Merci pour cette audition. Je précise à chacun que Sandrine Duchêne m'a parue avoir au moins deux qualités essentielles pour ce poste : la technicité, c'est très important pour une telle institution, il y a des prérequis pour comprendre ce dont on parle ; et un parcours diversifié, en particulier son poste actuel, plus économique, où elle a pu mesurer les conséquences des décisions publiques. Je pense - et j'espère - qu'avec elle, nos très bonnes relations de travail avec le HCFP pourront se poursuivre.
La réunion est close à 9 h 20.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 9 h 40.
Nous en venons à notre audition destinée à faire le point sur les mesures budgétaires et fiscales mises en oeuvre pour répondre à la hausse des prix de l'énergie.
Après la crise sanitaire et ses répercussions sur l'économie, les ménages et les entreprises ont en effet dû affronter un nouveau péril, celui de la crise des prix de l'énergie. Dans la foulée de la flambée des prix du gaz, et en raison des modalités de formation des prix sur le marché européen, les prix de l'électricité se sont envolés pour atteindre des niveaux sans précédent. En France, cette situation a été aggravée par des productions d'électricité nucléaire et hydraulique historiquement faibles. Ainsi, et pour la première fois depuis quatre décennies, sur le marché européen de l'énergie, la France a été importatrice nette d'électricité en 2022.
Face à cette situation, l'État ne pouvait rester sans réaction et, une nouvelle forme de « quoi qu'il en coûte », non plus sanitaire mais cette fois-ci énergétique, a été déployée à travers une série de mesures budgétaires, dont les premières ont été votées dès la fin de l'année 2021 : boucliers tarifaires 2022 puis 2023 sur les prix du gaz et de l'électricité, « amortisseur » et même désormais « sur-amortisseur » relatifs aux contrats de fourniture d'électricité des TPE/PME, remise puis indemnité carburant, chèques énergies exceptionnels, chèques fioul domestique, chauffage au bois, etc.
Le coût total de ces mesures se chiffre en dizaines de milliards d'euros. Pour 2023, le coût des boucliers tarifaires à eux seuls a été évalué à environ 50 milliards d'euros en fin d'année dernière.
La taxation des « superprofits » a également suscité de nombreux débats. Si les mesures votées en loi de finances pour 2023 ne vont pas aussi loin que ce que certains d'entre nous auraient souhaité, cette année doit cependant voir se déployer deux contributions temporaires destinées à capter les bénéfices exceptionnels engrangés, du fait d'effets d'aubaine liés à la crise, par certains acteurs du secteur énergétique.
La contribution sur la rente inframarginale d'électricité (CRI) ainsi que la contribution temporaire de solidarité (CTS), parfois appelée « taxe Total », sont ainsi les déclinaisons nationales des dispositifs fiscaux européens prévus par un règlement d'octobre 2022.
Au regard des enjeux, avec le Rapporteur général et au nom de la commission des finances, nous avons souhaité conduire un suivi et un contrôle détaillé de la mise en oeuvre de ces mesures fiscales et budgétaires. Les ministères économiques et financiers nous ont promis un compte-rendu mensuel sur ces dispositifs. Nous sommes toujours dans l'attente de ces éléments.
Dans l'immédiat et pour répondre à nos interrogations, je remercie vivement Messieurs Matthieu Deconinck, sous-directeur chargé de la fiscalité des transactions, de la fiscalité énergétique et environnementale à la direction de la législation fiscale (DLF) et Timothée Furois, sous-directeur des marchés de l'énergie de la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) de s'être rendus disponibles pour cette audition.
Sans plus attendre, je vous cède la parole, Monsieur Timothée Furois, pour que vous puissiez nous présenter les dernières évolutions et perspectives relatives aux prix de l'énergie ainsi qu'un premier bilan et une actualisation des coûts des mesures budgétaires mises en oeuvre pour soutenir les ménages et les entreprises. Certains dispositifs ont en effet été récemment renforcés pour mieux protéger les TPE grosses consommatrices d'électricité, en particulier dans le secteur de la boulangerie.
À partir de l'été 2021, les prix du gaz ont commencé à augmenter, entraînant une hausse des prix de l'électricité, ce qui a conduit le Gouvernement à prendre plusieurs mesures exceptionnelles. Un chèque énergie exceptionnel a été mis en place en septembre 2021. Mais la hausse des prix s'est accentuée au fil des mois, en raison notamment de la guerre en Ukraine.
Plusieurs mesures successives ont été prises. En novembre 2021, le gel des tarifs réglementés d'Engie a été décidé par décret. Le projet de loi de finances 2022 a instauré un bouclier tarifaire sur l'électricité et le gaz : le gel des tarifs réglementés d'Engie à leur niveau d'octobre 2021 a été inscrit dans la loi. Ce mécanisme est toujours en place aujourd'hui : une compensation est versée aux fournisseurs qui est égale à l'écart entre le niveau du tarif réglementé qui aurait été atteint sans gel tarifaire, en fonction de l'évolution du prix du gaz sur les marchés, et le niveau du tarif gelé. Ce dispositif est en place depuis novembre 2021 pour le gaz et le 1er février 2022 pour l'électricité.
Ces dispositifs ont évolué. Pour le gaz, les seules offres éligibles à l'origine étaient les offres indexées sur les tarifs réglementés de vente (TRV), car on pensait qu'après un pic pendant l'hiver, les prix allaient baisser ensuite, mais la guerre en Ukraine a changé la donne et les prix ne sont pas redescendus. Le dispositif a alors été prolongé et élargi aux offres à prix fixe.
Ainsi, pour le gaz, le bouclier tarifaire a été prolongé par la loi de finances rectificative pour 2022 et par la loi de finances pour 2023 jusqu'au 30 juin 2023. Au second semestre, le mécanisme ne reposera plus sur les tarifs réglementés de vente du gaz, qui vont disparaître, mais sur une autre référence d'approvisionnement, sur laquelle la Commission de régulation de l'énergie (CRE) s'est prononcée au début de l'année. Le principe restera le même et repose aussi sur une compensation versée aux fournisseurs entre le prix théorique du marché et un prix bloqué. La différence est que le nouveau dispositif est un plafond, les fournisseurs ayant obligation de répercuter l'aide si le prix de marché dépasse le prix bloqué de référence.
Les prix du gaz et de l'électricité qui ont atteint un sommet à l'été 2022 ont baissé, si bien que le niveau du tarif réglementé du gaz non gelé se rapproche du niveau du tarif réglementé gelé. Les dépenses pour le gaz s'avèrent finalement plus faibles qu'escompté à l'automne, lorsque le projet de loi de finances a été adopté.
Des dispositifs similaires ont été mis en place pour l'électricité. Un bouclier tarifaire a été conçu dès l'origine pour couvrir toutes les offres de marché pour les clients éligibles aux TRV : les particuliers, les entreprises qui emploient moins de 10 personnes avec un chiffre d'affaires inférieur à 2 millions d'euros, les collectivités, etc. Il consiste, comme pour le gaz, en une compensation entre le tarif réglementé non gelé et le prix du tarif réglementé gelé, dont la hausse a été bloquée à 4 % à partir du 1er février 2022 et à 15 % en 2023.
Les ménages vivant en habitat collectif n'ont pas toujours de contrat direct avec un fournisseur de gaz ou d'électricité, celui-ci étant souscrit par la copropriété ou le bailleur. Leur facture d'énergie est incluse dans leurs charges ; ils n'étaient donc pas éligibles directement au bouclier tarifaire. Il a été donc mis en place des boucliers tarifaires pour l'habitat collectif pour le gaz et l'électricité au profit des opérateurs qui doivent répercuter les aides en baissant les charges des résidents. Ces dispositifs collectifs ont pour particularité, à la différence de ceux institués en loi de finances qui ont un effet direct sur la facture d'énergie des ménages, d'être des aides ex-post, gérées par l'agence de services et de paiement (ASP) : l'aide est versée pour le semestre écoulé sur demande des fournisseurs. Ces derniers font les démarches, répercutent les aides sur la facture des bailleurs ou des copropriétés, qui les déduisent ensuite des charges payées par les ménages.
Outre les différents boucliers tarifaires, plusieurs chèques énergie exceptionnels ont été mis en place : un en 2021, puis plusieurs en 2022 : un chèque énergie exceptionnel pour 12 millions de ménages en 2022, un chèque pour les ménages qui se chauffent au bois, un autre pour ceux qui se chauffent au fioul.
Pour les entreprises, un amortisseur électricité a été prévu par l'article 181 de la loi de finances pour 2023. Il consiste en une réduction de prix pour certains clients professionnels : les PME, les TPE, les structures de taille équivalente à celle des TPE, les structures dont les recettes sont majoritairement publiques, et les collectivités locales. L'État prend en charge, pour 50 % des volumes d'électricité consommée, l'écart entre le prix de l'énergie du contrat et le tarif de 180 euros par mégawattheure ; pour les TPE, le prix moyen de l'électricité est ainsi plafonné à 230 euros par mégawattheure hors tarif d'utilisation du réseau public d'électricité Turpe et hors taxe, ce qui fait l'équivalent d'un prix maximum de 280 euros par mégawattheure dont on entend communément parler. Ce dispositif sera valable durant toute l'année 2023. Les clients doivent se signaler, en attestant qu'ils appartiennent à l'une des catégories éligibles, auprès de leurs fournisseurs, qui appliquent alors la réduction directement sur leur facture. Le nombre d'attestations collectées est supérieur à 850 000 et les fournisseurs ont déjà commencé à répercuter les baisses sur les factures.
Avez-vous des données budgétaires ? Ces dispositifs coûtent-ils plus ou moins cher que prévu ? Nous n'avons pas eu la chance de bénéficier d'estimations officielles de la part du Gouvernement et je pense que notre rapporteur général et notre rapporteur spécial souhaiteront en savoir un petit peu plus.
En attendant, je cède la parole à M. Deconinck, pour qu'il nous renseigne sur les dispositifs fiscaux, la contribution sur la rente inframarginale de production d'électricité (CRI) et la contribution temporaire de solidarité (CTS), votés en loi de finances pour 2023 dans le contexte du règlement européen d'octobre 2022 et de la crise des prix de l'énergie.
La fiscalité a fait partie des outils utilisés pour gérer la crise de l'énergie.
Les taux de l'accise sur l'électricité ont ainsi été baissés à leur niveau minimal possible, tant pour les particuliers, que pour les professionnels et une grande partie de l'industrie.
Deux dispositifs ont été pris en application du règlement européen adopté dans l'urgence en octobre 2022.
Le premier est la contribution de solidarité sur les opérateurs pétroliers. Mais les raffineries situées en France ont enregistré des pertes les années précédentes et le rendement du dispositif est donc faible, d'autant plus que Total réalise la majeure partie de ses bénéfices en dehors de France.
Le second dispositif, plus massif, est un dispositif de régulation des revenus tirés de la vente d'électricité, que nous avons transcrit en un dispositif fiscal, la CRI, qui consiste en un plafonnement des recettes issues du marché à 180 euros par mégawattheure pour les producteurs d'électricité ; les règles européennes interdisaient de plafonner les prix, mais le règlement d'octobre 2022 autorisait un plafonnement des revenus perçus au-delà de ce seuil.
Le dispositif français a été plus étendu et plus fort que celui prévu au niveau européen : il s'applique non pas sur une période de 7 mois, de décembre 2022 à l'été 2023, mais sur une période plus longue de 18 mois, à partir de juillet 2022, pour répondre au problème de la résiliation en masse de contrats d'achat d'électricité, phénomène sur lequel la Commission de régulation de l'énergie (CRE) avait alerté le Gouvernement et qui avait des conséquences sur les finances publiques.
Le droit européen prévoyait un seuil uniforme de 180 euros par mégawattheure. Nous avons retenu des seuils inférieurs, différenciés en fonction des technologies, autour de 100 euros par mégawattheure en moyenne. Nous avons aussi choisi de taxer les énergies fossiles, car, en France, le prix de l'électricité fabriquée à partir du gaz fait l'objet d'une certaine décorrélation par rapport au coût du gaz, comme l'a montré la CRE. Or, en raison d'effets de marché et de la baisse de la production du parc nucléaire, on a observé des effets de rente inframarginale pour les producteurs d'électricité à partir de gaz naturel. C'est pourquoi ces producteurs ont été inclus dans le champ de la contribution.
Nous attendions des éléments chiffrés. Nous avons été surpris des chiffrages fournis par le Gouvernement sur certains de nos amendements et sous-amendements relatifs à la CRI lors de l'examen du projet de loi de finances. J'espère que vous pourrez nous transmettre des chiffres sur les recettes escomptées. Nous aimerions aussi connaître le nombre d'installations qui sont sorties du dispositif d'obligation d'achat d'électricité avant la fin de leur contrat ? Ce mouvement s'est-il accéléré au moment de la mise en place de la CRI ?
Lors des discussions du projet de loi de finances, nous avions signalé des lacunes dans le dispositif, concernant par exemple les habitats collectifs, les boulangers, etc. Avez-vous connaissance d'autres secteurs qui auraient été oubliés ? Quels mécanismes correctifs seraient possibles ?
Les dispositifs d'aide sont-ils bien connus des bénéficiaires ? Le taux de recours au chèque énergie, pourtant ancien, est de 87 % les meilleures années. Les chèques se sont multipliés : pour le chauffage au bois, au fioul, etc. Quel est le taux de recours à ces chèques ?
Les consommateurs n'ont plus intérêt à avoir un tarif « vertueux » de l'électricité, avec des prix différents en fonction des heures pleines et des heures creuses, puisque ceux qui ont ce type de contrats ont subi en 2022 une hausse des prix de 11 %, quand la hausse pour les titulaires d'un contrat classique a été limitée à 4 %. Dans le cadre de l'application du bouclier tarifaire 2023 cette question devait être corrigée. Est-ce bien le cas ?
Enfin, s'agissant des aides aux collectivités, une circulaire précise que le seul compte retenu sera le compte énergie ; mais toutes les structures qui consomment beaucoup d'électricité, comme les piscines par exemple, ne sont pas gérées en régie et leurs dépenses transitent non pas alors par le compte énergie, mais par des comptes de subvention. Dans ce cas, les surcoûts ne seront pas pris en charge par l'amortisseur.
Le Gouvernement n'a pas été à la hauteur de nos attentes. Il nous a demandé de légiférer dans l'urgence sur ces différents points, et en particulier le 2 décembre. Nous lui avons fait confiance. Il s'était engagé à faire des points de suivi mensuels des dispositifs, mais il n'y en a pas eu ! Nous manquons de données pour évaluer l'efficacité des dispositions votées, notamment de la remise et de l'indemnité carburant. Combien de personnes ont pu bénéficier de cette dernière aujourd'hui ? Quel est le taux de non-recours ? Il n'est pas normal que la presse soit mieux informée que la représentation nationale !
Beaucoup de petites entreprises - boulangers restaurateurs, etc. - sont en grande difficulté, car elles ne sont pas éligibles aux tarifs réglementés et subissent l'envolée des prix de l'énergie. Les fournisseurs d'électricité leur ont parfois fait des offres les liant pour trois ans, mais à des prix inabordables. Certaines entreprises risquent de déposer le bilan uniquement pour cette raison. Lorsque ces propositions émanent de fournisseurs contrôlés en partie par l'État, cela me surprend... Dans quelles conditions les entreprises peuvent-elles sortir de ces contrats ? Comment les aider ?
Comment se passe la mise en oeuvre de la CRI ? Le dispositif a-t-il trouvé sa vitesse de croisière ?
Le rendement prévisionnel de la contribution temporaire de solidarité (CTS) a donné lieu à de nombreux débats entre Bercy et l'Institut des politiques publiques (IPP). L'écart entre les prévisions, 200 millions d'euros d'un côté et 7 milliards d'euros de l'autre, est important. De même, l'évaluation par le Gouvernement du coût d'un sous-amendement de Mme Lavarde sur le dispositif de la contribution sur la rente inframarginale lors du projet de loi de finances était passée d'1 milliard d'euros à 6 milliards d'euros du jour au lendemain, sans explication. Pouvez-vous nous éclairer sur les raisons qui expliquent de tels écarts, nous préciser le rendement attendu actualisé de cette contribution, le détail des secteurs qu'elle va cibler et dans quelle proportion, ainsi que sa répartition entre les principaux contributeurs, notamment entre Total Énergies et les autres raffineurs actifs sur le territoire national ?
Je répondrai sur le volet recettes. La CRI a été créée au débotté, sous la pression européenne. Nous devions mettre en oeuvre un dispositif opérationnel rapidement. Les modalités de déclaration et d'acquittement de la taxe par les producteurs d'électricité sont simples : elles consistent en une annexe à la déclaration de TVA. Les textes réglementaires sont en voie d'élaboration. Une concertation avec les professionnels est en cours. Une première déclaration suivie d'un paiement pourrait intervenir en juillet 2023, un acompte pourrait être versé à la fin de l'année 2023, tandis que le règlement final interviendrait en juillet 2024. C'est après ces échéances que nous disposerons des chiffres sur le rendement effectif de la CRI. Le Sénat qui souhaitait disposer d'un détail par filière a été entendu. Nous menons des concertations avec les professionnels à ce sujet. Cela suppose des ajustements informatiques pour pouvoir faire apparaître les différentes filières technologiques sur la déclaration.
En ce qui concerne la mise en oeuvre, la DGEC réfléchit avec la CRE et Réseau de transport d'électricité (RTE) pour savoir comment traiter les revenus de RTE. La question est complexe. Il s'agit de ne pas mettre en danger la sécurité du réseau. La loi prévoit que le Gouvernement peut prendre un arrêté sur ce sujet. Mais il semble que la loi a été bien rédigée et que des ajustements ne seront pas nécessaires.
Un autre volet qui a donné lieu à des réflexions intenses est celui de la taxation de l'électricité produite à partir des déchets. Le droit européen nous impose de l'inclure dans le dispositif, mais nous devons faire en sorte que l'État ne prélève pas une rente captée par les collectivités pour financer les services de gestion des déchets. Je note que le dispositif a été nettement amélioré lors de la discussion au Sénat. Les échanges avec les collectivités locales ont été nombreux sur ce point et se poursuivent.
Nous avons ainsi donné la priorité à la sécurité du réseau et à la clarification du cadre en vigueur pour les collectivités territoriales. Quant au volet relatif à la déclaration, à la collecte et au paiement de la taxe, tout n'est pas encore finalisé.
Depuis que la loi a été votée, le marché s'est retourné. L'impact de ce mouvement sur le rendement de la CRI est difficile à apprécier. La contribution est assise sur toutes les ventes d'électricité livrée en 2023, ce qui inclut des ventes conclues en 2022 et une partie de celles qui auront lieu en 2023. Le retournement du marché concerne cette dernière part. Pour l'évaluer, il faut faire des simulations pointues en fonction des stratégies des acteurs, apprécier dans quelle mesure les acteurs ont choisi de vendre leur électricité par anticipation, etc. C'est d'autant plus difficile à estimer que nous manquons de recul, les acteurs confrontés à une situation inédite ont dû prendre des décisions exceptionnelles. Nous ne pouvons pas vous donner de chiffres précis à ce stade. Nos estimations, qui impliquent de définir des scénarios économiques pointus sur le comportement des acteurs, ne sont pas finalisées. Je pense que nous disposerons de plus d'éléments lors de la prochaine réunion du Haut Conseil des finances publiques.
Si je comprends bien, l'engagement du Gouvernement de nous fournir des chiffres mois par mois a été un peu rapide !
Il ne concernait pas la fiscalité. Les deux taxes sont perçues en une seule fois sur une base annuelle. Nous n'avons donc pas de chiffres mensuels.
La CRE a examiné ces dispositifs dans le cadre de ses dernières délibérations. Dans le projet de loi de finances initiale, le coût du bouclier tarifaire était estimé à 45 milliards d'euros, pour 36 milliards d'euros de recettes liées au mécanisme de compensation des charges de service public de l'énergie (CSPE) relatif aux producteurs d'énergies renouvelables. En ajoutant les 3 milliards d'euros permettant de tenir compte des dépenses résiduelles de la CSPE dues au titre de l'année 2022, on obtient le solde initial de 12 milliards d'euros du programme 345 « Service public de l'énergie ». Lors de l'examen parlementaire, l'amortisseur électricité a été ajouté, pour un coût estimé à 3 milliards d'euros. Parallèlement, la CRE a révisé à 32 milliards d'euros ses estimations de recettes de CSPE pour 2023. Il a fallu aussi prendre en compte l'élargissement des boucliers à l'habitat collectif. Si l'on ajoute le coût - 2 milliards -, des amendements adoptés, on obtient ainsi environ 50 milliards de dépenses, pour un solde du programme 345 de 21 milliards d'euros environ.
Les estimations de la CRE sont provisoires. Elles reposent sur des projections de prix et de portefeuilles, qui peuvent évoluer : les fournisseurs ont dû déclarer à la CRE leurs charges estimatives pour 2023 en janvier avant que leurs clients n'aient pu leur déclarer s'ils étaient éligibles à l'amortisseur. Un fournisseur n'a pas les moyens de savoir avec certitude si un client est éligible ou non à l'amortisseur. Leurs estimations sont donc indicatives.
Dans les dépenses pour 2023, figure un reliquat de dépenses au titre de 2022, car cette année-là les dépenses au titre des boucliers ont été faibles : des acomptes sur le bouclier électricité pour 122 millions d'euros, et sur le bouclier gaz pour 580 millions, et le paiement, pour la période de novembre 2021 à juin 2022, du bouclier collectif sur le gaz à hauteur de 590 millions d'euros. Les montants du bouclier gaz pour l'année 2022 ont été estimés par la CRE en novembre dernier à 3,5 milliards d'euros : si l'on retranche l'acompte déjà versé, il reste donc 3 milliards d'euros à payer.
L'évaluation du bouclier pour l'habitat collectif est délicate, car ce mécanisme est applicable ex post : le montant pour le premier semestre, entre novembre 2021 et juin 2022, s'élève à 590 millions d'euros. Le montant pour le second semestre 2022 n'est pas encore connu ; les dépôts de dossiers sont possibles jusqu'au 1er juillet dans certains cas : c'est à ce moment que l'on connaîtra le montant des boucliers collectifs pour 2022. On estime que le coût serait de 3 milliards d'euros pour le second semestre.
J'en viens aux dispositifs pour 2023, qui ont fait l'objet d'une délibération de la CRE au début de l'année. Les chiffres sont inférieurs aux estimations initiales. Le montant du bouclier électricité individuel s'établit selon la CRE autour de 24 milliards d'euros, un petit peu moins que l'estimation contenue dans le projet de loi de finances. L'écart est nettement plus élevé pour le bouclier gaz individuel, dont le coût est estimé par la CRE à 1,8 milliard d'euros pour le premier semestre, là où le projet de loi de finances comportait une prévision de 18 milliards d'euros pour 2023.
Le mécanisme de l'amortisseur a évolué depuis le projet de loi de finances initiale, car l'amortisseur spécifique aux TPE a été ajouté en février. La CRE estime que le dispositif coûtera 3,67 milliards d'euros en 2023, dont 600 millions pour les TPE. C'est assez proche de l'estimation fournie lors de la présentation du projet de loi de finances.
Tels sont les chiffres fournis par la CRE en février. Ils sont évidemment susceptibles d'évoluer en fonction des prix et des volumes consommés.
En contrepartie, les recettes tirées de la CSPE seront moins fortes que le montant de 32 milliards d'euros évalué par la délibération de la CRE en novembre dernier, en raison des prix plus faibles de l'électricité. Il est plus difficile d'estimer les recettes réelles liées à la CSPE en 2023, sachant que l'évaluation de leur montant fera de nouveau l'objet d'une délibération de la CRE en juillet prochain.
Après avoir répondu aux questions relatives aux dépenses, j'en viens à celles que vous m'avez adressées sur les « trous dans la raquette » et les évolutions de ces dispositifs.
Tout d'abord, les habitats collectifs chauffés à l'électricité n'étaient initialement pris en charge par aucun dispositif. C'est désormais le cas, à la suite de la publication de décrets le 30 décembre dernier, qui s'appliquent au second semestre 2022 pour l'habitat collectif qui utilise de l'électricité et pour l'année 2023. Les structures juridiques éligibles à ce dispositif sont les mêmes que celles qui sont éligibles au dispositif relatif à l'habitat collectif qui se chauffe au gaz.
D'ailleurs, la liste des types d'habitats collectifs chauffés au gaz éligibles à un tel dispositif a été progressivement élargie. À partir du 1er juillet 2022, ont été ajoutés à cette liste les casernes de gendarmerie, les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et les logements en intermédiation locative. D'autres organismes ont été ajoutés en janvier 2023, notamment des structures de l'aide sociale à l'enfance et des établissements de protection judiciaire de la jeunesse, car ils avaient été omis dans les premiers dispositifs. Ainsi, le périmètre du bouclier collectif gaz a été ajusté et complété au fil du temps. Le dispositif électricité, qui a été mis en oeuvre à sa suite, reprend ce périmètre.
De plus, les boucliers tarifaires pour les particuliers, qui s'appliquent automatiquement, fonctionnent assez bien. L'amortisseur électricité a été mis en oeuvre dans des délais très contraints - il a pris effet le 1er janvier dernier alors qu'il a été voté dans la loi de finances pour 2023. Les fournisseurs ont dû réaliser un travail informatique considérable pour que le dispositif soit mis en oeuvre dans les premières facturations de l'année 2023. À mon sens, c'est une belle réussite. Selon les projections des fournisseurs, il resterait néanmoins des entreprises éligibles à ce dispositif qui n'y ont pas encore eu recours..
Enfin, le taux d'usage du chèque énergie est évalué à la fin de la campagne, qui dure un an. Aussi, le taux d'usage des chèques qui ont été attribués en toute fin d'année dernière, voire au début de cette année, en ce qui concerne le chèque énergie exceptionnel, ne peut pas être comparé à celui d'une campagne arrivée à son terme. Pour autant, à l'heure actuelle, il est d'un peu plus de 57 %. En ce qui concerne les chèques énergie fioul et bois, le ratio entre le nombre de personnes ayant effectivement bénéficié des chèques et le nombre de personnes éligibles est plus faible. L'enjeu serait de maintenir le portail ouvert plus longtemps et de renforcer la communication auprès des ménages.
Alors que le bouclier tarifaire a pour objet d'aligner le prix pratiqué pour la fourniture de gaz vers le prix réglementé, j'ai constaté que la facture de gaz d'un ensemble de mille logements sociaux a augmenté de 1 million d'euros, mais que le montant de l'aide s'élèverait à 250 000 euros, selon les prévisions du gestionnaire. Comment comprendre cette situation ?
Nous en sommes arrivés à nous demander combien coûtent et rapportent de tels dispositifs, car le fonctionnement du marché de l'électricité, qui était très bien - EDF fixait les prix -, est devenu ubuesque, à cause des règles européennes adoptées. Or vous nous dites qu'il n'est même pas possible d'avoir la réponse à une telle question !
Le dispositif du tarif réglementé sur le gaz pour les particuliers va prendre fin à partir du mois de juin. Par ailleurs, les factures d'énergie des entreprises ont explosé, ce qui leur pose un véritable problème de compétitivité.
Aujourd'hui, on exporte de l'électricité et on importe de l'électricité fabriquée au charbon depuis l'Allemagne, car elle est moins chère. Le système est ubuesque !
L'application des textes dans les communes n'est pas aussi simple qu'on ne l'aurait espéré : certaines communes sont en dessous des seuils, d'autres doivent prendre des options avant certaines dates, etc.
Est-ce qu'une cellule dédiée s'occupe, au sein de vos services, des difficultés auxquelles sont confrontées les collectivités territoriales au regard de l'application de ces textes ?
Total a fait des recettes exceptionnelles - quelque 37 milliards d'euros - après avoir, d'abord, acheté de l'électricité à des prix relativement bas à EDF et l'avoir, ensuite, vendue à EDF à des prix relativement haut, tandis qu'EDF a revendu cette électricité à des particuliers à des prix plafonnés, ce qui a entraîné pour EDF un déficit de quelque 7 milliards d'euros, une entreprise qui est désormais rachetée par l'État et donc par de l'argent public.
Comment une telle situation est-elle possible ? Quels sont les paramètres pour ne jamais la revivre ?
Par ailleurs, est-ce que le personnel d'EDF a les mêmes compétences que celui de Total ?
Cette question pourrait davantage être adressée au ministre chargé de l'énergie qu'aux représentants de l'administration que nous entendons ce matin.
Nous avons évoqué à plusieurs reprises la complexité de ces sujets. Il y a des « trous dans la raquette » : par exemple, les problèmes rencontrés par les boulangers ont été abordés à plusieurs reprises.
Aussi, j'espère que nous pourrons rétablir la lumière et voir plus clair sur ces sujets - c'est le cas de le dire -, car je suis toujours dans le noir. Pour l'instant, nous n'avons guère plus de lisibilité sur le solde de ces dispositifs qu'au moment où nous les avons votés.
Si l'on regarde les points positifs - les économies réalisées par l'État en raison de la baisse du prix du gaz - et les points négatifs - la baisse du rendement prévisionnel de la rente inframarginale -, on pourrait se demander quelle est la nature du risque pour le budget. La dépense a-t-elle été surévaluée ? Ou, au contraire, pourrait-il être nécessaire de procéder à une rallonge budgétaire ?
Sur cette question, le bilan global n'a pas été réalisé. Pour autant, on peut garder à l'esprit que les recettes sont davantage assises sur les prix spot, c'est-à-dire les prix de l'année 2023, afin de limiter les surmarges. Les dépenses, qui sont en grande partie liées à la vente en avance de l'électricité, ont moins supporté les effets de marché. Le volet recettes est ainsi plus volatile que le volet dépenses. Voilà ce que je peux vous dire, en l'état des calculs.
La corrélation entre les dépenses de gaz et les recettes d'électricité de CSPE est très bonne, car elles sont liées aux évolutions du marché à court terme. Les factures de gaz des clients sont structurellement plus dynamiques, alors que celles d'électricité, en raison de l'inertie du tarif de l'électricité, dans la mesure où les tarifs réglementés de vente d'électricité sont construits sur un approvisionnement qui s'échelonne sur vingt-quatre mois, sont beaucoup moins sensibles aux évolutions du prix à court terme.
Monsieur Bazin, nous pourrons examiner votre exemple précis, mais à première vue, si le prix antérieur résultait d'un contrat signé en 2020, il devrait y avoir une hausse entre le tarif réglementé gelé et le prix de 2021, puisque, entre ces deux moments, il y avait déjà eu une hausse importante du prix sur les marchés.
Par ailleurs, le dispositif ne tend pas à aligner tous les contrats au niveau du tarif réglementé gelé. Mais chacun bénéficie de la même aide, qui consiste à soustraire le tarif réglementé gelé au tarif réglementé non gelé. Ainsi, le prix in fine n'équivaut pas nécessairement à celui du tarif réglementé gelé. Mais ceux qui ont signé des contrats au second semestre 2022 à prix fixe peuvent être confrontés à des niveaux de prix élevés. Par rapport à sa conception initiale, le dispositif a été complété pour les contrats signés au second semestre 2022 d'une aide complémentaire, qui permet de réduire un peu plus leur facture - au-delà d'un certain montant, l'État prend en charge 75 % du surcoût.
Sur la question de la révision des conditions contractuelles, je rappelle que les particuliers ont le droit de résilier un contrat à tout moment, mais pour les autres s'applique le droit contractuel classique, si je puis dire, c'est-à-dire que les parties sont liées par leur contrat. Si le cadre légal permettait de résilier tous les contrats - il serait déjà compliqué d'intervenir sur des contrats en cours -, le fournisseur ne pourrait lui non plus s'engager sur des prix ; tout le monde serait libre de partir à tout instant : si les prix montent, c'est un inconvénient pour le client et s'ils baissent, c'est un inconvénient pour le fournisseur. Aucune solution ne permet à la fois de garantir le prix et de résilier le contrat quand on le souhaite, à moins de payer très cher la garantie de prix !
Sur la question relative aux marges réalisées à la suite de l'achat et de la revente d'électricité par Total et sur les moins-values d'EDF, je rappelle que la contribution sur la rente inframarginale vise tous les producteurs et prend en compte tous les achats et ventes qu'ils réalisent, y compris l'achat d'électricité que l'entreprise n'a pas produite, mais qu'elle revend.
Ainsi, les moins-values très importantes réalisées par EDF, parce qu'elle a acheté de l'électricité à un prix élevé à Total et à beaucoup d'autres entreprises, et qu'elle l'a revendue très peu cher, sont prises en compte de façon négative dans la liquidation de la CRI et contribuent à diminuer considérablement le prélèvement dû par l'opérateur.
À l'inverse, les marges très importantes réalisées par un producteur qui revend très cher de l'électricité qu'il a achetée peu cher, sont prises en compte dans les revenus soumis à la CRI. Ce dispositif, même s'il reste fruste, est plutôt adapté aux effets liés à l'achat et à la revente d'électricité - je ne parle pas des revenus pétroliers réalisés hors de France.
Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions et de nous avoir livré vos analyses sur un sujet complexe et technique.
Nous comprenons qu'il est difficile de faire le bilan de tels dispositifs et, par là même, de ne pas disposer d'informations mensuelles sur l'évolution de ces dispositifs. Nous poursuivrons, tout de même, nos demandes !
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 heures.