Mes chers collègues, je tiens tout d'abord à vous présenter les excuses du président Milon, retenu, qui m'a chargé de présider cette réunion.
Nous poursuivons aujourd'hui nos travaux en examinant la gestion de la crise dans le département de l'Oise, avec M. Étienne Champion, directeur de l'ARS des Hauts-de-France, Mme Marie-Cécile Darmois, directrice de l'hôpital Saint-Lazare de Crépy-en-Valois, M. Bruno Fortier, maire de Crépy-en-Valois, M. le préfet de l'Oise, Louis Le Franc, Mme la présidente du conseil départemental, Nadège Lefebvre et le professeur Arnaud Fontanet, qui est directeur du département de santé globale de l'Institut Pasteur.
Par rapport à notre audition d'hier, consacrée à Mayotte, nous revenons un peu en arrière dans la chronologie, puisque le département de l'Oise a été touché très tôt par la crise, avec la première victime française du covid-19, un enseignant du collège de Crépy-en-Valois, décédé dans la nuit du 25 au 26 février dernier. L'Oise a été traitée comme le serait un foyer épidémique d'aujourd'hui, avant que le passage en phase 3 ne conduise à renoncer à des modes opératoires qui n'ont été réintroduits qu'au moment du déconfinement, notamment en matière de contact tracing.
Ce foyer épidémique a fait l'objet d'une étude d'une équipe de l'Institut Pasteur, sous la direction du professeur Fontanet, qui pourra nous apporter un éclairage intéressant au côté des différents acteurs de la crise.
Comment la gestion de la crise s'est-elle organisée dans le département ? Quels sont les retours d'expérience ? Quels enseignements avez-vous tirés, les uns et les autres, de cet épisode, si une autre crise devait survenir ? Telles sont les questions que nous vous poserons.
Je vais demander à chacun de se présenter brièvement en essayant d'être très synthétique. Ensuite, nos rapporteurs et collègues vous interrogeront, en tâchant également d'être concis.
Auparavant, et conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, je vais vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de 5 ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mmes Marie-Cécile Darmois et Nadège Lefebvre, ainsi que MM. Étienne Champion, Bruno Fortier, Louis Le Franc et Arnaud Fontanet prêtent serment.
Ma première pensée va vers toutes les personnes qui, malheureusement, ont perdu la vie dans ce département de l'Oise - nous sommes à 591 personnes décédées. Je veux aussi remercier tous celles et ceux qui ont contribué à faire en sorte que cette pandémie ne soit pas encore plus grave que ce qu'elle a pu être.
Pour moi, il y a quatre maîtres mots qui sous-tendent l'action publique, tant de l'État que des collectivités territoriales dans le département de l'Oise.
Tout d'abord la cohérence. Dès l'apparition des premiers symptômes des personnes contaminées, la stratégie a été de ralentir la propagation du virus, qui était concentré dans le quart sud-est de l'Oise, afin de disposer des délais nécessaires à la mise en oeuvre des mesures de protection de l'ensemble de la population de l'Oise. Tout l'État territorial a alors fait bloc pour définir les orientations nous permettant de mettre en application cette stratégie. Ensuite, on l'a partagée avec les élus, au premier rang desquels la présidente du conseil départemental, puis les maires, notamment celui de Crépy-en-Valois, qui a été l'épicentre de cette crise, pas uniquement sanitaire, mais aussi médiatique, sociale et économique. Il a fallu se concerter tous les jours pour adapter les mesures nécessaires à la gestion de cette pandémie, qui a été extraordinairement longue dans le département.
Le deuxième maître mot, c'est l'anticipation. Par exemple, j'ai été confronté à un problème de gestion des personnes décédées. Il a fallu faire passer de 6 à 10 jours les délais d'inhumation et augmenter la capacité de crémation des corps. Sur deux week-ends du mois de mars, nous avons eu des pics jusqu'à 25 ou 30 morts. Il a fallu réajuster les mesures réglementaires et gérer cela avec les opérateurs funéraires, qui, à un moment, ont menacé de laisser les cercueils sur les routes. Il a fallu anticiper les rassemblements pour la rupture du jeûne du ramadan sur le plateau de Creil avec les autorités religieuses. Tel est le type d'événement que j'ai eu à gérer dans l'anticipation.
La réactivité, troisième maître mot, s'est traduite par une nouvelle manière innovante de réglementer. Plutôt que de prendre des arrêtés préfectoraux chaque jour en dur, j'ai préféré opter pour du droit souple et mettre en place un dispositif de foire aux questions afin d'informer le plus précisément la population et de coller à la situation du terrain. Nous visions notamment les chefs d'entreprise et les responsables d'association. Un bulletin quotidien était également publié conjointement avec le directeur de l'ARS pour le grand public. J'ai été en contact permanent avec la présidente du conseil départemental, notamment pour gérer la situation des collèges et de la petite enfance, et j'informais chaque fin de semaine les parlementaires sur la gestion de la crise.
Nous avons fait cela en toute transparence, qui est le quatrième maître mot. Un dernier mot sur la presse. Le département a fait l'objet d'une pression médiatique inouïe, avec 300 journalistes en permanence sur le terrain. Je le sais, cela fait partie du jeu, mais cette attention permanente a été une difficulté supplémentaire à gérer pour nous. Il faut faire attention à ce que l'on dit, à ce que l'on ne dit pas, à ce que l'on fait, et il y a toujours des risques de dérapage.
Je veux évidemment commencer par un hommage aux victimes du covid, notamment l'enseignant de Crépy-en-Valois, première victime française du covid, et le premier médecin décédé du virus, également dans l'Oise. Il y a eu beaucoup de premiers dans l'Oise.
Au plus fort de la crise, c'est évidemment dans les hôpitaux, dans les cabinets de ville, dans les Ehpad que s'est trouvée la réponse à cette situation qui était inédite. Ce sont les équipes soignantes et plus largement les professionnels qui, par leur mobilisation extraordinaire, ont permis de faire front. C'est l'occasion aussi de saluer aujourd'hui leur professionnalisme, et notamment celui de Mme Darmois, qui a été certainement l'une des toutes premières Françaises confrontées en tant que directrice d'établissement à ce qui était totalement inattendu.
Cette crise a aussi été gérée par l'Agence régionale de santé. Je conçois l'agence avant tout comme une facilitatrice, comme une instance qui doit introduire de la souplesse dans le rapport entre le national et le local. Elle doit avoir une certaine autonomie dans le respect, évidemment, des règles nationales, mais elle doit se nourrir du terrain. Je me permets donc de rendre hommage aux équipes de l'ARS, qui sont mobilisées dans les coulisses depuis les premières heures. Au sein des pouvoirs publics, l'ARS n'est évidemment pas seule, et elle doit mener avant un tout un travail de coordination avec le préfet, le recteur et d'autres acteurs. Dans ce genre de crise, elle doit être à l'origine d'un pacte avec l'ensemble des pouvoirs publics, notamment les collectivités locales.
La crise n'a pas commencé dans la nuit du 25 au 26 février, quand nous avons appris ce premier décès d'un cas autochtone. Dès le 23 janvier, nous avons commencé à préparer la crise. Nous l'avons préparée avec les préfets, avec les établissements hospitaliers. Nous avons commencé à organiser régulièrement des conférences, qui nous ont permis de nous préparer, avec les professionnels de santé de ville, les fédérations médicales, les établissements médico-sociaux.
Comme l'a dit M. le préfet, nous étions à ce moment-là dans un cas totalement nouveau. Il y avait eu un cluster en Rhône-Alpes, mais il était lié à une importation de cas. Là, nous découvrons que le virus circule sur notre territoire, et notamment dans les hôpitaux, sans que des mesures soient prises, parce que les malades ne sont pas formellement identifiés. C'est pourquoi l'enjeu important a été d'organiser le contact tracing, en ville, mais aussi dans les hôpitaux. Nous avons aussi dû fermer le service de réanimation de l'hôpital de Creil.
Dès le 23 février, j'ai sollicité l'appui de la réserve sanitaire, qui nous a fourni 110 personnes en renfort. Un travail de dépistage a ensuite été entrepris en deux temps, notamment sur les établissements scolaires, avec l'appui du conseil départemental.
Cette première expérience m'a permis de dégager plusieurs principes que nous avons ensuite essayé d'appliquer à l'ensemble de la gestion de la crise dans l'Oise. Tout d'abord, penser et agir à 360° sur le champ de la santé, mais aussi du médico-social, du régional au local, toujours en lien avec le national. Nous avons aussi dû miser sur la mobilisation de tous les acteurs publics et privés, de l'ensemble des acteurs de l'urgence et du secours, avec une consolidation des passerelles public-privé. Il a fallu accompagner les professionnels de tous les secteurs, notamment les médecins de ville, notamment grâce au développement de la télémédecine. Par ailleurs, nous avons protégé les publics les plus fragiles, à savoir les personnes âgées dans les Ehpad et les personnes handicapées.
Enfin, il est apparu indispensable de rester en permanence connecté avec les territoires. À cet effet, dès le 2 mars, sur l'initiative du préfet de région, s'est tenue chaque lundi une conférence stratégique avec l'ensemble des préfets, des présidents de conseil départemental, des représentants des associations de maires pour faire un point précis sur la gestion de la crise. Ces réunions ont donné lieu à la diffusion de bulletins, notamment auprès des parlementaires.
Le maître mot, c'est de faire face collectivement à l'imprévu. Cette capacité de mettre en oeuvre un certain nombre d'instructions qui nous venaient du national, mais aussi d'être créatifs collectivement avec les professionnels, nous a permis, je crois, de répondre au mieux aux défis qui nous étaient posés.
Je vous remercie de m'avoir invitée à témoigner devant votre commission d'enquête. Le département de l'Oise, en effet, a été, au tout début du mois de mars, le premier territoire métropolitain véritablement touché par l'épidémie. C'est dans l'Oise que les premiers regroupements de personnes contaminées, les fameux clusters, ont été identifiés. Ainsi, des mesures de confinement, touchant en particulier les établissements scolaires, ont visé les zones clusters de l'Oise dès le 2 mars. Une semaine plus tard, c'est-à-dire le 9 mars, les écoles, collèges, lycées de l'ensemble du département étaient fermés, avec une semaine d'avance sur le reste du territoire national. Notre territoire a été pris très tôt dans la tourmente de l'épidémie, ce qui nous a placés, sans que nous y soyons préparés, sous les feux de l'actualité. Il faut savoir que des entreprises ont été discriminées par leurs clients au seul motif qu'elles étaient localisées dans l'Oise.
Nous avons dû faire face aux assauts médiatiques, ce qui ne rendait pas les choses faciles au quotidien. Nous avons aussi affronté, avec quelques jours ou semaines d'avance sur les autres territoires, des problématiques complexes, telles que la pénurie de masques, qui touchait, bien sûr, les médecins généralistes, mais aussi d'autres services comme les services d'aide à domicile, ces derniers rentrant souvent bredouilles des pharmacies censées leur fournir cette protection minimale.
J'ai dû également gérer le traitement de la situation particulière des assistantes maternelles, d'abord sur des questions liées à la prise en charge des enfants, puis sur l'indemnisation des journées non travaillées. J'ai été, je crois, la première à saisir le Gouvernement pour qu'elles puissent, comme les autres salariés, bénéficier d'une sorte de chômage partiel, ce qui leur avait été initialement refusé.
Je tiens à saluer aujourd'hui, bien sûr, l'attitude des habitants de l'Oise durant cette période, mais aussi pendant tout le confinement qui a suivi. Je veux souligner, en particulier, l'engagement de nombreux élus locaux, dont le maire de Crépy-en-Valois, qui est à mes côtés, et dont la commune a été parmi les plus durement touchées en France. Ils ont été sur le pont pour aider leurs administrés, en particulier les plus fragiles. Je tiens enfin à saluer l'action du préfet de l'Oise, qui a cherché à nos côtés à apporter les réponses les plus adaptées à des besoins aussi urgents que difficiles à satisfaire.
L'action du conseil départemental s'est concentrée autour de 5 axes.
Tout d'abord, la prise en charge des personnes âgées, qu'elles soient en Ehpad, dans d'autres établissements ou à domicile.
Ensuite, l'aide aux autres publics fragiles, qu'il s'agisse des personnes handicapées, en difficulté sociale ou des jeunes de l'aide sociale à l'enfance. N'oublions pas que, durant toute cette période, tous ces enfants étaient dans les foyers, ce qui a été difficile à gérer.
Enfin, il a fallu organiser l'accueil dans les collèges des enfants des personnels prioritaires pendant le confinement, puis l'accompagnement des établissements scolaires pour la mise en oeuvre du protocole sanitaire pendant la phase de déconfinement.
Ces trois axes sont évidemment au coeur des compétences de la collectivité.
Pour autant, nous avons dû plus d'une fois aller au-delà de nos strictes compétences pour faire face à l'urgence.
À ceci s'est ajoutée une aide d'urgence que nous avons décidée pour les travailleurs non-salariés, qui ne pouvaient pas bénéficier de mesures de chômage partiel. Il y en avait énormément dans le département. L'aide de 1 500 euros mise en place par l'État servait pour nombre d'entre eux à payer les charges de l'entreprise, de sorte qu'ils n'avaient pas la possibilité de nourrir leur famille ou de payer leur loyer. Nous avons octroyé 3 500 aides de cette nature à des chefs d'entreprise.
Nous avons aussi mis l'accent sur le soutien aux personnes en première ligne, à savoir les personnels des Ehpad, des services d'aide et d'accompagnement à domicile, mais aussi les ambulanciers, les pompes funèbres ou encore les chauffeurs de taxi. Notre action dans ce domaine a permis, à une époque où les masques manquaient partout, que ce soit dans les cabinets médicaux ou dans les établissements sociaux, de collecter des milliers de masques, conservés dans des mairies ou des entreprises parfois depuis des années.
Ces deux derniers axes ne relevaient pas spécifiquement du conseil départemental - notamment le soutien des personnes en première ligne, qui a le plus souvent consisté à fournir des masques et du matériel de protection en attendant les livraisons de l'ARS, ou en complément de dotations qui étaient parfois un peu juste, durant la première période. Bien sûr, cela s'est sérieusement amélioré pendant toute cette longue période.
J'ai souhaité que le conseil départemental mène de front deux batailles : la première consistait à faire face à une situation d'urgence particulièrement critique dans les Ehpad et plus largement, pour les personnes âgées, isolées par les mesures de confinement. Je pense aussi aux enfants qui n'étaient plus scolarisés ; 2 800 enfants de l'Oise ont perdu tout contact avec le système éducatif. Devant la gravité de cette situation, j'ai interpellé le secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance, mais j'attends encore la réponse...
La seconde bataille était pour préparer l'après-crise, et qui s'est traduite par le maintien de notre calendrier de réunions, notamment de nos commissions, de façon à toujours accorder des marchés, signe fort pour les entreprises, afin de leur montrer que la reprise pouvait s'opérer rapidement dès le déconfinement.
La gestion de cette crise n'a pas été sans difficulté. Il est essentiel de mettre le doigt sur les difficultés rencontrées, de les analyser pour tirer les leçons de cette expérience que nous ne souhaitons pas revivre. Cette crise a mis en lumière quelques faiblesses dans l'organisation régionalisée de certains services de l'État, qui a montré ses limites alors que l'Oise était bien plus touchée que les autres départements de la région. En mars, beaucoup de temps a été perdu en échanges régionaux avec des préfets ou des présidents de conseils départementaux confrontés à des situations très différentes de la nôtre. Il aurait fallu des points précis, département par département, surtout dans la première partie de cette crise pour l'Oise, afin de ne pas s'éparpiller sur l'ensemble de la région.
Malgré la force de frappe de l'ARS, nous avons eu quelques difficultés pour l'approvisionnement en masques des Ehpad et des établissements sociaux et médico-sociaux ; je pense aussi aux ambulanciers, aux taxis conventionnés par l'assurance maladie, et surtout aux pompes funèbres, qui sont venus frapper à la porte du département pour obtenir quelques milliers de masques et protéger ainsi des centaines de personnes particulièrement exposées au virus. La proximité du département et notre connaissance des acteurs locaux ont permis de collecter et de distribuer des milliers de masques éparpillés sur tout le territoire.
La double tutelle exercée par le département et l'ARS sur les Ehpad est complexe - le sujet avait déjà été identifié auparavant. Les directeurs des Ehpad devaient en permanence jongler avec les interlocuteurs selon la nature de leurs besoins, mais parfois aussi pour obtenir des masques. J'ai noté que cet éloignement n'avait pas été perçu de la même manière par les élus d'Alsace, autre territoire lourdement touché par l'épidémie. Si j'insiste sur ce point, c'est que cela tient peut-être de la proximité du département et de la ville de Strasbourg où se trouve le siège de la région. Autrement dit, la régionalisation n'a sans doute pas les mêmes conséquences pour les territoires proches de la capitale régionale où les acteurs travaillent de longue date ensemble, que pour ceux comme l'Oise dans les Hauts-de-France qui sont très éloignés de Lille. En dépit de ces difficultés, je mesure bien sûr l'engagement de tous les acteurs publics, que ce soit les services de l'État, l'ARS et tous les élus locaux. C'est une crise sans précédent que nous souhaitons bien sûr ne jamais revivre. Nous espérons qu'il n'y aura pas de deuxième vague et devons tirer de cette crise les leçons qui s'imposent. Je suis certaine que le travail de votre commission pourra y remédier.
Mon propos liminaire va raconter mon histoire. Jeudi 13 février s'est déroulé le dernier conseil communautaire de notre communauté de communes à Crépy-en-Valois, avec 91 conseillers communautaires. Mardi 25 février, je dis à mon épouse que je n'aime pas du tout cette histoire de coronavirus - on parlait de la Chine, de l'Italie, on commençait à parler de la France... Ce même jour, je demande à mon directeur général des services de faire le point sur le stock de masques depuis l'épidémie de grippe A H1-N1. Résultat : plus de masques en stock. Jeudi 27 février à 7 h 30, je reçois un appel téléphonique du directeur général de l'ARS, M. Champion, que je ne connaissais pas, et qui m'annonce malheureusement le décès de M. Dominique Varoteaux, premier mort français de cette « cochonnerie », comme je l'ai appelée et je continuerai de l'appeler ainsi. Il me demande d'organiser une réunion à 14 heures en mairie avec le préfet, le sous-préfet, le député, lui-même et quelques autres personnes. À 8 h 30, je suis en mairie pour réunir tout le personnel d'accueil et prévenir qu'une affluence de journalistes - je connaissais bien le système - allait certainement arriver. Bien sûr, comme je connais tout le monde à la mairie, je serre des mains, je fais des bises... Ce même jour, il y a la réunion avec l'ARS à 14 heures. Le 28 février, l'ARS m'appelle et me demande de faire une liste des membres du conseil communautaire, puisqu'une des conseillères communautaires de la petite commune de Rouville, Mme Valérie Méron, était malade et se trouvait à l'hôpital de Tourcoing. Je lui donne cette liste. Comme j'étais malade et toussais fortement, cette personne me recommande de faire un test à l'hôpital d'Amiens. Samedi 29 février, je réalise donc ce test, avec une conseillère municipale, très malade, qui fait un malaise dans la salle d'attente. Dimanche 1er mars, le résultat tombe vers 20 heures. (La voix de l'orateur se brise sous le coup de l'émotion). Je suis positif à cette cochonnerie, et la galère commence, un engrenage terrible se met en route. Je vous lis le message que j'ai fait passer sur les réseaux sociaux : « Bonsoir à tous, après avoir subi un test hier à l'hôpital d'Amiens, mon résultat vient de tomber. Mon test est positif et je suis porteur de cette cochonnerie. Je suis donc en train d'établir une liste des personnes que j'ai rencontrées depuis les 14 derniers jours. Je pense que beaucoup de cas vont apparaître dans les jours qui viennent. Je ne suis pas hospitalisé, je ne me sentais pas malade, pas de fièvre, mais je suis porteur de ce satané virus. Chères Crépynoises, chers Crépynois, nous entrons dans une période difficile. Gardons notre calme, respectons les mesures imposées par la préfecture et soyons solidaires. Merci encore de votre soutien. »
Je vais vous lire un dernier texte, et puis je m'arrêterai là et je répondrai à toutes les questions. C'est un message de présentation de ma commune au professeur Bruno Hoen, directeur de la recherche médicale de l'Institut Pasteur. « Crépy-en-Valois est une ville charmante de 15 357 habitants. Il y a eu en 1982 un drame national. C'est la ville de l'accident de Beaune, le 31 juillet 1982 : 44 enfants de Crépy et de la région sont décédés, brûlés dans deux autocars qui emmenaient ces enfants dans le sud. » Je vous dis tout cela pour vous situer le contexte de Crépy, très particulier, qui perdure pour ses habitants.
« Élu en 1983, j'ai fait la promesse aux parents de toujours être avec eux le jour des commémorations, chaque 31 juillet. Crépy-en-Valois, c'est aussi la ville où le 20 novembre 1981, un collège Pailleron a brûlé entièrement ; le collège Jean-de-La-Fontaine où enseignait M. Dominique Varoteaux.
Le 8 juillet 2015, les frères Kouachi sont passés à Crépy-en-Valois. La ville a vécu pendant une journée complète en état de siège, avec le GIGN et le Raid comme compagnons. J'ai moi-même passé la nuit en voiture avec la photo de ces deux fous. En juin 2019, il y a eu la pollution de notre étang de Géresme dans le magnifique parc de 21 hectares avec 6 000 litres de shampooing concentré déversés. Le 21 juin 2019, c'était l'effondrement d'une partie de notre collégiale Saint-Thomas, 300 tonnes d'un monument classé en 1875, et maintenant le covid avec le premier mort français, atteint par cette cochonnerie. Tout cela pour vous dire que Crépy-en-Valois ne souhaite pas être le centre de la presse nationale, car c'était déjà le cas, et a subi son lot de catastrophes, ainsi que les habitants qui restent fiers de leur commune. Crépy-en-Valois reste un endroit splendide, calme reposant, nous voudrions maintenant un peu de calme, mais l'histoire reste l'histoire. »
Cela a été un moment difficile. Nous avons eu des décès, certes pas autant que certaines communes, mais c'était important, ramené à la proportion de notre commune. Le nombre de décès a été multiplié par deux sur la période entre 2019 et 2020. Je n'ai jamais voulu donner le nombre des décès - mais je répondrai à la question, puisque vous me l'avez posée. On était en période électorale, les opposants voulaient absolument savoir. J'ai considéré qu'il n'y avait pas lieu de donner ce chiffre, qui n'apportait rien à personne et je suis resté muet sur ce sujet.
L'hôpital de Crépy-en-Valois se situe à la frontière du sanitaire - puisque nous avons une autorisation de 30 lits de soins de suite et de réadaptation (SSR) - et du médico-social, avec 30 lits de soins de longue durée (SLD) et 179 lits d'Ehpad. Cette capacité totale de 239 lits est répartie sur trois sites : l'hôpital Saint-Lazare, qui regroupe le service de SSR, le service du SLD et 10 lits d'Ehpad. L'Ehpad Étienne-Marie de La Hante, juste en face, comporte 81 lits. L'Ehpad Les Primevères dispose de 88 lits, dont 30 lits en unité protégée pour les résidents atteints de la maladie d'Alzheimer ou troubles apparentés. L'établissement dispose de 170 ETP médicaux et non médicaux. Nous faisons partie du groupement hospitalier de territoire (GHT) Oise Nord-Est. L'établissement support est le centre hospitalier de Compiègne-Noyon. Je préciserai l'ensemble des autres éléments au fur et à mesure des questions.
Je travaille à l'institut Pasteur, je suis directeur du département de santé globale, directeur d'une unité de recherche en maladies infectieuses émergentes. Je suis également membre du conseil scientifique covid-19 pour mes compétences en épidémiologie, notamment des coronavirus, puisque j'ai travaillé dans le passé sur le coronavirus du SRAS en Chine, le MERS-CoV dans les pays du Golfe et en France et maintenant sur ce nouveau coronavirus SARS-Cov-2.
Mon implication dans le département de l'Oise a débuté avec une lettre du directeur général de la Santé (DGS), datée du 2 mars, qui me demandait, en qualité de chercheur à l'Institut Pasteur, de mener une enquête dans le département de l'Oise, où l'on savait que le virus circulait activement, en utilisant un test sérologique - en réalité, plusieurs - qui étaient développés à l'Institut Pasteur. Nous étions parmi les premiers instituts en France à être en mesure de développer ces tests sérologiques et donc être capable de dépister des anticorps qui permettaient de savoir si les personnes avaient été infectées ou non dans le passé. C'est un outil extrêmement important, à la fois à titre de diagnostic, mais plutôt rétrospectif, mais surtout pour ces fameuses enquêtes épidémiologiques afin de savoir quelle était l'étendue de la première vague épidémique. Le DGS m'a suggéré de travailler à Crépy-en-Valois, notamment autour du collège et du lycée où l'on savait que le virus avait récemment circulé activement. J'ai pris contact rapidement avec le directeur de l'ARS, M. Étienne Champion, et nous avons mis en place avec le Pr Bruno Hoen, directeur de la recherche médicale à l'institut Pasteur, un premier protocole de recherche, monté en trois jours pour pouvoir intervenir les 5 et 6 mars dans le collège et le lycée afin de faire des dépistages de forme active de l'infection.
Même si ce n'était pas l'objet de notre recherche, il n'était pas pensable d'aller sur place pour faire des prélèvements sanguins sans en même temps assurer une activité de diagnostic pour identifier les personnes activement touchées par le virus, et donc qui devaient être isolées pour protéger les autres et être prises en charge médicalement. Nous avons donc effectué en parallèle de notre activité de recherche des prélèvements chez des personnes symptomatiques, qui nous ont permis d'identifier 13 personnes contaminées sur 90 testées. Nous avons transmis immédiatement ces résultats à l'ARS afin qu'elle puisse prendre toutes les mesures d'isolement pour ces personnes et de prise en charge médicale. En parallèle, nous avons prélevé toutes les personnes symptomatiques depuis la mi-janvier, date présumée du début de l'épidémie ; on savait que de premières personnes symptomatiques avaient été clairement identifiées début février. Les prélèvements réalisés à cette occasion nous ont permis effectivement, avec d'autres prélèvements réalisés dans le cas d'études dans les hôpitaux de France et d'ailleurs, de mettre au point de tests sérologiques qui sont maintenant très performants. Nos tests sont capables de détecter avec beaucoup de fiabilité la présence d'anticorps. Cette première étude a rempli ses objectifs.
Lorsque nous avons vu l'intensité de la circulation du virus dans cette période du 5 et 6 mars à Crépy-en-Valois, nous avons repris contact avec M. Bruno Fortier, qui nous a ouvert les portes de Crépy-en-Valois. Il nous a beaucoup soutenus pour la suite des enquêtes que nous avons pu mener, d'abord entre le 30 mars et le 4 avril dans le lycée de Crépy-en-Valois, où nous avons invité les lycéens, les enseignants, les personnels non enseignants. Comme les lycéens étaient mineurs, on leur demandait d'être accompagnés d'un parent et éventuellement d'un proche qui pouvait être testé. Nous avons ainsi eu une première enquête sur près de 700 personnes, ce qui nous a permis de documenter effectivement une circulation très active du virus dans le lycée, dans les 15 premiers jours de février. Cette circulation a été stoppée par les vacances scolaires, puis a légèrement repris, avant d'être définitivement stoppée avec le confinement. Un mois plus tard, nous sommes allés entre le 28 mars et le 30 avril répéter cette même opération, cette fois-ci dans les 6 écoles primaires de Crépy-en-Valois, pour voir si le virus avait circulé de la même façon dans les écoles. Nous voulions documenter la circulation du virus dans cet environnement, mais également répondre aux questions qui se posaient sur la circulation du virus dans les écoles et à différents âges. Se posait la question de la réouverture des écoles. L'ensemble de ces études a été très riche d'enseignements. Je pourrai revenir sur les résultats si vous le souhaitez.
Nous avons communiqué les résultats sous forme de webinaire avec la population à deux reprises. Grâce à l'aide de M. Bruno Fortier, nous avons ainsi pu transmettre les résultats globaux à la communauté, avant qu'elle ne l'apprenne par les journaux. Nous pensions qu'il était préférable qu'ils connaissent ces résultats directement et qu'ils puissent nous interroger. Immédiatement après, une communication plus générale était réalisée auprès de la presse. Nous avons donné les résultats individuels à toute personne qui le souhaitait.
Cela a été possible grâce à l'aide de M. Bruno Fortier, de la directrice des établissements scolaires, de la rectrice d'Amiens... M. Étienne Champion aussi est intervenu plusieurs fois pour nous faciliter la tâche. Grâce à ce soutien, nous avons eu à la fois des contacts individuels et avec la presse. Ma grande fierté a été de pouvoir, aux côtés de MM. Fortier et Champion, et de tous les acteurs locaux, de permettre à la population de Crépy-en-Valois, très meurtrie par cette épidémie, de participer activement à une recherche qui a eu un impact considérable, non seulement à l'échelon local, mais également national et même international. Pour la petite histoire, j'ai la semaine dernière donné des interviews au Wall Street Journal, New York Times, Washington Post, je suis passé sur CNN et sur CBS News pour parler des résultats de Crépy-en-Valois. Monsieur le maire, je vous enverrai ces entretiens parce que ces résultats publiés à l'international sont parmi les toutes premières études qui nous donnent des informations sur les lycéens et sur les enfants d'écoles primaires et le risque d'être infecté dans ces environnements. Je tiens une fois de plus, monsieur le maire, à vous remercier pour votre contribution qui nous a permis, d'une part, de répondre à quelques questions localement, mais aussi, grâce à la participation de toutes les personnes de la municipalité, de répondre à des questions qui sont d'importance capitale face à cette terrible épidémie à l'échelle mondiale.
À la suite de ce qui nous est arrivé sur Crépy, quinze jours avant tout le monde, toute la mairie a été confinée. Le préfet, le sous-préfet, le député, ont été confinés à cause de moi. L'image de Crépy était terrible. Nous avons entre 2 000 et 3 000 personnes qui prennent le train tous les matins, car nous sommes à 35 minutes de la gare du Nord. Dès le jour de l'annonce de la mort de ce pauvre M. Varoteaux, les employeurs téléphonaient à leurs employés pour leur demander de ne pas venir, parce qu'ils étaient de Crépy-en-Valois ou de l'Oise - rendez-vous compte, quinze jours avant tout le monde. L'image de Crépy était terriblement détériorée, et cela, je ne le supportais pas. J'ai donc demandé à l'Institut Pasteur, au Pr Arnaud Fontanet et au Pr Bruno Hoen. Le Pr Arnaud Fontanet m'a dit qu'on pouvait donner une autre image de Crépy, premier lieu de contamination, en faisant des tests, afin de donner l'image d'un lieu de recherche sur cette cochonnerie. J'ai dit oui, on continue, on y va encore, et il y aura peut-être des suites.
Je vous remercie, et souhaite vous dire combien nous partageons ce qu'ont dû être les difficultés et la douleur de votre département. Nous avons bien senti, monsieur le maire, la place importante des élus locaux et des maires en particulier, qui sont vraiment au coeur de la population, avec leurs habitants, et qui souffrent comme leurs habitants. Merci pour ce témoignage et pour tout ce que vous avez fait durant cette période.
Comment se faisaient les allers-retours entre l'échelon local et l'échelon national ? Monsieur Fontanet, vous nous dites que le virus circulait de façon très active dans certaines communes de l'Oise depuis la fin du mois de février, alors qu'au niveau national, on nous incitait le 6 mars à sortir, à aller au restaurant, au cinéma et dans les théâtres. Comment expliquez-vous ce décalage ? Cherchait-on alors une forme d'immunité collective ?
Pourriez-vous nous donner des précisions sur le retour de Chine des militaires de Creil ? Quelles ont été les relations avec Santé Publique France ?
Le patient n° 1 dans votre département, qui est décédé, a-t-il été testé dès les premiers symptômes ?
Lorsque les habitants de Crépy-en-Valois prenaient les transports en commun, l'application des gestes barrière était-elle possible ?
Comment avez-vous vécu le double pilotage ? Quelle a été la place de la direction territoriale de l'Oise et de l'ARS en son sein ?
Nous avons commencé à nous préparer à partir du 23 janvier. Nous avons reçu dans le courant du mois de janvier des « min sant », c'est-à-dire des informations et instructions du ministère de la santé, sur l'évolution de l'épidémie dans le monde. La définition de cas est à la fois une question clinique et géographique.
Le pilotage national est passé par une visioconférence quotidienne.
Je vous donnerai la date exacte.
Dès la fin janvier, une chaîne de réactivité extrêmement forte s'est mise en place sur l'ensemble du territoire de la région. Tous les jours, une cellule de crise se réunit dans chacun des établissements, tous les jours ou un jour sur deux, nous avons une audioconférence avec les principaux établissements, et une fois sur deux, avec l'ensemble des établissements, et tous les jours, nous avons une visioconférence nationale. Un problème évoqué dans un établissement le matin peut donc être réglé le soir.
Il s'agit d'une boucle qui va dans les deux sens. J'ai organisé des audioconférences très tôt avec les chefs de Samu et des infectiologues parce qu'à mes yeux, l'ARS ne peut pas avoir toutes les expertises, mais elle doit les articuler. Nous avons d'ailleurs inclus les Ehpad et les professionnels de santé dans ce système. L'expertise vient tout autant du terrain que du national.
Santé publique France a un nombre varié de missions. L'ARS héberge les équipes de la cellule d'intervention en région (CIRE), qui a des missions épidémiologiques et participe au travail de tracing avec les équipes de veille sanitaire de l'ARS. Il n'est pas vrai que la sécurité sanitaire n'est pas au coeur des missions des ARS. La direction de la sécurité sanitaire et de la santé environnementale est la première direction de l'ARS des Hauts-de-France. La culture de la gestion de crise au sein de l'ARS est très forte - les crises de Lubrizol puis du covid l'ont montré.
Santé publique France s'occupe notamment de l'agrégation des données des Ehpad, mais aussi de certaines questions relatives à l'approvisionnement en masques.
Je tiens à redire publiquement les ARS n'ont pas été chargées de la logistique des masques. Il y a deux flux de masques : le flux dit GHT (pour groupement hospitalier de territoire), qui, tout au long de la crise, a distribué des masques par transporteur privé aux établissements médico-sociaux et sanitaires et aux services à domicile - les ARS n'ont pas géré ce flux, mais elles disposaient des fichiers et pouvaient remonter des problèmes -, et le flux officine pour les professionnels de santé de ville. Ces deux flux sont gérés à l'échelon national, mais les ARS ont souhaité aider. Nous avons notamment fait des distributions de dons. Dans l'Oise, nous avons très vite pu distribuer 32 000 masques aux établissements - et jusqu'à 500 000 masques sur la toute la période. Il convient toutefois de comparer ces chiffres à ceux des chaînes nationales : 4,5 millions pour les GHT et 2,9 millions pour les officines.
M. Varoteaux a été testé tardivement, car il ne correspondait pas à la définition de cas. À ce jour, les épidémiologistes n'ont toujours pas déterminé la chaîne de transmission.
Vous parlez de dualité de pilotage, madame la rapporteure. Le préfet a préféré parler de duo, voire de trio. Je crois que le travail s'est fait en coordination avec les préfets et les élus. C'était un duo et non un duel. Je retiens l'expérience très forte d'une intégration permanente, chacun apportant son expérience et sa compétence.
En revanche, la double tutelle sur les Ehpad est un vrai sujet. Il faut mieux s'articuler, mais je crois que cette crise a montré que l'imbrication du sanitaire et du médico-social, l'apport du sanitaire dans les Ehpad et d'une manière générale, dans les établissements médico-sociaux, a été fondamentale. Cette double tutelle est certes complexe, mais elle marque un ancrage local très important.
La déléguée départementale de l'Oise a toujours été présente. Elle est en permanence auprès du préfet avec les élus. Je me suis rendu sur place au début de la crise. Nous avons renforcé les équipes de l'ARS sur place, et par exemple, le directeur adjoint de l'offre médico-sociale est venu s'installer dans l'Oise pendant plusieurs jours au moment des dépistages pour renforcer notre approche locale.
Nous avons pratiqué dans l'Oise, notamment dès le premier mois, une forme d'interministérialité locale déconcentrée. Nous n'avons pas attendu que tout tombe des étages supérieurs, mais nous avons pris notre sort en main, et avec le directeur général de l'ARS et la rectrice de l'académie d'Amiens, puisqu'ils sont en compétence directe sur les problématiques hospitalières et relatives aux établissements médico-sociaux et aux établissements scolaires, il est évident que nous nous sommes inscrits d'emblée dans une logique de complémentarité.
Le maire a été un élément central dans la gestion de la pandémie dans le département de l'Oise. Je suis en poste depuis trois ans ; je ne connais pas les 680 maires du département personnellement, mais j'en connais un grand nombre. La qualité de relation entre le préfet et le maire est déterminante.
En l'absence de mesures nationales, j'ai dû prendre des décisions locales. Mes échanges avec le responsable sanitaire, avec le responsable académique, avec la présidente du conseil départemental, avec l'Union des maires de l'Oise et avec les présidents des trois agglomérations du département ont permis de faire accepter ces mesures coercitives.
J'ai notamment été amené dès le départ à interdire tout rassemblement dans le département pour éviter que le virus se propage vers la partie ouest du département, puisqu'il était concentré dans le quart sud-est. De la même manière, j'ai dû interdire que les marchés se tiennent, même si j'ai rapidement desserré l'étau car cela était nécessaire tant à la survie des producteurs agroalimentaires que pour les consommateurs des communes isolées en milieu rural.
La base de Creil a été considérée, un petit peu trop vite d'ailleurs, comme le foyer de propagation du virus en France. La première mission du 31 janvier depuis l'aéroport de Wuhan a jeté une forme de discrédit sur la base. Heureusement, l'Institut Pasteur - je l'en remercie - a écarté cette piste, mais pas tout de suite, puisque le virus a muté six fois sur M. Jean-Pierre Goussart, personnel civil qui a fait l'objet d'une hospitalisation à Compiègne puis au CHU d'Amiens. Il reste que cette hypothèse a été écartée scientifiquement, mais la situation a été difficile à vivre pour le maire de Creil, qui est aussi le président de l'agglomération de Creil.
Le commandant de la base de Creil m'a informé régulièrement de l'évolution de la situation sanitaire : le nombre de malades et leur état, le nombre de cas confirmés, le nombre de cas probables, le nombre de cas guéris et le nombre de personnels placés en confinement.
Je vous les communiquerai volontiers.
Quelque 3 000 personnes travaillent sur la base aérienne de Creil. Certaines sont domiciliées en Île-de-France, d'autres dans le département de l'Oise. J'avais donc impérativement besoin de savoir qui était contaminé ou susceptible de l'être, et j'ai demandé au commandant d'en informer les maires pour qu'ils puissent donner des instructions de confinement aux personnes qui, dans leur commune, travaillaient dans la base de Creil. Je n'avais pas à connaître de quelle façon le service de santé des armées opérait au sein de la base de Creil, mais il était fondamental que j'en connaisse le résultat.
J'ai également partagé ces informations avec le directeur général de l'ARS et avec le préfet de région, qui, dans les Hauts-de-France, est aussi le préfet de zone. La suspicion qui pesait alors sur la base de Creil n'a pas facilité cette remontée d'information.
S'agissant des masques, même si l'ARS n'était pas chargée de la logistique, elle était notre seul interlocuteur. S'il est vrai que tout a été mis en place rapidement pour les hôpitaux, cela n'a pas été le cas pour les autres établissements, tout simplement parce qu'il n'y avait pas de masques.
Lorsque des personnes travaillant dans les services d'accompagnement à domicile me disaient qu'elles lavaient tous les soirs leur masque chirurgical à l'eau de javel pour pouvoir le remettre le lendemain, cela me faisait bondir. Le département a donc décidé d'acheter des masques. On nous a dit que ce n'était pas à nous de le faire, mais nous devions bien essayer de remédier à ces difficultés.
Les ambulanciers, par exemple, n'avaient pas de masques. Nous avons dû trouver des solutions locales pour que ces personnes puissent faire leur travail. De même, les taxis conventionnés par la sécurité sociale devaient continuer à transporter des patients. Le problème le plus important, à mes yeux, a été celui des pompes funèbres, car personne n'y avait pensé. Avec la préfecture, nous nous sommes démenés pour trouver des solutions.
On a acheté des masques pour en donner car les morgues étaient saturées. Il fallait trouver des solutions ! Si les professionnels des pompes funèbres n'avaient pas eu de masques, ils n'auraient pas pu aller chercher les corps. Tout le monde y a mis du sien, et nous avons trouvé des masques, grâce aux dons des entreprises et à nos achats. Puis les choses se sont améliorées quand il y a eu davantage de masques.
Pendant les premières semaines du mois de mars.
Les réunions régionales que j'évoque étaient celles que nous avions en visioconférence, deux fois par semaine au début puis une fois par semaine, avec tous les départements.
À un moment donné, nous étions au même niveau en termes de nombre de décès, mais, dans un premier temps, l'Oise était le seul département à enregistrer un nombre important de décès, à l'hôpital et dans les Ehpad. Lors des réunions, il aurait fallu faire un point particulier sur notre département, mais sans donner le même temps de parole à tout le monde dans la mesure alors que nous n'avions pas les mêmes problèmes. C'est le reproche que je fais.
M. le préfet l'a dit, nous nous appelions x fois dans la journée, et le week-end ; nous avions également M. Champion au téléphone. Il y a donc eu une véritable concertation entre nous. Au début, il n'y avait pas de masques, tout se mettait en route et les choses étaient compliquées.
En ce qui concerne la cotutelle, ce n'est pas simple ! S'il y a des choses à faire évoluer, c'est bien cela. Je suis ravie que le directeur général de l'ARS partage le même point de vue que moi.
Je vais être au « ras du sol » : ce sont les médecins et les infirmières qui ont manqué de masques. Le foyer La Sagesse, une maison de retraite pour personnes handicapées vieillissantes, risquait de manquer également de masques. J'avais décidé qu'il ne manquerait jamais de masques à Crépy-en-Valois : chacun défend sa paroisse, et c'est ce que j'ai fait. Je n'ai pas cessé d'appeler le préfet, qui de temps en temps passait la communication à son directeur de cabinet parce qu'il était en réunion. M. le préfet a toujours répondu à mes demandes, ce qui a été pour moi extrêmement important. Les masques pouvaient avoir atteint leur date de péremption, mais on s'est toujours débrouillé. Je demandais 1 000 masques, il m'en donnait 500, et je faisais avec. J'allais moi-même porter les masques FFP2-FFP3 chez les médecins. J'ai appelé toutes les infirmières, et elles venaient à mon bureau. L'une d'entre elles pleurait parce qu'elle n'avait plus de masques pour travailler.
Au bout de la chaîne, il n'y avait pas de masques. On n'en a jamais manqué parce qu'on se débrouillait. Nous avons eu des dons, la préfecture nous a bien aidés. Mais il faut aussi parler des blouses, des surblouses, des tabliers. J'ai appelé un jour M. le préfet pour avoir des blouses jetables : il en a trouvé 200 à la sous-préfecture de Clermont. L'hôpital et La Sagesse en utilisaient 1 500 par semaine... Je suis allé à la sous-préfecture de Clermont dépoussiérer les cartons et les ramener immédiatement à La Sagesse, qui à l'époque m'avait donné 200 masques - on faisait du troc ! - pour l'hôpital. J'ai tout fait pour que nous n'en manquions pas.
En ce qui concerne le matériel de protection, l'hôpital de Crépy-en-Valois n'a jamais été en situation de pénurie. Nous avons souvent été à flux tendu, mais nous n'avons jamais manqué de matériel. Nous avons toujours pu donner le matériel de protection nécessaire au personnel et ensuite aux résidents.
L'établissement possède un stock de masques FFP2 et de masques chirurgicaux pour lui permettre de faire face aux épidémies hivernales. La difficulté est venue de la durée de la crise : le stock n'était pas suffisant pour toutes les semaines qui allaient suivre. Néanmoins, nous avons pu dès le début de la crise - le 26 février - commander des équipements de protection supplémentaires ; il en restait encore chez certains de nos fournisseurs. Nous avons reconstitué des stocks pour sécuriser l'approvisionnement au sein de l'établissement. Au tout début de la crise, nous avons demandé le samedi à l'ARS d'être de nouveau livrés en masques FFP2 : dès le lundi, nous avons reçu 2 000 masques FFP2. Nous avons aussi eu une livraison de 5 000 masques chirurgicaux par l'ARS.
Nous avons pu bénéficier de dons, via la gendarmerie : des entreprises et des particuliers faisaient des dons, régulés par la gendarmerie qui nous transmettait ensuite le matériel dont nous avions besoin. M. le maire est venu très régulièrement nous livrer les fameux matériels de protection dont il vient de parler.
Non.
Je rappellerai quelques importants éléments de chronologie concernant l'épidémie en France. Nous avons d'abord eu six introductions, avec des personnes arrivant de Chine, du 24 au 30 janvier, entre Paris et Bordeaux. Tous les contacts ont été testés : personne n'a été infecté, et tout est rentré dans l'ordre.
Ensuite, il y a eu l'épisode des Contamines-Montjoie le 8 février, avec six personnes infectées. Les contacts ont été testés : tout le monde était négatif et, là aussi, tout est rentré dans l'ordre. Puis s'est ouverte une période pour moi très étrange. Je suis chercheur à l'Institut Pasteur, je n'avais aucune fonction à l'époque, mais je suivais cette épidémie qui m'intéressait. Du 8 au 25 février, il n'y avait aucune circulation connue du virus sur le territoire français. On voyait bien qu'en Asie - la Chine, et quelques pays autour - le virus circulait. On a vu arriver vers le 20-22 février des messages à partir de l'Iran, puis de l'Italie du Nord. Mais jusqu'au 25 février et le décès de M. Varoteaux à la Pitié-Salpêtrière, il n'y avait pas ; sur le territoire français, de circulation connue du virus.
Pendant cette période très étrange, on se disait qu'il allait arriver de quelque part. Le virus était en train de se propager sur la planète. Il est très difficile aujourd'hui de se remettre dans l'état d'esprit de cette période, mais je comprends très bien que pour des personnes qui ne suivaient pas comme moi l'épidémie, le virus ne circulait pas sur le territoire français jusqu'au 25 février. J'étais inquiet parce que je pensais qu'il allait arriver, mais on ne savait pas d'où. Les premiers clusters avaient été bien maîtrisés. Nous n'avions pas eu de cas secondaires, les personnes avaient été isolées. On pensait qu'il y avait peut-être eu un problème particulier en Chine, avec cette épidémie qui était déjà très importante quand ils l'ont découverte. Mais ailleurs - c'était vrai pour l'ensemble des pays touchés, y compris la Corée qui a réussi à contrôler son premier cluster - l'épidémie semblait maîtrisable à cette époque.
Après le décès de M. Varoteaux, Santé publique France et l'ARS se sont rendu compte que le virus circulait dans l'Oise. Nous avons, avec des tests sérologiques, pu reconstituer rétrospectivement cette circulation du virus durant la période où on en ignorait tout.
Autre point important, à l'époque, nous étions en saison hivernale : les virus respiratoires circulaient. En février, nous étions en période d'épidémie de grippe. Lorsque les personnes toussaient, avaient de la fièvre, on pensait d'abord à une grippe, puis à d'autres virus respiratoires. Dans les études que nous avons menées, en février, sur le lycée comme dans les écoles primaires, on a considéré que les symptômes étaient majeurs quand les participants toussaient, avaient de la fièvre, des troubles respiratoires, et mineurs quand il s'agissait d'un petit mal de gorge, d'un nez qui coule, mais rien de plus. On comptait davantage de personnes qui se plaignaient de symptômes majeurs parmi celles non infectées par le coronavirus que parmi celles qui l'avaient été. Même pendant cette période de circulation active autour du lycée en février, la majorité des personnes qui avaient de la fièvre, une toux et une gêne respiratoire souffraient d'une autre maladie que la covid - vraisemblablement une grippe ou un virus respiratoire.
Je sais que cet exercice est difficile, mais il faut se souvenir que c'était non pas le virus qui circulait officiellement sur le territoire français jusqu'au 25 février, mais l'épidémie de grippe qui courait. D'ailleurs, dans nos bases de données, même si nous avons pu documenter rétrospectivement la circulation du virus à Crépy-en-Valois, les personnes ayant de la fièvre et de la toux avaient majoritairement contracté d'autres virus respiratoires que la covid.
L'étude qu'on a faite dans le lycée concernait des adolescents présentant des formes mineures de la maladie. Lorsque j'ai discuté avec les participants, M. Fortier ou d'autres personnes, je leur ai dit qu'en février le virus circulait : aucun n'y avait pensé. Pour eux, il s'agissait d'un virus respiratoire banal : nous étions en période d'épidémie de grippe, c'était l'hiver...
Je voulais remettre les choses dans leur contexte, car rétrospectivement il est très facile de se demander comment on a pu ne pas voir que le virus circulait. La grande majorité des malades avaient des symptômes respiratoires tout à fait banals en hiver. C'était d'ailleurs davantage le cas pour d'autres virus que pour la covid, même si celle-ci circulait dans ce lycée assez activement.
Les conférences audio puis les visioconférences étaient à partir du 2 mars quasi quotidiennes avec l'échelon national.
Sur les masques, nous avons tous eu conscience des problèmes dans les Ehpad et dans les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD). Début mars, avec l'accord de l'hôpital de Beauvais, nous avons prélevé une palette de 32 000 masques sur la fameuse dotation GHT hospitalière pour alimenter les établissements et les services pendant cette période qui a été la plus difficile.
Puis nous avons été en relation permanente avec les établissements de santé de toute la région. On se débrouillait pour qu'ils aient au moins trois jours d'avance ; si les masques venaient à manquer, nous nous organisions à partir de nos stocks de dons ou en dépannage interhospitalier : dans l'Oise, d'après les témoignages que j'ai encore eus récemment, je ne crois pas qu'il y ait eu d'établissement de santé en rupture.
Non.
J'avais décidé de mettre en place cette dérogation des 32 000 masques pour l'Oise, afin de tenir compte de cette situation compliquée, sans oublier les apports très importants des collectivités territoriales et du département en particulier.
Pour compléter ce qui vient d'être dit par Étienne Champion, nous avons procédé conjointement à une analyse très fine, établissement par établissement, pour déterminer le nombre de jours d'autonomie en équipements individuels, dont les masques. Cela ne s'est pas fait de façon unilatérale, uniforme. Quand on sentait des points de tension, nous agissions en complémentarité avec l'ARS, et avec la présidente du conseil départemental. On apportait les équipements individuels ou les masques qui pouvaient manquer dans telle ou telle structure.
Dans l'Oise, nous avons la chance d'avoir des entreprises industrielles puissantes qui nous ont aidés - je pense aux équipementiers automobiles, et aux unités industrielles dans le secteur de la cosmétique et de la betterave à sucre qui nous ont fourni du gel hydroalcoolique en grande quantité. Cela nous a permis de répondre à des demandes ponctuelles de tel ou tel établissement. En complément, l'ARS avait son réseau hospitalier et médico-social : tous les équipements remontaient vers l'ARS, qui les retransférait. Comme M. Champion l'a dit à maintes reprises, l'Oise est le premier département touché. Il ne fallait pas faire remonter des équipements à Lille pour les redescendre dans l'Oise : nous sommes donc venus en appui. On a fait cela non pas au doigt mouillé, mais établissement par établissement - il y a 66 Ehpad dans le département. Nous sommes parvenus à faire face, pas toujours avec les quantités souhaitées, mais avons toujours évité les situations de rupture d'équipements individuels.
Pour Crépy-en-Valois, je remercie M. le maire pour ses propos.
Crépy-en-Valois était vraiment très touché à tous les niveaux et il fallait permettre à M. le maire de rassurer la population. On s'est débrouillé localement. Un préfet connaît aussi son réseau d'entreprises, il sait sur lesquelles il peut s'appuyer pour pourvoir aux demandes exprimées par un certain nombre d'élus. C'est ce qu'on a fait.
M. le préfet a dit précédemment qu'il avait interdit les marchés. J'ai voulu redonner un morceau de vie à notre commune. Une semaine après cette interdiction, je l'ai appelé pour lui dire que je voulais rouvrir le marché. La préfecture m'a donné une liste de recommandations à suivre : entourer le marché, faire une entrée et une sortie, prévoir un comptage, distribuer à tous les marchands un masque et des gants - à l'époque, on demandait des gants - et poser un film devant tous les étalages.
J'ai rouvert le marché - il se tient le dimanche et le mercredi - une semaine après, en suivant toutes les mesures de protection réclamées par la préfecture. Je distribuais moi- même à 7 heures les masques à tous les commerçants qui devaient les mettre, et je demandais à la police municipale de passer dans la matinée pour vérifier s'ils les portaient bien. Si tel n'était pas le cas, ils étaient interdits de vente au marché. Tout cela a fonctionné parfaitement, avec espacement d'un mètre, file d'entrée, etc.
Si je donnais des masques aux marchands, c'est parce qu'ils n'en avaient pas.
Je voudrais d'abord faire quelques observations avant de poser mes questions.
Monsieur le maire, votre témoignage était très touchant. Mais ne vous inquiétez pas pour l'image de Crépy-en-Valois : elle ne sortira certainement pas altérée de cette crise.
Le fait que les épidémies donnent lieu à une stigmatisation doit être à peu près aussi vieux que le phénomène épidémique dans le monde. Pour autant, ce lien n'est pas automatique. La qualité de la réponse politique apportée par les responsables publics à une épidémie modifie le rapport de la population à ce qu'est une épidémie. Pour être très clair, si vous gérez une épidémie par la peur, vous générez de la stigmatisation supplémentaire ; quand vous gérez une épidémie par l'empowerment de la population - pardon pour cet anglicisme -grâce à une politique de santé publique lui permettant de devenir acteur de sa santé et de faire face au défi de l'épidémie, vous diminuez cette stigmatisation.
Ma deuxième remarque, que je répète à chaque réunion, c'est que nous sommes là non pas pour porter un jugement sur ce qu'a été votre action, mais pour comprendre si notre pays aurait pu réagir plus rapidement et dans de meilleures conditions - peut-être que nous avons tous fait au mieux et que nos process sont bons, peut-être qu'il existe des marges de progression. Ne vous méprenez pas sur le sens des questions.
Monsieur le directeur de l'ARS, vous êtes le premier à nous faire part d'un calendrier aussi précoce : dès mi-janvier, vous avez commencé à recevoir des alertes et commencé à préparer la crise, soit deux mois avant le confinement général de la population décrété par le Gouvernement.
Vous avez évoqué des messages usuels transmis par la DGS sur des phénomènes survenant dans le monde entier. Évoquaient-ils, dès la mi-janvier, une arrivée possible en France du coronavirus ou était-ce une alerte générale comme vous en recevez des dizaines ?
À partir de ce moment, avez-vous eu des échanges réguliers avec les tutelles ? Des mesures ont-elles été mises en place ? Vous avez parlé de visioconférences, mais à partir du début du mois de mars. Il y a - c'est ressorti aussi d'auditions précédentes - une espèce de trou noir sur le mois de février. J'aimerais comprendre ce qui s'est passé pendant cette période.
Monsieur le préfet, vous nous avez expliqué votre façon de travailler. Vous avez employé plusieurs expressions très fortes, déclarant que vous aviez pris votre sort en main, évoquant l'absence de mesures nationales, et ajoutant : « on s'est débrouillé localement ». Vous avez fait face ensemble. En tant que préfet, vous êtes, selon le code de la santé publique, chargé de la coordination et du pilotage de la réponse à toute crise. Aviez-vous déjà été confronté à la gestion d'une épidémie auparavant ? La question pourrait s'adresser à tous les préfets : avez-vous été formé à la gestion d'une crise épidémique, qui est un phénomène bien particulier ?
Madame la présidente, j'aurais voulu vous interroger, comme Mme la directrice, plus spécifiquement sur les actions que vous avez mises en place en direction des Ehpad. Quand avez-vous compris qu'il y avait un problème spécifique ? Car, au niveau national, la prise de conscience a été très lente. Quelles actions avez-vous tenté de mettre en place ? J'aimerais que vous alliez plus loin sur la question de la double tutelle, pour ne pas en rester à l'habituel constat qui fait consensus. Faut-il retirer la tutelle sanitaire sur les Ehpad, ce qui serait étonnant à l'issue de cette crise ? Quelle serait votre proposition pour que nous soyons plus opérationnels à l'avenir ?
Monsieur le maire, vous avez parlé du 25 février quand vous avez demandé à votre DGS de vérifier le stock de masques et qu'il vous a répondu qu'il n'y avait plus rien. Le lendemain matin étaient assis dans la salle où nous sommes actuellement non seulement M. Fontanet, mais aussi le directeur général de la santé M. Salomon. Celui-ci nous a dit que la pénurie de masques n'était pas un sujet. Ce n'est pas contradictoire avec votre constat, mais la réponse que vous allez faire à ma question pourrait générer de la contradiction. Constatant que vous n'avez pas de masques, vous avez certainement cherché à en obtenir : avez-vous pu reconstituer rapidement votre stock ?
Monsieur Fontanet, ma question dépasse l'Oise, mais il semblerait qu'à la mi-janvier, les Chinois aient transmis à la communauté scientifique la carte d'identité du virus et que les Allemands aient, à ce moment-là, mis en route la fabrication de tests. Que s'est-il passé en France et selon quel calendrier ?
Sur les instructions du ministère, la ministre a donné certains éléments de réponse à l'Assemblée nationale. Vous pourrez obtenir la liste des informations et instructions du ministère qui ont été transmises. Nous avons eu régulièrement, dès la fin janvier, des informations internationales, ce qui ne signifie pas que l'on ne s'y intéressait pas. Avant cette nuit dramatique du 25 ou 26 février, qui a été marquée par un décès, nous avions, en réalité, déjà fait du tracing de cas pendant tout le mois de février : nous avons identifié 42 cas suspects, et les avons mis dans des chambres à pression positive pour ne prendre aucun risque. Ainsi, même si on peut avoir le sentiment qu'en février la crise n'avait pas encore commencé, l'ARS et Santé publique France étaient déjà, en fait, en pleine gestion de l'épidémie, avec le scénario suivant : identification des cas suspects, des cas possibles, prise en charge, tests - à l'époque à Paris. La gestion de crise avait commencé. On travaillait en lien avec le niveau national, le centre de crise sanitaire était activé et on faisait remonter tous les cas suspects. Toutefois, avant le 26 février, nous n'avions pas conscience que le virus circulait dans l'Oise : nous pensions que nous étions dans la situation des Contamines.
Les relations avec le national étaient déjà très actives par le biais des instructions du ministère, de nos remontées d'informations, ou des échanges informels. Le processus est devenu plus formalisé début mars, avec des échanges par visioconférence tous les soirs.
S'il n'y a pas eu de mesure nationale, de décret ou d'arrêté au niveau national, cela ne signifie pas qu'il y ait eu une absence de parole gouvernementale : le ministre de la santé s'est rendu à Crépy-en-Valois dès le 28 février et a annoncé que, dès le 1er mars, certains établissements scolaires du département seraient fermés sur décision conjointe du préfet et de la rectrice d'académie. Le 29 février, il a annoncé que dans les communes clusters - au nombre de neuf dans l'Oise - les rassemblements seraient interdits et que les établissements scolaires abritant des cas contacts ne rouvriraient pas le lundi 2 mars. Sur la base de ces éléments, j'ai pris les arrêtés préfectoraux correspondants.
Une fois auparavant dans ma carrière - je n'étais pas encore préfet -, j'avais été amené à gérer une situation d'épidémie : c'était la dengue en Nouvelle-Calédonie. Un préfet n'est jamais seul. Il représente une autorité générale, administrative, coordinatrice. Il peut s'appuyer sur le directeur général de l'ARS et il est entouré de personnes capables de gérer une crise. Mon rôle est de prendre les mesures nécessaires et qu'elles soient pleinement acceptées et comprises.
Dès les premiers jours du mois de mars, j'ai tenu à ce que mes services appellent tous les jours les Ehpad pour faire remonter tous les problèmes. On a vite constaté qu'il fallait interdire les visites pour limiter la dissémination du virus. Pour que les pensionnaires puissent garder contact avec leurs proches, nous avons fourni des tablettes connectées aux Ehpad. Nous avions aussi des masques que nous pouvions distribuer dans les Ehpad, publics comme privés, en cas de besoin, pour faire le trait d'union entre deux livraisons de l'ARS et éviter les pénuries. Des médecins m'ont alertée sur la disparité des situations en fonction des Ehpad. Certains, en effet, sont rattachés à l'hôpital ; dans d'autres, le suivi médical est assuré par des médecins traitants ou des médecins vacataires. Des médecins généralistes m'ont demandé à être équipé en stéthoscopes électroniques pour pouvoir suivre la situation depuis leur cabinet. Nous avons donc acheté des stéthoscopes électroniques pour tous les Ehpad qui le demandaient. Ensuite, lorsque les masques ont été plus facilement disponibles, nous avons cessé d'alimenter les Ehpad, car l'ARS le faisait ; en revanche, nous avons continué à leur fournir des masques pour les visiteurs, afin de ne pas réduire le nombre de masques pour les personnels ou les résidents. Il ne fallait pas oublier les personnes âgées à domicile, mais je ne m'étends pas, car vous ne m'avez pas interrogée sur le sujet.
En ce qui concerne la cotutelle, les départements ont le sentiment d'être réduits au rôle de financeurs. Il faudrait mettre en place un travail beaucoup plus en commun avec les ARS. Certaines décisions mériteraient d'être prises ensemble. Nous sommes en lien quotidien avec les Ehpad. Nous pourrions mieux partager les informations qui les concernent, car chaque établissement a sa spécificité ; on ne doit pas appliquer les mêmes mesures partout. La crise a révélé un manque à cet égard. La collaboration doit être moins technocratique, plus collaborative.
Quand nous avons constaté que nous n'avions pas de masques, nous en avons acheté 20 000. Il fallait aussi protéger les 269 salariés de ma commune et les 80 salariés du centre communal d'action sociale. Mais les communes se sont trouvées seules : où acheter des masques ? Sont-ils homologués ? Comme tout le monde, on a cherché sur Internet... Le plus grand flou régnait. Nous étions démarchés de toutes parts, y compris de l'étranger. On a acheté en tout plus de 50 000 masques, pour un montant de 100 000 euros, et on les a distribués à la population. Lorsque nous avons voulu acheter des masques en tissu, on ne savait pas du tout à qui s'adresser, mais nous nous sommes débrouillés.
Les plans communaux de sauvegarde comportent une classification des risques majeurs, mais la pandémie n'y figure pas... Cela serait pourtant utile pour savoir que faire et à qui s'adresser en cas de pandémie. Enfin, je tiens à dire que les Crépynois ont eu le sentiment d'être stigmatisés et considérés comme des pestiférés.
Le 10 janvier, la séquence complète du coronavirus a été mise en ligne par des scientifiques chinois. Le 17 janvier, Christian Drosten, virologue à l'hôpital Charité à Berlin, nous a envoyé les premières amorces pour les kits de détection qui servent à faire des réactions pour identifier le virus : c'est les tests RT-PCR, avec un prélèvement naso-pharyngé. En parallèle, l'Institut Pasteur développait son propre test au Centre national de référence des virus des infections respiratoires (CNR) dirigé par Sylvie Van der Werf. Le 23 janvier, nous l'avons partagé avec le CNR de Lyon, dirigé par Bruno Lina, en lui fournissant aussi un témoin positif, fabriqué à l'Institut Pasteur, élément nécessaire pour s'assurer que le test fonctionne bien.
La France a-t-elle été en retard sur la certification des tests par rapport à l'Allemagne ?
Le 23 janvier, nous avions donc notre propre test à l'Institut Pasteur et nous l'avons partagé avec le CNR de Lyon. Le 24 janvier, on a réalisé un séquençage complet du génome. Le 7 février, on a transmis aux établissements de santé de référence les kits de diagnostic, le protocole d'utilisation et les témoins positifs pour qu'ils puissent réaliser les tests. Le 14 février, nous avons transmis ces éléments aux hôpitaux de seconde ligne. C'est le rôle du CNR de développer un test. Nous avions celui des Allemands, mais nous avons développé le nôtre qui, selon Bruno Lina, était plus performant. Les tests ont été distribués quand les témoins positifs ont été disponibles.
La difficulté a été le passage à l'échelle. Les CNR sont capables de développer des tests efficaces en quinze jours, mais la difficulté est d'assurer leur diffusion dans les établissements de référence puis dans les hôpitaux de deuxième ligne. Nous devrons repenser ce passage à l'échelle. Le CNR a rempli sa mission en créant un test et en le distribuant en quantités limitées, mais il n'a pas la capacité industrielle pour le produire et alimenter tous les laboratoires de France. Il faut donc que ceux-ci possèdent suffisamment de réactifs, d'amorces. Or ceux-ci en manquaient. Ils ont dû faire des commandes et c'est là qu'on a constaté les pénuries de réactifs. Des lots contaminés ont été envoyés par des fournisseurs à plusieurs hôpitaux français. Une autre difficulté est que beaucoup de laboratoires français fonctionnent avec des équipements fermés qui ne peuvent être utilisés qu'avec les réactifs du fournisseur. Or, en cas de pandémie, mieux vaut disposer d'équipements ouverts pour pouvoir déployer rapidement de nouveaux tests. Il conviendrait qu'au moins un réseau de laboratoires référents soit équipé d'équipements ouverts.
Les laboratoires des centres hospitaliers universitaires (CHU) ont des équipements ouverts et peuvent s'adapter, mais d'autres laboratoires ne le peuvent pas. Pour plus de précisions, vous devriez interroger plutôt Sylvie Van der Werf ou Bruno Lina. Autant nous avons su développer un test fiable rapidement, autant nous avons eu des difficultés pour passer à l'échelle et le distribuer dans les hôpitaux, en raison de la compatibilité des équipements et de la pénurie de réactifs ou d'amorces, car le monde entier a cherché à s'en procurer à la même période.
L'Oise a payé un très lourd tribut à la pandémie. La crise a révélé un élan d'initiatives et surtout de solidarité : dans les communes, des commandos de couturières ont fait des masques, des as de la «3D » ont fait des visières ; des élus locaux ont fait un travail remarquable ; des parlementaires ont fourni des équipements : Carole Bureau-Bonnard ou Olivier Dassault ont fourni nombre de masques et Olivier Dassault a même fourni des housses mortuaires.
Mais il y a aussi eu des dysfonctionnements. Nous aurons à revenir sur ce qui s'est passé à la base aérienne de Creil parce que, si les 193 rapatriés de Wuhan se sont posés à Istres et ont été mis en quatorzaine, les militaires de Creil qui les ont ramenés ne l'ont pas été. On ne peut donc écarter l'hypothèse que cela a constitué un foyer de départ de l'épidémie. M. Gossart, deuxième malade du coronavirus, ne travaillait-il pas à la base comme personnel civil ? De même, le nombre de malades en lien avec la base est important.
Les professionnels de santé, notamment les 550 médecins généralistes ou les 700 infirmières, regrettent de ne pas avoir été assez associés à la gestion de la crise. Qu'en pensez-vous ?
Permettez-moi de revenir sur les masques. Vous avez tenu votre première réunion de crise le 23 janvier. Des instructions sont prises. Vous commencez alors à parler des masques. À partir du 18 mars, vous recevez une grosse livraison. Vous avez senti monter la pandémie, vous avez entendu les demandes. À Crépy-en-Valois, il y avait des stocks dans la plupart des établissements, mais le manque était criant chez les autres professionnels de santé. La déléguée départementale de l'ARS dans l'Oise n'a été nommée que le 16 mars, après près d'un an de vacance du poste. À partir de quand l'ARS des Hauts-de-France a-t-elle pris conscience qu'il fallait faire venir des masques ? Votre homologue de Mayotte, Mme Voynet, nous a dit hier qu'elle avait eu la grande fierté de pouvoir fournir dès le 17 mars des masques à tous les acteurs de la chaîne de santé, jusqu'aux ambulanciers.
L'ARS procède-t-elle à des vérifications des stocks de masques, dans les hôpitaux et chez les professionnels de santé ?
Monsieur le préfet, vous êtes un ancien militaire. Nous avons tous admiré et apprécié votre capacité à faire face. Vous avez tenu le front et je peux en témoigner. La bicéphalie n'est pas un gage d'efficacité - même si vous parlez de duo -, ça marche rarement.
Au début de la crise, les forces de l'ordre étaient sans masque. Dans mon canton, huit gendarmes de la gendarmerie de Mouy se sont retrouvés sur le flanc. Quelles étaient les consignes ? Manquait-on de moyens ?
Des enseignants volontaires sont venus dans les écoles pour accueillir les enfants de soignants, mais on ne leur fournissait pas forcément de masque. Ils pouvaient donc refuser de venir ! Mme la rectrice a-t-elle fait des demandes de matériel de protection ?
Mme la présidente, vous avez évoqué les Ehpad, mais qu'avez-vous fait pour les aînés isolés ? La plupart des victimes étaient malheureusement très âgées...
Monsieur le maire, parmi les personnes peu âgées qui ont été touchées, on compte beaucoup d'élus. Visiblement, il y a eu beaucoup de contaminations le jour des élections, pendant la tenue du bureau de vote ou le dépouillement. J'ai une pensée pour Jean-Jacques Zalay, maire adjoint de Tracy-le-Mont, qui est décédé. Notre collègue conseiller départemental Éric de Valroger a également été atteint. Fallait-il reporter les élections municipales du 15 mars ?
Je vous remercie de ces témoignages passionnants et très émouvants. Au moment où vous les avez lancés à Crépy-en-Valois, les tests constituaient-ils le moyen le plus efficace pour juguler la pandémie ? Si oui, avez-vous pu remonter cette information et comment ? Nous manquons de réactifs, mais l'Allemagne réussit. Avons-nous pris du retard dans ce domaine, après avoir été en pointe ?
Peut-on avoir la grippe et la covid en même temps ? Y a-t-il un lien entre ces deux maladies ?
Aurait-il été plus efficace de confiner plus tôt, dans toute la France ? Je suis dubitatif concernant le jour du vote, mais quid de la campagne électorale ?
Pour paraphraser Kissinger : quand j'appelle l'Europe, quel numéro ? Je vous pose la même question : quel numéro ? J'ai essayé d'appeler le ministère de la santé les 7 et 8 février et je n'ai eu aucun retour. Je n'ai réussi à contacter que le directeur du centre de crise et la directrice adjointe de l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger (AEFE) - en effet, depuis le mois de janvier, en tant que sénateur représentant les Français établis hors de France, j'ai vu la panique s'installer en Chine, au Vietnam et dans toute la zone. Quel était votre interlocuteur au sein de notre magnifique mille-feuille administratif et territorial ? Ministère de la santé ? Ministère de l'intérieur ?
Ça ne colle pas. Les dates, le calendrier ne collent pas. Le 23 janvier, Air France - qui est une société de référence au niveau international en matière de sécurité -, supprime ses vols au départ de Wuhan. Un avion militaire est affrété le 31 janvier. Mais des vols quotidiens d'Air China et d'une autre compagnie aérienne chinoise ont été maintenus tout le mois de février et une partie du mois de mars. Le 25 février, le virus circulait peu en France, mais l'Italie, à notre porte, était déjà en plein début de crise. Monsieur le maire, vous vous êtes inquiété à la mi-janvier. À la mi-janvier, les Français établis hors de France étaient également inquiets. Pourrait-on avoir une chronologie logique ? Car il y a des contradictions. Vous nous avez dit que vous aviez eu des inquiétudes le 25 février et que vous regardiez les stocks de masques. Pendant ce temps, le Président de la République nous disait que le virus n'avait ni passeport ni frontière, mais qu'il fallait continuer à aller au théâtre et au cinéma ! Pour tirer les leçons, nous avons besoin d'un calendrier et d'un déroulé précis.
Permettez-moi de poser les trois questions de ma collègue Annie Delmont-Koropoulis.
Les recherches menées pour trouver un vaccin sont nombreuses dans le monde : à quelle étape de recherche en est-on ?
Le délai de développement semble extrêmement court au regard des dix ans habituels : de quels gages de sécurité dispose-t-on ?
L'Institut Pasteur a développé un vaccin dont la licence a été rachetée par MSD, faute de soutien financier suffisant. Vous avez signé un protocole pour que l'accès à ce vaccin soit équitable dans le monde. Quelles garanties l'Institut Pasteur a-t-il obtenues pour que ce vaccin soit rapidement mis à disposition des Français ?
Avez-vous des contrats locaux de santé ? Des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ? Serait-il opportun de mettre en place un plan de continuité d'activité partagé pour l'ensemble des acteurs du territoire ?
Il n'est jamais facile d'être le premier, vous avez rencontré de nombreuses difficultés, mais j'ai vu ce que vous avez fait, monsieur le préfet.
Il y a quelques mois, nous avons eu au Sénat un débat sur les dispositifs médicaux. À cette occasion, j'avais évoqué la situation des laboratoires et l'existence de contrats d'exclusivité pour certains équipements. Il n'y a pas que la question des réactifs, les consommables peuvent aussi poser problème.
Nous avons aussi eu des problèmes de fiabilité sur les premiers tests, avec des faux négatifs et des réactions croisées. Une jeune adolescente a ainsi été hospitalisée, testée négative, puis positive, avant de décéder.
Les premiers patients n'ont pas été suffisamment accompagnés en sortie de réanimation. Un jeune père de famille qui avait passé trois semaines en réanimation a été renvoyé à domicile en ambulance avec un masque et sans ordonnance ! C'est son épouse enceinte qui a dû faire toutes les démarches pour trouver des masques, un kiné, en plein confinement. À sa sortie, il a appris que toutes les personnes qui avaient été en réanimation avec lui étaient décédées.
Le Sénat a publié des rapports sur les risques naturels majeurs en 2018 et en 2019 dans lesquels nous faisons des recommandations qui pourraient être utiles pour les pandémies. C'est une piste de travail.
Il serait intéressant que nous convoquions les responsables de la base militaire de Creil pour aller au fond du sujet.
Février. On ne comprend pas vraiment ce qui s'est passé pendant cette période. Monsieur le directeur de l'ARS, vous nous dites que les premières alertes datent du 23 janvier - ce que nous avait dit également M. Aurélien Rousseau. Nous avons besoin de plus de précision sur les dates.
Vous n'avez pas du tout évoqué la question du transfert de patients. Pourtant, je crois qu'il y a eu un sujet...
Professeur Fontanet, vous avez évoqué l'existence de lots de tests contaminés : pouvez-vous nous en dire plus ?
Permettez-moi de vous retracer la chronologie des premiers jours de la crise au sein de l'établissement.
Le mercredi 26 février en début d'après-midi, on me signale un début d'épidémie d'infection respiratoire aiguë sur le site Etienne-Marie de La Hante, ainsi que dans l'unité de soins de longue durée (USLD). Il s'agit alors d'une petite dizaine de cas. Nous décidons alors de prendre les mesures sanitaires que nous prenons habituellement en cas d'épidémie : renforcement du bionettoyage, service des repas en chambre pour les personnes symptomatiques, mise à disposition de matériel de protection pour le personnel, suspension des animations et des visites des patients des deux sites concernés par l'épidémie. En fin d'après-midi, j'apprends que le médecin traitant de la première victime de la covid intervenait au sein de nos Ehpad. J'alerte tout de suite sur cette situation et je décide d'organiser une réunion de crise le jeudi matin.
Le jeudi 27 au matin, compte tenu du contexte du décès de la première victime, nous décidons par précaution de fermer le troisième site et de distribuer des masques FFP2 aux personnels. J'informe aussi l'ARS de la situation. Nous apprenons que le médecin a été mis en quatorzaine jusqu'au 4 mars.
Le vendredi 28, nous décidons de confiner en chambre l'ensemble des résidents et des patients - à l'exception de l'unité Alzheimer qui accueille des personnes déambulantes et pour lesquelles la mesure s'applique dans la limite de sa faisabilité -, de servir tous les repas en chambre et de renforcer le personnel pour le week-end.
Le samedi 29, nous apprenons que deux de nos résidents hospitalisés dans d'autres établissements du territoire sont positifs au coronavirus. Nous organisons une réunion de crise et prévenons l'ARS. Nous comptabilisons alors 34 cas d'infection respiratoire aiguë sur nos trois sites et des arrêts maladie du personnel commencent à arriver. Nous commandons des équipements de protection individuels et de l'oxygène supplémentaires et suspendons les entrées et les admissions dans l'ensemble des services. Nous demandons à l'ARS 2 000 masques FFP2 supplémentaires - que nous recevrons dès le lundi - et de nous appuyer sur notre demande de prélèvement sur les cas symptomatiques - patients et personnels - la semaine suivante par le CHU d'Amiens.
Le dimanche 1er mars, nous informons le conseil départemental. Nous nous réunissons à nouveau. Nous apprenons que certains médecins traitants sont confinés. Contrairement à ce que vous avez pu dire, nous avions la chance d'avoir un médecin coordonnateur qui a pris le relais de tous les médecins traitants et qui a réussi à suivre les 179 personnes, car aucun médecin traitant ne pouvait plus se rendre dans l'établissement.
Le lundi 2, nous travaillons à l'organisation des deux journées de prélèvement prévues pour les 3 et 4 mars. Et nous commençons à subir la pression de la presse qui demande des informations.
Le mercredi 4, 50 résidents symptomatiques sont testés. Le professeur Schmit qui effectue ces prélèvements nous dit qu'à partir d'une dizaine de prélèvements positifs, tous les résidents symptomatiques doivent être considérés comme positifs au coronavirus. Nous avons donc 50 cas sur l'établissement, ainsi qu'une dizaine d'hospitalisations.
Le jeudi 5, nous testons 42 agents. Nous réalisons que la question du personnel va être problématique, car beaucoup sont touchés. Nous avions demandé dès le lundi à l'ARS de bénéficier du renfort de la réserve : nous avons ainsi pu en bénéficier dès la semaine suivante.
Voilà l'ensemble des mesures prises au cours des premiers jours de l'épidémie.
Je vous transmettrai le déroulement chronologique de la pandémie dans le département de l'Oise, jour par jour. Ce document reprend tous les éléments qui ont été collationnés sur l'activation de telle ou telle structure et les numéros mis en oeuvre. J'ai convié le colonel commandant la base aérienne de Creil à participer à la deuxième conférence de presse, qui a eu lieu le 29 février. Il a répondu à toutes les questions.
En ce qui concerne les enseignants, nous avons déployé 150 pôles d'accueil dans l'ensemble du département, notamment pour les enfants des personnels soignants. Il a fallu fournir aux enseignants volontaires, ainsi qu'aux personnels communaux et du conseil départemental qui ont été dépêchés sur place, les équipements de protection nécessaires. Les enseignants ont reçu 14 000 masques, distribués début avril par la directrice académique de l'Éducation nationale. La préfecture, qui a disposé d'un stock de masques très important, est venue en appui, pour compléter si nécessaire.
Pour ce qui concerne la gendarmerie, vous avez parlé de la brigade de Mouy, mais vous auriez pu tout aussi bien évoquer l'unité de sûreté urbaine de la circonscription de sécurité publique de Creil, où le nombre de policiers touchés par la pandémie était bien plus important. Je suis allé les voir, pour savoir quelles étaient les difficultés qu'ils pouvaient rencontrer - seize d'entre eux ayant été infectés. Comme la police nationale, les gendarmes avaient reçu très tôt, courant mars, des masques FFP2. Comme il s'agissait d'une denrée relativement rare, et surtout utile au personnel soignant, nous les avons récupérés pour les transmettre à l'ARS, qui les a distribués au personnel soignant. Dans les jours qui ont suivi, des carences de masques se sont révélées chez les forces de l'ordre. Dès que l'état des stocks a été transmis à la préfecture, j'ai procédé, service par service, à une distribution de masques chirurgicaux, pour que chaque structure ait de quoi tenir environ deux mois. Les sapeurs-pompiers ont, dans le cadre de leurs interventions, des masques FFP2 et, pour les personnes secourues, des masques chirurgicaux. Ils ont été, pendant un temps, en situation de rupture de masques chirurgicaux, malgré les commandes passées auprès d'une société de Versailles. Il a fallu que nous venions en appui pour permettre aux pompiers d'obtenir ces masques.
Bref, en bonne intelligence avec le directeur général de l'ARS et le président du conseil départemental, et avec bon sens, nous avons vérifié l'autonomie dont disposait chaque service, pour éviter les situations de rupture. Quand il a fallu les approvisionner en masques, nous l'avons fait.
Deux parlementaires, M. Olivier Dassault et Mme Carole Bureau-Bonnard, sont venus aussi en appui. Le premier s'est manifesté auprès des opérateurs funéraires pour leur permettre d'intervenir dans les hôpitaux, les morgues hospitalières étant complètement engorgées. Il a fallu intervenir auprès de l'opérateur national pour mettre en place un dépôt réfrigéré des corps des personnes décédées, à proximité des hôpitaux de Compiègne et Beauvais.
C'était une forme de conduite opérationnelle, familière à l'ancien militaire que je suis : il fallait suivre au jour le jour la situation de chacun des établissements, et savoir où étaient les possibilités de renforcement et les ressources.
Nous avons été les premiers, et cela a emporté beaucoup de conséquences : lorsque d'autres régions sont entrées dans l'épidémie, les distributions nationales de masques avaient déjà commencé ! Et les autres ont bénéficié de notre expérience. Jusqu'au 23 mars, jour où les masques sont distribués dans les officines, il n'y en a pas. Nous avons fait feu de tout bois pour essayer d'aider, en récupérant certains stocks, des dons, en mobilisant tous les moyens. Au coeur du cluster, nous avons apporté 32 000 masques. À partir du 29 février, nous avons distribué des masques dans les maisons médicales de garde, pour les dépanner. Nous avons fait avec ce que nous avions. À partir du 9 mars, nous donnions des masques à SOS Médecins. Bref, nous avons fait ce que nous avons pu avant qu'il y ait des dotations nationales.
Et nous avons fait au mieux. Nous avons mis en place une enquête permanente, pour vérifier les stocks de chaque établissement. Si ceux-ci descendaient en dessous de trois jours, nous procédions à des dépannages interhospitaliers ou recourions aux stocks qu'avec le temps nous avons pu constituer et répartir entre les départements.
M. Paccaud m'a interrogé sur les professionnels de santé de ville. Nous avons immédiatement eu pour préoccupation d'associer la médecine de ville.
Le 28 février, nous avons tenu une première conférence avec l'URPS des médecins libéraux. Le 3 mars, avec l'ensemble des URPS. Nous eûmes ensuite, plusieurs fois par semaine, des conférences téléphoniques, et des conférences communes avec l'Ordre, et avec l'assurance maladie. À l'initiative de l'URPS, nous avons organisé des webinaires, qui ont permis de toucher un grand nombre de praticiens. J'ai participé à l'un d'entre eux.
Oui, l'Ordre étant organisé au niveau départemental. La taille des ARS ne leur permet pas d'être au contact direct des quelque 100 000 hospitaliers que peut compter leur région ; il y a 600 médecins généralistes ne serait-ce que dans l'Oise ! Or les personnes qui s'occupent de l'ambulatoire à l'ARS Hauts-de-France sont une quarantaine. Celles qui s'occupent de tout l'hôpital, une centaine. Notre travail est donc surtout d'articuler, notamment des réseaux. Outre les GHT, qui sont une très bonne innovation, nous passons avant tout par les URPS. Les CPAM, aussi, ont des troupes beaucoup plus nombreuses. Il y a donc beaucoup de travaux auxquels nous contribuons, mais cela ne signifie pas que le professionnel de terrain nous voit. Et l'organisation du travail se fait au niveau régional, mais surtout au niveau départemental. En tous cas, les ARS travaillent beaucoup de manière indirecte. Quel numéro de téléphone ? Sur son site internet, l'ARS affiche un numéro d'alerte, un e-mail d'alerte, tous deux actifs 24 heures sur 24.
Nous avons été frappés au tout début de l'épidémie, avec une doctrine nationale de prise en charge exclusivement hospitalière, comme il est classique en cas de virus émergent : les patients doivent être mis en chambre particulièrement protégée, à pression positive, etc. Au tout début, les patients étaient même envoyés au CHU de Lille. Nous avons travaillé avec les médecins de ville, dans le cadre des réunions dont j'ai parlé, pour définir un certain nombre de conduites à tenir. Le 15 mars, nous avons élaboré avec eux un arbre décisionnel de prise en charge, qui a ensuite été révisé. Dès le 5 mars, nous travaillions avec les médecins au déploiement des centres covid-19, et aux flux dédiés dans les Maisons de santé pluriprofessionnelles. Nous avons veillé à la différenciation, et fait en sorte que ce soient les professionnels qui déterminent les modalités qu'ils souhaitaient. Dans certains départements, ils ont préféré des centres covid-19. Dans d'autres, comme l'Oise, ils ont privilégié les maisons de santé pluriprofessionnelles. Nous avons donc mobilisé des financements de l'ARS pour différents types de structures.
Nous avons aussi déployé, dès le début du mois de mars, une solution de télémédecine ouverte d'abord à tous les médecins généralistes, puis à tous les professionnels de santé : dès le 4 mars dans l'Oise, et le 5 dans toute la région. Au total, quelque 7 000 professionnels de santé ont rejoint notre programme régional.
Vous avez évoqué la présence médicale dans les Ehpad. J'ai décidé au mois de mars de financer le passage au temps plein des médecins coordonnateurs : tout médecin coordonnateur qui souhaitait passer d'un temps partiel à 100 % verrait la totalité de sa rémunération prise en charge directement par l'ARS.
Nous avons six CPTS en cours de développement. C'est encore une structure en devenir, mais l'unanimité se fait sur cette organisation. Je crois en une logique qui part du terrain. La philosophie est que nous venons en appui, en payant l'ingénierie, pour formaliser le projet. L'approche territoriale, c'est l'avenir !
Il y a eu, évidemment, des transferts de patients tout au long de la période. C'est aussi pour cela que la dimension régionale est importante.
Des transferts, il y en a toute l'année. C'est le métier de la régulation médicale. Il s'agit de décisions médicales, sur lesquelles je n'ai pas à intervenir. Dans le cadre de la crise, nous avions tous les jours à 16 h 30 une conférence audio avec les cinq SAMU, dont le SAMU de zone. Quand la pression a été la plus forte, nous avons pris des décisions collectives. J'avais la chance d'avoir, parmi mes collaborateurs à l'ARS, un médecin réanimateur. Tous les jours, nous menions une enquête quotidienne sur l'état des transferts. Nous décidions toujours de manière collégiale un transfert...
Oui, essentiellement, à part un cas de transfert héliporté de dix patients au mois d'avril.
Nous avons déployé une unité particulière pour les sans domicile fixe : 110 personnes ont ainsi été prises en charge localement, avec le soutien de l'ARS et des services de l'État, au sein de l'établissement public de l'insertion pour la défense, alors vide. Les sans domicile fixe pouvaient être eux-mêmes des vecteurs de propagation. Si nous devions affronter une nouvelle vague épidémique, cette expérience mériterait d'être étudiée à une échelle bien supérieure à celle d'un département.
L'Oise compte un aéroport, avec des compagnies assurant des vols low-cost. Ces vols ont été effectués pendant les mois de février et mars, ce qui n'allait pas sans soucis, notamment pour les vols en provenance de l'Italie. Nous avons mis en place un dispositif simple mais efficace : dès lors que des passagers avaient manifesté des symptômes, nous les prenions en charge immédiatement, dès leur arrivée à l'aéroport, en isolant un terminal sur deux. Le Samu se chargeait de l'hospitalisation des personnes contaminées, et toutes celles qui avaient été en contact avec celle-ci se voyaient dans l'obligation de respecter un confinement pendant quatorze jours.
Il est important de développer les CPTS au sein du département, qui participe à l'achat du matériel. Les aînés isolés ont été l'une de mes principales préoccupations. Pour la gestion des publics fragiles, nous disposons en général de structures, comme les Ehpad, les foyers de l'enfance, etc. Les personnes isolées, souvent, ont affaire à un service d'aide et d'accompagnement à domicile (SAAD), composé de personnes pleines de bonne volonté mais qui ne sont pas spécialement des personnels de santé. Nous avons donc téléphoné tous les jours aux Saad pour nous assurer que les agents passaient bien voir les personnes âgées. Nous nous sommes vite rendu compte qu'environ 1 000 personnes n'étaient plus suivies. Les personnes âgées, en fait, se confinaient chez elles et refusaient les visites, de peur de laisser entrer le virus.
C'est pourquoi nous avons créé un numéro « urgences senior » pour renseigner les familles. Ce numéro a été très sollicité. Et j'ai demandé à mes services d'appeler les 1 000 personnes en question. Certaines nous disaient que la famille prenait le relais. D'autres nous le disaient, mais on ne le croyait pas vraiment. Il a donc fallu faire un vrai travail de fourmi. Nous avons mis en place un système d'information avec les maires, ou avec les CCAS, et nous avons tout fait pour que les Saas puissent revenir, en nous assurant qu'il y avait assez de masques pour cela. Nous avons aussi mobilisé la téléassistance au niveau du département pour intervenir rapidement si besoin était.
Un mot sur les tests. Développer des tests au stade initial, nous savons faire. C'est sur leur distribution qu'il nous faut travailler. L'Allemagne et la Corée du Sud sont intéressants à observer ; ce sont les deux pays au monde à avoir fourni des tests rapidement. L'Allemagne peut donc être considérée comme un modèle en Europe - la France se situant de ce point de vue au même niveau que les autres pays.
Avoir des tests, toutefois, ne suffit pas. Nous savons désormais faire 100 000 tests par jour, mais il faut pouvoir tracer les contacts et isoler les personnes. Or les délais pour obtenir les résultats des tests s'allongent et nous n'avons pas encore expérimenté le traçage et l'isolement à grande échelle. Je suis en conséquence très inquiet à l'idée que le virus revienne cet hiver, ou même avant.
En Allemagne, ce qui a changé la donne, c'est le confinement. Tous les pays européens sauf la Suède et, en partie, le Danemark, ont confiné leur population au 15 mars et, ainsi, gelé la situation épidémique. La Bretagne et la Nouvelle-Aquitaine s'en sont mieux sorti que le Grand-Est, non parce qu'elles ont mieux testé, mais parce que la situation a été gelée à cette date, où le virus était chez elles moins présent. Pour la même raison, attention à ne pas penser que les Allemands s'en sont mieux sorti uniquement parce qu'ils avaient des tests.
Mais regardons l'avenir. Il faut encore progresser sur le traçage et l'isolement. Nous n'avons fait que 20 % du chemin : 5 % de la population française est infectée, et il en faudrait 50 % pour que le virus arrête de circuler. Un chantier important nous attend donc à l'automne. Voilà le message que je voudrais faire passer.
Nous disposons de données publiques sur trois vaccins en cours de développement : le vaccin à ARN messager américain Moderna, et deux vaccins à adénovirus, celui d'AstraZeneca à Oxford, et celui du laboratoire chinois Cansino. Les données sur les phases 1 et 2 laissent penser qu'ils sont bien tolérés, qu'ils ne produisent pas d'effets indésirables majeurs, mais ils n'ont été testés que sur de faibles effectifs - quelques centaines à milliers de patients. Ces vaccins sont capables de stimuler une réponse immunitaire, mais susciter la production d'anticorps neutralisants et une réaction cellulaire protectrice, c'est un résultat qu'obtiennent beaucoup de vaccins en phases 1 et 2. La véritable épreuve du feu est la phase 3, qui consiste à comparer le pourcentage d'infection de deux groupes auxquels ont été donnés, respectivement, le vaccin et un placebo. À cet égard, nous ne saurons que dans trois mois si ces vaccins sont efficaces et s'ils sont bien tolérés par des effectifs plus larges. Quelques milliers de personnes, ce n'est pas mal, mais ce n'est pas suffisant pour déployer le vaccin à l'échelle d'une population, car les effets indésirables peuvent apparaître sur 1 pour 10 000 ou pour 100 000 personnes. Nous aurons les premières données sur ces aspects à la fin de l'année. Vous avez raison de dire que la tolérance du vaccin est un critère essentiel : il nous faut un vaccin sûr.
Le vaccin en cours d'élaboration à l'Institut Pasteur repose sur un modèle déjà développé contre le chikungunya jusqu'en phase 1 et 2, qui s'est montré susceptible de stimuler une réponse immunitaire. Il entrera en phase 1 au mois d'août et n'aurons donc de résultats qu'en octobre. Notre calendrier est donc moins avancé que celui des autres vaccins. Aujourd'hui, 170 vaccins sont enregistrés dans le monde ; une dizaine sont arrivés en phase clinique ; quelques-uns seulement arriveront au bout du processus. La priorité sera mise sur la tolérance. Quant à l'efficacité... Nous aurons peut-être un vaccin partiellement efficace en 2021, et ce serait déjà pas mal. Rappelez-vous qu'il existe de nombreuses maladies pour lesquelles nous en cherchons toujours ! Il faut au moins dix ans pour développer un vaccin : ne misons donc pas tout sur la découverte prochaine d'un tel remède, et reposons-nous pour l'instant sur ce que nous savons faire : les gestes barrières et le triptyque dépister-tracer-isoler. Un éventuel reconfinement serait une catastrophe.
L'Institut Pasteur est un institut de recherche : nous développons des concepts. N'étant pas habilités à produire des lots vaccinaux répondant à des exigences qualité, nous déléguions jusqu'à récemment cette fonction à la compagnie Thémis. Nous travaillons désormais avec MSD, qui a racheté Thémis. Ce rachat est une chose normale puisqu'il s'agit de produire, à plus grande échelle, un vaccin qui a vocation à être utilisé partout dans le monde. MSD, ténor du vaccin, s'était distingué en rachetant le vaccin contre Ebola développé par les Canadiens et mis à la disposition des pays africains grâce à des partenariats public-privé comme la Coalition for epidemic preparedness initiative (Cepi). Un accord garantit que le vaccin sera disponible pour tous ceux qui en auront besoin partout dans le monde. Je ne sais en revanche pas vous répondre sur le contrat qui prévoit l'approvisionnement de la France, mais l'Institut le pourra certainement. Notre volonté, en nous alliant à MSD, était en tout cas de trouver un producteur susceptible d'assurer une distribution équitable de ce que nous considérons comme un bien public.
Le problème des lots contaminés est le suivant : une des entreprises fabriquant les réactifs des tests - les amorces, ces synthèses de nucléotides permettant d'amplifier le matériel génomique - a fourni des lots contaminés, générant des faux positifs, à une dizaine de pays européens. Le sujet est sur la place publique, puisque des publications et des communications des pays touchés ont été émises.
Nous vous remercions. Cette audition a été riche d'enseignements. Nous diffuserons à nos membres, monsieur Fortier, le film de présentation que vous nous avez transmis, qui met en valeur votre commune, si durement touchée - et si bien défendue par son maire. Nous ne manquerons pas de nous rendre à Crépy-en-Valois lors d'une prochaine occasion.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 40.
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