Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale

Réunion du 23 juin 2021 à 16h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • alsace
  • expérimentation
  • ferroviaire
  • intérêt
  • local
  • route
  • routier
  • réseau
  • transfert

La réunion

Source

Photo de François-Noël Buffet

Je vous remercie. Nos rapporteurs Agnès Canayer et Philippe Bonnecarrère continuent avec assiduité leurs auditions en prévision de l'examen du projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire. Sur l'aspect numérique, nous souhaitons que le ministère progresse sur des points précis. Nous souhaitons que nos concitoyens retrouvent la confiance dans ce ministère régalien si important dans le climat de tensions actuel.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 20.

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -

La réunion est ouverte à 16 h 35

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Nous auditionnons Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports, sur le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale.

Debut de section - Permalien
Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports

Ce projet de loi est à la fois un texte de continuité et de clarification. Il s'agira par ce vecteur de poursuivre et de renforcer des avancées déjà amorcées telles que la décentralisation des routes entamée en 2004 et le transfert des petites lignes ferroviaires d'intérêt local aux régions avec la loi d'orientation des mobilités de 2019. Il s'agira également de poursuivre l'effort de simplification des normes, notamment en matière de maitrise d'ouvrage de travaux publics, dans la continuité de la loi d'accélération et de simplification de l'action publique de 2020.

Je vous propose ainsi de revenir sur les grands enjeux des sept articles portés par mon ministère au sein de ce texte. Notre objectif premier est de donner davantage de lisibilité dans la gestion des routes en France et d'accompagner les collectivités dans la conduite de leurs projets locaux. En premier lieu, l'article 6 du projet de loi prévoit le transfert à la carte de nouvelles routes aux départements, à la métropole de Lyon et aux métropoles de droit commun. L'article 7 propose de mettre à disposition, à titre expérimental, des routes aux régions pour une durée de cinq ans, et s'articule avec certaines dispositions du projet de loi dit « climat et résilience ». Enfin, l'article 8 prévoit le transfert de maîtrise d'ouvrage de certaines opérations d'aménagement du réseau routier national non concédé aux régions, départements, métropoles et communautés urbaines.

Ces mesures répondent à des demandes fortes des collectivités territoriales puisqu'une trentaine de départements et quelques régions nous ont déjà spontanément fait part de leur souhait de gérer de nouveaux tronçons routiers. Ce souhait devra être confirmé par les exécutifs réélus ou nouvellement élus de ces collectivités territoriales.

La question de la maîtrise d'ouvrage est un sujet de préoccupation pour les collectivités territoriales. Ce projet de loi entend offrir une solution adaptée à certains projets locaux.

Ce texte constitue une première brique : le Gouvernement a prévu le temps nécessaire pour engager les démarches et poursuit l'objectif d'un transfert effectif de compétence au 1er janvier 2024.

Ce délai est nécessaire pour nous permettre de vous présenter la carte des routes concernées conformément au délai prévu dans le projet de loi, soit deux mois après la promulgation de la loi. Un tel délai a aussi pour objectif de laisser le temps aux exécutifs locaux issus du renouvellement prochain des conseils régionaux et départementaux de réaffirmer leurs demandes. Les associations d'élus locaux soutiennent le calendrier choisi.

Je tiens également à vous rassurer : il n'y a pas de risque de « morcellement du réseau routier national ». Alors que près de 17 000 kilomètres de routes avaient été transférés en 2007, seuls 10 à 15 % des quelques 12 000 kilomètres de routes nationales et autoroutes non concédées sont concernés par le transfert prévu dans le projet de loi. D'une part, les routes visées sont d'intérêt local ou régional et, d'autre part, l'exigence pour les régions de formuler une demande portant sur l'ensemble des routes susceptibles de leur être mises à disposition vise à éviter ce morcellement.

Ce texte doit permettre de rendre plus lisible la gestion du réseau routier en France. Certaines portions de routes, comme les 50 kilomètres de routes nationales en Côte d'Or, illustrent ce besoin de rationalisation.

Je me tiens à votre disposition pour répondre à toutes vos questions sur l'expérimentation ouverte aux régions, qui est en lien avec l'éco-contribution poids lourds régionale que nous avons proposée dans le projet de loi dit « climat et résilience ».

Le deuxième objectif du projet de loi est de compléter les outils à la disposition des régions afin que celles-ci puissent être pleinement actrices de l'avenir de nos petites lignes ferroviaires. L'article 172 de la loi d'orientation des mobilités a ouvert la possibilité de transférer aux régions la gestion des lignes présentant un intérêt local. Cette mesure a été confortée par les protocoles d'accord sur les petites lignes ferroviaires proposés à chaque région. Huit d'entre elles ont déjà adopté de tels protocoles.

Le projet de loi prévoit, en complément, de permettre aux régions qui le souhaiteraient de solliciter un transfert de propriété plus large que celui se résumant aujourd'hui aux lignes et aux installations de services que sont les gares de voyageurs exclusivement dédiées à ces lignes et les voies de services qui leur sont rattachées.

À nouveau, les délais proposés par le Gouvernement pour mettre en oeuvre un tel transfert sont cohérents. Nous continuerons à échanger avec les régions sur ce sujet après les élections régionales.

Enfin, le projet de loi vise à simplifier le droit en vigueur, sans rogner sur nos engagements environnementaux. L'inertie de certains projets d'infrastructures, tels des serpents de mer qui n'émergent jamais, contribue à créer une défiance des citoyens à l'égard de la capacité d'action publique. Cela entrave parfois le développement et l'attractivité de nos territoires. Nous devons ainsi sécuriser et accélérer le déploiement des projets d'infrastructures en France.

Deux mesures de simplification sont ainsi proposées : d'une part, la clarification des personnes pouvant à titre exceptionnel apporter des concours financiers dans le cadre d'un projet autoroutier et, d'autre part, la simplification des dispositions relatives aux alignements d'arbres.

Par ailleurs, j'ai lancé il y a quelques semaines une grande démarche de consultation et de valorisation de la filière française des travaux publics. De nouvelles mesures de simplification, que nous ajouterons par amendements, pourraient en résulter, nourries par des réflexions menées conjointement avec les acteurs du secteur et les élus locaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Mathieu Darnaud

Nous souhaitons vous faire part de notre inquiétude, et même de notre incompréhension concernant le projet de transfert à la carte de certains tronçons et de certaines routes aux départements, à la métropole de Lyon et aux métropoles. Le législateur ne peut en effet concevoir d'examiner et de voter un texte sans avoir pu préalablement prendre connaissance de la liste des routes susceptibles d'être transférées aux collectivités territoriales. La méthode employée par le Gouvernement me laisse dubitatif puisque la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, entendue par la commission, nous avait affirmé que le Parlement aurait accès à la carte des routes transférées en amont de l'examen en commission du projet de loi. Ce manque d'informations s'ajoute à bien d'autres difficultés qui limitent notre capacité à expertiser le texte qui nous est soumis. Je pense ainsi aux habilitations à légiférer par ordonnances que le Gouvernement sollicite du Parlement, notamment sur la question du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA). J'espère donc que vous aurez des précisions à nous apporter sur ces points.

Je m'interroge par ailleurs sur la disposition qui consiste à transférer aux régions, à titre expérimental et pour une durée de cinq ans, une partie du réseau national routier non concédé. Au cours des auditions que nous avons menées, l'association Régions de France, de même que les vice-présidents ou présidents d'exécutifs régionaux que nous avons entendus, nous ont unanimement fait part de leur incompréhension face à la durée de l'expérimentation proposée. De nombreuses voix au Sénat ont d'ores et déjà exprimé le souhait d'allonger la période d'expérimentation de 5 à 7 ou 9 ans.

Par ailleurs, l'article 10 ouvre la faculté à toutes les collectivités territoriales et à leurs groupements d'installer des radars automatiques. Si nous partageons cet objectif, nous doutons cependant du caractère opérationnel du dispositif tel qu'il résulte de la rédaction actuelle du projet de loi. Nous pensons également qu'en l'état de sa rédaction, il est susceptible de conduire certaines collectivités à imposer leur tutelle sur une autre, comme l'a souligné le Conseil d'État dans son avis. Pensez-vous qu'une commune doive prendre en charge le traitement des constatations de contraventions émises par un radar installé par la région ou le département sur la voirie départementale ou régionale ? Pourquoi ne pas avoir prévu un traitement centralisé, assuré par l'État et mis à disposition de toutes les collectivités, des contraventions ainsi émises ?

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Gatel

J'ai déjà eu l'occasion, lors des débats sur le projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, de vous interpeller sur la question du délai de prise de la compétence « transport » par les intercommunalités. Vous imposez aux exécutifs, dont certains seront nouvellement élus, un délai de trois mois pour demander le transfert à la carte ou se porter candidat pour l'expérimentation de la mise à disposition de routes. Cela nous paraît déraisonnable. Nous serions au contraire favorables à l'allongement à un an de ces délais.

Le projet de loi prévoit par ailleurs la libre participation de régions à l'expérimentation d'un transfert de la gestion de certaines routes. Il n'est toutefois prévu aucune marge de manoeuvre pour les régions souhaitant participer à l'expérimentation d'un transfert de la gestion de certaines routes. Les régions doivent demander la gestion de l'ensemble des routes susceptibles d'être mises à leur disposition et des routes non sollicitées par les départements et métropoles. Pourquoi n'avoir pas prévu que les régions volontaires puissent choisir les routes qu'elles souhaitent gérer ?

Par ailleurs, les procédures proposées présentent le risque de générer une multitude de demandes concurrentes émises par différentes collectivités. Pour éviter cela, nous pourrions organiser une concertation sous l'égide du préfet entre les métropoles, les départements et les régions, de façon à construire un système cohérent.

À chaque nouveau transfert de compétences, les sénateurs s'interrogent sur les modalités de la compensation financière assurée par l'État. Nous connaissons l'état fortement dégradé des routes et ouvrages d'art du domaine routier national non concédé qui seraient susceptibles d'être transférés ou mis à disposition des collectivités. Comment allez-vous permettre aux collectivités de connaitre, préalablement à l'introduction d'une demande de transfert ou de mise à disposition, l'état du réseau qu'elle pourrait gérer ? L'État a-t-il prévu de les accompagner pour remettre en état le réseau routier ?

Enfin, le Sénat a adopté une proposition de loi constitutionnelle et une proposition de loi organique relatives au plein exercice des libertés locales, sur les expérimentations, leur évaluation et l'issue de ces dernières. Il s'est également montré attentif à la question de l'évaluation des expérimentations dans le cadre de l'examen du projet de loi organique relatif à la simplification des expérimentations mises en oeuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution. Or, les dispositions relatives au bilan de l'expérimentation du transfert des routes aux régions sont particulièrement timides et le texte comme l'étude d'impact sont muets sur l'issue de l'expérimentation. Quelles précisions êtes-vous en mesure d'apporter sur ces points particulièrement importants pour le Sénat ? Sera-t-il possible de permettre aux collectivités qui ont expérimenté la prise de compétence de la pérenniser, sans généraliser l'expérimentation ? Nous redoutons qu'au nom du principe d'égalité, cette expérimentation voulue par certaines collectivités puisse être imposée à d'autres. Vous comprendrez que les parlementaires ont besoin de connaître les issues possibles de l'expérimentation avant d'adopter un tel dispositif.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gueret

Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger plus particulièrement sur l'article 9 du projet de loi qui concerne le transfert des petites lignes ferroviaires aux régions. Cet article complète le dispositif introduit par l'article 172 de la loi d'orientation des mobilités de 2019. Il s'articule avec le rapport Philizot sur les lignes de desserte fine qui prévoyait un plan d'action pour sauver les petites lignes ferroviaires selon trois catégories. Le rapport préconise que les lignes relevant du réseau structurant demeurent dans le giron de SNCF Réseau. D'autres lignes auraient vocation à être financées conjointement par l'État et les régions à travers les contrats de plan État-Région. Enfin, certaines lignes d'intérêt local auraient vocation à être transférées aux régions. C'est de cette troisième catégorie que traite le projet de loi.

Je suis favorable à l'idée de permettre aux régions de prendre en charge la gestion d'infrastructures ferroviaires d'intérêt local car cela renforcera l'implication des régions dans les politiques de transport et de favoriser l'adéquation de la gestion de ces lignes avec les besoins de mobilité qui sont propres à chaque territoire. Toutefois, le risque d'éclatement du réseau n'est pas négligeable et requiert votre vigilance. Les lignes de desserte fine, même lorsqu'elles sont d'intérêt local ou régional, ne constituent pas un réseau étanche, mais bien des segments du réseau national dont il importe d'assurer la cohérence. Quelles précautions allez-vous prendre pour assurer une coordination technique rigoureuse avec SNCF Réseau et les futurs gestionnaires des petites lignes ?

Par ailleurs, permettez-moi de m'écarter un peu du champ de l'article 9 pour vous interroger sur le sort des petites lignes dont le renouvellement sera financé conjointement par l'État et les régions. Celles-ci s'interrogent sur l'avenir du financement de ces lignes qui ont souffert, comme vous le savez, d'un sous-investissement chronique pendant des années. Or, le volet « transport » des contrats de plan État-Région expirera en 2022, ce qui ne permet pas de disposer d'une visibilité suffisante. Quelles réponses pouvez-vous vous apporter aux régions en la matière ?

Enfin, je souhaite vous interroger sur la compensation financière du transfert de la gestion des petites lignes. Dans son avis sur l'avant-projet du décret portant application de l'article 172 de la loi d'orientation des mobilités, l'Autorité de régulation des transports relevait que les modalités d'évaluation de ces compensations pourraient s'avérer difficiles à mettre en oeuvre. SNCF Réseau n'est pas en capacité, à ce stade, de déterminer de manière précise et fiable les coûts de gestion de l'infrastructure imputable au service de transport ferroviaire à l'échelle d'une région. Il semble a fortiori encore plus difficile d'opérer ce calcul à l'échelle de quelques lignes ou de segments de ligne. Comment allez-vous assurer la neutralité du transfert au niveau financier, tant pour SNCF Réseau que pour les régions, en l'absence d'une méthode de calcul pleinement opérante ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Marc

Comme l'a souligné Mathieu Darnaud, il nous importe de connaître les routes concernées par les transferts prévus dans ce projet de loi. Dans l'Aveyron, par exemple, la route nationale 88, qui relie Toulouse à Lyon, a été financée à environ 24 % par le département de l'Aveyron, 24 % par l'ancienne région Midi-Pyrénées et le reste par l'État. Les travaux supplémentaires ont été financés par les trois partenaires. Je peux vous assurer que si le département avait été maître d'ouvrage, ce qui lui a été refusé, nous n'aurions pas eu à financer ces 10 millions d'euros de travaux supplémentaires. La route nationale 88 fait-elle partie des routes susceptibles d'être transférées à la région ?

D'autre part, les régions ne disposent, à l'heure actuelle, d'aucune compétence en matière de routes, contrairement à l'État qui dispose de moyens humains dédiés. Avez-vous prévu qu'à terme, les régions puissent déléguer la gestion des routes aux départements concernés ?

Plusieurs régions peuvent être concernées par la même route. La route nationale 88, qui est majoritairement située en région Occitanie, traverse aussi la région Auvergne-Rhône-Alpes. D'un point de vue pratique, comment envisagez-vous la répartition des travaux futurs ? Est-ce que l'État participera à leur financement ? Il paraît essentiel, dans ce cas, de définir par le biais de la contractualisation les modalités de gestion de cet itinéraire important pour un département comme l'Aveyron.

Cet exemple montre à quel point il sera difficile de décentraliser la gestion des routes, même si je suis favorable, à titre personnel, à cette initiative. Tous les exemples antérieurs de décentralisation montrent qu'une compétence est mieux gérée au plus près du terrain qu'au niveau national.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Ma question porte également sur la décentralisation de cette compétence aux régions. Il est prévu dans le projet de loi dit « climat et résilience » qu'une ordonnance précise les modalités de mise en oeuvre d'une écotaxe pour le transit routier au sein de la Collectivité européenne d'Alsace (CEA). Cela fait suite au transfert par la loi relative aux compétences de la CEA de 2019 de la compétence sur ces routes et sur les autoroutes non concédées.

Dans quelle mesure la compétence transférée à la CEA en matière de routes est-elle susceptible d'interférer avec la nouvelle compétence qui pourrait être donnée à la région Grand Est en la matière ?

Je rejoins les propos de Mathieu Darnaud et d'Alain Marc : à ma connaissance, les régions ne sont pas compétentes en matière de gestion de routes et ne disposent donc pas des moyens humains pour exercer cette mission.

Par ailleurs, qu'adviendra-t-il des autoroutes non concédées sur le reste du territoire français ?

Debut de section - Permalien
Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué

J'ai rappelé dans mon propos liminaire le calendrier de mise en oeuvre des réformes envisagées. En ce qui concerne la transmission de la carte des routes susceptibles d'être transférées, le projet de loi prévoit la publication par décret, au plus tard deux mois après la publication de la loi. Ce délai s'explique notamment par le fait que les services du ministère sont en train de finaliser la sélection des tronçons les plus pertinents. D'autre part, nous ne souhaitons pas nous exprimer en période de réserve électorale sur des sujets ayant trait aux compétences des départements et régions. Je tiens également à vous préciser que le renouvellement en cours des exécutifs départementaux et régionaux ralentit par nature l'avancée de ces travaux.

Néanmoins, je suis en mesure de vous apporter plusieurs précisions. À ce jour, au moins trente départements et quelques régions ont manifesté leur intérêt pour cette expérimentation. Cela restera évidemment à confirmer après le second tour des élections régionales et départementales qui se déroulera le 27 juin.

Par ailleurs, nous avons défini des critères de sélection pour établir la liste initiale publiée par l'État des routes concernées. Ces critères sont élaborés en tenant compte des caractéristiques de l'itinéraire au niveau local, régional et interrégional. Le réseau routier national qui a vocation à être transféré aux départements et aux métropoles répond à trois critères. En premier lieu, la route ne doit pas faire partie des itinéraires dont le transfert était prévu par la loi relative aux libertés et responsabilités locales de 2004. En second lieu, son transfert ne doit pas susciter une forte opposition de la part des collectivités concernées. Enfin, les tronçons doivent jouer un rôle important dans les échanges régionaux et départementaux, et leur transfert ne doit pas remettre en cause le maillage du territoire et du reste du réseau routier national qui demeurera très important.

Le réseau national qui a vocation à être proposé aux régions est pour sa part constitué d'itinéraires structurants à l'échelle régionale. Il ne comporte pas les grands axes de transit inter-régionaux. Je précise que les collectivités ont d'ores et déjà été associées à ces premières réflexions.

En ce qui concerne la mise en oeuvre du principe de subsidiarité, ce projet de loi prévoit que les métropoles qui en feront la demande seront prioritaires sur les départements pour mener à bien des projets d'intérêt local. Le principe de subsidiarité a été introduit à la demande des collectivités territoriales qui l'ont réclamé de façon unanime. Le même mécanisme sera mis en oeuvre pour les régions.

Sur la question du délai de transmission des demandes formulées par les collectivités territoriales, je précise que celles-ci ne disposent pas de trois mais de cinq mois au total puisqu'elles peuvent se manifester dans les deux mois précédant la publication du décret. Elles disposent ensuite d'un délai supplémentaire de trois mois. J'ai cependant bien pris note de votre volonté de rallonger ce délai.

J'ajoute que l'État se réserve la possibilité de ne retenir que partiellement une demande exprimée par une collectivité afin de préserver la cohérence du réseau routier national et d'éviter son morcellement.

À l'heure actuelle, 21 000 kilomètres de voies nationales appartiennent à l'État avec 9 000 kilomètres d'autoroutes concédées et un peu moins de 12 000 kilomètres d'autoroutes et de routes nationales non concédées. 381 000 kilomètres de routes départementales appartiennent d'ores et déjà aux conseils départementaux et plus de 700 000 kilomètres de routes et de rues appartiennent aux communes. Je vous confirme que les conseils régionaux ne sont gestionnaires d'aucun réseau routier.

Pour répondre aux interrogations sur l'état du réseau routier national, je vous indique que les directions interdépartementales des routes (DIR) ont procédé en 2017 à un audit très précis de ce réseau qui nous a permis d'acquérir une bonne connaissance de la situation. Ces diagnostics seront mis à la disposition des collectivités territoriales. Certains le sont d'ores et déjà.

Par ailleurs, le déploiement des radars automatiques par les collectivités territoriales prévu à l'article 10 du projet de loi est un sujet qui relève du ministère de l'intérieur. Je propose de vous faire parvenir une réponse écrite à cette question.

En ce qui concerne l'issue de l'expérimentation proposée, nous prévoyons d'en dresser un bilan afin de déterminer si le dispositif fonctionne ainsi que les pistes d'amélioration possibles. À son issue, un nouveau véhicule législatif permettra éventuellement d'élargir ou de pérenniser cette expérimentation.

Le projet de loi prévoit effectivement que cette expérimentation dure cinq ans. La ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales a déjà eu l'occasion de dire qu'elle n'était pas opposée à un allongement de ce délai. C'est également la position de mon ministère. Nous aurons à définir ensemble précisément cette durée, mais j'ai bien noté que vous souhaitiez allonger la durée de l'expérimentation d'environ 3 ans.

Enfin, sur la question du transport ferroviaire, les dispositions du projet de loi confortent la région comme chef de file de la compétence « transport » en matière ferroviaire. La région s'est déjà vue renforcée dans ce rôle par l'article 172 de la loi d'orientation des mobilités. Ce projet de loi s'inscrit dans la même philosophie à travers la reprise par l'État du réseau le plus circulé, le cofinancement du réseau intermédiaire et la possibilité pour les régions qui en font la demande de reprendre le financement à 100 % des lignes d'intérêt local. Cela ne signifie pas forcément qu'elles veulent un transfert de gestion. Certaines régions, comme la Bourgogne Franche-Comté, veulent continuer de confier la gestion à SNCF Réseau. Néanmoins, trois régions ont formellement confirmé leur intention à l'État de recourir à un tel transfert de gestion voire un transfert de propriété. Certaines ont déjà communiqué à cet effet et le projet de loi prévoit une disposition qui permettra aux régions qui le souhaiteraient de solliciter de façon plus globale un transfert de propriété des lignes ferroviaires d'intérêt local ou régional à faible trafic. Sur la dimension sécurité et interopérabilité, le réseau ferroviaire, même transféré, restera soumis aux impératifs de certification de l'Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF) ou du Service Technique des Remontées Mécaniques et des Transports Guidés (STRMTG) quand cela sera le cas. Nous ne transigerons pas sur ces sujets. Nous connaissons déjà le cas a contrario où la gestion est confiée à une infrastructure privée, comme la ligne à grande vitesse entre Tours et Bordeaux.

Sur les soultes compensant les transferts des petites lignes ferroviaires, la SNCF aura toujours dans ce cas-là à financer le coût d'exploitation. Les économies seront reversées de façon pluriannuelle avec les régions. Sur la partie cofinancement en général prévue par les CPER, ou mise à jour par les pactes qui ont été signés avec les régions, les engagements pris par l'État demeurent, et il y a une discussion sur les soultes éventuelles avec les régions qui en font la demande. Ces discussions seront affinées à la suite de la signature des protocoles.

Sur la question de la route nationale 88, des demandes ont été évoquées, mais les demandes ne sont pas toujours identiques selon le département ou la région. Le principe de subsidiarité s'appliquera. La région pourra transférer l'exploitation et la gestion de certaines routes, par le biais d'un transfert croisé, aux départements, qui ont déjà d'ailleurs des ressources et des compétences en matière d'entretien et d'ingénierie routiers. Si un investissement est inscrit dans le CPER actuel ou à venir, il sera maintenu. La date d'effectivité est prévue au 1er janvier 2024. Il y aura donc de nouveau un volet routier dans le prochain CPER.

Sur l'éco-contribution poids lourds, nous avons voulu, dans le projet dit « climat et résilience » actuellement en discussion, sur le modèle de la Collectivité européenne d'Alsace, donner aux collectivités qui en expriment le besoin, la possibilité de mettre en oeuvre cette éco-contribution. Les critères sont laissés très largement à l'appréciation des collectivités, avec plusieurs modèles possibles ; celui de la Collectivité européenne d'Alsace étant un modèle très particulier.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Gatel

Il me semble que vous n'avez pas répondu à ma question sur l'intérêt d'une concertation préalable des collectivités ayant formulé des demandes concurrentes pour le transfert de routes, de sorte que celui-ci réussisse. Pour les métropoles, il peut y avoir des rocades qui font l'objet de conflits d'usage : elles se situent entre la desserte urbaine et la desserte d'autoroutes. Par exemple, les rocades, de Strasbourg à Brest, sont encombrées par un usage quotidien et local.

J'ai aussi une réflexion sur la question des personnels, qui peut être un frein et une difficulté pour ces transferts. Pour les départements qui le souhaitent, ils bénéficieront d'un transfert de compétence définitif, et des personnels de l'État seront transférés. Pour les régions volontaires, il est prévu une expérimentation, les personnels seront donc dans un premier temps mis à disposition mais est-ce qu'ils seront définitivement transférés aux régions à l'issue de l'expérimentation ? Il y a des craintes et des peurs de la part de ces personnels. Il faudra y être vigilant pendant cette période d'expérimentation, qui doit, toutefois, je le redis être suffisamment longue pour être utile.

Enfin, nous sommes intéressés par votre réponse sur la question d'un possible transfert de la compétence mobilité aux pôles métropolitains, après accord de l'ensemble de leurs intercommunalités, dont certains sont transfrontaliers comme en Haute-Savoie avec Genève.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Ma question porte sur deux éléments. En premier lieu, des interférences sont possibles puisqu'un texte existant confie à la Collectivité européenne d'Alsace la gestion des routes nationales et des routes non concédées sur son territoire. Dans la mesure où vous envisagez d'accorder cette compétence aux régions, et notamment à la région Grand Est, il y a des possibilités d'interférences sur ce type de routes. En second lieu, compte tenu de l'ordonnance qui vient d'être prise sur l'éco-contribution mise en place par la Collectivité européenne d'Alsace, le risque d'une extension de cette écotaxe aux routes gérées par la région Grand Est ne doit pas reproduire ce qu'on a déjà vécu en Alsace. Il y a vingt ans, un collègue parlementaire alsacien, Yves Bur, avait fait passer le principe d'une taxe de ce type pour la seule Alsace. Or, ultérieurement cette taxe n'a pas pu être mise en application du fait d'une volonté entre temps de création d'une écotaxe nationale. L'échec de cette écotaxe a eu pour effet de nous faire perdre vingt ans.

Debut de section - Permalien
Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué

J'ai été imprécis sur la concertation préalable. Elle aura lieu sous l'égide du préfet avec les différents niveaux de collectivités, de même que pour l'éco-contribution.

Sur les personnels, il faut relever au préalable qu'il est question d'une décentralisation d'environ 10% du réseau routier national non concédé, soit 10 à 15 % des 12 000 kilomètres de routes gérées par l'État. Il est donc possible de rassurer les personnels. Dans l'hypothèse où les expérimentations seraient concluantes, les personnels auraient vocation à intégrer les services des régions.

Sur la compétence mobilité des pôles métropolitains, le Gouvernement y est favorable sur le principe. Un amendement a été présenté en séance sur le projet de loi dit « climat et résilience » mais a été déclaré irrecevable. Sur la contribution poids lourds, l'articulation aura lieu sous l'égide du préfet. Les réseaux de la Collectivité européenne d'Alsace et ceux transférés aux autres collectivités seront bien distincts. Cette distinction correspond à la lettre des textes proposés, et pour certains votés.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Belrhiti

Sur l'écotaxe, en l'accordant à la Collectivité européenne d'Alsace, le report du transport va se faire sur la A31 en Moselle, qui est déjà saturée. J'ai déposé des amendements sur ce sujet sur le projet de loi dit « climat et résilience ». Il était question à un moment de faire une A32, pour désengorger l'autoroute A31 et cela a été refusé. Il y a deux ans, le Sénat était en faveur d'une écotaxe, mais le Gouvernement avait refusé. Cette question est aujourd'hui essentielle dès lors que la Collectivité européenne d'Alsace va l'obtenir et la mettre en place en 2024. Or, le texte qui est présenté ne nous permettrait de la mettre en place qu'en 2028 et sous conditions. Le sillon mosellan va se retrouver dans une situation critique.

Debut de section - Permalien
Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué

J'ai été alerté sur ce sujet. L'article 32 du projet de loi dit « climat et résilience » permettra justement à la région de se saisir d'un nouvel outil. En revanche, sur la date de mise en service en 2028, il existe des délais incompressibles pour la Collectivité européenne d'Alsace mais il n'y a pas de durée minimale ou globale sur la procédure pour une prise d'effectivité. L'objectif de 2028 n'est pas le projet du Gouvernement. Seul le texte modifié par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat évoque cette date.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Je vous remercie, Monsieur le ministre.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion, suspendue à 17 h 20, est reprise à 18h05

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Nous sommes heureux de vous recevoir, monsieur le président, pour la présentation du rapport annuel de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et est retransmise en direct sur le site du Sénat.

Vous avez été nommé à la tête de la Haute Autorité le 30 janvier 2020, à un moment important pour cette institution, qui s'est vu reconnaître des compétences nouvelles par la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019. Quel bilan faites-vous de cette première année de présidence ?

La Haute Autorité formule, dans son rapport annuel, plusieurs propositions d'évolutions législatives d'inégale importance, qui concernent aussi bien les obligations déclaratives des responsables publics que l'encadrement de l'activité des représentants d'intérêts, ou encore le contrôle de la reconversion professionnelle des agents publics.

L'une de ces recommandations retient particulièrement l'attention : elle consiste à redéfinir le délit de prise illégale d'intérêts prévu à l'article 432-12 du code pénal, afin de limiter le risque de condamnation injustifiée pesant, par exemple, sur des élus locaux qui représentent leur collectivité au conseil d'administration d'un établissement public industriel et commercial (EPIC) ou d'une entreprise publique locale. C'est une question importante, que le Sénat a abordée à plusieurs reprises, car la jurisprudence judiciaire mène dans ces cas particuliers à une quasi-paralysie de l'action publique.

Vous reprenez à votre compte la proposition de rédaction faite en 2011 par la commission pour la prévention des conflits d'intérêts, présidée par M. Jean Marc Sauvé, consistant à substituer à la notion d'« intérêt quelconque » celle d'un « intérêt de nature à compromettre l'impartialité, l'indépendance ou l'objectivité de la personne ». Qu'apporterait, en pratique, une telle formulation ?

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique

Je vous remercie pour votre invitation à échanger sur le rapport d'activité de la Haute Autorité, que j'ai eu l'occasion de présenter récemment. C'est une publication importante, qui contribue à mieux faire connaître notre jeune institution. Nous avons tenu à rendre compte de nos missions de la manière la plus exhaustive possible. Nous nous sommes également attachés à préconiser quelques améliorations du cadre juridique de la transparence, de la prévention des conflits d'intérêts et de la lutte contre les atteintes à la probité.

Trois faits importants ont impacté de manière significative l'activité de la Haute Autorité au cours de l'année 2020. Le premier relève de la crise sanitaire. Pour y faire face, nous avons mis en oeuvre un vaste plan de continuité de l'activité. Celui-ci s'est concrétisé par l'accélération de la transformation numérique de notre institution, ainsi que par la formalisation de procédures liées à l'hygiène et à la sécurité.

En raison de l'activité toujours soutenue et des délais impartis à la Haute Autorité, le collège a continué de siéger. Son rythme de réunion s'est même intensifié. Au plus fort de la crise, entre la mi-mars et la mi-mai, il a pu examiner près de 1 500 déclarations et adopter une quarantaine de délibérations.

La covid-19 a aussi entrainé une prorogation des délais de dépôt des déclarations. Devant la très grande difficulté pour les personnes élues au premier tour des élections municipales de procéder à l'installation du conseil et à l'élection des maires, la Haute Autorité a étendu jusqu'au 24 août 2020 la date de dépôt des déclarations de patrimoine et d'intérêts, dans le respect des mesures exceptionnelles prises par le Gouvernement et le Parlement.

Les représentants d'intérêts dont la clôture d'exercice des comptes est fixée le 31 décembre, et qui devaient effectuer leur inscription ou déposer leurs déclarations avant le 31 mars 2020, ont, de la même façon, pu effectuer ces démarches jusqu'au 24 août 2020.

Pour prévenir d'éventuelles incompréhensions de la part des intéressés, la Haute Autorité a maintenu sa mission d'assistance. Elle a édité deux brochures en lien avec les élections municipales - l'une pour les exécutifs locaux, l'autre pour les directions des cabinets des maires et des présidents d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) - afin de clarifier au mieux leurs obligations déclaratives.

De mon côté, j'ai explicité devant votre commission, dans le cadre de la mission de contrôle des mesures liées à l'épidémie de la covid-19, les différentes mesures et le rôle joué la Haute Autorité dans ce contexte exceptionnel.

Les nombreuses échéances électorales de l'année 2020 ont abouti à la transmission d'un nombre record de déclarations auprès de la Haute Autorité

Les 17 000 déclarations reçues ne proviennent pas toutes des élus locaux, mais ces derniers représentent la majorité de leurs auteurs pour cette année. Je n'oublie pas les déclarations des 172 sénateurs élus ou réélus en septembre dernier et qui nous sont parvenues en cette fin d'année 2020.

L'important travail de sensibilisation de la Haute Autorité n'est pas étranger à ce nombre record de dépôts que nous avons enregistré. À la fin du délai légal de dépôt, les exécutifs locaux étaient majoritairement en défaut : plus de la moitié des maires et plus des deux tiers des présidents d'EPCI n'avaient pas transmis leurs déclarations. Nous les avons relancés, toujours à l'amiable, parfois par voie d'injonction, pour parvenir à un taux de conformité finalement satisfaisant : 100 % pour les maires, et plus de 90 % pour les adjoints et les présidents d'EPCI.

Pour ce qui concerne les sénateurs, la totalité de ceux faisant partie de la série 2 ont déposé leur déclaration de fin de mandat dans les délais impartis. Nous avons ensuite alerté les services du Sénat quant au risque particulier de non-remboursement des frais de campagne auxquels s'exposaient les nouveaux élus s'ils ne transmettaient pas leur déclaration de patrimoine dans les deux mois suivant leur élection. Ce rappel nous a paru important, puisqu'il s'agissait des premiers élus concernés par cette mesure. Tous les sénateurs se sont acquittés de leurs obligations déclaratives, de sorte qu'aucune transmission au parquet pour non-dépôt de déclaration n'a été décidée.

Les déclarations ont ensuite fait l'objet d'un contrôle au fond, selon un plan établi par le collège. Là aussi, le bilan est mitigé, d'où mon insistance pour que les responsables publics soient mieux sensibilisés sur leurs obligations. Les 2 500 contrôles que la Haute Autorité a menés en 2020 ont effectivement révélé une diminution de la proportion des déclarations conformes aux exigences d'exactitude, d'exhaustivité et de sincérité, celle-ci passant de 73 % en 2019 à 53 %. En revanche, les irrégularités constatées restent le plus souvent mineures et n'appellent que de simples demandes de déclaration rectificative. Seuls dix dossiers ont été transmis à la justice pour des irrégularités graves, principalement pour des suspicions de prise illégale d'intérêts ; et un seul responsable public a fait l'objet d'une appréciation.

Je voudrais enfin revenir rapidement sur l'entrée en vigueur de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, qui a attribué une nouvelle compétence à la Haute Autorité : le contrôle des mobilités entre les secteurs public et privé.

L'accueil de cette nouvelle mission a représenté un double défi pour nous.

Un défi en interne d'abord, parce que nous avons dû nous organiser pour exercer cette nouvelle activité, alors même que nous ne disposions pas, au départ, de l'intégralité des emplois de l'ancienne commission de déontologie de la fonction publique. De plus, le collège de la Haute Autorité s'est renforcé de quatre nouveaux membres et a intensifié ses réunions de travail pour épuiser des ordres du jour de plus en plus importants.

Ce volet de notre activité est d'ailleurs devenu primordial car aux responsables publics s'ajoutent désormais près de 20 000 agents publics. Les agents s'y impliquent beaucoup car nous voulons fournir un accompagnement personnalisé aux responsables et agents publics, que ce soit dans le cadre de l'élaboration de leurs déclarations ou de problématiques déontologiques rencontrées au cours de l'exercice des fonctions. Notre hotline a ainsi traité plus de 6 000 appels. Elle a aussi répondu à 2 500 mails. Notre « Guide du déclarant » a régulièrement été mis à jour pour tenir compte de l'évolution de notre doctrine. Comme je l'ai brièvement évoqué tout à l'heure, des brochures à destination de publics spécifiques ont été éditées pour adapter l'explicitation des obligations déclaratives et déontologiques à chaque situation. Enfin, je rappelle à tous les autres responsables publics mentionnés par la loi du 11 octobre 2013, dont les sénateurs, qu'il est possible de solliciter la Haute Autorité pour recevoir un avis sur des questions d'ordre déontologique en lien avec l'exercice de leurs fonctions. Il peut s'agir d'un cumul de fonctions avec une activité professionnelle privée, d'un conflit d'intérêts lié à sa situation familiale ou, encore, d'une reconversion professionnelle. En 2020, nous avons été saisis 30 fois à ce titre, et il semble que nous le serons encore davantage en 2021.

Un défi en externe aussi, parce qu'à travers cette nouvelle compétence, la Haute Autorité s'est érigée en tête de réseau des contrôles déontologiques au sein de la fonction publique. Elle rend désormais des avis sur des pré-nominations, des reconversions professionnelles et des cumuls d'activités, que ce soit directement pour les emplois publics les plus sensibles, ou à titre subsidiaire, lorsque les autorités hiérarchiques ont un doute sérieux sur la compatibilité du projet professionnel d'un de leurs agents, non levé par leur référent déontologue, pour les autres emplois publics. Au total, elle a été saisie plus de 500 fois en onze mois.

Le taux élevé d'avis d'incompatibilité ou d'irrecevabilité, plus d'un tiers, témoigne d'une appropriation encore insuffisante du dispositif par les administrations et nous oblige à poursuivre notre mission de pédagogie.

Concernant les contrôles menés au fond, la Haute Autorité a très largement constaté que le projet poursuivi par l'agent était compatible avec ses anciennes fonctions, mais a assorti ses avis de réserves dans la moitié des cas. Soucieuse de diffuser son expertise en la matière, elle a publié en février dernier un guide déontologique sur le contrôle et la prévention des conflits d'intérêts, principalement à destination des référents déontologues. Par ailleurs, elle alimente une sélection d'avis rendus par le collège accessible à tous sur son site Internet. Ils sont publiés intégralement lorsqu'il s'agit de ministres ou d'élus, sous forme de résumé lorsqu'il s'agit de fonctionnaires, lorsque cela correspond à un élément de doctrine qu'il est intéressant de diffuser.

Notre première expérience du contrôle de la reconversion professionnelle dans le secteur privé des agents publics nous a permis de relever quelques insuffisances. Par exemple, les agents d'un EPIC, à l'image de l'Union des groupements d'achats publics ou la Société de livraison des ouvrages Olympiques, ou de la Caisse des dépôts, ne se soumettent pas à un contrôle déontologique lorsqu'ils quittent leur emploi pour rejoindre une entreprise privée parce que leur départ s'analyse comme une mobilité du privé vers le privé. Pourtant leurs liens sont étroits avec les entreprises, ce qui imposerait d'être vigilants. Quant aux magistrats et aux militaires, ils appartiennent à des corps qui ne prévoient pas de telles obligations. Un magistrat du parquet national financier a ainsi rejoint un cabinet d'avocats d'affaires américain. Or, ces personnes restent tout de même exposées à des risques déontologiques et pénaux qui justifient, à mon avis, une extension des compétences de la Haute Autorité apprécier leur projet de reconversion professionnelle.

Nous formulons aussi des propositions pour parfaire le dispositif légal de la transparence dans notre pays. Je pense notamment à celle tendant à préciser le délit de prise illégale d'intérêts.

Ce délit touche principalement les élus locaux, alors même qu'ils n'ont pas toujours conscience d'être en situation d'infraction. Cela s'explique, je crois, par une définition relativement imprécise, l'article 432-12 du code pénal punissant toute « personne investie d'un mandat électif public [qui prend, reçoit ou conserve], directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance [et] l'administration ».

Cette notion d'« intérêt quelconque » déconcerte parce qu'elle débouche sur un champ matériel trop large. Elle reste, par exemple, indifférente à l'intérêt communal ; l'élu peut commettre un délit alors même qu'il n'a retiré aucun profit et que l'intérêt en cause n'entre pas en contradiction avec l'intérêt de sa commune. Elle admet également des intérêts moraux variés, à l'instar des liens d'amitié.

Aussi, la Haute Autorité demande-t-elle de préciser l'intérêt à sanctionner en substituant à la notion d'« intérêt quelconque» celle d'un intérêt «de nature à compromettre l'impartialité, l'indépendance ou l'objectivité » de la personne. Il s'agit d'une proposition déjà formulée par la commission de réflexion sur la prévention des conflits d'intérêts, que présidait Jean-Marc Sauvé, à laquelle j'avais participé. Je crois qu'une précision en ce sens à l'article 432-12 du code pénal serait utile, tout en conservant l'incrimination pénale pour les cas où elle est justifiée. Il est, en effet, indispensable que tout manquement à la probité puisse être sanctionné.

L'article 432-12 du code pénal peut aussi entrer en contradiction avec le droit des collectivités territoriales, lequel autorise un élu à siéger ès qualités au sein des établissements publics à caractère industriel et commercial, des sociétés d'économie mixte ou des sociétés publiques locales dont leur collectivité est actionnaire. Par extension, le droit des collectivités territoriales leur donne le droit de participer aux délibérations de leur collectivité portant sur l'un de ces organismes.

Pour éviter qu'un élu ne se retrouve condamné alors qu'il ne faisait que rendre compte de son activité à l'assemblée délibérante, la Haute Autorité suggère d'ajouter un nouvel alinéa à l'article 432-12 du code pénal, pour que l'élu siégeant, en tant que représentant de sa collectivité, aux organes dirigeants de tels organismes, puisse participer aux décisions de sa collectivité qui y sont relatives, à l'exception de celles lui procurant un avantage personnel comme, par exemple, sa rémunération ou son indemnité de fonctions, de celles qui visent attribution de subventions ou de celles concernant les marchés publics et les concessions.

La Haute Autorité défend également une deuxième série de propositions en lien avec l'encadrement du lobbying. Je vous sais particulièrement sensibles à cette thématique. À l'occasion de chaque projet de loi cherchant à réguler la représentation des intérêts en France, vous vous êtes souciés de concevoir un dispositif efficace. Vous avez pu notamment exprimer des craintes quant à une extension précipitée du répertoire aux collectivités territoriales.

Aujourd'hui, force est de le constater, le dispositif actuellement en vigueur, et qui ne concerne que les actions menées auprès des responsables publics nationaux, n'est pas vraiment satisfaisant, en particulier en raison du décret d'application du 9 mai 2017 qui peut contrarier l'esprit du législateur.

Les critères d'identification des représentants d'intérêts me paraissent aussi absurdes qu'injustes. Il en va ainsi du critère de l'initiative, qui exclut de notre répertoire toutes les actions de représentation d'intérêts exercées dans le cadre d'échanges et de réunions initiées par les responsables publics. Cela avantage les grandes structures. Il en va de même pour le seuil d'actions nécessaires pour déclencher une inscription au répertoire : celui-ci est appréhendé au niveau des salariés de la société, et non à l'échelle de la société elle-même, ce qui aboutit à cette situation incongrue où une entreprise affectant dix personnes pour défendre ses intérêts dans la limite de neuf actions chacune, soit 90 actions au total, n'aurait pas à se signaler auprès de nos services, tandis qu'une autre, employant une personne pour défendre ses intérêts avec un total de dix actions menées sur l'année, devrait le faire.

Nous menons actuellement un travail pour établir un premier bilan sur l'encadrement du lobbying au niveau national. Nous vous le remettrons au mois de septembre. Il permettra d'en saisir les forces et les faiblesses. Nous étudions la pertinence d'une extension du répertoire aux collectivités territoriales. J'espère que nous pourrons vous faire des propositions pour une application à l'été 2022. Plus largement, cette étude défendra des mesures pour rendre plus pertinente et plus ciblée la régulation du lobbying en France.

Enfin, je voudrais terminer mon propos par des propositions qui pourraient être reprises à l'occasion des travaux sur la loi 4D.

La première part de la difficulté qu'ont les élus à déterminer la date à partir de laquelle démarre le délai légal du dépôt de leur déclaration de situation patrimoniale de fin de mandat : faut-il se baser sur la date de l'élection ou sur celle de l'installation du nouveau titulaire du mandat ? La situation est d'autant plus insatisfaisante que dorénavant, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, tout retard dans le dépôt de la déclaration de fin de mandat risque de causer le non-remboursement des frais de campagne si l'élu est renouvelé dans ses fonctions. Par conséquent, la Haute Autorité recommande de fixer une date précise pour le dépôt de ces déclarations ; en l'occurrence, la date de l'élection, ou, le cas échéant, la date du premier tour de l'élection.

La deuxième proposition concerne les élus qui démissionnent quelques jours après leur élection. Cette hypothèse s'est notamment rencontrée plusieurs fois à la suite des élections sénatoriales. Qu'importe la durée de son mandat, l'élu doit remplir des déclarations dès l'instant où il débute son mandat. Ne pas s'y soumettre l'exposerait, encore une fois, au non-remboursement de ses frais de campagne. Or, dans cette situation ; une telle obligation me semble à la fois superflue et excessive, dans la mesure où les risques peuvent être considérés comme limités lorsqu'ils sont appréhendés sur une durée aussi courte. De plus, la Haute Autorité ne fait pas de ces déclarations un contrôle prioritaire. C'est la raison pour laquelle, nous proposons de supprimer cette obligation lorsqu'un élu est resté moins de deux mois en fonctions.

Enfin, la troisième proposition cherche à limiter le dépôt à une seule déclaration d'intérêts par personne, malgré le cumul des mandats ou des fonctions. En l'état actuel des textes, et notamment d'une annexe du décret du 23 décembre 2013, une déclaration d'intérêts pour chacun des mandats est demandée dès l'instant où il s'agit d'une responsabilité entrant dans le champ d'application de l'article 11 de la loi du 11 octobre 2013. Il est donc tout à fait envisageable qu'une seule et même personne, à la fois maire d'une commune de plus de 20 000 habitants, vice-président d'un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), président d'une société publique locale (SPL) et président d'un office public de l'habitat (OPH), doive déposer quatre déclarations d'intérêts. C'est une lourdeur administrative pour le déclarant, contraint de remplir des déclarations identiques, mais aussi pour la Haute Autorité. C'est pourquoi, nous suggérons le dépôt d'une seule déclaration d'intérêts, liée à l'élection à un premier mandat assujetti à des obligations déclaratives, puis l'actualisation successive de cette déclaration au fur et à mesure de l'attribution d'autres mandats ou fonctions.

L'année 2020 a été particulièrement constructive pour la Haute Autorité : elle a mis à l'épreuve ses capacités d'adaptation, elle a renforcé la déontologie du fonctionnaire, elle a développé les exigences d'intégrité et de probité auprès des responsables publics et des représentants d'intérêts.

Nous avons souhaité également renforcer la transparence de nos informations avec la publication des avis déontologiques les plus pertinents et l'établissement d'une mention accompagnant les fiches nominatives des responsables publics pour informer les citoyens du respect, ou non, de leurs obligations déclaratives publiques. Le site internet de la Haute Autorité sera modifié ces prochains jours pour rendre accessible, en un clic, toutes nos mises en demeure publiques. Il accueillera une nouvelle page dédiée au lobbying afin de valoriser les données de notre répertoire numérique, encore trop peu utilisé par les citoyens.

À travers nos activités de contrôle et de conseil, que nous rendons publiques, nous voulons diffuser une culture de l'intégrité et de la probité au sein de la sphère publique, mais aussi proposer des améliorations, avec cet objectif : renforcer la .confiance des citoyens dans les institutions démocratiques et leurs représentants. Je le dis en précisant qu'une grande majorité d'élus remplit scrupuleusement ses obligations déclaratives et que les irrégularités, quand elles se produisent, sont dans la plupart des cas corrigées rapidement après un échange avec la Haute Autorité.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Merci pour cette présentation très claire car, quoiqu'en devenant sénateurs on doive remplir les déclarations auprès de vos services, cela ne fait pas de nous des spécialistes, loin de là. Je le dis sans détour : comme ces déclarations sont compliquées à remplir ! Devant les questions qui m'ont été posées, j'étais saisie d'une grande peur de me tromper et je n'ai pas hésité à consulter vos services - des dizaines de fois, au point que mes interlocuteurs, tout à fait disponibles et compétents, en sont venus à reconnaître ma voix... J'ai dû mobiliser un expert-comptable, un notaire, et finalement toute la famille pour répondre aux questions qui m'étaient posées... Depuis 2015, c'est devenu plus complexe encore.

Puisque l'administration fiscale sait quasiment tout de nous, pourquoi ne pré-remplirait-elle pas nos déclarations, dont nous n'aurions plus alors qu'à valider les informations ? On nous demande de recalculer toutes les indemnités que nous avons perçues depuis cinq ans, nous voilà à faire des additions au centime près pour des indemnités que nous n'avons pas toujours perçues continument, et qui peuvent provenir de plusieurs collectivités ou EPCI, et ce faisant on se sent presque coupable tant la peur est grande de faire une erreur : puisque les administrations connaissent déjà ces chiffres, pourquoi ne nous les communiquerait-elle pas, à charge pour nous de les corriger quand nous ne les jugerions pas exacts ?

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Kanner

Vous connaissez tout de nous et la réciproque est vraie, monsieur le président de la Haute Autorité, puisque vous vous êtes vous-même livré à l'exercice des déclarations, avec publication sur le site. Cela va dans le bon sens ; à votre avis, des responsables publics échappent-ils encore à l'exercice ? Le Président de la République, par exemple, n'est pas concerné : pensez-vous que les compétences de votre Haute Autorité doivent être étendues ? Des lobbies échappent-ils encore à votre analyse, maintenant que le métier d'influenceur est bien mieux reconnu qu'avant, y compris dans le cadre de notre travail parlementaire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Il faut saluer le progrès considérable qu'a permis la Haute Autorité, au prix certes d'un stress pour le déclarant mais c'est peu, comparé au côté salutaire du processus. Je remercie vos services, qui nous répondent tout de suite et très courtoisement. Dans votre rapport, vous évoquez des pistes : comment peuvent-elles prospérer ? Pensez-vous que nous devions faire des propositions de loi ? Concernant le lobbying, nous sommes encore loin de ce qu'il faudrait faire, je milite pour indiquer l'origine de nos amendements, à nous de pratiquer cette transparence qu'attendent désormais nos concitoyens.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Parmi vos dix propositions, certaines sont nouvelles, d'autres avaient déjà été faites par votre prédécesseur, tandis que d'autres encore qu'il faisait ne figurent plus parmi les vôtres, notamment sur la sanction administrative : est-ce à dire que votre institution a évolué, ou bien que vous avez établi une hiérarchie entre les propositions ? Comment, ensuite, voyez-vous l'action envers les lobbyistes : peut-on compter sur une amélioration, ou bien faut-il pour cela une loi ? Enfin, quel regard portez-vous sur la réforme annoncée de la haute fonction publique, qui compterait moins de corps et plus d'obligation de mobilité, ceci sans forcément de gain de transparence ?

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Gatel

La démocratie salue l'exigence de transparence, mais le diable est dans les détails. Je rejoins Marie Mercier, l'administration détient les informations qu'elle nous demande puisqu'elle nous signale nos oublis. Dans le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique, dit « 4 D », nous allons renforcer le principe du « dites-le nous une fois », c'est-à-dire le fait de ne pas être obligé de communiquer à l'administration des informations qu'on lui a déjà fournies, et que ces informations vous suivent en quelque sorte ; sur ce fondement, l'administration pourrait pré-remplir nos déclarations avec les informations dont elle dispose, ce serait bien plus pratique, plus simple, et cela n'enlèverait rien à la transparence.

La notion de prise illégale d'intérêt est délicate à manier par les élus, car ils sont alors d'emblée suspectés de vouloir se dérober à leur devoir de probité, mais il faut tout de même considérer les choses comme elles sont : il y a des difficultés liées à l'interprétation de « l'intérêt quelconque », notion ô combien subtile et qui ouvre, malheureusement, une fenêtre à la suspicion de prise illégale d'intérêt par les élus. Or, dans le texte « 4 D », nous allons examiner des mesures qui renforcent les exigences de transparence sur les sociétés d'économie mixte (SEM) et les sociétés publiques locales (SPL), et il faut s'arrêter sur des décalages d'interprétation qui peuvent avoir des conséquences importantes et qu'il faut donc prendre en compte dès maintenant.

Les élus locaux, lorsqu'ils siègent au conseil d'administration d'une SEM ou d'une SPL, sont dans une position en réalité dérogatoire au droit commun des sociétés anonymes : ils ne sont pas désignés par l'assemblée générale des actionnaires mais par les collectivités dont ils sont élus, la loi les désigne non comme des mandataires sociaux mais comme ceux de collectivités ou de groupements de collectivités, ils sont donc les dépositaires des intérêts de ces collectivités. Or, l'interprétation du champ de la prise illégale d'intérêt fait que ces élus doivent se déporter sur des délibérations qui n'ont rien à voir avec leur intérêt privé mais qui concernent en réalité la collectivité qu'il représentent - en d'autres termes, ils sont conduits à ne pas participer à des décisions pour lesquelles leurs collectivités délégantes comptent sur eux pour les représenter.

Le ministère de la justice nous semble avoir confirmé notre interprétation par sa circulaire du 12 février 2003. Vous recommandez pour votre part de modifier l'article 432-12 du code pénal pour éviter ces décalages d'interprétation. Le projet de loi « 4 D » n'est toutefois pas le meilleur véhicule pour toucher au code pénal. En revanche, la Fédération des établissements publics locaux (EPL) propose de modifier le code général des collectivités territoriales (CGCT) pour faire désigner les élus par la procédure qui est utilisée pour la représentation des collectivités dans les syndicats. Nous allons proposer des amendements en ce sens : qu'en pensez-vous - estimez-vous, en particulier, que cela suffira ? L'enjeu n'est pas mince, car les interprétations parfois excessives de la prise illégale d'intérêt représentent des risques importants pour les élus et pour l'action publique.

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique

Merci pour vos propos sympathiques envers les équipes de la Haute Autorité, je les leur transmettrai. Nous demandons à nos agents d'être le plus disponible possible, j'ai été impressionné par le nombre d'appels que nous recevons - une trentaine par jour, parfois assez longs.

Nous n'inventons pas les rubriques, elles sont fixées par la loi et le décret, nous ne disposons donc pas de marge de manoeuvre. Je suis sensible à ce que vous me dites sur la complexité ; nous-mêmes, membres du collège de la Haute Autorité, nous déposons des déclarations de patrimoine et d'intérêt, je sais les difficultés de l'exercice.

Pour les déclarations de patrimoine, je crois qu'il serait difficile à l'administration de fournir des documents pré-remplis, car elle ne dispose pas de tous les éléments, il y a des informations à lui communiquer. Du reste, la plupart des irrégularités sont mineures et elles se corrigent, cela ne pose aucun problème ; si elles sont plus importantes, on cherche alors à savoir pourquoi. En réalité, nous sommes dans l'échange, l'accompagnement des élus, nous le faisons dès qu'on nous le demande. Il y a aussi le droit à l'erreur, et quand nous constatons des erreurs, nous demandons une déclaration rectificative. Sur les déclarations d'intérêt, les omissions peuvent également être mineures ou majeures, et seules les omissions substantielles sont transmises à la justice.

Le Président de la République doit présenter une déclaration de fin de mandat sur son patrimoine, dans les 5 mois, qui est rendue publique et qui peut être comparée à sa déclaration de candidat, qui a aussi été rendue publique. Nous contrôlons ces déclarations et les rendons publiques.

Le répertoire désormais utilisé pour les déclarations d'intérêt représente un progrès pour faire comprendre la fabrication de la loi, car la représentation d'intérêt y est traçable. Cependant, nous avons pointé des insuffisances et nous souhaitons que le législateur reprenne la main, car le décret manque de précision ; il est étonnant en particulier de se focaliser sur les actions faites par les personnes physiques et non par les personnes morales, des sociétés trouvent là une façon de contourner la loi. Nous publierons demain le bilan pour l'année 2020, confirmant ce risque : certaines entreprises ne figurent pas dans le répertoire, alors qu'elles jouent un rôle évident. En combinant le critère de l'initiative et celui de dix actions, on peut échapper à l'obligation de s'inscrire sur le répertoire, c'est la raison pour laquelle nous demandons un changement, probablement de niveau législatif.

L'extension des règles aux collectivités territoriales a été décidée, vous avez obtenu un report à l'été 2022. La Haute Autorité s'est engagée à réaliser une étude de faisabilité, nous avons travaillé avec une dizaine de collectivités territoriales, en relation avec les associations d'élus, pour proposer un dispositif pertinent. Nous pourrions revoir certains seuils, au moins pour ne pas être submergés de dossiers, mais aussi se focaliser d'abord sur quelques secteurs prioritaires comme les transports, l'environnement, le BTP - nous travaillons dans ce sens, il y a des marges de progrès.

Nous avons présenté dix propositions parce que nous sommes convenus d'évoquer seulement les nouvelles, tout en rappelant les anciennes.

Je sortirais de mon rôle en commentant la réforme de la haute fonction publique ; cependant, je sais que s'il y a plus de mobilité, il y aura plus de saisines de la Haute Autorité, - avec l'obligation de statuer dans les 15 jours pour les pré-nominations et les 2 mois pour les projets de reconversion professionnelle -, c'est un argument de plus pour combler les lacunes que nous avons repérées, afin que tout le monde soit logé à la même enseigne.

Sur les difficultés liées à l'interprétation de la prise illégale d'intérêt, j'ai répondu par avance à Mme Gatel. Nous identifions bien le sujet, j'ai eu des échanges avec le parquet national financier, avec le parquet général de la Cour cassation, tout le monde reconnaît qu'une précision de la loi serait utile, et le plus efficace serait de passer par l'article 432-12 du code pénal, qui est l'article de référence ; cependant, si la règle est précisée dans le CGCT, le juge ne manquera pas d'y être attentif, y compris le juge pénal.

Le juge est sensible à ce que l'élu rende des comptes et donc qu'il participe aux débats du conseil d'administration dans lequel il représente sa collectivité territoriale, c'est autre chose quand il s'agit de voter sur une indemnité, ou la concession d'un marché public, évidemment. Les difficultés viennent de zones plus équivoques, par exemple dans le conseil d'administration de certaines SEM et de missions locales, mais aussi du fait que le conflit d'intérêt, en droit français et c'est une originalité de notre droit, peut opposer non pas seulement un intérêt privé et un intérêt public, mais également deux intérêts publics, entre deux entités publiques. C'est une dimension dont nous devons tenir compte. Des collectivités territoriales nous sollicitent à titre de conseil, nous faisons attention à ce que l'action publique progresse. Je crois que les élus n'évaluent pas toujours bien les conséquences de certains de leurs choix techniques, comme le fait de recourir à une structure de droit privé plutôt qu'à une régie : ils peuvent penser ne faire qu'arbitrer entre deux outils d'une action publique qui reste entre leurs mains, sans voir que la nomination de personnels issus de la collectivité territoriale entre dans le champ d'application des articles 432-12 et suivant du code pénal. Nous avons de la pédagogie à faire, je me réjouis que le président du Sénat ait accepté qu'une réunion se tienne dans vos locaux, le 14 octobre prochain, avec l'ensemble des déontologues : ce sera l'occasion d'échanger avec eux et d'apporter des réponses aux problèmes qui se posent.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Nous allons regarder quelle est la meilleure voie pour régler ce problème d'interprétation de la prise illégale d'intérêt, en sachant que la modification du code pénal peut sembler la plus sécurisante.

Debut de section - Permalien
Didier Migaud, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique

Il y a aussi la possibilité d'y inscrire la déclaration d'intérêt unique, qui sera appréciée par tous les élus sans remettre en cause la transparence.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Effectivement. Merci pour votre présence et je m'associe aux remerciements à vos services, toujours disponibles et compétents.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 15.