Je suis particulièrement heureux d'ouvrir cette séance de travail qui réunit la Délégation sénatoriale aux outre-mer et l'association des juristes en droit des outre-mer (Ajdom), ici, au Palais du Luxembourg. Après la réunion d'hier avec la nouvelle délégation outre-mer de l'association des maires de France (AMF), qui a donné lieu à un échange très convergent, c'est la deuxième réunion exceptionnelle que nous tenons cette semaine.
Je tiens à remercier le président Ferdinand Mélin-Soucramanien d'avoir pris l'initiative de cet échange sur le thème des outre-mer dans la Constitution. Nos liens avec l'Ajdom sont anciens : le président Michel Magras, qui participe à nos travaux cet après-midi et que je salue très chaleureusement, suivait assidûment ses activités, et nous avons eu par le passé l'occasion d'entendre ses éminents juristes à l'occasion de la préparation de nos rapports.
La réunion d'aujourd'hui est toutefois symbolique du « moment » que nous vivons, et qui remet au premier plan les questions institutionnelles.
Pour ce qui est de notre délégation, je mentionnerai naturellement le remarquable rapport de Michel Magras sur la différenciation territoriale outre-mer, de septembre 2020. Ce travail fondateur a permis de pointer l'un des enjeux centraux du débat sur les évolutions institutionnelles, qui est l'adéquation de l'action publique aux réalités locales. Or les événements récents - la crise du covid en particulier - n'ont fait que renforcer la conscience des spécificités ultramarines et le sentiment d'une évolution nécessaire.
Nous avons entendu « l'appel de Fort-de-France », ce message des présidents des régions de Guadeloupe, La Réunion, Mayotte, de la Martinique, Saint-Martin et de la Guyane, qui ont solennellement demandé à l'État de changer ses politiques d'aide au développement de leurs territoires. Comme eux, nous nous demandons comment prendre en compte une plus grande différenciation pour nos collectivités, avec des leviers de décision « au plus près des territoires ».
Comment permettre que les collectivités ultramarines puissent disposer d'une organisation et de normes qui répondent à leurs réalités, tout en restant dans le cadre de la République ? C'est bien, me semble-t-il, sur notre cadre constitutionnel actuel et son adaptation qu'il nous faut désormais réfléchir ensemble. Car il nous faut approfondir notre réflexion commune pour proposer des perspectives d'avenir pour nos territoires.
Comme j'ai eu l'occasion de le dire lors d'une réunion avec la délégation homologue de l'Assemblée nationale en 2021, pour s'engager dans cette voie, nous avons absolument besoin de l'éclairage des experts, et des juristes naturellement, sur ce qu'il est possible de faire ou pas.
Ces échanges doivent aussi nous aider à répondre à des questions très concrètes de nos concitoyens, comme celle portant sur la notion de « citoyenneté autonome », débat qui a été très présent en Polynésie lors des dernières élections législatives à propos de l'accès à l'emploi ou au foncier...
Nos travaux vont se dérouler en deux temps, gérés par le président Mélin-Soucramanien que je remercie par avance : une séquence consacrée à la Nouvelle-Calédonie et une autre aux collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution.
Je me félicite de cette « exhaustivité » qui couvre tous les territoires et annonce de riches échanges !
Sur le premier volet, je vous précise que la commission des lois du Sénat a été conviée à nos travaux ; cependant, comme il y a en ce moment une mission en Nouvelle-Calédonie, elle réserve ses conclusions à ses membres. Je ne doute pas que le rapport qui sera remis prochainement apportera une contribution importante au débat actuel.
Sur le second volet, il ne serait pas inutile de réinterroger les participants sur la question du socle constitutionnel commun qui avait été évoquée lors de nos auditions de 2020.
Je ne veux pas être trop long. Bons travaux à tous et merci pour votre participation nombreuse, en présentiel et en distanciel !
Merci infiniment de nous accueillir.
Un mot sur l'objet de cette réunion : pourquoi au Sénat ? Tout simplement parce que l'on y est bien accueillis et que nous avons pris l'habitude de travailler avec vous, notamment grâce à Michel Magras. Au-delà, compte tenu des temporalités électorales, le Sénat est en ordre de marche, contrairement à l'Assemblée nationale pour l'instant. Vous avez précisé qu'une mission d'information de la commission des lois s'était rendue en Nouvelle-Calédonie. Nous attendons tous avec impatience son rapport. Vous-même, monsieur le président Artano, vous n'avez jamais rompu avec nous le fil de la discussion, ce dont nous nous réjouissons, car les outre-mer ont parfois le sentiment d'être un peu les oubliés de la République.
Deuxième précision sur l'objet de la réunion : nous avons choisi, d'un commun accord, de parler des outre-mer et de leur rapport avec la Constitution, et pas seulement de la Nouvelle-Calédonie. Effectivement, il ne faut pas oublier les autres outre-mer où des revendications fortes se font sentir - je pense à la Guyane ou à l'appel de Fort-de-France. Nous avons donc décidé de scinder nos travaux en deux tables rondes, avec l'idée que tout ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie a un impact sur les autres outre-mer, qui examinent de près toutes les évolutions du dossier - et ils ont raison !
La première table ronde sera consacrée à la Nouvelle-Calédonie et la deuxième aux collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution. Le séquençage sera à chaque fois le même : le premier intervenant présentera objectivement la problématique et contextualisera la question, le deuxième intervenant sera le grand témoin, le troisième intervenant sera un expert, puis le débat s'engagera entre les différents participants.
Pour la table ronde concernant la Nouvelle-Calédonie, Léa Havard, maître de conférences à l'université de la Nouvelle-Calédonie, présentera la problématique. Le grand témoin sera Jean-Jacques Urvoas, maître de conférences à l'université de Bretagne occidentale, ancien ministre de la justice, garde des sceaux, ancien rapporteur de la mission d'information permanente sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. L'expert sera Alain Christnacht, conseiller d'État, ancien Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.
Pour la seconde table ronde, la présentation de la problématique sera faite en duo par Véronique Bertile, maître de conférences à l'université de Bordeaux, et Isabelle Vestris, maître de conférences à l'université des Antilles. Les grands témoins seront Michel Magras, ancien président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer et auteur du rapport d'information intitulé « Différenciation territoriale outre-mer : quel cadre pour le sur-mesure ? », et Stéphane Diémert, président assesseur à la cour administrative d'appel de Paris, ancien conseiller pour les affaires juridiques et institutionnelles de deux ministres des outre-mer. L'expert qui leur répondra sera Patrick Lingibé, avocat au barreau de la Guyane, président de la conférence des bâtonniers d'outre-mer.
J'ouvre la première table ronde, relative à la Nouvelle-Calédonie, et je cède la parole à Léa Havard.
Je suis donc chargée de faire un point objectif sur la Nouvelle-Calédonie et de rappeler de façon assez factuelle le cadre dans lequel nous nous trouvons.
Comme vous le savez, la Nouvelle-Calédonie se situe à un moment-clé de son histoire. Le 12 décembre 2021 a eu lieu un troisième référendum au cours duquel les Calédoniens ont été amenés à répondre à la question suivante : « voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à l'indépendance et à la pleine souveraineté ? ». À cette question, ils ont répondu non de façon très majoritaire, à 96,5 % des voix, avec un taux d'abstention très important de 56,1 %.
Ce référendum, comme je l'ai précisé, est le troisième d'une longue série. Il s'inscrit dans le cadre de la mise en oeuvre de l'accord de Nouméa de 1998, qui met en place un processus de décolonisation inédit pour ce territoire. Ce processus comprend deux phases. Premièrement, la phase consistant à conduire le territoire dans un processus d'émancipation progressif à travers des transferts de compétences et l'attribution d'un pouvoir législatif. Deuxièmement, le processus d'autodétermination stricto sensu, c'est-à-dire le moment où les Calédoniens allaient être appelés à voter et se prononcer sur leur avenir politique. L'accord de Nouméa a prévu un mécanisme original avec trois référendums successifs, sachant que seul le premier était obligatoire.
Ce premier référendum a eu lieu le 4 novembre 2018. Il s'est soldé par la victoire du non à 56,7 % des voix, avec une participation importante puisque 80 % des Calédoniens sont allés aux urnes. L'accord de Nouméa et la loi organique de 1999 qui le complète prévoyaient la possibilité d'organiser un deuxième, puis potentiellement un troisième référendum, ces deux référendums supplémentaires devant être sollicités par un tiers des membres du Congrès, ce qui s'est produit.
Le deuxième référendum a eu lieu le 4 octobre 2020. Il s'est également traduit par une victoire du non à 53,3 % des voix, avec une participation encore plus importante de plus de 85 %. Mais les résultats s'étaient resserrés puisqu'il n'y avait plus que 10 000 voix d'écart entre le oui et le non, sur un corps électoral d'environ 180 000 électeurs. Comme le prévoyait l'accord de Nouméa, le Congrès a alors actionné la possibilité d'organiser un troisième et dernier référendum, celui du 12 décembre 2001.
Qu'en est-il au terme de la mise en oeuvre de ce processus ? L'accord de Nouméa prévoyait, dans le cas où il y aurait trois refus successifs, une réunion des partenaires politiques pour examiner la situation créée. Nous en sommes là aujourd'hui, sachant que le Gouvernement français, dès l'année dernière, c'est-à-dire avant même la tenue du référendum, avait déjà proposé une feuille de route politique pour faire suite à ce troisième référendum. Cette feuille de route annoncée par l'État en juin 2021 prévoyait d'entrer, après le troisième référendum, dans une période dite de « convergence et de stabilité », et ce jusqu'en juin 2023 - l'idée étant d'adopter le nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie, qui serait, à terme, soumis à la population calédonienne dans le cadre d'un référendum de projet.
Durant cette période de convergence et de stabilité, il va donc falloir - et c'est ce qui nous intéresse particulièrement aujourd'hui - modifier ou adopter un nouveau statut pour la Nouvelle-Calédonie, et vraisemblablement réviser la Constitution puisque l'accord de Nouméa, qui a une valeur constitutionnelle par renvoi, n'a pas vocation à être pérenne.
L'une des questions qui se posent est de savoir jusqu'à quand peut durer cet accord de Nouméa, qui n'a pas de date officielle de péremption. En revanche, il a clairement une vocation uniquement transitoire. Ce point sera donc certainement soulevé dans nos débats ultérieurs.
Par ailleurs, quelle forme prendra la future révision de la Constitution ? Le titre XIII de la Constitution, qui est aujourd'hui consacré à la Nouvelle-Calédonie, disparaîtra-t-il ? La Nouvelle-Calédonie sera-t-elle réintroduite dans le titre XII ? Conservera-t-on le titre XIII avec de nouvelles modifications ? Autre question : quel sera le niveau des dérogations constitutionnelles maintenues au profit de la Nouvelle-Calédonie dans la mesure où l'on sera, a priori, dans un statut qui n'aura plus une vocation transitoire, mais pérenne ?
Le projet, comme cela vient d'être précisé, est bien de discuter de cette révision constitutionnelle. Certains la jugent incontournable, d'autres - moins nombreux - considèrent qu'elle n'est pas nécessaire, mais leurs voix méritent évidemment d'être entendues.
maître de conférences à l'université de Bretagne occidentale, ancien ministre de la justice, garde des sceaux, ancien rapporteur de la mission d'information permanente sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. - Je vais décevoir le président de l'Ajdom puisque je commencerai par un point qui n'est pas juridique. Le dossier calédonien, qui va maintenant connaître de nouveaux développements, voit un certain nombre de nuages s'accumuler au-dessus de lui.
L'accord de Nouméa - Léa Havard vient de le souligner - a eu des atouts, mais il a aussi eu quelques défauts. Grâce à lui, on se parle en Nouvelle-Calédonie depuis quelques années. Un cadre s'est stabilisé, les interlocuteurs se sont respectés, ils ont appris à bâtir des compromis : tout cela est de bon augure. Mais un aspect va peser pour demain, à savoir que cet accord a donné le sentiment - c'est un avis très personnel et subjectif né des conversations que j'ai pu avoir avec les uns et les autres - que rien de grave ne pouvait arriver puisque toutes les difficultés avaient été surmontées depuis la première signature. Même si c'est compliqué, même s'il y a des tensions, tout le monde pense que, au fond, on arrive toujours à s'arranger. Cela crée un sentiment de déni de réalité face aux difficultés qui sont devant nous.
Or, premier nuage, la Nouvelle-Calédonie a aujourd'hui une économie dans un état particulièrement inquiétant. Les finances publiques sont exsangues. Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont les autorités compétentes, singulièrement la chambre territoriale des comptes, qui explique que le déficit des comptes publics est absolument abyssal et qu'il est même structurel. Tout cela n'a rien à voir avec la crise sanitaire, qui naturellement a généré des dépenses supplémentaires, lesquelles ont été largement couvertes par l'État.
Ce que nous dit la chambre territoriale des comptes, c'est que le déficit de la Caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie (Cafat) a été multiplié par cinq au cours des cinq dernières années. À telle enseigne que l'État a été obligé de venir en aide à la Nouvelle-Calédonie dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022. Un nouveau prêt lui a été consenti, mais à la condition que ses finances publiques soient remises en ordre. Cela suppose donc de trouver des ressources supplémentaires. Voilà pourquoi le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a accepté au mois de mai dernier un plan qui se traduira par une augmentation de 3 points du taux de prélèvements obligatoires, ce qui pèsera sur la situation économique.
Or l'économie calédonienne n'est pas bien portante - pour le coup, la crise y est pour beaucoup. Le rebond constaté dans d'autres endroits - je pense à la Polynésie, où le tourisme redémarre - ne s'observe pas en Nouvelle-Calédonie. Selon les entrepreneurs locaux, l'une des raisons pour lesquelles il n'y a pas de reprise tient à l'absence de visibilité. On en revient ainsi à la question institutionnelle. L'un des mérites de l'accord de Nouméa n'était-il pas d'avoir fixé un horizon via la succession des référendums ? Chacun pensait qu'au bout du troisième référendum, la question serait réglée. Or la question n'est toujours pas réglée, ce qui plonge de nouveau les entrepreneurs calédoniens dans l'incertitude.
Un tel état de fait est rarement propice à l'investissement, d'autant que l'inflation ne les épargne pas. Tout cela a un lien avec le conflit en Ukraine, mais surtout avec le reconfinement en Chine, pays plus proche de la Nouvelle-Calédonie que l'Ukraine.
Quoi qu'il en soit, ce doute sur l'attractivité du territoire pèse évidemment sur le climat politique.
Le deuxième nuage est lié à la baisse démographique. Toutes les études statistiques qui ont pu être conduites dans l'archipel montrent qu'entre 2014 et 2019 un Calédonien sur dix, soit 27 600 personnes, est parti de Nouvelle-Calédonie. Depuis 2019, ce mouvement s'est confirmé. Naturellement, les départs ont concerné les classes d'âge actives. Première conséquence, nous assistons à un vieillissement de la population, et donc à une sollicitation des finances publiques pour les régimes de protection dont la situation est déjà inquiétante. Deuxième conséquence, la Nouvelle-Calédonie se trouve confrontée à une absence de main-d'oeuvre.
C'est la première fois depuis quarante ans que le solde migratoire est durablement négatif. Les questions institutionnelles et juridiques sont certes passionnantes, mais elles ne sont pas hors-sol : elles sont ancrées dans un environnement lourd !
Quatre points sont saillants.
D'abord, il n'y a plus de confiance entre les signataires de l'accord, c'est-à-dire l'État, les partisans de l'indépendance et ceux qui souhaitent le maintien dans la France. La parole de l'autre n'est plus crue, alors que c'est ce qui constitue la base du respect mutuel. C'est notamment le cas de la parole de l'État, mais tout reposera demain, à nouveau, sur son rôle : les initiatives ne viendront que de l'État, comme elles ne sont toujours venues que de lui... Or la façon dont le troisième référendum a été organisé et sa date fixée a abîmé la parole de l'État. Il faudra donc des gestes. La présence de sénateurs dans l'île ces jours derniers est évidemment un geste important, et l'ensemble des partenaires ont accepté de les rencontrer, y compris les indépendantistes, qui ont des revendications aux antipodes de ce que l'État veut entendre aujourd'hui.
La lettre du président de la République est un autre geste important. Il a écrit le mois dernier au président du Gouvernement, Louis Mapou, pour prendre l'engagement de « veiller à la poursuite du dialogue dans le respect de l'héritage de ces trente dernières années ». C'est un point positif, même si l'incertitude demeure sur la place du Premier ministre, qui n'est pas un élément anodin. Édouard Philippe s'était fortement investi sur la question, au point de dire à Jean Castex, au moment de la passation de pouvoirs, qu'on lui parlerait beaucoup à Matignon de la Nouvelle-Calédonie ! Mais ce dernier s'est moins intéressé que son prédécesseur au dossier, même s'il a reçu des délégations, notamment en mai 2021. Que fera l'actuelle Première ministre ? Cela dépendra beaucoup de ce qui lui sera proposé.
La deuxième difficulté sera de bâtir une méthode. Celle qui est connue depuis des années repose sur l'accord de Nouméa, qui présente des qualités et des défauts. En particulier, la composition des délégations, le lieu où se discutaient les sujets, ont dû être adaptés, puisque les signataires de l'accord, pour beaucoup, ne sont plus là, ou que d'autres se faisaient représenter. Au dernier comité des signataires, il y avait 36 personnes autour de la table. On ne discute pas sérieusement quand on est si nombreux... C'est la raison pour laquelle - outre la crise du Covid - le précédent ministre des outre-mer, dont on peut dire qu'il s'est vraiment investi sur ce sujet, a inventé d'autres formats. Je pense par exemple au format « Leprédour », du nom de l'îlot sur lequel il avait pris l'initiative de réunir une petite dizaine de dirigeants loyalistes et indépendantistes, ou au format « Leprédour élargi », qui a d'ailleurs été le cadre dans lequel se sont tenues les discussions à Paris en juin 2021, au lieu du comité des signataires, qui était le cénacle traditionnel de discussion.
Je trouve incroyable que la date du troisième référendum n'ait pas été arrêtée par un comité des signataires, et qu'à aucun moment ce comité ne se soit réuni depuis. On fait mourir par épuisement une structure qui a produit bien des fruits en Nouvelle-Calédonie. Il faudra donc un nouveau cadre, qu'il ne sera pas facile de mettre en place, puisque les indépendantistes nous disent privilégier les relations bilatérales avec l'État, en Nouvelle-Calédonie et non plus à Paris, et que les anti-indépendantistes sont très hostiles aux négociations bilatérales, qui reviendraient à remettre face à face l'État colonial et le peuple colonisé, ce qui n'est plus une situation d'actualité.
Le président de notre association disait le 7 juin au Sénat qu'il pensait que les initiatives devaient partir de la Nouvelle-Calédonie. Peut-être aura-t-il raison. J'ai tendance à penser que cela viendra plutôt de Paris. Ce n'est pas incompatible, nous en sommes la démonstration.
Troisième point à traiter : il faut fixer un horizon. Alors que l'accord en fixait un, l'horizon est désormais incertain parce que les loyalistes considèrent que, après les trois référendums, le futur statut de la Nouvelle-Calédonie est dans le cadre de la République, alors que les indépendantistes ne reconnaissent pas le troisième référendum comme pertinent. Pour ces derniers, l'accord de Nouméa n'est toujours pas appliqué puisque des transferts de compétences restent à effectuer avant 2024, c'est-à-dire avant les prochaines élections provinciales.
Est venue se greffer au débat une nouvelle date proposée par Sébastien Lecornu, pour un référendum de projet, en juin 2023. Mais le président de la commission des lois du Sénat, François-Noël Buffet, a souligné qu'il n'y avait pas de fondement, dans l'accord de Nouméa, pour cette date, ce qui a immédiatement suscité en retour, de la part des loyalistes, une contestation assez vive, l'accusant de porter atteinte au processus - mettons cela sur le compte de l'excitation électorale...Y aura-t-il un référendum en 2023 ? J'en doute, car nous sommes déjà en juin 2022 et rien n'est organisé en ce sens.
Dernier sujet : il faut identifier les points de clivage. Les campagnes électorales pour l'élection présidentielle et les législatives n'auront guère permis d'atténuer les différences. Au contraire, les discours semblent s'être marqués plus fortement. Il y a, d'un côté, le nouveau député de la deuxième circonscription, Nicolas Metzdorf, qui est candidat à la Délégation aux outre-mer de l'Assemblée nationale et qui a un discours extrêmement dur au nom d'une partie des loyalistes, et, de l'autre, la représentante des indépendantistes, dans la première circonscription, celle de Nouméa, dont les propos ne sont pas incroyablement bienveillants...
Quels sont les points à discuter ? J'en vois au moins deux.
D'abord : le corps électoral. Dans la première circonscription de Nouvelle-Calédonie, un candidat s'est présenté au nom de ceux qui sont écartés du corps électoral, se voulant le représentant des quelque 30 000 Calédoniens qui ne peuvent pas voter. Il a obtenu 640 voix, c'est-à-dire 2 % des suffrages... Les indépendantistes disent dans le numéro de juin 2022 de La Voix de Kanaky que le corps électoral ne bougera pas jusqu'à l'indépendance, parce que c'est ainsi qu'a été construit l'accord de Nouméa. C'est aussi ce que dit régulièrement Paul Néaoutyine. Du côté loyaliste, on considère que le dégel du corps électoral est dorénavant un postulat, puisque la Nouvelle-Calédonie ne peut pas être le seul territoire de la République française où le suffrage universel n'est pas la règle absolue.
Deuxième question : l'irréversibilité constitutionnelle de l'organisation politique de la Nouvelle-Calédonie. Les indépendantistes considèrent que l'accord de Nouméa est une voiture qui n'a pas de marche arrière. Pour les loyalistes, l'accord de Nouméa peut être la base d'un autre statut, différent - on voit mal la Nouvelle-Calédonie devenir une collectivité de l'article 73, ni même de l'article 74. J'explique en tout cas à mes étudiants, en première année de droit, que le pouvoir constituant, fût-il dérivé, est inconditionné et absolu. Rien n'est acquis pour l'éternité, et l'irréversibilité n'existe que si le constituant décide en sa faveur.
La clé de tout cela, si tant est qu'elle existe, est dans les mains de l'État, qui est seul en capacité de pousser des initiatives. Ce point de vue subjectif, nécessairement caricatural et manichéen, rassurera tous ceux qui me connaissent !
Je vais commencer par vous lire la fin d'une fable de La Fontaine, que je crois éclairante, « Le loup et le chien » :
« - Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu'importe ?
- Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor.
Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor. »
Bien sûr, les questions économiques et financières sont d'une grande importance. Mais il ne faut pas oublier que le mouvement indépendantiste et nationaliste est identitaire. Sébastien Lecornu a dit que l'autonomie n'était pas financée, ce qui résume bien la situation financière. Vous n'avez pas prononcé le mot « nickel », cela dit, qui est l'équivalent du « tourisme » pour la Polynésie. Les cours montent, en ce moment, et la latérite, qu'on trouve au sud, est nécessaire à la fabrication de voitures électriques, comme en témoigne l'intérêt que porte Tesla à l'île.
Les accords de Matignon et l'accord de Nouméa ont échoué sur un point : le clivage ethnique n'a pas été dépassé dans les votes. Jean-Marie Tjibaou pensait que, après dix années, avec l'exercice des responsabilités et l'ouverture de la citoyenneté, les indépendantistes, c'est-à-dire la majorité des Kanaks, convaincraient les autres qu'une indépendance multiethnique et partenariale serait une solution durable, propice à la concorde et au développement économique. Jacques Lafleur pensait à l'inverse que l'exercice des responsabilités, le libre débat, le rééquilibrage économique, les 400 cadres, montreraient aux Kanaks qu'il n'y avait pas besoin de l'indépendance pour s'émanciper et que, comme l'avait dit à un moment Michel Rocard, il pouvait y avoir une émancipation dans la République.
Jacques Lafleur a eu l'intuition en 1991 que, en 1998, les mentalités n'auraient pas changé, et il a proposé que l'on cherche un nouvel accord, ce qui, l'effet de surprise passé, a été admis par le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) et par l'État. Le nouveau pacte devait être cinquantenaire, il a finalement duré vingt ans. De même, chacun pensait que vingt années suffiraient à convaincre...
Or nous retrouvons dans les élections des pourcentages qui, malgré la restriction du corps électoral pour l'autodétermination, ne sont pas très éloignés de la répartition de la population au recensement de 2019, soit : 41 % de Kanaks, 24 % d'Européens, 8 % de Wallisiens et de Futuniens, c'est-à-dire 20 000 personnes, c'est-à-dire deux fois plus que dans les îles elles-mêmes, et le reste pour les autres communautés et les non-déclarés. On voit que près de 90 % des Kanaks votent pour l'indépendance, même s'ils ont souvent une conception de celle-ci très différente d'un vote à l'autre, et qu'au moins 95 % des non-Kanaks votent contre l'indépendance.
De ce point de vue, aucun des deux accords n'a fait bouger les lignes. Il s'agit d'un pays biethnique, ou biculturel, avec deux populations pour une même terre, pourtant vaste. Évidemment, après les accords, après leur application, après trente ans de paix, nous ne sommes pas dans un conflit où chacun espérerait que l'autre parte. Les Kanaks eux-mêmes n'espèrent pas que les Européens partent, et reconnaissent que ceux-ci sont utiles à l'économie et à l'équilibre de la société. Mais comment faire pour concilier tout de même des identités, des aspirations, des modes de vie, des rêves, des espoirs qui sont assez différents ?
L'accord de Nouméa est le fils des accords de Matignon, en particulier sur la question du corps électoral, ce qui est très souvent oublié. Les accords de Matignon prévoient que « les électeurs et les électrices de Nouvelle-Calédonie qui seront appelés à se prononcer sur le projet de loi référendaire, ainsi que leurs descendants accédant à la majorité, constituent les populations intéressées à l'avenir du territoire » et qu'ils « seront donc seuls à participer jusqu'en 1998 aux scrutins qui détermineront cet avenir : scrutins pour les élections aux conseils de province et scrutins d'autodétermination ».
Ce sont donc les accords de Matignon qui ont posé le principe d'une restriction du corps électoral pour les élections locales, qui est le principal problème juridique. Pour les scrutins d'autodétermination, il existe des principes démocratiques, mais pas de normes constitutionnelles ou conventionnelles imposant le principe d'un corps électoral restreint. Une révision de la Constitution a été envisagée un moment, mais finalement refusée par le président Mitterrand. Cette disposition n'a donc pas été appliquée et, quand la proposition de révision est revenue au moment de la négociation de l'accord de Nouméa, il n'y a eu aucune difficulté, Jacques Lafleur ayant rappelé qu'elle avait été acceptée pour les accords de Matignon.
Outre le corps électoral, il y a la question de la citoyenneté avec préférence locale, construite par les accords de Nouméa, et qui évoque d'autres orientations politiques en métropole... Dans une île très pourvue, où les Calédoniens européens comme mélanésiens ont de plus en plus de diplômes, avec la concurrence de Métropolitains fraîchement arrivés, ce n'est pas si mal accepté.
Est-il concevable que, dans un territoire de la République, on organise durablement une restriction du corps électoral pour les élections locales ? Au plan conventionnel, il y a des précédents. Dans l'arrêt Polacco et Garofalo c. Italie, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) avait jugé qu'une condition restrictive de résidence de quatre ans ininterrompus pour voter au conseil régional de la région italienne autonome du Trentin-Haut-Adige poursuivait le but légitime de protection des minorités linguistiques, en l'occurrence germanophones, et pouvait être considérée comme proportionnée à ce but.
Il n'a donc pas été surprenant que la même cour accepte une durée plus longue pour la Nouvelle-Calédonie en faisant référence à l'histoire troublée et au caractère temporaire - sans parler de la spécificité des identités de la Nouvelle-Calédonie, qui est au moins aussi forte que celle de la minorité germanophone. Il ne serait donc pas inconcevable, au regard de la convention, de conserver une restriction du corps électoral, sans doute glissante et limitée.
Je suis convaincu qu'il n'y a pas d'irréversibilité ni de supra-constitutionnalité. Même l'irréversibilité du partage des compétences, c'est la Constitution qui l'a permise, et qui peut la reprendre. Politiquement, dans la recherche de l'accord, on va pointer tous les reculs.
L'accord de Nouméa a prévu trois référendums et non quatre. Pour le référendum de projet évoqué, il faut donc trouver un autre fondement. La révision constitutionnelle de 2003 a créé plusieurs possibilités. Pour consulter la population de Corse, on a créé l'article 72-1, par exemple - mais la Nouvelle-Calédonie n'est pas une collectivité territoriale. Il y a aussi l'article 72-4, l'article 73, qui prévoit le consentement des populations lorsqu'on crée une collectivité se substituant à un département... Bref, on a vraiment tout prévu, dans la Constitution, pour les outre-mer ou pour les collectivités territoriales en général.
Le deuxième alinéa du préambule de la Constitution dispose qu'en vertu du principe de la libre détermination des peuples, « la République offre aux territoires d'outre-mer qui manifestent la volonté d'y adhérer des institutions nouvelles, fondées sur l'idéal commun ». Le Conseil constitutionnel a indiqué, dans sa décision n° 2000-428 DC du 4 mai 2000, que, pour la mise en oeuvre de ces dispositions, les autorités compétentes sont, dans le cadre de la Constitution, habilitées à consulter les populations d'outre-mer intéressées non seulement sur leur volonté de se maintenir au sein de la République française, mais également sur l'évolution statutaire de la collectivité. Peut-on s'y référer ? Sans doute, même si des dispositions spécifiques ont été prises depuis, précisant que la Nouvelle-Calédonie relevait du titre XIII.
En tout cas, il faudra trouver une base constitutionnelle à cette consultation, même si une loi simple peut suffire, sur le fondement de la jurisprudence mentionnée ci-dessus. Il paraît en effet inconcevable politiquement que cette consultation sur un référendum de projet concerne le corps électoral dans son ensemble. C'est une raison de réviser la Constitution.
Une autre est apportée par la question de savoir comment mettre fin à l'accord de Nouméa. Cet accord est mortel, mais la date de sa mort n'est pas précisée ! Le principe de caducité qui a été appliqué à des dispositions beaucoup plus anciennes et devenues sans intérêt ne s'applique pas. Le plus propre juridiquement serait une révision constitutionnelle abrogeant le titre XIII et le remplaçant par un autre titre, qui pourrait prévoir un corps électoral restreint pour ces consultations, comme l'a fait la révision constitutionnelle de 1999, afin de permettre la consultation des populations locales sur le corps électoral prévu par l'accord de Matignon.
L'accord de Nouméa a des défauts, mais il est entré dans les moeurs. Nul ne remet en question les lois du pays. Quand je suis arrivé au Conseil d'État, j'ai été étiqueté comme le créateur des lois du pays, ce qui n'a pas contribué à ma popularité dans l'institution... Mais en Nouvelle-Calédonie, cet étrange objet juridique fonctionne. Le préambule a vieilli, mais il faut sans doute rappeler les grands principes. Le Gouvernement proportionnel et collégial est important, malgré ses défauts. Sa création a été décidée par référence au cas de l'Irlande du Nord : l'accord du Vendredi saint a prévu des dispositions analogues.
Trouver un consensus sera difficile. Il y aura des préalables. Pour les campagnes électorales, classiquement, chacun monte aux extrêmes. Le sympathique jeune député qui propose le service militaire obligatoire et quasiment punitif pour ceux qui ne réussissent pas leur scolarité, ou le retour des terres de la réforme foncière à leur ancien propriétaire si elles ne sont pas cultivées, illustre bien ce risque.
Le Gouvernement peut initier le processus. Les discussions démarreront, et il faudra les conduire. La perspective de 2023 est certainement irréaliste. Même si l'accord a prévu une durée de mandat, on pourrait concevoir de décaler les élections provinciales, comme on a repoussé certaines élections nationales pour d'autres raisons. Il serait dommage, si les discussions s'engagent et progressent, de devoir les interrompre parce qu'il faut déterminer le corps électoral pour ces élections.
Le président de la délégation Stéphane Artano participe à nos travaux en visioconférence, tout comme notre ancien président Michel Magras, qui a fait un travail remarquable sur la différenciation. Je salue la présence à nos côtés de Georges Patient et Philippe Folliot. Participent aussi par visioconférence à la réunion Micheline Jacques, sénatrice de Saint-Barthélemy, Thani Mohamed Soilihi, sénateur de Mayotte, et Téva Rohfritsch, sénateur de la Polynésie française.
Merci pour la qualité de vos propos. Vous n'avez pas parlé de la nature et des enjeux des influences extérieures. Dans le Pacifique, la compétition géostratégique est particulièrement forte, notamment entre la Chine et les États-Unis. A-t-elle des répercussions sur nos territoires ? Peut-elle faciliter la recherche d'une issue à la situation que vous avez décrite ? De plus en plus de micro-États du Pacifique passent sous influence de l'un ou l'autre des protagonistes, et l'alliance dite « Aukus » (Australia, United Kingdom, United States) souligne l'originalité du positionnement français : avec la Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna, la Polynésie, Clipperton, nous sommes la seule puissance européenne présente dans le Pacifique.
Certes, la Nouvelle-Calédonie nous donne une position stratégique et des atouts économiques majeurs dans le Pacifique. Lorsque j'ai été en poste dans ce territoire pour la première fois, en 1980, l'État proscrivait tout contact des élus locaux avec les pays voisins. Les menaces, alors, étaient la Libye, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Tout a changé avec les accords de Matignon et l'insertion régionale. La Nouvelle-Calédonie, qui siégeait à la commission du Pacifique Sud (CPS) devenue Communauté du Pacifique depuis longtemps, est entrée dans le Forum du Pacifique d'abord comme observateur, puis comme membre. L'Australie est devenue favorable à l'action stabilisatrice de la France, avec des hauts et des bas. Quant à la Nouvelle-Zélande, même avec ses gouvernements travaillistes, elle est devenue moins défavorable également, et elle a accompagné l'application des accords.
Sur le plan économique, ce sont les pays du Pacifique qui détiennent les atouts. Les touristes viennent principalement du Japon, et l'on vend beaucoup de matières premières, transformées ou non, à la Chine, au Japon et à d'autres pays du Pacifique. L'avancée de la Chine dans la région, notamment pour obtenir des votes sur Taïwan à l'Organisation des Nations unies (ONU), est regardée avec inquiétude par l'Australie et la Nouvelle-Zélande, ce qui les rapproche encore plus de la France. Dans certains projets indépendantistes, notamment celui de l'indépendance partenariale, il était clairement question que la défense et les affaires étrangères restent de la compétence de la France. On a bien le sentiment, sur place, d'être une terre convoitée. Mais cet argument ne suffit pas pour rester « collée » à la République française dans le statut actuel...
La dernière fois que les Calédoniens sont venus à Paris à l'invitation du Gouvernement, l'une des rencontres qui ont été jugées les plus utiles par les participants était celle qui avait été organisée, à l'initiative du Gouvernement, avec le chef d'État-Major des armées (CEMA), notamment sur les aspects géopolitiques. L'État a été extrêmement vigilant sur l'organisation des référendums, justement en raison de la crainte de l'influence étrangère sur le résultat. Le dernier référendum calédonien a d'ailleurs servi de test sur la manière dont nous pouvions sécuriser le vote des Français de l'étranger pour le scrutin présidentiel.
Le thème de l'influence extérieure a été utilisé dans la campagne du troisième référendum, alors qu'il l'avait peu été pour le premier. Il l'a surtout été par les partis loyalistes, qui brandissaient l'exemple du Vanuatu passé sous influence chinoise pour montrer les risques de l'indépendance. Son impact a sans doute été assez faible.
Quelles pourraient être les conséquences systémiques des différents éléments que vous avez évoqués ? Je pense notamment au départ massif des jeunes, à l'absence de développement et à l'irréversibilité probable.
Clemenceau disait qu'on reconnaissait Jaurès au fait que ses discours étaient toujours au futur, ce qui diminue le risque de se tromper... Je ne vais pas prendre le risque de répondre précisément à votre question ! J'ai évoqué ces éléments économiques et démographiques parce que je ne crois pas qu'ils soient bien connus, y compris dans l'île, où l'on ne sait pas que la population part, ce qui obère la capacité à croire en un destin commun.
En fait, les partenaires de l'accord sont toujours très mobilisés sur l'ingénierie institutionnelle. Pourtant, le chantier des politiques publiques est au moins aussi déterminant pour bâtir un destin commun. Il faut s'attaquer à la question des inégalités à l'intérieur de l'archipel, à celle de l'accès à la connaissance, à la valorisation des diplômes... Ces problématiques sont communes aux trois provinces. Or, à mon sens, nous avons fait moins de progrès en quarante ans sur les politiques publiques que dans la dimension politique et institutionnelle. Nous devrions laisser un peu de côté le droit, qui a démontré l'une de ses grandes qualités, la malléabilité. Quand on y réfléchit, il a permis de faire émerger des éléments inimaginables : que l'on ait dissocié la citoyenneté et la nationalité est en soi une création juridique tout à fait spectaculaire, et qui a été pour beaucoup dans la pacification des rapports. Quand j'étais parlementaire et que j'allais en Nouvelle-Calédonie, les organisations syndicales, patronales, religieuses, ne me parlaient pas de la problématique institutionnelle, qu'ils voyaient comme une affaire d'élus. Ce qui les préoccupait, c'était la vie chère, l'accès aux soins, les problèmes de logement... L'avenir institutionnel ne se fera pas sans la population, mais celle-ci n'adhérera pas qu'à des enjeux institutionnels.
Il n'existe aucune analyse sur le caractère structurel et durable de la baisse de la population depuis 2019. Il s'agit surtout de départs d'Européens, qu'on peut autant lier à l'évolution de la situation économique qu'aux incertitudes institutionnelles. Vous avez raison de souligner l'importance des questions économiques et sociales, mais cela rejoint un problème institutionnel fondamental : ces politiques relèvent de la compétence locale !
Est-ce que l'identité kanak est un frein ou un moteur dans le processus de décolonisation ?
Elle est le point central de la revendication indépendantiste. Le vote est essentiellement identitaire, même si les questions économiques et sociales sont évidemment importantes. En Nouvelle-Calédonie, il est possible de faire des statistiques ethniques. Différentes études ont montré ce caractère identitaire du vote.
L'accord de Nouméa et son application comportent des parts d'ombres et de lumières, quelques échecs et beaucoup de succès. L'échec principal, c'est l'absence de construction d'un destin commun, et la constitution d'un clivage ethnique, référendum après référendum, comme l'a bien montré Sylvain Brouard notamment. Dans un pays qui, comme le nôtre, prône l'universalisme républicain et l'égalité, c'est effrayant. Le cas de l'Irlande a été évoqué : nous pourrions en arriver à une forme de partition. Il y a aussi des succès formidables, et notamment la révélation d'une capacité à exercer les compétences, et la construction d'une citoyenneté autonome, qui pourrait perdurer.
À propos de l'ethnicité, le ver est dans le fruit de l'accord de Nouméa, puisque la construction du suffrage restreint était basée sur des considérations ethniques et a introduit le communautarisme dans le droit public français - il n'y a pas de quoi s'en réjouir ! Je suis étonné par le discours ambiant en faveur de cet accord. J'ai entendu les termes de « décolonisation », « pouvoir législatif », « peuple »... Il y a là matière à discussion. La survie de l'accord de Nouméa est possible par le biais de l'indispensable révision constitutionnelle à venir, qui devra tenir compte des référendums en faveur du maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République. Il faudra donc rétablir le suffrage universel : comment rester dans la République sans cette condition républicaine de la citoyenneté ? On parle de « référendum de projet », comme on avait inventé le « référendum-couperet », en 1998. Mais, ces qualificatifs sont dépourvus de base constitutionnelle. Même l'expression de « peuples et territoires d'outre-mer » n'était guère pas applicable à Mayotte en 2000, sur le fondement de l'alinéa 2 du Préambule de la Constitution de 1958...
À mon sens, la révision constitutionnelle devra donc bien comprendre le rétablissement du suffrage universel, parce que c'est la volonté des populations de la Nouvelle-Calédonie que de rester dans l'ensemble français, et qu'on n'est pas dans la France à n'importe quelles conditions. Et il faudra sans doute revoir le statut, ou au moins certains de ses éléments. Les lois du pays peuvent demeurer si ce sont formellement des actes administratifs comme les lois du pays polynésiennes, et pourvu qu'on ne les assimile pas à une législation nationale, ce qui aboutirait à une fédéralisation de la France.
Vous avez bien décrit la possibilité de définir un corps électoral restreint, quoique pas autant que pour les élections locales - problématique bien connue de la Polynésie, tout comme celle de l'emploi local. Une autre question est de savoir qui vote au référendum de projet. Suffrage universel ? M. Christnacht vous affirmez que les indépendantistes n'accepteront jamais qu'on ne restreigne pas le corps électoral d'une manière ou d'une autre. Pour un référendum de projet, intervenant à la suite d'une discussion conduisant à une forme de consensus, qu'est-ce qui interdirait alors de consulter tous les citoyens inscrits en Nouvelle-Calédonie ? Pourquoi restreindre le corps électoral ? Pour des élections locales, j'en perçois bien la nécessité. Mais pour un projet commun ? Par hypothèse, logiquement, si toutes les parties parvenaient à s'entendre sur un projet commun, il ne devrait pas y avoir d'obstacle dirimant à ce que l'ensemble des électeurs soient interrogés à l'occasion d'un référendum qui serait en quelque sorte un « référendum de validation », non ?
Je m'étais placé dans l'hypothèse que vous avez évoquée : quelles sont les chances qu'il y ait un consensus pour aboutir ? On peut très bien, sinon, prendre acte du fait que les indépendantistes sont minoritaires et mettre en place un statut, quitte à en assumer ensuite les conséquences ; celles-ci ne seront pas les mêmes que dans les années 1980, mais risquent d'être une sortie des institutions et un refus de participer à la vie civique.
Pour l'autodétermination, qui est un choix crucial, nous avons la notion de population intéressée. Quelqu'un qui est arrivé pour un court séjour, par exemple dans la fonction publique de l'État, et qui va repartir, doit-il être considéré comme intéressé à définir le statut de la Nouvelle-Calédonie pour les prochaines décennies ? Non, à l'évidence. Certes, l'accord de Matignon a été approuvé par la population générale française. Mais c'était justement pour supprimer la tentation de revenir dessus trop rapidement. Beaucoup d'autonomistes non indépendantistes pensent que seules les personnes qui ont des intérêts matériels et moraux durables en Nouvelle-Calédonie doivent participer au vote sur un statut durable.
L'argument me paraît imparable pour les élections provinciales, mais pas nécessairement pour une consultation d'autodétermination.
La Délégation sénatoriale aux outre-mer avait fait une étude sur le foncier, pour laquelle elle s'était déplacée en Nouvelle-Calédonie. On nous avait indiqué que la question de la redistribution des terres avait un impact certain sur le processus. Pourtant, vous n'en avez pas parlé. Pourquoi ?
Dès avant les accords de Matignon, la question foncière a été cruciale. Le gouvernement de Raymond Barre, Paul Dijoud étant ministre des outre-mer, a enclenché la réforme foncière et soutenu le réveil de la culture mélanésienne, comme on disait alors. Tout recul symbolique serait lourd, mais nous devons évidemment continuer à travailler à la mise en valeur de ces terres. On a admis que, pour la population kanak, les terres n'avaient pas qu'une valeur économique.
Quand j'y suis allé comme ministre, ces questions ne m'ont pas été posées par mes interlocuteurs : il n'y avait pas de demande particulière d'évolution du statut. Dans la campagne qui vient de se terminer, cela n'a pas non plus été un sujet.
Je voudrais rappeler, au lendemain de l'inauguration à Nouméa d'une statue qui illustre la poignée de main entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou, que le compromis historique des accords de Matignon repose sur un double pilier.
On oublie régulièrement l'un de ces piliers. On parle d'un corps électoral restreint mais, en 1988, la concession majeure qui a été faite par le FLNKS aux non-indépendantistes, c'est l'élargissement du corps électoral concerné par la question de l'autodétermination à toute la population présente en Nouvelle-Calédonie à l'époque de la signature des accords. Pourtant, la position du FLNKS avait jusque-là été de limiter ce corps électoral au peuple kanak et à ceux qui avaient été appelés « les victimes de l'histoire » - une catégorie difficilement identifiable sur le plan juridique.
La reconnaissance de la double légitimité de toutes les populations présentes est l'un des piliers de ce qui a ramené la paix civile en 1988. Que se passerait-il si l'on voulait remettre en cause cette partie de l'accord ? La contrepartie de cet élargissement du corps électoral par rapport aux souhaits des indépendantistes est une restriction par rapport à ceux des non-indépendantistes. Il y a un point d'équilibre ; celui-ci peut-il être remis en cause sans dommage pour la paix publique ?
Pour savoir qui va voter lors de la consultation pour un référendum de projet, il faudra regarder comment se passera la discussion. Si celle-ci débouche sur une solution heureuse et consensuelle, la question de la restriction du corps électoral s'appréciera forcément de manière différente.
J'ai eu à m'occuper de la préparation de la réforme constitutionnelle à l'Élysée, en 2000-2002. La question du foncier est venue dans l'article 74 avec la révision constitutionnelle : c'était, à l'époque, une concession faite à Gaston Flosse après la tentative de révision concernant la seule Polynésie française, interrompue en janvier 2000 cat il n'entendait pas perdre ce qu'il avait déjà obtenu. Si la Nouvelle-Calédonie en venait à être régie par l'article 74, cet élément pourrait ressurgir dans le cadre d'un statut d'autonomie.
J'entends parler de référendum de projet. Mais, une révision constitutionnelle doit être faite dans les conditions fixées par la Constitution. Où est-il dit que l'on doive consulter une population locale lorsque l'on exerce le pouvoir constitutionnel ? Nulle part ! Je ne vois donc pas pourquoi s'imposerait une consultation spécifique des populations de la Nouvelle-Calédonie sur une révision constitutionnelle, d'ailleurs au suffrage universel, même si celle-ci les intéressent. Cette collectivité territoriale est représentée au Sénat et les sénateurs de la Nouvelle-Calédonie participeront à cette réforme en tant que représentants de la Nation.
Vous êtes un pur ! Mais Jean-Jacques Urvoas a bien montré qu'on pouvait difficilement se départir du contexte et de l'histoire.
Il y a au moins un point sur lequel il serait dangereux de ne plus avoir de fondement constitutionnel sur la Nouvelle-Calédonie, c'est la question du peuple kanak. Selon la Constitution, il n'y a que le peuple français... Sans notion d'un peuple kanak, ce n'est même pas la peine de commencer la discussion !
Nous n'avons pas épuisé le sujet - ce n'était pas le but. Nous attendons avec impatience le rapport des sénateurs de la commission des lois.
Bon courage au prochain ministre des outre-mer !
Nous allons à présent parler des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution. En Nouvelle-Calédonie, il y a une forme d'urgence à effectuer une révision constitutionnelle. Pour les autres outre-mer, c'est une question plus ouverte, même si elle est bien présente, comme l'illustre l'appel de Fort-de-France, entre autres. Des craquements institutionnels constatés un peu partout font que la question peut se poser, même si elle ne revêt pas le même caractère d'urgence.
Merci pour votre accueil.
Tandis qu'un titre de la Constitution est exclusivement consacré à la Nouvelle-Calédonie et que le régime législatif et l'organisation particulière des Terres australes et antarctiques françaises et de Clipperton sont déterminés par la loi, les autres outre-mer français sont régis soit par l'article 73, soit par l'article 74 de la Constitution.
L'origine de ces articles 73 et 74 remonte à la Constitution de la IVe République, adoptée en 1946. Celle-ci comportait en effet une section consacrée aux départements et territoires d'outre-mer, dont les deux premiers articles, numérotés 73 et 74, traitaient respectivement des départements d'outre-mer (DOM) et des territoires d'outre-mer (TOM).
L'article 73 de la Constitution de 1946 dispose ainsi que le régime législatif des DOM est le même que celui des départements métropolitains, sauf exceptions déterminées par la loi. Cet article pose donc le principe de l'identité législative, alors même que la loi du 19 mars 1946, qui a classé la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion dans la catégorie des départements, avait maintenu le principe de spécialité législative, selon lequel les lois nouvelles applicables à la métropole seraient applicables dans ces DOM sur mention expresse.
L'article 74 de la Constitution de 1946 est consacré aux TOM, et revèle la différenciation de ces territoires. Il dispose en effet que les TOM sont dotés d'un statut particulier tenant compte de leurs intérêts propres dans l'ensemble des intérêts de la République.
La Constitution de la Ve République, adoptée en 1958, a initialement maintenu la répartition des outre-mer entre ces articles 73 et 74. Elle a cependant modifié le contenu de ces articles.
L'article 73 de la Constitution de 1958 disposait, dans sa version initiale, avant la révision constitutionnelle de mars 2003, que le régime législatif et l'organisation administrative des DOM pouvaient faire l'objet de mesures d'adaptation nécessitées par leur situation particulière.
L'article 74 de la Constitution de 1958, dans sa version originelle, s'inscrit pour sa part dans la continuité de l'article 74 de la Constitution précédente. Ses dispositions ont toutefois été modifiées par la loi constitutionnelle du 25 juin 1992, qui a prévu que les statuts des TOM seraient fixés par des lois organiques, après consultation de leurs assemblées territoriales.
Le statut de la quasi-totalité des TOM a régulièrement évolué, sur la base de cet article 74. La Constitution de la Ve République a connu, elle, plusieurs révisions, dont certaines ont principalement concerné les outre-mer et favorisé leurs changements statutaires. La révision constitutionnelle de 2003, souvent présentée comme la plus importante réforme du cadre constitutionnel des collectivités territoriales en France depuis 1958, a profondément remanié les articles 73 et 74. Si les outre-mer continuent de relever principalement de ces deux articles, depuis la révision de 2003, les déclinaisons statutaires sont cependant nombreuses au sein de chacun d'entre eux.
En effet, le constituant a procédé à une réécriture complète de l'article 73, qui compte désormais sept alinéas. Dans les collectivités qui relèvent de l'article 73, les lois et règlements sont applicables de plein droit, mais peuvent faire l'objet d'adaptations tenant à leurs caractéristiques et contraintes particulières - une formule inspirée du statut de région ultrapériphérique dans l'Union européenne.
Ces adaptations peuvent être décidées par ces collectivités dans les matières où s'exercent leurs compétences et si elles y ont été habilitées, selon les cas, par la loi ou le règlement. En outre, à l'exception du département et de la région de La Réunion, les collectivités régies par l'article 73 peuvent être habilitées à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire dans un nombre limité de matières.
On constate que le principe de l'identité législative est expressément repris dans cet article 73, au premier alinéa. Le pouvoir d'adaptation désormais dévolu aux collectivités de l'article 73 est précisé.
Par ailleurs, la catégorie statutaire de l'article 73 n'est plus spécifiquement consacrée aux DOM ou aux départements et régions d'outre-mer (DROM), mais constitue un cadre plus vaste plus vaste appréhendant des collectivités régies par le principe de l'identité législative susceptible d'adaptations ou de dérogations relèvent désormais de cet article les départements et régions de la Guadeloupe et de La Réunion, la collectivité territoriale de Martinique, la collectivité territoriale de Guyane et la collectivité départementale de Mayotte. La Polynésie française, Saint-Barthélemy et Saint-Martin - tous deux détachés de la Guadeloupe -, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna relèvent, eux, de l'article 74 de la Constitution. Lors de la révision de 2003, le constituant a également réécrit cet article 74, désormais relatif aux collectivités d'outre-mer (COM). Si son premier alinéa n'est pas sans rappeler la version initiale, issue de la Constitution de 1946, cet article qui, désormais, ne compte pas moins de douze alinéas, précise cependant que le statut des COM fixe notamment les conditions dans lesquelles les lois et règlements y sont applicables.
Cette disposition constitutionnelle, qui n'impose nullement aux COM d'opter pour le principe de spécialité législative, contribue certainement à brouiller la distinction entre les catégories statutaires des articles 73 et 74.
On constate ainsi une persistance peut-être quelque peu artificielle de ces deux articles, alors que l'analyse de leurs dispositions laisse entrevoir une graduation des statuts plutôt qu'une dichotomie.
Le choix d'un statut dépend généralement de sa capacité, réelle ou supposée, à favoriser le développement économique, social et culturel et à créer des institutions adaptées à un territoire donné.
Les expériences et les velléités de changement statutaire de certaines collectivités situées outre-mer depuis la révision constitutionnelle de 2003 tendent à confirmer le caractère artificiel, ou en tous cas désuet, de la distinction entre les articles 73 et 74.
Dans un contexte marqué par des revendications en faveur de l'autonomie de la Guyane et alors que des voix s'élèvent pour réclamer « un cadre constitutionnel rénové » pour les outre-mer, le cadre constitutionnel actuel présente donc des insuffisances.
En effet, nous sommes passés d'un statut plutôt homogène de l'article 73, avant 2003, à un statut très hétérogène, où chaque outre-mer a son propre statut dans la République.
Une révision de ces deux articles est-elle opportune ? Le droit des outre-mer devient particulièrement complexe, et marqué par une gradation : on pourrait dire que certaines collectivités de l'article 74 sont davantage dans l'identité législative que certaines collectivités de l'article 73... Au titre de l'article 74, d'ailleurs, seule la Polynésie française a choisi la spécialité législative, les quatre autres collectivités ayant retenu l'identité législative, avec certaines exceptions.
Il y a deux options.
La première serait de maintenir les articles 73 et 74 en modifiant leur rédaction. C'est ce qui était prévu dans le projet de loi constitutionnelle présenté par le président Macron en 2018. À l'article 73, il y avait notamment une modification de la procédure de l'habilitation législative, qui a été unanimement jugée insuffisante.
La seconde serait de prendre acte que chaque outre-mer a un statut qui lui est propre. Il ne reste que deux DROM, la Guadeloupe et La Réunion ; la Martinique et la Guyane sont des collectivités uniques ; Mayotte est un département. On pourrait donc envisager de fusionner les articles 73 et 74 dans ce qu'on pourrait appeler une « clause outre-mer », comme il existe des clauses Europe, par exemple, dans certaines Constitutions. Comme il faut consulter les populations intéressées, cela permettrait à chaque outre-mer de choisir par une loi organique son statut, avec quelques garde-fous de base : la représentation de l'État, la démocratie locale et le respect de l'indivisibilité de la République, bien que ce concept soit assez flou.
La question de l'autonomie revêt des sens divers selon que l'on se place sur un plan politique ou sur un plan juridique. Elle a été posée par le ministre de l'outre-mer Sébastien Lecornu lors de son déplacement en Guadeloupe - et en Corse, par le ministre de l'intérieur Gérald Darmanin.
En effet, nous sommes passés d'un statut plutôt homogène de l'article 73, avant 2003, à un statut très hétérogène, où chaque outre-mer a son propre statut dans la République.
Une révision de ces deux articles est-elle opportune ? Le droit des outre-mer devient particulièrement complexe, et marqué par une gradation : on pourrait dire que certaines collectivités de l'article 74 sont davantage dans l'identité législative que certaines collectivités de l'article 73... Au titre de l'article 74, d'ailleurs, seule la Polynésie française a choisi la spécialité législative, les quatre autres collectivités ayant retenu l'identité législative, avec certaines exceptions.
Il y a deux options.
La première serait de maintenir les articles 73 et 74 en modifiant leur rédaction. C'est ce qui était prévu dans le projet de loi constitutionnelle présenté par le président Macron en 2018. À l'article 73, il y avait notamment une modification de la procédure de l'habilitation législative, qui a été unanimement jugée insuffisante.
La seconde serait de prendre acte que chaque outre-mer a un statut qui lui est propre. Il ne reste que deux DROM, la Guadeloupe et La Réunion ; la Martinique et la Guyane sont des collectivités uniques ; Mayotte est un département. On pourrait donc envisager de fusionner les articles 73 et 74 dans ce qu'on pourrait appeler une « clause outre-mer », comme il existe des clauses Europe, par exemple, dans certaines Constitutions. Comme il faut consulter les populations intéressées, cela permettrait à chaque outre-mer de choisir par une loi organique son statut, avec quelques garde-fous de base : la représentation de l'État, la démocratie locale et le respect de l'indivisibilité de la République, bien que ce concept soit assez flou.
La question de l'autonomie revêt des sens divers selon que l'on se place sur un plan politique ou sur un plan juridique. Elle a été posée par le ministre de l'outre-mer Sébastien Lecornu lors de son déplacement en Guadeloupe - et en Corse, par le ministre de l'intérieur Gérald Darmanin.
C'est un grand plaisir de vous retrouver, autour d'un sujet qui m'a été cher tout au long de mes mandats sénatoriaux, et plus particulièrement pendant les deux triennats au cours desquels j'ai eu l'honneur de présider la Délégation sénatoriale aux outre-mer. Ma retraite n'ayant pas entamé mon intérêt pour ces questions, je remercie le président Stéphane Artano de son invitation, et je salue de manière très appuyée, monsieur le président de l'Ajdom, cette initiative de réunion conjointe.
C'est toujours avec la conviction chevillée au corps que la différenciation doit constituer la clé de voûte de la nouvelle relation entre l'État et les collectivités territoriales que j'ai plaidé, chaque fois que l'occasion m'en a été donnée, pour la définition d'un cadre constitutionnel favorable à sa mise en oeuvre au sein de la République. Il y a, à l'origine de cette conviction, une question politique : comment parvenir au développement des outre-mer dans le respect d'un équilibre entre valeurs républicaines et réalités locales ?
Même si cette approche n'est pas dénuée de dimension juridique, le binôme que j'ai le plaisir de former, en qualité de grand témoin, avec Stéphane Diémert, reflète la complémentarité de nos deux démarches. Par sa contribution déterminante aux travaux menés en vue du rapport intitulé « Différenciation territoriale outre-mer : quel cadre pour le sur-mesure ? », Stéphane a d'abord répondu à ma sollicitation et apporté une réponse juridique à une question politique. Permets donc, cher Stéphane, que je te réitère mes remerciements.
Au moment où, comme vous l'avez montré lors de la première séquence, s'ouvre le débat sur l'avenir constitutionnel de la Nouvelle-Calédonie, je reste persuadé que tous les outre-mer doivent s'emparer de cette opportunité pour redéfinir leur cadre constitutionnel. Si l'on se fonde sur le rythme actuel des révisions des dispositions concernant les outre-mer, c'est une occasion qui ne devrait pas se représenter avant une vingtaine d'années !
Réviser, ce n'est bien évidemment pas imposer une évolution statutaire, mais mettre cette possibilité à la disposition de chacun des territoires.
Si l'expérience de Saint-Barthélemy m'avait prédisposé à lier statut et développement d'un territoire, cette approche a été étayée par quasiment l'ensemble des travaux de la Délégation sénatoriale aux outre-mer lorsque j'ai eu l'honneur de la présider. Ces travaux ont montré combien l'acclimatation des normes, selon le terme qu'il est d'usage d'employer à la délégation, pouvait influer sur le devenir d'un territoire. Or l'État n'ayant pas d'obligation d'adaptation, les normes sont souvent inadaptées outre-mer, lorsqu'elles ne sont pas inexistantes, engendrant ainsi ralentissement, lourdeur ou inefficacité de l'action publique.
La complexification des normes nationales est alors aggravée par l'absence de « culture outre-mer » de l'État, qui, par manque d'intérêt, n'ajuste pas toujours les normes à la taille des territoires ou à leur insularité, lesquelles appellent au contraire de la souplesse et de la précision. Cela m'avait d'ailleurs conduit à faire observer à la ministre Annick Girardin que je préférais les termes de « culture outre-mer » à ceux de « réflexe outre-mer ».
Il faut donc impulser une nouvelle relation entre l'État et les outre-mer et, dans cette optique, la Constitution me semble le véhicule le plus indiqué. Elle est en effet, à la fois, le texte qui reflète notre culture institutionnelle mais aussi celui qui l'insuffle, et il va sans dire qu'elle est le cadre de la protection suprême. Au demeurant, inscrire une obligation d'adaptation dans la Constitution tirerait les conséquences de plusieurs années d'inadaptation et serait une utile révolution. Nul doute donc sur la place des outre-mer dans la Constitution, mais reste la question, épineuse, de l'espace occupé dans la loi fondamentale.
Compte tenu de l'hétérogénéité des organisations institutionnelles et statuts ultramarins, la dichotomie entre l'article 73 et l'article 74 semble de moins en moins justifiée. Elle véhicule de surcroît l'idée d'une frontière entre le paradis et l'enfer, selon que l'on se trouve d'un côté ou de l'autre de la césure.
En outre, la révision de 2003 a représenté une avancée considérable, notamment sur le plan démocratique. Mais elle s'est, en quelque sorte, arrêtée au milieu du gué, en ne permettant pas aux populations d'être consultées sur des aspects plus concrets de l'évolution proposée, institutionnelle ou statutaire. Autrement dit, l'enjeu est désormais de faire sortir le « chat du sac », selon le dicton bien connu. C'est un enjeu démocratique majeur, car les trajectoires des collectivités de l'article 73 révèlent que le cadre actuel porte en lui les germes d'une forme d'inertie, notamment du fait de la méfiance des populations.
Parallèlement, la jurisprudence montre qu'en l'absence de précision, le Conseil constitutionnel fait une interprétation généralement restrictive du silence de la Constitution.
Enfin, l'absence de culture des outre-mer évoquée plus haut commande d'institutionnaliser les règles devant présider aux relations entre l'État et les collectivités.
Je suis conscient qu'il existe une majorité favorable à ce que la Constitution reste un texte le plus court possible, mais tous ces éléments me semblent plaider en faveur de l'inscription de dispositions plus détaillées s'agissant des outre-mer, afin que chacune des collectivités ultramarines puisse y trouver un cadre qui lui convienne.
Du reste, on pourrait penser que je considère que la différenciation, vers l'autonomie, est la vocation naturelle de tous les territoires. Mais je n'oublie pas Mayotte, qui me permet de préciser ici que la différenciation, c'est offrir un statut adapté, fût-il vers le plus d'identité possible, et une relation choisie avec l'État.
À cet égard, dans le droit fil des travaux de la délégation, j'avais placé la refondation de la relation, y compris budgétaire, entre l'État et les collectivités ultramarines, au coeur de la contribution sur les outre-mer que j'ai eu l'honneur, à la demande du président Gérard Larcher, de présenter au groupe de travail du Sénat sur la décentralisation. De fait, le rapport de la délégation sur les normes du bâtiment et des travaux publics appelait clairement à passer à une culture d'État accompagnateur des collectivités ultramarines pour nourrir leurs capacités d'expertise et leur garantir une véritable autonomie, qu'elles puissent mettre au service de leur développement endogène.
Il me semble que c'est cette logique, fondée sur le principe de subsidiarité d'un côté, et la différenciation de l'autre, qu'un nouveau cadre constitutionnel doit accompagner.
Autrement dit, réformer réellement et avec efficience la décentralisation outre-mer passera nécessairement par une évolution de l'État vers davantage de pragmatisme, de confiance dans ses territoires ultramarins et, évidemment, moins de centralisme.
Monsieur le président Artano, je me permets de penser que toutes les conditions sont réunies pour une actualisation des aspirations locales, après le covid et compte tenu des changements de majorités locales. Depuis le rapport sur la différenciation de 2020, je note la présence en toile de fond de la problématique statutaire. Dans la Caraïbe, les congrès des élus ont été ou sont sur le point de se réunir. Savons-nous à quel stade de la réflexion en est Wallis-et-Futuna ? La Polynésie semble vouloir se diriger vers la définition d'une nouvelle citoyenneté.
En conclusion, nous devons de toute urgence nous mettre tous d'accord sur l'écriture définitive du texte à insérer dans la loi fondamentale. Nous devrons ensuite mettre en oeuvre une véritable campagne pédagogique pour expliquer ces dispositions et les défendre auprès de chaque collectivité, des populations, des élus, des organismes représentatifs, ainsi que des parlementaires des deux assemblées, voire du Gouvernement, si nous voulons garantir le résultat et prévenir les incompréhensions. Nous n'avons pas le droit de rater cette occasion.
Avant tout, je tiens à rappeler que les positions que je prendrai n'engagent que moi, d'autant que le ressort de ma juridiction s'étend jusqu'aux territoires du Pacifique.
En 2020, le président Magras m'avait demandé de réfléchir aux différentes évolutions qu'il vient de résumer, et j'avais répondu à son appel avec beaucoup d'enthousiasme. Ces réflexions ont été publiées dans son rapport du 21 septembre 2020, avant d'être présentées sous forme d'amendements défendus par Micheline Jacques et repris par les sénateurs de différents groupes, notamment Victorin Lurel. Il s'agissait de décliner la différenciation territoriale dans la Constitution.
Dans ce cadre, les articles 73 et 74 étaient conservés, du moins dans un premier temps. Ils étaient appelés à s'éteindre à mesure que les collectivités territoriales auraient choisi le nouveau statut de pays d'outre-mer régi par les articles nouveaux 72-5 et 72-6. Le processus d'accession à ce statut spécifique garantissait évidemment l'adhésion des électeurs et l'accord des assemblées locales. Il s'agissait en résumé d'un statut très largement contractualisé, permettant toutes sortes d'adaptations en fonction des volontés locales. L'exercice consistait donc à refondre et à refonder le droit constitutionnel de l'outre-mer.
L'affaire calédonienne nous offre la possibilité de traiter en un même exercice constituant le statut de la Nouvelle-Calédonie et ces propositions, d'autant que la Nouvelle-Calédonie pourrait pleinement s'inscrire dans ce cadre, indépendamment des questions qui lui sont spécifiques.
J'ai été la plume de la révision de 2003. De plus, au sein du Haut Conseil de la Polynésie française et, surtout, au ministère des outre-mer, j'ai eu à écrire un certain nombre de projets de loi organique et à appliquer un certain nombre de textes. Or j'ai pu constater à quel point il pouvait être difficile de mettre en oeuvre des textes lacunaires, imprécis ou contradictoires, en raison de leurs modalités d'application.
Ce constat a déjà été rappelé : le schéma de 1946 est, finalement, toujours en vigueur. En 1958, peu de choses ont changé à cet égard, si ce n'est la création de la Communauté. Ce fut certes un échec politique, mais la Constitution de la Ve République n'en contenait pas moins, à l'origine, le mot « autonomie ». En outre, à l'article 85, figurait une procédure de révision constitutionnelle tout à fait spécifique dont on pourrait s'inspirer aujourd'hui. Au-delà, sur le plan juridique, la Communauté dite « franco-africaine » pourrait à bien des égards inspirer les futures démarches, notamment le statut de la Nouvelle-Calédonie.
On se souvient de l'amendement « Léontieff », dont les dispositions pouvaient partir d'un bon sentiment. Il s'agissait de sanctuariser le statut des territoires d'outre-mer. Mais elles se sont révélées d'une grande complexité. En réalité, elles ont conduit à confier au Conseil constitutionnel et au Conseil d'État le soin de fixer les limites de la réforme.
À l'inverse de la Communauté, si l'accord de Nouméa a été une réussite politique, force est de constater que, juridiquement, l'on est souvent resté dans une forme d'impressionnisme dont il a parfois été difficile de sortir.
Si la révision de 2003 a pu apporter certains progrès et résoudre certains problèmes, elle a été adoptée dans des conditions assez désagréables, en tout cas pour ses auteurs. Le cabinet du Premier ministre était hostile à la réforme. Le secrétariat général du Gouvernement (SGG) de l'époque trouvait tout à fait incongru que l'on mît en oeuvre les engagements du Président de la République et, de son côté, le Conseil d'État a bâclé l'examen de ce texte. Je le soutiendrai le cas échéant devant les membres de la Haute Assemblée. Enfin, la discussion au Parlement a été largement compromise par le rattachement de cette réforme au droit commun national de la décentralisation.
Pour ce qui concerne l'outre-mer, il a fallu naviguer entre l'écueil polynésien - le président de la Polynésie française était, à l'époque, très influent au sein de cette assemblée - et l'écueil réunionnais. On se souvient du psychodrame qui a conduit à la solution que l'on sait, la majorité parlementaire expliquant au Gouvernement que le dispositif conduirait La Réunion à l'indépendance, par l'organisation de référendums à peu près tous les six mois.
Quels que soient ses apports, la révision de 2003 est donc, d'une certaine manière, un contre-exemple pour la refondation du droit constitutionnel de l'outre-mer.
Toutefois, les circonstances politiques présentes sont ce qu'elles sont. Une forme d'arrogance majoritaire structurelle a disparu - je ne vise personne en particulier - et le Parlement est sans doute appelé à redevenir un lieu de discussions plus approfondies qu'auparavant. Or, pour ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie, l'obligation de réussir la révision constitutionnelle nous offre une fenêtre pour donner, une fois pour toutes, un statut à l'outre-mer.
À mon sens, ce statut devrait faire preuve de la plus grande plasticité et introduire dans notre droit divers mécanismes qui, nonobstant les apports du droit comparé, ne sont finalement guère connus aujourd'hui.
La longueur des textes ne saurait être vue comme un obstacle. Comme l'a rappelé le président Magras, moins la Constitution est précise, plus le juge constitutionnel a les mains libres. Je vous invite à relire les commentaires de la décision prise par le Conseil constitutionnel au sujet de la loi organique qui a notamment doté Saint-Barthélemy et Saint-Martin d'un statut d'autonomie. Le Conseil constitutionnel s'est demandé un temps si cette disposition ne devait pas être censurée ! À l'évidence, il est grand temps d'encadrer, sur un certain nombre de points, la capacité d'action et d'interprétation du juge.
L'essentiel, c'est donc moins la longueur du texte que sa précision. D'ailleurs, pour éviter d'alourdir la Constitution, on peut très bien renvoyer à des textes annexés. La loi constitutionnelle de juillet 1998, qui a modifié le statut de la Nouvelle-Calédonie, n'était pas initialement conçue comme insérant un titre XIII dans la Constitution. C'est le Sénat qui a fait voter cette disposition. À l'origine, on envisageait une loi constitutionnelle séparée de la Constitution, qui, à bien des égards, aurait été plus simple à modifier.
J'insiste sur l'exigence de plasticité, de précision et de souplesse qui doit peser sur le Constituant. Compte tenu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, je pense en particulier aux procédures spécifiques.
Rapports entre les institutions nationales et les organes territoriaux, ratification, approbation, improbation, veto, dévolution progressive des compétences sur appel des collectivités territoriales, saisine du Conseil constitutionnel, contractualisation de l'exercice du pouvoir normatif : si elles ne sont pas explicitement prévues, toutes les procédures qui dérogent à l'article 34 ou échappent aux compétences du Conseil constitutionnel seront vouées à la censure. Il en va de même des pouvoirs qui pourraient être conférés aux électeurs, par exemple pour se saisir eux-mêmes de certains textes. L'effort de précision n'en est que plus important pour ce qui concerne le texte constitutionnel, quels que soient les choix opérés sur le fond, notamment les limites retenues pour le transfert de compétences.
Au-delà des questions purement formelles, il faudra réfléchir à ressusciter l'ancien article 85. Pour ces textes constitutionnels ultramarins, ne devrait-on pas disposer d'une procédure de révision moins solennelle que celle de l'article 89 ? On pourrait par exemple prévoir une adoption par les assemblées aux trois cinquièmes et une confirmation ou une ratification par les assemblées locales.
Naturellement, il faut aussi s'inspirer du droit comparé. Les Pays-Bas, l'Espagne, le Portugal et l'Italie peuvent utilement inspirer notre réflexion. On ne saurait rejeter certaines évolutions a priori au motif qu'elles n'appartiennent pas à nos traditions juridiques. Ces dernières peuvent devenir impuissantes, à l'instar des idoles dévaluées, qui finissent par faire fuir les fidèles des temples.
Enfin, j'insiste sur les garanties démocratiques dont une telle réforme doit être assortie. Pour éviter de répéter le précédent réunionnais de 2003 et, plus largement, de compromettre la paix civile, il faut soumettre aux électeurs un certain nombre de décisions fondamentales. À ce titre, on pourrait s'inspirer de l'exemple suisse. Soit l'on impose une décision aux électeurs, pour les orientations fondamentales d'un statut, soit on leur permet de se saisir de certaines évolutions.
En résumé, il faut faire preuve d'imagination et les textes doivent présenter une certaine longueur. La constitutionnalisation est du reste une tendance assez répandue dans les démocraties contemporaines. Qu'est-ce que constitutionnaliser ? C'est simplement mettre un certain nombre de règles à l'abri des caprices du législateur ordinaire, donc de la majorité du moment, en imposant des procédures de révision plus lourdes.
Il faut s'efforcer de réfléchir sereinement et de manière assez consensuelle à ces évolutions. Le Sénat est particulièrement bien placé pour contribuer à cet effort.
Ne nous voilons pas la face : il est urgent d'agir, non seulement en Nouvelle-Calédonie, mais dans tous les outre-mer.
En tant que praticien du droit, j'observe l'état de la société dans chacune des collectivités d'outre-mer au sens large. Mes échanges avec les différents bâtonniers d'outre-mer me permettent notamment d'évaluer, de manière pragmatique, la confiance dans les institutions.
Quelle que soit la virtuosité des systèmes juridiques, le droit n'a de pertinence que s'il répond aux doléances et aux appétences des corps sociétaux auxquels il doit s'appliquer. Pour les populations ultramarines, le statut n'est pas la question principale : ce n'est qu'un outil permettant de répondre à un certain nombre de revendications, qui sont par ailleurs exprimées devant les élus.
Le Conseil national des barreaux (CNB) a cherché à mesurer le sentiment de confiance en outre-mer pour la première fois en 2021, en particulier à l'égard de l'institution judiciaire. Le sondage confié au cabinet Odoxa révèle ainsi que plus de 58 % des ultramarins jugent qu'il est difficile de faire valoir leurs droits. Le chiffre atteint même 80 % dans certains territoires.
En 2017, le taux de pauvreté en France s'élevait, en moyenne, à 14 %. Mais, outre-mer, il est trois à huit fois supérieur. L'indicateur d'inégalités était de 0,29 dans l'Hexagone et de 0,39 à Mayotte par exemple. À l'évidence, il existe une distorsion entre la réalité vue par le prisme républicain et la réalité vécue outre-mer. Il s'agit même d'une discordance totale, qui crée une crise de confiance majeure. Les résultats des dernières élections en témoignent.
Un facteur aggravant s'est ajouté au cours des vingt-quatre derniers mois, à savoir la crise sanitaire liée à la gestion du covid. Les restrictions infligées à la liberté de circulation ont été très mal vécues outre-mer. Elles ont aggravé ainsi la radicalité latente dans laquelle ces territoires ont basculé depuis au moins cinq ans, faute d'avoir apporté des réponses idoines à des problématiques récurrentes qui se sont aggravées.
À mon sens, la différence entre les articles 73 et 74 est bel et bien artificielle. Toutes les spécificités des collectivités relevant de l'article 73 ne sont pas révélées constitutionnellement, mais elles n'en sont pas moins réelles, notamment en matière pénale où il existe certaines règles particulières et dérogatoires.
Personnellement, je suis un farouche partisan de la révision de ces deux articles. Dans l'inconscient collectif, l'article 73 est vécu comme un bienfait égalitaire hérité de la départementalisation de 1946, alors que c'est totalement faux. Quant à l'article 74, beaucoup de populations d'outre-mer l'assimilent à l'aventure de l'autonomie, ce qui est également faux, ne serait-ce que parce que l'autonomie juridique et institutionnelle au sens où nous l'entendons n'est pas l'indépendance.
À ce titre, nous devons corriger une erreur conceptuelle.
L'article 73 mentionne des « caractéristiques et contraintes particulières ». Peut-on conserver ces termes, tels que le Conseil constitutionnel les a interprétés dans sa décision, par ailleurs très malheureuse, du 2 décembre 1982, alors qu'outre-mer les bassins de vie et les modèles sociétaux sont radicalement différents de ceux de l'Hexagone ?
L'article 74 repose quant à lui sur la notion d'intérêts propres, qui me paraît beaucoup plus prégnante outre-mer et conforme aux réalités ultramarines. Je pense singulièrement aux cinq DROM.
Un nouvel article unique de la Constitution pour l'outre-mer prenant en compte la notion d'intérêts propre de chaque collectivité ultramarine, avec une nouvelle loi organique instaurant ainsi une différenciation outre-mer, territoire par territoire, seraient une solution de bon sens. C'est précisément ce que préconisait le président Magras. J'ajoute que ce serait une réponse à la crise de confiance qui s'est s'aggravée aujourd'hui.
En moyenne, dans les cinq DROM, l'abstention atteint des niveaux vertigineux. J'y vois la marque du déficit explicatif dont souffre l'environnement institutionnel.
Un reproche peut être souvent fait aux élus de se parler à eux-mêmes. Il faut relier cette réforme institutionnelle aux difficultés du quotidien, comme la sécurité ou l'énergie : il s'agit là de problèmes basiques, comme l'accès à l'électricité ou à l'eau potable dont les populations de certaines collectivités d'outre-mer sont privées. C'est le seul moyen de convaincre les populations locales. On ne peut pas se contenter d'une simple consultation au sens de l'actuel article 72-4 selon moi. Il faut aller beaucoup plus loin dans l'explication et le détail, ce d'autant plus face à la crise actuelle de confiance et à l'heure où un changement de génération vient bousculer la classe politique.
Je sais que le Sénat s'est saisi de cette question. Michel Magras le soulignait déjà dans son rapport, il y va de la confiance dans la République.
André Gide écrivait : « Il est bien des choses qui ne paraissent impossibles que tant qu'on ne les a pas tentées. » Aujourd'hui, nous sommes face à ce défi : changer de paradigme ultramarin est une nécessité impérieuse.
Puisque vous citez André Gide, j'évoquerai Si le grain ne meurt : le grain doit tomber au sol pour donner une nouvelle récolte. En d'autres termes, il faut déconstruire pour mieux reconstruire.
Notre collègue Thani Mohamed Soilihi me prie de bien vouloir poser sa question à Véronique Bertile.
Mayotte, quoique dénommé département, est en réalité un DROM, puisque la question référendaire à laquelle les Mahorais avaient répondu oui à plus de 95 % en 2009 était : « Approuvez-vous la transformation de Mayotte en une collectivité unique appelée «département», régie par l'article 73 de la Constitution, exerçant les compétences dévolues aux départements et aux régions d'outre-mer ? ».
Mayotte est en effet une collectivité unique, comme la Guyane et la Martinique, avec une seule assemblée, qui est l'organe délibérant, et un président du conseil départemental, qui exerce à la fois les compétences de la région et du département.
La question est exacte, la réponse l'est aussi, mais cette réalité demeure pour le moins curieuse.
Michel Magras le souligne avec raison, le contexte nous pousse à nous interroger de nouveau sur son rapport de 2020. C'est précisément pourquoi la Délégation sénatoriale aux outre-mer va le réactualiser. J'aurai le plaisir de mener ce travail de concert avec Micheline Jacques.
De plus, dès le mois de juillet prochain, nous allons vraisemblablement saisir l'ensemble des exécutifs ultramarins pour qu'ils puissent commencer à préparer les travaux qui débuteront courant octobre. Les outre-mer doivent se préparer à la révision constitutionnelle annoncée par le Président de la République, que nous appelons de nos voeux. A minima, des pistes de réflexions devront être mises à disposition des parlementaires.
Les exécutifs locaux ont changé outre-mer depuis les dernières élections. Il faudra bien entendu en tenir compte.
Je me souviendrai toujours de ce que m'avait dit une ministre venue visiter mon territoire : « On agite le statut quand on n'a rien d'autre à agiter. » Mais le statut ne doit pas rester cantonné aux débats de techniciens. Le véritable enjeu, c'est qu'il réponde aux besoins de la population.
De plus, il faut tenir compte à la fois du statut, de la pratique qu'en font les élus et de la pratique que tolère l'État. Quels qu'ils soient, les acteurs chargés de le mettre en oeuvre ont donc, eux aussi, une part de responsabilité.
Soyons honnêtes : les articles 73 et 74 n'apportent aucune valeur ajoutée, quand on voit par exemple la richesse des statuts des trois COM, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy et Saint-Martin. En ce sens - j'y insiste -, le processus mis en oeuvre devra apporter des réponses concrètes aux acteurs chargés de mettre le statut en application. Je pense à des sujets très concrets, comme les normes en vigueur dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, qui, aujourd'hui, posent de grandes difficultés dans tous les territoires ultramarins. Comme l'a relevé Stéphane Diémert, ces aspects n'exigent pas nécessairement une réforme constitutionnelle.
Pas plus tard qu'hier, notre délégation a reçu la nouvelle délégation à l'outre-mer de l'AMF, qui vient de se constituer. Nos collègues maires sont évidemment en pointe sur tous les sujets qui les concernent. Leur message est clair : ils demandent plus d'action, une meilleure mise en oeuvre et une volonté d'agir concrètement pour leurs administrés. Ils devront être associés à ces évolutions au même titre que les populations, dans le cadre d'une véritable concertation.
À titre personnel, je me réjouis de l'état d'esprit ouvert et progressiste qui anime la délégation confiée à votre présidence. Patrick Lingibé insiste avec raison sur la crise de confiance que traversent aujourd'hui les outre-mer. Les résultats des dernières élections le prouvent une fois de plus, en particulier les résultats obtenus par un certain parti. Mais ce sentiment de défiance est aussi à la hauteur des attentes des populations d'outre-mer, qui s'adressent tant aux responsables politiques qu'à l'État.
Il ne faut pas se focaliser sur le seul aspect constitutionnel. La loi organique et la mise en oeuvre administrative ont elles aussi toute leur importance.
Si, demain, de larges pouvoirs sont confiés aux pouvoirs locaux, il faudra se pencher sur le rôle du ministère des outre-mer et sur d'éventuelles missions de contrôle confiées aux délégations parlementaires aux outre-mer. Toute l'architecture institutionnelle devra suivre la réforme de la Constitution. Ainsi, l'alinéa 3 de l'article 73 semble ménager d'assez grandes capacités d'adaptation des normes aux collectivités d'outre-mer, mais la loi organique l'assortit de contrôles tellement stricts que sa mise en oeuvre s'est révélée très difficile. Il faut dès maintenant préparer l'après.
Certes, mais la révision constitutionnelle reste la mère des réformes et nous sommes tenus par la question calédonienne.
On peut très bien inscrire dans la Constitution un certain nombre de possibilités d'évolution sans les mettre en oeuvre immédiatement. Je pense par exemple au statut de Wallis-et-Futuna, qui est censé être une COM depuis 2003 et dont la loi statutaire de 1961 n'a toujours pas été modifiée. Face à un tel constat, on peut d'ailleurs rester assez optimiste quant à la caducité des dispositions constitutionnelles ou de l'accord de Nouméa...
Il ne faudrait pas que telle ou telle réflexion ralentisse le train constitutionnel. Au contraire, il faut se montrer audacieux : le texte constitutionnel doit permettre toutes les évolutions politiques. Ensuite, les lois organiques qui déclineront la révision devront tenir compte des différentes contraintes relevées.
Le Parlement peut effectivement jouer un rôle dans le contrôle juridique des actes pris par les collectivités territoriales. Dans les modèles britannique et américain, ce sont les commissions parlementaires qui exercent le contrôle de légalité sur les actes des collectivités territoriales, certainement pas les préfets, et pour cause : dans ces systèmes, ils n'existent pas.
On peut donc bel et bien envisager un rôle accru du Parlement pour contrôler le respect de la norme fondamentale. Mais, selon moi, mieux vaut agir d'abord et réfléchir ensuite, car le texte constitutionnel doit être aussi plastique et évolutif que possible.
L'essentiel, c'est effectivement le développement économique et social. En ce sens, les réformes institutionnelles doivent sans doute passer par l'acclimatation des normes et par un droit différencié. Mais, il faut également prévenir le risque d'une trop grande différenciation entre le droit local et le droit de la métropole. C'était tout le sens de l'amendement Virapoullé, lors de la révision de 2003. Il fallait, en particulier, préserver les garanties des investisseurs à La Réunion, en évitant de créer un « risque pays ».
La distinction entre les articles 73 et 74 est certes d'origine historique, mais il faut aller au-delà. L'esprit de l'article 73, c'est l'assimilation. C'est la réforme que la gauche a voulue en 1946 en vue de l'égalité économique et sociale.
Enfin, je tiens à mentionner un enjeu important, qui n'a pas encore été soulevé : il s'agit du droit européen. Dès lors que l'on est département ou région d'outre-mer, on est nécessairement région ultrapériphérique.
Ce n'est pas le cas de Saint-Martin !
Je parle des collectivités de l'article 73. L'article 74, quant à lui, permet effectivement les figures libres et donc le statut de RUP ou de TOM : issues, l'une et l'autre, du département de la Guadeloupe en article 73 et donc RUP, Saint-Martin de l'article 74 est une RUP et Saint-Barthélemy du même article 74 est, à présent, un PTOM. D'ailleurs, par souci de cohérence, mieux vaudrait peut-être placer Saint-Martin sous l'article 73.
La structure de la Constitution obéit donc à la logique suivante : le principe d'uniformité à l'article 73 et le principe de diversité à l'article 74. Faut-il revenir sur ce point ? Pourquoi pas, dès lors que prévaut en droit la logique d'une République unitaire.
Je ne reviendrai pas sur l'amendement Virapoullé. Mais, comme j'ai déjà eu l'occasion de le rappeler, on juge une réforme à ses fruits. Par exemple, aujourd'hui, à La Réunion, le taux de chômage est au moins deux fois plus élevé que dans l'Hexagone.
Le congrès des élus départementaux et régionaux n'a jamais existé à La Réunion. En revanche, il existe toujours en Guadeloupe. Dans le cadre de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS), nous avons modifié son nom : il s'agit désormais du congrès des élus départementaux et régionaux et des maires. Auparavant, les maires assistaient au congrès sans pouvoir voter alors qu'ils sont au plus près du terrain. Or le peuple a le sentiment que de telles réunions sont l'apanage de spécialistes.
Il est grand temps de renverser la logique en adaptant les institutions aux réalités des territoires. C'est ainsi que l'on retrouvera l'esprit de la révision de 2003. Voilà pourquoi il faut sortir du champ des articles 73 et 74, dont les termes, en donnant lieu à divers amalgames, nous ont fait tant de mal en 2003. En fonction des projets et du développement des territoires, chacun doit pouvoir puiser dans cette boîte à outils que sera le futur article de la Constitution. Dans l'esprit des citoyens, l'on en finira ainsi avec ce sentiment de compétition entre les articles 73 et 74.
À l'heure actuelle, il faut systématiquement demander aux préfets ou aux ministères le droit de déroger à des règles établies sans tenir compte des évolutions économiques et sociales. Il faut changer de paradigme, inventer une nouvelle méthode pour aller au plus près des citoyens. Tôt ou tard, ces derniers seront appelés à trancher et, à force de démagogie, la minorité peut finir par l'emporter.
L'évolution des congrès des élus traduit bel et bien ce changement de paradigme.
Le projet proposé par Stéphane Diémert permettrait aux outre-mer de disposer d'une telle boîte à outils, pour avancer à la carte en traitant de problèmes tout à fait concrets. La nouvelle méthode de travail doit partir de la base, des problématiques de terrain. À cet égard, la plasticité me semble un enjeu capital.
Je m'interroge sur une problématique à laquelle aucune révision constitutionnelle ne me semble à même de répondre : dans les administrations centrales parisiennes, la méconnaissance des réalités des outre-mer me paraît de plus en plus profonde. Or, ce qui est en jeu, c'est la capacité du pouvoir normatif à garantir la plasticité qui s'impose.
Il suffit de voir comment fonctionnent, dans les différents ministères, les services chargés de rédiger les décrets. Ils ignorent qu'aujourd'hui les collectivités d'outre-mer disposent toutes d'un statut spécifique. Bon gré, mal gré, ils s'en tiennent aux bonnes vieilles catégories des articles 73 et 74, voire aux DOM-TOM.
Parallèlement, il faut assurer une profonde déconcentration du pouvoir réglementaire dans chacun des territoires, ce qui impliquera probablement de renforcer le contrôle de l'exercice de ce pouvoir.
On ne pourra pas obtenir d'évolution substantielle sans modifier conceptuellement l'organisation, l'élaboration et la construction de la norme. Je pense par exemple à l'adaptation du code rural et de la pêche maritime aux réalités des collectivités d'outre-mer. Dans de précédences fonctions, j'avais été chargé de ce travail. Mené individuellement avec chacune de ces collectivités, l'exercice était inédit et, sauf erreur de ma part, il n'a pas été répété.
La solution est simple : il faut reconstruire le ministère de l'outre-mer, qui a été quasiment liquidé en 2009. Je rappelle que la place Beauvau a fait sa révision générale des politiques publiques (RGPP) sur les seuls effectifs de la rue Oudinot, qui ont alors subi soixante suppressions d'emplois. Or ces services n'étaient déjà plus qu'une administration de conception. Ils ne géraient plus grand-chose.
Il faut donc commencer par restituer ses effectifs au ministère de l'outre-mer en y ajoutant un certain nombre de juristes spécialisés. De leur côté, les ministères thématiques doivent, soit admettre que la rue Oudinot a raison pour ce qui concerne l'outre-mer, soit se plier à la réalité constitutionnelle. Mais, à ma connaissance, rien n'a été fait en ce sens depuis 2009.
La rue Oudinot dispose de fonctionnaires de haute qualité, qui travaillent beaucoup. Mais, de fait, leurs effectifs ont été réduits à la portion congrue.
Si, comme je le crois, la réforme constitutionnelle a lieu, elle ne va pas nous attendre. Aussi, chaque territoire devra être prêt. En ce sens, chaque territoire exigera une véritable campagne pédagogique.
Il faut préparer les populations locales aux consultations en répétant sans relâche ce que l'on a à dire. De leur côté, ceux qui s'opposent aux réformes n'ont qu'à agiter le drapeau de la peur, en faisant croire à leurs concitoyens qu'ils vont perdre leurs droits acquis, ce qui est bien sûr complètement faux. Nous l'avons démontré à Saint-Barthélemy. Si l'amendement présenté par Micheline Jacques a échoué, c'est parce que, dans certains territoires, certaines personnes ont cru à tort leur avenir menacé.
La relation avec l'Union européenne, qui vient dans un second temps, est un défi particulièrement intéressant, mais les populations ont tendance à confondre le statut de collectivité dans la République française et dans l'Union européenne. Or l'on peut parfaitement conjuguer le statut de pays et territoire d'outre-mer (PTOM), celui de région ultrapériphérique (RUP) et celui de collectivité de l'article 74. C'est le cas de Saint-Barthélemy.
Le statut de PTOM correspond aux réalités locales. Il correspond à la position de Saint-Barthélemy dans son environnement géographique, géostratégique et géopolitique. Pour garantir nos recettes, nous n'avions d'ailleurs pas d'autre choix. J'ajoute que ce statut ne nous a rien fait perdre, et pour cause, on en fait ce que l'on veut. L'essentiel, c'est que les dirigeants de la collectivité et la population elle-même sachent ce qu'ils veulent faire de leur territoire.
Il s'agit là d'un travail urgent. Bien sûr, le Parlement devra assurer ses fonctions de contrôle et je souhaite de tout coeur qu'il retrouve son véritable rôle dans les années qui viennent.
Cela étant, la Délégation sénatoriale aux outre-mer a toujours considéré que son rôle était d'informer, d'étudier les problèmes et de les préciser avant de mettre ses propositions sur la table. C'est ensuite aux sénateurs, et surtout aux commissions, de s'en saisir pour les traduire dans la loi. Accaparés par l'examen des amendements et des propositions de loi des uns et des autres, nous n'aurions plus été en mesure de faire avancer les sujets de fond.
En revanche, sénateurs et députés ont un rôle fondamental à jouer pour convaincre leurs collègues et le Gouvernement, quel qu'il soit, de la nécessité, de l'urgence et surtout du bien-fondé des choix ultramarins. Si l'on ne prend pas ces données en considération, on ne pourra pas relever les défis qui attendent les outre-mer. C'est le seul moyen de convaincre les populations comme les décideurs que vous êtes.
Au sujet des normes du BTP, j'appelle votre attention sur le récent rapport que notre délégation a consacré à la question du logement. En la matière, les surcoûts atteignent des montants considérables outre-mer. Avec la crise en Ukraine comme avec le plan énergie-climat, le travail d'adaptation des normes est plus urgent que jamais pour que les professionnels puissent travailler. Je n'oublie pas non plus la question du risque assurantiel dans nos différents territoires.
La fiscalité et les finances des collectivités ont été succinctement évoquées. L'octroi de mer mérite d'être pris en compte à ce titre.
L'ancien Défenseur des droits, Jacques Toubon, avait pointé du doigt de grandes disparités dans l'accès aux droits, que la crise actuelle aggrave encore. À cet égard, j'approuve tout à fait les propos de Me Lingibé et l'appel à la pédagogie lancé par le président Magras. Aujourd'hui plus que jamais, de nombreux professionnels sont mis en difficulté, notamment par la dématérialisation. Il faut adapter les procédures et nombre de dispositifs de droit commun. Il est urgent que les parlementaires et les experts qui les accompagnent travaillent de concert pour approfondir la connaissance de ces questions et faire évoluer le droit afférent. Dans ce domaine comme dans les autres, les collectivités doivent pouvoir faire leurs propres choix.
Je tiens à saluer la grande qualité de vos différentes interventions. Cet après-midi s'est révélé extrêmement enrichissant, même à distance.
Stéphane Diémert soulignait que la réforme constitutionnelle était la mère de toutes les réformes, et sur ce sujet je le rejoins. Qu'il s'agisse du statut de la Nouvelle-Calédonie ou des articles 73 et 74, nous disposons d'une fenêtre de tir que les outre-mer ne doivent pas manquer, car elle n'aura pas d'équivalent avant plusieurs années.
Comme l'indique Michel Magras, il sera de notre responsabilité de sensibiliser les acteurs politiques et économiques quant aux possibilités offertes par ces boîtes à outils constitutionnelles que sont les lois organiques déclinant les différents statuts.
Les débats des prochains mois seront riches, à n'en pas douter. Dans un contexte inédit depuis le début de la Ve République, marqué par de nouveaux équilibres, le Sénat reprendra certainement une place prépondérante dans nos institutions démocratiques. Je forme le voeu que nous puissions travailler pleinement dans l'intérêt de nos populations et notamment de nos outre-mer.