La mission commune d'information a procédé à l'audition de M. Jean-François Dehecq, président de Sanofi-Aventis.
a tout d'abord remercié M. Jean-François Dehecq d'avoir accepté l'invitation de la mission d'information, dont il a rappelé qu'elle avait été chargée par le Sénat de définir la notion de centre de décision économique et de déterminer les conditions d'attractivité de notre pays pour leur accueil et leur développement.
Puis M. Philippe Marini, président, a posé à l'intervenant trois questions introductives « traditionnelles » :
- le concept de nationalité d'une entreprise a-t-il encore un sens ?
- A quelles fonctions correspond la notion de centre de décision économique, à partir notamment de l'exemple du groupe Sanofi-Aventis ?
- Que peut faire l'Etat afin de conserver ou d'attirer des centres de décision économique ?
a tout d'abord rappelé que Sanofi-Aventis, n° 3 mondial de l'industrie pharmaceutique et première entreprise du monde pour ce qui concerne les vaccins, était née en 1973 au sein du groupe Elf, de sa volonté et de celle de M. René Sautier. Ceux-ci ont proposé à M. Pierre Guillaumat, alors président d'Elf, qui souhaitait diversifier cette société pétrolière, d'intervenir dans l'industrie pharmaceutique française à une heure où ses principaux représentants rencontraient de sérieuses difficultés. Il a insisté sur le fait que l'origine même de son groupe s'inscrivait donc dans une logique d'intérêt national, M. Pierre Guillaumat et lui-même ayant alors jugé essentiel pour l'avenir du pays qu'il conserve une capacité industrielle dans le domaine pharmaceutique.
Puis, après avoir brièvement retracé l'histoire de l'expansion de son groupe, à l'échelle européenne au cours des années 1980 puis à l'échelle mondiale à partir des années 1990, il a décrit la bataille difficile ayant abouti à la constitution de Sanofi-Aventis, en 2004, et à la localisation de son principal centre de décision économique en France, estimant que l'implantation du siège d'Aventis à Strasbourg, sa cotation à la bourse de Paris et le soutien des pouvoirs publics français avaient constitué des facteurs-clé de succès.
a ensuite expliqué qu'il considérait que la localisation en France du principal centre de décision économique de son groupe avait d'importantes conséquences, en particulier en termes :
- d'investissements de recherche, Sanofi-Aventis ayant un budget de recherche supérieur à celui du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), et plus de la moitié de ses centres étant localisés sur le territoire national ;
- de fiscalité, Sanofi-Aventis étant l'un des tout premiers contributeurs à l'impôt sur les sociétés ;
- plus globalement, d'activité et d'emploi, Sanofi-Aventis ayant fait le choix « national » de localiser en France sa chimie pharmaceutique, qui porte l'essentiel de la valeur ajoutée du groupe et une part importante de sa production pharmaceutique, alors que la France représente moins de 15 % de ses ventes.
a alors élargi son propos pour déplorer la désindustrialisation de la France et de l'Europe, soulignant l'importance pour un pays de conserver sur son sol une activité industrielle significative, estimant que la recherche et le développement « suivaient les usines ». Pour ce qui concerne son propre groupe, il a déclaré fabriquer une partie de sa production à l'étranger, notamment dans les pays en voie de développement, mais uniquement afin de fournir des médicaments auxdits pays, et non afin d'alimenter à bas prix les marchés occidentaux, contrairement à certains de ses concurrents.
Puis, après avoir fait apparaître le caractère éminemment politique des choix de santé de chaque pays, et souligné combien les dépenses de santé étaient appelées à croître du fait du vieillissement de la population, il a considéré qu'un système totalement libéral de santé était un « mythe » et qu'il convenait, dès lors, que la France et l'Europe défendent leur industrie pharmaceutique.
a conclu son propos introductif en expliquant que la conservation de sièges sociaux, même d'entreprises très internationalisées, était très importante pour un pays, car il s'agit du lieu où s'effectuent les grands arbitrages de la vie d'un groupe, en particulier en matière d'investissements. Il a alors mis en exergue la nécessité pour la France d'abriter le centre de décision économique d'une société telle que la sienne si elle souhaitait conserver à long terme une activité industrielle significative, observant, à cet égard, que les caractéristiques de l'industrie pharmaceutique en faisaient une des rares activités susceptibles de demeurer en Europe, sa « délocalisation » à ce jour se faisant au profit du territoire américain, et non des pays à bas coûts.
Interrogé par M. Philippe Marini, président, au sujet de la langue officielle de Sanofi-Aventis, il a indiqué qu'il s'agissait du français, qu'il avait rétabli au sein de l'ancienne entité Aventis au détriment de l'anglais. Rappelant que son groupe avait été constitué par l'intégration de très nombreuses entreprises d'horizons différents, il a fait état de la très forte culture d'entreprise qui y régnait, affirmant qu'elle résultait du respect, notamment sur le plan linguistique, de chacun. A titre d'illustration, il a expliqué que, lors d'une réunion internationale de 400 personnes sur la stratégie de lancement d'un grand produit, celle-ci s'étant déroulée en anglais, les deux tiers du temps de parole avaient été utilisés par des personnes de langue maternelle anglaise, ce ratio étant tombé à un quart lors d'une réunion similaire avec de multiples traductions simultanées. Il en a déduit que l'utilisation de la seule langue anglaise donnait un avantage considérable et indu à un groupe de personnes et de pays, en réduisant la créativité globale pour l'entreprise. En ce domaine, il plaide pour la diversité, même si elle engendre des frais de traduction, considérant qu'il s'agit de la seule solution, pour l'entreprise, permettant de respecter les cultures et les hommes. En réponse à M. Philippe Marini, président, il n'a pas exclu l'utilité d'une action législative en la matière.
Puis M. Christian Gaudin, rapporteur, après avoir rappelé les principales fusions et acquisitions ayant abouti à la formation de l'actuel groupe Sanofi-Aventis, a souhaité savoir comment M. Jean-François Dehecq avait réussi à faire cohabiter autant de cultures industrielles et nationales au sein d'une seule entité et comment il définirait la culture d'entreprise de Sanofi-Aventis. Il a également demandé à l'intervenant ce qu'il restait des centres de décision économique des sociétés absorbées. Enfin, il l'a interrogé sur les centres de recherche de Sanofi-Aventis, se demandant s'ils étaient assimilables à des centres de décision économique ou, en complément, si leur localisation était associée à celles des centres de décision économique du groupe.
Répondant d'abord à la question du rapporteur sur les anciennes entités fusionnées, M. Jean-François Dehecq a confirmé que leur centre de décision économique avait disparu, indiquant toutefois qu'il avait veillé à limiter les conséquences sociales de ces rapprochements, bien que s'étant toujours attaché à écarter les cadres qui ne partageaient pas le projet du groupe. Il a expliqué que les employés de Sanofi-Aventis ne réclamaient pas le maintien de leur ancien siège, mais demandaient plutôt qu'on leur donne l'occasion de travailler chez eux, pour leur pays et dans le respect de leur culture. Il a cependant répété que les filiales étrangères de son groupe bénéficiaient d'une importante autonomie, à mettre en relation avec le niveau de prise de décision politique concernant le système de santé, mais que, seul, le siège social français correspondait pleinement à la définition de centre de décision économique.
Abordant ensuite les valeurs de son groupe, il a cité :
- le culte de la performance, notamment financière, sans quoi rien n'est possible ;
- le respect des personnes et des cultures nationales, la société devant être multi- culturelle ;
- l'exigence, à l'égard des cadres de direction, qui ont le devoir de travailler pour la pérennité de l'entreprise, et donc, pour celle de l'emploi des salariés ;
- la créativité, qui doit s'exercer dans une optique d'innovation dans tous les domaines de l'entreprise ;
- la solidarité, qui, dans ce métier, doit se traduire à l'égard des pays du Sud, mais aussi à l'égard des salariés. Il s'agit là de trouver le bon équilibre entre les résultats de court terme et de moyen et long termes.
En réponse à Mme Elisabeth Lamure, qui s'interrogeait sur les raisons pour lesquelles les Français paraissaient si peu fiers de la réussite de leurs grandes entreprises, M. Jean-François Dehecq a déploré qu'en France, peu de choses soient faites par les élites pour que les gens aiment l'entreprise. Il a ainsi souligné la responsabilité de certains dirigeants qui optimisent en permanence en ne conservant que les parties les plus rentables, voire théorisent la notion d'entreprise sans usine, ou massivement « out sourcées », mais il a aussi regretté le manque de respect de nombreux responsables politiques à l'égard du monde industriel.
Puis M. Philippe Marini, président, ayant rappelé sa question sur ce que pourrait être une action pertinente de l'Etat afin d'attirer ou de conserver le plus grand nombre possible de centres de décision économique en France, M. Jean-François Dehecq a tout d'abord observé que l'application de la seule loi du marché n'était pas suffisante et pourrait se traduire à terme par la « paupérisation de l'Europe ». S'il a affirmé qu'il revenait avant tout aux entreprises de se défendre, il a estimé que les Etats pouvaient les y aider, reconnaissant à cet égard que le gouvernement français avait soutenu le rapprochement entre Sanofi et Aventis pour des raisons stratégiques. En réponse à M. Philippe Marini, président, à propos du contre-exemple de l'acquisition d'Arcelor par Mittal, il a évoqué que la localisation du siège d'Arcelor au Luxembourg avait peut-être constitué un facteur important dans cette opération.
Elargissant ensuite son propos, M. Jean-François Dehecq, rappelant que son groupe n'aurait pas existé si l'Etat ne l'avait pas appuyé au départ dans le cadre d'une entreprise « d'économie mixte », a plaidé pour que les « politiques » définissent de réelles priorités industrielles. Estimant qu'un pays comme la France « ne peut pas tout faire », il a jugé nécessaire que soient définis des axes stratégiques d'excellence, pour lesquels la France et l'Europe peuvent être compétitives sur le long terme et qui devaient être soutenus par les pouvoirs publics. Il a ainsi regretté que, faute de définition claire de la santé comme priorité nationale, la France et l'Europe n'appuient pas comme elles le devraient leurs industries de santé. Il a évoqué le poids sur les choix de santé publique des trois grands réseaux de santé mondiaux et souligné dans cette optique l'importance des Instituts Pasteur à travers le monde. Il a également insisté sur le rôle majeur de la santé au service de la diplomatie.
A M. Philippe Marini, président, qui l'interrogeait sur le rôle de l'Agence pour l'innovation industrielle (AII), il a répondu que cette agence était un bon outil dont les procédures pouvaient paraître complexes, mais sur lequel les contraintes européennes pesaient très lourd. Puis, en réponse à une autre question de M. Philippe Marini, président, il a estimé qu'il revenait à l'Etat de définir des secteurs d'activité pour lesquels il était essentiel de détenir des centres de décision économique, citant l'exemple d'Air France, qu'il a considéré comme un important vecteur de l'image internationale du pays.
Invité par M. Philippe Marini, président, à préciser quelles autres mesures pourraient être prises par l'Etat, notamment en matière de droit des sociétés ou de régulation des politiques salariales, M. Jean-François Dehecq a estimé, si une modération des « parachutes dorés » ne saurait être considérée comme prioritaire, qu'elle pourrait néanmoins avoir une importance symbolique non négligeable. Il est ensuite revenu sur l'idée selon laquelle l'Etat devait surtout avoir une action d'orientation industrielle, ce qui devait permettre que la distribution des « aides » relève plus des priorités que du saupoudrage. Au sujet des chercheurs, il a souhaité que l'Etat s'attache à aider les chercheurs présents sur le sol national à y rester, au moins autant qu'à essayer de faire revenir les chercheurs expatriés.
Enfin, M. Jean-François Dehecq a attiré l'attention des membres de la mission commune d'information sur les dangers que la contrefaçon faisait courir à la santé des patients et à l'industrie pharmaceutique, constatant que la libre circulation des médicaments au sein de l'espace communautaire accroissait considérablement les risques en ce domaine.
Il a conclu en soulignant que la problématique de localisation des centres de décision économique ne pouvait se traiter en se concentrant sur la seule France, sans prendre en compte la dimension européenne du sujet.