Mes chers collègues, notre ordre du jour de ce matin appelle l'audition de M. Xavier Pintat, sénateur, président de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, la FNCCR, et de M. Pascal Sokoloff, directeur général de cette même fédération.
Comme vous le savez, messieurs, notre commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe écologiste - qui a fait ainsi application du « droit de tirage annuel » ouvert à chaque groupe politique du Sénat - afin de déterminer le coût réel de l'électricité.
Avant de donner la parole à M. le rapporteur pour qu'il pose ses questions préliminaires, je vais maintenant faire prêter serment à MM. Xavier Pintat et Pascal Sokoloff, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Monsieur Pintat, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
(M. Xavier Pintat prête serment.)
Monsieur Sokoloff, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
(M. Pascal Sokoloff prête serment.)
Je vous remercie.
Monsieur le rapporteur, je vous laisse préciser ce qu'attend notre commission, notamment de quelles informations vous avez besoin pour votre enquête, sachant que MM. Pintat et Sokoloff auront ensuite à répondre aux questions complémentaires que vous-même, si vous le souhaitez, et l'ensemble des membres de la commission d'enquête pourrez leur poser.
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
Messieurs, je vais donc rappeler la teneur des questions qui vous ont été adressées par nos soins.
Premièrement, quelles sont les dépenses liées aux réseaux de distribution d'électricité qui incombent, en droit et en pratique, aux collectivités locales ? Comment sont-elles financées ?
Deuxièmement, le niveau actuel du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, le TURPE, est-il bien « en ligne » avec les investissements sur les réseaux de distribution d'électricité ?
Troisièmement, quelle est votre vision des investissements à effectuer sur le réseau dans les dix prochaines années et des conséquences qui en résulteraient pour le TURPE, en fonction du niveau de qualité souhaité et du développement futur des sites de production d'électricité à partir d'énergies renouvelables ?
Quatrièmement, quel doit être le coût du déploiement du compteur « intelligent » Linky chez l'ensemble des consommateurs ? À qui ce coût sera-t-il imputé ? Quels seront les bénéfices concrets de la mise en place de Linky pour les différents acteurs concernés ? Ses fonctionnalités sont-elles optimales ?
Cinquièmement, quelle contribution les collectivités peuvent-elles apporter en matière d'économies d'énergie, afin de réduire la facture électrique des collectivités, mais aussi celle des particuliers ? Quel jugement la FNCCR porte-t-elle sur le mécanisme des certificats d'économie d'énergie en termes de rapport entre le coût du dispositif et les économies d'énergie obtenues ?
Avant de vous donner la parole, messieurs, je tiens à vous rappeler que nous n'attendons pas de vous des explications techniques. Par exemple, nous connaissons tous le fonctionnement du compteur Linky et son coût. En revanche, la commission d'enquête souhaite prendre connaissance du point de vue de la FNCCR sur ces questions.
Monsieur Pintat, vous avez la parole.
Monsieur le président, permettez-moi tout d'abord de vous remercier d'avoir tenu à auditionner des représentants de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies. Je rappelle que notre fédération regroupe les collectivités et les régies organisatrices des services publics de réseau. Bien sûr, notre coeur de métier à l'origine, au début du XXe siècle, était la distribution d'électricité, mais nos activités se sont étendues ensuite aux autres formes d'énergie, à l'eau, à l'assainissement et, plus récemment, à la fibre optique.
Je répondrai aux questions relatives aux grands enjeux et vous exposerai notre sentiment sur l'évolution du paysage énergétique. M. Pascal Sokoloff, notre directeur général, est un fin connaisseur des problèmes juridiques et techniques et pourra approfondir certains points, si vous le souhaitez.
Pour répondre à votre première question, monsieur le rapporteur, il convient tout d'abord de procéder à un rappel concernant les dépenses incombant aux collectivités locales et leur financement.
Une première catégorie de dépenses à la charge des collectivités concédantes, dont le montant s'élève grosso modo à 1 milliard d'euros par an, correspond, en règle générale, au raccordement au réseau et au renforcement du réseau en basse tension dans les zones rurales, sauf dans treize départements qui ont choisi de conserver le « régime urbain ». Il existe en effet deux régimes en France : le régime rural, où les autorités organisatrices de la distribution d'électricité, les AODE, sont maîtres d'ouvrage ; le régime urbain, où ERDF est maître d'ouvrage délégué pour le compte des communes. À ces dépenses s'ajoutent les travaux d'amélioration esthétique et de sécurisation, en zone rurale et parfois en zone urbaine, en vertu de l'article 8 des cahiers des charges de concessions. J'insiste sur le fait que les travaux de renforcement et d'amélioration réalisés par les collectivités concédantes évitent au distributeur ERDF de renouveler les ouvrages concernés. Les collectivités concédantes participent donc activement, dans une certaine mesure, au renouvellement des réseaux, y compris en régime urbain.
Une deuxième catégorie de dépenses est à la charge des collectivités responsables de l'urbanisme et/ou de la voirie. Il s'agit, d'une part, des contributions versées au maître d'ouvrage des travaux d'extension, adossées à la participation pour voirie et réseaux, la PVR, et, demain, à la taxe d'aménagement - elles peuvent également être prises en charge, si tel est le choix des collectivités concernées, par la fiscalité directe locale, en l'absence de taxe d'aménagement. D'autre part, les collectivités responsables de l'urbanisme doivent également s'acquitter de la participation aux travaux d'enfouissement.
En ce qui concerne la répartition des investissements de raccordement par maître d'ouvrage, les chiffres dont nous disposons sont des approximations, issues du croisement de diverses sources - notre fédération travaille activement à la mise en place d'un observatoire statistique national des autorités organisatrices de la distribution d'électricité, mais celui-ci n'est pas encore opérationnel. D'après ces chiffres, les AODE assument un peu moins d'un cinquième du volume financier de la maîtrise d'ouvrage de l'ensemble des travaux de raccordement. La répartition complète s'établit ainsi : 69 % pour les gestionnaires de réseau de distribution, 17 % pour les AODE et 14 % pour les aménageurs.
Il est important de se faire une idée précise de la répartition des flux financiers. Les autorités organisatrices de la distribution d'électricité bénéficient de deux types de ressources financières : d'une part, celles qui sont issues du TURPE, c'est-à-dire les subventions du Fonds d'amortissement des charges d'électrification, le FACÉ, les redevances de concession ou ce qui leur est assimilé - la contribution prévue à l'article 8 du cahier des charges des concessions, la part couverte par le tarif, ou PCT - et, d'autre part, celles qui sont essentiellement issues des taxes locales sur l'électricité et des recettes liées à l'extension des réseaux. Celle-ci peut en effet faire l'objet soit d'une participation directe des pétitionnaires au titre des équipements propres ou des équipements publics exceptionnels, soit d'une contribution des collectivités chargées de l'urbanisme, via la PVR si elles le souhaitent - c'est une question que connaît bien M. Jean-Claude Lenoir, en tant que président du Conseil supérieur de l'énergie.
Pour compléter cette présentation des financements, il est également intéressant d'identifier si ceux-ci proviennent de la péréquation nationale ou des ressources locales. En effet, plus la péréquation nationale est faible, plus il faut faire appel aux ressources locales. La péréquation nationale, en matière d'électricité, repose sur le TURPE, qui alimente le FACÉ et les redevances de concession perçues par les AODE. Les autres ressources sont locales : il s'agit de la taxe sur l'électricité, des contributions d'urbanisme et, en dernier recours, des impôts directs locaux, si aucun autre dispositif n'est prévu. Le débat sur le niveau du TURPE a donc des implications directes sur le degré de péréquation nationale du système électrique, car un niveau insuffisant risque de provoquer un transfert de charges vers les collectivités locales, qui se traduira par une hausse des contributions d'urbanisme - comme on l'a constaté dans les zones urbaines lorsque le dispositif a été mis en place - ou une augmentation du taux de la taxe sur l'électricité, si celui-ci n'a pas déjà été fixé au maximum.
Vous venez de nous indiquer qu'un coût n'est pas intégré aujourd'hui dans le prix de l'électricité, celui qui correspond au financement, par les collectivités locales, des réseaux de distribution. Si le TURPE baisse, les collectivités sont davantage mises à contribution. Estimez-vous, oui ou non, qu'il s'agit bien d'un élément du coût de l'électricité ?
Non, mais il participe du coût de l'électricité, parce que les raccordements sont obligatoires ! Quand le financement de ces travaux n'est pas entièrement couvert par les tarifs de l'électricité, il faut trouver d'autres ressources : elles sont fournies soit par le pétitionnaire, soit par la collectivité chargée de l'urbanisme.
Ce coût n'est pas supporté directement par le consommateur, mais il incombe malgré tout à la collectivité ?
Il est un peu payé par le pétitionnaire si la PVR est perçue, mais M. Sokoloff pourra vous répondre plus précisément sur ce point.
Il s'agit en effet d'un sujet important auquel nous souhaitons vous sensibiliser. Le système électrique a un coût global dont on n'appréhende souvent qu'une seule composante, le TURPE, en ignorant complètement que les collectivités organisatrices assument localement une part importante de son financement. Dans certains départements, le niveau d'investissement de la collectivité, assuré sur ses propres ressources, est supérieur à celui du concessionnaire ERDF. Il faut le savoir !
Il serait donc opportun de revenir à une vision globale du coût de fonctionnement et d'investissement du système, en tenant compte de la part qui échoit aux collectivités locales.
Première observation, nous sommes au coeur du sujet. Deux notions doivent être prises en compte : le prix de l'électricité et son coût - d'où l'intitulé retenu pour cette commission d'enquête.
Seconde observation, nous sommes en train de démontrer que certains coûts ne sont pas pris en compte dans le prix de l'électricité. Or nous sommes sous la surveillance des autorités européennes, qui, au vu de certaines déclarations, n'hésiteront pas à souligner que le prix payé ne reflète pas pleinement une partie des coûts. Je me tourne donc vers ceux de nos collègues qui ont pris l'initiative de demander la constitution de cette commission d'enquête : cette démonstration va réjouir les autorités européennes, qui cherchent depuis longtemps à mettre en évidence ce qui n'est pas pris en compte dans la facture d'électricité, c'est-à-dire dans le prix.
Un certain nombre d'éléments, tel que celui que nous venons d'évoquer, font l'objet d'un débat. Reste à savoir ce qui doit relever du prix et ce qui doit relever du coût !
Vous avez anticipé sur notre propos, monsieur le sénateur. Nous n'aborderons cet aspect que dans le cadre de notre réponse à la deuxième question.
Lorsque nous évoquons la répartition approximative du financement des investissements dans les réseaux de distribution publics, nous nous fondons sur des sources remontant à 2009. Je le précise, parce que la situation a considérablement évolué depuis. Mais je laisse la parole à M. Sokoloff sur ce point.
Il me semble important d'attirer votre attention sur le fait que les chiffres que nous nous permettons de produire ont un caractère d'illustration et que nous ne pouvons pas en garantir l'exactitude statistique. Nous souffrons d'un véritable déficit d'informations consolidées au niveau national sur l'ensemble de ces flux. La FNCCR travaille par recoupements : elle essaie de mobiliser le maximum d'informations et de les mettre en cohérence.
En ce qui concerne les investissements dans le réseau de distribution, les chiffres dont nous disposons reflètent la situation en 2009. Or celle-ci a considérablement changé depuis cette date, comme l'a souligné M. Pintat, puisqu'un certain nombre de paramètres ont été modifiés, en particulier s'agissant du financement des raccordements : on a introduit la notion de réfaction tarifaire, les règles ayant été modifiées pour les producteurs. Les chiffres ont donc probablement substantiellement évolué.
J'ai évoqué tout à l'heure la mise en place d'un observatoire statistique, je n'y reviens pas. Par ailleurs, M. le président le sait bien, nous organisons actuellement des conférences départementales pour recenser les besoins d'investissement et obtenir ainsi une vision précise de ce qui se passe dans l'ensemble de notre pays.
Vous avez été exemplaires ! Maintenant, il faut que ces conférences aient lieu dans l'ensemble des départements. Votre commission d'enquête, mais aussi la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, pourront ainsi disposer d'une vision assez exacte de la situation sur le terrain.
Les chiffres que nous vous présentons ont le mérite d'illustrer les enjeux de la péréquation, en détaillant le mode de financement de l'ensemble des travaux sur les réseaux de distribution publique : les ressources locales, hors TURPE, finançaient en 2009 un peu moins du quart de ces travaux, et nous pensons que cette proportion est beaucoup plus importante aujourd'hui.
En ce qui concerne les investissements pour le raccordement, c'est-à-dire le branchement et les extensions, les ressources locales - fiscalité, contributions d'urbanisme, vente de parcelles - les financent à hauteur du tiers.
En 2012, nous pensons que la part des investissements financée par des ressources locales est substantiellement supérieure au tiers, parce que, depuis 2009, a été introduit le mécanisme dit de « réfaction tarifaire » : une partie du coût des raccordements est couverte par le tarif, dans une proportion fixée par voie réglementaire à 40 %. Pour le consommateur, 60 % des coûts de raccordement sont couverts non pas par le tarif, mais par des ressources locales. Nous avons beaucoup de mal à parvenir à un chiffre précis, parce que divers éléments rétroagissent. En particulier, un gros travail a été réalisé pour préciser dans quelle mesure le tarif couvrait ou non les renforcements associés aux raccordements - M. Lenoir connaît bien ce sujet -, mais nous ne disposons d'aucun élément de bilan : ces chiffres doivent donc être considérés avec beaucoup de précautions.
Par sa deuxième question, M. le rapporteur demande si le niveau actuel du TURPE est « en ligne » avec les investissements dans les réseaux de distribution.
Nous tenons à souligner l'existence de trois anomalies dans la gouvernance du système électrique.
En premier lieu, la CRE a prévu une remontée des investissements sur la période tarifaire - ce qui est une bonne chose ! -, mais la trajectoire d'investissement retenue au titre du TURPE 3 pour ERDF ne sera pas respectée sur cette période.
En deuxième lieu, en ce qui concerne les renouvellements, les cahiers des charges prévoient que les concessionnaires doivent constituer des provisions, mais la CRE ne les a jamais prises en compte dans les charges couvertes par le TURPE 3 : elles doivent donc être couvertes par la rémunération du concessionnaire - je rappelle que le taux de rémunération s'établit à 7,25 % des investissements.
En troisième lieu, le distributeur ERDF est contractuellement chargé des travaux de renouvellement, pour lesquels il est rémunéré, mais les AODE, par leurs travaux d'enfouissement et de sécurisation, participent elles aussi directement à la fonction de renouvellement. Dans ces conditions, l'investissement de l'autorité organisatrice devrait engendrer une couverture tarifaire équivalente à celle dont bénéficie ERDF, or tel n'est pas le cas : la couverture tarifaire des investissements réalisés par les AODE est moindre. M. Sokoloff va vous apporter des explications plus détaillées à cet égard.
Comme nous le faisait observer tout à l'heure M. Lenoir, cette question révèle l'existence de « coûts cachés », tout du moins de coûts que le régulateur national, la CRE, n'a pas pris en compte correctement dans la construction tarifaire du TURPE 3. Quelques précisions techniques vous permettront de mieux comprendre la logique de notre position.
Schématiquement, la construction tarifaire de la CRE est la suivante : quand un investissement est concédé, il produit une couverture tarifaire. Lorsqu'un équipement est mis en concession par ERDF, les dotations aux amortissements sur la durée du bien - quarante ans est la durée la plus souvent retenue - sont couvertes par le tarif ; en outre, ERDF perçoit une rémunération au taux de 7,25 % sur la valeur nette comptable du bien, cumulée sur l'ensemble de la période. En revanche, lorsque l'AODE, maître d'ouvrage, met celui-ci en concession, si le même mécanisme est appliqué, la CRE soustrait des charges en capital couvertes par le tarif la valeur de l'ouvrage remis par la collectivité.
Nous avons un peu de mal à comprendre le raisonnement de la CRE, mais je vais néanmoins essayer de vous l'expliquer. La CRE considère que lorsque ERDF est maître d'ouvrage, il expose des débours, en payant des entreprises, en contrepartie de sa rémunération. En revanche, lorsque l'autorité organisatrice remet un équipement à ERDF, il s'agit d'une remise gratuite et il faut retrouver l'équivalent des débours qu'aurait supportés ERDF s'il avait été maître d'ouvrage. Cet équivalent est obtenu par la soustraction de la valeur de l'ouvrage remis des charges en capital. Dans ce raisonnement, la CRE oublie que l'autorité organisatrice a elle-même supporté des débours, puisqu'elle a réalisé les travaux. Le compartiment du service public local, qui relève de la collectivité maître d'ouvrage, est actuellement ignoré par le régulateur national dans sa construction tarifaire.
Nous en arrivons à la troisième question, portant sur les scénarios envisageables.
Il est important de rappeler, au préalable, qu'il existe une relation de causalité entre le bas niveau des investissements réalisés par EDF entre 2000 et 2004 et l'augmentation de la durée moyenne de coupure. Par ailleurs, les investissements délibérés de renouvellement et d'amélioration d'EDF, puis d'ERDF, ont été divisés par trois entre le début des années quatre-vingt-dix et 2003. Cette chute a été à peine freinée par le maintien des investissements obligatoires, c'est-à-dire les raccordements. La CRE a fini par se rendre compte de cette situation et a prévu, depuis 2009, début de l'application du TURPE 3, une remontée des investissements qui va dans le bon sens.
Il convient également de rappeler les conclusions du rapport Piketty, qui préconisait, au début des années 2000, un investissement de sécurisation de 395 millions d'euros par an pendant quinze ans. Dans la réalité, en matière de sécurisation, aucun investissement n'a été réalisé les premières années, puis on a investi moins de 200 millions d'euros par an entre 2005 et 2008, une remontée timide étant constatée à partir de 2009. Nous restons donc bien au-dessous de ce qui avait été préconisé au début des années 2000.
À partir de ces chiffres, pouvez-vous distinguer les investissements dans la qualité de desserte des investissements de sécurisation ?
Les investissements de sécurisation du réseau portent sur l'éradication des fils nus et la sécurisation des ouvrages de moyenne tension.
Les investissements dans la qualité de desserte portent plutôt sur les renforcements, qui permettent de suivre l'évolution des besoins et de garantir la tenue de tension. Les investissements de sécurisation comprennent les mesures spécifiques qui ne seraient pas délibérément mises en oeuvre par ERDF s'il n'était pas incité à s'engager dans un programme de sécurisation tendant à répondre à la problématique de l'aggravation du risque climatique.
Le rapport Piketty fait directement suite aux tempêtes de 1999 et à la prise de conscience du fait que nous entrons dans un monde nouveau, marqué par un accroissement du risque climatique : il faut donc absolument remédier à la vulnérabilité des réseaux. Nous avons pris soin de vous indiquer ces chiffres parce que, dans la scénarisation des investissements à venir que nous proposerons tout à l'heure, les risques climatiques représentent un paramètre important à prendre en compte si l'on veut garantir la capacité des réseaux à assurer une fourniture de qualité.
En outre, on peut difficilement mettre en place des compteurs intelligents sur des réseaux vétustes, surtout lorsque ceux-ci représentent un sixième de l'ensemble du système !
Le rapport Piketty fixait différents objectifs intéressants : éradication de 6 000 kilomètres par an de fils nus en moyenne tension et de 8 000 pour le réseau en basse tension. Ces objectifs n'ont été atteints qu'à hauteur d'environ 50 %.
En ce qui concerne l'éradication des fils nus sur le réseau à basse tension, elle incombe aux AODE, et non pas à ERDF, car ce réseau relève de la responsabilité des autorités concédantes.
Compte tenu de l'inaction d'ERDF, les collectivités ont fini par investir dans ce domaine.
On trouve aussi des fils nus en zone urbaine. Grosso modo, dans notre pays, les fils mal isolés représentent 100 000 kilomètres sur un total de 600 000. Les conférences départementales permettront de fixer des objectifs, mais nous pouvons déjà dire qu'un sixième du réseau est concerné. En haute tension A, il reste environ 93 000 kilomètres de fils mal isolés, à enfouir ou en zone boisée.
Il s'agit de fils qui ne correspondent plus aux normes européennes, que nous sommes le seul pays à utiliser encore et qui ont en général plus de soixante-dix ans.
En basse tension, on les repère très facilement sur le terrain : ils comportent trois fils, alors que le fil renforcé ne compte qu'un seul brin, torsadé en général.
Il s'agit de la moyenne tension. Elle relève du réseau d'ERDF, et non de celui de RTE.
Les collectivités locales ne sont propriétaires que de réseaux en moyenne tension, inférieure à 50 000 volts, et en basse tension, inférieure à 1 000 volts.
Nous avons élaboré deux scénarios alternatifs, fondés l'un sur l'hypothèse d'un maintien de l'effort d'investissement actuel, l'autre sur celle d'une accélération du rythme d'investissement : il faut garder à l'esprit que, en 2017, le réseau de transport devra être définitivement sécurisé ; il serait logique que la sécurisation du réseau en moyenne et en basse tension soit elle aussi effective à cette échéance.
Le premier scénario traduit une inquiétude quant à la mise en place du compteur Linky : nous craignons que son financement ne soit prélevé sur les sommes destinées à l'entretien et à la sécurisation des réseaux. Dans ces conditions, un niveau acceptable de sécurité ne pourra pas être atteint avant 2030 : il nous semble donc souhaitable d'accélérer le rythme de la mise à niveau.
Le second scénario vise à établir une cohérence avec l'échéance fixée pour la sécurisation du réseau de transport. Sa mise en oeuvre suppose d'enfouir 93 000 kilomètres de lignes HTA d'ici à la fin de 2017, de réaliser les travaux annexes, notamment d'automatisation, et de sécuriser les 100 000 kilomètres de fils nus du réseau basse tension. Nous estimons le coût de ces opérations à 8 milliards d'euros...
Comment répartissez-vous cette somme entre les différentes opérations que vous avez mentionnées ?
Je ne dispose pas du détail, mais nous pourrons vous le communiquer ultérieurement.
Il s'agit d'une estimation globale qui remonte déjà à plusieurs années.
S'il était décidé d'accélérer les investissements pour terminer la sécurisation d'ici à 2017, nous estimons l'effort financier supplémentaire à fournir à 1 milliard d'euros par an sur huit ans, ou à 1,3 milliard d'euros par an sur cinq ans. Aujourd'hui, le TURPE correspond à un effort d'investissement réel de 2,8 milliards d'euros ; si on ajoute 1,3 milliard d'euros, il faudrait donc pouvoir disposer de 4,1 milliards d'euros pour les investissements. Ces chiffres ne prennent évidemment pas en compte le financement de la mise en place du compteur Linky.
Oui, mais le TURPE est « surdimensionné » aujourd'hui par rapport à ce qui est réellement consommé. Il ne faudrait pas que les sommes disponibles soient utilisées à d'autres fins, notamment pour financer Linky.
Grosso modo, l'objectif de sécurisation correspond à l'enfouissement de 50 % des lignes en moyenne tension ; il peut être atteint en 2017, si notre proposition est retenue, ou en 2030, si l'on maintient simplement le rythme actuel. Il en va de même pour l'éradication des 100 000 kilomètres de fils nus.
La troisième question de M. le rapporteur portait également sur les investissements à effectuer dans les dix prochaines années et leurs conséquences sur le niveau de la production décentralisée d'électricité. Même si nous ne disposons que de peu de chiffres, ce sujet est important, en raison de la modification du sens des flux de circulation de l'énergie induite. Jusqu'à maintenant, nous étions habitués à ce que ces flux circulent du transport, c'est-à-dire de la haute tension, vers la basse tension en passant par la moyenne tension, mais aujourd'hui ils peuvent remonter vers la moyenne tension lorsque l'installation de production est raccordée au réseau en basse tension : les panneaux solaires placés sur les toits des maisons sont un exemple typique à cet égard. En conséquence de cette évolution, la chaîne de sécurisation ne peut plus être réduite à la seule sécurisation descendante. En outre, la production décentralisée d'électricité peut concourir à la sécurisation grâce à des procédures particulières d'îlotage à définir et à développer, mais qui nécessitent des réseaux en basse tension de bonne qualité. C'est la raison pour laquelle nous insistons sur l'effort à réaliser dans ce domaine. Nous rencontrons des difficultés pour évaluer le coût des investissements spécifiques à prévoir à ce titre, parce qu'il s'agit d'un secteur nouveau, encore en expérimentation.
J'en viens à la quatrième question, portant sur le coût du déploiement de Linky.
Le coût initial admis, annoncé par le ministre, s'élève à 4,3 milliards d'euros, hors modernisation des réseaux. Pour mémoire, ERDF décompose comme suit cette enveloppe : 2 milliards d'euros environ pour la pose des compteurs et des concentrateurs, un peu moins de 2 milliards d'euros pour la fabrication du matériel et 100 millions d'euros pour les développements informatiques nécessaires. Je rappelle que l'on attend de la mise en oeuvre de ce dispositif la suppression de 5 460 postes, chiffre à rapprocher de celui de 5 900 départs à la retraite prévus.
Nous éprouvons malgré tout une légère inquiétude quant au coût réel de Linky, puisque M. Proglio a annoncé le 9 novembre dernier, dans Le Parisien, un coût unitaire de 200 à 300 euros. Dans ce cas de figure, le coût global devrait être estimé non plus à 4,3 milliards d'euros, mais entre 8 milliards et 10 milliards d'euros. Puisque les gains de productivité annoncés s'élèvent à 1,2 milliard ou 1,3 milliard d'euros, le besoin de financement devient très important.
Par ailleurs, les surcoûts de production potentiels en zone rurale nous semblent minorés. Le plan de développement validé par la CRE indique un temps de pose de 30 minutes, mais on constate, sur les territoires d'expérimentation, qu'il est en fait proche de 47 minutes en zone urbaine et de 60 minutes en zone rurale. Les techniciens responsables du projet nous disent qu'ils s'arrangeront pour que ce temps de pose soit bien de 30 minutes, même si cela ne correspond pas à la réalité du terrain !
Nous tenons à vous rappeler nos convictions quant au principe d'imputation des coûts afférents à Linky : il est très important de considérer Linky comme un « bien de retour » appartenant à l'autorité concédante, pour deux raisons...
Nous n'allons pas recommencer ce débat ! Permettez-moi de vous rassurer : Mme Michèle Bellon a bien réaffirmé devant nous que les compteurs seraient la propriété des collectivités locales...
Certes, mais ni la loi de 2004 ni le cahier des charges des concessions ne le prévoient : il faut donc modifier ces textes.
Grâce aux lois dont vous avez été le rapporteur, monsieur le président, nous avons pu maintenir un certain consensus, notamment sur le monopole de la distribution dans notre pays. Mais si l'on se met à « détricoter » la priorité dans ce rapport concédant-concessionnaire ainsi que le régime de propriété, la situation va devenir illisible pour les autorités européennes, qui reviendront à la charge afin d'imposer ce que nous souhaitons éviter, c'est-à-dire que la distribution soit soumise à la concurrence.
Vous souhaitez que les compteurs appartiennent à la collectivité locale ?
Restons dans le sujet ! Je sais bien qu'il s'agit de l'un de vos chevaux de bataille, mais vous avez rempli votre rôle et obtenu satisfaction : les compteurs Linky resteront la propriété des collectivités territoriales.
Autre sujet de préoccupation, il nous semble souhaitable que le financement du déploiement de Linky soit assuré par l'emprunt, ce dernier pouvant être amorti de trois manières : grâce aux gains de productivité - mais on a vu qu'ils seront réduits par rapport à l'investissement -, par la majoration du TURPE si les gains de productivité sont insuffisants...
En ce qui concerne les bénéfices concrets attendus, Linky sera un outil de contrôle de la qualité de l'électricité, qui fournira une information détaillée aux usagers sur leur consommation, permettra l'intervention à distance des gestionnaires de réseau de distribution et l'adaptation de la production et de la consommation d'électricité dans une perspective d'équilibre et d'économie.
Pour sa part, la FNCCR regrette que l'on ne transmette pas aux AODE des informations sur la qualité de l'électricité et estime que le client devrait être destinataire d'un certain nombre d'informations sur sa consommation.
Enfin, il serait souhaitable qu'une analyse technico-économique soit réalisée de manière indépendante et transparente.
J'en arrive à la cinquième question, relative à la contribution des collectivités locales aux économies d'énergie des collectivités et des particuliers.
Nous sommes convaincus que les collectivités locales peuvent jouer un rôle d'entraînement formidable et que des économies importantes peuvent être réalisés dans trois domaines : les bâtiments, l'éclairage public et la consommation énergétique des flottes de véhicules.
Les AODE jouent leur rôle en diffusant des conseils très appréciés en matière d'audit énergétique ; la plupart des syndicats d'électricité développent une compétence dans ce domaine : ils font appel à un intervenant extérieur pour les audits les plus « pointus » et vont même jusqu'à mettre en place les programmes définis. Cette action permet de mutualiser les moyens, de réduire la consommation et les factures pour le patrimoine bâti - en synergie avec l'ADEME, en général -, de favoriser le bon usage de l'énergie, par la publication de guides et l'organisation de campagnes médiatiques communes. Nous menons également une action sociale de lutte contre la précarité énergétique, en préconisant des économies d'énergie adaptées à la précarité et en contrôlant l'application du tarif de première nécessité. Une dynamique est en train de se créer, il ne faut pas l'entraver.
Pour parvenir à une régulation globale, un certain nombre d'outils sont développés : les plans climat-énergie territoriaux, les schémas régionaux climat-énergie, les bilans d'émissions de gaz à effet de serre, les schémas de cohérence territoriale et les plans locaux d'urbanisme.
Je n'oublie pas non plus les certificats d'économie d'énergie, dispositif qui commence à prendre forme : certains départements ont bien mis au point la procédure. Il serait donc dommage de le modifier, d'autant qu'il est peu coûteux pour l'État, puisque sa gestion n'occupe qu'une quinzaine de collaborateurs au pôle national et que, le marché se constituant, une massification des dossiers est envisageable. Le dispositif actuel permet d'obtenir des certificats d'économie d'énergie à un moindre coût et fonctionne bien. Nous sommes donc favorables au maintien de l'éligibilité des collectivités locales à cette mesure qui nous paraît créer un bon effet d'entraînement, sans trop de coûts induits. Enfin, le dispositif pourrait être étendu à la part d'énergies renouvelables utilisée par les fournisseurs, en instaurant le même système de certificats négociables, en lieu et place de l'obligation d'achat. Cette idée nous paraît mériter d'être peaufinée et encouragée.
Nous en avons terminé avec les différents points sur lesquels vous souhaitiez connaître les positions de la FNCCR. Nous sommes prêts à répondre à vos éventuelles questions complémentaires.
Nous vous remercions de ces éclaircissements, monsieur le président.
Si je puis me permettre de tirer une conclusion de votre présentation, il me semble que, quel que soit le coût du réseau de distribution et le niveau d'investissement des collectivités locales, ce coût risque encore d'augmenter, puisque vous souhaitez que l'on engage davantage de moyens pour moderniser le réseau, avec toutes les conséquences que cela emporte sur le niveau des prix.
Avant de donner la parole à nos collègues, je souhaite vous poser une dernière question. Vous nous avez présenté une simulation prévoyant l'achèvement de la sécurisation du réseau en basse et en moyenne tension en 2017 : êtes-vous bien conscient qu'il n'est pas possible de faire disparaître à si brève échéance les fils nus ni d'enfouir les lignes en moyenne tension ? Vous vous êtes fondés sur cette date parce que RTE aura alors entièrement sécurisé son réseau de transport, mais cet objectif n'a jamais été annoncé ni fixé par qui que ce soit : personne n'a décidé qu'il faudrait relever le TURPE ou toute autre catégorie de recette pour permettre l'accélération de ces travaux de sécurisation. En revanche, il est intéressant de relever que vous avez indiqué que, à niveau d'investissement constant, cette sécurisation ne sera atteinte qu'en 2030. En évoquant l'échéance de 2017, vous avez donc simplement formulé un souhait ?
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, si j'ai bien lu vos questions, vous nous avez demandé de proposer un scénario : nous en présentons donc un, qui est cohérent. Il est dommage que les efforts entrepris par RTE depuis plusieurs années pour rendre le réseau en haute tension particulièrement performant et sécurisé à l'échéance de 2017 ne coïncident pas avec la modernisation du réseau en moyenne tension. Ce décalage aura certainement des incidences sur la qualité du courant distribué.
Nous avons signalé que, par rapport à la trajectoire d'investissement assignée à ERDF par la CRE dans le cadre du TURPE 3, les objectifs ne sont pas atteints. J'ai calculé le total des écarts observés entre 2009 et 2012 : il s'élève à près de 500 millions d'euros. La construction tarifaire de la CRE aurait donc dû permettre à ERDF, depuis 2009, d'investir cette somme, ce qui n'a pas été fait.
Les objectifs que nous vous avons présentés sont certes ambitieux, mais nos deux scénarios ménagent des situations intermédiaires...
Nous souhaitons insister sur deux points : premièrement, la CRE a intégré la nécessité d'accroître substantiellement les efforts d'investissement - 1 milliard d'euros supplémentaires chaque année à partir de 2012 ; deuxièmement, le concessionnaire, ERDF, ne s'acquitte pas de ses obligations d'investissement à la hauteur fixée par le régulateur.
C'est mal parti ! L'enveloppe allouée par le FACÉ pour l'élimination des fils nus en basse tension n'a pas augmenté pour 2012 par rapport à l'année dernière. Je me permets de vous le dire, monsieur Pintat, puisque vous êtes également président du FACÉ.
Bien sûr, mais la part consacrée à l'éradication des fils nus est pratiquement constante.
La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial. Je souhaiterais soulever deux questions.
Messieurs, vous nous avez livré beaucoup de ratios fort intéressants, mais jamais de chiffres bruts, or il est important que nous puissions disposer d'ordres de grandeur. Pourriez-vous nous les fournir en complément des documents que vous nous avez présentés ?
Par ailleurs, je ne rouvrirai pas le débat sur Linky, mais vous nous avez parlé de simulations portant sur les usages : j'aimerais savoir où vous en êtes à cet égard. En effet, Linky fait l'objet d'une présentation très comptable, mais on attend aussi de ce compteur qu'il contribue à modifier les habitudes des consommateurs. Si Linky sert simplement à prendre connaissance du montant des factures, cela ne justifie pas un investissement de 4 milliards d'euros !
Je peux vous indiquer deux chiffres parmi bien d'autres : nous estimons que le volume global des investissements des collectivités concédantes s'élève à 1 milliard d'euros, montant à comparer aux investissements d'ERDF, qui sont de l'ordre de 2,5 milliards à 3 milliards d'euros. On peut donc retenir que les collectivités concédantes assument le quart de l'effort d'investissement sur les réseaux.
Autre chiffre intéressant, le produit global de la taxe locale sur l'électricité - le sujet est d'actualité, eu égard à la transposition en cours de directives européennes - s'élève à 1,4 milliard d'euros, et il est réparti comme suit : les départements perçoivent quelque 500 millions d'euros, les communes 600 millions d'euros et les syndicats d'électricité environ 300 millions d'euros. Il convient de rappeler que lorsque la taxe est perçue par les syndicats d'électricité, elle est affectée : en effet, le syndicat ne peut la percevoir que si on lui a attribué la compétence pour investir dans les réseaux. A contrario, la partie du produit de la taxe perçue par les départements et les communes n'est pas obligatoirement réinjectée dans l'amélioration du système électrique, mais peut financer des dépenses générales.
Je vous remercie d'apporter cette dernière précision, monsieur Sokoloff, parce que vous adressez ainsi un message important aux parlementaires que nous sommes. Légalement, le produit de la taxe locale sur l'électricité peut être utilisé pour financer n'importe quel type de dépenses, il n'y a aucune obligation de l'affecter à des travaux de renforcement du réseau électrique. Il faut le savoir !
M. Jean-Pierre Vial. En ce qui concerne la sécurisation du réseau, j'ai fait un rapide calcul : la mise en oeuvre du scénario que vous nous avez présenté supposerait que l'on éradique 200 kilomètres de fils nus par an et par département, ce qui est matériellement irréaliste. Pourriez-vous nous indiquer des chiffres correspondant à ce que les départements peuvent véritablement réaliser chaque année ?
Une précision me paraît importante : les fils nus correspondent à des réseaux extrêmement anciens qui ont largement dépassé leur durée de vie théorique. EDF, puis ERDF, ont manqué à leurs obligations de renouvellement des réseaux et les ont laissés vieillir. Aujourd'hui, certains réseaux ont soixante-dix ans, voire quatre-vingts ans !
Pour accélérer l'élimination des fils nus, les collectivités locales ont commencé à prendre en charge des programmes de sécurisation, mais ERDF peut et doit continuer de prendre une part active à cet effort, au titre de sa mission de base de renouvellement des ouvrages. Le cahier des charges du concessionnaire prévoit une obligation de renouveler les ouvrages lorsqu'ils arrivent au terme de leur durée de vie : si ERDF l'assumait correctement, l'éradication des fils nus serait autant, sinon plus, le fait du concessionnaire que celui des collectivités locales. Dans le cadre du renouvellement du réseau, le rythme d'éradication des fils nus évoqué par M. Vial ne me paraît pas du tout irréaliste, à condition qu'ERDF fasse son travail !
Vous nous avez demandé des chiffres globaux, nous vous les avons fournis. Cependant, les conférences départementales devront établir l'inventaire des travaux déjà réalisés, coordonner les actions d'investissement et définir une stratégie comprenant un recensement des besoins, des objectifs communs et des délais, quitte à mobiliser d'autres acteurs, comme les conseils généraux. Ce travail doit être réalisé département par département, parce que les calculs de moyennes ne reflètent pas la réalité. C'est la raison pour laquelle nous organisons ces conférences départementales.
Vous avez souligné que RTE serait en mesure, dans un avenir assez proche, d'offrir un réseau d'une qualité optimale. Je ne veux pas diminuer les mérites de RTE, mais sa mission consiste à mettre en oeuvre les directives de la CRE avec les moyens que celle-ci lui assigne. En clair, la CRE détermine le montant des investissements et affecte à RTE une ressource, financée par le TURPE, ce qui n'est pas le cas pour ERDF. Souhaitez-vous que, pour cet opérateur également, la loi donne à la CRE le pouvoir de déterminer le montant et la nature des investissements à réaliser ?
Je formulerai maintenant deux observations.
Premièrement, en ce qui concerne Linky, j'assume la paternité, avec Ladislas Poniatowski, d'un rapport favorable au déploiement de ce compteur. Réduire les fonctionnalités de Linky à l'indication en temps réel de leur consommation aux usagers, c'est ignorer les conclusions de ce rapport. Je suggère que la commission d'enquête nous auditionne, M. Poniatowski et moi, sur cette question... (Sourires.)
Deuxièmement, je ne souscris pas aux observations du président de notre commission d'enquête relatives à la taxe locale sur l'électricité. En effet, en tant que maire d'une commune qui n'est pas membre d'un syndicat maître d'ouvrage, je veux bien que l'on rapporte la ressource que représente cette taxe au montant global des investissements réalisés, car je ne veux pas juger de ce que font les autres collectivités, mais je souhaiterais que les critiques sur l'utilisation du produit de la taxe soient plus modérées, parce qu'elles ne correspondent pas à la réalité vécue par de nombreuses communes.
Je saisis cette occasion pour évoquer une difficulté que je rencontre en tant que maire. Depuis quelque temps, on demande aux villes de financer des renforcements de réseaux à la suite d'opérations de construction de logements, parfois modestes. Ces demandes me paraissent assez scandaleuses, et je souhaiterais connaître la position de la FNCCR sur cette question.
Nous rencontrons également des difficultés avec ERDF, en termes de délais pour le raccordement d'immeubles ou d'équipements. Ces délais occasionnent une perte pour les acteurs économiques concernés, car ceux-ci ont besoin que le raccordement soit effectué rapidement pour pouvoir mettre les logements qu'ils ont construits en location, par exemple.
Il est tout à fait louable de vouloir améliorer les réseaux, mais comment faire pour que l'opérateur soit plus réactif et que l'on cesse de solliciter les communes pour financer des renforcements ? La création de vingt ou trente appartements supplémentaires, en région parisienne, n'est pas à l'origine d'une saturation du réseau justifiant des investissements non négligeables, du moins si l'on en croit les montants facturés !
Je tiens tout d'abord à remercier MM. Pintat et Sokoloff de la qualité de leur intervention.
Les travaux de renforcement et d'amélioration effectués par les collectivités concédantes évitent à ERDF de renouveler les ouvrages concernés, nous a-t-il été indiqué. Cet aspect me paraît important, parce que j'ai parfois l'impression que l'on compte deux fois les investissements réalisés.
Par ailleurs, j'observe que la pose de panneaux solaires sur le toit d'une maison n'exige pas un renforcement du réseau, car il n'est pas nécessaire de passer à la moyenne tension. À partir de quelle taille la mise en place d'un nouvel équipement impose-t-elle de passer à la moyenne tension ?
M. Jean-Claude Lenoir a évoqué deux sujets importants.
Nous pensons qu'une régulation nationale est nécessaire, mais il faut également une régulation locale, que seules les autorités organisatrices de la distribution d'électricité peuvent assurer. La CRE ne peut pas réguler le branchement du boulanger, d'un lotissement, etc. : cette régulation de proximité incombe au maire de la commune.
Dans le cadre de l'organisation actuelle, comment concilier régulation et efficacité, comme c'est le cas avec RTE ? La CRE peut difficilement être directive, car elle ne peut exercer de tutelle sur les collectivités concédantes. Cependant, la loi a prévu l'organisation de conférences départementales : si celles-ci fonctionnent bien, on saura vraiment ce que font le distributeur et les autorités concédantes. La loi devrait prévoir que les conclusions des conférences départementales soient communiquées à la CRE, qui n'aurait alors qu'à « ramasser les copies » et pourrait ainsi disposer d'une vision très exacte de la réalité lui permettant d'influer, par sa dotation, sur l'efficacité des investissements. Je ne vois pas ce que l'on pourrait faire de plus, parce que l'on ne va pas démultiplier la CRE, comme cela avait été fait pour le Médiateur, en créant des délégués départementaux. La CRE doit rester une structure nationale et elle assure très bien la régulation du service public national ; pour le service public de proximité, qu'elle collecte les données, département par département, et tout sera transparent. Telle est notre position.
En ce qui concerne la taxe affectée, vous avez raison, monsieur Lenoir : il ne faut pas caricaturer la situation dans les communes. D'ailleurs, si les engagements sont respectés, notamment pour la mise aux normes de l'éclairage public, les besoins seront nettement supérieurs au produit de la taxe affectée !
En revanche, il faudrait que les départements réinjectent une partie du produit de la taxe locale sur l'électricité qu'ils perçoivent, dans la limite de 20 % ou de 30 %, dans le système électrique, peut-être selon des objectifs ciblés. La sécurisation des réseaux pourrait faire l'objet d'une contractualisation entre les départements, ERDF et les autorités concédantes.
Monsieur Kaltenbach, pour répondre à votre question, il convient de rappeler qu'un raccordement électrique comporte trois parties : le branchement, payé par le pétitionnaire ; l'extension du réseau et les travaux de génie civil, financés par la collectivité responsable de l'urbanisme, qui peut soit répercuter la dépense sur le pétitionnaire via la taxe d'aménagement, soit la prendre en charge ; enfin, le renforcement du réseau nécessaire pour garantir la qualité de la distribution du courant, qui relève, à mon sens, de la mission du service public de l'électricité - sur ce point, vous avez raison. Ce renforcement devrait donc être pris en charge au travers de la péréquation. Comme vous l'avez dit, le dernier abonné raccordé n'est pas nécessairement responsable de la perturbation d'un réseau : le renforcement est une véritable mission de service public.
Le groupe de travail que j'ai présidé a rendu des conclusions en ce sens. En principe, ce problème est réglé, et j'ai été surpris de cette question.
M. Kaltenbach a raison : sur le terrain, la situation n'est pas toujours conforme aux principes.
Cette question est réglée juridiquement. La FNCCR remplit tout à fait son rôle : elle a engagé un dialogue avec le ministère parce que, dans certains départements, les directives nationales sont parfois interprétées de manière particulière.
Pour éviter qu'une collectivité chargée de l'urbanisme ne rencontre un problème dans l'instruction des dossiers de raccordement, il faudrait que nos syndicats créent, avec ERDF, un pôle commun d'instruction des dossiers. En zone rurale, par exemple, les communautés de communes et les syndicats de communes sont bien au fait des questions d'urbanisme, mais les agents d'ERDF connaissent parfois mal la réglementation des permis de construire. La mise en place d'un pôle commun d'instruction des dossiers permettrait de régler les cas particuliers et d'éviter des erreurs.
Je suis ravi que M. Kaltenbach ait posé cette question, parce que le problème n'est pas réglé. La FNCCR joue tout à fait son rôle en nous défendant.
Je crois qu'une question n'a pas encore reçu de réponse.
Reste en effet la question de M. le rapporteur sur l'incidence du développement de la production d'électricité photovoltaïque sur le renforcement des réseaux.
Tout d'abord, l'électricité produite par un panneau solaire installé sur le toit d'une habitation est certes revendue, mais elle est, en général, réinjectée dans la maison : il s'agit en fait, sur le plan technique, d'une autoconsommation. Dans ce cas de figure, il n'y a pas de charge supplémentaire pour le réseau.
La situation devient en revanche problématique, en raison du fort développement du photovoltaïque et de l'effet de masse qui en résulte, si, compte tenu du niveau d'ensoleillement, la production est forte et la consommation faible. Ces décalages posent un problème au gestionnaire du réseau, qui doit garantir en permanence un équilibre entre les injections et les soutirages.
Ces phénomènes ont une incidence sur le dimensionnement des réseaux, mais la véritable difficulté, de notre point de vue, est liée à l'évolution de la régulation du réseau de distribution. Au niveau des réseaux de transport d'électricité, des mécanismes extrêmement complexes existent : RTE a développé tout un arsenal d'outils, comme le mécanisme d'ajustement, les responsables d'équilibre, etc. Pour la FNCCR, la question qui se pose, et qui n'est pas encore réglée, est de savoir si les gestionnaires de réseaux de distribution disposeront également d'outils de contractualisation avec les producteurs et les consommateurs pour assurer, à leur niveau, cette mission d'équilibrage. Ce chantier est devant nous, et nous ne disposons pour l'heure que de peu d'éléments !
Messieurs, vous avez su être à la fois synthétiques et, quand il le fallait, plus techniques et précis : je vous en félicite !
Mes chers collègues, dans la suite de nos travaux de ce matin, nous allons maintenant entendre M. Paul Champsaur, président de l'Autorité de la statistique publique et de la commission sur le prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique.
Monsieur Champsaur, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Vous n'aviez d'ailleurs pas le choix (Sourires.), puisque toute personne sollicitée est obligée de se présenter devant une commission d'enquête parlementaire.
Votre audition est importante, parce que vos responsabilités vous placent au coeur du sujet qui nous occupe.
Je vais maintenant vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Monsieur Champsaur, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure. »
(M. Paul Champsaur prête serment.)
Je vous remercie.
Pour entrer tout de suite dans le vif du sujet, M. le rapporteur, Jean Desessard, va rappeler les questions qu'il vous a adressées afin de vous permettre de préparer cette audition, de telle sorte que tous nos collègues en soient informés et que cela figure dans le compte rendu de nos auditions. Vous y répondrez dans l'ordre que vous souhaitez et pourrez apporter des éclaircissements complémentaires si cela vous semble utile. Par conséquent, je vous demanderai d'être relativement concis lors de votre exposé, afin que les membres de la commission d'enquête puissent ensuite vous interroger.
Monsieur le rapporteur, vous avez la parole.
Monsieur Champsaur, nous vous avons adressé cinq questions. Je les résume rapidement.
Première question : pouvez-vous présenter les principales raisons qui ont conduit la commission que vous avez présidée à proposer un prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, l'ARENH, proche de 39 euros par mégawattheure ? Quelles en sont les conséquences sur le prix de l'électricité, notamment pour les tarifs réglementés à partir de 2015 ?
Deuxième question : que pensez-vous du choix du Gouvernement de fixer l'ARENH à 42 euros par mégawattheure et donc à évaluer à 3 euros les conséquences du renforcement de la sécurité des centrales ? Ne faudrait-il pas plutôt, comme l'a indiqué la Commission de régulation de l'énergie dans son avis relatif à la fixation de l'ARENH, prendre en compte les coûts de renforcement de la sécurité au moment où ils seront engagés ?
Troisième question : quelles sont les perspectives d'évolution du prix de l'ARENH dans les dix ans à venir, à législation constante ?
Quatrième question : la création de l'ARENH a-t-il de fait supprimé tout risque de « rente nucléaire » pour l'opérateur historique, en donnant un accès à l'électricité du parc nucléaire aux autres fournisseurs ?
Cinquième question : pouvez-vous commenter les déclarations du président d'EDF, selon lequel seule la méthode du « coût courant économique », qui donne un prix de l'électricité nucléaire de 49,5 euros par mégawattheure, répond aux impératifs de la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, la loi NOME, pour la fixation de l'ARENH ?
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très honoré de votre invitation. Je vais essayer de répondre au mieux aux différentes questions posées, en m'appuyant sur le rapport de la commission sur les prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, que vous connaissez. Je ne m'écarterai pas des chiffres cités dans ce rapport, mais je tenterai d'expliquer d'où ils viennent.
J'apporterai d'abord quelques précisions.
Dans votre première question, monsieur le rapporteur, vous parlez de 39 euros par mégawattheure. En fait, ce chiffre de 39 euros figurant dans notre rapport, en réponse à la question posée, est un prix moyen sur l'ensemble de la période 2011-2025. Quand on voit dans le rapport 39 euros, il faut entendre 39 euros 2011. Comme il n'existe pas, à ma connaissance, de méthode permettant de définir des prix annuels, il faut un minimum de conventions.
Ces conventions, la loi nous les a données : démarrer en prenant comme référence le tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché, le TaRTAM, c'est-à-dire avoir un prix de l'ARENH en 2011 qui soit cohérent avec le niveau du TaRTAM. Ce niveau, je vous le rappelle, était nettement plus élevé - de 20 % ou 23 % au départ, puis un peu moins ensuite - que celui des prix régulés.
Cela signifie qu'un problème s'est posé au démarrage, puisqu'on voit bien que le marché ne peut fonctionner que s'il y a cohérence entre tous les prix. Ce problème de ciseaux tarifaires, c'est-à-dire de prix administrés trop bas par rapport au prix de gros, l'ARENH, auquel se fournissent les concurrents d'EDF, devait se résoudre progressivement dans les premières années et être résolu, comme le prévoyait la loi NOME, en 2015, au moment où la Commission de régulation de l'électricité, la CRE, fixera le tarif.
Par conséquent, le parcours a obéi au début à d'autres règles que celles qui permettent de raisonner correctement sur l'ensemble de la période.
Dernier point : si vous démarrez à 39 euros en 2011 et que vous visez 39 euros, valeur 2011, en moyenne sur l'ensemble de la période, cela veut dire que vous faites l'hypothèse que les prix de l'ARENH évolueront comme l'inflation, c'est-à-dire de 2 % par an, pour atteindre 42 euros, valeur 2015, en 2015, 45 ou 46 euros, valeur 2020, en 2020 et ainsi de suite. C'est important. Vous le voyez, je réponds déjà en partie à votre troisième question.
Nous n'avons pas répondu directement à cette question, car il faut ajouter des critères pour obtenir un prix de départ et une évolution. Mais avec une moyenne et un prix de départ, vous pouvez déterminer l'évolution.
D'où vient ce chiffre de 39 euros, valeur 2011, en moyenne pour la période 2011-2025 ? C'est l'addition de trois éléments.
D'abord, les coûts d'exploitation. Il n'y a pas de désaccord sur ce point, puisque ceux-ci figurent dans les comptes d'EDF. Nous, nous partons de l'hypothèse qu'ils augmenteront un peu : comme ils s'élèvent à 23 ou 24 euros, nous les avons fixés à 25 euros 2011 en moyenne. Ce sont des coûts que nous constatons et que nous devrons continuer à constater dans les comptes d'EDF.
Ensuite, il y a les coûts du capital engagé par EDF et les coûts de provisionnement des charges de fin de vie des centrales.
Globalement, notre commission ne s'est pas écartée des comptes historiques d'EDF, de sa comptabilité, c'est-à-dire que nous n'avons pas refait l'histoire. Nous sommes donc partis de la valeur comptable des centrales après amortissement, en lui appliquant un taux réel de rentabilité assez élevé d'un peu plus de 8 %. Pour obtenir le taux nominal, il faut ajouter à peu près 2 %.
Nous avons calculé large pour les charges de fin de vie. Je crois que nous avons rajouté 7 milliards d'euros, alors que, sur la base des chiffres existants, il suffirait de 2,5 milliards - mais cela ne joue pas énormément. Mais voilà la grande différence entre notre analyse et celle d'EDF à l'époque. Je vous rappelle qu'EDF réclamait 42 euros par mégawattheure et que nous avons proposé au maximum 38 à 39 euros. EDF prenait un capital de départ beaucoup plus élevé que le nôtre, d'une trentaine de milliards d'euros. Pourquoi ? Parce qu'EDF a refait l'histoire, a repris une chronique d'amortissement, de distribution, de dividendes, etc., depuis le moment où les centrales ont été construites jusqu'à maintenant, histoire qui n'est pas celle qui a eu lieu, mais qui était plus intéressante pour EDF pour le futur.
Cette différence est d'ailleurs un peu expliquée dans le rapport. Je pourrais éventuellement apporter quelques détails, mais c'est assez inattaquable. À l'époque, je le précise, EDF ne demandait pas l'application de ce que son président appelle le « coût courant économique » - vous le citez dans votre cinquième question -, qui donne un résultat nettement plus élevé.
Outre ces deux éléments, il convient de prendre en compte les investissements de maintenance qui ont été réalisés à hauteur de 1,5 milliard à 2 milliards d'euros ces dernières années. Ils sont appelés à augmenter. En les rajoutant - dans la comptabilité récente, on les compte -, on obtient un coût comptable de l'électricité de l'ordre de 33 ou 34 euros par mégawattheure, tout le monde est à peu près d'accord là-dessus.
Mais j'insiste sur le fait que, d'une part, derrière ce chiffre, il y a bien un coût du capital amorti, c'est-à-dire tel qu'il figure dans les comptes d'EDF, et que, d'autre part, nous avons prévu un peu large pour inclure - je ne suis pas spécialiste de ce sujet - les provisions qu'EDF doit continuer à accumuler pour couvrir les charges de démantèlement en fin de période.
Enfin, il nous était demandé par la loi d'ajouter un dernier élément lié au prolongement des réacteurs nucléaires actuels : ils ont été fabriqués pour trente ans, ont duré sans difficulté quarante ans et, comme vous le savez tous, dans les prochaines années, il faudra décider de passer ou non à cinquante, voire à soixante ans. Pour cela, l'Autorité de sûreté nucléaire, l'ASN, réalisera des audits, et des investissements supplémentaires devront être faits.
On nous a demandé explicitement de raisonner en admettant comme hypothèse le prolongement des réacteurs. Il est clair que, dans ce cas, aucune décision d'investissement n'aura à être prise, puisque nous sommes actuellement en surcapacité en France : dans la mesure où nous exportons de la base, nous n'aurons pas à prévoir d'investissements significatifs en base, visant à augmenter les capacités dans les quinze ans qui viennent.
Monsieur Champsaur, pensez à bien calculer votre temps de parole restant pour chaque question !
En résumé, nous devrons faire des investissements supplémentaires, et nous les avons estimés. Je précise que tous nos chiffres concernant les investissements proviennent d'EDF. Ils ne sont certainement pas minorés.
Ces investissements correspondent à 5 ou 6 euros par mégawattheure, qui s'ajoutent aux 33 euros, ce qui fait, au total, 38 ou 39 euros.
Vous vous doutez bien que tout cela n'est pas d'une précision à la virgule près. Quand je vous dis 38 ou 39 euros, cela signifie que 39 euros, c'est large, mais que 38 euros, cela pourrait aller.
Par ailleurs, je le répète, ce sont des prix moyens sur l'ensemble de la période. Quelles en sont les conséquences sur le prix de l'électricité, notamment pour les tarifs réglementés à partir de 2015 ?
Les tarifs réglementés actuels sont basés sur un prix qui est le prix comptable d'EDF en gros, c'est-à-dire sur 33 ou 34 euros. Par conséquent, si l'on veut parvenir, comme le prévoit la loi NOME, à une cohérence entre les tarifs de gros et les tarifs de détail en 2015, il faut que les tarifs de détail augmentent si les tarifs de gros sont supérieurs à 34 euros.
Vous trouverez dans notre rapport un tableau permettant, à partir des hypothèses retenues et de calculs faciles à faire, d'obtenir le prix final de l'électricité, qui, je le rappelle, est la somme de nombreux éléments : le prix de la base, qui est le sujet aujourd'hui ; le prix du complément, notamment en pointe ; le prix du transport et de la distribution ; enfin, la contribution au service public de l'énergie qui augmente beaucoup.
Cela pose une réelle difficulté politique car, si le prix de départ de l'ARENH est de 36 euros par mégawattheure en 2011, compte tenu des hypothèses envisagées - vous avez écouté les propos de M. Maillard sur les prix de transport, etc. -, il faudrait que, d'ici à 2015, les prix administrés augmentent de l'inflation plus 1,5 % pour parvenir à une cohérence en 2015, et ainsi de suite : si le prix démarre à 39 euros, c'est l'inflation plus 2 %, s'il est fixé au départ à 42 euros, c'est l'inflation plus 2,5 %...
Vous voyez que c'était l'un des chiffres difficiles à avaler pour le Gouvernement.
Ces chiffres ! Nous aurons l'occasion d'y revenir.
Je pense que j'ai répondu largement à votre première question, monsieur le rapporteur.
Ce chiffre de 42 euros a été avancé relativement tôt car, à l'époque, les conséquences de Fukushima n'étaient pas vraiment connues. Maintenant, elles le sont, puisque l'ASN a établi un rapport et que des estimations ont été données par la Cour des comptes. Pour ma part, je n'ai lu que cela ; d'ailleurs, je ne suis pas compétent sur les mesures de sécurité. Mais il se trouve qu'EDF et nous en avions déjà prévu : le rajout est donc d'un demi-euro par mégawattheure. Cela ne change pas vraiment l'estimation à 39 euros. Le problème est que l'on démarre haut...
Plus précisément, sur la base des chiffres disponibles, notamment des estimations de la Cour des comptes fondées sur les demandes de l'ASN, il faut ajouter à peu près 5 milliards d'euros au programme d'investissements déjà inclus, au titre du prolongement des réacteurs, etc., c'est-à-dire, pour vous donner un ordre de grandeur, un demi-euro par mégawatheure sur la période.
La période 2011-2015 s'annonce donc difficile à gérer. Il n'est pas certain que la CRE soit en mesure d'appliquer sans grosse difficulté la loi NOME en 2015.
J'en viens à la troisième question, qui porte sur les perspectives d'évolution du prix de l'ARENH dans les dix ans à venir, à législation constante.
J'en ai déjà un peu parlé, tout dépend du niveau de démarrage. Imaginons que l'on reste au chiffre de 42 euros - il faudrait le bloquer en nominal - en 2015, c'est à peu près le résultat voulu, et il faudrait qu'il baisse encore un peu après. Mais cela signifie des hausses importantes concernant les tarifs réglementés d'ici là. Je vous rappelle que la loi NOME prévoit la disparition de deux des trois tarifs réglementés, à savoir les tarifs jaune et vert. On ne conserve que le bleu.
Quatrième question : la création de l'ARENH a-t-elle de fait supprimé tout risque de « rente nucléaire » ? Le principe de l'ARENH est un peu indépendant de la notion de rente nucléaire, qui est la différence entre le prix auquel EDF vend son énergie nucléaire et ses coûts. L'ARENH est l'un de ces prix. Il s'agit donc, non pas du principe de l'ARENH, mais de son niveau.
Cela signifie qu'aujourd'hui avec un ARENH à 42 euros on est en rente du côté du marché de gros, c'est-à-dire de l'électricité qu'EDF vendrait à ses concurrents, qui correspond à 10 % ou 15 % de sa production d'électricité nucléaire. Sur le reste, c'est l'inverse, les prix administrés sont bas.
La notion de rente nucléaire n'a de sens que dans un système de prix équilibrés, c'est-à-dire en cas de cohérence entre les prix administrés et le prix de l'ARENH. À ce moment-là, on peut calculer une rente ; l'ARENH permet de le faire. Sinon, on ne sait pas très bien de quoi on parle.
En outre, le problème de la rente nucléaire en France n'a rien à voir avec ce qui peut exister dans les pays où le nucléaire ne correspond qu'à un pourcentage minoritaire de la production d'électricité. Dans ces États, c'est le prix du marché qui s'applique, et la différence va dans la poche de l'opérateur qui possède les centrales nucléaires. En France, ce n'est pas du tout le cas, puisque nous sommes dans un système de prix administrés. Il faut faire attention à ne pas raisonner à partir du cas belge ou de l'ancien cas allemand, etc. Mais il est clair que la loi NOME avait bien pour objectif, entre autres, de faire disparaître la rente nucléaire d'ici à 2015.
Votre cinquième question portait sur les déclarations du président d'EDF.
D'abord, le concept de « coût courant économique » n'est pas défini dans la littérature de façon parfaitement claire, et il est possible, me semble-t-il, de l'interpréter de plusieurs façons.
Pour procéder à cette interprétation, EDF a repris le chiffre de la Cour des comptes, c'est-à-dire le coût de l'électricité si EDF, au long de la vie de ses centrales, récupérait in fine la valeur réévaluée de ces centrales.
Ce coût aurait un sens s'il y avait ouverture à la concurrence, si le nombre des centrales n'était pas trop important, c'est-à-dire s'il fallait en construire de nouvelles, et si les entreprises sur le marché de l'électricité pouvaient en construire. Dans ce cas, il serait normal qu'EDF leur vende l'électricité au coût où celles-ci le produiraient avec de nouvelles centrales.
Mais ce n'est absolument pas la situation française actuelle, qui est beaucoup plus proche de celle qui prévaut dans les télécoms. J'ai été régulateur, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l'ARCEP, qui faisait assez couramment référence au concept de « coût courant économique », par exemple pour les tarifs de dégroupage et, fondamentalement, pour essayer d'inciter les concurrents de France Télécom à choisir entre investir ou acheter. Mais ce n'est pas du tout la situation de l'électricité.
Vous le savez beaucoup mieux que moi : pour l'instant, tout d'abord, nous avons suffisamment de capacité de production d'électricité nucléaire, donc le sujet de la construction de nouvelles centrales se posera au plus tôt dans quinze ans, et, ensuite, je ne pense pas qu'un accord ait été trouvé dans l'opinion publique ni au sein de la classe politique sur le point de savoir qui aurait le droit de construire et de gérer des centrales nucléaires. C'est un sujet que nous avons clairement écarté dans nos commissions. D'ailleurs, les représentants, aussi bien de l'Assemblée nationale que du Sénat, nous ont enjoints de ne pas y toucher. Par conséquent, pour l'instant, le nucléaire, c'est EDF.
Je ne crois absolument pas que le concept de « coût courant économique » soit actuellement adapté à la situation de l'électricité, puisque nous ne sommes pas capables de faire ce qu'il supposerait de faire.
En tout cas, je considère que le chiffre de 49,5 euros par mégawattheure est grossièrement surestimé.
C'est une réponse précise et je vous en remercie.
Je donne maintenant la parole à M. le rapporteur, qui souhaiterait obtenir quelques précisions complémentaires.
Je voudrais également vous remercier de vos réponses, monsieur Champsaur.
En définitive, vous écartez la proposition de la Cour des comptes de calculer le « coût courant économique ».
Ah non, ce n'est pas la proposition de la Cour des comptes !
Elle l'a cité, en disant que le « coût courant économique » serait de 49,5 euros.
C'est cela. Mais vous dites que cela n'a pas beaucoup d'intérêt car, dans le système existant, les centrales sont là et peuvent produire ; selon vous, ce qu'il est intéressant de calculer, c'est la maintenance qui serait nécessaire pour que les centrales puissent continuer à produire...
La maintenance et les investissements de sécurité.
L'investissement, c'est-à-dire le changement d'un certain nombre de bâtiments. Cependant, le « coût courant économique » a l'avantage de permettre d'établir une comparaison avec les énergies renouvelables, ne pensez-vous pas ?
Je pense que le « coût courant économique » doit être utilisé pour certains travaux de comparaison,...
c'est-à-dire quand il s'agit d'investissements. Mais, actuellement, notre problème n'est pas d'investir dans le nucléaire.
Je vous remercie de cette précision.
Selon vous, puisque les investissements ne sont pas nécessaires aujourd'hui, il n'est pas utile de les faire apparaître ; cela risquerait de fausser les calculs.
En outre, nous n'avons pas réglé la question de savoir qui aurait droit de faire ces investissements. C'est très important, car la situation de monopole indéfini d'EDF est vouée à disparaître à l'avenir.
J'ai compris, mais vous dites que, si l'on se plaçait dans une hypothèse théorique d'investissements, la méthode de « coût courant économique » pourrait être plausible, surtout en comparaison des investissements dans les autres filières.
Le chiffre de 33 ou 39 euros, pour une comparaison avec les coûts de l'énergie renouvelable, est trop bas !
Nous sommes d'accord.
Au demeurant, je ne suis pas sûr que le chiffre de 49,5 euros soit bon. Il est un peu compliqué de déterminer exactement ce coût.
Vous avez dit que plusieurs méthodes d'interprétation du « coût courant économique » coexistaient. Il faudrait tout de même approfondir la réflexion.
Admettons que ce soit bon. De toute façon, c'est nettement plus de 39 euros.
Je ne sais pas comment je dois formuler ma question, car je suis très déstabilisé par vos conclusions.
Nous étions censés, avec l'ARENH, avoir la présentation la plus précise, la plus objective possible du prix d'une énergie que l'on maîtrisait par rapport à toutes les autres que nous avons beaucoup de difficultés à apprécier. Or vous nous présentez des chiffres qui, finalement, nous font passer de l'objectivité au virtuel en nous plaçant dans un schéma où nous excluons l'hypothèse que l'on puisse reconstruire des centrales nucléaires.
Ce soir, je vais prendre un avion : je ne sais pas si ce sera un Airbus ou un Boeing, s'il a quinze ans ou s'il est tout neuf, mais le prix de mon billet sera le même quel que soit cet avion.
Il y a concurrence entre Airbus et Boeing !
Oui, mais le schéma dans lequel nous nous plaçons comporte tout de même des éléments qu'il nous faut apprécier par rapport à un marché qui est censé être concurrent. En effet, quand on essaie de se placer par rapport aux énergies renouvelables - je suis bien placé pour le savoir, car je suis partisan de l'une d'entre elles -, on nous ramène toujours au prix de référence, c'est-à-dire au prix qui est fixé pour le nucléaire d'aujourd'hui.
Ce matin, j'ai rencontré des Allemands. Eux, ils essaient d'évaluer le prix de l'énergie par rapport à un schéma qui n'est pas celui dans lequel se place la France, puisqu'il intègre beaucoup d'autoconsommation. À un moment donné, il faut bien essayer de simuler : même si la construction de centrales nucléaires n'est pas prévue demain, dès lors que l'on évalue des installations existantes, il faut bien être sur le marché du nucléaire et supposer qu'il soit reconduit demain, que l'on reconstruise ou non des centrales nucléaires.
Je crains que le chiffrage très précis que l'on tente de donner ne repose sur quelque chose de très virtuel, si l'on considère que le schéma du nucléaire actuel ne se prolongera pas.
Le chiffrage que j'ai proposé n'est pas très précis ; je l'ai dit dès le départ. De plus, la situation dans laquelle nous nous trouvons est transitoire. Il se trouve que nous avons peut-être un peu trop investi, que notre capacité nucléaire est supérieure à nos besoins, que nous avons un seul opérateur et que nous n'en voulons pas d'autres. Je pense que, d'ici à dix ou quinze ans, les choses évolueront, notamment en fonction de ce qui se passera autour de nous. Nous pourrons alors reposer le problème.
Par conséquent, la loi NOME est une loi d'attente, une loi transitoire. Le problème avec le nucléaire, c'est que la transition est longue. L'énergie, en particulier le nucléaire, s'inscrit dans des temps très longs, parfois même extrêmement longs, avec des centrales de quarante ou cinquante ans, voire soixante ans. Quelle est la durée de vie d'un avion ?
Celui que M. Vial va prendre ce soir a presque trente-deux ans ! (Sourires.)
Monsieur le rapporteur, ne coupez pas l'explication de M. Champsaur ! (Sourires.)
Nous ne sommes pas en train de décrire le marché concurrentiel européen tel qu'il sera dans trente ou quarante ans. De plus, nous avons pris le parti en France, pour l'électricité de base, de ne pas suivre le reste de l'Europe.
Une autre solution aurait consisté à aligner les prix sur ceux du marché européen, et ensuite à récupérer la rente nucléaire - qui aurait d'ailleurs été importante - en taxant EDF. Mais je dois vous dire que cette solution, qui pose de nombreux problèmes, n'a pas soulevé d'enthousiasme. Je ne détaillerai pas ces problèmes, vous les connaissez mieux que moi.
Nous n'avons pas choisi cette option. Nous avons décidé de ne pas trop augmenter les prix de l'électricité, même s'il faut le faire. De plus, notre héritage nucléaire est très important ; nous sommes donc dans une situation qui n'a rien à voir avec celle de l'industrie aéronautique.
Je vous rappelle que des avions, il s'en commande tous les jours, ce qui n'est pas le cas des centrales nucléaires, qui sont construites pour des raisons industrielles et non parce qu'on en a besoin.
Je poserai deux questions.
La première concerne le coût du provisionnement. Sur quelles hypothèses êtes-vous partis ? Par exemple, entre l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, et EDF, nous sommes aujourd'hui sur un facteur 2 concernant le stockage des déchets, soit entre 15 milliards et 35 milliards d'euros. Quant au démantèlement, les hypothèses fluctuent également beaucoup. Quels sont vos chiffres ?
Les chiffres sont contenus dans le rapport. Nous avons un peu dopé ceux qu'on nous a fournis ; nous avons rajouté un provisionnement qui continuerait à un assez bon rythme dans les prochaines années alors que, sur la base des montants prévus, nous n'en aurions pas besoin.
Cela étant dit, je ne vous garantis pas que ce soit suffisant. Mais, compte tenu de la longueur de la période, nos calculs montrent que, même si le coût augmentait sensiblement, les prix fixés ne changeraient pas énormément.
Nous avons rajouté 7 milliards d'euros au provisionnement actuel, qui doit être de l'ordre de 16 milliards d'euros, alors qu'il faudrait n'en rajouter que 2,5 milliards.
Donc, le coût d'exploitation est de 24 euros ; quel est le coût moyen du provisionnement ?
Actuellement, on ne sait pas ce que sera le coût final, alors que, dans deux ou trois ans, nous le saurons beaucoup mieux parce que des travaux, des études ou autres sont en cours. Il est vraisemblable que les chiffres actuels seront réévalués, mais cela interviendra loin dans le temps,...
si les centrales sont prolongées. Donc, étalé sur des périodes relativement longues, le coût n'est pas faramineux.
C'est la raison pour laquelle ce paramètre n'intervient pas énormément dans notre résultat.
Ce sujet est étudié par la Cour des comptes.
Nous reprendrons le rapport pour réexaminer cette question.
En fait, ma question est la suivante : que se passerait-il si le législateur, dans sa sagesse, décidait que la durée de vie des centrales nucléaires du parc existant ne devait pas dépasser les quarante ans ?
Si la conclusion était de ne pas dépasser les quarante ans, quel serait, approximativement, le prix de l'ARENH pour 2011-2025 ?
Il n'y a plus d'ARENH ni de NOME !
À ce moment-là, il faut faire de nouveaux investissements importants !
Il faudrait un prix de l'électricité beaucoup plus élevé, vraisemblablement proche du niveau européen. Or nous n'avons pas pris ce chemin ; c'est déjà bien tard...
Notre commission d'enquête ne cherche pas à savoir quel sera le prix de l'électricité si on arrête le nucléaire demain ; elle porte sur le coût réel de l'énergie et le prix de l'électricité aujourd'hui. C'est un autre sujet.
Si l'on ne prolongeait pas au-delà de quarante ans, ces calculs n'auraient aucun sens, c'est évident, mais la loi NOME non plus.
Monsieur Champsaur, je voudrais m'assurer que nous sommes bien d'accord sur la réponse à la première question, qui était très précise et portait sur la manière dont vous avez fixé les 39 euros : le prix de l'ARENH comprend le prix du démantèlement, auquel vous avez ajouté les provisions pour le démantèlement, données fournies par EDF.
En gonflant un peu !
Oui ! Mais je ne suis pas sûr que ce soit suffisant.
Cela ne devrait pas changer fondamentalement le débat.
Bien sûr !
N'oublions pas que M. Champsaur a dû remplir deux missions : d'abord, celle de la commission Champsaur, c'est-à-dire formuler une proposition de mise à disposition de l'électricité nucléaire à d'éventuels concurrents ; ensuite, une petite mission très concrète et précise sur le prix à fixer au dernier moment. Ces missions n'ont jamais consisté à émettre un avis sur les choix.
Je serais d'ailleurs bien en peine d'en donner un !
Nous avons très bien compris la manière dont vous avez fonctionné.
La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
Je suis assez déstabilisé par tout ce que j'ai entendu. Je voudrais revenir sur l'essentiel.
On parle de l'ARENH. Or ce sigle comprend un H qui signifie « historique » : il s'agit du nucléaire, non pas de demain mais d'aujourd'hui.
C'est le nucléaire actuel !
D'accord.
Il s'agissait de déterminer quel était le coût avant d'éventuelles mesures de prolongation qui seraient prises, je le rappelle, non pas par le Parlement ni le pouvoir politique, mais uniquement par l'Autorité de sûreté nucléaire. Il me semblait important de le rappeler.
Finalement, toutes les estimations qui devaient être faites aujourd'hui ne pouvaient qu'aboutir à la conclusion suivante : le nucléaire coûte moins cher que les autres sources d'énergie. C'est une évidence. D'ailleurs, je le note au passage, il était dit que, sans nucléaire, les prix français rejoindraient les prix européens...
J'ai entendu que, si nous renoncions au nucléaire, nos prix rejoindraient le niveau des prix européens.
Aujourd'hui, la loi NOME, comme l'a dit M. Champsaur, est une loi de transition.
Une transition longue !
Ladislas Poniatowski et moi, qui étions rapporteurs, avons travaillé sur ce texte de transition allant jusqu'en 2020-2025. Cette évolution devait nous permettre, tout simplement, d'entrer dans le dispositif européen de la libre circulation des produits et des services, et de la concurrence totale dans le domaine de l'énergie.
Pour autant, la loi NOME n'a jamais eu pour objectif de supprimer ce que j'appelle, non pas la rente nucléaire, mais l'avantage du nucléaire pour la France. Je veux dire par là que, si nous gardons un avantage, y compris en 2020-2025, pas seulement avec le parc existant, mais avec le parc qui devra de toute façon se développer - je ne suis pas du tout d'accord avec M. Champsaur en ce qui concerne les besoins en nucléaire -, demain, il faudra regarder non seulement l'offre, mais aussi la demande, qui ne peut qu'augmenter.
La croissance, entre 1,5 % et 1,7 % en moyenne sur les dix ans, entraînera une augmentation de la demande, quels que soient les efforts consentis pour économiser l'énergie, qui nous oblige à avoir de nouvelles sources de production d'énergie. Pour cela, nous devons évidemment nous tourner vers le parc existant, à renouveler ou à prolonger, et, conformément au Grenelle de l'environnement, vers d'autres sources d'énergie, mais avec la même préoccupation, que le prix de l'énergie vendue aux consommateurs soit aussi modéré que possible.
Par conséquent, les choix que nous avons à faire doivent être inspirés par cette volonté. En fait, je le note sans esprit de polémique, certaines personnes s'accommoderaient bien de ce que le prix de l'électricité française soit au niveau des prix européens.
Eh bien moi, je dis non, nous avons une histoire.
Je vous signale, mes chers collègues, que vous êtes déjà entrés dans le débat que nous aurons ensemble à la fin de toutes nos auditions. (Sourires.) Aujourd'hui, il s'agit d'une audition, qui est l'occasion de demander à ceux que nous écoutons un complément de renseignement pour nous aider à rédiger notre rapport.
Veuillez poser votre question, monsieur Lenoir.
Je souhaitais avoir l'avis de M. Champsaur sur les observations que j'ai faites.
Il est possible que, dans dix ans, et non pas quinze, on s'aperçoive qu'il est nécessaire d'engager des investissements nouveaux. Mais nous disposerons alors de plus amples informations. Aujourd'hui, on ne sait pas ce que coûte le nucléaire nouveau.
M. Champsaur a dit qu'il ne le savait même pas pour le traitement des déchets nouveaux.
Je le répète, on ne sait pas ce que coûte le nucléaire nouveau.
Dans le prix de l'ARENH, sont bien inclus un certain nombre de coûts, notamment celui du démantèlement et, éventuellement, de la prolongation de la durée de vie, de dix ou vingt ans, de nos centrales nucléaires. En revanche, vous avez été très clair sur ce point, tous les nouveaux investissements, notamment des centrales nucléaires, ne figurent pas dans le prix de l'ARENH.
Absolument ! L'ARENH, c'est le stock nucléaire historique.
Pour rester vraiment dans le débat technique, je dirai que l'EPR fait partie des coûts. Donc, nous sommes bien dans notre sujet.
Non, le coût de l'EPR n'est pas pris en compte dans les coûts ; et s'il y avait deux EPR, ce serait pareil !
Je souhaiterais faire une remarque pour la bonne compréhension de notre discussion. Demain, dans un marché de l'électricité européen en cours de libéralisation, la comptabilisation du coût de l'EPR entrerait probablement plus dans une logique de « coût courant économique » que dans celle de l'ARENH qui correspond au parc existant.
Monsieur le sénateur, il existe des lois en matière de comptabilité des entreprises. Pour l'instant, aucune de ces lois, dans aucun pays, n'est fondée sur le concept de « coût courant économique ».
Bien sûr que non !
Je ne voudrais pas que notre commission d'enquête s'engage sur une voie totalement fausse. Non, Flamanville n'est absolument pas pris en compte, pas plus dans la méthode exposée par M. Champsaur pour fixer l'ARENH que dans le rapport de la Cour des comptes. Flamanville n'est pris en compte ni dans les coûts, ni dans les dépenses, ni dans les prix !
Monsieur Champsaur, vous avez été très clair dans votre rapport, qui est très précis, ces investissements, auxquels vous venez d'ajouter d'autres investissements qu'il n'est pas possible de prévoir aujourd'hui, risquent demain de rentrer dans les coûts. On pourra alors les évaluer pour la période 2020-2025 ; mais aujourd'hui, on ne les comptabilise pas.
D'ailleurs, des rendez-vous sont prévus par la loi avec le Parlement, ce qui veut dire que la loi peut être modifiée, par exemple en 2020,...
pour correspondre à la situation d'alors.
Vous êtes en train de nous dire que des lois NOME II, III ou IV seront peut-être élaborées, en fonction des choix éventuels de demain.
Je ne sais pas. S'il s'avère que nos capacités de production restent largement suffisantes et que les investissements à décider d'ici à 2025 sont marginaux, nous pourrons continuer à fonctionner avec la loi NOME telle qu'elle est. Mais de toute façon, il faudra une autre loi ultérieurement.
Vraisemblablement, sur la base de l'information dont nous disposons aujourd'hui, les prix de l'électricité nucléaire au-delà de 2025 seront plus élevés, mais nous ne pouvons pas fixer dès maintenant leur niveau exact. Quand un certain nombre d'EPR de série auront été installés dans le monde, on en reparlera !
Je souhaiterais obtenir une précision sur la réponse que vous avez faite à la seconde question de M. le rapporteur, c'est-à-dire sur le passage de votre proposition de 39 euros au chiffre retenu de 42 euros, du fait de la prise en compte des travaux et des investissements qu'il faudra réaliser à la suite de l'enquête de l'ASN sur l'après-Fukushima.
Vous avez bien dit que, au moment où vous avez établi une estimation pour le chiffre global, vous ne disposiez pas des résultats de l'enquête de l'ASN. En revanche, vous avez dit que, maintenant, l'Autorité estimait les travaux à près de 10 milliards d'euros, et vous avez ajouté...
Qu'il y en avait déjà cinq !
C'est le chiffre qu'on m'a communiqué !
Vous donnez les mêmes chiffres que d'autres personnes que nous avons entendues. Grosso modo, 5 milliards d'euros auraient, de toute façon, été dépensés en travaux de maintenance classique.
C'est ce qu'EDF nous avait donné comme information.
Donc, il faudrait ajouter 5 milliards de plus à la suite de cette enquête. Vous avez alors donné un chiffre qui m'a surpris en disant que cela aurait justifié un prix de l'ARENH de 39,5 euros, et non de 42 euros. Est-ce bien cela ?
Oui, ce qui correspond à un demi-euro de plus. Les 5 milliards d'euros seraient étalés dans le temps.
Il faut diviser ce chiffre par le nombre de mégawattheures produits, etc. Ces estimations ne sont pas très précises.
Oui, mais 5 milliards d'euros de plus, ce n'est pas beaucoup.
C'est un maximum.
Je souhaiterais poser deux questions complémentaires à M. Champsaur avant de terminer.
En premier lieu, on parle souvent d'un taux d'actualisation de 5 %.
Là, on a pris plus, on a pris le taux de marché.
Un taux de 8,4 % en réel.
Mon expérience antérieure m'enseigne que, pour déterminer le taux d'actualisation d'une entreprise cotée en bourse, ce qui est le cas d'EDF, on se heurte à des difficultés épouvantables si l'on ne prend pas le taux du marché. Ce taux est un peu élevé - c'est ce que peuvent penser les politiques -, mais nous ne sommes pas capables de le fixer en dehors des marchés.
Donc, le taux d'actualisation est assez élevé et, de ce point de vue, EDF est correctement servi.
Je ne suis pas capable de vous répondre.
Oui, je souhaitais savoir le taux exact d'actualisation que vous aviez pris. Cela signifie que, avec un taux de 8,4 %,...
Au plus bas.
Oui, parce que cela s'applique à tout, y compris au provisionnement.
Si on pouvait avoir l'actualisation à 5 %, ce serait vraiment intéressant.
Donc, 5 % en réel au lieu de 8 % ? D'accord.
Je comprends, monsieur Champsaur, que, lorsque mon collègue vous a interrogé sur le nucléaire potentiel à venir, vous ayez répondu que l'on ne pouvait pas savoir le coût exact des investissements, compte tenu du coût de construction d'un EPR aujourd'hui et de la variation de ce coût si on en produisait dix, avec les économies de série qui en résulteraient.
Malgré tout, mon collègue a voulu dire que, si l'on doit engager des investissements dans les années qui viennent - vous parlez de quinze ans -, il est important de connaître leur coût prévisionnel.
Vous avez raison !
La question de mon collègue visait à obtenir des éléments, des méthodes d'évaluation du coût que cela représenterait, puisque l'inconnue est la même aujourd'hui, qu'il s'agisse de l'énergie renouvelable photovoltaïque, de l'éolien offshore, ou du nucléaire comme l'EPR de Flamanville.
Les coûts de la construction d'un réacteur EPR sont élevés et, si l'on part de ce coût, il n'est pas certain qu'il faille continuer dans le nucléaire. En effet, les coûts sont proches de ceux auxquels on aboutit avec les autres techniques.
Cependant, on a toutes les raisons de penser que le coût actuel de l'EPR est largement surestimé. En tout cas, il faudrait qu'il baisse assez sensiblement.
Je me suis entretenu de ces sujets avec de bons économistes qui travaillaient à l'époque à EDF - ils sont en train de disparaître - et parmi lesquels j'ai gardé quelques relations. Le coût qu'ils ont en tête pour le futur - ce que je vais vous dire est extrêmement approximatif - est de l'ordre de 50 euros, soit un coût qui n'est pas très éloigné du « coût courant économique ». Je parle du nucléaire du futur, mais je ne devrais pas vous dire cela, parce que ce chiffre ne repose sur rien d'autre que des confessions de couloir.
Je comprends vos précautions concernant cette évaluation, qui porte sur le nucléaire du futur. Les inconnues sont tout de même très nombreuses.
Oui, quand je parle de 50 euros, cela peut tout aussi bien être 55 euros.
Monsieur Champsaur, je vous remercie. Peut-être M. le rapporteur sera-t-il amené à vous demander des précisions complémentaires.
J'ai noté votre question concernant le taux de 5 %.
Monsieur le président, permettez-moi de vous poser une question peut-être indiscrète. Qu'allez-vous faire de ce rapport ? À quoi va-t-il servir ? (Sourires.) Je pose la question naïvement, parce que j'ai cru comprendre que le sujet de l'électricité allait revenir à l'automne.
Tout ce travail va notamment nous permettre de savoir si le rapport présenté par la Cour des comptes, dans lequel sont annoncés un certain nombre de chiffres précis concernant une série de coûts, dont ceux que nous venons d'aborder, repose sur une base réaliste et actualisée. Nous essayons, nous aussi, d'y voir clair.
Nous allons compléter le rapport de la Cour des comptes. Nous essaierons à la fois de voir clair sur tous les chiffres qui ont été cités en examinant également ceux des autres filières, ce que n'a pas fait la Cour des comptes.
Nous voulons éventuellement établir des comparaisons avec des modes de calcul qui se ressembleraient ou seraient similaires et pourraient s'appliquer aux autres filières.
En outre, comme l'a dit M. le président, nous traiterons également, à côté du coût de la production, le coût du transport et de la distribution, que la Cour des comptes n'a pas envisagé.
Par conséquent, nous élargirons la réflexion aux autres filières, puisque la production du renouvelable, par exemple, pose aussi la question du renforcement du réseau.
Ce sont toutes ces questions qu'il convient d'examiner globalement.
Permettez-moi d'ajouter deux précisions, monsieur le président.
Les chiffres que je cite résultent de travaux techniques effectués au sein de l'administration, plus exactement de la direction générale de l'énergie et du climat, la DGEC. Je précise qu'ils coïncidaient d'ailleurs à l'époque avec les chiffres qui étaient disponibles à la CRE.
Le coût de l'électricité dont nous parlons ne représente qu'un gros 40 % du coût mis à la charge des particuliers.
De plus, il existe un problème de régulation des autres coûts.
C'est la raison pour laquelle il faut être vigilant avec les nombreux acteurs concernés par les autres volets.
Nous ne sommes pas certains d'avoir mis en place la bonne régulation. Nous faisons du cost-plus.
Le cost-plus est utilisé dans le jargon des économistes.
On prend les coûts et on rajoute des marges. Sur une longue période, ça dérive.
Bien sûr ! Plus la période est longue, plus il est difficile d'être précis.
On fera donc beaucoup d'investissements de réseaux, et nous aurons de beaux réseaux. C'est peut-être ce que vous voulez ! (Sourires.)
Voulez-vous suggérer par là que, à partir du moment où l'on prend une méthode...
De cost-plus...
et qu'on rajoute des marges à partir d'un calcul sur les investissements, cela pousse à beaucoup investir.
Cela n'incite pas à minimiser les coûts... Si vous voulez, cela fonctionne bien pendant un certain temps, mais pas pendant cinquante ans.
Absolument !
Ainsi, la population des Hautes-Alpes - je suis Haut-Alpin -,...
voudra avoir de bons réseaux ; ce n'est pas elle qui les paiera.
Un optimum vraiment optimum. (Sourires.) Ce n'est pas un sujet à traiter immédiatement, mais il faudra y revenir.
Mes chers collègues, notre ordre du jour de cet après-midi appelle l'audition de M. François-Michel Gonnot, député, président du conseil d'administration de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, et de Mme Marie-Claude Dupuis, directrice générale de cette même agence.
Comme vous le savez, madame, monsieur, chaque formation politique du Sénat bénéficie d'un « droit de tirage annuel ». Usant de ce droit, le groupe écologiste a demandé, à la suite de la publication du rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire, que soit créée une commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité. Le bureau du Sénat, après avoir examiné cette demande, a donné son accord. C'est donc dans ce cadre que nous vous auditionnons aujourd'hui.
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique et un compte rendu intégral en sera publié.
Avant de donner la parole à M. le rapporteur pour qu'il formule ses questions préliminaires, je vais vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête :
Monsieur Gonnot, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
(M. François-Michel Gonnot prête serment.)
Madame Dupuis, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
(Mme Marie-Claude Dupuis prête serment.)
M. le rapporteur va maintenant vous rappeler les questions qu'il vous a adressées à l'avance afin que vous puissiez préparer cette audition. Une fois que vous y aurez répondu, les membres de la commission d'enquête pourront être amenés à vous poser des questions complémentaires ou à vous demander des précisions.
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
Monsieur le président du conseil d'administration de l'ANDRA, madame la directrice générale, votre audition était très attendue !
Première question : pourriez-vous présenter les différents sites de stockage gérés par l'ANDRA ?
Deuxième question : pourriez-vous comparer le modèle français de traitement des déchets ultimes de la filière nucléaire avec les différentes expériences étrangères, et commenter la partie du récent rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire concernant la gestion des déchets radioactifs ?
Troisième question : pourriez-vous nous donner des éléments d'information sur le coût du retrait du combustible des réacteurs après leur cessation de fonctionnement, afin d'estimer ce que ce coût représente par rapport au coût total des opérations de démantèlement ?
Quatrième question : comment l'ANDRA est-elle assurée, et pour quel coût ? Quels sont précisément les risques garantis ?
Cinquième question : la poursuite du programme nucléaire national impliquerait-elle la construction de nouveaux sites de stockage ? Quels sont les terrains envisagés et quels seraient les coûts correspondants ?
Sixième question : pouvez-vous détailler les sommes consacrées par l'ANDRA à la recherche et les principaux programmes ainsi financés ?
Septième question : à qui sont imputés, in fine, les différents coûts relatifs au traitement et au stockage des déchets de la filière électronucléaire ?
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, par souci de cohérence, je répondrai aux questions dans l'ordre dans lequel elles nous ont été posées.
Il existe aujourd'hui trois centres de stockage en surface pour les déchets radioactifs.
Un centre de stockage « historique », aujourd'hui fermé et sous surveillance, est situé dans la Manche. Il accueille 500 000 mètres cubes de déchets à vie courte.
C'est le centre de stockage en surface de Soulaines, dans l'Aube, qui a pris le relais. Ce centre permet de stocker les déchets d'exploitation et de maintenance des centrales nucléaires. Il a été autorisé pour 1 million de mètres cubes de déchets et il est aujourd'hui rempli à hauteur de 26 % de ses capacités. Grâce aux efforts consentis par les producteurs d'électricité, il pourra répondre aux besoins de stockage pendant une soixantaine d'années d'exploitation du parc nucléaire. Nous avons donc du temps devant nous.
Le troisième centre de stockage en exploitation, lui aussi situé dans l'Aube, reçoit les déchets de très faible activité, issus surtout du démantèlement. Il est beaucoup plus récent, puisqu'il a été ouvert en 2003, tandis que le centre de Soulaines l'a été voilà vingt ans. D'une capacité de stockage autorisé de 650 000 mètres cubes, il est déjà rempli presque au tiers. En fait, son remplissage est beaucoup plus rapide que prévu, car les producteurs de déchets, le CEA, EDF et AREVA, ont du mal à maîtriser le volume des aciers et des gravats issus du démantèlement. Par conséquent, ce centre devrait être saturé d'ici à 2025.
Ces trois centres de stockage sont bien acceptés par la population, comme en témoigne, outre notre expérience quotidienne sur le terrain, une étude d'opinion réalisée en 2011, selon laquelle 80 % des proches riverains des centres de stockage de l'Aube pensent que ceux-ci sont très bien ou assez bien gérés et font plutôt confiance à l'ANDRA. Le fait que nous soyons un établissement public indépendant des producteurs de déchets y est pour beaucoup : cela fait partie des éléments qui aident à bâtir la confiance.
J'en viens maintenant aux centres de stockage en projet.
Il y a d'abord un site de stockage en projet pour les déchets de faible activité à vie longue, qui sont constitués essentiellement de déchets issus de l'industrie des terres rares. Ainsi, des industriels comme Rhodia importaient des minerais naturellement radioactifs dont ils extrayaient les terres rares pour leurs besoins industriels. Les déchets produits sont faiblement radioactifs mais ne peuvent pas être insérés dans le circuit normal des décharges. Nous devons donc nous en occuper, ainsi que des déchets de graphite issus des coeurs des réacteurs de première génération, aujourd'hui en attente de démantèlement. Ces déchets « historiques », qui ne sont plus produits, constituent un stock d'environ 150 000 mètres cubes. Comme ils sont à vie longue, il n'est pas possible de les stocker en surface dans les centres de l'Aube.
Cela étant, les déchets stockés dans l'Aube devront tout de même être surveillés pendant 300 ans : c'est le temps nécessaire pour que la radioactivité décroisse suffisamment pour ne plus représenter un danger sur le plan sanitaire. Voilà ce que l'on entend par « déchets à vie courte ».
Pour les déchets à vie longue, il peut parfois s'agir de centaines de milliers d'années. De tels déchets ne peuvent pas être stockés en surface. Ceux que j'ai évoqués à l'instant étant de faible activité, compte tenu de la nécessité impérative d'économiser la ressource rare du stockage géologique et de la réserver aux déchets les plus dangereux, l'idée est de travailler sur le recours à un stockage intermédiaire à faible profondeur.
Pour l'heure, l'ANDRA doit remettre un rapport au Gouvernement d'ici à la fin de l'année 2012 visant à lui présenter des propositions en termes de projet industriel, afin de relancer la recherche d'un site d'implantation d'un centre de stockage de ces déchets de faible activité à vie longue. En effet, après avoir bien démarré, une tentative en ce sens lancée en 2008 a finalement débouché sur le retrait de deux communes qui s'étaient d'abord portées candidates, ce qui a conduit le Gouvernement à suspendre la procédure pour remettre les choses à plat.
Le dossier peut-être le plus emblématique pour l'ANDRA, celui dont on parle le plus, c'est le projet Cigéo -centre industriel de stockage géologique - de centre de stockage en couche géologique profonde. Ce projet est passé en phase d'industrialisation. Un tel centre a vocation à stocker en toute sûreté et pour une longue période les déchets dits de haute activité et de moyenne activité à vie longue du parc nucléaire français. En fait, il s'agit essentiellement des déchets issus du retraitement par AREVA, sur son site de La Hague, des combustibles usés des centrales nucléaires. Ces déchets doivent d'abord être refroidis pendant quelques dizaines d'années avant d'être stockés en lieu sûr et confinés dans cette fameuse couche d'argile que nous étudions dans notre laboratoire souterrain situé dans l'est de la France.
Pour dimensionner le stockage, nous nous sommes fondés sur une hypothèse conventionnelle de durée de vie des centrales nucléaires de cinquante ans, sans préjuger des décisions à venir de l'Autorité de sûreté nucléaire. Avec une telle hypothèse, l'ensemble du parc nucléaire actuel engendrera, d'ici à sa fin de vie, 10 000 mètres cubes de déchets de haute activité, dont 30 % ont déjà été produits et sont en attente de stockage, et 70 000 mètres cubes de déchets de moyenne activité à vie longue, dont 60 % ont déjà été produits, car il s'agit, pour une bonne partie, de déchets « historiques » issus du site de Marcoule du Commissariat à l'énergie atomique. Ces derniers comprennent notamment des déchets bitumés qui doivent être reconditionnés ; ils ne sont pas les plus faciles à stocker en profondeur. À la limite, les déchets vitrifiés produits par AREVA, sous assurance qualité, selon une technique bien maîtrisée et dans des matrices robustes, poseront moins de problèmes scientifiques, une fois entreposés à 500 mètres de profondeur dans l'argile, que ces vieux déchets bitumés.
C'est donc pour ces déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue que nous étudions le stockage à 500 mètres de profondeur dans l'argile. Le site prévu est situé dans la Meuse, à la limite de la Haute-Marne. Au terme de travaux scientifiques et d'un dialogue avec les élus locaux, nous avons pu faire valider par le Gouvernement une zone d'une trentaine de kilomètres carrés.
Même s'il ne s'agit encore que d'un projet, l'ANDRA emploie déjà sur place, dans son laboratoire souterrain, plus de trois cents personnes, ce qui en fait l'un des plus gros employeurs locaux. Selon l'enquête d'opinion que nous avons réalisée en 2011, 40 % des proches riverains du laboratoire souterrain affirment que ce projet ne les inquiète pas ; en revanche, 22 % d'entre eux expriment de fortes craintes. Il est important de noter qu'un tiers des riverains interrogés prévoient de participer aux réunions organisées dans le cadre du débat public sur ce projet, prévu pour 2013.
Parmi les enjeux liés à ce stockage, celui de la réversibilité est important. La loi du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs, qui fixe les missions et les priorités de l'ANDRA, dispose en effet qu'un tel stockage doit être réversible, tout en précisant que les conditions de réversibilité devront être définies par une future loi, qui pourrait intervenir vers 2016, sur la base de propositions de l'ANDRA.
L'ANDRA prévoit d'apporter à ce problème une réponse à la fois technique, quant à la possibilité de retirer les déchets, mais aussi politique, s'agissant du processus de décision : qui décidera de la fermeture progressive du centre de stockage, de celle du premier alvéole, de celle de la première galerie, puis de la fermeture définitive ? Quand et sous quelles conditions ? S'agira-t-il d'un décret, d'une loi, d'une décision de l'Autorité de sûreté nucléaire ? À quelles consultations faudra-t-il procéder ? L'ANDRA a pour objectif de soumettre des propositions au débat public qui aura lieu l'an prochain.
En ce qui concerne la deuxième question, je peux d'emblée vous dire que les comparaisons internationales sont très difficiles à établir.
En tout état de cause, il existe un invariant à l'échelon international en matière de stockage géologique de déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue : on assure la sûreté à long terme en jouant sur les trois barrières que sont le colis de déchets, la formation géologique utilisée pour le stockage - argile, sel, granit - et les barrières ouvragées mises en place au sein de celle-ci pour stocker les déchets.
La France a opté pour le retraitement du combustible usé et le stockage dans l'argile. Notre pays est considéré comme un leader sur le plan international sur toutes les questions de stockage géologique, de même que la Finlande et la Suède, qui elles ont fait le choix du granit et ne retraitent pas le combustible usé, préférant le stocker directement. Cela dit, leur parc de réacteurs, et par conséquent leur inventaire de déchets, est beaucoup moins important que le nôtre : cet élément a pu peser dans leur choix.
Il est difficile d'établir des comparaisons en termes d'évaluation des coûts, ne serait-ce que parce que les projets n'en sont pas du tout au même stade. Stocker dans l'argile, dans le sel ou dans le granit, ce n'est pas la même chose, non plus que stocker des combustibles usés ou des déchets vitrifiés. En outre, pour évaluer les coûts, les différents pays ne prennent pas en compte les mêmes éléments : faut-il inclure les transports, la surveillance à long terme, les infrastructures, etc. ?
Des travaux sur l'évaluation des coûts viennent d'être engagés au sein de l'Agence pour l'énergie nucléaire (AEN) de l'OCDE, ainsi que par l'association des organismes de gestion des déchets radioactifs, l'EDRAM. Dans tous les cas, l'objectif est plutôt de travailler sur la méthodologie d'évaluation des coûts, sur une comparaison des coûts unitaires ; il ne s'agit en aucun cas d'espérer parvenir à un résultat permettant d'affirmer que tel projet est trois fois moins cher ou trois fois plus cher que tel autre.
Du point de vue de l'ANDRA, le rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire, pour ce qui concerne la gestion des déchets radioactifs, reflète très bien la réalité ; surtout, il pose les vrais enjeux en la matière.
S'agissant du projet Cigéo, la Cour des comptes a bien retracé les termes du débat et des différends qui ont pu apparaître entre l'ANDRA et les producteurs de déchets sur l'évaluation des coûts et les choix de concepts. Elle explique aussi très bien pourquoi il existe une telle incertitude sur le chiffrage officiel - entre 13,5 milliards d'euros et 16,5 milliards d'euros de 2002 - qu'avait publié le ministère chargé de l'énergie en 2005, en se fondant sur un concept de stockage très en amont de la recherche et développement datant de 2002. Actuellement, c'est la seule référence disponible pour évaluer les provisions qui doivent être passées par les grandes entreprises.
Il avait été décidé de mettre ce chiffrage régulièrement à jour en fonction de l'avancée des recherches et des études. Ce processus, fixé très précisément par la loi du 28 juin 2006, a été engagé en 2009 : le ministre chargé de l'énergie arrête l'évaluation des coûts sur la base d'une évaluation proposée par l'ANDRA et après avoir recueilli les observations des producteurs de déchets, ainsi que l'avis de l'Autorité de sûreté nucléaire. Tout commence donc avec un premier chiffrage avancé par l'ANDRA.
L'objectif du ministère est de disposer d'une nouvelle évaluation du coût du stockage avant l'ouverture du débat public sur Cigéo. Au terme d'un appel d'offres européen, nous avons retenu le groupement français Technip/Ingérop comme maître d'oeuvre. Il nous aidera à préciser la partie industrielle de ce projet en nous faisant bénéficier du retour d'expérience de tous les grands projets menés au niveau mondial. Sur cette base, et sur le fondement de nos propres études, nous pourrons établir un nouveau chiffrage avant la fin de l'année, qui devra être évalué par les producteurs et par l'Autorité de sûreté nucléaire.
C'est donc dans le cadre de ce processus que l'ANDRA avait avancé, en 2010, le chiffre, non actualisé, de 35 milliards d'euros, qui recouvre non seulement l'investissement initial avant la mise en service du centre de stockage, mais encore la construction et le remplissage de celui-ci sur plus de cent ans. On nous demande même de chiffrer les impôts et taxes liées à ce stockage : taxes foncières, taxe sur les installations nucléaires de base, taxe d'accompagnement économique. Ces taxes, sur lesquelles pèsent aujourd'hui de fortes incertitudes, représentent tout de même 20 % de l'évaluation des coûts.
Oui, car l'exploitation de ce futur centre de stockage durera au moins cent ans, d'une part pour couvrir la durée de vie autorisée des tranches nucléaires, d'autre part parce que les déchets vitrifiés doivent être refroidis à 90°C avant d'être stockés en profondeur, afin de ne pas abîmer la couche d'argile.
Comme l'a souligné la Cour des comptes, un tel chiffrage sur une échelle de temps aussi longue est une première mondiale, d'autant que nous devons prendre en compte des impôts dont les paramètres ne sont pas encore définis. Dans ces conditions, il n'est pas très étonnant que la fourchette soit comprise entre 15 milliards et 35 milliards d'euros !
La prochaine étape est d'établir le nouveau chiffrage avant le débat public, selon le processus fixé par la loi. La Cour des comptes souligne à juste titre que ce chiffrage aura une traduction concrète dans les comptes des grandes entreprises en termes de provisions et d'actifs dédiés. Elle relève dans son rapport que si EDF devait retenir un coût de 35 milliards d'euros tout compris, au lieu de 15 milliards d'euros, cela aurait une incidence de 4 milliards d'euros sur ses comptes. Ce n'est pas ce qu'on lui demande aujourd'hui, car l'exercice n'est pas achevé. Il faut attendre les résultats des études, mais l'enjeu est compris entre 1 % et 2 % du coût de production de l'électricité, ces 35 milliards d'euros étant étalés sur cent ans, soit 350 millions d'euros par an.
Au final, nous partageons tout à fait les observations de la Cour des comptes sur le projet Cigéo.
La Cour des comptes formule également des remarques importantes au sujet des matières radioactives. Elle souligne qu'EDF provisionne aussi dans ses comptes, à juste titre et de manière très prudente, le stockage du MOX ou de l'uranium enrichi qui ne seraient pas valorisés. Aujourd'hui, le MOX usagé est considéré comme une matière valorisable : il est prévu de le réutiliser dans les réacteurs de quatrième génération. Or, ce parc n'existant pas pour l'heure, il faut faire preuve de prudence en matière comptable, en ne tenant pas compte d'une telle valorisation. Dans cet esprit, EDF utilise un chiffrage ancien du coût du stockage du MOX, que l'ANDRA a étudié jusqu'en 2005 à toutes fins utiles. La Cour des comptes indique qu'il serait temps d'actualiser ce chiffrage, en fonction des nouvelles études. Depuis 2006, l'ANDRA ne travaille plus sur le stockage des combustibles usés et du MOX, puisque la loi de 2006 donne la priorité au traitement, mais il est possible d'utiliser les dernières études pour aider EDF à actualiser son chiffrage, suivant un processus qui devra être défini avec l'État.
Ce qu'il faut retenir, c'est que le stockage géologique du combustible usé et du MOX est possible. On est même capable de chiffrer son coût à long terme.
La Cour des comptes soulève aussi le problème de l'uranium appauvri, en soulignant qu'il existe aujourd'hui un stock important de 260 000 tonnes de matières valorisables, qui devrait atteindre 450 000 tonnes à l'horizon de 2030. L'ANDRA ne le prend pas en compte dans ses études. Cependant, la Cour des comptes estime que ce sont des matières valorisables, soit parce qu'elles peuvent être réenrichies pour être utilisées dans le parc actuel, soit parce qu'elles seront utilisées dans le parc futur si les réacteurs de quatrième génération voient le jour, soit parce qu'elles peuvent être vendues à l'étranger. Elle ajoute néanmoins que si aucun de ces scénarios ne se réalise, il faudra envisager une solution de stockage. L'État, dans le cadre du plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs, demande d'ailleurs à AREVA, en l'occurrence, de réfléchir, à titre de précaution, au devenir de ces matières au cas où elles ne pourraient pas être valorisées comme prévu.
À la troisième question - pouvez-vous donner des éléments sur le coût que représente le retrait du combustible des centrales après leur cessation de fonctionnement afin d'estimer ce que ce coût représente par rapport au coût total des opérations de démantèlement ? -, la réponse est négative. En effet, jusqu'à présent, même si l'on peut peut-être s'en étonner, le Parlement n'a pas donné compétence à l'ANDRA pour formuler un avis sur les opérations et les stratégies de démantèlement. La loi de 2006 a élargi les missions de l'ANDRA en l'autorisant à donner un avis sur le conditionnement des déchets radioactifs : c'était une nouveauté. En 1991, quand l'ANDRA a été créée, sa mission était très clairement circonscrite : elle devait travailler sur le stockage géologique des déchets.
Nous pensons sincèrement que, grâce à une collaboration renforcée avec EDF, le CEA et AREVA en amont des stratégies de démantèlement, toujours sous l'angle des déchets, il serait peut-être possible d'optimiser les choses et d'éviter l'engorgement de notre centre de stockage des déchets de très faible activité.
Quatrième question : comment l'ANDRA est-elle assurée, et pour quel coût ? Quels sont les risques garantis ?
Nous faisons comme tous les exploitants nucléaires. Par exemple, pour nos projets de construction, nous sommes amenés à contracter une assurance tous risques chantier ou tous risques montage et essais. Pour ses activités d'exploitation, l'ANDRA est couverte par une assurance multirisque industrielle. Enfin, en ce qui concerne les risques civils en cas d'accident nucléaire, nous procédons comme les grands exploitants d'installations nucléaires, mais le niveau de risque n'est pas du tout comparable : aujourd'hui, les activités de l'ANDRA consistent en l'exploitation de centres de stockage de déchets en surface, et il est peu probable qu'un incident quelconque ait un impact sur l'extérieur. Nous prenons donc des garanties, mais nous ne sommes pas confrontés aux mêmes risques que les exploitants nucléaires. Si nous sommes ultérieurement autorisés à exploiter un stockage géologique de déchets de haute activité, le niveau de risque sera un peu plus élevé.
Toujours est-il que l'ensemble des assurances contractées par l'ANDRA représente un coût d'environ 550 000 euros par an, soit 0,3 % du budget de l'agence.
Cinquième question : en fonction du niveau d'activité et de la durée de vie des déchets, la poursuite du programme nucléaire national impliquerait-elle la construction de nouveaux sites de stockage ? Quels sont les terrains envisagés ?
D'une manière générale, conformément à la loi, l'ANDRA réalise tous les trois ans un inventaire national des déchets. Nous ne nous contentons pas de prendre une « photo » du stock de déchets existant, nous nous projetons aussi dans le futur, selon différents scénarios : poursuite du nucléaire, non-renouvellement du parc nucléaire.
Tous ces travaux sont réalisés sous l'égide d'un comité de pilotage national qui réunit les producteurs de déchets, l'État, les experts et même quelques associations de protection de l'environnement, pour essayer de faire en sorte que les choses soient le plus clair possible.
S'agissant des déchets de démantèlement, comme je l'ai dit tout à l'heure, quel que soit le scénario considéré, nous serons amenés à examiner les possibilités d'extension du centre de stockage de déchets à très faible activité qui les recueille, voire à envisager la construction d'un nouveau site.
C'est celui de Morvilliers.
En 2025, dans le scénario actuel.
Avec les producteurs de déchets, nous menons actuellement des actions afin de réduire le volume de ceux-ci à la source. Nous avons même demandé des fonds, dans le cadre des investissements d'avenir, afin de mettre en place une filière de recyclage des déchets en acier très faiblement contaminés dans la filière nucléaire.
En France, il existe une règle très importante, qui n'est pas celle qu'ont retenue tous les pays européens : l'absence de seuil de libération. Quand un déchet sort d'une centrale nucléaire, même s'il n'est pas contaminé, il doit être dirigé vers une filière dédiée. C'est une question de clarté dans la gestion des déchets. C'est en raison de cette règle qu'a été créé le centre de Morvilliers.
Pas encore ! L'ANDRA agit dans un cadre très formalisé, défini notamment par la loi, par le décret et par le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs, élaboré par l'État en lien avec l'Autorité de sûreté nucléaire et mis à jour tous les trois ans. C'est dans ce cadre que s'inscrit notre action.
S'agissant maintenant des déchets d'exploitation et de maintenance, nous avons les moyens de faire face jusqu'en 2060 environ. En fait, le centre de Soulaines, d'une capacité de 1 million de mètres cubes, avait été dimensionné pour pouvoir accueillir les déchets provenant du parc nucléaire actuel, en se fondant sur l'hypothèse d'une durée de vie de quarante ans, ainsi que les déchets de démantèlement. En effet, les opérations de démantèlement produiront de nombreux déchets très faiblement actifs, mais aussi une petite part de déchets devant être traités. Une prolongation de la durée de vie des centrales jusqu'à cinquante ans ne poserait pas de problème majeur ; au-delà, il faudrait étendre la capacité de stockage.
S'agissant des déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue, on nous a demandé de concevoir leur stockage géologique selon une hypothèse conventionnelle de durée de vie du parc de cinquante ans et en considérant que le combustible usé sera retraité. Cela signifie que l'uranium et le plutonium qu'AREVA extrait à La Hague sont considérés comme des matières ayant vocation à être recyclées dans le parc actuel ou dans le parc futur. Pour notre part, nous n'en tenons pas compte aujourd'hui.
Avec cette hypothèse d'une exploitation du parc pendant cinquante ans, l'emprise du stockage des déchets dans la couche d'argile serait de l'ordre de quinze kilomètres carrés, soit 1 500 hectares. Il se trouve que la zone de la couche d'argile que nous avons étudiée et qui a été validée par le Gouvernement après un processus de consultations scientifiques et politiques a une surface de 30 kilomètres carrés. Ainsi, on peut considérer que cette couche d'argile - ce bien précieux, très important au regard de la sûreté à long terme - pourrait permettre de couvrir deux fois nos besoins en matière de stockage.
Cette couche d'argile pourrait accueillir les déchets produits par l'ensemble du parc actuellement en service, dans l'hypothèse d'une durée de vie de cinquante ans.
Non, il est question ici des seuls déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue.
Pour résumer, les déchets de démantèlement poseront problème à assez court terme, même sans allonger la durée de vie du parc.
Ils ne le sont que très faiblement, mais il n'est pas possible de les laisser en pleine nature.
S'agissant des déchets d'exploitation et de maintenance des centrales, nous sommes tranquilles à concurrence d'une durée de vie du parc de cinquante ans.
En effet. Cigéo en est encore à l'état de projet, mais nous avons étudié complètement la couche d'argile de 30 kilomètres carrés indispensable à la sûreté à long terme. En retenant comme hypothèses une durée de vie du parc de cinquante ans et le retraitement du combustible usé, les besoins identifiés à ce jour correspondent à 15 kilomètres carrés. Nous avons donc un peu de marge sur le plan géologique.
Dans notre scénario, nous ne prenons pas en considération la production de déchets liée au déploiement d'un futur parc de réacteurs de quatrième génération. Toutefois, nous travaillons actuellement avec le CEA, qui développe le projet Astrid, prototype de réacteur de quatrième génération assorti d'options de séparation et transmutation, afin d'essayer d'estimer quelle serait sa production de déchets. En effet, il ne faudrait pas donner à penser qu'un parc de réacteurs de quatrième génération ne produira pas de déchets radioactifs : l'objectif est d'économiser la ressource en uranium ou de pouvoir réutiliser l'uranium appauvri, de limiter la production de plutonium, mais il s'agit d'une exploitation industrielle qui produira des déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue. Tout l'enjeu de nos échanges avec le CEA, c'est de parvenir à une estimation du volume de ces déchets, mais dans la mesure où nous n'en sommes même pas à la phase du prototype, je ne peux pas vous donner de chiffres.
La sixième question portait sur les sommes que l'ANDRA consacre à la recherche.
La loi du 28 juin 2006 a rendu l'ANDRA un peu plus indépendante des producteurs en matière de recherche, par la création d'une taxe additionnelle à la taxe sur les installations nucléaires de base qui alimente directement un fonds dédié à la recherche au sein de l'agence. En moyenne, nous percevons à ce titre 100 millions d'euros par an. Cependant, à très court terme, des problèmes vont se poser puisque, après avoir été relevé temporairement à 118 millions d'euros jusqu'en 2012 par la loi de finances, le produit de cette taxe redescendra dès 2013 à 96,6 millions d'euros, par application d'un décret très récent dont l'objet est de modifier les coefficients de la taxe additionnelle à la taxe sur les installations nucléaires de base. Or nous sommes en pleine phase de développement du projet Cigéo et nous devons déposer une demande d'autorisation de création en 2015. Aussi allons-nous plaider auprès du Gouvernement pour un relèvement du produit de cette taxe.
Par ailleurs, nous sommes confrontés à une autre difficulté dans le financement de nos opérations. Lorsque le législateur a créé, en 2006, cette taxe dite « de recherche », il a voulu que son produit soit consacré uniquement à la partie études et recherches. Dans le même temps, il a créé un fonds destiné au financement de la construction, de l'exploitation, de l'arrêt définitif, de l'entretien et de la surveillance des installations d'entreposage ou de stockage, alimenté, au travers de conventions, par des contributions des exploitants d'installations nucléaires de base. Ainsi, pour le financement de la construction et de l'exploitation, qui représente plusieurs milliards d'euros, l'ANDRA devra négocier avec EDF, le CEA et AREVA.
Une première difficulté tient à la gestion de la transition entre ces deux fonds. Le Gouvernement considère qu'il ne sera pas possible de mettre en place le fonds dédié à la construction avant que l'autorisation n'ait été donnée, en 2019. En outre, il sera éventuellement nécessaire d'anticiper des travaux, par exemple la réalisation d'une station électrique de 400 000 volts. Cela ne relève pas de la recherche, mais ces travaux devront avoir été réalisés avant que l'autorisation de création du centre de stockage n'ait été accordée, de manière à anticiper la préparation du chantier pour pouvoir être au rendez-vous de 2025.
Pour résumer, il faut simplement retenir que la loi a créé un fonds « recherche » et un fonds « construction-exploitation », dont l'articulation n'est pas forcément très aisée.
L'ANDRA dispose depuis un an d'une source supplémentaire de financement à travers un fonds « investissements d'avenir ». Doté initialement de 100 millions d'euros, il ne compte plus maintenant que 75 millions d'euros, puisque nous avons contribué à la mise en place du programme de l'Agence nationale de la recherche à la suite de l'accident de Fukushima. Ces 75 millions d'euros permettent de cofinancer des projets relatifs au traitement des déchets en amont du stockage, ce qui nous tenait à coeur. L'optimisation de la gestion des déchets passe en effet par une action concertée entre EDF, le CEA, AREVA et l'ANDRA en amont du stockage pour réduire les volumes et la toxicité. Il subsiste cependant une petite difficulté : ces fonds ne couvrent pas les heures de travail des équipes de l'ANDRA. Chaque fois que nous demandons à nos équipes de travailler sur ces sujets, nous puisons dans nos ressources propres, lesquelles restent très modestes. Si l'ANDRA a tout à fait les moyens de travailler, ces moyens sont très compartimentés : nous avons les contrats pour les activités industrielles, nous avons la taxe « recherche » pour le stockage géologique, mais nous ne dégageons pas suffisamment de marge pour financer des recherches sur nos fonds propres.
Aujourd'hui, l'utilisation du fonds dédié à la recherche est strictement limitée au stockage géologique en termes de recherche et développement. Il est fort probable qu'il faudra le pérenniser une fois que Cigéo sera en construction. En effet, ce centre de stockage devant être exploité pendant cent ans, il serait justifié de poursuivre les recherches en vue de son optimisation, par exemple grâce au recours à de nouveaux matériaux.
Par ailleurs, peut-être conviendrait-il d'élargir le champ de cette taxe « recherche » pour donner à l'ANDRA les moyens de mener des recherches sur d'autres thèmes que celui du stockage, mais aussi pour promouvoir les recherches sur les déchets.
Septième question : à qui sont imputés, in fine, les différents coûts relatifs au traitement et au stockage des déchets de la filière électronucléaire ?
Je ne peux que reprendre les éléments d'information contenus dans le rapport de la Cour des comptes, s'agissant notamment du financement du stockage géologique. La clé de répartition actuelle pour les déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue est la suivante : 78 % pour EDF, 17 % pour le CEA et 5 % pour AREVA.
Les coûts sont supportés par les producteurs de déchets, selon le principe pollueur-payeur, au prorata de la quantité de déchets produite.
En fait, la taxe additionnelle à la taxe sur les installations nucléaires de base est supportée par le CEA, EDF et AREVA suivant cette clé de répartition.
La recherche sur le projet Cigéo, uniquement pour le stockage géologique. Cela représente 100 millions d'euros.
L'exploitation et la réception des déchets dans les centres de Soulaines et de Morvilliers sont financées par le biais de contrats industriels. L'ordre de grandeur est d'environ 60 millions d'euros.
Oui, mais outre les trois précédemment cités, de petits producteurs de déchets payent également leur part, même si elle est modeste.
Je vais y venir. Au préalable, je voudrais préciser que pour EDF, le CEA et AREVA, la clé de répartition pour les déchets de démantèlement et d'exploitation n'est pas la même que celle que j'ai déjà évoquée. Elle dépend de l'importance du colis livré. Ils se répartissent les financements en fonction du volume des déchets d'exploitation et de maintenance et de celui des déchets de démantèlement. Aujourd'hui, c'est le CEA qui livre le plus de déchets de démantèlement, en raison de la fermeture de ses anciennes unités. La clé de répartition que j'ai indiquée n'est valable que pour la recherche.
Des contrats donnent lieu à une facturation permettant de couvrir les frais fixes et la prise en charge des colis au fur et à mesure de leur arrivée.
Voilà !
Je vais poser la question différemment : que retrouve-t-on sur la facture d'électricité du consommateur ? La prise en charge des déchets pharmaceutiques ou médicaux évoqués par M. Lenoir n'est pas répercutée.
En fait, comme l'indique le rapport de la Cour des comptes, il existe une ligne dédiée à la gestion des déchets radioactifs dans les comptes tant d'EDF que d'AREVA, intégrant l'ensemble des coûts. L'ANDRA établit le chiffrage, mais la répartition de la charge entre EDF, le CEA et AREVA lui échappe. Je ne peux que vous rapporter les informations contenues dans le rapport de la Cour des comptes et celles que nous donne le ministère chargé de l'énergie. La répartition du financement entre ces trois acteurs ne relève ni de la vocation ni de la compétence de l'ANDRA. Ils se mettent d'accord entre eux sous le contrôle de l'État. Les discussions sont parfois compliquées !
Les 100 millions d'euros du fonds « recherche » sont apportés à hauteur de 78 % par EDF, de 17 % par le CEA et de 5 % par AREVA, monsieur le président. Sur cette somme, 90 millions d'euros sont imputables à des opérateurs produisant de l'électricité ou contribuant au retraitement du combustible : voilà ce que l'on retrouve sur la facture d'électricité. Seule une fraction de la part du CEA correspondant aux déchets d'origine militaire n'est pas répercutée.
Ensuite, sur les 60 millions d'euros évoqués par Mme Dupuis, correspondant aux contrats industriels, si l'on retire les déchets émanant des hôpitaux ou des universités et les déchets grand public qui nous incombent, environ 50 millions d'euros restent imputables à EDF, au CEA et à AREVA.
La part des petits producteurs est très réduite. Le chiffre d'affaires afférent aux petits producteurs est de 3 millions d'euros par an.
Au total, environ 150 millions d'euros par an au maximum sont répercutés sur la facture d'électricité du consommateur. Le coût annualisé du projet Cigéo étant de l'ordre de 300 millions d'euros, alors que le fonds dédié à la recherche n'est doté que de 100 millions d'euros, la somme imputable sur la facture d'électricité pourrait donc éventuellement passer à 300 millions d'euros, dans le pire des scénarios, soit moins de 2 % du coût de production de l'électricité.
La part du CEA concerne-t-elle à la fois les activités civiles et les activités militaires de cet organisme ?
Oui, il s'agit de l'ensemble des déchets, d'origine tant civile que militaire. Le CEA est à la fois client civil et client militaire, pour le compte du ministère de la défense.
Madame la directrice générale, je vous remercie vivement de l'ensemble de ces explications très précises. Toutefois, M. le rapporteur a besoin de quelques éclaircissements supplémentaires sur certains points. (Sourires.)
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
Souvent, des réponses claires et précises appellent d'autres questions : c'est l'inconvénient de la clarté ! (Nouveaux sourires.)
Trois barrières assurent donc la sûreté de l'enfouissement des déchets : l'enveloppe du colis de stockage, la nature du sol - sa stabilité, ses caractéristiques physiques - et les barrières ouvragées. Pourriez-vous nous préciser ce que recouvre ce dernier terme ?
Par ailleurs, vous nous avez expliqué qu'une couche d'argile d'une surface de 15 kilomètres carrés était nécessaire pour stocker cinquante ans de production de déchets par le parc actuel : comment parvenez-vous concrètement à une telle estimation ?
Enfin, comment la réversibilité du stockage est-elle garantie dans un tel système ? Si un colis se dégrade, comment peut-il être récupéré ?
La sûreté du stockage géologique repose en effet sur trois éléments.
Prenons l'exemple de ce que font les Suédois, qui n'ont d'autre choix que de stocker dans le granit. L'intérêt de cette roche, c'est qu'elle peut être très facilement creusée et que sa dureté permet de limiter le soutènement. En revanche, l'eau s'y infiltre facilement car elle est très fracturée. C'est la raison pour laquelle les Suédois jouent sur les deux autres barrières pour assurer la sûreté à long terme du stockage de leurs combustibles usés : d'une part, ceux-ci sont placés dans des colis de stockage en cuivre, ce qui est assez coûteux, l'enjeu pour les Suédois étant de démontrer que, sur la durée, ces colis resteront inaltérés ; d'autre part, ces colis sont enveloppés d'argile gonflante.
Par conséquent, alors que notre système de stockage est fondé avant tout sur une barrière naturelle, à savoir une couche d'argile de 130 mètres d'épaisseur formée voilà 150 millions d'années, celui des Suédois repose plutôt sur des barrières artificielles.
Nous étudions différentes méthodes de creusement. La difficulté est que, à 500 mètres de profondeur, la couche d'argile a tendance à se refermer.
Elle « cicatrise » !
Sous la pression exercée par les terrains, les galeries se referment petit à petit, centimètre par centimètre. Heureusement, une stabilisation intervient au bout de six mois. Vous vous rendrez mieux compte de ce phénomène lors de votre visite, prévue pour le 17 avril.
Nous avons une connaissance poussée de cette couche d'argile. Elle est très stable, mais nous allons la creuser, la fissurer pour y introduire du béton, de la ferraille, de la radioactivité, de la chaleur. Tout l'enjeu des recherches de l'ANDRA, c'est d'étudier les perturbations subies par l'argile, les interactions entre le verre, le fer et la roche, d'établir des modèles, de faire des calculs de sûreté et de convaincre les scientifiques et l'Autorité de sûreté nucléaire que nos travaux permettent de garantir l'absence de risque à long terme. Nous prenons même en compte la déformation en surface liée au changement climatique !
S'agissant de l'exigence de réversibilité, elle a des conséquences très concrètes sur le plan technique. Si je prends l'exemple des déchets vitrifiés, les radioéléments sont fondus dans une masse de verre avant d'être placés dans des colis en inox qui mesurent plus d'un mètre de hauteur. L'idée est de creuser dans l'argile des microtunnels de moins d'un mètre de diamètre et d'une profondeur comprise entre 80 et 100 mètres - plus ils sont longs, plus on réalise d'économies -, de les chemiser d'acier de manière à pouvoir faire glisser les colis les uns derrière les autres jusqu'au fond. L'intérêt est qu'ils pourront être retirés facilement.
Pour accueillir les déchets de moyenne activité à vie longue - il s'agit là de colis en béton -, on envisage des galeries plus grandes : huit mètres de diamètre, entre 200 et 400 mètres de profondeur, cela reste à préciser. L'épaisseur du béton doit être calculée de telle sorte que la réversibilité dure au moins cent ans.
Dans nos recherches, nous avons également eu recours aux sciences humaines et sociales. Pendant longtemps, on nous a objecté que la réversibilité avait un coût et que le stockage serait moins coûteux s'il n'était pas réversible. Or les sciences humaines et sociales nous apportent un autre regard : en réalité, la flexibilité que permet la réversibilité de notre stockage a aussi une valeur. En creusant progressivement, on apprend à chaque étape. Il existe des théories sur la valeur de la flexibilité et de l'apprentissage. Le fait de prévoir qu'on pourra un jour être contraint de retirer un colis peut s'avérer très bénéfique et permettre de faire des économies.
Dans le débat public, on nous oppose souvent le contre-exemple de l'Allemagne. Les Allemands ont mis en place un stockage géologique dans une ancienne mine de sel : aujourd'hui, ce stockage fuit de partout. Comme il n'avait pas été conçu pour être réversible, retirer les colis va leur coûter des milliards d'euros.
Face aux enjeux et aux échelles de temps considérés, intégrer la réversibilité, avancer de manière très progressive, ce qui nous permet d'apprendre, a aussi une valeur. Investir un peu plus aujourd'hui peut nous permettre de faire des économies demain.
Évaluer le coût de la réversibilité, exigence supplémentaire qui s'impose à notre stockage, est assez complexe. Nous y travaillons et nous essaierons d'apporter des éléments de réponse sur ce point en vue du débat public qui aura lieu en 2013.
Oui, d'où ces convois ferroviaires circulant entre La Hague et l'Allemagne.
J'en reviens aux déchets de moyenne activité à vie longue. Les colis de stockage en béton qui les renferment sont froids et on peut les empiler dans les grandes galeries que j'ai évoquées. En revanche, les déchets de haute activité vitrifiés sont très chauds. Comme je le disais tout à l'heure, on ne les descend pas dans les galeries avant que leur température ait été ramenée à 90° C. Malgré cela, nous sommes obligés de les espacer dans l'argile à 500 mètres de profondeur, car il faut qu'il y ait suffisamment d'argile entre les verres pour que celle-ci puisse absorber la chaleur dégagée. Sinon, l'argile cuirait et perdrait toutes ses propriétés. L'architecture du stockage est donc très importante : il faut prévoir suffisamment d'espace entre les différents microtunnels dans lesquels seront entreposés les déchets vitrifiés. Plus les verres sont refroidis en surface, plus le stockage peut être compact.
Ces explications techniques nous seront détaillées lors de notre visite sur place.
Absolument !
Les Suédois enveloppent leurs colis en cuivre d'argile gonflante, qui se présente sous forme de briquettes : on injecte de l'eau de manière à en faire une sorte de joint gonflant, qui empêchera l'eau de s'infiltrer. C'est leur barrière ouvragée. La nôtre, qui sépare l'argile - la formation hôte - du colis, consiste en un chemisage en acier ou en un revêtement en béton des microgaleries. C'est aussi elle qui permet de faire les manutentions. J'ajoute que, en France, on nous demande également de travailler sur le scellement hermétique du lieu de stockage, une fois que son exploitation sera terminée.
J'ai une question d'ordre technique. La télévision a diffusé des images sur le stockage allemand et nous avons pu voir que des fûts étaient déversés dans d'anciennes galeries de mine de sel. Ces images sont-elles caricaturales ? Alors que l'on décrit volontiers les Allemands comme des gens très rigoureux, une telle méthode paraît très artisanale...
C'est la réalité ! Il faut replacer les choses dans leur contexte, celui de la fin des années soixante. En France, on construisait alors le centre de La Hague, et les colis étaient stockés sans reposer sur du béton ! C'étaient les tout débuts, il n'y avait pas d'Autorité de sûreté nucléaire, pas de règles d'assurance qualité, pas de contrôles...
Cela étant dit, je considère que la mine d'Asse II est l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire. En réalité, les Allemands ont réutilisé une mine de sel, après l'avoir exploitée au maximum, pour y entreposer des déchets radioactifs. Au départ, cela devait d'ailleurs être une simple expérimentation. Le sel présente des caractéristiques intéressantes, car il est hydrophobe et permet un bon confinement, mais les Allemands ont négligé le fait que cette mine avait tellement été exploitée à fond que la paroi isolant les déchets radioactifs du reste de la couche, qui n'est pas du sel, était devenue si fine qu'il a suffi qu'un peu d'eau s'introduise par une fissure pour dissoudre le sel. Maintenant, les déchets radioactifs baignent dans l'eau...
En matière de stockage géologique de déchets, à l'inverse d'une mine, ce qui est important, ce n'est pas ce qu'on retire du fond, c'est ce qu'on y laisse. Notre argile est un bien précieux : nous veillons à en enlever le moins possible, à l'abîmer le moins possible, car, à terme, c'est elle qui assurera le confinement. Il ne faut donc surtout pas utiliser une ancienne mine pour faire du stockage géologique. Cela étant, il est plus facile de le dire maintenant, avec le recul de l'expérience.
Les Allemands ont un autre projet de stockage dans le sel, mais avec des galeries et une architecture conçues spécifiquement à cet effet. Toutefois, ce projet a été placé sous moratoire voilà dix ans, comme l'ensemble du parc nucléaire allemand. Angela Merkel a déclaré qu'il était urgent de reprendre ce sujet en main. Ce ne sera peut-être pas le site de Gorleben qui sera retenu, car bien qu'il soit pratiquement opérationnel, elle considère qu'il ne bénéficie pas d'une acceptation sociale suffisante. En tout cas, elle a demandé que soit recherché un autre site de stockage géologique en Allemagne, en même temps qu'elle annonçait l'arrêt du nucléaire en Allemagne, peu après la catastrophe de Fukushima. Cela montre bien que ces deux débats sont liés, même s'ils sont de nature différente. Quand bien même la France renoncerait aujourd'hui au nucléaire, il lui faudrait bien régler la question de la prise en charge des déchets, 60 % de ceux de moyenne activité à vie longue et 30 % de ceux de haute activité ayant déjà été produits.
Celui d'Asse II, qui pose problème, est une ancienne mine de sel.
Non, contrairement à ce que pensaient les Allemands, et l'eau s'est donc infiltrée. En revanche, à Gorleben, la couche de sel est intacte et suffisamment importante pour que l'on puisse y stocker des déchets radioactifs. D'ailleurs, le seul site de stockage géologique qui existe actuellement dans le monde, le Waste Isolation Pilot Plant, le WIPP, dans l'État du Nouveau-Mexique, aux États-Unis, assure la conservation dans le sel, à 800 mètres de profondeur, de déchets d'origine militaire - ce ne sont pas des déchets de haute activité -, et il est très sûr. Ce qui est certain, c'est qu'il ne faut pas chercher à exploiter le sel avant de déposer des déchets radioactifs.
À propos des États-Unis, le président Obama a annoncé très récemment qu'il allait relancer le programme de recherches sur l'enfouissement des déchets radioactifs. Pour l'heure, ils sont stockés pour l'essentiel dans des piscines. Sur quelles techniques travaillent les Américains ? Sur quoi portent leurs recherches ?
Ce programme n'a pas encore été relancé. En fait, les Américains repartent de zéro après avoir été des précurseurs au plan mondial, puisqu'ils avaient déposé une demande d'autorisation de création pour un projet de stockage géologique situé dans le Nevada, Yucca Mountain. Cette demande d'autorisation a été soumise à la Nuclear Regulatory Commission, la NRC, pour évaluation, mais un accord politique est intervenu entre le sénateur démocrate du Nevada et M. Obama pendant la campagne présidentielle, le premier s'engageant à soutenir le second si, une fois élu, il mettait un terme à ce projet. Il est vrai que le Nevada, seul contre tous les autres États, s'était déclaré opposé à la création d'un site de stockage géologique sur son sol.
Le projet étant porté par le département de l'énergie, et indirectement par l'administration américaine, il a été facile de tout stopper en coupant les crédits. Une commission d'experts, la Blue Ribbon Commission, a été constituée. Au terme de près de deux années de travaux, elle a remis au président Obama un rapport qui vient d'être rendu public. Il contient deux conclusions importantes : d'une part, le stockage géologique est la seule solution sûre à long terme et il faut donc créer un site, au Nevada ou ailleurs - pourquoi pas à côté du WIPP, comme le proposent certains élus du Nouveau-Mexique ; d'autre part, il faut confier cette mission à un organisme indépendant public, à l'image de l'ANDRA, par exemple !
Le Congrès et le département américain de l'énergie étudient actuellement ce rapport. Ils se sont donné six mois pour mûrir leur réflexion, mais ils sont en tout cas décidés à reprendre le dossier.
Je voudrais faire remarquer que, aux États-Unis, les choses sont extrêmement complexes, du fait de l'organisation politique et institutionnelle du pays : la volonté du Président des États-Unis a peu de chances d'aboutir si l'État concerné s'y oppose. Cela est vrai aussi bien pour Yucca Mountain que pour l'implantation d'un EPR. Finalement, quel crédit peut-on accorder aux intentions manifestées ?
Lorsque nous nous sommes rendus dans le Nevada, on nous a montré l'endroit où le projet devait se concrétiser. Ce qui est intéressant, c'est que le creusement dans la montagne s'effectuait non pas verticalement, mais horizontalement.
Tout à fait ! Les porteurs du projet Yucca Mountain ne désespèrent pas de le voir revivre, notamment en cas de changement de majorité. En même temps, les États-Unis n'excluent aucune voie aujourd'hui : ils ont de l'argile, ils ont du granit et le pays est tellement vaste qu'ils ont le choix.
Des engagements formels ont déjà été pris au cas où ils s'orienteraient vers un stockage dans l'argile. La France pourrait éventuellement les aider à gagner un peu de temps.
Le département de l'énergie américain souhaite signer un accord avec l'ANDRA dans ce nouveau contexte. Parallèlement, nous bénéficierons du retour d'expérience de l'exploitation du stockage de WIPP, qui dure depuis plus de dix ans. La coopération fonctionnera dans les deux sens.
Madame la directrice générale, bien que vous soyez très précise, M. le rapporteur souhaite encore obtenir des précisions complémentaires ! (Sourires.)
J'ai cru comprendre que les Américains, qui ne disposent pas de site de stockage, déposent les déchets à vie longue les plus dangereux dans des piscines situées juste à côté des lieux d'exploitation.
Je ne suis pas une spécialiste des modes d'entreposage du combustible usé, mais je sais qu'aux États-Unis il est entreposé à sec.
Ce mode de stockage provisoire n'est-il pas dangereux ?
S'agissant de l'Allemagne, vous nous avez expliqué que les infiltrations d'eau dans les anciennes mines de sel représentaient un danger. L'Allemagne est-elle engagée dans une démarche de réversibilité, visant à récupérer les déchets stockés dans ces anciennes mines pour les mettre en sûreté ?
Enfin, comment suivrez-vous l'évolution des déchets une fois qu'ils auront été entreposés au fond des galeries ? Comment pourra-t-on savoir s'il se passe quelque chose de grave ?
L'objet de votre première question ne relève pas de la compétence de l'ANDRA, mais j'ai l'occasion de participer à de nombreuses réunions internationales consacrées à ce sujet. Effectivement, il existe une différence fondamentale entre la solution américaine d'entreposage à sec du combustible usé et celle de l'entreposage dans des piscines retenue par les Français. Il faudrait interroger EDF sur les motivations de ce choix, d'autant que l'accident de Fukushima a mis en exergue l'importance de la ressource en eau.
Je n'irai pas plus loin sur ce sujet qui fait débat, car il ne relève pas de la compétence de l'ANDRA et je ne le connais pas suffisamment pour vous donner ne serait-ce qu'un avis personnel.
S'agissant de la mine d'Asse II, le Gouvernement allemand a demandé à la Deutsche Gesellschaft zum Bau und Betrieb von Endlagern für Abfallstoffe mbH, la DBE, d'étudier le retrait des déchets radioactifs qui baignent dans l'eau. On sait d'ores et déjà que cette opération pourrait coûter des milliards d'euros. La décision n'a pas encore été prise. Nous n'en savons pas plus, mais c'est un vrai sujet. Cette installation n'a pas du tout été conçue comme réversible : les colis ont été simplement bennés à grande profondeur. Pour notre part, nous entreposons nos colis au moyen de robots, les uns par-dessus les autres, en prévoyant les espacements nécessaires de façon qu'ils puissent être retirés en actionnant un câble si besoin est.
La réversibilité correspond à une demande politique. Elle contribue à la confiance dans le projet. Du point de vue des ingénieurs de l'ANDRA, elle représente un plus en vue du démarrage d'un projet hors normes tel que celui sur lequel nous travaillons, car elle permet l'apprentissage. En même temps, nous tenons un langage clair aux Meusiens et aux Haut-Marnais : un site de stockage géologique est fait pour être fermé, et par conséquent il ne peut s'agir d'une réversibilité ad vitam aeternam. Elle permet cependant d'aborder prudemment les premières décennies d'exploitation, en étant prêts à retirer des colis si nécessaire. Même si tous les calculs scientifiques démontrent qu'aucun problème n'apparaîtra d'ici à un million d'années, il n'est pas mauvais de se donner le temps, au cours des premières années, de vérifier leur justesse.
Dans le cas du WIPP, la réversibilité n'était pas prévue, car l'entreposage dans le sel s'y prête plus difficilement. Lorsqu'un doute sur un colis est apparu à la suite d'un contrôle qualité, l'autorité de sûreté américaine a demandé qu'il soit retiré, ce qui a pu être fait au bout de trois mois. La réversibilité est plus ou moins facile à mettre en oeuvre.
On devrait plutôt parler de « récupérabilité ».
En effet. La notion de réversibilité recouvre la récupérabilité technique et un processus de décision.
Dans les colloques internationaux, quand les Français disent « réversibilité », les étrangers entendent « récupérabilité ». La récupérabilité est une notion qui a une valeur à la fois juridique, scientifique et technique. La réversibilité, quant à elle, est une notion française : nous sommes les premiers à l'avoir inscrite dans une loi. Il convient maintenant de lui conférer une valeur juridique reconnue de façon consensuelle par la communauté scientifique et technique internationale. C'est ce à quoi s'est employée l'ANDRA, notamment dans le cadre de l'AEN. Au cours d'un colloque organisé par l'AEN qui s'est tenu à Reims sous la présidence de M. Claude Birraux, à l'époque président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, un tel consensus a pu émerger au niveau international sur la notion de réversibilité.
Un guide vient d'ailleurs d'être publié à ce sujet.
La notion de réversibilité recouvre la récupérabilité des colis en cas de problème, ainsi que la réversibilité d'un processus politique de décision qui accompagne la vie de l'installation.
Certains pays se disent davantage intéressés par la récupérabilité que par la réversibilité. Au début, les stockages géologiques étaient conçus selon le principe suivant : « on stocke, on ferme et on oublie ». En France, notre démarche est totalement différente, puisque nous avons notamment introduit cette notion de réversibilité. Le consensus qui s'est établi autour de celle-ci à l'échelon international aidera l'ANDRA à bâtir son projet et apportera au Parlement français un certain nombre d'éléments admis par la communauté scientifique internationale, sur lesquels il pourra s'appuyer quand il élaborera le texte définissant les conditions de la réversibilité de Cigéo prévu par la loi de 2006.
La loi de 2006 dispose que Cigéo doit être réversible pendant au moins cent ans, mais la signification de ce terme n'est aujourd'hui nulle part définie. Aujourd'hui, certains demandent que la durée de la réversibilité soit portée à deux cents ou trois cents ans. D'où la remarque de Mme Dupuis : quand le législateur décidera la fermeture de Cigéo, il devra en même temps décider l'abandon de la réversibilité. En effet, laisser une telle installation ouverte serait très risqué sur le plan technique : sa sûreté serait compromise en raison de possibilités d'intrusion non seulement humaine, mais aussi physico-chimique.
Une fois que l'installation aura été fermée, il sera toujours possible de retirer les déchets par des moyens robotisés, sur le modèle de ce que fait déjà AREVA. Tant qu'on garde la mémoire de l'installation, on peut toujours envisager une telle intervention.
Pour répondre à votre troisième question, monsieur le rapporteur, qui portait sur la surveillance et l'observation, j'indique que nous avons lancé, en 2006-2007, un important programme de recherches sur l'observation du stockage à 500 mètres de profondeur et la surveillance de l'environnement en surface. Nous avons créé un groupement de laboratoires de recherche qui réunit les meilleures compétences françaises en matière de développement de capteurs innovants. Dans le domaine de l'observation au fond, nous devons en effet relever de nombreux défis. Il existe déjà des capteurs destinés à effectuer des relevés chimiques, mais ceux que nous emploierons devront résister à la radioactivité, à la chaleur, et nous devrons être en mesure de les alimenter en énergie pendant au moins cent ans. De surcroît, comme le confinement repose sur la fermeture des alvéoles de stockage des galeries par de l'argile hermétique, il faut aussi que ces capteurs puissent transmettre l'information à la surface !
Le groupement de laboratoires en question vient d'ailleurs de déposer un brevet. Toutes les technologies innovantes que nous serons amenés à développer en matière de stockage pourront être transposées à d'autres industries, par exemple pour la surveillance des bétons. Nous travaillons même avec le Laboratoire national de métrologie et d'essais sur les questions de fiabilité des mesures.
Le déploiement de ces moyens de surveillance contribuera grandement à renforcer la confiance en ce projet. Tous les alvéoles de stockage ne seront pas truffés de capteurs, mais en tout cas les premiers feront l'objet d'une surveillance particulièrement étroite.
Monsieur le président du conseil d'administration, madame la directrice générale, je vous remercie d'être venus répondre à nos questions. Ne soyez pas surpris si, dans les jours ou les semaines à venir, notre rapporteur se permet de solliciter, éventuellement par écrit, quelques compléments d'information.