Je souhaite la bienvenue à deux fonctionnaires des services législatifs de l'Assemblée de la Polynésie française, qui, dans le cadre d'un échange, assistent à l'examen des amendements au texte de notre commission sur la proposition de loi d'orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles.
EXAMEN D'UN AMENDEMENT DU RAPPORTEUR
Article 7
Un premier amendement, présenté par notre rapporteur, est d'ordre rédactionnel.
L'amendement n° 13 est adopté.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE
Article 1er
r, rapporteur. - L'amendement n° 11 rectifié ter vise à encourager la recherche scientifique sur un sujet encore méconnu et soumis à controverses : les symptômes post-traumatiques et, notamment, les amnésies. J'y suis favorable.
Je ne saurai être défavorable à un amendement qui encourage la recherche, mais je m'interroge sur le caractère législatif de la disposition.
N'ayez crainte à ce sujet : il s'agit de la faire figurer à l'annexe du texte.
Le groupe de travail a poursuivi, avec cette proposition de loi, une démarche intelligente, consistant à envisager le sujet des infractions sexuelles sur mineurs dans sa globalité. Il a notamment eu le souci d'approcher au plus près le contexte complexe et peu connu des syndromes post-traumatiques. Je trouve à cet égard intéressant que le Sénat marque son intérêt pour le développement des recherches scientifiques en la matière.
Notre collègue François-Noël Buffet présente cet amendement à la suite de nos discussions en commission la semaine passée relatives à la suspension du délai de prescription de ces infractions en cas d'amnésie post-traumatique de la victime.
Les règles de la légistique nous conduisent à examiner d'abord cet amendement. Mon amendement n'est pas normatif ; il vise à fixer une orientation. Les auditions menées par le groupe de travail nous ont fait prendre conscience de l'importance des recherches scientifiques en matière de syndrome post-traumatique : il est du devoir du législateur de les encourager.
La mise en exergue de la recherche scientifique dans le cadre de la présente proposition de loi a également pour objectif d'aboutir à un consensus médical, inexistant actuellement, sur l'amnésie post-traumatique. La science progressera, mais il n'existe pas encore d'unanimité sur ce sujet.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 11 rectifié ter.
Article 2
Les amendements n° 5 rectifié ter, 4 et 9 rectifié ter portent sur la prescription des crimes sexuels commis à l'encontre des mineurs ; ils ont le mérite de permettre un débat sur cette question. Il est vrai qu'à l'annonce de l'horreur de certains faits, l'émotion peut nous submerger, mais également nous égarer. Pourquoi en effet rendre ces infractions, difficiles à prouver, imprescriptibles par rapport à d'autres tout aussi choquantes ? Je vous rappelle que, lorsque le Sénat a légiféré sur les crimes de guerre, l'imprescriptibilité a été refusée. Il n'existe en revanche pas de prescription pour les crimes contre l'humanité, plus aisés à prouver. Le sujet est certes effrayant, mais sachons raison garder : maintenons notre choix d'allonger à trente ans le délai de prescription.
Il est intéressant que nous ayons ce débat, même si cela n'est ni la première ni, sûrement, la dernière fois. La cause des victimes ne se trouve pas, j'en suis convaincu, dans l'allongement du délai de prescription. Comment d'ailleurs enquêter et juger convenablement si longtemps après les faits ? Les preuves risquent d'être dégradées et les témoignages incertains. Comment, dès lors, assurer le caractère équitable d'un procès et éviter une erreur judiciaire ? Il pourrait également y avoir une incompréhension de la victime si la peine prononcée n'était pas élevée ; l'agresseur, quarante ans après des faits, peut en effet avoir changé. Comment juger la personne qu'il fut autrefois ? Je crains que nous ne devions veiller à ne pas nous donner bonne conscience...
Le véritable sujet n'est en réalité pas celui du délai de prescription, mais de la libération immédiate de la parole de la victime, afin de disposer de preuves tangibles. Dans ce changement sociétal réside la principale avancée de ce texte ! Au contraire, je crains que nous n'assurions pas une défense efficace des victimes si les preuves manquent quarante ans après une agression. Qu'en sera-t-il de la mise en cause d'un individu, qui serait finalement acquitté faute de preuve ? Les hypothèses dans lesquelles une preuve serait utilisable après un délai si long seront rares et je crains que les acquittements ne soient plus fréquents que les condamnations. N'abandonnons pas la raison pour la répression !
Nous ne servirons pas les victimes en allongeant déraisonnablement le délai de prescription. Déjà, les juges ont la possibilité de suspendre la prescription. Dans l'objet de votre amendement, vous faites état, monsieur Buffet, des effets dissuasifs qu'aurait une telle mesure. Mais ils sont inexistants, comme ils le sont pour la peine de mort, ainsi que l'avait constaté Robert Badinter !
Je suis, vous l'aurez compris, opposé à ces amendements, qui, en donnant un temps infini à la justice, risquent d'entraîner son désengagement en faveur d'une instruction des faits dans un délai raisonnable.
Ces trois amendements posent une question, qui dépasse le seul contexte des infractions sexuelles sur mineurs. Notre droit, au contraire du régime juridique anglo-saxon, fait dépendre le délai de prescription de la gravité des faits. Je ne partage pas entièrement les arguments développés par François Pillet mais, en matière de hiérarchie des infractions, l'imprescriptibilité proposée interroge. Pourquoi l'assassinat de dix personnes serait-il plus rapidement prescrit qu'une infraction sexuelle sur mineur, aussi grave soit-elle ?
Avec ces amendements, nous tournons en réalité autour de la question complexe de l'amnésie traumatique et de ses conséquences sur la prescription. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) s'est, dans un arrêt du 22 octobre 1996, prononcée sur le délai de prescription des infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs : après un certain délai, les faits ne peuvent plus être jugés sans remettre en cause le droit au procès équitable. Nous sommes toutefois déjà, pour ces infractions, dans un régime juridique dérogatoire, puisque le délai de prescription ne court qu'à compter de la majorité de la victime, qu'il a récemment été doublé et que nous nous apprêtons à l'allonger encore. N'allons pas au-delà !
Au regard du grand nombre de signataires de ces amendements appartenant à la majorité sénatoriale, je m'interroge cependant sur la position de cette dernière sur la question qu'ils soulèvent. Quoi qu'il en soit, le groupe socialiste et républicain y est défavorable.
Je n'ai pas pour habitude de réagir sous le coup de l'émotion ou de manière déraisonnable ! Si tel était le cas, j'aurais proposé l'imprescriptibilité il y a un an, lorsque j'étais rapporteur de la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale. Ma position a évolué et je raisonne aujourd'hui différemment : la valeur première qui doit être protégée, c'est la minorité. Une atteinte à l'intégrité physique du mineur représente un acte indélébile.
Lorsqu'un mineur est victime d'une infraction sexuelle, la difficulté réside dans sa capacité à révéler l'agression dont il a été l'objet, ce qui est très différent d'un assassinat, surtout de masse, où il y a nécessairement une enquête. Nous ne sommes donc pas du tout dans la même situation. On peut effectivement estimer qu'une victime sera capable de révéler le crime à un moment donné, mais nous ne savons pas à quel moment ni à la suite de quel événement. Il serait donc intéressant de réfléchir à l'idée de faire démarrer le délai de prescription au moment où la victime révèle l'infraction à un tiers. Lorsque nous imposons que le délai de prescription démarre à la majorité de la victime, il est possible qu'elle ne puisse jamais engager l'action publique.
Nul ne peut douter que les convictions, enracinées, de François-Noël Buffet ne reposent pas sur l'émotion. Je ne crois pas en revanche, mon cher collègue, que les orateurs qui se sont exprimés aient une intention différente de la vôtre : nous voulons tous protéger les mineurs. Nous débattons en fait des moyens qui doivent être mis en oeuvre pour atteindre cet objectif.
En ce qui me concerne, je suis sensible aux arguments exprimés par François Pillet et Marie-Pierre de la Gontrie : reconnaître l'imprescriptibilité des crimes sexuels commis à l'encontre des mineurs sans réexaminer le délai de prescription des autres crimes pose une réelle difficulté. Comment définir une échelle des horreurs entre différents crimes barbares ? Si ces amendements posent au fond un problème général quant à la prescription, ils me semblent tirer des conséquences disproportionnées du fait que le souvenir insupportable de l'agression sexuelle est profondément enfoui dans la mémoire des victimes. François-Noël Buffet a déposé un autre amendement - n° 10 rectifié ter -, qui propose une piste de travail qui me semble plus intéressante : l'amélioration des conditions de suspension du délai de prescription.
La question de l'amnésie post-traumatique est encore débattue dans la communauté scientifique, mais lors des auditions du groupe de travail, nous avons souvent entendu le fait qu'allonger le délai de prescription de dix ans était suffisant dans la quasi-totalité des situations. Dans la plupart des cas, le « retour » sur amnésie a lieu avant l'âge de 48 ans. Procéder à cet allongement sans remettre en cause l'ensemble de l'échelle des prescriptions me semble donc pertinent.
La commission émet un avis défavorable aux amendements n° 5 rectifié ter, 4 et 9 rectifié ter.
La commission émet ensuite un avis défavorable à l'amendement n° 8 rectifié.
Article additionnel après l'article 2
Depuis la loi du 27 février 2017, la prescription peut être suspendue en cas d'obstacle insurmontable. L'amendement n° 10 rectifié ter permet au juge d'organiser des expertises pour établir l'existence d'un syndrome post-traumatique, qui constituerait au titre de la loi de 2017 un obstacle insurmontable. Il me semble que cette solution apporterait une réelle avancée, à même de mieux répondre à la réalité de la situation.
Je propose de donner un avis favorable à cet amendement. Toutefois, d'un point de vue médical, la mémoire de la victime, une fois recouvrée, risque de ne pas être intacte.
Je rappelle que la prescription a pour objectif d'empêcher qu'un procès se tienne dans des conditions dégradées du fait de l'éloignement des faits, et que le droit pénal organise des niveaux de prescription en fonction de la gravité de l'infraction. Il s'agit au fond d'empêcher les erreurs judiciaires. En conséquence, le point de départ de la prescription doit être objectif. D'ailleurs, la loi de février 2017 parle bien d'un obstacle « de fait » insurmontable. Qu'un collège d'experts, dont les avis sont par définition pluriels, évalue et apprécie une situation, afin d'éclairer la décision du juge, me semble logique, mais faire de cet avis un outil pour allonger le délai de prescription ne me paraît pas judicieux.
Je ne crois pas que cet amendement apporte la bonne solution au problème posé. Je rappelle que la Cour de cassation avait déjà fixé, en novembre 2014, le principe d'une suspension de la prescription en cas d'obstacle insurmontable. En outre, un juge est déjà en capacité d'ordonner une expertise, y compris à la demande de l'une des parties. Dans les affaires d'infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, l'obstacle insurmontable réside dans l'impossibilité pour la victime de savoir qu'elle l'est effectivement.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 10 rectifié ter.
Article 3
L'amendement n° 7 vise à supprimer la précision selon laquelle la présomption de contrainte instituée par l'article 3 est une présomption de contrainte « morale ». Mais la contrainte, en l'espèce, serait bien « morale ». Je propose de nous en remettre à la sagesse du Sénat.
Il serait en effet restrictif de définir la contrainte comme uniquement « morale » et la commission ferait preuve d'une grande sagesse en considérant que l'article 3 concerne toute forme de contrainte.
La contrainte est généralement morale dans le cas présent, mais nous ne pouvons pas exclure qu'elle soit d'une autre nature. Madame le rapporteur, pourrions-nous aller jusqu'à proposer un avis favorable ?
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 7.
Article additionnel après l'article 3
L'amendement n° 6 est contraire à la position prise par la commission la semaine dernière. Je propose donc un avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 6.
Article 4
Les amendements identiques n° 1 et n° 12 remettent en cause l'équilibre délicat trouvé par la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant, en élargissant la surqualification pénale incestueuse aux cousins germains. Avis défavorable.
Adopter cet amendement créerait une curiosité, puisque le mariage entre cousins germains est possible...
Article additionnel après l'article 4
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2.
Article additionnel après l'article 6
L'amendement n° 3 rectifié vise à renforcer les peines encourues en cas de non-signalement de mauvais traitements subis par un mineur. Cette idée me paraît intéressante. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 3 rectifié.
Le sort de l'amendement du rapporteur examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La commission adopte les avis suivants :
La réunion est close à 9 h 50.