La séance, suspendue à onze heures cinquante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.
La séance est reprise.
L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur l’accès à la justice et la justice de proximité.
Je rappelle que l’auteur de la question et la ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
En touchant principalement les tribunaux d’instance, la réforme de la carte judiciaire a porté sur les juridictions les plus proches des gens. Cette réforme, exemple parmi d’autres de la destruction méthodique du service public de la justice, menée dans la précipitation, sans concertation réelle avec les organisations syndicales, a visé un objectif exclusivement comptable qu’elle n’a même pas atteint, du fait de son coût.
Aujourd’hui, une autre réforme est pressentie. En tout cas, elle semble nécessaire, mes chers collègues.
Il y a un an, notre commission des lois présentait au Sénat, lors d’un débat en séance publique, les conclusions du rapport de Nicole Borvo Cohen-Seat et d’Yves Détraigne sur la réforme de la carte judiciaire dans lesquelles plusieurs pistes étaient envisagées. Récemment, notre collègue Yves Détraigne a poursuivi ses travaux avec Virginie Klès.
Après s’être accordés sur l’intérêt d’une simplification de l’organisation de la justice de première instance, nos collègues ont approfondi l’une des pistes qui était déjà évoquée dans le premier rapport : le tribunal de première instance aurait vocation à réunir en une même juridiction toutes celles – ou pratiquement toutes au terme des dernières réflexions – que nous connaissons actuellement en première instance. Nous savons que vous menez des réflexions à ce sujet dans le cadre de la concertation, madame la garde des sceaux, et que des conclusions seront rendues prochainement. Quelle que soit la piste proposée, pouvez-vous nous assurer que le réseau juridictionnel n’en pâtira pas et que la présence d’un tribunal sur chaque territoire au plus près de nos concitoyennes et de nos concitoyens sera privilégiée ? Par exemple, si la piste du tribunal de première instance était retenue, il ne faudrait pas que cela conduise à la suppression de nouvelles implantations judiciaires.
Il est également nécessaire de préserver la spécialisation des magistrats. Comme le souligne le rapport Klès-Détraigne, « les magistrats spécialisés tiennent à leur spécialisation et peuvent craindre que le tribunal de première instance, entendu comme un outil de mutualisation des effectifs de magistrats et de greffiers, ne tende à diluer cette spécialisation ». Au nom d’une préoccupation d’ordre pratique concernant l’accès du citoyen à la justice, il ne serait effectivement pas pertinent de revenir sur la tradition française de certains tribunaux de première instance, tels les conseils de prud’hommes, les tribunaux pour enfants ou les juridictions sociales.
Je puis d’emblée vous rassurer, madame Cukierman, la réforme judiciaire que nous envisageons ne conduira pas à la fermeture du moindre site judiciaire.
Concernant ce que vous appelez la spécialisation des magistrats, et donc nos juridictions spécialisées telles que les conseils de prud’hommes et diverses juridictions sociales, il y aurait, là aussi, un besoin de cohérence, mais la spécialité de ces juridictions sera préservée.
Nous nous préoccupons d’assurer la proximité, c'est-à-dire que le justiciable dispose au plus près d’un site judiciaire qui lui rende les services attendus. Pour ces raisons, je le répète, aucun site judiciaire ne sera fermé, j’entends par là y compris les maisons de justice et du droit. Le Président de la République s’est engagé sur la proximité, l’efficacité et la diligence de la justice. Ce sont nos objectifs !
Comme vous le savez, j’ai ouvert quatre grands chantiers en vue d’aboutir à une réforme judiciaire. La constitution des groupes, leurs travaux, la consultation des juridictions – je me rends fréquemment sur place – demandent du temps. J’espérais aller plus vite, mais je me suis résignée à prendre le temps nécessaire.
Les 10 et 11 janvier prochain, nous organiserons un grand colloque à la Maison de l’UNESCO au cours duquel seront présentées les préconisations de ces quatre grands chantiers : l’office du juge au XXIe siècle, le magistrat du XXIe siècle et son équipe d’assistants spécialisés, les juridictions du XXIe siècle – chantier auquel se rapporte le travail de très grande qualité de Mme Klès et de M. Détraigne, que j’ai reçus récemment à la Chancellerie –, ainsi que la modernisation de l’action publique. Évidemment, je tiendrai informée la représentation nationale de l’évolution de ces réflexions. Il me reste encore à recevoir deux rapports.
Vous êtes bien sûr invités à ce grand événement, mesdames, messieurs les sénateurs : votre parole compte, elle est extrêmement importante. Je connais la qualité des travaux qui sont produits au Sénat, et nous nous en inspirons. Nous arriverons à écrire une belle réforme judiciaire, dont l’objectif majeur sera de servir le citoyen.
Je vous remercie, madame la garde des sceaux, de ces précisions importantes. Elles rassureront à la fois les professionnels de la justice, les organisations syndicales et, plus largement, les citoyennes et les citoyens qui ont affaire à la justice ainsi que les élus locaux, qui se sont sentis parfois pris au dépourvu par la diminution de la présence judiciaire sur leur territoire ces dernières années.
Nous serons bien évidemment attentifs au résultat des travaux qui sont actuellement menés sur la justice du XXIe siècle. La commission des lois du Sénat travaille pour sa part sur un certain nombre de rapports et de propositions. Nous y participons et souhaitons vivement que puisse se construire, dans le pluralisme et la diversité des idées, cette justice nécessaire.
L’article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose que « toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale ». La Convention ne garantit donc pas seulement un procès équitable, elle exige que soit assuré le droit d’accès effectif au juge. Au regard de ces principes, plusieurs institutions européennes se sont prononcées en faveur de l’instauration de recours collectifs, en anglais « class actions ».
Le 11 juin 2013, la Commission européenne a recommandé aux États membres de se doter de mécanismes de recours collectifs pour garantir à leurs justiciables un accès effectif à la justice. Vous avez vous-même déclaré, madame la garde des sceaux, en juin 2012, votre intention de permettre les recours collectifs, afin de garantir une meilleure efficacité de la justice et pour « que la réparation des petits litiges soit effective ».
Le projet de loi relatif à la consommation a sans conteste ouvert une brèche en la matière. Pour ma part, je suis l’auteur, au nom du groupe écologiste, d’une proposition de loi visant à instaurer un recours collectif en matière de discrimination et de lutte contre les inégalités, qui devrait être examinée par le Sénat le 13 février prochain dans le cadre de l’ordre du jour réservé à notre groupe.
Ma question est donc la suivante : considérant que les standards européens sont en faveur du recours collectif, dans quels domaines et dans quels délais pensez-vous qu’une telle procédure pourra être intégrée à notre droit ?
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.
Vous avez raison de rappeler, madame Benbassa, que la Commission européenne recommande aux États membres de veiller à assurer un niveau élevé de protection des justiciables afin que ceux-ci puissent obtenir réparation des préjudices, notamment des préjudices de masse.
Le projet de loi relatif à la consommation, qui en est encore au stade de la petite loi puisque la navette est en cours, ouvre incontestablement la possibilité d’apporter réparation à plusieurs personnes victimes de ces préjudices sériels, d’un montant souvent faible.
J’ai étudié avec le plus grand intérêt la proposition de loi que vous avez déposée, et je me suis préoccupée de savoir avec quelle diligence nous pourrions l’examiner. Ce texte pose un problème, qui n’est pas insurmontable mais auquel il faut être attentif : nous devons nous assurer qu’une telle procédure ne pénalisera pas le justiciable, qui a droit à une réparation intégrale dans le cadre d’une procédure individuelle.
Il ne faudrait pas qu’une procédure générale empêche d’évaluer très exactement le préjudice et d’accorder une juste réparation. C’est un point sur lequel nous réfléchissons encore. Je vous remercie d'ailleurs de la disponibilité dont vous témoignez pour travailler avec le cabinet et l’administration de la Chancellerie. Avec la ministre des droits des femmes et le ministre de l'intérieur, nous avons d'ailleurs chargé Mme Pécaut-Rivolier, conseiller référendaire à la Cour de cassation, d’une étude qui devrait alimenter les réflexions que nous conduisons avec vous.
Votre préoccupation est légitime ; nous veillons simplement à ce que cette mesure représente un réel progrès et ne pénalise pas, par inadvertance, les citoyens.
Madame la garde des sceaux, je vous remercie de votre réponse.
Chaque génération fait avancer le droit, qui n’est pas immuable. Je compte sur la Chancellerie ainsi que sur votre détermination pour nous aider à régler le problème que vous avez évoqué, afin que cette proposition de loi puisse servir de base aux textes qui viendront ultérieurement concernant les recours collectifs liés notamment à l’environnement ou à la santé.
Sachez qu’avec mon collègue Philippe Kaltenbach, rapporteur de cette proposition de loi, nous continuons à mener des auditions. Nous sommes prêts à conjuguer nos efforts afin d’élaborer un texte progressiste pour nos concitoyens.
Le droit pour tout justiciable à un recours effectif à la justice induit un accès réel au juge. Ainsi, si la réforme de la carte judiciaire initiée par Mme Dati était nécessaire, elle demeure néanmoins fortement critiquable sur la forme et dans ses résultats. Vous en connaissez les raisons, madame la garde des sceaux : calendrier précipité, absence de réelle concertation, ignorance des réalités administratives et géographiques, et, partant, oubli de la nécessaire proximité entre le citoyen et son juge. La refonte qui en a résulté a privilégié les critères quantitatifs au détriment de la réalité des territoires.
Nous avons pris note de votre volonté de remettre les choses à plat. Les pistes évoquées à la suite du rapport Daël, telles que la réouverture de certains TGI et la création de chambres détachées, constituent des réponses sérieuses et pragmatiques que nous saluons. Attention, cependant, à ne pas laisser une nouvelle fois de côté certains territoires pour lesquels la seule création d’un guichet unique de greffe risque d’apparaître comme un pis-aller largement insuffisant.
L’objectif de proximité et d’accessibilité a également été ignoré lors de la mise en place des pôles de l’instruction. L’application de cette réforme, initiée par la loi du 5 mars 2007, a déjà subi de multiples reports, et votre projet de loi relatif à la collégialité de l’instruction prévoit de la reporter à nouveau au 1er septembre 2014. Or cette réforme ne va pas sans susciter l’inquiétude des justiciables et des auxiliaires de justice dans les territoires déjà fragilisés, car elle renonce au maintien d’un juge d’instruction isolé dans les juridictions infra-pôle même si, lorsque l’activité juridictionnelle le justifiera, des pôles de juridiction pourront être créés.
Vous comprendrez que, si nous espérons beaucoup de ce remaillage des territoires, nous ne souhaitons pas, encore une fois, que le chiffre soit l’unique critère pris en compte pour décider de ces nouvelles implantations.
La question du maillage ne peut être étudiée indépendamment de celle de l’aide juridictionnelle : pour les justiciables, une justice de proximité s’entend non seulement comme l’accès physique au juge, mais aussi comme l’accès réel à la défense de leurs droits. L’absence de proximité de la justice, nous le savons, fragilise le secteur aidé en remettant en cause, de fait, des principes aussi fondamentaux que celui du libre choix de son avocat, lequel ne peut être à la fois proche de son client et éloigné du lieu où la justice est rendue.
Au vu de ces éléments, comment comptez-vous garantir une justice de qualité pour tous et en tout lieu ?
Monsieur Mazars, vous évoquez deux sujets différents dans votre question : d’une part, la territorialité et la proximité ; d’autre part, la collégialité de l’instruction.
Nous ne travaillons pas à la Chancellerie exclusivement en fonction des chiffres. Nous ne pouvons pas non plus les ignorer ni les évacuer. Nous voulons une activité judiciaire cohérente et performante et, pour cela, nous devons tenir compte des volumes d’affaires civiles et pénales de chaque ressort. Il ne s’agit pas pour autant du seul critère : nous nous appuyons sur tout un maillage d’indicateurs.
S’agissant des territoires, nous tenons compte, par exemple, de paramètres correctifs tels que la distance. Vous le savez, je me suis rendue à Rodez il y a quelques mois…
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ailleurs aussi, monsieur Hyest !
Sourires.
C’est la meilleure solution pour comprendre et connaître les réalités territoriales dans lesquelles vous êtes immergés. Si je me contentais de vous écouter sans venir voir sur place, si je ne faisais pas en sorte que vous puissiez me guider sur le terrain, …
… je n’aurais qu’une vision partielle de la réalité et je ne pourrais apporter que des réponses imparfaites. Or j’ai l’ambition d’apporter de bonnes réponses !
Cela étant, le volume d’affaires traitées n’est pas le seul critère à retenir. Compte tenu de la distance séparant Millau de Rodez, il y a lieu de s’interroger sur la question de l’efficacité de la proximité pour les justiciables.
La collégialité de l’instruction, quant à elle, fait l’objet d’un projet de loi, que j’ai présenté en conseil des ministres dès le mois de mai. Le texte a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, mais il n’a pu être encore inscrit à l’ordre du jour. Il vise à aménager les conditions de la collégialité de l’instruction de façon à ne pas alourdir inutilement cette dernière par la collégialité systématique prévue par la loi de mars 2007.
Si le texte avait dû être mis en œuvre dès janvier 2014, nous aurions été prêts. J’ai en effet pour principe – vous ne l’ignorez pas depuis ces dix-huit derniers mois, mesdames, messieurs les sénateurs – que, une fois adoptées, les lois doivent être appliquées.
Je voulais éviter un nouveau report. Le calendrier gouvernemental en témoigne : le texte a été adopté en conseil des ministres en mai 2013.
Or l’année arrivant à son terme, et l’examen du projet de loi n’étant toujours pas inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, l’application systématique de la collégialité, telle que conçue dans la loi de 2007, allait trouver à s’appliquer en janvier 2014. Dans ces conditions, j’ai demandé qu’un amendement soit adopté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014 de façon à reporter d’un an l’application de la loi de 2007. Ce délai nous laisse du temps pour la discussion et l’adoption – je l’espère – de ce projet de loi pour lequel j’ai procédé aux plus larges consultations. En tout état de cause, nous veillerons à mettre en place une collégialité.
Je vous remercie de votre réponse, madame la garde des sceaux. Sachez que ce fut un plaisir de vous guider lors de votre venue dans mon département de l’Aveyron. J’espère que les élus aveyronnais auront également su vous guider dans votre volonté de réparer les dégâts. Ce département a en effet été le plus touché par les réformes successives de la justice. Songez que Rodez dépend désormais d’un pôle de l’instruction situé à Montpellier et que plus aucun TGI ne rend la justice dans le sud aveyronnais ! Cette situation pose de réels problèmes aux justiciables quand on connaît les contraintes en termes de temps de déplacement et de conditions climatiques qu’ils rencontrent.
Je voudrais insister sur un principe essentiel que nous souhaitons tous protéger : la possibilité pour tout un chacun de choisir un avocat. Or choisir un avocat dans le secteur aidé, c’est choisir un avocat dans le cadre de l’aide juridictionnelle, qu’il ne faut pas confondre avec la commission d’office. Si la distance séparant l’endroit où réside le justiciable du lieu où l’on rend la justice est trop importante, le principe du libre choix de l’avocat est remis en cause.
C’est sur la base de ces grands principes que nous devrons, demain, travailler.
Il faut saluer, vous l’avez déjà fait, madame la garde des sceaux, le rapport de nos collègues Virginie Klès et Yves Détraigne sur l’accès à la justice et la justice de proximité. Ce rapport n’a pas pour seul mérite de rappeler toutes les réflexions menées dans ce domaine, il va plus loin et avance des propositions sur ce que pourrait être la réforme de la juridiction de première instance.
L’enjeu est aujourd’hui de retrouver un équilibre entre lisibilité et accessibilité – reconnaissons qu’il reste beaucoup d’efforts à faire –, entre accès à la justice et proximité. Nous savons par ailleurs que la capacité du législateur à dessiner les périmètres de chaque contentieux sera déterminante afin de mener à bien une réforme durable.
Il est de bon ton de critiquer la modernisation de la carte judiciaire, mais vous n’avez pas modifié cette carte, à une exception près.
J’ai dit « à une exception près », car je ne veux citer personne.
Cette modernisation a donc eu le mérite d’engager concrètement un processus sur lequel des réflexions avaient cours depuis plus de vingt ou vingt-cinq ans. Notre carte judiciaire datait en effet de 1958 ! Je regrette d’ailleurs que l’on ne soit pas allé plus loin, notamment en ce qui concerne les cours d’appel. Mais fermons la parenthèse, sinon je vais fâcher quelques personnes…
Sourires.
Cela fait dix-huit mois que vous êtes à la Chancellerie. Aux travaux déjà accumulés, se sont ajoutés divers supports qui devraient nourrir votre réflexion : je pense au rapport que je viens d’évoquer, aux réflexions de la direction des services judiciaires, sans oublier le rapport Guinchard et le rapport Casorla ou encore les débats relatifs au report de la suppression des juridictions de proximité. Pour autant, vous restez floue sur les orientations que vous souhaitez donner à la prochaine réforme de la première instance. Peut-être attendez-vous la grand-messe de janvier ?
Allons-nous entériner la création d’un tribunal de première instance ? Ce dernier englobera-t-il l’ensemble des juridictions de proximité – tribunaux d’instance, tribunaux de commerce, conseils de prud’hommes –, en dépit de la réticence des juges parfois élus dans certaines de ces juridictions ?
Dans le cas où cette juridiction disposerait d’antennes déconcentrées – c’est une hypothèse envisageable –, comment allez-vous dépasser les risques d’inconstitutionnalité relatifs à l’égal accès de tous à la justice et au principe sacré d’inamovibilité des magistrats du siège ?
Cela fait peut-être beaucoup de questions en une seule, madame la garde des sceaux, mais je pense que vous pourrez y répondre.
Sourires.
Permettez-moi de prendre quelques secondes pour saluer le sénateur Vallini et le rassurer. Nous avons été informés de l’accident qui est survenu au tribunal de grande instance de Vienne, et la direction des services judiciaires se rend immédiatement sur place.
Monsieur Hyest, vous dites que nous critiquons la carte judiciaire ; je ne l’ai pas encore fait. Je vais toutefois abonder dans le sens du sénateur Mazars : la réforme de la carte judiciaire n’est contestée par personne, elle était nécessaire. C’est la méthode employée qui a été mise en cause, y compris d’ailleurs par les magistrats de cours d’appel qui avaient travaillé sur cette question et formulé des propositions.
Il est aussi incontestable que cette réforme a créé, dans certains territoires, de véritables déserts judiciaires, ce dont aucun d’entre nous ici ne peut s’accommoder puisque cela crée un éloignement de la justice pour nos concitoyens.
Certains se sont fait entendre sur vos travées à propos de la décision de réouverture d’un tribunal.
M. Jean-Jacques Hyest s’en défend.
Le tribunal de grande instance de Tulle est l’un des trois que nous allons rétablir, avec ceux de Saint-Gaudens et Saumur. Il s’agit tout de même de la seule préfecture ayant perdu son tribunal de grande instance ! Je crois qu’il y a plus de questions à se poser sur les raisons pour lesquelles Tulle a perdu son tribunal que sur les raisons pour lesquelles Tulle va le retrouver !
Les éléments permettant de justifier la réouverture du tribunal de grande instance de Tulle sont donc parfaitement objectifs.
Nous cherchons à combattre les déserts judiciaires. À cet égard, l’excellent rapport de Mme Klès et de M. Détraigne émet un certain nombre de propositions. Les chantiers et réflexions que j’ai ouverts ne constituent pas une « grand-messe ».
La justice mérite que nous rassemblions les intelligences et les énergies. Elle mérite que nous travaillions ensemble à améliorer les conditions dans lesquelles le justiciable peut avoir recours à la justice, ce que nous faisons. Vous êtes d’ailleurs invité à participer à cet événement en janvier, qui ne sera qu’une étape : à partir de ce travail, effectué en public, de mise en commun de réflexions sur la base des préconisations de ces quatre rapports, je vais ouvrir un cycle de concertations. Je me déplace déjà dans les juridictions.
Nous avançons en suivant une autre méthode, celle de l’écriture commune.
Monsieur Hyest, vous avez la parole pour la réplique, mais je vous invite à être bref.
Madame la garde des sceaux, je vous ai bien entendue. Toutefois, je me méfie beaucoup des conférences, des consensus, …
J’entendais ce matin au cours d’un colloque un professeur expliquer que le législateur n’a qu’à faire les lois, sans se préoccuper du reste. Or nous avons aussi la charge d’évaluer les politiques publiques. C’est notre rôle ! Et si nos rapports d’information sont si précieux – je crois, monsieur le président, que le Sénat s’est toujours illustré dans ce domaine –, c’est aussi en raison de notre expertise personnelle, non de celle des spécialistes.
Quand j’entends dire que c’est aux magistrats de nous expliquer comment réformer, je n’y crois pas un seul instant. Autant je respecte les magistrats dans leur activité juridictionnelle, autant je dois reconnaître qu’ils sont, comme d’autres, capables de faire preuve de corporatisme. Lorsque l’on demande aux professionnels de se réformer, vous savez très bien que ça ne se fait jamais.
M. Jean-Jacques Hyest. J’essaierai de participer à ce que vous organisez au mois de janvier, mais il n’en demeure pas moins que ce n’est pas le lieu où les décisions pourront être prises. Selon moi, il ne pourra s’agir que d’un éclairage.
Applaudissements sur les travées de l’UMP.
À mon tour de parler du rapport déjà évoqué par plusieurs de mes collègues et par vous-même, madame la garde des sceaux, que Virginie Klès et moi-même avons présenté en octobre dernier à la commission des lois.
Ce rapport d’information a pour objectif d’améliorer l’accès à la justice pour nos concitoyens malgré la suppression de nombreuses implantations judiciaires résultant de la réforme de la carte judiciaire. Nous avons fait le choix d’adopter une démarche pragmatique consistant principalement à proposer la fusion des juridictions de première instance – en premier lieu les tribunaux d’instance et les tribunaux de grande instance – en un tribunal de première instance unique. Les lieux de justice existant actuellement constitueraient autant de portes d’entrée à cette nouvelle juridiction.
Quel que soit le tribunal du ressort compétent pour s’occuper de son affaire, le justiciable n’aurait à s’adresser qu’à un seul greffe – le plus proche de son domicile – pour s’informer, engager une procédure ou suivre l’avancement de cette dernière. Cette formule de guichet universel de greffe, intéressante pour faciliter l’accès du justiciable à la justice sans procéder à une nouvelle réforme de la carte judiciaire, nécessite toutefois que quelques préalables soient remplis afin d’être mise en œuvre dans les meilleures conditions.
Au-delà du rapprochement des procédures entre les juridictions de premier degré et de la mutualisation des effectifs de greffe du tribunal d’instance, du conseil de prud’hommes et du tribunal de grande instance dans le périmètre du ressort de ce dernier, il est indispensable – si l’on ne veut pas connaître les mêmes difficultés que celles que l’on a rencontrées dans le domaine pénal, avec la mise en œuvre de l’application informatique CASSIOPÉE – de mener à terme le développement de la chaîne civile informatique Portalis. C’est une priorité ! Cette chaîne permettra de connaître en temps réel, quel que soit le guichet de greffe auquel on s’adressera dans le ressort du tribunal de première instance, l’état d’avancement d’une procédure.
Dès lors, pouvez-vous, madame la garde des sceaux, nous dire où en sont le développement et la mise en œuvre de l’application Portalis ?
Avec votre permission, monsieur Détraigne, je répondrai d’un mot à M. Hyest, au sujet de la consultation dont nous avons parlé il y a un instant. Les groupes de travail ne rassembleront pas seulement des magistrats. Des avocats, des policiers, des gendarmes, des préfets, des universitaires y seront aussi.
Évidemment, c’est vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qui aurez la main définitive sur la loi. Je sais d’ailleurs la capacité de nos parlementaires à réécrire des textes de loi ; c’est arrivé par le passé. Nous tâcherons toutefois de vous présenter un projet de loi suffisamment solide pour que vous n’ayez pas à le recomposer complètement.
Monsieur Détraigne, vos propositions sont extrêmement élaborées. Le cabinet, l’administration et moi-même les avons étudiées attentivement. Sachez que votre rapport, je l’ai indiqué à plusieurs reprises, est versé au dossier de la réforme judiciaire : nous le diffusons déjà très largement, et nous allons continuer à y travailler.
Ces dernières années, des efforts ont été faits sur les applications informatiques, notamment en matière de justice pénale, avec le logiciel CASSIOPÉE. Vous le savez, nous sommes en train de travailler à son interconnexion avec d’autres applications. Nous l’avons déjà réalisée avec la gendarmerie. L’interconnexion avec la police, quant à elle, sera achevée dans le courant de l’année 2014. À ce titre, nous venons de signer une convention avec le préfet de police, qui nous permettra de mener une expérimentation dans le XIe arrondissement de Paris.
Nous allons continuer à étendre CASSIOPÉE aux cours d’appel, à la justice spécialisée, notamment à l’instruction et aux tribunaux pour enfants.
Le coût de cette application est de 60 millions d’euros et pour la plateforme nationale des interceptions judiciaires, la somme est de 36 millions d’euros. Pour Portalis, nous avons prévu 41 millions d’euros. Reste que nous rencontrons une vraie difficulté en matière d’application dans le domaine de la justice civile, notamment pour connecter l’ensemble du territoire. Quelques procédés sont utilisés – la « citrixification », un procédé web ou encore le dispositif contact visio justice –, mais ce n’est pas satisfaisant. Il nous faut une application qui puisse mailler l’ensemble du territoire.
Nous pensons que nous devrions être en mesure de commencer à appliquer Portalis dans quatre ans environ. Il faut savoir que sa mise en place s’étalera dans le temps et qu’elle sera coûteuse, mais ce sera une priorité du prochain budget triennal.
La parole est à M. Yves Détraigne, pour la réplique.
Je vous prie d’être bref, mon cher collègue.
Si la ministre répond à la réplique du parlementaire, c’est normal qu’on déborde !
Madame la garde des sceaux, je vous remercie de cette explication, qui ne me rassure cependant pas complètement.
La réussite de la réforme de la justice de proximité et de la justice de première instance passe par un outil informatique efficace. Au moment où va être lancée la réflexion sur l’organisation de la justice du XXIe siècle, n’oublions pas de rappeler que les crédits doivent suivre, même si je sais que c’est compliqué aujourd’hui.
Il faut également prendre en compte le temps du développement !
Depuis trente ans, les gouvernements successifs, de gauche comme de droite, ont permis à la France d’acquérir un dispositif solide en matière de droit des victimes. Il convient d’ailleurs sur ce point de rendre hommage à l’un de nos anciens et éminents collègues, grand artisan de ce dispositif quand il fut garde des sceaux : Robert Badinter.
On peut le dire, la France est un bon élève de la classe en Europe. Néanmoins, la pratique se révèle plus mitigée que la théorie. En effet, à l’heure actuelle, force est de constater que des faiblesses entravent encore l’accès à la justice et le droit des victimes.
Ces faiblesses sont d’abord liées à la complexité des dispositifs existants. La victime peut en effet connaître des difficultés dans ses démarches de constitution de partie civile.
Il convient ensuite de souligner un manque d’information. La remise d’un simple formulaire, souvent rédigé en des termes peu accessibles, ne saurait être une réponse parfaitement adaptée aux attentes des victimes, déjà fragilisées.
Par ailleurs, l’accompagnement de la victime doit être renforcé. Les bureaux d’aide aux victimes ont besoin de moyens supplémentaires, aussi bien financiers qu’humains. Je pense notamment aux greffiers, indispensables pour que ces bureaux fonctionnent correctement.
Enfin, ces dernières années, les associations d’aide aux victimes ont dû faire face à une baisse de leurs subventions. Je le regrette ! Pour conforter leur rôle essentiel dans l’accompagnement des victimes, un soutien plus important doit leur être alloué et leurs subventions doivent être pérennisées, voire sanctuarisées.
Au-delà de l’accès à la justice, il faut, à mon sens, en finir avec une indemnisation inégalitaire des victimes. L’absence de référentiel indicatif commun à l’échelle nationale a pour conséquence une forte variation de l’indemnisation des victimes.
Avec le sénateur Christophe Béchu, nous avons rédigé un rapport visant à améliorer le dispositif d’indemnisation des victimes, que nous allons vous remettre dans les prochains jours, madame la garde des sceaux.
Aussi, je souhaiterais profiter de l’occasion qui m’est donnée pour vous interroger sur les mesures que vous comptez prendre afin que la condition de la victime soit mieux appréhendée, à chaque stade du procès pénal.
Monsieur Kaltenbach, je devais vous recevoir pour la remise du rapport que vous avez rédigé avec M. Christophe Béchu, mais une contrainte d’agenda m’a obligée à reporter notre rendez-vous. Cependant, une autre date a été fixée. J’ai évidemment commencé à lire ce rapport, et j’ai noté la trentaine de propositions que vous y faites.
Vous savez à quel point le Gouvernement est fortement engagé aux côtés des victimes, même s’il a décidé de façon délibérée et résolue de ne pas les instrumentaliser et de ne pas faire de tapage autour des actions qu’il conduit. Dès la première loi de finances du quinquennat, nous avons augmenté le budget de l’aide aux victimes de 25, 8 %, alors qu’il ne cessait de baisser depuis 2010. Pour l’année 2014, il a encore été augmenté de près de 8 %. Nous avons également ouvert – je m’y étais engagée devant vous – des bureaux d’aide aux victimes dans tous les tribunaux de grande instance, soit une centaine en une année, contre une cinquantaine seulement au cours des trois années précédentes.
Nous mobilisons aussi les associations, à qui nous exprimons toute notre gratitude pour leur travail.
Vous le savez, dès le mois de juin 2013, j’ai demandé à l’Inspection générale des services judiciaires de procéder à une évaluation de ces bureaux d’aide aux victimes, de façon à ajuster la prise en compte de leurs besoins. Nous avons déjà commencé à mettre en place un certain nombre de préconisations, comme le renforcement de la dotation pour le premier équipement, l’inclusion des bureaux dans l’agenda de la juridiction ou le développement de permanences le soir et le week-end. Vous le voyez, nous essayons d’apporter un service actif aux victimes.
Mais nous allons beaucoup plus loin encore. En effet, avant même la transposition de la directive Victimes d’octobre 2012, pour laquelle le délai court jusqu’en novembre 2015, j’ai décidé de lancer une expérimentation sur le suivi individualisé des victimes. Parmi les préconisations faites dans votre rapport, monsieur le sénateur, figure l’instauration d’un barème unique visant à harmoniser la réponse à apporter aux victimes. Si je souhaite que le principe de l’individualisation soit maintenu, j’ai conscience qu’il est nécessaire de disposer de référentiels valables sur l’ensemble du territoire.
Par conséquent, nous allons rassembler ces éléments pour que les juridictions puissent en disposer.
Je vous remercie de votre réponse, madame la garde des sceaux.
Il est important de conjuguer responsabilisation de l’auteur de l’infraction et protection de la victime. Celle-ci a en effet besoin de la même attention que celle accordée à l’auteur de l’infraction. Cela relève d’un souci de justice et d’équité. Je sais que c’est l’une de vos principales préoccupations, et nous vous faisons pleinement confiance pour mener à bien les réformes nécessaires en la matière.
Applaudissements sur les travées de l’UMP.
Madame la garde des sceaux, votre politique manque parfois de visibilité. Je pense en particulier à votre politique pénale. Ma question porte néanmoins sur un autre point, qui, lui aussi, demande à être éclairci : je veux parler de l’aide juridictionnelle.
Ne souhaitant pas mettre le Gouvernement dans l’embarras, vous avez décidé de reporter la réforme de l’aide juridictionnelle après 2014, peut-être en 2015. Sur le fond, je le dis clairement, nous ne pouvons qu’approuver ce recul du Gouvernement. Cette réforme aurait mis en difficulté les avocats, qui font preuve d’un véritable sens civique en travaillant pour des sommes modestes au bénéfice des plus démunis. Elle aurait également mis en difficulté les justiciables, en réduisant l’offre de services du fait des difficultés qu’auraient éprouvées les cabinets à la suite de la baisse des moyens mis à leur disposition pour remplir cette mission.
Malgré cette reculade, la question du financement demeure d’actualité. Le projet de loi de finances pour 2014 prévoit en effet une baisse des crédits consacrés à l’aide juridictionnelle de l’ordre de 32 millions d’euros, ce qui met à mal le principe même de cette aide. Vous êtes d’ailleurs restée assez floue à ce sujet. J’en veux pour preuve les propos que vous avez tenus lors de l’assemblée générale extraordinaire du Conseil national des barreaux. En effet, vous avez indiqué aux avocats : « Explorons jusqu’au bout chaque piste. À charge pour vous de la récuser. »
Pour notre part, nous ne pouvons accepter que la ministre chargée de ce sujet demande aux acteurs du secteur, ici les avocats, d’assumer ce non-choix. Ma question est donc très simple : faut-il encore compter sur de nouvelles taxes pour financer la refonte de l’aide juridictionnelle ? En tous les cas, pouvez-vous nous éclairer sur vos intentions en la matière, ainsi que sur les pistes que vous envisagez pour la réforme de cette aide après 2014, année de l’impasse budgétaire ?
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Trois procès en deux minutes, bel exploit, monsieur le sénateur !
Vous avez parlé du flou entourant notre politique pénale, …
… mais c’est une pratique à laquelle je me suis fortement habituée depuis dix-huit mois.
Je vais répondre à votre question sur l’aide juridictionnelle. Il vous va bien de saluer l’engagement des avocats, alors que vous n’avez pas revalorisé d’un centime d’euro l’unité de valeur durant tout le précédent quinquennat !
M. Stéphane Mazars applaudit.
Cependant, vous avez eu raison de leur rendre hommage, car ceux qui pratiquent l’aide juridictionnelle font preuve d’un réel engagement civique.
Parmi les six rapports publiés sur le sujet depuis une dizaine d’années, figure le rapport du sénateur du Luart, qui s’intitule L’Aide juridictionnelle : réformer un système à bout de souffle. Il date de 2007 ! Or, en cinq ans, vous n’avez pas trouvé le temps de réformer l’aide juridictionnelle !
Si vous êtes étonné que je parle aux avocats, que je mette des propositions sur la table et que je suggère à la profession d’explorer ces pistes avant de les récuser, c’est parce qu’il y a une grande différence de méthode entre ce que vous faisiez et ce que nous faisons.
Nous, nous ne réformons pas à l’encontre des professions, nous réformons avec elles ! Nous les respectons, nous discutons des différentes pistes possibles, nous nous concertons, nous les consultons, afin d’aboutir à une bonne réforme.
En plus de dix ans, aucun gouvernement n’a eu le courage de réformer l’aide juridictionnelle, qui s’en est trouvée fragilisée. Avec notre action, nous allons pérenniser le financement de l’aide juridictionnelle, qui est une question de solidarité vis-à-vis des justiciables les plus vulnérables.
Pour y avoir droit, un justiciable doit même être en dessous du seuil de pauvreté. Nous allons donc consolider cette politique de solidarité.
Vous le savez, j’ai chargé M. Carre-Pierrat d’une mission, ce qui nous permettra de continuer à discuter avec les professionnels, afin d’aboutir à une proposition de financement de l’aide juridictionnelle avant le prochain budget.
Je note par ailleurs que vous n’avez pas dit un quart de mot du timbre de 35 euros, que vous aviez instauré. Il constituait une véritable entrave à l’accès au juge et il a pénalisé des justiciables vulnérables.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous avons dû abonder le budget de la justice de 60 millions d’euros pour financer sa suppression.
Applaudissementssur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Je remercie Mme la garde des sceaux de manifester son attachement à l’aide juridictionnelle, mais le problème est de nature budgétaire.
À seize heures, je vais participer à l’Assemblée nationale à la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances, qui va sans doute échouer. À cette occasion, nous pourrons constater une baisse de 32 millions d’euros des crédits consacrés à l’aide juridictionnelle.
Quant aux pistes envisagées, le débat reste ouvert. En tout cas, nous serons extrêmement vigilants.
Madame la garde des sceaux, en prolongement de la journée internationale du 25 novembre, je souhaite vous redire ma préoccupation au sujet des violences à l’égard des filles et des femmes de notre pays. Je connais votre engagement et celui de Mme la ministre des droits des femmes sur le sujet.
J’aimerais rappeler quelques chiffres, hélas d’actualité !
Les victimes de violences sexuelles sont à 80 % des femmes et 50 % de ces actes sont commis sur des filles de moins de quinze ans. Le nombre de viols de mineurs et de majeurs est estimé à 190 000 par an en France.
Les viols sont majoritairement le fait d’hommes ou de garçons proches de la victime. De ce fait, ils sont très peu dénoncés auprès de la justice, car les victimes sont sous emprise et prisonnières de la peur. La loi du silence protège les auteurs : le nombre de plaintes est faible, et les condamnations sont rarissimes. Moins de 2 % des viols font l’objet d’une condamnation.
Une femme sur dix vivant en couple est victime de violences conjugales. En 2012, 166 femmes et 31 hommes ont été tués par leur compagne, leur compagnon, leur ex-compagne ou leur ex-compagnon et 25 enfants sont morts du fait de violences familiales. Cette situation est un véritable fléau qui ternit notre société. Il n’y a aucune fatalité à de tels comportements. Ce n’est qu’une question d’habitude et d’éducation, nous le savons bien.
La justice, par les vertus pédagogiques de la sanction, a un rôle important à jouer en la matière, à condition de cesser d’apparaître aux yeux des victimes et des associations qui les accompagnent comme une justice aléatoire, optionnelle, voire inégalitaire.
Madame la garde des sceaux, je souhaiterais savoir quelles mesures vous avez prévu pour garantir l’application des textes existants en la matière et permettre que les délais d’application soient mieux adaptés aux besoins des victimes.
Par ailleurs, quelles dispositions comptez-vous prendre concernant l’application effective de la convention d’Istanbul, texte de référence en matière de prise en charge des victimes de violences et de lutte contre les violences à l’égard des femmes ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je vais essayer, monsieur le président.
Sourires.
Madame Meunier, je connais votre engagement et celui de plusieurs sénatrices et sénateurs sur le sujet. Il s’agit d’un véritable drame. En effet, si les femmes sont victimes de violences conjugales, les enfants en sont témoins, quand ils ne sont pas eux-mêmes victimes de violences familiales. Notre politique est donc résolument tournée vers l’accompagnement et la protection des victimes.
Ainsi, j’ai décidé de réunir deux fois par an le Conseil national de l’aide aux victimes, qui travaille sur les violences faites aux femmes. Il n’avait pas été réuni depuis l’année 2010.
Nous le modernisons, nous en modifions la composition et nous le réunissons régulièrement.
Le ministère de la justice est également partie prenante du quatrième plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes.
Nous travaillons en outre sur cette question dans le cadre du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Nous étendons par exemple la durée de l’ordonnance de protection et nous permettons son renouvellement ; nous généralisons le téléphone « grand danger » – je suis en train de lancer le marché national –, ce qui permettra aux femmes d’être protégées sur l’ensemble du territoire.
Avec des structures départementales qui déclinent la politique nationale, nous travaillons sur l’éviction du conjoint violent, ainsi que sur des stages de sensibilisation pour éviter la réitération.
Avec Mme la ministre des droits des femmes et M. le ministre de l’intérieur, nous mettons l’accent sur le traitement des mains courantes. J’ai d’ailleurs lancé une formation pour les magistrats, les policiers, les gendarmes, les personnels des services sociaux, afin d’améliorer le recueil des plaintes, l’accompagnement et l’écoute. Je publierai bientôt une circulaire pour appeler les parquets à mieux prendre en compte ce type de violences.
Vous savez que nous avons récemment transposé la convention d’Istanbul dans le droit français. Nous avons donc introduit les dispositions de protection des femmes victimes de violences, notamment conjugales, dans notre code pénal.
La correctionnalisation des viols est à la fois scandaleuse et trop fréquente, même si elle s’effectue avec l’approbation de la victime. J’ai donc lancé une évaluation pour connaître les conditions effectives dans lesquelles cette correctionnalisation d’un crime se produit dans notre pays.
La parole est à Mme Michelle Meunier, pour la réplique.
Je vous invite à faire preuve de concision, ma chère collègue.
Je remercie Mme la garde des sceaux d’ouvrir tous ces chantiers. Il faudra évaluer l’application des différents dispositifs sur le terrain, à l’échelle du département.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Dans ses nombreuses promesses électorales, le candidat François Hollande s’était notamment engagé à faciliter l’accès pour tous à la justice de proximité. Or, comme cela a été souligné tout au long de la séance, la justice de proximité marche mal.
Elle est compliquée, lente et coûteuse ; elle ne contribue pas à la bonne image de ce service public. Néanmoins, c’est cette justice que les Français vivent au quotidien. En effet, par chance, tous ne sont pas délinquants ou criminels.
Deux jugements sur trois concernent les actes et les événements simples, quoique souvent dramatiques, qui frappent les Français dans leur vie de tous les jours et pour lesquels ils sollicitent l’aide de la justice : divorce, licenciement, surendettement, conflits familiaux ou conflits de voisinage qui engorgent les tribunaux.
Le constat, nous, les élus, l’entendons de la bouche de nos concitoyens. Les procédures sont bien trop complexes, le coût de la justice est trop élevé et les délais pour obtenir une décision de justice sont trop longs.
Certes, l’image négative de la justice résulte parfois de l’incompréhension de certaines peines prononcées, dans un temps où l’opinion réclame plus de sévérité, mais elle tient tout autant à la difficulté pour le justiciable d’obtenir justice dans ces conflits du quotidien. Or il semble que, depuis votre arrivée à la Chancellerie, vous ayez consacré beaucoup d’énergie à faire adopter des réformes sociétales dont la nécessité immédiate ne sautait pas aux yeux.
Vous vous lancez aujourd’hui dans une réforme de la justice pénale qui risque encore d’aggraver le divorce entre l’opinion publique et l’institution judiciaire. Ne serait-il pas légitime, avant de vouloir diminuer le nombre de détenus en prison, d’apporter des réponses concrètes à cette justice de proximité, à cette justice de tous les jours ?
M. Christian Cambon. Madame la garde des sceaux, pouvez-vous nous apporter votre éclairage sur les réflexions en cours ? Surtout, quels sont vos projets et quels moyens comptez-vous mobiliser pour que la justice de notre pays devienne enfin accessible, compréhensible et plus efficace pour le quotidien ?
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
La justice de proximité, c’est pour la justice civile ! Et le discours sécuritaire, ça ne marche pas pour la justice civile !
Monsieur le sénateur, je trouve deux grandes vertus à votre question.
La première est de souligner l’importance de la justice civile. Comme je le rappelle à longueur de temps, la justice civile concerne 70 % de l’activité de l’institution judiciaire. C’est la justice du quotidien, celle qui répond aux problèmes d’endettement, d’expulsion de logement, celle de la justice familiale.
Elle concerne toute une série de problèmes discrets, mais essentiels pour les justiciables.
La deuxième vertu de votre question est de dresser le bilan du gouvernement du précédent quinquennat.
Sourires sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Depuis l’an dernier, le Gouvernement a effectivement rompu avec une telle politique. Les crédits de la justice ont augmenté de 4, 3 % l’année dernière et de 1, 7 % cette année.
Nous avons mis un terme à la RGPP !
Et nous créons des emplois : 590 en 2014 !
Nous travaillons pour améliorer la situation que vous nous avez laissée. Votre héritage, ce sont non seulement les déserts judiciaires, mais également la multiplication des contraintes, fonctions et obligations qui ont abouti à l’engorgement de nos juridictions, avec pour conséquence principale l’allongement des délais, donc la pénalisation des justiciables !
Nous sommes en train de réparer tout cela. J’espère que vous aurez à vous en réjouir très bientôt. Il suffit simplement d’accepter les réalités, les données, les informations, au lieu de nous faire des procès.
Vous discutez toujours de choses que vous croyez être. Je vous propose simplement de débattre ensemble – je crois que c’est un peu la culture de cette maison – des réalités. Le travail que mène le Gouvernement depuis un an et demi permet d’améliorer la justice, notamment s’agissant des paramètres mesurables, comme les délais.
Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.
Madame la garde des sceaux, je vous ai interrogée respectueusement pour vous donner l’occasion de présenter vos projets. Or, comme de coutume avec ce gouvernement, vous nous répondez « héritage ». Mais si les Français vont ont élus, ce n’est pas pour parler du passé, …
C’est pour réparer ce que vous nous avez laissé !
… c’est pour agir pour l’avenir. J’ai entendu quelques éléments de réponse pour l’avenir ; j’espère que vous serez à la hauteur des engagements pris.
Au passage, je vous signale que, comme à propos des personnels pénitentiaires, vous avancez des éléments inexacts. Il n’y a pas eu de RGPP en matière de justice !
Marques d’approbation su r les travées de l'UMP. – Mme la garde des sceaux le conteste vivement.
En tout cas, j’espère que nous aurons l’occasion de débattre, notamment sur les grandes réformes pénales. Il y a encore beaucoup à dire sur le sujet.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques sur l’accès à la justice et la justice de proximité
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 9 décembre 2013 à seize heures et le soir :
- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d’habilitation à prendre par ordonnances diverses mesures de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises (n° 28, 2013-2014) ;
Rapport de M. Thani Mohamed Soilihi, fait au nom de la commission des lois (n° 201, 2013-2014) ;
Avis de M. François Patriat, fait au nom de la commission des finances (n° 164, 2013-2014) ;
Avis de M. Yannick Vaugrenard, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 184, 2013-2014) ;
Avis de Mme Laurence Rossignol, fait au nom de la commission du développement durable (n° 185, 2013-2014) ;
Texte de la commission (n° 202, 2013-2014).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à quinze heures cinquante-cinq.