Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, sur le projet de loi n° 170 (2006-2007) instituant le droit opposable au logement et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale.
a présenté les principales mesures du projet de loi. L'article instituant une cotisation sociale proportionnelle destinée aux travailleurs indépendants soumis au régime de la micro-entreprise devrait permettre de lever un frein au développement de petites activités.
L'article relatif aux travailleurs migrants en retraite vise à régler la question des personnes qui n'ont pas choisi le regroupement familial et qui vivent isolées dans des foyers. Il paraît légitime qu'elles puissent aller passer quelques mois dans leur pays d'origine sans perdre pour autant leurs droits à une prestation vieillesse. Plusieurs solutions ont été envisagées et le texte proposé définit aussi précisément que possible le cadre juridique de cette aide, de façon à éviter les fraudes ainsi que sa requalification en prestation sociale par la Cour de justice des communautés européennes.
L'article relatif au crédit d'impôt en matière de services à la personne permet d'élargir le dispositif aux vingt métiers agréés dans le cadre des services à la personne au-delà des deux métiers précédemment retenus par la loi de finances rectificative pour 2006.
Enfin, abordant le droit au logement opposable, M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, a rappelé que la réflexion sur ce sujet n'était pas mûre au moment de la discussion du texte sur l'engagement national pour le logement (ENL). Le Premier ministre a ensuite saisi, en juin 2006, le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées afin de déterminer les conditions de la mise en oeuvre d'un droit au logement opposable. Celui-ci a rendu son rapport à la fin de l'année 2006. A la suite des voeux du Président de la République, le dossier a été mis au devant de l'actualité et un projet de loi, élaboré. Ses principes essentiels s'inspirent des conclusions du rapport du Haut Comité, à la seule différence que celui-ci préconisait une expérimentation, ce que le Conseil d'Etat a jugé impossible dans le cadre du projet de loi.
L'Etat garantira en dernier ressort le droit au logement dans le respect de deux dates : en 2012, l'ensemble des bénéficiaires pourra se prévaloir de l'opposabilité ; les publics prioritaires définis dans la loi ENL pourront le faire dès 2008. Toutefois, l'essentiel reste bien de maintenir un effort de construction soutenu afin d'éviter le développement de contentieux. Quels que soient les gouvernements et Parlements futurs, il importera de faire preuve d'une grande vigilance afin de bousculer si nécessaire les règles et habitudes des divers intervenants dans la chaîne de décision.
a souhaité connaître le coût de l'aide prévue en faveur des vieux migrants. Il s'est interrogé sur la nécessité d'amplifier les efforts engagés en matière de construction de logements, notamment très sociaux, ainsi que sur l'intérêt d'indexer les aides au logement sur le nouvel indice de référence des loyers.
a estimé essentiel que les droits acquis par le travail restent acquis, quel que soit le lieu de résidence. Le coût de l'aide aux vieux migrants est estimé à environ 78 millions d'euros.
Pour ce qui concerne la production de logements sociaux, le plan de cohésion sociale prévoit son triplement sur cinq ans. La mise en oeuvre de toutes les lignes détaillées dans ce plan est en avance sur les objectifs. En outre, la répartition entre les prêts locatifs à usage social et les prêts locatifs aidés d'intégration a été respectée. Peut-on aller plus loin ? La réponse est sans doute positive, dès lors que la machine de mise en chantier des logements est relancée.
S'agissant de l'indice applicable aux aides au logement, le débat est ouvert. Il est certain qu'un plan d'une telle ampleur, c'est-à-dire 35 milliards d'euros sur cinq ans, crée des tensions sur le marché, qui ont pu entraîner des surcoûts. On constate toutefois un début de détente et, en tout état de cause, il ne faudrait pas qu'un faible indice permette à un gouvernement de ne pas revaloriser l'APL.
a estimé que le projet de loi visait à remédier au contexte très particulier de la pénurie de logements qui commence à être résorbée, mais devrait durer encore un certain temps. La préoccupation principale est de ne pas opposer les couches de population entre elles et, en particulier, d'éviter de faire passer des publics considérés comme superprioritaires devant des personnes aux moyens limités et dans une situation à peine moins défavorable. La seule façon de résoudre cette difficulté est d'augmenter encore le rythme de construction de nouveaux logements.
Il a constaté que le calendrier du projet de loi est plus ambitieux que celui préconisé par le rapport du Haut Comité, ce qui conduit à s'interroger sur son caractère réaliste, tant il est important de ne pas décevoir les espoirs et les citoyens. Ne serait-il pas plus raisonnable de repousser à 2010 l'opposabilité du droit au logement pour les publics prioritaires ? Par ailleurs, il est indispensable de concentrer les efforts sur ceux qui sont dans la rue, ce qui signifie régler la question de l'hébergement d'urgence avant l'hiver prochain.
a estimé que la date de 2012 pour un droit au logement opposable à tous lui paraît très réaliste, en particulier à l'aune du « chambardement » constaté au cours des quatre dernières années dans le secteur. Si l'on additionne les 20.000 à 30.000 maisons construites avec une TVA à 5,5 %, les achats différés de près de 40.000 logements, les quelque 38.000 conventionnements Anah (agence nationale de l'habitat) et la nouvelle garantie des risques locatifs (GRL) qui pourrait s'appliquer à trois millions de contrats, l'échéance de 2012 peut incontestablement être respectée. La question posée est celle de l'étape intermédiaire. La mise en oeuvre d'un droit opposable par les publics prioritaires dès 2008 correspond à une vision très volontariste, ce qui est nécessaire. Certes, des zones de tension existent, notamment en Ile-de-France, mais l'engagement de fond consensuel et républicain demeure.
a souhaité savoir si l'on dispose de chiffres précis sur les besoins à satisfaire pour l'échéance de 2008 afin de mesurer le caractère réaliste de l'engagement.
a fait valoir que ce chiffrage est très difficile. Aujourd'hui on compte environ 100.000 personnes dans un statut « avant logement social », dont un tiers en centres d'accueil des demandeurs d'asile (Cada), un tiers en centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et un tiers dont la situation est plus confuse, qu'ils vivent dans des hôtels, dans des logements très précaires, voire dans la rue. Il faut signaler que de nombreux logements ont été remis à niveau avec le confort Anah minimum et qu'environ 600.000 logements ont été reconstruits ou rénovés dans les quartiers. Il est difficile d'apprécier également les taux d'occupation, de suroccupation, les envies de mutation ou de mobilité, mais en principe, si le rythme actuel est maintenu, dans deux ou trois ans, la France reviendra à une situation normale, comme tel est le cas en Belgique, en Allemagne ou en Espagne.
a rappelé qu'au cours du débat, très récent, sur la loi ENL, les amendements proposés par son groupe pour instituer un droit opposable avaient été jugés irréalistes et démagogiques. Si l'évolution des positions est une bonne chose, elle ne règle pas toutes les difficultés, en particulier les modalités pratiques et financières indispensables pour la mise en oeuvre d'un véritable droit au logement. Ce projet de loi est donc probablement une étape qui en appellera d'autres les prochaines années.
Il a souligné le problème d'une mise en oeuvre inégale sur le territoire des textes relatifs au logement et insisté sur la spécificité de la région d'Ile-de-France, qui justifierait des dispositions particulières. Il a regretté la faiblesse de l'Etat vis-à-vis des élus locaux qui n'appliquent pas la loi SRU. Il s'est déclaré favorable à un moratoire sur la mise en vente des logements sociaux afin de donner un signal fort aux élus concernés. Il a cité l'exemple de son département, les Hauts-de-Seine, qui met en vente 4.000 logements, alors que l'on compte 75.000 demandeurs de logements sociaux. Puis il s'est interrogé sur l'application du texte lorsque le contingent préfectoral de logements aura été délégué aux collectivités. Il a ensuite souligné les difficultés pratiques pour éradiquer les logements insalubres. Il a insisté sur la particularité du public « familles hébergées » qui constitue une nouvelle voie d'entrée dans les mécanismes de priorité et vient bouleverser les inscriptions sur les listes d'attente de logements sociaux. Enfin, il s'est interrogé sur la disparition du comité de suivi qui figurait pourtant dans l'avant-projet de loi.
Sur les autres dispositions, il s'est déclaré favorable à l'aide aux vieux migrants, mais opposé à la cotisation proportionnelle pour les travailleurs indépendants et en total désaccord avec l'article supprimant le droit des ressortissants communautaires en recherche d'emploi au bénéfice d'une prestation sociale.
a souhaité savoir comment on envisage de gérer les publics prioritaires et notamment les jeunes ménages, qui devront attendre quatre ou cinq ans avant de bénéficier d'un logement, quelles seront les mesures appliquées dans le cas où le demandeur refuse le logement proposé et quel sera le rôle assigné au maire pour choisir entre les différents publics prioritaires.
Par ailleurs, on observe que certains propriétaires privés acceptent de louer à des prix inférieurs au marché, mais qu'ils sont alors poursuivis sans ménagement par le fisc pour dissimulation de revenus fonciers, ce qui est contradictoire et nécessiterait un peu plus de souplesse dans l'application de la législation fiscale.
s'est déclarée opposée à l'article supprimant le RMI pour les ressortissants européens qui attendent un emploi, car les personnes concernées sont dans le besoin et ont droit à une aide de la solidarité nationale.
a estimé que le bouclier social prévu à l'article 6 n'est pas dénué d'intérêt, car il permet de ne pas pénaliser les petits travailleurs indépendants.
Toutefois, sera-t-il bien compensé par l'Etat à la sécurité sociale ? Sur l'aide aux vieux migrants, il s'est interrogé sur le statut des personnes qui ont refusé le regroupement familial et sur la permanence de leur droit au séjour. Que se passe-t-il lorsque les enfants de ces personnes sont venus d'eux-mêmes sur le territoire national ? En ce qui concerne l'article de la transposition de la directive européenne, il s'est interrogé sur le caractère juste de cette disposition et a regretté que la loi ne traite pas de la question des personnes qui s'installent sur le territoire national et obtiennent des droits en dissimulant des revenus parfois importants à l'étranger.
a insisté sur la spécificité de la région d'Ile-de-France, où 75 % des logements sociaux sont concentrés dans 5 % des villes. Il est indispensable d'être plus coercitif pour le respect de l'obligation de construction de 20 % de logements sociaux. Parmi les occupants de ces logements, on constate très peu de mobilité, ce qui rend difficile de satisfaire les demandes et conduit au développement de ghettos, car en appliquant la loi, le préfet devra loger les personnes concernées là où se trouvent les logements, c'est-à-dire dans des lieux difficiles. Elle a considéré que, bien souvent, les familles hébergées, la plupart du temps en situation de surpeuplement, retrouvaient une vie normale dès lors qu'elles obtiennent un logement convenable et adapté à leurs besoins.
a souhaité savoir si le texte s'appliquera à l'outre-mer, ce qui n'avait pas été le cas du volet logement du plan de cohésion sociale.
a fait valoir que l'Ecosse est le seul exemple au monde à avoir mis en place un droit opposable au logement, ce qui témoigne de la difficulté de l'application d'un tel principe. Le suivi de la nouvelle loi sera essentiel. Celui-ci sera effectué par le Haut Comité, dont la composition sera renforcée par des représentants des associations d'élus. Il devra remettre un rapport annuel au Président de la République, au Parlement et au Gouvernement, avec des propositions détaillées pour adapter et ajuster le dispositif actuellement prévu. Le fait que ce comité de suivi ne figure plus dans cette version du texte, alors qu'il était expressément prévu dans l'avant-projet, résulte de l'avis du Conseil d'Etat considérant que sa création relevait du domaine réglementaire.
Il est important qu'au-delà du maintien de l'effort de construction, un mouvement général de responsabilité se développe à tous les échelons de la chaîne de décision. L'Etat assumera ses responsabilités, mais il faut que les collectivités puissent avoir un caractère moteur sans toutefois encourir de sanctions en cas de bonne foi.
a jugé essentiel que le travail de longue haleine entrepris par certaines collectivités ne soit pas déstabilisé par des actions du préfet.
a indiqué avoir été informé récemment, et à plusieurs reprises, de l'attitude des services fiscaux dans le cas de propriétaires privés donnant des logements à bail pour un prix inférieur au prix du marché. Il a saisi le ministère des finances de cette question, qui risque de devenir plus fréquente avec le développement de la GRL et de la prime de 25 % pour remise sur le marché d'un logement vacant.
L'article sur la transposition de la directive européenne a pour simple objet d'éviter les effets d'aubaine en matière d'avantages sociaux accordés par les Etats membres. Sur la question de la mobilité à l'intérieur du parc de logements sociaux, il a insisté sur la nécessité de développer un parcours résidentiel complet et a fustigé ceux qui veulent raisonner par segments. Il a enfin confirmé que le texte serait applicable sur l'ensemble du territoire de la République, mais il a relevé la différence de logique entre la politique du logement métropolitaine et la ligne budgétaire unique pour l'outre-mer, qui nécessite d'être réformée.