Commission des affaires européennes

Réunion du 14 mars 2019 à 9h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • brexit
  • europe
  • pays-bas
  • royaume-uni

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Monsieur le président de la commission des affaires européenne du Sénat des Pays-Bas, le président de notre commission, M. Bizet, est malheureusement retenu aujourd'hui en raison de la visite du Premier ministre dans son département. Il vous prie de bien vouloir excuser son absence et m'a confié le soin d'accueillir en son nom votre délégation, ce que je fais avec grand plaisir, d'autant que nous vous recevons dans l'une des plus belles salles du Sénat.

Nous gardons un excellent souvenir de l'accueil que vous avez réservé à plusieurs de nos collègues au Senat néerlandais il y a tout juste un an. Nous en étions revenus avec la conviction qu'il était précieux de poursuivre le dialogue entre nos deux pays par la voie parlementaire.

Nos pays respectifs, tous deux fondateurs de la Communauté européenne, se trouvent en effet confrontés aujourd'hui à un contexte inédit, marqué par les nouveaux défis que doit relever l'Union européenne et par la montée des populismes à la veille des élections européennes, tandis que le Royaume-Uni envisage de quitter l'Union et que les États-Unis s'éloignent du multilatéralisme.

Le départ du Royaume-Uni représenterait naturellement un choc important pour l'Union européenne, et particulièrement pour votre pays dont il est le deuxième partenaire commercial. Il amputerait aussi mécaniquement la capacité budgétaire de l'Union, alors même qu'elle doit se donner les moyens de répondre à la vague migratoire, à la montée du terrorisme ou à l'enjeu climatique, mais aussi préparer son avenir en investissant dans le numérique, la recherche et l'intelligence artificielle. Je ne doute pas que votre pays, comme le nôtre, est particulièrement attentif à ces défis.

Nous partageons ces priorités avec vous, mais elles ne doivent pas nous amener à sacrifier les politiques fondatrices de l'Union, notamment la politique agricole commune (PAC) qui représente un outil d'investissement stratégique : à l'heure où nos grands concurrents agricoles investissent massivement dans leur agriculture, pouvons-nous envisager de déconstruire la PAC ? La souveraineté alimentaire de l'Union européenne est en jeu, ainsi que la qualité de l'agriculture européenne qui lui donne précisément sa plus-value par rapport à ses concurrentes.

Si nous plaidons pour garder une PAC à moyens constants, nous avons parfaitement conscience que nous devons faire plus dans beaucoup d'autres domaines, que je viens d'évoquer et qui sont également décisifs pour l'avenir de l'Union européenne. C'est pourquoi nous voudrions vous convaincre de la nécessité d'élargir la capacité d'action de l'Union et donc d'accroître son budget, ne serait-ce que de 0,1 point de PIB.

Cela ne peut se faire sans ressources nouvelles. Celles-ci peuvent notamment venir de la taxation des géants du numérique, dont la mise en oeuvre au sein de l'OCDE tarde décidément trop à nos yeux, ou des contributions nationales. Nous savons que les habitants de votre pays sont ceux qui contribuent le plus au budget européen. Nous n'ignorons pas qu'il est de la responsabilité de la France de redresser ses finances publiques, à l'image du vôtre, pour dégager de nouvelles marges d'action au profit des politiques européennes qui apportent une réelle plus-value.

Nous avons également la conviction que l'Union européenne a besoin d'asseoir sa puissance économique sur une monnaie solide pour garantir la stabilité et la croissance. À cet égard, le renforcement de la zone euro est un enjeu dont nous sommes prêts à discuter ensemble : comment trouver le moyen de stabiliser les États membres de la zone euro en cas de choc économique ? À nos yeux, la récente proposition franco-allemande de créer un instrument budgétaire pour la zone euro doit pouvoir être conciliée avec votre exigence légitime de voir respectés les critères de Maastricht par tous les États de la zone. La responsabilité doit bien sûr se conjuguer avec la solidarité.

Il est normal que, sur ces sujets, nous ne partagions pas les mêmes points de vue, chacun étant façonné par sa culture, son histoire et sa position géographique. Mais nous savons que vous n'avez pas peur du dialogue et je suis certain que nos échanges seront francs et constructifs et nous permettront de mieux nous comprendre, ce qui est le meilleur moyen de nous rapprocher au sein d'une Union européenne que nous souhaitons aussi efficace que possible.

La présence devant vous de nombre de nos collègues du Sénat français, au début d'une journée entièrement consacrée à l'Europe, puisque nous allons tenir cet après-midi avec la ministre Nathalie Loiseau un débat préalable au prochain Conseil européen, est un gage de notre intérêt. Monsieur le président, nous sommes très heureux de votre présence parmi vous et très désireux d'échanger.

Debut de section - Permalien
Bastiaan van Apeldoorn, président de la commission des affaires européennes du Sénat des Pays-Bas

C'est un honneur d'être ici avec vous. Je suis convaincu que nos échanges seront fructueux et renforceront nos très bonnes relations.

Les grands défis que vous avez mentionnés sont tout aussi importants aux yeux de notre commission. Aux défis internes que sont le mécontentement de notre population, les tendances populistes, l'immigration, les inégalités sociales, s'ajoutent les défis extérieurs : la montée de la Chine, un allié outre-Atlantique moins fiable qu'auparavant, et un ordre mondial libéral, fondé sur le multilatéralisme, soumis à de fortes pressions.

Le Brexit est naturellement un sujet de préoccupation important pour le Parlement néerlandais. Vous avez relevé, à juste titre, que le Royaume-Uni est un partenaire commercial important pour nous. Les effets du Brexit sont multiples et très difficiles à prévoir, surtout en cas d'absence d'accord. Le retrait du Royaume-Uni aura des conséquences sur notre position au sein de l'Union européenne et renforcera nos relations avec la France, qui a toujours été un pays moteur au sein de l'Union européenne et le sera encore plus à l'avenir. Or l'intensification des relations avec la France passe par la diplomatie parlementaire.

Votre visite aux Pays-Bas, l'an dernier, a été extrêmement appréciée. Nous avons beaucoup appris de nos échanges et j'espère qu'il en ira de même cette fois-ci. Depuis, le Brexit n'a toujours pas eu lieu mais se rapproche, le président Trump est toujours là, et les relations ne sont pas devenues plus faciles... L'état de l'économie européenne s'est amélioré, mais on parle à nouveau de récession ; la France a traversé les troubles que nous connaissons, mais les relations entre nos deux pays restent très bonnes malgré quelques accrocs. La prise de participation de l'État néerlandais dans Air France-KLM a ainsi suscité l'étonnement du Gouvernement français, conduisant le ministre chargé du dossier à se rendre à Paris. Cet épisode ne devrait pas perturber nos relations.

Je tiens à vous remercier de votre invitation et espère des échanges francs et constructifs.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Notre déplacement à La Haye voici tout juste un an, avec Jean Bizet, Sylvie Robert et Benoît Huré, a en effet été particulièrement intéressant. Il est intervenu au moment même où votre Premier ministre, Mark Rutte, prenait des positions très fermes sur le budget de la zone euro et le respect des règles budgétaires. Les délégations parlementaires présentent l'avantage de ne pas représenter leur gouvernement, même si certains d'entre nous, d'un côté comme de l'autre, soutiennent nos gouvernements respectifs. Nous nous rencontrons deux fois par an, de manière formelle, dans le cadre de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac), mais il est très utile d'avoir également des échanges bilatéraux.

Les Pays-Bas ne sont pas un petit pays, mais un pays de 18 millions d'habitants dont le rôle sera d'autant plus important après le départ du Royaume-Uni. J'ai beaucoup apprécié la formule de Mark Rutte, hier, au sujet du vote du Parlement britannique : « C'est comme si le Titanic votait en faveur d'un déplacement de l'iceberg » !

Il me semble utile que des pays comme les vôtres nous rappellent que les règles doivent être appliquées. La France prône un budget de la zone euro, mais n'est passée que très fugacement, l'an dernier, sous les 3 % de déficit budgétaire, avant de replonger. La Commission européenne a bien voulu tenir compte des circonstances exceptionnelles qu'a connues notre pays, à condition de redresser la barre.

La France aurait néanmoins souhaité un budget de l'Union européenne plus ambitieux, pour tenir compte des nouvelles politiques tout en préservant les anciennes. Il ne fait aucun doute que les Pays-Bas joueront un grand rôle dans l'élaboration du cadre financier pluriannuel : la position exprimée il y a un an par votre Premier ministre et le Brexit semblent vous placer en tête de l'Europe du Nord et des pays baltes sur ces questions. Allez-vous remplacer le Royaume-Uni dans ce rôle ?

Debut de section - Permalien
Joris Backer, membre de la commission des affaires européennes du Sénat des Pays-Bas

Vous n'ignorez pas que les Pays-Bas sont dirigés par un gouvernement de coalition réunissant quatre partis. Celui que je représente, proche de La République en marche, est un fervent défenseur de l'Union européenne. Il est utile d'évoquer ces nuances dans le cadre de nos rencontres, notre Premier ministre ayant exprimé, dans ses déclarations que vous avez évoquées, la position officielle des Pays-Bas.

Ne surestimons pas l'importance de cette coalition, que l'on pourrait qualifier d'hanséatique, sur les questions budgétaires. Il ne serait pas sain que des coalitions permanentes se forment ; au contraire, elles ont vocation à être mouvantes, suivant les sujets abordés - migrations, climat, numérique, fiscalité.

Je regrette que le cadre financier pluriannuel (CFP) 2014-2020 de l'Union européenne, que les Pays-Bas avaient souhaité faire évoluer lors de leur présidence en 2016, soit resté inchangé. Cela témoigne d'un manque de flexibilité. L'Union européenne est à la recherche, pour le prochain CFP, d'un nouvel équilibre. Aux Pays-Bas, nos partenaires de la coalition estiment que la PAC doit moins mettre l'accent sur le soutien au revenu des agriculteurs et davantage sur les subventions à l'innovation et la défense contre la concurrence.

Aux Pays-Bas, nous avons coutume de dire qu'il faut toujours adapter son train de vie à ses revenus. Le Brexit nous l'imposera, et la solution n'est pas nécessairement une augmentation des contributions nationales, même si j'y suis favorable à titre personnel.

Debut de section - Permalien
Bastiaan van Apeldoorn, président de la commission des affaires européennes du Sénat des Pays-Bas

Concernant le cadre financier pluriannuel, le Parlement des Pays-Bas ne souhaite pas d'augmentation du budget de l'Union européenne ; il faut plutôt réfléchir à la bonne utilisation des moyens disponibles. Ainsi, le budget de la PAC pourrait être réduit, notamment pour mieux répondre aux défis du changement climatique et des migrations. La France et les Pays-Bas trouveront facilement des convergences sur les questions climatiques. Quelle est la position du Sénat français ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Je partage la position de M. Backer sur le budget européen qui, historiquement, assume une double vocation de réparation, avec la PAC, et de redistribution via les fonds structurels. Il manque un budget d'investissement, indispensable si nos pays ne veulent pas rester à la traîne des États-Unis et de la Chine.

En revanche, et puisque Bastiaan van Apeldoorn nous a invités à la franchise, j'avoue avoir été choqué par les déclarations de M. Rutte l'année dernière. Les leçons d'orthodoxie financière sont malvenues de la part d'un pays qui accapare la valeur produite sur le continent grâce à des rescrits fiscaux. De même, la prospérité du port de Rotterdam, qui alimente l'ensemble de l'Europe, n'est pas seulement le fruit du talent du peuple néerlandais. Le Luxembourg nous donne lui aussi des leçons de rigueur alors qu'il est devenu ce qu'il est par un jeu très subtil avec les règles fiscales.

La France a proposé une taxation des géants de l'internet à laquelle certains pays européens s'opposent. Les États-Unis s'y sont déclarés favorables, avant que le président Trump n'annonce un recours devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC) contre l'initiative française. Sur ce plan, tous les pays européens sont dans le même bateau, puisque ces déclarations annoncent une volonté des États-Unis de renationaliser les bénéfices de ces grands groupes - dont le chiffre d'affaires a augmenté de 25 % en cinq ans, mais dont le bénéfice a chuté. Cela nous place en concurrence directe avec les États-Unis pour la captation de ces bénéfices et nous impose une solution commune et unifiée.

Les Pays-Bas, qui bénéficient du rapatriement des bénéfices de Starbucks en Europe dans leur pays, sont tout aussi concernés que les autres États membres. Comment reconstruire une forme d'équité ? L'impôt sur les sociétés est trop élevé en France, trop faible ailleurs, sans compter les rescrits fiscaux. Une harmonisation est nécessaire.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

André Gattolin a fait état d'une position personnelle que je partage en grande partie. Sommes-nous capables, en particulier en France, de faire les choix qu'il appelle de ses voeux ? Il existe un large consensus au sein du Sénat en faveur du maintien de la PAC à la hauteur des attentes de nos agriculteurs, dont la situation actuelle est difficile. D'un autre côté, des défis essentiels, sur le numérique, les migrations et l'intelligence artificielle notamment, se présentent à nous. Pour ma part, je suis convaincu que, pour y répondre, nous n'aurons d'autre choix que d'augmenter le montant de nos recettes. Certes, la taxe sur Google, Apple, Facebook et Amazon (Gafam) est bienvenue, mais pour le moment, nous sommes isolés sur cette question.

Debut de section - Permalien
Joris Backer, membre de la commission des affaires européennes du Sénat des Pays-Bas

Monsieur Gattolin, la fiscalité des Pays-Bas, sur laquelle vos collègues que nous avons reçus l'an dernier avaient déjà attiré notre attention, a évolué depuis deux ans. Les constructions fiscales qui permettent aux grandes entreprises de payer peu d'impôts dans l'Union européenne sont en train d'être revues. Je pense à titre personnel qu'une taxe sur les entreprises du numérique verra le jour dans notre pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Raison

Quelles sont les principales inquiétudes de votre pays, historiquement très commerçant, vis-à-vis du Brexit ? Contrairement aux Pays-Bas, la France n'est pas un pays agricole homogène, en raison de la diversité de ses reliefs, de ses climats et de ses cultures. Les positions sur la PAC divergent également. Quelle serait, pour vous, une PAC idéale ? Doit-elle ressembler au farm bill des États-Unis, doit-elle comporter davantage d'incitations environnementales ? Quelle est la situation économique des agriculteurs des Pays-Bas ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Je représente les Français de l'étranger, dont la moitié vit en Europe. L'Union européenne a vocation à défendre la mobilité des entreprises et des citoyens. C'est une réalité pour les entreprises, qui profitent des décalages fiscaux entre les pays pour optimiser leur taxation ; en revanche, en matière fiscale, les particuliers comme les entreprises de chacun des 27 États membres sont régis par 28 conventions fiscales bilatérales ! L'harmonisation fiscale est une nécessité, au nom de la mobilité. Je suis frappé par les blocages à la mobilité qui existent encore aujourd'hui.

La baisse des ressources propres du budget européen est préoccupante. On ne peut pas faire progresser l'Union européenne si elle est financée toujours plus par les contributions des États, et non par des ressources propres. Comment renforcer celles-ci ?

Le droit de la concurrence provient de la Communauté européenne du charbon et de l'acier. Il repose sur un refus des monopoles et sur la mise en concurrence. Le droit européen s'impose ; s'il ne convient plus, il faut le faire évoluer. Serait-il opportun de faire des changements pour permettre l'émergence de champions européens ? Il faut affronter une concurrence qui est aujourd'hui mondiale.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Harribey

Je veux insister sur l'enjeu territorial. Entendre un représentant des Pays-Bas dresser le constat d'une montée dans la population de l'insatisfaction à l'égard de l'Europe est en quelque sorte un constat d'échec : en effet, ce pays a été très souvent cité en exemple pour son engagement européen, historiquement parlant. Il est contradictoire de dire, dans le même temps, qu'on ne peut pas augmenter le budget européen. Il s'agit non pas d'augmenter les contributions des États, mais de trouver les moyens de développer les ressources propres, ce qui soulève la question de la fiscalité.

Au-delà de la question du budget européen se pose celle de la mutualisation. Si l'on veut un projet commun, il faut se donner des moyens communs. On ne peut pas continuer à avoir des discussions de marchands de tapis à propos des contributions nationales. La mutualisation, c'est le premier pas de la vision commune.

À côté des moyens financiers, il faut agir sur les moyens juridiques, en faisant évoluer le droit de la concurrence et la fiscalité.

S'agissant de la politique agricole commune et de la cohésion territoriale, on ne peut pas se contenter de favoriser l'innovation dans l'agriculture. L'agriculture, c'est le point de départ de nos enjeux communs : la question alimentaire, le modèle de développement économique, la transition écologique. Elle soulève la question de la cohésion territoriale, que nous ne pouvons traiter de la même manière en France que des pays comme les Pays-Bas ou le Luxembourg. Nous ne sommes pas les seuls à être attachés à cette cohésion - je pense aux pays d'Europe centrale et orientale.

Debut de section - Permalien
André Postema, vice-président de la commission des affaires européennes du Sénat des Pays-bas

Il ne faut pas avoir peur de la méfiance des populations à l'égard de l'Europe, mais au contraire regarder la réalité en face. Cette méfiance existe aussi bien aux Pays-Bas qu'en France. Nous avons une histoire commune, avec les référendums de 2005 sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe. De nombreux Néerlandais regardent avec effroi la situation autour d'eux, dont ils tiennent l'Europe responsable.

Il faut prendre en compte les facteurs émotionnels : le Brexit est une décision irrationnelle, mais c'est une décision qui a été prise. Pour les Pays-Bas, la principale difficulté viendrait d'une sortie sans accord. Nous avons déjà pris de nombreuses mesures : 900 douaniers sont actuellement en formation, nous avons fait des investissements dans la logistique des douanes pour éviter des délais d'attente trop longs... Mardi prochain, le Sénat doit examiner un projet de loi prévoyant des mesures d'urgence pour faire face à cette situation. Le Sénat français a-t-il déjà examiné un projet de loi sur cette question ?

J'ai confiance, notre pays s'est bien préparé au Brexit. Mais nous perdons un partenaire en matière commerciale et dans le domaine de la défense militaire. Quelle sera la future dynamique de l'Union européenne ? À moyen terme, allons-nous réussir à trouver un équilibre à 27, alors même que nous ne parvenons pas à répondre aux peurs de nos concitoyens ?

S'agissant des critères de Maastricht, il ne nous appartient pas de faire la leçon aux autres États. Depuis 2008, les Pays-Bas n'ont pas pu respecter ces critères en raison de la gravité de la crise que nous avons connue, bien plus importante qu'en France. Ce n'est pas à nous de vous dire ce qu'il faut faire, mais il faut viser l'équilibre financier.

Debut de section - Permalien
Frits Lintmeijer, membre de la commission des affaires européennes du Sénat des Pays-Bas

Aux Pays-Bas, l'agriculture est dominée par une politique quantitative : nous produisons de grosses quantités à bas prix. La plupart des agriculteurs ont tiré leur épingle du jeu. Néanmoins, l'intensification de la production ne peut pas continuer à l'infini. Comment l'agriculture peut-elle continuer à faire des profits tout en nourrissant la population européenne et sans épuiser les ressources ? Ce secteur représente peu d'emplois dans notre pays, mais il est très important en termes de valeur ajoutée.

S'agissant de la fiscalité, mon parti ne soutient pas la coalition gouvernementale. Nous voulons être souverains sur cette question. Nous craignons un alignement par le bas, c'est-à-dire la concurrence fiscale entre États membres. Le Royaume-Uni va essayer d'attirer les entreprises et les particuliers avec une fiscalité basse. Il faudrait se mettre d'accord sur des seuils, pour fixer un minimum de charge fiscale. Cette discussion ne sera pas facile, mais nous devons la mener.

Debut de section - Permalien
Baastian van Apeldoorn

La question de la légitimité démocratique est l'enjeu principal de l'Union européenne. Le Royaume-Uni avait l'impression d'avoir perdu le contrôle, l'intégration européenne était, selon lui, devenue trop forte après le traité de Maastricht. C'est la raison pour laquelle les Britanniques ont voulu reprendre le contrôle, « take back control », et c'est pourquoi ils ont voté en faveur du Brexit.

Il faut avoir non seulement des moyens communs, mais aussi des objectifs communs. Des propositions légitimes sont exprimées, mais quelle est la base démocratique d'un budget européen ? Peut-on renforcer la démocratie européenne ? La légitimité réside dans les parlements nationaux. Que sommes-nous prêts à transférer ? Les Néerlandais sont économes : nous voulons éviter de transférer notre argent aux pays du Sud qui ne savent pas gérer leurs finances. Mais la question de la légitimité démocratique est encore plus importante.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Pour répondre à votre question sur le traitement par le Sénat du Brexit, je laisse la parole à Simon Sutour, qui est membre du groupe de suivi sur ce sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Le Parlement français a voté, de manière consensuelle, il y a plusieurs mois un projet de loi destiné à préparer notre pays en cas d'absence d'accord de retrait. Ce texte permet au Gouvernement de légiférer par ordonnance, c'est-à-dire de prendre les mesures nécessaires sans passer par les assemblées. Nous avons un point commun : nous sommes juste en face du Royaume-Uni. Nous serons la nouvelle frontière de l'Europe, avec des flux à gérer dans nos nombreux ports.

Depuis le référendum sur le Brexit, le Sénat a constitué un groupe de travail comprenant pour moitié des membres de la commission des affaires européennes - le Royaume-Uni est membre de l'Union -, et pour moitié de la commission des affaires étrangères - il peut en effet devenir demain un pays tiers. Nous avons mené des auditions, fait des visites sur le terrain, à Londres, en Irlande... Nous réfléchissons aux perspectives d'avenir. À titre personnel, je regrette le « paquet Cameron » accepté par la Commission européenne. On rêverait aujourd'hui que de telles mesures soient mises en oeuvre ! Lors de la dernière Cosac, il était pathétique de voir nos collègues William Cash et Lord Boswell nous demander de trouver des solutions. M. Cash, membre du parti de Theresa May, tirait à boulets rouges sur cette dernière...

La situation est dramatique : le Royaume-Uni va beaucoup perdre, mais nous également, alors que nous n'y sommes pour rien.

Je voudrais vous faire part d'un sentiment personnel. Nous ne voulons bien sûr pas de frontière entre l'Ulster et l'Irlande. On a voulu lier ce sujet à la question budgétaire, et de ce fait on risque de se retrouver sans accord. On aurait pu, d'un côté, traiter le problème budgétaire, et de l'autre, s'occuper de celui de la frontière. En l'absence d'accord à cause du filet de sécurité - back stop -, la frontière reviendra, et de manière brutale ! Ce n'est pas le Royaume-Uni qui la créera ; c'est l'Union européenne qui dira à l'Irlande de l'instaurer. L'Irlande ne pourra que demander à l'Union de payer, ce qu'elle fera...

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Nous pouvons transmettre à la délégation néerlandaise l'ordonnance qui a déjà été prise sur la base de la loi d'habilitation et le compte rendu des travaux que nous menons. Nous suivons presque au jour le jour le Brexit, notamment par le biais d'une lettre d'information envoyée aux sénateurs intéressés. C'est une préoccupation forte tant de la commission des affaires européennes que de celle des affaires étrangères.

Le sujet de la démocratie est assurément crucial. Il est au coeur d'une réflexion plus globale sur la dichotomie entre démocratie représentative et démocratie participative en France. Le mouvement des « gilets jaunes » relaie la demande d'une démocratie participative, avec le référendum d'initiative citoyenne pour régler les grandes questions internes à notre pays.

La question du scepticisme à l'égard de l'Europe pourrait être réglée par un raffermissement de la démocratie au sein de l'Union européenne. Mais une fois cela dit, nous n'avons pas trouvé la solution. Nous partageons le même constat que vous. En France, ce scepticisme vise même les autorités nationales. Le Président de la République a lancé un Grand débat national, auquel 2 à 3 millions de personnes auraient participé ; mais notre pays compte près de 70 millions d'habitants... Nous verrons les conclusions que le Président de la République et le Gouvernement tireront de ce débat, qui prend fin très prochainement.

Debut de section - Permalien
Joris Backer, membre de la commission des affaires européennes du Sénat des Pays-Bas

L'initiative prise par le président Macron de lancer le Grand débat national est remarquable. Nous nous battons aussi, dans notre pays, avec les questions de démocratie directe ou indirecte. Nous avions introduit la possibilité de recourir à un référendum consultatif, que nous avons supprimée par la suite après de longues discussions.

Sur la question de l'harmonisation fiscale, nous devrions accepter la proposition de la Commission de passer à la majorité qualifiée sur ce sujet. Cela représenterait un énorme pas en avant ! Pour l'instant, les Pays-Bas ne soutiennent pas cette proposition.

S'agissant de la politique de concurrence au sein de l'Union européenne, de quel marché parlons-nous ? S'agit-il du marché européen ou du marché mondial ? Est-il possible de prévoir une législation pour la concurrence mondiale ? Il ne faut pas oublier d'évoquer le pilier social : par exemple, est-il sain d'aborder les questions de santé par une approche de marché ?

Juste un dernier mot pour confirmer l'impression que Simon Sutour a pu avoir à la COSAC : en semant la méfiance, les parlementaires britanniques ont fini par la récolter. Le Royaume-Uni est-il encore uni après le Brexit ?

Debut de section - Permalien
Frits Lintmeijer, membre de la commission des affaires européennes du Sénat des Pays-Bas

Nous nous inquiétons tous de la méfiance des populations à l'égard de l'Europe. Pourtant, nos enfants sont bien plus européens que nous ne l'étions à leur âge. Les jeunes apprécient de pouvoir passer les frontières librement, de bénéficier de tarifs d'itinérance intéressants.... On ne souligne pas assez tous les avantages de l'Europe auprès de nos concitoyens.

Notre Premier ministre a évoqué à Davos nos valeurs communes : la démocratie, l'état de droit, les droits humains. Nous devons insister sur ces points.

Debut de section - Permalien
Bastiaan van Apeldoorn, président de la commission des affaires européennes du Sénat des Pays-Bas

Face aux tensions qui existent, notamment en Pologne ou au Royaume-Uni, l'Union européenne doit défendre ses valeurs communes, comme l'état de droit et la démocratie.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Nous allons être confrontés à une échéance importante, celle des élections européennes, qui sera l'heure de vérité. Nous sommes un certain nombre à regretter vivement l'absence de communication positive sur l'Union européenne. Il faut montrer le rôle important que peut jouer l'Union pour relever les challenges qui nous attendent : numérique, intelligence artificielle.

Je suis originaire d'Alsace, une région frontalière qui, après avoir connu une époque sinistre, a bénéficié d'énormes avantages grâce à la construction de l'Europe. Les jeunes considèrent que la paix est normale, tout comme la mobilité. Nous ne savons pas suffisamment communiquer sur l'intérêt d'une Union européenne efficace, qui réussit. À force de dire que c'est la faute de l'Europe, nos populations se désintéressent, se méfient, voire rejettent l'Union européenne.

Nous espérons que nous passerons le cap des élections européennes pour continuer notre chemin ensemble vers une intégration réfléchie de l'Union, car les valeurs communes que nous partageons sont aujourd'hui en danger.