la volonté de regrouper sur un seul site la présence territoriale de l'établissement. Or, en matière de prévention des avalanches et des épisodes de type cévenol, le savoir-faire territorial des agents de Météo-France est précieux. Pouvez-vous m'apporter des précisions sur l'état d'avancement de cette réorganisation territoriale ?

Le risque est réel de faire financer par les territoires une partie de ces antennes, ce qui est inacceptable pour des territoires déjà exposés à des risques majeurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Vanina Paoli-Gagin

Merci pour ce travail.

Comme Jérôme Bascher, je m'interrogeais sur une éventuelle mutualisation des supercalculateurs, que l'on trouve aussi au CEA et dans certaines universités, afin d'optimiser le calcul et les coûts.

Pour répondre à sa question sur les agriculteurs, c'est John Deere qui possède leurs données s'ils ont un tracteur de cette marque... En termes de données, l'enjeu, ce sont les capteurs. C'est la raison pour laquelle je serais favorable au développement d'une filière industrielle des capteurs IoT (internet of things) : les données internet des objets vont devenir un marché gigantesque.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Bilhac

Comment peut-on hésiter à faire un investissement de 300 millions d'euros qui engendrerait 1,4 milliard d'euros de retombées ? Ce sont des dépenses productives !

Si je ne me trompe pas, environ 20 000 collectivités font appel à la société Predict, dont les actionnaires sont Airbus, Météo-France et le groupe BRL. Quelle est la part de Météo-France et quelles en sont les retombées pour l'opérateur ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Savoldelli

Je m'associe aux remerciements adressés au rapporteur spécial.

Des gains d'efficience ont été évoqués. L'égalité des territoires a-t-elle été assurée ? Il ne serait pas juste qu'il y ait une hiérarchisation des territoires. Il ne faudrait pas non plus leur demander de prendre leur part...

En ce qui concerne l'apport de l'intelligence artificielle, le point principal est de savoir si elle est automatisée. Se poserait alors la question des emplois.

Le coût des services de Météo-France doit, selon le rapporteur, être relativisé, car il conduit à des bénéfices socio-économiques de 4 à 8 fois supérieurs. Pourtant, la première recommandation qui nous est proposée est de continuer la rationalisation des dépenses... Je ne voterai donc pas ce rapport, que j'ai néanmoins trouvé très intéressant.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Raynal

Les questions de l'investissement en calcul sont au coeur de la problématique. J'ai le souvenir que les premiers investissements massifs étaient présentés comme suffisants pour nous permettre de nous projeter très loin dans le futur. En réalité les technologies évoluent à une vitesse considérable et la masse d'information à traiter pour améliorer les prévisions est toujours plus importante. Le projet « Calcul 2020 » sera suivi dans trois ans d'un nouveau projet, puis d'un suivant... La course à la puissance ce calcul s'accélère. Donc la question n'est pas de réfléchir à un investissement donné mais elle revient à s'interroger sur la façon de financer dans le temps un investissement permanent dans la puissance de calcul ? Comment faire participer ceux qui en utilisent les retombées ? Cela nous éviterait d'avoir à se poser la question, tous les trois ans, des modalités de financement du nouveau projet. Est-ce qu'une proposition pourrait permettre de garantir un modèle de financement pérenne de la puissance de calcul de Météo-France ?

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Capo-Canellas

Je voudrais lever une ambiguïté sur la première recommandation du rapport. Elle souligne qu'il est nécessaire de « stabiliser les moyens financiers et les effectifs sur la période du nouveau contrat d'objectifs et de performance. » Je considère qu'il faut mettre un coup d'arrêt aux trajectoires de rationalisation de l'opérateur et retrouver une vraie ambition à travers un cadre budgétaire qui lui permette d'assurer ses missions. Cela signifie qu'il faut aller à rebours de ce qui a été fait jusqu'à présent et arrêter la baisse, tout en rationalisant malgré tout certaines dépenses pour lesquelles il existe des marges de manoeuvre. . Mais mon propos est de dire qu'il faut renoncer à une logique de rationalisation strictement budgétaire car ça ne marche plus, nous sommes arrivés à une limite. Ou alors, il faut changer de modèle, renoncer au modèle de prévision à aire globale et arrêter de demander à Météo-France de prévoir les évènements météorologiques les plus aigus à 500 mètres près... Je veux être clair, je plaide pour redonner une bouffée d'oxygène à Météo-France.

Sur l'automatisation et l'intelligence artificielle, le travail humain est important : il faut qualifier ce qui sort des modèles et faire des recommandations en fonction des données. Rien ne remplacera jamais l'expérience, ainsi que la connaissance des territoires et des phénomènes météorologiques. Mais on ne peut passer à côté de l'évolution technologique. La météorologie, c'est le résultat d'une alliance entre des supercalculateurs et une prévision humaine. Sur les phénomènes météorologiques extrêmes locaux, rien ne remplace la connaissance et l'expérience du prévisionniste.

Je remercie Guillaume Chevrollier de son soutien. Nous partageons la même vision : Météo-France est un élément de souveraineté et d'influence à soutenir.

Le rapporteur général a évoqué mon souhait d'enrayer la tendance au refroidissement budgétaire pour mieux prévoir les conséquences météorologiques du réchauffement climatique. Effectivement, on demande plus à Météo-France en donnant moins : il faut sortir de cette contradiction. Je retiens sa remarque sur le fait que l'établissement était passé à côté de la générosité publique et notamment du plan de relance. Dans le cadre du futur plan de relance, la question pourrait se poser à nouveau.

Christian Bilhac évoquait les effets socio-économiques, qui n'ont qu'un seul défaut : ils ne sont pas budgétaires ! Le budget annuel est de 380 millions d'euros et produit des bénéfices socio-économiques 4 à 8 fois supérieurs. Mais c'est un calcul qui n'a pas de traduction budgétaire.

Quand on accroît la puissance de calcul, les ministères de la défense, de l'agriculture, la DGAC et d'autres vont en profiter. Les bénéficiaires pourraient peut-être contribuer pour une part aux investissements.

S'agissant des personnels de la DGAC qui travaillent chez Météo-France, le problème vient du fait que l'établissement découvre « en butée » les mesures prises par la DGAC et qu'il doit appliquer. Il faudrait une meilleure anticipation et davantage de fluidité.

Geler le montant de la redevance pour les prestations à l'aviation civile depuis plus de dix ans n'est pas tenable. Il faudrait vérifier que le coût correspond au montant de la redevance, point sur lequel j'ai des doutes... Une opération-vérité doit être conduite sur le sujet. La question se posait de savoir si l'Union européenne allait exiger une ouverture à la concurrence, ce qui n'a pas été le cas.

S'agissant des mutualisations, différentes pistes peuvent être explorées, notamment avec d'autres homologues européens ou le CEA. Jusqu'à présent, aucune n'a abouti. Il faut se remettre autour de la table sur cette question, comme le demande d'ailleurs le Commissariat général au développement durable.

La question des missions aux collectivités locales a également été abordée. Les départements sont très actifs en la matière, notamment en période d'enneigement, parfois sous forme de contrats avec Météo-France. L'opérateur doit développer de nouveaux services dédiés aux collectivités pour les accompagner en matière d'adaptation au changement climatique. Il paraît difficile de ne pas prévoir de contribution financière des collectivités pour ces nouveaux services commerciaux sur mesure.

En ce qui concerne les données, la mise en ligne des codes de calcul est une frontière à ne pas franchir. Il faut faire preuve d'une grande vigilance en la matière. Nous devons également nous demander si nous ne finançons pas des bénéfices commerciaux par l'impôt...

Victorin Lurel, le nombre d'emplois supprimés sur dix ans n'est pas de 1 000, mais environ 600, ce qui est déjà beaucoup. Il faut faire une pause, et digérer les réformes. Nous n'allons pas remplacer les hommes par des machines.

Jean-Michel Arnaud, la mobilisation des élus a conduit à une réévaluation du réseau montagne. Les projets antérieurs ont été stoppés. Les sites de Bourg-Saint-Maurice et Chamonix seront maintenus.

Vanina Paoli-Gagin, Météo-France essaye de se convertir à une politique commerciale plus agressive, ce qui n'est pas toujours facile, car elle a une culture d'ingénieurs ! Elle est confrontée à des Gafam - Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft - et à des start-up qui lui « piquent » ses données, et en font une meilleure présentation.

Pascal Savoldelli a évoqué l'égalité des territoires. Sur ce plan je suis d'avis de stopper les plans de réorganisation du réseau territorial. L'inégalité réside aussi dans les risques. Il faut donner à Météo-France, qui doit passer à une résolution de 500 mètres pour les zones à enjeu, les moyens d'assurer une meilleure prévision.

Le président Raynal évoquait le supercalculateur, qui représente un investissement récurrent, de l'ordre de 300 millions d'euros tous les cinq ans. Cette dépense doit être mieux anticipée. C'est sans doute d'ailleurs le sujet central pour que Météo-France ne décroche pas et puisse prévenir de façon plus fine des phénomènes météorologiques dangereux plus intenses et plus fréquents.

La commission autorise la publication de la communication de M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur spécial, sous la forme d'un rapport d'information.

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Lavarde

Nous venons de recevoir les documents relatifs au projet de budget. Quel est l'intérêt d'entendre le président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) et les ministres aujourd'hui alors même que nous n'aurons pas le temps de prendre connaissance de ces documents ?

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Raynal

Avec le rapporteur général, nous prenons acte de votre position, que nous comprenons bien. La commission souhaite cependant traditionnellement entendre les ministres à la suite de leur présentation du projet de loi de finances en Conseil des ministres, comme il en est de même pour l'Assemblée nationale. Prendre le temps nécessaire pour examiner les documents nécessiterait de différer cette présentation de plusieurs jours et il a jusqu'à présent été considéré que cet examen approfondi trouvait davantage sa place dans les semaines qui suivent.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Raynal

Nous en venons à un contrôle réalisé par notre collègue Vanina Paoli-Gagin, rapporteur spécial pour les crédits de l'enseignement supérieur, sur l'immobilier universitaire.

Je salue la présence de M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis des crédits de la mission « Enseignement supérieur » au sein de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Vanina Paoli-Gagin

Je me doutais, en m'emparant de la problématique de l'immobilier universitaire, que des marges de progression existaient en matière de gestion. J'étais cependant loin de me douter de l'ampleur des enjeux et de la tâche à accomplir !

Mon contrôle portait sur l'optimisation, par les universités, de leur patrimoine immobilier. En effet, depuis leur accession à l'autonomie, c'est aux établissements d'enseignement supérieur qu'il incombe d'entretenir et de gérer le parc immobilier mis à leur disposition par l'État. Or ce parc forme un ensemble particulièrement complexe et coûteux à entretenir. Complexe, parce qu'il s'agit d'un bâti atypique et disparate, caractérisé par des spécificités géographiques et fonctionnelles et composé très majoritairement de salles de cours. Coûteux, parce qu'il comprend plus de 18 millions de mètres carrés de surface sur un foncier de l'ordre de 5 300 hectares, et représente à lui seul près de 20 % du patrimoine immobilier de l'État. Coûteux également parce que les bâtiments universitaires sont vieillissants, vétustes et énergivores. Pour ne donner que deux chiffres emblématiques : 31 % du bâti universitaire serait actuellement dans un état peu ou pas satisfaisant, tandis que 21 % du bâti est classé en étiquette E, F ou G.

La gestion de ce parc constitue donc un défi de taille pour les universités : il s'agit à la fois de valoriser cet actif stratégique, pour leur permettre de remplir au mieux leur mission d'enseignement supérieur, et d'optimiser la charge financière en résultant, l'immobilier représentant le deuxième poste de dépense pour les établissements d'enseignement supérieur.

Les auditions et les déplacements réalisés m'ont permis de constater que les universités n'étaient pas suffisamment armées pour relever ce défi. En effet, les établissements se heurtent à de très nombreuses difficultés de gestion, résultant de facteurs internes et externes, qui entravent considérablement leurs efforts pour optimiser ce patrimoine.

Il existe, en premier lieu, des freins internes aux universités : ces dernières connaissent mal leur patrimoine, et ne disposent pas de données fiables et exhaustives relatives à son état, son exploitation ou aux dépenses afférentes à son entretien. Or, sans une connaissance fine du patrimoine, il est souvent difficile d'élaborer une stratégie immobilière réaliste. De fait, certaines universités ne se sont toujours pas attelées à la tâche, et n'ont pas de stratégie immobilière ; je vous laisse imaginer la « gestion » patrimoniale qui en découle.

J'ai également relevé que les équipes immobilières n'étaient pas toujours très étoffées, de sorte que ces dernières sont accaparées par les obligations techniques et réglementaires à satisfaire, et n'ont pas le temps de lancer des projets innovants. Certaines universités manquent d'expertise interne sur des sujets de pointe, ce qui contraint leurs initiatives en matière immobilière. Enfin, le portage politique des sujets patrimoniaux ainsi que l'intérêt des équipes présidentielles pour ces thématiques demeurent très variables selon les universités.

Sur tous ces aspects, il me semble qu'il incombe aux universités d'agir et de prendre la mesure des progrès à réaliser. Plusieurs évolutions de court terme sont à envisager : améliorer la fiabilité des données collectées par les établissements, faciliter les échanges de données entre les différents systèmes d'information, augmenter la part des universités qui disposent d'un vice-président en charge du patrimoine et de la transition écologique, ou encore élargir au niveau national le périmètre de compétence de l'établissement public d'aménagement universitaire de la région Île-de-France (Épaurif).

Je relève, dans un second temps, des freins relatifs à la rigidité du cadre juridique applicable, notamment en matière de commande publique. Les diverses obligations procédurales se traduisent en effet par un allongement significatif des délais, et des incertitudes concernant le coût final des opérations immobilières, toujours supérieur in fine au coût prévu. À cet égard, certains assouplissements me semblent envisageables ; je serai donc favorable à la réalisation d'une enquête portant sur les difficultés rencontrées par les établissements d'enseignement supérieur dans ce domaine, afin de dégager des pistes d'évolution à court et moyen terme.

J'en viens, enfin, aux problématiques budgétaires à proprement parler. En effet, il m'est rapidement apparu que les questions immobilières butent en permanence sur la question du financement. De manière schématique, l'État verse aux universités une dotation pour assurer l'entretien et la maintenance de leur parc immobilier ; mais cette dotation, dont le niveau est très faible, est directement intégrée dans la subvention pour charges de service public, et ces crédits ne sont donc pas sanctuarisés ! En fait, le budget d'exploitation et de maintenance sert malheureusement trop souvent de variable d'ajustement aux établissements, confrontés à de fortes pressions sur leur masse salariale. Les universités optent ainsi majoritairement pour le choix de remettre à plus tard les travaux nécessaires, ce qui entraîne une dégradation constante du patrimoine et des surcoûts in fine.

Je propose donc de rendre obligatoire la constitution, pour tous les établissements, d'un budget annexe immobilier, permettant de sanctuariser les crédits dédiés à l'entretien du bâti. J'estime également qu'une planification pluriannuelle des opérations immobilières constitue un prérequis indispensable à une gestion responsable du patrimoine. Les établissements doivent d'ores et déjà élaborer un schéma pluriannuel de stratégie immobilière, mais un grand nombre d'entre eux ne produisent pas ce document, qui reste au demeurant de qualité variable. À terme, il me semble que ce schéma peut devenir un véritable outil de pilotage pluriannuel des dépenses immobilières ; cela implique notamment d'en rendre la formalisation plus contraignante pour les établissements, et d'en renforcer le volet financier.

Pour une programmation intelligente des travaux, il serait également opportun de prendre systématiquement en compte la dimension énergétique : en effet, il est plus ergonomique et avantageux de combiner les travaux de rénovation énergétique et les travaux d'entretien, pour traiter simultanément plusieurs points faibles. J'appelle donc de mes voeux ces évolutions, mais soyons réalistes : la dotation de l'État reste faible si bien que, en pratique, les établissements dépendent fortement des grands rendez-vous réguliers comme les contrats de plan État-région (CPER), ou des opérations ponctuelles comme le plan Campus ou le plan France Relance, pour remettre à niveau leur patrimoine immobilier.

Ces plans ponctuels sont évidemment les bienvenus, mais là encore, force est de constater qu'ils sont insuffisants. En effet, selon la Conférence des présidents d'université (CPU), le besoin global d'investissement dans l'immobilier universitaire atteint 7 milliards d'euros. Or, en additionnant le plan France Relance, c'est-à-dire plus de 1,2 milliard d'euros, et le CPER 2021-2027, en incluant la contribution des régions, c'est-à-dire 3 milliards d'euros, il reste près de 3 milliards d'euros à trouver.

Je vais être très claire : les établissements doivent-ils mieux gérer leur budget et consacrer davantage de crédits à l'entretien de leur patrimoine ? Oui, bien évidemment, et j'ai fait des propositions en ce sens. Est-il cependant réaliste de compter sur les seuls établissements pour remettre à niveau le parc universitaire ? Non, assurément, pour la simple et bonne raison que les universités ne sont pas en mesure de mobiliser des ressources propres suffisantes. Le recours à l'emprunt leur est interdit, les produits de cession représentent des sommes très faibles, et les opérations de valorisation se heurtent encore à de nombreux obstacles juridiques.

La valorisation constitue pourtant un axe majeur de développement pour les établissements ; à mon sens, elle s'inscrit dans une démarche particulièrement vertueuse, puisqu'elle permet d'ouvrir l'université sur son environnement socio-économique, tout en développant ses ressources propres. Dans ce domaine, des mutualisations sont à envisager entre les différents établissements situés sur un même territoire ; il me semble aussi que des synergies peuvent être trouvées avec les collectivités territoriales, pour qui les politiques d'enseignement supérieur présentent un intérêt sous l'angle de l'aménagement du territoire et de l'attractivité. J'ai évoqué à l'instant des obstacles juridiques : actuellement, le cadre juridique ne permet pas de créer de véritables partenariats public-public sur un territoire, avec une gouvernance partagée entre universités et collectivités territoriales. Je suis donc favorable à l'ouverture du capital des sociétés publiques locales (SPL) aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP). Cette évolution permettrait aux établissements de bénéficier d'un cadre juridique plus souple pour mener des opérations de valorisation de grande envergure.

Si, à terme, ces opérations peuvent permettre aux établissements de dégager des recettes supplémentaires pour l'exploitation et l'entretien du bâti, elles ne pourront pas financer la réhabilitation du parc universitaire, dont le coût est estimé, je vous le rappelle, à environ 7 milliards d'euros.

Dans ce contexte, nous sommes à l'heure actuelle dans une impasse budgétaire, alors qu'il y a urgence à agir. En effet, notre pays a pris des engagements forts en matière de transition énergétique : la France a joué un rôle majeur dans la signature de l'accord de Paris en 2015 et l'Union européenne a adopté en juillet dernier un règlement qui transforme en obligation contraignante l'engagement politique du Pacte vert européen, stipulant que l'Europe deviendrait neutre sur le plan climatique d'ici à 2050. Nous avons nous-mêmes voté en faveur de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ÉLAN), dont les modalités d'application ont été précisées par le décret tertiaire, en vertu duquel les universités devront réduire leur consommation énergétique de 40 % d'ici à 2030, 50 % d'ici à 2040 et 60 % d'ici à 2050.

Je m'interroge : quels moyens entendons-nous nous donner pour réaliser les objectifs que nous nous sommes fixés ?

Certains modèles de financement innovants - je pense en particulier à l'intracting - ont permis à quelques universités de financer des travaux énergétiques à gains rapides. Mais il s'agit maintenant de financer des travaux à gains différés, autrement plus coûteux. Il me semble que nous n'avons pas d'alternative : comme il y a eu un plan Campus en 2007, il faut désormais un vaste plan de transition pour l'université. Comme il y a eu un plan France Relance pour les gains énergétiques rapides, il faut un plan structurel s'échelonnant sur plusieurs années pour les gains de long terme.

J'irai même plus loin : quitte à investir massivement dans l'immobilier universitaire, soyons ambitieux, prenons la mesure des défis qui nous attendent. Réfléchissons aux campus du XXIe siècle, aux évolutions qu'impose la digitalisation des enseignements, à l'attractivité de nos universités, aux rapprochements souhaitables avec le monde économique.

Bien évidemment, la mise en oeuvre d'un tel plan doit s'accompagner de garanties pour qu'à l'avenir les erreurs du passé ne se répètent pas, et que le patrimoine rénové soit correctement entretenu par nos établissements d'enseignement supérieur. À l'effort budgétaire de l'État doit répondre une amélioration notable de la gestion des universités.

Mes chers collègues, nous sommes désormais au pied du mur : en matière de transition énergétique, l'inaction a un coût. Plus nous attendons pour agir, plus la facture à payer sera élevée ; c'est pourquoi il me semble urgent d'investir maintenant.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Piednoir

Je partage le constat de Mme Paoli-Gagin sur le patrimoine immobilier et la dévolution immobilière, un sujet d'actualité pour la CPU.

Le constat est double : rigidité du cadre juridique et impasse financière. Il faut entretenir et rénover 18 millions de mètres carrés. Pour bien vivre ses études supérieures, il faut bien vivre sur son campus. Or l'état des locaux, si l'on va au-delà des seules salles de cours, laisse pantois. Le défi est d'ampleur.

Les universités ne peuvent pas emprunter. Avec les crédits du plan de relance, certaines universités ont pu engager des travaux, mais elles n'ont pas seules la capacité financière de rénover les locaux, dont j'ai mentionné l'ampleur. Il faut donc un nouvel outil juridique. Je plaide pour des sociétés publiques locales universitaires, qui permettraient de faire des associations public-public avec les collectivités locales. Les universités contribuent au développement des territoires. Il faut aussi envisager des partenariats public-privé, avec des sociétés privées qui ont vocation à attirer de jeunes diplômés.

L'université française est à la croisée des chemins. Il faut lui donner des moyens, sinon nous finirons par être dans l'incapacité de réaliser les travaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Antoine Lefèvre

Je remercie les deux rapporteurs. La loi du 31 décembre 2012 avait privé les EPSCP de la capacité de souscrire un emprunt bancaire supérieur à un an.

Lors de l'examen du projet de loi 3DS, j'avais proposé la création d'une nouvelle catégorie d'établissements publics : les sociétés publiques locales universitaires, cogérées par les EPSCP et la collectivité concernée. Malheureusement, l'article 40 a scellé le sort de ma proposition... Quelles pourraient être les conditions acceptables par l'État pour améliorer l'autonomie des universités en matière de patrimoine immobilier ?

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Bilhac

Je partage le constat établi par Vanina Paoli-Gagin. Les lois de décentralisation ont permis de confier les écoles primaires aux communes, les collèges aux départements et les lycées aux petites régions de l'époque. Dans mon département, les écoles primaires sont bien gérées par les communes, la totalité des collèges et des lycées ont été rénovés et d'autres construits. Dans le même temps, l'État, qui a conservé la gestion de l'université, n'a pas fait grand-chose...

Il faut prendre acte de la carence de l'État et définir les modalités financières, mais la solution ne serait-elle pas de confier la gestion des bâtiments universitaires aux régions ? L'attrait d'une région passe aussi par l'enseignement supérieur qui y est proposé et la recherche qui y est menée.

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Lavarde

Je représente le Sénat au sein du Conseil de l'immobilier de l'État. À ce titre, nous sont présentés des outils, des logiciels développés par la direction de l'immobilier de l'État pour améliorer la gestion du patrimoine. Avez-vous connaissance de ces outils ? Savez-vous comment les opérateurs les perçoivent ? Sont-ils utiles ? L'État mène-t-il une véritable politique dans la gestion de son patrimoine ?

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Merci à Vanina Paoli-Gagin, car ce rapport acte plus clairement encore que les rapports précédents la situation inextricable de l'immobilier universitaire. Pour ma part, je ne vois pas d'autre solution qu'une révolution mentale chez les universitaires eux-mêmes. Quand il s'est agi voilà une dizaine d'années de discuter avec les présidents d'université de la possibilité pour les régions de gérer l'immobilier universitaire, nous avons assisté à une levée de boucliers.

J'entends les verrous concernant les emprunts, mais les ressources des universités sont tellement faibles que je ne vois pas comment elles pourraient rembourser.

D'un côté, l'État, désargenté, n'a plus les moyens d'entretenir le patrimoine immobilier et, de l'autre, les universités n'ont pas les ressources nécessaires pour emprunter et entretenir et ne sont pas enthousiastes à l'idée que la gestion de l'immobilier soit dévolue aux régions. En Île-de-France, le bâti ancien est dans un état pathétique dans certaines universités, et je ne parle pas des bibliothèques universitaires.

La question n'est pas de savoir s'il faut lever les verrous ; nous devons aujourd'hui décider une bonne fois pour toutes que les régions qui se sentent responsables ou ont envie d'entretenir ce patrimoine immobilier, qui constitue un levier d'attractivité, ont la possibilité de le faire. Toutes les autres solutions ne sont que des solutions de rafistolage. Les sommes en jeu sont beaucoup trop importantes.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Eu égard à l'importance de ce patrimoine immobilier, ne pourrait-on pas recourir aux dotations aux amortissements, afin notamment de disposer d'une programmation budgétaire ? Est-il possible de suivre cette logique ?

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Permettez-moi de vous livrer un témoignage qui ne surprendra pas notre rapporteure. Mon collègue député Alain Bruneel a eu l'occasion de visiter des résidences universitaires ; certaines d'entre elles sont dans un état lamentable, avec des huisseries pourries, des radiateurs hors service, des cafards et des punaises... Sans compter l'année difficile que les étudiants ont vécue. Cette situation est indigne de notre pays. Je ne peux qu'adhérer à la proposition de lancer un vaste plan de rénovation globale du bâti universitaire. Avez-vous une idée de l'ordre de grandeur du budget nécessaire pour répondre aux besoins identifiés ? Pourquoi ne pas imaginer un prêt garanti par l'État (PGE) pour aider les universités à investir massivement ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Roger Karoutchi l'a dit, ces problèmes perdurent. Nous devons réfléchir à la manière dont l'immobilier universitaire - mais le sujet se pose aussi probablement pour le niveau scolaire - doit être financé. L'État n'a pas de politique de gestion immobilière et patrimoniale et est impécunieux ; il revient in fine aux élus de solliciter au cas par cas le ministre. Il importe avant tout de disposer d'un état des lieux de la situation immobilière et patrimoniale de l'État, qui reste propriétaire, avant d'envisager des solutions. Si transferts il doit y avoir, nous devons savoir dans quelles conditions ils pourraient être mis en oeuvre. Cette situation n'est pas acceptable.

Debut de section - PermalienPhoto de Vanina Paoli-Gagin

M. le rapporteur pour avis a évoqué la dévolution du patrimoine immobilier comme une réponse à une partie de la problématique soulevée. Une troisième vague de dévolution est en préparation, mais nous ne connaissons pas les conditions financières qui seront proposées aux universités. Les universités qui ont eu l'audace de recourir au premier plan ont été très avantageusement dotées financièrement. L'université de Poitiers, par exemple, a réalisé des investissements pionniers en matière de rénovation énergétique et de production d'énergie.

Antoine Lefèvre, je vous rejoins tout à fait sur la pertinence des sociétés publiques locales qui constituent, selon moi, une solution très intéressante ; il en est de même pour les partenariats public-public, mais aussi public-privé concernant certains aspects. Mais, à terme, seule la dévolution permettra d'augmenter l'autonomie de gestion des universités.

Christian Bilhac, la question du transfert du bâti universitaire de l'État aux régions n'est pas nouvelle. La question est de savoir si volonté il y aura d'opérer ce type de transfert eu égard à la mission d'ordre national des universités. Décorrélons le contenu du contenant, mais ne fermons pas cette porte face à l'impéritie de l'État.

Christine Lavarde, vous avez raison, la direction immobilière de l'État a développé des logiciels pour les systèmes de suivi des fluides, pour les points d'éclairage, etc. Mais les données sont collectées par les universités, et cette tâche fait l'objet d'une implication hétérogène. Comme d'habitude, le travail se fait en silo. Par ailleurs, souvent, les universités n'ont les personnels pour exploiter ces logiciels. C'est pourquoi nous avons proposé de fixer un socle d'indicateurs à remplir par les universités, plutôt que de leur fixer des objectifs trop ambitieux. Avec une quinzaine d'indicateurs, nous pourrions avoir une photographie un peu plus précise que celle dont nous disposons aujourd'hui.

Roger Karoutchi, des rigidités mentales existent effectivement chez les universitaires, alors qu'ils devraient faire montre d'une grande plasticité mentale. La question du transfert du bâti universitaire aux régions soulève de nombreuses questions... Est-ce que les conseils régionaux seraient favorables au transfert d'un patrimoine dégradé ? J'estime pour ma part que, dans un premier temps, l'État doit mettre sur la table les 3 milliards d'euros évoqués, sans pour autant donner un blanc-seing aux universités : ces crédits doivent être assortis d'obligations très contraignantes en termes d'entretien, de mise à niveau énergétique.

Charles Guené, la dotation aux amortissements pourrait faire sens, mais elle ne peut être mise en oeuvre sans planification pluriannuelle.

Éric Bocquet, le coût est de 3 milliards d'euros. Il faut les investir maintenant, surtout maintenant !

Pour répondre au rapporteur général, les universités doivent faire un audit afin que nous disposions d'une vision consolidée du patrimoine universitaire français. Des crédits doivent contribuer à cette remise à niveau. Des pistes sont à explorer pour ce qui concerne les collectivités territoriales, les sociétés publiques locales. La situation n'est pas désespérée, mais il faut agir maintenant si nous voulons que nos universités restent attractives non seulement pour nos propres étudiants, mais aussi pour les étudiants étrangers.

La commission autorise la publication de la communication de Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur spécial, sous la forme d'un rapport d'information.

La commission désigne Mme Christine Lavarde rapporteur sur la proposition de loi n° 325 (2020-2021) visant à réformer le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles.

La réunion, suspendue à 11 h 20, est reprise à 11 h 35.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Raynal

Nous recevons ce matin M. Pierre Moscovici en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques, organisme indépendant placé auprès de la Cour des comptes.

En application des dispositions de l'article 14 de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, le Haut Conseil des finances publiques rend un avis portant sur deux sujets : d'abord, sur les prévisions macroéconomiques sur lesquelles reposent les projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale ; ensuite, sur la cohérence de l'article liminaire du projet de loi de finances au regard des orientations pluriannuelles de solde structurel définies dans la loi de programmation des finances publiques.

Le projet de loi de finances pour l'année 2022 repose sur une hypothèse de croissance en volume de 4 % en 2022. Le Gouvernement confirme par ailleurs l'hypothèse de croissance en 2021 de 6 % qu'il avait retenue lors de notre débat d'orientation des finances publiques, au mois de juillet. Le déficit public s'élèverait en 2022 à 4,8 % du PIB, contre 5,3 % annoncé lors du débat d'orientation des finances publiques. Les dépenses publiques représenteraient 55,6 % du PIB, les prélèvements obligatoires 43,5 % et la dette publique 114 % du PIB. Ces chiffres diffèrent de ce que le Gouvernement anticipait au mois de juillet. On peut noter en particulier que la dette serait inférieure de 1,7 point à ce qui était envisagé. Cela s'explique pour partie par une conjoncture économique plus favorable que prévu, mais peut-être aussi - et cela n'aura échappé à personne - par le fait que plusieurs mesures ayant des conséquences budgétaires importantes ne figurent pas encore dans ce projet de loi de finances. D'ailleurs, c'est assez étonnant.

Debut de section - Permalien
Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques

Je vous remercie de m'avoir invité pour présenter les principales conclusions de l'avis du Haut Conseil des finances publiques relatif au projet de loi de finances (PLF) et au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2022. L'année 2022 devrait être celle de la sortie de crise et du retour à la normale. C'est probablement la dernière au cours de laquelle la clause dérogatoire du pacte de stabilité et de croissance sera en vigueur.

Nous le savons, en matière de finances publiques, rien ne sera plus comme avant. Les finances publiques ont légitimement absorbé le choc de la crise. Le PLF et le PLFSS pour 2022 dessinent ainsi une situation à peu près stabilisée des finances publiques à la sortie du « quoi qu'il en coûte ». Selon le scénario du Gouvernement lui-même, en 2022, la dette atteindra un niveau record : quelque 114 % du PIB. Le poids de la dépense publique sera plus élevé qu'il ne l'a jamais été, à l'exception évidemment des deux dernières années.

Ce contexte nous invite, me semble-t-il, à l'humilité - la prévision est un exercice extraordinairement difficile -, ainsi qu'à l'action. À mon sens, notre cadre des finances publiques doit évoluer, comme cela avait été le cas à l'issue de la crise de la zone euro.

Le Sénat examinera prochainement en séance publique la proposition de loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques. De nécessaires réflexions débutent à l'échelon européen sur des aménagements du pacte de stabilité. Nous ne pouvons plus continuer comme avant en la matière. Nous devons tirer avec sérieux et responsabilité les conséquences de la crise inédite que les finances publiques ont traversée.

C'est dans ce contexte que nous avons été saisis du PLF et du PLFSS pour 2022.

Le PLF pour 2022 repose sur l'hypothèse de la poursuite d'une reprise économique mondiale vigoureuse, bien que moins forte qu'en 2021. Selon les prévisions disponibles, le PIB mondial devrait rebondir d'environ 6 % en 2021, puis de 4 % en 2022. La reprise est différenciée selon les pays, de même que la chute d'activité avait été hétérogène en 2020. La croissance devrait revenir à son niveau d'avant-crise plus rapidement aux États-Unis qu'en zone euro. En 2021, la reprise a été plus forte qu'anticipé, avec un tassement déjà perceptible au second semestre. L'activité ralentit au Japon et en Chine, et la reprise n'est pas exempte de tensions. L'activité au sein de la zone euro dépasserait son niveau de 2019 à la fin de l'année 2021 ou au début de l'année 2022, mais le PIB demeurerait évidemment inférieur à ce qui était prévu avant l'apparition de la crise. Le retour de l'inflation auquel nous assistons est jugé temporaire par la majorité des instituts.

L'aléa sanitaire reste le principal facteur d'incertitude sur la croissance de l'activité, avec le risque d'une résurgence de la pandémie ou d'une perte d'efficacité des vaccins face à d'éventuels nouveaux variants ou dans le temps. Il y a aussi des aléas positifs, comme le déblocage partiel de la surépargne accumulée pendant la crise ou les plans de relance supplémentaires envisagés aux États-Unis ou au Japon.

L'avis du Haut Conseil comporte trois grands messages.

Premièrement, sur le scénario macroéconomique du Gouvernement, nous considérons que le taux de croissance du PIB envisagé pour 2021 est prudent, c'est-à-dire un peu conservateur. Le taux de croissance retenu pour 2022, lui, paraît plausible. En revanche, les prévisions d'emploi et de masse salariale pour 2021 et 2022 nous semblent trop basses, avec des conséquences sur les finances publiques, notamment sur les recettes.

Deuxièmement, et cela concerne précisément les prévisions de finances publiques, le Haut Conseil estime que le déficit prévu pour 2021 pourrait être moins dégradé que prévu. Pour 2022, le Haut Conseil a été saisi sur une base incomplète, puisque les dépenses ne contiennent pas certaines mesures importantes que le Gouvernement souhaite voir adoptées par amendement. Faute d'informations sur le chiffrage de ces mesures manquantes, le Haut Conseil ne peut pas se prononcer à ce stade sur le caractère plausible ou non du solde public dont il est saisi au titre du PLF pour 2022.

Troisièmement, si la situation est meilleure que prévu en sortie de crise, le caractère particulier de l'année 2022, y compris d'un point de vue politique, ne doit pas masquer le niveau d'endettement inédit depuis la Seconde Guerre mondiale et les dynamiques différentes en recettes et en dépenses. Tout cela appelle à la plus grande vigilance. La soutenabilité de nos finances publiques doit être défendue, y compris par une réforme de leur gouvernance.

Le scénario macroéconomique est soumis à l'appréciation du Haut Conseil en vertu de l'article 14 de la loi organique du 17 décembre 2012. Selon les prévisions du Gouvernement, la croissance du PIB s'établirait à 6 % en 2021 et à 4 % en 2022, sur la base de l'hypothèse d'une poursuite de l'amélioration de la situation sanitaire en France. La zone euro reste encore marquée par un certain degré d'incertitude. Une telle prévision traduit une révision à la hausse par rapport à ce que le Gouvernement envisageait dans le cadre du projet de loi de finances rectificative de juin dernier, tablant alors sur un taux de croissance de 5 %. Cette révision est fondée dans un contexte où les indicateurs conjoncturels sont meilleurs qu'attendu. Toutefois, je le soulignais, un taux de 6 % est un peu prudent, au sens de conservateur, alors que le consensus des prévisionnistes se situe plutôt autour de 6,2 % ou 6,3 %. Pour 2022, la prévision retenue par le Gouvernement est de 4 %, très proche de celles des instituts. Le Haut Conseil considère cette prévision comme plausible, même s'il y a des aléas à la hausse ou à la baisse qui doivent être pris en compte.

Les prévisions d'inflation du Gouvernement s'établissent à 1,5 % pour 2021 et 2022, ce qui traduit un relèvement. Ces prévisions sont affectées de nombreux aléas à la hausse comme à la baisse. Nous les jugeons équilibrées et réalistes.

En revanche, nous considérons que les prévisions de masse salariale et d'emploi du Gouvernement pour 2021 et, par ricochet, pour 2022 sont trop basses, car elles ne tiennent pas compte des révisions importantes effectuées par l'Insee le 8 septembre dernier. Le Gouvernement anticipe une hausse de 325 000 emplois à la fin de l'année 2021 alors que, comme l'Insee l'a montré, il y a déjà eu une augmentation de 380 000 emplois dès le milieu de l'année 2021. La prévision du Gouvernement apparaît donc trop basse, ce qui a des conséquences directes sur l'estimation de la masse salariale.

Sur le fondement de ses hypothèses macroéconomiques, le Gouvernement a prévu un déficit de 8,4 % en 2021, soit une amélioration d'un point depuis sa dernière prévision, réalisée à l'occasion du projet de loi de finances rectificative de juin dernier. Cela s'explique largement par des rentrées fiscales meilleures que prévu, en lien avec l'amélioration de l'activité au cours de l'année pour 2021. Les prévisions de dépenses apparaissent réalistes. Elles s'élèveraient encore à près de 60 % du PIB, en repli de près d'un point par rapport à 2020, mais six points au-dessus de leur poids dans le PIB en 2019. Les dépenses de relance représenteraient 91 milliards d'euros en 2021, contre 69 milliards d'euros en 2020. En revanche, la prévision de recettes publiques pour 2021 paraît trop faible, puisqu'elle repose sur une masse salariale sous-estimée. Or plusieurs recettes sont assises sur la masse salariale. Le Haut Conseil estime donc que le déficit pour 2021 pourrait être moins dégradé que prévu par le Gouvernement. Pour 2022, la prévision de recettes est également affectée par la sous-estimation de la masse salariale.

En 2022, selon les chiffres transmis au Haut Conseil, les dépenses des administrations publiques diminueraient de 2 % sous l'effet de la baisse des dépenses de soutien et de relance, en partie compensée par une augmentation des dépenses ordinaires. L'objectif de dépenses total de l'État contenu dans le PLF pour 2022 diminuerait de près de 40 milliards d'euros par rapport à la prévision d'exécution pour 2021. En revanche, les moyens de l'État seraient largement augmentés s'agissant des dépenses ordinaires, avec une hausse de près de 12 milliards d'euros sur les missions des ministères, dont environ un tiers correspond à des dépenses inscrites dans des lois de programmation.

Les dépenses des administrations de sécurité sociale stagneraient en valeur en 2022, la baisse des dépenses de crise compensant un certain dynamisme de la dépense ordinaire. La hausse des prestations de retraite et les dépenses liées au Ségur de la santé sont compensées en 2022 par la baisse des dépenses de santé de crise, par la quasi-extinction de l'activité partielle et, dans une moindre mesure, par les économies réalisées grâce à la réforme de l'assurance chômage. L'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) serait plus dynamique qu'il ne l'était avant la crise. Il croîtrait de 3,8 % hors dépenses exceptionnelles.

Les dépenses des administrations publiques locales augmenteraient selon le Gouvernement d'un peu moins de 3 % en 2022, contre près de 5 % en 2021. Le Gouvernement s'attend à un ralentissement de l'investissement local après le rebond de 2021, qui a lui-même succédé à un tassement en 2020, année électorale.

Au total, au vu des éléments transmis au Haut Conseil, la prévision de dépenses pour 2022 est raisonnable. Mais ces éléments sont incomplets. Ils n'incluent pas un certain nombre de dépenses annoncées par le Gouvernement, comme le plan d'investissement ou l'éventuel revenu d'engagement. Le Haut Conseil a demandé au Gouvernement de lui communiquer au moins des fourchettes sur ces deux postes ; il ne les a pas obtenues. De telles conditions ne permettent pas au Haut Conseil d'établir un diagnostic complet sur les finances publiques, donc d'exercer pleinement son mandat. Les recettes et les dépenses pour 2022 étant probablement sous-estimées, le Haut Conseil ne peut pas apprécier la plausibilité du déficit public attendu par le Gouvernement.

Par conséquent, si, comme cela est vraisemblable, les scénarios macroéconomiques et de finances publiques étaient modifiés pour prendre en compte les mesures qui ont été évoquées, une nouvelle saisine du Haut Conseil par le Gouvernement serait nécessaire pour que nous puissions nous prononcer sur les chiffres du déficit devant le Parlement et les citoyens. Je le rappelle, aux termes de la loi organique, le Haut Conseil doit se prononcer sur la cohérence de la trajectoire de solde structurel dans le PLF pour 2022 avec celle de la loi de programmation, exercice assez artificiel, puisque celle-ci est - nous l'avons souligné à plusieurs reprises - caduque. Le Gouvernement a actualisé dans le cadre du PLF pour 2022 la révision qu'il avait apportée au PIB potentiel dans le cadre du PLF pour 2021 pour tenir compte des effets de la crise sur le potentiel productif de l'économie. Le solde structurel se situerait ainsi loin de la référence actuelle en termes d'objectif de moyen terme des finances publiques fixée en loi de programmation. Mais, encore une fois, il s'agit d'une loi de programmation d'un autre temps. Il sera donc nécessaire, une fois la situation stabilisée, d'avoir une loi de programmation des finances publiques à caractère contraignant. Ce que nous observons aujourd'hui n'est pas illogique compte tenu de l'incertitude dans laquelle nous avons vécu, mais ne serait pas compréhensible dans une situation de plus grande normalité et prévisibilité.

La situation de nos finances publiques est exceptionnelle et inédite depuis 1945. La reprise plus forte qu'attendu et le maintien de taux à long terme proches de 0 %, sous l'effet notamment de la politique monétaire, ne doivent pas masquer une réalité budgétaire sous-jacente : la France sort de la crise avec une situation des finances publiques profondément modifiée. Le poids de la dépense publique est près de deux points supérieur ce qu'il était depuis 2009. L'observation de l'histoire des crises met d'ailleurs en lumière un effet de cliquet : on ressort d'une crise avec plus de dépenses publiques qu'en y entrant. Depuis 2019, la part des dépenses publiques dans le PIB a ainsi augmenté de deux points, et celle de la dette publique de dix-sept points. Le PIB potentiel de l'économie française a probablement diminué. Les allégements de prélèvements obligatoires sur les entreprises et sur les ménages qui ont été décidés vont peser. Avec un PIB potentiel plus faible et des recettes publiques moindres, il sera plus difficile qu'auparavant de réduire le poids de la dette. Or celle-ci est beaucoup plus élevée qu'elle ne le fut.

Il faut donc déclencher la double stratégie que la Cour des comptes a recommandée dans son rapport au Président de la République et au Premier ministre : croissance et maîtrise de l'endettement public. J'appelle à la plus grande vigilance sur la hausse rapide des dépenses ordinaires. Celles-ci ont crû de manière plus rapide que le PIB entre 2019 et 2022. Il me paraît également essentiel que d'éventuels surplus de recettes ne soient pas immédiatement recyclés dans des dépenses nouvelles. Le Haut Conseil appelle à ce qu'ils soient affectés au désendettement.

Le Haut Conseil des finances publiques doit pouvoir jouer pleinement son rôle. Il a - je tiens à le rappeler - été créé par le législateur organique, donc par vous-mêmes, pour être la vigie des finances publiques et jouer le rôle de tiers de confiance du Parlement dans l'examen des textes financiers. Jamais sans doute il n'a été aussi nécessaire pour le Parlement de bénéficier d'une expertise indépendante sur le cadre macroéconomique et la situation des finances publiques. Plusieurs analyses indépendantes ont démontré que le Haut Conseil avait déjà contribué à améliorer fortement le réalisme des prévisions macroéconomiques au coeur du mandat actuel.

Une réforme du mandat du Haut Conseil des finances publiques est prévue par une proposition de loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, dont votre commission a déjà débattu et sur laquelle le Sénat va se prononcer. L'Assemblée nationale a proposé des évolutions qui ne mettent pas encore le Haut Conseil sur un pied d'égalité avec certains de ses homologues européens, mais qui assoient son mandat en matière de finances publiques, l'un des plus étroits aujourd'hui au sein de l'OCDE.

Le texte initial de la proposition de loi organique prévoyait d'élargir le mandat du Haut Conseil à l'examen du « réalisme » des prévisions de dépenses et de recettes figurant dans les projets de loi de finances, initiale ou rectificative. Votre commission a préféré limiter l'examen à la « cohérence » avec le scénario macroéconomique. Avec tout le respect que je vous dois, cela me paraît réducteur. Par exemple, dans le cadre du présent avis, les hypothèses de dépenses qui nous sont présentées sont cohérentes avec le scénario macroéconomique, mais elles ne sont pas réalistes, puisqu'elles sont incomplètes. La cohérence, c'est un système fermé. Le réalisme, c'est une approche ouverte. C'est beaucoup plus fort. Idem sur les prévisions de recettes. Pour que le Haut Conseil puisse porter - je sais que vous y êtes attachés - un regard complet sur les prévisions de finances publiques, il est nécessaire de lui permettre d'examiner le réalisme de l'évaluation des mesures nouvelles les plus significatives, qu'il s'agisse des dépenses ou des recettes. Le réalisme des prévisions dépend de la qualité du chiffrage des nouveaux dispositifs. L'idée n'est pas, tant s'en faut, de se substituer au Parlement dans son rôle de contrôle de l'exécutif. Il s'agit au contraire de vous apporter une analyse indépendante et complémentaire de celles que vous pouvez avoir par ailleurs. Nous avons les compétences pour le faire et, si vous en décidez ainsi, nous en aurons le mandat.

La proposition de loi organique adoptée par l'Assemblée prévoyait que le Haut Conseil puisse jouer ce rôle sur saisine du Gouvernement. J'en conviens, c'était restrictif. Mais votre commission propose carrément de supprimer entièrement ces dispositions. Le Haut Conseil serait donc totalement incompétent. Ce serait tout à fait regrettable.

La version initiale de la proposition de loi organique prévoyait aussi de confier au Haut Conseil l'élaboration d'un rapport sur la soutenabilité de la dette. Cette disposition a été supprimée par un amendement gouvernemental. Je trouve une telle suppression très regrettable alors que le ratio d'endettement de la France a augmenté de dix-sept points de PIB depuis le déclenchement de la crise sanitaire et que plusieurs de nos homologues européens disposent d'une telle prérogative. L'argument était qu'un tel rapport pouvait être source d'inquiétudes. Mais, pour en avoir discuté avec des économistes, je crois que c'est exactement l'inverse : ce qui peut inquiéter les marchés, ce n'est pas un débat éclairant sur l'évolution de la dette, c'est l'absence de débat.

En l'état, le mandat du Haut Conseil resterait largement inchangé. Dans le contexte budgétaire actuel de la France, il serait vraiment regrettable de ne pas profiter de l'occasion offerte par cette proposition de loi organique pour poursuivre le mouvement de renforcement de la transparence sur les finances publiques, engagé depuis l'adoption de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), puis conforté par la loi organique que j'avais moi-même portée sur les fonts baptismaux en 2012 en tant que ministre des finances.

La transparence renforce la soutenabilité des finances publiques. Le Haut Conseil n'en est qu'un des éléments, mais il y contribue. C'est par davantage de transparence que les finances publiques françaises seront plus fortes et plus crédibles aux yeux de nos partenaires européens, des marchés et, surtout, de nos concitoyens.

Je me tiens à présent à votre disposition pour répondre à vos questions, dans les limites évidemment du mandat du Haut Conseil, qui est d'éclairer les décideurs publics et non de prendre part au débat politique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Monsieur le président du Haut Conseil, j'ai bien entendu votre point de vue, que nous connaissions déjà, sur la proposition de loi organique. Vous avez mis à profit l'audition d'aujourd'hui pour lancer des amendements d'appel.

Nous sommes, le Président Claude Raynal et moi-même, rapporteurs sur cette proposition de loi organique. Dans ce contexte, nous avons fait en sorte d'améliorer les dispositifs proposés avant de trouver de possibles convergences entre les deux assemblées. La crise est venue perturber nos travaux. En étant provocateur, je dirais que ce texte arrive un peu à contretemps. Les aspirations relatives à la recherche de mécanismes permettant d'avoir une meilleure maîtrise tout au long de la procédure budgétaire ou à la programmation se trouvent totalement prises à revers par les conséquences budgétaires de la crise sanitaire et les décisions gouvernementales.

Compte tenu de votre expérience, vous comprenez bien le souci qui a été le nôtre : trouver le point d'équilibre entre les responsabilités respectives des différents organismes ou institutions. Le Haut Conseil en fait évidemment partie. Mais vous connaissez également l'attachement du Parlement à la possibilité d'exercer pleinement sa mission de contrôle et d'évaluation, ce qui est de plus en plus difficile aujourd'hui.

J'en reviens au projet de loi de finances qui prévoit que le déficit public devrait s'élever à 4,8 % du PIB en 2022, alors que le chiffre de 5,3 % avait été avancé lors du débat d'orientation des finances publiques. Le Gouvernement dispose donc encore d'un demi-point de PIB pour financer l'ensemble des mesures ne figurant pas dans ce PLF. Cela représente 13 milliards d'euros. Comment appréciez-vous ce montant au regard du coût des mesures qui pourraient être introduites par amendements ?

Le Gouvernement a présenté une trajectoire de maîtrise des dépenses publiques très ambitieuse pour les années 2022 à 2027 puisque la croissance annuelle moyenne des dépenses primaires en volume devrait être contenue en dessous de 0,3 %. Estimez-vous que le budget pour 2022 est en cohérence avec l'ampleur d'une telle ambition ?

Debut de section - Permalien
Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques

Je n'ai pas à me prononcer sur les discussions politiques entre les assemblées, même si ces considérations ne me sont pas complètement étrangères. En revanche, je ne pense pas du tout qu'une telle démarche de modernisation de la gouvernance de nos finances publiques soit à contretemps. J'observe au contraire que plusieurs rapports - je pense à ceux de la Cour des comptes ou à celui de la commission présidée par votre ancien collègue Jean Arthuis - ont plaidé en faveur d'évolutions en ce sens.

La crise a constitué une forme de parenthèse. La situation des finances publiques est plus dégradée qu'auparavant, et durablement. Des enjeux comme la maîtrise de la dépense et de la dette sont devant nous pour longtemps. Dans ce contexte, nous avons besoin de solidifier la gouvernance des finances publiques. Cela ne concerne pas seulement le Haut Conseil, qui est à mes yeux un tiers de confiance pour le Parlement. Son objet n'est pas de se substituer aux expertises auxquelles vous pouvez avoir recours. Il s'agit d'une institution unique, car indépendante, pluraliste, assise sur un texte organique et inscrite dans un écosystème européen. Vous le savez, en sortie de crise, il va aussi y avoir un débat sur la réforme des règles européennes. Je suis très fier de présider le Haut Conseil et d'avoir oeuvré à sa création dans un contexte où ce n'était pas très porteur. Il est très regrettable que le mandat du Haut Conseil soit l'un des plus restreints au sein de l'OCDE. Nous devons aller plus loin.

La proposition de loi organique nous en offre l'occasion. Je trouve dommage d'y apporter plusieurs restrictions, et notamment de remplacer le « réalisme » par la « cohérence », qui est une notion plus faible. Encore une fois, un système fermé peut être cohérent, mais, s'il est incomplet, il n'est pas réaliste. Nous en avons un exemple typique sous les yeux aujourd'hui. Il est aussi regrettable de ne pas avoir un débat sur la soutenabilité de la dette, qui sera une grande question politique et sociétale dans les années à venir.

Je me réjouirais donc que le texte puisse être amélioré à l'occasion de son examen en séance publique par le Sénat. Vous et nous avons besoin d'un Haut Conseil plus fort, avec un mandat plus large qu'aujourd'hui. Passer à côté d'une telle occasion ne nous permettrait pas d'attaquer la sortie de crise dans de bonnes conditions.

Il ne m'appartient pas de me prononcer sur les positionnements des assemblées. Mais, au regard de l'expérience qui est la mienne, y compris au sein de l'Union européenne, je sais qu'il n'est pas satisfaisant d'avoir un Haut Conseil - certes, il effectue un travail remarquable - avec des moyens et un mandat plus limités qu'ailleurs.

Monsieur le rapporteur général, comme je l'ai indiqué, il y aura sans doute des surplus de recettes et, peut-être, de dépenses. Simplement, aucune fourchette ne nous a été communiquée. Je ne peux donc pas vous donner de chiffres ; je peux seulement décrire une mécanique de flux. J'espère pouvoir revenir devant vous pour me prononcer sur le chiffre de 4,8 % retenu, qui est non plausible. Aura-t-il ou non été modifié ? Cela dépendra des arbitrages finaux qui seront rendus. Le rôle d'un conseil comme le nôtre est de tamponner et d'attester les chiffres. C'est, me semble-t-il, très important, y compris dans les discussions que nous avons avec les autorités européennes. En effet, comme vous le savez, l'avant-projet de budget de la France est transmis à l'Union européenne. Le Haut Conseil n'est pas invisible dans l'affaire. À ce stade, nous ne pouvons pas aller plus loin dans l'appréciation.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Raynal

Monsieur le président du Haut Conseil, rien n'interdit aux assemblées d'organiser à tout moment un débat sur la soutenabilité de la dette. La question est simplement de savoir si cela doit figurer dans la loi organique. Pour ma part, je suis plutôt favorable à le mentionner dans une loi de programmation triennale ou quinquennale. Une loi organique s'applique de manière définitive. Or nous espérons tout de même que la question de la dette ne sera pas toujours l'alpha et l'oméga des PLF.

Nous nous interrogeons également sur le calendrier de présentation de la proposition de loi organique, sachant que les règles du Pacte de stabilité et de croissance pourraient être modifiées. Vous avez sans doute des informations plus précises que nous à cet égard. Il y aura un débat à l'échelon européen pour savoir comment rapprocher à l'avenir les politiques budgétaires des États et instituer de nouvelles règles. Il nous semble donc incongru d'arrêter une position en modifiant les dispositions organiques relatives à la programmation sans connaître ces évolutions qui pourraient nous conduire à les modifier à nouveau une fois les nouvelles règles connues.

J'en viens au débat entre « réalisme » et « cohérence ». Nous avons observé que, dans ses avis, le Haut Conseil utilisait un vocabulaire nuancé. Pourriez-vous véritablement utiliser le terme d'« irréalisme », alors qu'il est - vous l'avez dit -beaucoup plus fort que celui d'« incohérence » ?

Vous l'avez souligné, le texte que nous allons examiner concerne essentiellement le déficit public et la dette publique. Or nous considérons que la question des recettes ne doit pas être absente du débat. Il est ainsi curieux de continuer les réductions d'impôts, qui se traduiront mécaniquement par une augmentation de la dette, l'année où l'on observe une baisse de 9 % du PIB. Il est donc important d'avoir une visibilité sur les objectifs en termes de recettes dans une loi de programmation, afin de ne pas découvrir des évolutions fiscales substantielles au gré des PLF.

Nous considérons que le texte mérite d'être amélioré. Nous connaissions votre position ; vous nous l'aviez déjà exposée en amont. Nous discuterons avec nos collègues de l'Assemblée nationale afin de trouver des bases de compromis.

Debut de section - Permalien
Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques

À mon sens, les débats sur la dette publique vont nous poursuivre très longtemps. Quand bien même je vivrais centenaire, à l'instar d'André Chandernagor, l'un de mes prédécesseurs à la tête de la Cour des comptes, auquel j'ai récemment rendu visite, je ne verrais sans doute pas les 60 % de dette publique. Ne faisons pas comme s'il s'agissait d'une question conjoncturelle. Je pense qu'un débat annuel sur la soutenabilité de la dette ne sera pas de trop au cours de la décennie à venir.

Vous me demandez si nous pourrions utiliser le terme « irréalisme » ? Nous avons indiqué que les prévisions en termes de masse salariale et d'emplois étaient trop faibles. C'est encore plus précis. Le Haut Conseil est précis. Il utilise un langage d'économistes et essaye d'être objectif. Encore une fois, il n'est pas là pour se substituer aux acteurs du débat politique. Mais je ne pense pas qu'il soit timide.

Je vous adresse un cri du coeur : faites-nous confiance.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Vermeillet

Dans le document qui nous est transmis, vous ne vous prononcez pas sur le réalisme de la prévision du solde budgétaire pour 2022. Je ne sais donc toujours pas si elle est réaliste ou non. En revanche, vous jugez réalistes les prévisions d'inflation, en l'occurrence 1,5 % en 2021 et en 2022, alors que nous sommes confrontés à des tensions incroyables sur les prix des matières premières et, parfois, à des pénuries. Pourriez-vous nous indiquer ce qui vous fait juger de telles prévisions réalistes ? Qu'est-ce qui vous permet d'affirmer que la hausse de l'inflation sera temporaire ? Quel sera l'effet de cette hausse sur les taux d'intérêt ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Bascher

La prévision d'inflation me paraît effectivement basse. Nous avons la particularité d'avoir des déficits jumeaux extrêmement élevés. Une partie de l'inflation que nous avons est importée. Je peux comprendre que le déflateur du PIB soit extrêmement bas. Mais il n'en va pas de même s'agissant du reste de l'inflation.

Le Gouvernement pourrait utiliser ses prévisions d'inflation pour jouer sur notre ratio de dette. La dette, c'est un stock et des flux. Dans une entreprise, en cas de problème, on commence par traiter les flux avant de s'attaquer au stock. Or les flux, c'est la loi de programmation des finances publiques. C'est de cela que le Sénat veut débattre. Débattre de la dette, c'est débattre de la programmation des finances publiques. En tant que premier des ministres de l'économie à avoir connu des taux négatifs, vous le savez bien.

Vous nous demandez de vous faire confiance ? Faites-nous confiance aussi. Le Sénat a une certaine sagesse pour faire avancer les choses. Vous n'avez effectivement pas dit que ce projet de budget était irréaliste. Mais je me souviens qu'il y a cinq ans, le terme « insincère » avait été prononcé. Si vous nous aviez dit qu'au regard des dépenses prévisionnelles et des trop faibles prévisions de recettes, le budget était insincère, nous aurions sans doute plus confiance.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Canevet

Vous avez souligné les difficultés d'appréhender la situation réelle, certaines dépenses n'étant pas budgétées. On peut en recenser trois : le revenu d'engagement, estimé à 2 milliards d'euros, le plan « compétences », évalué à un milliard d'euros, et le plan d'investissement, pour lequel le chiffre de 30 milliards d'euros a été évoqué, sachant que cela risque de s'étaler dans le temps ; l'effet budgétaire pour 2022 pourrait donc être limité. Dans ces conditions, est-il vraiment si difficile de rendre un avis ?

Vous avez fait référence à la sous-estimation des dépenses et des recettes en 2021. J'observe toutefois que, par rapport à la loi de finances rectificative votée avant l'été, un peu plus de 15 milliards d'euros de recettes supplémentaires sont identifiés par le Gouvernement. Cela traduit tout de même une dynamique assez forte des recettes.

Vous qualifiez l'hypothèse de croissance à 6 % de « prudente », en notant que ce seront les prévisions au troisième trimestre qui permettront d'apprécier la possibilité réelle d'atteindre cet objectif. Mais il faut tout de même prendre en compte un certain nombre de difficultés. D'abord, beaucoup d'entreprises, par exemple dans le bâtiment, ont du mal à s'approvisionner, ce qui a des incidences significatives dans l'industrie. Ensuite, la sortie de crise risque d'affecter un certain nombre d'entreprises qui avaient bénéficié des aides. Enfin, il ne faut pas occulter les problèmes de concurrence internationale : beaucoup d'entreprises qui se sont créées dans notre pays ont du mal à écouler leur production, et les importations de matériel bon marché depuis la Chine continuent. On peut donc s'interroger sur le caractère « prudent » des hypothèses de croissance.

Vous avez parlé de difficulté d'appréhender les recettes pour 2022. J'observe tout de même que le Gouvernement table sur une augmentation des recettes liées à l'impôt sur le revenu de 7 % entre 2021 et 2022. Par conséquent, même si la masse salariale et l'emploi seront sans doute plus dynamiques qu'annoncé, le Gouvernement a bien pris en compte que les recettes évoluaient fortement.

Le taux de croissance du PIB moyen en France sur la période 2019-2022 est de 1,4 % en France, contre 2,4 % au sein de la zone euro. Qu'est-ce qui explique un tel écart ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Taillé-Polian

Il nous est difficile de nous faire une idée précise sur le projet de budget. D'abord, nous n'avons eu les documents qu'une heure avant le début de la réunion. Surtout, ainsi que vous l'avez noté, les éléments qui nous sont transmis sont gravement incomplets, puisqu'un certain nombre de mesures qui auront des répercussions financières lourdes n'y figurent pas. Je vous rejoins donc sur la nécessité d'une nouvelle saisine du Haut Conseil une fois ces informations connues.

Nous sommes nombreux à nous interroger sur la baisse des recettes, qui, combinée à la réduction de la croissance potentielle, va compliquer encore la diminution du ratio de la dette par rapport au PIB. Vous appelez à consacrer un éventuel surplus de recettes au désendettement. Si la réduction de la dépense publique peut parfois être raisonnable, ce n'est pas toujours le cas, notamment au regard de la situation sociale et climatique.

Je partage votre avis sur l'étroitesse du mandat du Haut Conseil, qui est effectivement trop restreint au regard de la réalité sociale et climatique. Que penseriez-vous de l'élargir pour permettre au Haut Conseil d'apprécier les projets de budget à l'aune non pas uniquement, comme aujourd'hui, du pacte budgétaire européen, mais également des engagements climatiques de la France ? Nous le savons, les aléas climatiques ont des conséquences importantes sur les finances publiques. D'ailleurs, cela peut parfois se régler au contentieux : le Conseil d'État a récemment fait injonction à l'État de se mettre à la hauteur de ses engagements climatiques. Ne serait-il pas intéressant que le Haut Conseil, éventuellement en lien avec le Haut Conseil pour le climat, puisse analyser les PLF dans cette perspective ?

Debut de section - Permalien
Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques

Je veux écarter le terme « insincérité », qui a un sens en finances publiques, et même au-delà. On ne peut se prononcer sur la sincérité d'un budget qu'ex post, une fois celui-ci voté et exécuté. La Cour des comptes a utilisé ce terme à une occasion. Honnêtement, le sujet est extrêmement radioactif, et le terme doit être employé avec prudence. Comme commissaire européen, j'avais alors été plus prudent que la Cour des comptes. Si nous commencions à utiliser un tel terme sans fondement juridique, le débat politique prendrait une tournure qui n'est pas du ressort du Haut Conseil.

Nous n'avons donc pas parlé de budget « insincère ». Nous sommes bien dans le cadre du mandat qui est le nôtre. Nous avons employé un terme précis : le projet de budget est « incomplet ». Nous avons effectivement constaté que le solde budgétaire s'améliorait et que la situation serait probablement moins dégradée qu'annoncé en 2021. Mais nous ne pouvons pas nous prononcer sur la plausibilité du chiffre pour 2022, puisqu'il nous manque un certain nombre d'éléments. Pour le reste, « incomplétude » et « insincérité » ne sont absolument pas synonymes. Il ne nous appartient pas d'émettre un tel jugement.

Dès le mois d'avril, le Haut Conseil estimait que l'inflation, notamment l'inflation sous-jacente, la seule que nous sommes réellement capables de prévoir, serait plus élevée que prévu par le Gouvernement. Celui-ci a révisé d'un demi-point à la hausse sa prévision d'inflation sous-jacente pour 2021, qui est de 1,1 %, et le chiffre annoncé nous paraît plausible compte tenu des huit mois que nous connaissons déjà. Le Haut Conseil juge également plausible la prévision d'inflation pour 2022. Selon la plupart des économistes, l'inflation que nous connaissons devrait être temporaire. Certains facteurs, comme la hausse des prix des matières premières ou de la demande des services des ménages, perdurent et la hausse des prix devrait pousser à la hausse les salaires en 2022. Mais les économistes n'attendent pas d'augmentation auto-entretenue de l'inflation. Plusieurs de ces facteurs sont transitoires : les prix de certaines matières premières ou bien intermédiaires ont arrêté de monter, voire commencé à baisser.

En 2022, la Banque centrale européenne (BCE) ne devrait pas remonter ses taux d'intérêt - elle devrait seulement réduire ses achats d'actifs -, qui devraient donc rester bas encore un moment.

Une fois que la situation sera revenue à la normale, les différentiels de dette entre les pays seront un critère de jugement pour les marchés. Nous devons donc rester extrêmement attentifs sur cette question. C'est donc l'occasion d'évoquer la croissance et la maîtrise de la dépense publique. Je vous renvoie aux préconisations que la Cour des comptes a remises au Président de la République et au Premier ministre cet été.

Malgré les difficultés d'approvisionnement, le PIB devrait revenir à son niveau de 2019 à la fin de l'année 2021 ou en 2022.

L'écart de croissance entre la France et la zone euro est lié aux conséquences de la crise sanitaire. Il y a des différences entre le nord et le sud de l'Europe. Les pays les plus impactés sont ceux qui ont été les plus fortement touchés en 2020. Même si le rebond de la croissance a été un petit peu plus fort, il y a un lien direct entre la crise sanitaire et le PIB. Il faut également tenir de la spécialisation sectorielle de la France ; je pense notamment au tourisme et à l'aéronautique.

L'élargissement du mandat du Haut Conseil dépend du législateur. Notre position est assez constante. Lorsque j'ai lancé un processus de réforme de la Cour des comptes, j'ai demandé un rapport sur la manière dont devrait être modifié le mandat du Haut Conseil. Les textes européens peuvent effectivement être modifiés aussi.

Encore une fois, il serait dommage de négliger l'occasion offerte par l'examen de la proposition de loi organique. Je tiens d'ailleurs à remercier les équipes du Haut Conseil, qui réalisent un travail de très grande qualité dans des conditions extrêmement difficiles et avec des moyens réduits.