EXAMEN DU RAPPORT POUR AVIS
Présenté en conseil des ministres le 3 août 2016, le projet de loi de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique procède en grande partie du rapport sur l'égalité réelle outre-mer remis au Premier ministre le 18 mars 2016 par M. Victorin Lurel, ancien ministre des outre-mer, député et rapporteur de ce texte pour la commission des lois de l'Assemblée nationale.
Adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 11 octobre 2016, après engagement de la procédure accélérée, le champ du projet de loi y a été considérablement étendu. En effet, si le projet initial ne comptait que quinze articles, ayant pour objet de fixer les objectifs et le cadre d'une convergence des niveaux de vie en outre-mer et en métropole, ainsi que quelques dispositions à caractère social ou économique, le projet de loi issu de l'Assemblée nationale ne comporte pas moins de 116 articles. Les députés ont inséré des dispositions portant sur des sujets aussi divers que la continuité territoriale, l'éducation, la formation professionnelle, la culture, le commerce, le développement durable, la fonction publique, les droits de femmes, la fiscalité ou encore la statistique.
Au titre de sa compétence en matière d'éducation, de langue française et de communication audiovisuelle, notre commission s'est saisie pour avis de sept articles, dont quatre nous ont été délégués au fond par la commission des lois. Aucune de ces dispositions ne figurait dans le projet de loi initial ; trois sont toutefois issues d'amendements du Gouvernement.
S'agissant des dispositions relatives à l'éducation, trois articles - les articles 13 C, 13 E et 13 bis - nous ont été délégués au fond. L'article 13 C, qui prévoit d'étendre le champ des activités financées par le fonds d'échange à but éducatif, culturel et sportif (FEBECS) aux échanges scolaires dans l'environnement régional des territoires ultramarins et l'article 13 E qui habilite le Gouvernement à procéder, par ordonnance, à une révision des dispositions de nature législative du code de l'éducation particulières à l'outre-mer, ne posent pas de difficulté particulière et je ne vous proposerai qu'un amendement de nature rédactionnelle sur le premier.
Ce n'est pas le cas de l'article 13 bis. Inséré par l'Assemblée nationale à l'initiative de M. Lurel, il permet au Gouvernement de rendre, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, l'instruction obligatoire pour les enfants de trois à dix-huit ans dans les régions et départements d'outre-mer. Si je comprends sa portée symbolique, cette mesure me semble à la fois coûteuse et irréaliste ; elle ne tient pas compte de la diversité des situations dans ces territoires. Je vous proposerai donc de le supprimer.
En ce qui concerne les dispositions relatives à la culture, qui forment le titre VII du projet de loi, l'article 21 nous est délégué au fond et nous sommes saisis pour avis des articles 20 et 21 bis. L'article 20 précise, en complément de l'article 1er du décret du 2 thermidor an II (20 juillet 1794), que l'obligation d'employer la langue française dans les actes publics n'a « ni pour objet ni pour effet de prohiber l'usage des traductions lorsque l'utilisation de la langue française est assurée ». Il s'agit de prévoir que des documents d'état civil, à l'instar des livrets de famille, puissent être bilingues, c'est-à-dire rédigés en français et en une langue régionale, seule la version française faisant foi. Je n'y vois pas d'obstacle et vous propose donc d'émettre un avis favorable à l'adoption de cet article.
L'article 21 nous est délégué au fond. Il porte deux mesures principales : d'une part, il donne aux chaînes de radio et de télévision du service public pour mission de valoriser les cultures des outre-mer dans leurs programmes ; deuxièmement, il permet aux offices publics des langues régionales ainsi qu'aux associations de défense de ces langues de saisir le Conseil supérieur de l'audiovisuel en cas de manquement des éditeurs de services à leurs obligations. Ces organismes se substitueraient au Conseil national des langues et cultures régionales qui, malgré sa suppression au printemps 2009, demeure visé par les articles 42 et 48-1 de la loi du 30 septembre 1986. Par coordination avec les dispositions de l'article 46 du projet de loi « Égalité et citoyenneté », qui insère cette même exigence de valorisation des cultures d'outre-mer dans le même article, et dans un souci de cohérence, je vous proposerai de supprimer les 1° et 2° du présent article.
Enfin, l'article 21 bis institue un Grand Conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinenge auprès de la collectivité territoriale de Guyane, remplaçant le Conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinenge (CCPAB), aujourd'hui placé auprès du préfet, et confortant sa place au sein des institutions guyanaises, ce qui semble une évolution positive. Sa représentativité dépendra cependant en grande partie des moyens mis à sa disposition.
Enfin, s'agissant les dispositions relatives aux médias, notre commission s'est saisie pour avis de l'article 34 bis, qui oblige les opérateurs du service public audiovisuel à diffuser les résultats des élections générales pour l'ensemble des territoires de la République. Il s'agit de remédier au fait qu'à l'occasion de certaines élections, en particulier les élections régionales de 2015, les collectivités d'outre-mer aient parfois été oubliées, les résultats électoraux dans ces collectivités n'ayant pas été présentés.
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a souligné que l'exclusion des médias privés de l'obligation créée par le présent article limitait considérablement sa portée et n'avait pas vraiment de raison d'être ; je vous propose donc de l'étendre aux médias privés. Il ne s'agit pas d'exiger une présentation exhaustive des résultats, circonscription par circonscription, mais de rendre compte des résultats généraux des élections. En outre, cette obligation ne s'appliquerait qu'aux résultats des élections générales, non à ceux des élections partielles.
Mon exposé ne serait pas complet sans évoquer l'article 21 ter du projet de loi, qui requiert la remise par le Gouvernement d'un rapport étudiant les conditions d'un alignement possible du bouquet de chaînes de la télévision numérique terrestre dans les outre-mer sur le bouquet hexagonal. Notre commission ne s'est pas saisie pour avis de cet article, car il s'agit d'une demande de rapport ; comme vous le savez, la commission des lois a pour doctrine de les supprimer. Sur le fond, cette mesure se traduirait par un investissement de plusieurs centaines de millions d'euros. Par ailleurs, elle mettrait en péril l'existence de nombreuses chaînes de télévision ultramarines, qui vivent de la rediffusion des émissions de métropole. Cette mesure ne me semble donc pas pertinente.
Comme vous pouvez le voir, j'ai oeuvré dans le sens d'une amélioration des dispositions qui nous sont soumises de ce projet de loi, en recherchant toujours la concision et la simplification - ce projet de loi, comme tant d'autres, en a bien besoin.
Nous approuvons les principes du texte, même si nous regrettons qu'il n'ait pas été présenté auparavant, afin d'être appliqué pendant le quinquennat. Je regrette que l'institution d'une instance représentant les populations autochtones ne concerne que la Guyane, alors que d'autres territoires ultramarins ont des populations autochtones.
En outre, il est dommage qu'il trouve sa place dans le titre VII, relatif à la culture, car le grand conseil aura bien d'autres prérogatives que les costumes et les chansons. La loi pour la reconquête de la biodiversité dispose ainsi qu'en application du protocole de Nagoya, une redevance soit versée pour l'utilisation des connaissances traditionnelles : c'est ce conseil qui la recevra. Il n'avait donc pas à être enfermé dans ce titre ; mais c'est une remarque cosmétique, puisque la loi n'est qu'un véhicule pour réécrire le code.
Rendre obligatoire l'instruction à partir de trois ans me semble une bonne idée ; je ne connais pas les raisons de la rendre obligatoire jusqu'à dix-huit ans, mais cela me semble moins prioritaire.
Je regrette comme Marie-Christine Blandin le caractère tardif de ce texte : l'égalité est loin d'être réalisée et les écarts sont toujours très importants. Notre soutien dépendra de son évolution en séance publique. Nous craignons l'inadéquation entre les besoins et les mesures proposées. Une expérimentation de l'obligation scolaire étendue de trois à dix-huit ans ne nous choque pas. Pour s'attaquer à l'échec scolaire, il faut du temps. Pour ce qui est de l'article 13 E, nous sommes hostiles au blanc-seing que représentent les ordonnances.
Notre collègue Maurice Antiste, qui sera notre orateur sur ce texte en séance publique, ne pouvait être présent aujourd'hui. Nous soutenons globalement ce texte. On ne peut que vouloir l'extension de l'obligation scolaire, mais cela pourrait comporter des effets pervers là où il est impossible de la mettre en oeuvre tout de suite.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 13 C
L'article 13 C, qui nous est délégué au fond, est inutilement long et précis au regard de son objet ; une grande partie de ses dispositions relève du pouvoir réglementaire. L'amendement CULT.1, de nature essentiellement rédactionnelle, conserve l'extension du champ du FEBECS aux échanges scolaires.
Cette simplification peut sembler de bon sens. Mais si nous ne précisons pas que nous parlons du Brésil, par exemple, cela signifierait pour nos rectorats qu'il s'agit d'échanges avec d'autres établissements français. Or ce qui est souhaité, c'est bel et bien de tisser des liens avec les pays voisins.
L'article 40 de la loi du 13 décembre 2000 mentionne déjà des échanges avec les pays voisins.
L'amendement CULT.1 est adopté.
L'amendement COM-58, qui tend à inclure Saint-Pierre et Miquelon dans la liste des collectivités bénéficiaires du FEBECS, est satisfait : si l'article 40 de la loi du 13 décembre 2000 ne fait pas référence à Saint-Pierre et Miquelon, l'article 63 de la même loi le rend applicable à cette île. Avis défavorable.
L'amendement COM-58 n'est pas adopté.
La commission proposera à la commission des lois d'adopter l'article 13 C ainsi modifié.
Comme je l'ai indiqué à l'instant, compte tenu de notre hostilité de principe au recours aux ordonnances, nous votons contre cet article.
Article 13 E
La commission proposera à la commission des lois d'adopter l'article 13 E.
Article 13 bis
L'illettrisme et le décrochage scolaire constituent des défis considérables outre-mer, comme en témoignent les évaluations menées à l'occasion de la journée défense et citoyenneté : si près de 10 % des jeunes Français présentent de graves difficultés de lecture et de compréhension du français, ils sont 30 % en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion, 48% en Guyane et 75 % à Mayotte.
Toutefois, l'extension, même à titre expérimental, de la scolarité obligatoire de trois à dix-huit ans, contre six à seize ans aujourd'hui, que prévoit l'article 13 bis que la commission des lois nous a délégué au fond, n'est pas pertinente. Elle ne saurait s'envisager sans une réflexion globale sur l'architecture du système éducatif : peut-on rendre obligatoire la poursuite d'études dans l'enseignement supérieur ? La question ne manquerait pas de se poser, alors que de nombreux jeunes obtiennent le baccalauréat avant l'âge de dix-huit ans.
S'il s'agit de réduire le décrochage scolaire, allions prévention et remédiation, à l'aide de structures et de pédagogies alternatives, comme la formation en alternance ou les micro-lycées, plutôt que de contraindre des jeunes à rester à l'école jusqu'à dix-huit ans. Quant à l'instruction obligatoire dès trois ans, qui veut réduire l'illettrisme en améliorant la maîtrise précoce de la langue française, il faut souligner la diversité des situations dans les départements et régions d'outre-mer : la scolarisation dès trois ans est la règle dans les Antilles et à La Réunion mais reste toutefois à développer en Guyane et à Mayotte. Ces taux faibles tiennent davantage à la faiblesse de l'offre et du nombre de places qu'au caractère facultatif de la scolarisation.
Enfin, le département de Mayotte est un cas particulier, tant les difficultés y sont importantes. Confrontés à une progression démographique inédite, les services de l'éducation nationale peinent à faire face et la scolarisation de tous les enfants soumis à l'obligation n'est pas effective, puisque, selon le Défenseur des droits, au moins 5 000 enfants âgés de six à seize ans ne seraient pas scolarisés ; le décrochage y est endémique, souvent avant seize ans. Beaucoup d'écoles, représentant environ 20 % des classes, fonctionnent par rotations, les élèves ayant cours par demi-journée. Les moyens consacrés à l'enseignement scolaire sont pourtant en forte croissance : l'État y assume, par dérogation au droit commun, les dépenses d'investissement pour les constructions scolaires du second degré, pour un montant total de 50 millions d'euros par an en moyenne.
Dans ce contexte, l'extension de trois à dix-huit ans de l'obligation d'instruction paraît à la fois coûteuse et très peu réaliste en l'absence d'une réflexion d'ensemble sur l'architecture du système éducatif. La priorité doit, à mon avis, être donnée à l'amélioration des conditions de scolarisation des enfants et à l'acquisition, dans le cadre scolaire, des apprentissages fondamentaux. Commençons par garantir à tous les enfants des conditions de scolarisation dignes et des enseignements efficaces ! L'amendement CULT.2 supprime donc le présent article.
Je connais bien la situation de la Guyane ; je pourrai évoquer la violence que représentent les déplacements et l'arrachement aux familles pour des enfants tenus de faire jusqu'à trois heures de pirogue pour rejoindre une école, ou encore le collège de Maripasoula dont les lits sont dans un état déplorable, de même que ces adolescentes amérindiennes qui vont au lycée en « internat », si l'on peut dire, prenant pension dans des familles et qui présentent un grand nombre de grossesses précoces en raison des abus qu'elles subissent... On ne peut que s'interroger sur le bien-fondé du renforcement de l'obligation scolaire par la mobilisation des enfants de trois à six ans dans ces conditions. Cet article ne me convient pas pour les raisons que je viens de vous exposer.
Chaque territoire est effectivement différent. On ne m'enlèvera toutefois pas l'idée que l'apprentissage de la langue entre trois et six ans peut contribuer efficacement à lutter contre l'illettrisme. Notre groupe s'abstiendra.
Nous nous abstiendrons, avec perplexité. La République est une et indivisible, mais les moyens ne permettent pas de rendre possible l'égalité sur son territoire...
Maintenir les jeunes décrocheurs jusqu'à dix-huit ans dans un milieu qu'ils rejettent ne les sauvera pas. L'absentéisme est très élevé outre-mer : si les élèves ne sont pas présents avant seize ans, ils ne le seront pas plus après. La République doit s'intéresser à ce qui se passe en amont : il y a déjà bien assez de choses à faire entre six et seize ans.
J'ai eu l'occasion d'aller à Mayotte et j'y ai constaté les dysfonctionnements de l'école. Madame Gonthier-Maurin, l'égalité, ce serait d'avoir un nombre suffisant de places pour que les élèves puissent tous avoir cours en même temps.
Lors de notre dernière réunion du bureau, j'ai évoqué la possibilité qu'une délégation de notre commission effectue à l'avenir une mission outre-mer, ce qui ne s'est pas fait depuis au moins vingt ans. Nous pourrions ainsi présenter des préconisations utiles.
Mme Cartron, dans le cadre de son rapport sur la loi de refondation de l'école, et Mme Gillot, au titre de la loi relative à l'enseignement privé supérieur et la recherche, avaient formulé la même demande, sans succès.
L'amendement CULT.2 est adopté.
La commission proposera à la commission des lois de supprimer l'article 13 bis.
Article 21
L'article 46 du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté, devenu article 185 après son adoption définitive, modifie l'article 43-11 de la loi du 30 septembre 1986 avec la même finalité que l'article 21, que la commission des lois nous a délégué au fond : il fixe pour objectif au service public audiovisuel d'assurer « une meilleure représentation de la diversité de la société française, notamment d'outre-mer ». Par coordination, l'amendement CULT.3 supprime le 1° du présent article.
Je vous propose également de supprimer le 2° du présent article, qui précise que « l'action adaptée pour améliorer la présence de la diversité de la société française dans les programmes » de France Télévisions est menée « en France hexagonale comme dans les outre-mer ». Sa rédaction est ambigüe et tend à faire doublon avec l'obligation générale fixée pour le service public audiovisuel.
Enfin, le 1° du présent amendement apporte une modification rédactionnelle au 1° A du présent article, substituant à la désignation d'associations de défense des langues régionales celle, juridiquement plus pertinente, d'associations concourant à la promotion des langues et cultures régionales.
L'amendement CULT.3 est adopté.
La commission proposera à la commission des lois d'adopter l'article 21 ainsi modifié.
Article additionnel après l'article 21
L'amendement COM-78 rectifié reprend une disposition de l'article 44 du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté, devenu article 184, qui prévoyait l'instauration d'une obligation, pour les chaînes de radio et de télévision, de transmettre au CSA des indicateurs quantitatifs et qualitatifs permettant d'apprécier l'effectivité de la représentation de la diversité de la société française.
Le Sénat s'y était opposé, considérant les difficultés pratiques insurmontables qu'impliquerait la collecte de ces indicateurs, qui reviendrait à déterminer, au cas par cas, l'appartenance ethnique des personnes présentes à l'antenne et à en tenir le compte. Le Sénat s'était également interrogé sur la légitimité de cette démarche au regard des principes fondamentaux de notre droit constitutionnel : le CSA pourrait-il sanctionner un éditeur de programmes qui ne respecterait pas un quota de diversité ?
En nouvelle lecture, le Gouvernement et l'Assemblée nationale se sont ralliés à la position du Sénat, supprimant la disposition incriminée. Avis défavorable.
La commission proposera à la commission des lois de ne pas adopter l'amendement COM-78 rectifié.
Article 34 bis
L'amendement CULT.4 propose une nouvelle rédaction de l'article 34 bis, qui étend aux médias privés l'obligation de rendre compte des résultats des élections générales pour l'ensemble du territoire national. Il s'agit de remédier au fait qu'à l'occasion de certaines élections, en particulier les élections régionales de 2015, les collectivités d'outre-mer aient parfois été oubliées, sans pour autant présenter de manière exhaustive les résultats des scrutins à circonscriptions multiples. Il insère également les dispositions du présent article dans l'article 16 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et aligne leur rédaction sur celle de l'article précité, tout en prévoyant leur application outre-mer.
L'amendement CULT.4 est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des articles du projet de loi dont elle s'est saisie, tels que modifiés par ses amendements.
La réunion est close à 15 h 50.