La commission procède à l'audition de Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer, sur le projet de loi organique n° 687 (2009-2010) et le projet de loi n° 688 (2009-2010) relatifs au département de Mayotte.
Je remercie Mme Penchard, ministre de l'Outre-mer, qui vient nous exposer le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire relatifs à Mayotte.
ministre auprès du ministre de l'Intérieur, de l'Outre-Mer et des Collectivités territoriales, chargée de l'Outre-Mer. - Faisant suite à la consultation du 29 mars 2009, la loi organique du 3 août 2009, relative à l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et de Mayotte, dispose que Mayotte deviendra une collectivité régie par l'article 73 de la Constitution.
Les textes que je vais présenter aujourd'hui portent sur la départementalisation de Mayotte, selon le calendrier arrêté par le Parlement. Il importe en effet de déterminer les modalités d'une transformation que le Président de la République a voulue « progressive et adaptée ». Elles figurent pour l'essentiel dans la loi simple, dont j'exposerai les dispositions avant d'évoquer la loi organique. J'aborderai ensuite l'habilitation à légiférer par ordonnances.
Ainsi, la loi simple organise le fonctionnement de ce cent et unième département, qui sera aussi une région.
La nouvelle collectivité disposera d'un exécutif unique et d'une seule assemblée délibérante, conformément à l'objectif de rationalisation et d'efficacité qui inspire la réforme des collectivités territoriales. Cohérent avec l'évolution en cours sur l'ensemble du territoire, ce schéma novateur est adapté aux nécessités locales. Dans un premier temps, l'effectif du conseil général restera inchangé, avec 19 élus. Leur nombre augmentera légèrement lors de son prochain renouvellement, qui sera partiel, conformément à la recommandation du Conseil d'État, afin de ne pas interrompre le mandat des conseillers élus en 2008. Initialement favorable à un renouvellement total dès 2011, le Gouvernement s'est rangé à cet avis pour éviter tout risque d'inconstitutionnalité.
Le même texte fixe les modalités du transfert des compétences, qui sera effectué dans les conditions de droit commun, après l'intervention notamment de la commission consultative sur l'évaluation des charges.
Toujours par souci de rationalité, le conseil économique et social sera fusionné avec le conseil de la culture, de l'éducation et de l'environnement. Ces deux institutions n'ont aujourd'hui qu'un poids réduit. Pour accélérer le rattrapage en cours, un fonds mahorais de développement économique, social et culturel soutiendra l'emploi privé et financera des infrastructures publiques destinées par exemple à l'accueil des personnes âgées ou de la petite enfance. Il sera doté de 30 millions d'euros sur trois ans, dont 10 millions figureront au budget pour 2011. Nous voulons organiser ainsi la mise à niveau de Mayotte, en attendant l'attribution du statut européen de « région ultrapériphérique » (RUP) ouvrant l'accès aux crédits du Fonds européen de développement régional (FEDER).
La loi organique organise la transition du régime fiscal. Un travail considérable doit être accompli avant l'application du code général des impôts. Même si Mayotte est désormais dotée d'un cadastre, il faut en effet fixer la valeur des propriétés foncières et disposer d'un adressage fiable. L'ampleur de la tâche n'a pas échappé au ministère du budget.
En outre, la loi organique dispose que les conseillers territoriaux seront élus en 2014, comme en métropole.
La loi étend la possibilité pour la collectivité de fixer elle-même des règles législatives adaptées, sauf dans le domaine régalien.
Appliquer le même droit du travail qu'en métropole est un progrès fortement attendu. Les minima sociaux entreront en vigueur à partir de 2012, au quart du niveau métropolitain, pour ne pas déstabiliser l'économie mahoraise.
J'ai constaté sur place les progrès obtenus dans l'élaboration de l'état civil.
De façon générale, tous les départements ministériels préparent la départementalisation en liaison avec mon ministère, de façon réaliste et volontariste, c'est-à-dire adaptée aux spécificités locales mais débouchant sur des changements concrets. L'ordonnance du 3 juin dernier a déjà réformé le statut civil de droit local, notamment pour instituer l'égalité entre hommes et femmes.
J'insiste sur un point : le droit applicable ne sera jamais modifié de façon automatique. Ainsi, nous maintiendrons des règles régissant l'entrée des étrangers sur ce territoire, soumis à une très forte pression migratoire.
Je suis allée sur place expliquer l'ensemble de la réforme, d'où l'avis positif émis par un conseil général unanime. En mars 2009, la population a reçu les documents exposant le Pacte pour la départementalisation. Les élus et la plupart des partenaires sociaux souhaitent accélérer le calendrier, mais nous préférons le respecter, sans retard ni précipitation, car l'échéancier bien étudié, réaliste et équilibré permettra au Gouvernement de tenir l'engagement d'une départementalisation progressive et adaptée.
Quand le département de Mayotte exercera-t-il les compétences en matière de collèges, car le projet ne prévoit pas de dotation départementale d'équipement des collèges ?
Ma deuxième question porte sur la fiscalité locale, qui doit être alignée sur le droit commun à compter de 2014. Tout sera-t-il prêt à temps pour ce basculement fiscal ? Je préférerais que l'échéance soit tout de suite repoussée d'un an, plutôt que de constater ensuite son irréalisme.
J'en viens à la taxe spécifique sur les carburants et à l'octroi de mer, car il faudra bien aligner les ressources de Mayotte sur celles attribuées aux autres départements d'outre-mer. Certes, l'octroi de mer n'est pas sans poser quelques difficultés à Bruxelles, mais c'est un débat ancien. Pourquoi ne pas prévoir d'ores et déjà de traiter Mayotte comme les autres départements ultramarins de ce point de vue ?
Toujours sur le plan budgétaire, pourquoi le département de Mayotte serait-il dispensé de l'obligation de publier des données financières synthétiques dans une publication locale ?
D'autre part, le contentieux entre la France et les Comores pourrait-il faire obstacle à l'unanimité requise sur le plan communautaire pour attribuer à Mayotte le statut de région ultrapériphérique ?
Enfin, pourquoi maintenir l'institut de formation des maîtres jusqu'en 2012 ? Il recrute pour le compte du conseil général des agents qui devront tous être intégrés avant le 31 décembre 2010 à l'Éducation nationale !
Lorsque je me suis rendu à Mayotte il y a une dizaine d'années en compagnie de M. Balarello, une magistrate affirmait pouvoir créer un état civil en deux ans. Il semble qu'il reste beaucoup à faire...Où en sommes-nous aujourd'hui ?
À ce jour, Mayotte dispose d'un conseil général, sans être un département. C'est donc une collectivité hybride, mais la départementalisation débouche sur l'application de la législation nationale, en particulier pour la justice et les droits des femmes. Qu'en est-il de l'articulation avec l'institution cadiale ? Je rappelle qu'à Mayotte, les cadis sont des agents de catégorie C du conseil général.
Ils ont donc bénéficié d'une promotion. Quelles sont les perspectives en matière d'évolution de la justice ?
Le statut de région ultrapériphérique repose sur le principe « aide-toi, le Ciel t'aidera ». La collectivité doit donc apporter des contributions importantes en complément des aides européennes. Cela suppose des ressources...
Présenter ce texte comme une coordination avec la réforme territoriale nous offrirait une excellente raison pour le combattre, mais il s'insère selon nous dans la perspective à 10 ans tracée en 2000 par le Gouvernement Jospin, à la suite du rapport que nous connaissons tous. Depuis, un coup d'accélérateur a été donné, puisque l'échéance de 2008 a été substituée à celle de 2010.
Le Gouvernement a été très bien inspiré lorsqu'il a décidé de suivre l'avis du Conseil d'État concernant le renouvellement intégral du conseil général en 2011. Nous ne lui en voudrions pas s'il le faisait plus souvent.
Dans son avis de juillet, le conseil général a demandé que le fonds mahorais de développement économique, social et culturel entre en vigueur dès la départementalisation et non en 2013. Si vous confirmez cette date, les 30 millions d'euros que vous avez mentionnés en trois ans représentent-ils des autorisations d'engagement ou des crédits de paiement ? Entendez-vous satisfaire le conseil général ?
Le problème de Mayotte tient moins aux institutions qu'au développement économique, social et culturel. Celui-ci nécessite des moyens ; s'ils manquent, la construction échouera. Comment la population scolaire sera-t-elle accueillie demain dans cette collectivité, dénommée département sans en être un, en raison d'un attachement sémantique des Mahorais ? Il ne faudrait pas que se renouvelle ce qui se passe en ce moment au lycée professionnel Escoffier de Nouméa, où les travaux sont interrompus parce que les entreprises n'ont pas été payées ! Les moyens suivront-ils à Mayotte ? Ils forment la clé du développement économique et social. Connaissant les attentes qui se manifestent en Antilles-Guyane, en Nouvelle-Calédonie, mais aussi à Saint-Pierre-et-Miquelon, je crains que vous ne soyez pas en mesure, compte tenu de vos moyens budgétaires, d'être au rendez-vous des engagements pris. Pouvez-vous me rassurer sur ce point ?
Tout ce qui se passe à Mayotte intéresse ses voisins réunionnais. En vieux militant départementaliste, je m'exprime librement.
La départementalisation outre-mer a eu des effets bénéfiques indéniables pour les grands équipements et la santé, mais on est loin du compte en matière d'éducation, avec 30 % d'élèves des collèges en échec scolaire et 65 % d'étudiants recalés à la fin de la première année universitaire. Ainsi, l'investissement de la communauté nationale et des familles ne nous permet pas d'entrer dans la civilisation du savoir et du savoir-faire, seul domaine où l'outre-mer puisse exister, puisque le marché de la main-d'oeuvre bon marché est saturé par nos voisins - des pays sous-développés ou en voie de développement. Nous devons tirer les leçons des erreurs commises dans le passé. Quels que soient le statut en vigueur et la bonne volonté des élus jusqu'au Président de la République, il n'y aura pas d'épanouissement à Mayotte si le volet petite enfance et éducation nationale reste en l'état : l'île pourra devenir un terrain de chasse pour des profiteurs en tout genre, mais il n'y aura pas d'épanouissement humain. Très attaché au rayonnement que procure à la France son implantation dans l'océan Indien, j'ai voté la départementalisation de Mayotte, car cette collectivité pourra jouer un rôle de relais dans la région. Encore faut-il commencer par élaborer un plan « petit enfance », en liaison avec la caisse d'allocations familiales. En 1971, récemment élu maire, j'apprenais aux mamans réunionnaises comment faire la toilette de leurs enfants et comment les nourrir de façon équilibrée. Maintenant, la situation est satisfaisante à la Réunion, pas à Mayotte ! Il faut indexer le niveau de vie sur l'éducation : un Français, ça parle français, alors que les Mahorais ne maîtrisent pas tous notre langue. Il ne serait pas idiot de former des étudiants mahorais à la Réunion : cela ouvrirait ces jeunes sur un département qui commence à évoluer ; le mixage d'élites montantes créerait un climat utile.
Le deuxième point de mon intervention concerne le développement économique. L'octroi de mer opère un prélèvement local sur la richesse importée. Ainsi, un département d'outre-mer perçoit 35 % du prix des voitures qui arrivent. Il y a là une source de marges de manoeuvre pour la collectivité.
Oui. D'ailleurs, les enveloppes financières concernées ont des tailles comparables.
Pour mettre en oeuvre l'article 349 du traité de Lisbonne, il faudrait concéder aux Etats un pouvoir de subsidiarité. Pour éviter que Bruxelles ne supprime l'octroi de mer,...
il faut que les chefs d'entreprise jouent le jeu et fournissent des éléments de justification afin de démontrer qu'il ne porte pas atteinte aux règles de concurrence européennes : il y a matière à une autonomie financière.
Mon troisième point concerne l'agriculture. J'ai conseillé aux agriculteurs mahorais de mettre en place des filières, notamment pour l'élevage avicole et la fabrication d'aliments, à l'instar de ce qui a été réalisé à la Réunion. On dénombre seulement quelque 2 500 hectares de surface agricole utile à Mayotte, mais l'île d'Anjouan est proche. La seule façon de limiter l'immigration nombreuse qui en provient consiste précisément à développer son agriculture, ce que ses habitants acceptent. Grâce à des investissements tripartites provenant d'Anjouan, de Mayotte et de la Réunion, Anjouan pourrait devenir le grenier de Mayotte. Cela enclencherait un cercle vertueux.
L'attractivité de Mayotte ne tient pas seulement aux conditions matérielles d'accouchement.
L'éducation primaire et maternelle fait partie des responsabilités municipales. Cependant, l'État intervient, car les communes n'ont pas de ressources suffisantes. Ne percevant que la dotation globale de fonctionnement, elles n'ont aucune ressource propre. Or, l'enseignement préélémentaire joue un rôle d'autant plus crucial que le niveau socioculturel des parents est bas.
Nous connaissons les incertitudes entourant l'état civil, les adresses et les valeurs cadastrales.
Dans ces conditions, comment instituer une fiscalité locale à l'horizon 2014 ?
Le projet de loi ne mentionne pas les transferts de compétences dans l'éducation nationale, car il y a des préalables. Ainsi, le ministère de l'éducation nationale souhaiterait passer au droit commun le plus vite possible ; encore faut-il s'assurer que la nouvelle collectivité pourra exercer cette nouvelle attribution. Nous ferons le point lorsque le département fonctionnera.
Une taxe sur les carburants existe déjà ; Mayotte perçoit en outre un équivalent de l'octroi de mer, avec des droits de douane complétés par une taxe sur la consommation. Là encore, il faut poser des préalables. La révision de l'état civil avance bien : tout sera prêt pour le 1er avril 2011. Le cadastre existe ; il reste à voir les valeurs locatives. Nous pourrons alors créer une fiscalité communale et départementale. D'où l'échéance de 2014.
S'agissant de la publication de données financières synthétiques dans une publication locale, nous sommes d'accord pour la rendre obligatoire.
J'en viens au statut de région ultrapériphérique. Mayotte ne disposera pas immédiatement d'enveloppes comparables à celles attribuées à la Réunion ou aux Antilles. En outre, les besoins à couvrir tiendront essentiellement aux infrastructures. Au vu des critères d'attribution des fonds européens, il sera plus facile de mobiliser les crédits pour celles-ci que pour accéder à la société de la connaissance. Quant au calendrier, j'ai saisi les deux commissaires européens compétents. L'élément déclencheur sera la mise en place de la nouvelle collectivité en mars 2011. L'attribution du statut de RUP sera demandée au cours du deuxième semestre. Bien sûr, il sera difficile d'obtenir l'unanimité des États membres, car les Scandinaves contestent l'appartenance de Mayotte à la République. Pour aplanir cette difficulté, nous souhaitons renforcer la coopération avec les Comores, sujet difficile...
L'état civil conditionne aussi le versement des prestations sociales. Pour l'achever, il ne reste que 14 000 décisions à prendre, aucune demande nouvelle n'est recensée. La commission traitant 2 000 cas environ par mois, l'échéance d'avril 2011 sera respectée. Je me le suis fait répéter à trois reprises.
L'ordonnance du 3 juin 2010 ayant aligné les droits des femmes sur ceux des hommes a supprimé la justice cadiale. La ratification de ce texte figure dans le projet de loi soumis au Parlement. Depuis, les cadis sont des médiateurs sociaux employés par le conseil général. Cette solution sage prend en compte le rôle qu'ils jouent dans la société mahoraise.
Le fonds mahorais de développement économique, social et culturel satisfait une demande des élus. Dès 2011, le budget de la mission « outre-mer » comportera 10 millions d'euros à ce titre. Au total, 5 millions d'euros seront consacrés par ce fonds aux enseignements scolaires. Cette somme est à comparer aux 10 millions consacrés à l'ensemble de l'outre-mer par le fonds exceptionnel d'investissement. Si l'on ajoute les 550 millions d'euros inscrits au contrat de projet, dont 360 millions à la charge de l'État, celui-ci apporte à Mayotte une aide non négligeable.
M. Virapoullé insiste à juste titre sur la place de l'éducation dans la politique ultramarine. À Mayotte, nous progressons sur le projet d'antenne universitaire en lien avec l'université de la Réunion : des autorisations d'engagement pour 20 millions d'euros seront inscrites l'an prochain, outre des crédits de paiement pour 2 millions. Cette antenne sera également chargée de former les maîtres : elle se substituera ainsi à l'institut actuel. Le comité interministériel de l'outre-mer veut conférer un rayonnement international à nos universités. C'est pourquoi 1,5 millions d'euros seront consacrés à la mise en place, par les universités d'Antilles-Guyane et de la Réunion, de mastères conduits en liaison avec les établissements d'enseignement supérieur situés dans les pays voisins. Cela renforcera leur ancrage régional.
En ce qui concerne l'octroi de mer, je n'ai pas l'impression de la Commission européenne souhaite le remettre en cause. En revanche, il nous revient de démontrer son apport pour le développement des productions locales. L'étude préconisée par la Commission a été lancée à cette fin avec les présidents des conseils régionaux. Le chantier est ouvert.
En matière agricole, je ne partage pas l'analyse de M. Virapoullé : bien que les surfaces agricoles utiles soient modestes, de nombreuses avancées ont été obtenues à Mayotte et il y a encore une sérieuse marge de progression, notamment en désenclavant les territoires, où manquent routes et chemins. Avant de définir les domaines de coopération avec Anjouan, il faut laisser avancer le groupe de travail de haut niveau mis en place à cette fin. Il est vrai que c'est compliqué, puisque les Comoriens n'en veulent pas... Il faudra aussi créer des établissements de santé.
Je vous remercie.
Nous examinerons le rapport demain matin à 9 heures, avant d'aborder la proposition de loi de simplification du droit.
Le rapporteur nous présentera une soixantaine d'amendements, que j'imagine essentiellement techniques.
Sur le second texte à notre ordre du jour demain matin, la proposition de loi de simplification du droit, nous examinerons plus de 300 amendements déjà déposés, auxquels s'ajouteront ceux des commissions saisies pour avis, qui se réunissent aujourd'hui.