Mes chers collègues, je souhaite rendre hommage au brigadier Alexandre Martin, mort pour la France au Mali dimanche à la suite d'un tir de mortier sur le camp de Gao. C'est le 53ème soldat français qui meurt au Sahel depuis 2013.
Je vous propose d'observer une minute de silence en hommage au brigadier Alexandre Martin.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées observe une minute de silence.
Nous examinons maintenant les amendements de séance déposés sur la proposition de loi visant à faire évoluer la gouvernance de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger et à créer les instituts régionaux de formation.
Nous commençons par l'examen des amendements du rapporteur.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR
Article 2
L'article 2 a pour objet d'assurer une meilleure représentation des parents d'élèves au conseil d'administration de l'AEFE. Cet objectif est légitime : les parents d'élèves financent en effet 80 % de l'enseignement français à l'étranger. La réforme proposée permettra d'assurer la présence de quatre représentants des parents d'élèves, contre deux actuellement, au sein du conseil d'administration de l'AEFE.
L'augmentation du nombre de représentants des parents pose la question de la mesure de la représentativité des fédérations d'associations de parents d'élèves. Les deux fédérations actuellement représentées sont reconnues d'utilité publique et disposent d'une légitimité incontestable. Il conviendra de s'assurer que les fédérations représentées continueront toutes à disposer d'une légitimité suffisante et d'éviter la présence de fédérations marginales ou à vocation purement locale, tout en permettant aux parents d'élèves d'être représentés dans leur diversité.
L'amendement ETRD.1 met l'accent sur la notion de représentativité, sans se prononcer sur les critères de cette représentativité, qu'il reviendra au Gouvernement de fixer.
Parler des fédérations d'associations de parents d'élèves « les plus » représentatives est particulièrement vague. Comment mesurer cette représentativité ? Doit-on se limiter aux associations existantes ?
Il reviendra au Gouvernement de fixer par décret les critères de représentativité.
Article 3
L'amendement ETRD.2 tend à répondre à l'objection légitime formulée par l'amendement n° 13 de Mme Conway-Mouret, tout en préservant la portée de la disposition insérée par la commission qui précise que les formations dispensées par les instituts régionaux de formation sont francophones.
Ces formations doivent avoir lieu en français, si l'on souhaite que les instituts régionaux de formation contribuent réellement à notre diplomatie culturelle et d'influence, c'est-à-dire que l'AEFE reste dans son rôle. Cette disposition nous a paru d'autant plus nécessaire que ces formations seront ouvertes à un large public.
Il me semble toutefois qu'il est important d'introduire une certaine souplesse. C'est pourquoi je vous propose de prévoir la possibilité d'exceptions dûment motivées.
L'amendement ETRD.2 est adopté.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
Je souhaite présenter les amendements du groupe SER en quelques mots, ainsi que nos réactions aux amendements proposés par nos collègues.
Nos amendements tendent à défendre l'équilibre au sein du collège des usagers, tel qu'il est actuellement fixé par le code de l'éducation, même si de nouveaux membres devaient intégrer le conseil d'administration, par exemple un représentant des associations de français langue maternelle (FLAM) comme nous le proposons. Nous sommes également plutôt favorables, sur le principe, à l'intégration de nouveaux élus au conseil d'administration à condition que cela ne se fasse pas au détriment d'autres représentants, notamment des personnels.
Un deuxième groupe d'amendements est d'ordre financier. Ces amendements ne se rattachent pas directement aux deux objectifs de ce texte, mais ils sont, pour nous, essentiels pour répondre au besoin criant de moyens dans la perspective du doublement du nombre des élèves qui semble dicter aujourd'hui toutes les orientations prises par l'AEFE. Ce point a d'ailleurs été soulevé par le rapporteur lors de la présentation du texte en commission et dans l'excellent rapport sur le contrat d'objectifs et de moyens de l'AEFE de nos collègues André Vallini et Ronan Legleut. Il nous parait urgent d'apporter des solutions, en tout cas avant le prochain projet de loi de finances.
Le troisième groupe d'amendements touche à la formation. Nous sommes défavorables à la proposition d'exclusion des personnels exerçant dans les systèmes éducatifs étrangers, car cela reviendrait à supprimer la mission de coopération éducative à laquelle l'AEFE contribue, même si ce n'est pas sa mission première. En revanche, nous sommes favorables à tous les amendements qui demandent la suppression de l'accès à la formation de personnels « ayant vocation » à exercer dans le réseau : cet ajout pose trop de questions sans réponses et risque de déboucher sur de nouveaux problèmes pour l'AEFE.
Enfin, nous souhaitons profiter de ce texte pour enrichir les missions de l'Agence et nous sommes favorables à tous les amendements qui vont dans ce sens.
Dernier point, les demandes de rapports ne sont pas populaires auprès du Gouvernement, mais parfois elles sont absolument nécessaires pour obtenir des informations que nous ne pouvons pas avoir autrement, notamment de la part du ministère des finances.
Avant l'article 1er
La loi dispose que le conseil d'administration de l'AEFE comprend des représentants de l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE), qui se compose de 90 conseillers élus parmi les 442 conseillers des Français de l'étranger.
L'amendement n° 30 introduit le chiffre d'« un » conseiller des Français de l'étranger, là où la loi fixe de grands équilibres, ce qui introduit une incohérence. Sur cet amendement, comme sur plusieurs autres qui proposent d'élargir le conseil d'administration de l'AEFE, je suggère de nous en tenir à l'objectif de la proposition de loi : améliorer la représentation des parents d'élèves. À chaque fois que l'on ajoute un membre, il faut en ajouter d'autres, notamment des représentants de l'État, pour maintenir les équilibres. Un conseil d'administration est une instance de pilotage, non une assemblée représentative.
S'agissant de cet amendement en particulier, il évoque la nécessité d'une représentation proche du terrain : il me semble que cet objectif est rempli grâce à la participation accrue des parents d'élèves. Les Français établis hors de France y sont également représentés par des parlementaires et par un membre de l'Assemblée des Français de l'étranger.
L'avis est donc défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 30.
Article 1er
L'amendement n° 3 tend à ajouter au conseil d'administration de l'AEFE un représentant des associations de français langue maternelle (FLAM). Je rappelle qu'un représentant de ces associations participera au conseil en qualité d'expert sans voix délibérative. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3.
L'amendement n° 22 va dans le même sens que les précédents, en tendant à ajouter au conseil d'administration de l'AEFE un représentant des élèves scolarisés. C'est une idée intéressante, mais elle pose d'importantes questions pratiques. Je propose de nous en remettre à la sagesse du Sénat.
La commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 22.
L'amendement n° 21 vise également à modifier les équilibres au sein du conseil d'administration de l'AEFE. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 21.
Article 2
L'amendement n° 31 vise à supprimer l'article 2 de la proposition de loi. Il est donc contraire à la position de la commission. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 31.
L'amendement n° 23 tend à retirer aux représentants de l'État la majorité dont ils disposent au sein du conseil d'administration. Or je rappelle que l'État abonde le budget de l'Agence de 520 millions d'euros par an. Il me semble donc normal qu'il ait la majorité au conseil d'administration. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 23.
L'amendement n° 29 soulève légitimement la question de la représentativité des fédérations d'associations de parents d'élèves qui siégeront au conseil d'administration de l'AEFE. Toutefois, les critères de représentativité proposés sont très exigeants.
L'amendement ETRD.1 que je vous ai proposé et que vous avez adopté répond à cette problématique et ferait en tout état de cause tomber cet amendement s'il était adopté. L'avis est donc défavorable.
Nous sommes également défavorables à cet amendement qui tend à favoriser une association en particulier.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 29.
L'amendement n° 5 tend à augmenter encore le nombre de membres du conseil d'administration de l'AEFE. J'y suis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 5.
L'amendement n° 4 est une conséquence de l'amendement n° 3 à l'article 1er sur lequel nous avons donné un avis défavorable. Par cohérence, nous en demandons le retrait.
La commission demande le retrait de l'amendement n°4 et, à défaut, y sera défavorable.
Après l'article 2
La loi de finances pour 2021 a mis en place un dispositif de garantie qui se substitue à l'Association nationale des écoles françaises de l'étranger. Ce nouveau dispositif est - hélas - moins favorable que le précédent. Il prévoit en particulier une rémunération de la garantie par une commission variable en fonction des risques encourus, alors que cette commission était auparavant unique et mutualisée (0,4 %).
Dans ce contexte, la proposition de loi donne à l'AEFE un rôle d'instruction des dossiers de demande de garantie de l'État. Elle joue donc déjà un rôle d'expertise, qui sera utile pour déterminer le taux de la commission. Aller plus loin, comme le prévoit l'amendement n° 10, ne me semble pas pertinent.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 10.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 6.
L'amendement n° 7 concerne les concours financiers reçus par l'AEFE de la part des organismes et établissements qui dispensent l'enseignement français à l'étranger. L'avis est défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 7.
Article 3
L'article 3 complète la liste des missions confiées à l'Agence en application du principe de spécialité des établissements publics, mais il n'a pas vocation à hiérarchiser ces missions, comme tend à le faire l'amendement n° 12. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 12 et, à défaut, y sera défavorable.
Les amendements identiques n° 11 et 24 posent une question importante qui se situe au coeur de la réforme prévue dans ce texte. En effet, l'AEFE se voit confier une mission de formation qui va au-delà de la seule formation continue de ses personnels. Les instituts régionaux de formation seront en effet habilités à former non seulement les personnels du réseau, mais aussi des personnels « ayant vocation » à exercer au sein de l'AEFE - ces amendements proposent de supprimer ce point - et des personnels de systèmes éducatifs étrangers au titre de la coopération éducative.
Le ministère de l'éducation nationale promet 1 000 détachements supplémentaires d'ici à 2030, mais ce ne sera pas suffisant pour soutenir la croissance du réseau. Il s'agit donc ici de créer des cursus diplômants qui garantiront l'existence d'un vivier de personnel disposant d'un niveau de qualification conforme aux exigences de qualité des enseignements et aux critères de l'homologation.
Dans ces conditions, il me semble préférable de conserver la possibilité pour l'AEFE de contribuer à la formation de personnels ayant vocation à exercer dans les établissements d'enseignement français à l'étranger. Pour autant, je vous proposerai un avis favorable à l'amendement n° 16 à l'article 4 qui fait de la formation des personnels une priorité.
Le ministère de l'éducation nationale ne sera pas en capacité de fournir un nombre suffisant d'enseignants pour faire face aux besoins d'un réseau qui se développe. C'est pourquoi nous avons besoin de dispositifs complémentaires de formation. Je remercie le rapporteur pour sa position qui va dans ce sens.
L'amendement n° 26 tend à supprimer la possibilité pour l'AEFE de former des personnels de systèmes éducatifs étrangers au titre de la coopération éducative. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 26.
L'amendement n° 13 tend à vider de sa portée la disposition introduite par la commission. C'est pourquoi je demande le retrait de cet amendement ; à défaut, l'avis serait défavorable.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 13 et, à défaut, y sera défavorable.
Les auteurs de l'amendement n° 32 contestent le rôle de conseil de l'Agence auprès des candidats à l'homologation. Or, depuis 2019, l'homologation des établissements accompagnés par l'AEFE a permis de faire entrer 9 000 nouveaux élèves dans le réseau. Une cinquantaine d'établissements sont actuellement accompagnés. Ce rôle doit donc être conforté, en étant inscrit dans la loi. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 32.
L'amendement n° 2 propose de compléter les missions de l'AEFE. C'est une idée intéressante, mais elle figure déjà à l'article L. 452-2 du code de l'éducation. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2.
L'amendement n° 14 entend faire de l'AEFE un « laboratoire d'innovation pédagogique pour l'éducation nationale ». C'est une idée très intéressante. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 14.
Article 4
Les amendements n° 33 rectifié, 16, 25 et 27 concernent le public des formations proposées par l'AEFE dans le cadre des instituts régionaux de formation. La rédaction de l'amendement n° 16 s'inscrit dans le prolongement de celle que nous avons adoptée lors de l'élaboration de notre texte. C'est pourquoi j'y suis favorable. Par conséquent, l'avis est défavorable sur les trois autres amendements.
L'amendement n° 28 concerne la gouvernance des instituts régionaux de formation. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 28.
Après l'article 4
L'amendement n° 17 tend à confier à l'AEFE une mission de coordination des détachements des fonctionnaires de l'éducation nationale. C'est une question complexe ; je propose de demander l'avis du Gouvernement.
La commission demande l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 17.
L'amendement n° 20 concerne le rapport annuel remis par l'AEFE à l'Assemblée des Français de l'étranger. Il me semble que la modification proposée qui concerne le sujet des bourses scolaires aurait utilement sa place dans le rapport annuel que l'AEFE transmet au Parlement. Tel est l'objet du sous-amendement ETRD.4 que je vous propose.
L'avis sera favorable à l'amendement n° 20 sous réserve de l'adoption de ce sous-amendement.
Nous sommes d'accord avec le sous-amendement proposé par le rapporteur.
La commission adopte le sous-amendement ETRD.4.
La commission émet ensuite un avis favorable à l'amendement n° 20 ainsi sous-amendé.
L'amendement n° 18 est une demande de rapport au Gouvernement sur le recours à l'emprunt par l'AEFE. Ce rapport me semble bienvenu. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 18.
L'amendement n° 19 est également une demande de rapport au Gouvernement ; elle porte sur la question de la laïcité. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 19.
L'amendement n° 34 prévoit que le Gouvernement remet un rapport au Parlement sur la question de la mixité sociale dans le réseau d'enseignement français à l'étranger.
Je suis favorable à cet amendement sous réserve de le compléter par un point sur l'accueil, dans les établissements français à l'étranger, des enfants de fonctionnaires et militaires en poste à l'étranger. Tel est l'objet du sous-amendement ETRD.3.
La commission adopte le sous-amendement ETRD.3.
La commission émet ensuite un avis favorable à l'amendement n° 34 ainsi sous-amendé.
Quelques mots tout d'abord sur la situation actuelle de l'ONU et sur celle de la France au sein de l'organisation.
Il faut d'abord souligner que les Nations unies restent le seul endroit au monde où n'importe quel pays peut parler à n'importe quel pays, et de n'importe quel sujet ou presque : en effet l'ONU a eu tendance à élargir en permanence son champ d'action, s'emparant de nouveaux défis comme le terrorisme, les pandémies, le climat, etc.
La France tient à l'ONU son rôle de membre permanent du Conseil de sécurité aux côtés des grandes puissances. Un membre du P5 très actif, souvent à l'initiative sur le développement, l'environnement, la lutte contre les inégalités, la pandémie, avec un positionnement qui se veut ouvert à la discussion avec tous. Le fait qu'Antonio Gutterres ait été réélu Secrétaire général constitue par ailleurs plutôt un point positif car nous avons avec lui une identité de vue sur plusieurs sujets.
Ceci étant dit, les équilibres au sein du Conseil de sécurité ont beaucoup évolué ces dernières années. Alors que le P5 était traditionnellement la principale source d'impulsion, il est aujourd'hui plus divisé que jamais. La Russie, la Chine et les États-Unis ne privilégient pas la coopération multilatérale, c'est un euphémisme ! La progression de l'antagonisme entre la Chine et les États-Unis menace de déboucher sur une forme de paralysie.
La France s'efforce quand même de trouver des consensus. Cela passe souvent par un travail sur les formats, afin d'identifier la stratégie de négociation la plus efficace, notamment au sujet du renouvellement des résolutions sur le Mali, la RCA, la RDC, ou encore le Liban. Elle s'efforce ainsi de préserver le rôle d'instance décisionnelle du Conseil de sécurité, ce qui implique souvent de privilégier les consultations fermées par rapport aux exercices de diplomatie publique.
Il faut par ailleurs noter que les projets de réforme du Conseil de sécurité, visant à nommer de nouveaux membres permanents européens, africains ou autres, ont en l'état peu de chances d'aboutir, car elles supposent un consensus plus qu'improbable. La seule manière de réformer, ce serait peut-être que les pays du G20 parviennent à s'entendre entre eux à ce sujet, mais ce n'est pas à l'ordre du jour.
Si l'on élargit le tableau à l'Assemblée générale, il est évident que l'agenda occidental hérité des années 90 est clairement contesté. Les « valeurs occidentales » sont remises en cause par les grandes puissances, mais aussi de plus en plus par des pays émergents. Nos amis des pays en développement ne convergent plus aussi souvent qu'autrefois, avec les positions européennes notamment les pays d'Afrique subsaharienne.
La présidence Trump a aussi laissé des traces. En particulier, sur la question des droits de l'homme ou de l'égalité femmes/hommes, nous sommes maintenant à contre-courant. Il faut lutter non pour avancer, mais pour ne pas reculer ! La Chine et la Russie s'efforcent ainsi de mobiliser les pays membres sur des contre-projets en matière de droits de l'homme, en utilisant une rhétorique anti-néocolonialiste. Même le socle minimal que constitue le droit international humanitaire (ou droit de la guerre) est contesté par la Chine et la Russie. La Chine a ainsi commencé à présenter des textes au Conseil des droits de l'homme, avec des formules floues qui constituent en réalité des régressions.
Dans ce contexte difficile, la France cherche des alliances en « trans-régional » avec des représentants de pays d'Amérique du Sud, ou d'Asie. Elle a aussi lancé avec l'Allemagne l'« Alliance pour le multilatéralisme » pour défendre sa posture d'ouverture.
À la fois indispensable et en difficulté dans de nombreux domaines : ce constat sur l'état de l'ONU est ainsi celui que nous faisons depuis de nombreuses années. Avec une teinte peut-être un peu plus sombre encore cette fois-ci du fait des tensions croissantes entre grandes puissances, qui se reflète dans les crises actuelles en Ukraine ou en mer de Chine.
Avec le représentant russe, la discussion a été assez franche, avec évidemment de nombreux points de désaccord, mais aussi des espaces de discussion sur certains sujets.
Globalement, les Russes distinguent entre, d'une part, la relation bilatérale franco-russe, bonne selon eux, avec des échanges de qualité entre ministres des affaires étrangères et de la défense, et, d'autre part, les mauvaises relations qui découlent de l'appartenance de la France à l'UE et à l'OTAN. Notre interlocuteur a par ailleurs déclaré sans ambages que l'entrée de l'Ukraine dans l'OTAN constituerait un casus belli.
Au niveau des Nations unies, la Russie est défavorable à notre initiative d' « Alliance pour le multilatéralisme ». Notre interlocuteur a également estimé que les États-Unis avaient plus de postes qu'il n'était équitable et qu'il était donc normal que la Chine, deuxième contributeur, s'efforce d'en avoir davantage, tout comme la Russie elle-même.
La Russie a par ailleurs fait quelques annonces importantes en matière de lutte contre le changement climatique à Glasgow, mais notre interlocuteur a déclaré être, à titre personnel, climato-sceptique.
En revanche, nous avons constaté des points de convergence possible sur quelques sujets. Ainsi, sur le Haut-Karabakh, les Russes sont, comme nous, inquiets de la persistance des affrontements dans un contexte de « paix froide ». Toutefois, notre interlocuteur a surtout évoqué le format 3+3 qui associe aux trois républiques du Caucase la Russie, la Turquie et l'Iran. En revanche, la Russie soutient bien le groupe de Minsk, que nous privilégions, s'agissant des discussions sur le statut final du Haut-Karabakh.
Sur la question du Sahel, la Russie nous apporte un soutien ambigu. D'un côté notre interlocuteur affirme qu'il n'y a pas d'espace pour la compétition en Afrique ; de l'autre il nous dit qu'il comprend très bien la déception des Maliens vis-à-vis de la France. D'ailleurs, au Mali, Moscou critique ouvertement la posture française, sans parler, bien entendu, du déploiement de Wagner. Il faut également avoir à l'esprit que l'engagement de la Russie en RCA s'était traduit par une attitude particulièrement offensive contre la France au Conseil de sécurité.
S'agissant enfin de la Biélorussie, notre interlocuteur a rejeté la responsabilité des événements sur l'intransigeance de l'Union européenne et accusé les gardes-frontières polonais d'exactions.
Ce fut donc un entretien assez franc, donc intéressant, malgré des désaccords sur les principaux sujets.
Je voudrais par ailleurs évoquer brièvement l'intéressant entretien que nous avons eu avec Mme Izumi Nakamitsu, Haute représentante du Secrétaire général des Nations Unies pour les affaires de désarmement. Elle a insisté sur la montée en puissance de la Chine, qui accroît son arsenal nucléaire, et sur la nécessité qui en résulte de développer un canal de dialogue bilatéral sino-américain, sur le modèle du dialogue sur la stabilité stratégique entre la Russie et les États-Unis.
Nous avons aussi évoqué le forum de la Convention sur certaines armes classiques, actuellement présidé par la France et qui travaille à un texte sur les systèmes d'armes létales autonomes (SALA), pour le moment bloqué par les Russes. C'est un domaine important de discussion puisqu'il inclut aussi la question de l'utilisation de l'intelligence artificielle, notamment dans le domaine du nucléaire. S'agissant des drones armés, des discussions sont également en cours pour renforcer la transparence des exportations. Ce sont des sujets que nous devons suivre attentivement.
Nous avons bien entendu également parlé de la crise iranienne et des conséquences très importantes si l'Iran parvenait à se doter de l'arme nucléaire. En particulier, la prolifération nucléaire induite risquerait de ne pas se limiter à ce pays.
Il a enfin été question de la Corée du Nord. Alors qu'il y avait auparavant une unité de vue au sein du P5, désormais la Russie et la Chine veulent une levée des sanctions. Notre interlocutrice espérait que l'approche des JO de Pékin amènerait la Chine à modérer sa voisine, on voit ce qu'il en est, avec le tir récent d'un missile par la Corée du Nord.
Plus globalement, il y a lieu de s'inquiéter du délitement de l'architecture de sécurité, avec la fin du Traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI), les violations de la Convention sur l'interdiction des armes chimiques (CIAC) et le retour de la course aux armements. La Conférence d'examen du traité de non-prolifération (TNP), actuellement en cours, pourrait cependant contribuer à freiner cette dégradation...
S'agissant des enjeux de développement, nous avons rencontré M. Courtenay Rattray, Haut-Représentant du Secrétaire général des Nations Unies pour les pays les moins avancés.
Rappelons que la politique de développement constitue l'un des trois piliers des Nations Unies, aux côtés du maintien de la paix, et des affaires humanitaires et des droits de l'Homme.
Notre interlocuteur a mis l'accent sur la nécessité d'avoir davantage de financements pour l'adaptation au changement climatique, de manière à ce que les pays les plus exposés et leurs économies puissent continuer à progresser. Il a aussi beaucoup insisté sur la nécessité de simplifier l'accès à ces financements.
S'agissant des secteurs prioritaires, nous avons notamment échangé sur l'impératif d'améliorer l'éducation. Selon notre interlocuteur, l'éducation primaire a bien progressé pendant la période précédente, mais le secondaire s'est effondré, en particulier pour les filles. Par ailleurs il est impératif d'avoir une croissance riche en emploi compte tenu de l'accroissement naturel de ces pays.
Nous avons enfin évoqué la question épineuse de la dette et du financement des économies africaines.
Le FMI estime à 285 milliards de dollars, soit 10% du PIB africain, les besoins de financement des États africains pour faire face aux conséquences de la pandémie. Plus de 60 millions d'Africains seraient tombés dans l'extrême pauvreté. Si l'APD s'est maintenue en 2020, la part des prêts demeure trop importante par rapport à celle des dons. En outre, 50% des 46 PMA sont déjà surendettés, ce qui fait craindre une nouvelle crise de la dette. La suspension du service de la dette par le G20 ne va pas assez loin à cet égard.
Il est donc impératif d'innover. Nous avons ainsi évoqué des swaps de dette contre un réinvestissement dans des infrastructures, ou encore des mécanismes de suspension automatique en cas de catastrophe naturelle. La présidence de l'Union européenne peut constituer une opportunité pour aller plus loin avec nos partenaires européens sur ces sujets.
Notre interlocuteur a également évoqué la conférence de Doha, 5ème Conférence des Nations Unies sur les pays les moins avancés, qui doit apporter des solutions dans ce domaine des financements. Elle se tient en ce moment même et constitue l'occasion d'adopter un nouveau programme d'action sur 10 ans pour les PMA. Il s'agit de mobiliser des financements aussi bien publics que privés, en réunissant tous les acteurs concernés par le développement des PMA : secteur privé, avec un forum présidé par le président de Microsoft, sociétés civiles, jeunes, etc.
Les propositions présentées par les Nations unies lors de ce sommet nous ont semblé intéressantes. Notre interlocuteur a ainsi beaucoup insisté sur la création d'une Université en ligne devant permettre à davantage de jeunes d'accéder à des formations ; ou encore de la mise en place d'un centre international d'investissement destiné à donner aux entrepreneurs des pays les moins avancés les clefs pour obtenir des financements. La conférence devrait également travailler sur les effets de seuil qui font qu'un pays perd beaucoup d'aides lorsqu'il quitte la catégorie de PMA.
Il serait sans doute d'ailleurs intéressant d'auditionner le ministre des affaires étrangères sur les résultats de cette conférence de Doha.
Tout ceci représente des axes de progression indispensables, mais il faudra mobiliser les pays donateurs à une échelle suffisante pour que les financements soient réellement à la hauteur des défis !
Par ailleurs, nous avons pu faire le point sur les crises au cours d'un déjeuner avec notre compatriote Jean-Pierre Lacroix, le directeur des opérations de maintien de la paix de l'ONU.
Actuellement, les 12 opérations de maintien de la paix (OMP) déployées dans le monde mobilisent près de 75 000 casques bleus, principalement en Afrique. Le budget des OMP est de 6,4 milliards de dollars, la France étant le sixième contributeur. Au Conseil de sécurité, la France est « plume » de quatre des principales OMP qui interviennent dans des pays francophones : la MINUSMA au Mali, la MINUSCA en République centrafricaine, la MONUSCO en République démocratique du Congo et la FINUL au Liban.
Les OMP sont souvent critiquées pour leur efficacité inégale. Elles restent toutefois un outil difficilement remplaçable. Elles font par ailleurs actuellement l'objet d'une réforme, visant notamment le renforcement des relations avec les organisations régionales (Union Africaine, ASEAN, Ligue arabe, etc).
Nous avons bien entendu évoqué la situation du Mali. Les Nations unies essaient de mettre la pression sur la junte pour qu'elle mette un contenu politique dans la transition. D'un point de vue sécuritaire, la situation est grave car tant que la junte est au pouvoir, il n'y a de facto plus vraiment de G5 Sahel ! Notre entretien avec le représentant permanent malien sur ces sujets a constitué un moment un peu étrange. D'un côté, il s'est montré extrêmement amical envers la France. De l'autre, il a, contre toute évidence, totalement nié la présence de Wagner au Mali et affirmé qu'il n'y avait aucun sentiment anti-français.
Depuis notre déplacement, la situation a continué à se dégrader au Mali. Les nouvelles sanctions prises par la CEDEAO risquent d'avoir de conséquences graves pour l'économie malienne et les relations avec la France en sont arrivées à un point critique.
Nous avons débuté notre parcours par un entretien avec M. Jeff DeLaurentis, Conseiller principal à la Mission américaine pour les affaires politiques spéciales aux Nations Unies, numéro 2 de la représentation permanente américaine.
Nous espérions évoquer avec lui des sujets tels que les conséquences de l'arrivée de Joe Biden sur le fonctionnement du multilatéralisme ou l'avenir de la relation franco-américaine après l'affaire Aukus. Or notre interlocuteur est apparu extrêmement réservé.
Il a certes indiqué que les États-Unis étaient bel et bien de retour après les errements de la précédente administration ; il a aussi admis que, compte tenu de ces errements, il faudrait des actes tangibles pour que les alliés des États-Unis ne craignent pas un nouveau retour en arrière de leur part au bout de deux ans. Cela dit, dans la forme, nous n'avons pas perçu de volonté très forte de redonner un nouvel élan à la relation franco-américaine.
Sur le sujet de l'indopacifique, alors que nous l'avions interrogé de manière prudente, notre interlocuteur s'est ainsi montré très évasif. Sans jamais évoquer, même indirectement, Aukus ou l'Australie, il a estimé que nous pouvions aller plus loin dans la coopération sur la Birmanie et que la France avait un rôle particulier à jouer avec le Cambodge.
Concernant l'Ukraine, le message est apparu à la fois ferme et un peu ambigu, puisque M. de Laurentis a déclaré que si les Russes entraient en Ukraine, il y aurait un coût très élevé, mais qu'il revenait à la Russie d'interpréter ce que les Américains entendaient par « coût très élevé ». On a vu depuis lors que les discussions n'ont pas permis d'avancée décisive.
Sans surprise, notre interlocuteur a également défendu le retrait d'Afghanistan en faisant valoir que les Talibans auraient aimé voir les États-Unis s'embourber dans ce pays. Il a souligné que les États-Unis avaient travaillé étroitement avec la France au sein du Conseil de sécurité pour l'adoption de la résolution 2593 adoptée après la prise de Kaboul par les Talibans.
Nous avons ensuite fait le tour des crises en constatant une relative identité de vue, notamment sur le Sahel.
Au total, il y a certes bien un retour des États-Unis dans le multilatéralisme par rapport à la période précédente où Trump voulait tout « faire sauter », ne payait plus les contributions américaines et sortait des traités. Les USA se sont réengagés sur le soutien de la Charte, sur le climat, sur les droits des femmes, sur l'OMS, etc., et ils viennent de commencer à payer leurs arriérés. Mais la période Trump a laissé des traces.
S'agissant de nos autres alliés, nous avons également eu des échanges très chaleureux avec le représentant permanent adjoint allemand, Günter Sautter, qui nous a indiqué que la coopération franco-allemande restait une priorité absolue pour le nouveau gouvernement allemand. Il nous a cependant mis en garde sur la crise malienne : l'un des premiers points qui sera soumis à la nouvelle majorité au Bundestag sera en effet la poursuite de l'intervention allemande au Mali. Or les débats seront fortement influencés par l'échec afghan. Le Gouvernement devra répondre à des questions difficiles sur l'existence d'un processus politique digne de ce nom et sur l'existence ou non d'une stratégie de sortie. Malheureusement, ces propos ont été confirmés depuis par Christine Lambrecht, la ministre allemande de la Défense, et Eva Högl, la commissaire parlementaire auprès de la Bundeswehr.
Je rappelle que l'Allemagne compte environ 1350 soldats au Mali, répartis entre l'EUTM Mali et la MINUSMA. Les propos de Mmes Lambrecht et Högl risquent au minimum de se traduire par un redéploiement vers le Niger des missions de formation effectuées par les Allemands, mais il est clair que cela pourrait aller plus loin. Ce serait évidemment très regrettable de notre point de vue