La commission a procédé à l'audition de M. André-Claude Lacoste, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
a indiqué qu'il avait jugé utile d'entendre rapidement le point de vue du président de l'ASN après que celle-ci a mis publiquement en cause au début du mois de novembre, par un communiqué commun avec ses homologues britannique et finlandaise, la fiabilité du système de contrôle commande du Réacteur Pressurisé Européen (EPR). Cette annonce, qui a sans doute ses raisons, n'est pas dépourvue de conséquences commerciales et économiques pour AREVA et EDF, alors que l'énergie nucléaire est en développement dans le monde. Il a estimé essentiel, afin de conforter la filière nucléaire française, de rassurer nos concitoyens, qui sont parfois inutilement inquiétés par des publications journalistiques ne disposant pas de toutes les informations adéquates.
a rappelé que l'ASN est une autorité administrative indépendante, qui fait partie de l'Etat mais ne reçoit pas d'instructions de la part du Gouvernement, et qui rend des comptes au Parlement. Sa mission est double :
- d'une part, elle assure au nom de l'Etat le contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour protéger les travailleurs, les patients, le public et l'environnement des risques liés à l'utilisation du nucléaire. A ce titre, elle contrôle 150 grandes installations, qui sont des centrales nucléaires, des usines de retraitement, ou des sites du Commissariat à l'Energie Atomique (CEA), ainsi qu'une multitude de sources radioactives, notamment les appareils de radiothérapie au contrôle desquels l'ASN consacre une attention particulière ;
- d'autre part, elle contribue à l'information des citoyens, en observant une politique de transparence qui la conduit à publier systématiquement ses positions importantes. Ainsi, les lettres de suite des 2000 inspections réalisées chaque année sont toutes publiées sur le site Internet de l'ASN.
a ensuite observé que le contrôle de la sûreté du projet d'EPR par l'ASN est une procédure ancienne, qui a débuté en 1993 par la définition par les autorités de sûreté française et allemande des objectifs de sûreté de l'EPR. Elle s'est poursuivie en 1997 par une position de ces deux autorités sur l'avant-projet ; en 2000 par l'adoption par le Groupe Permanent Réacteurs (GPR) des directives techniques ; en 2004 par la prise de position de l'ASN ; et enfin en 2007 par l'avis de l'ASN sur l'autorisation de création de l'EPR de Flamanville. La prochaine échéance sera l'autorisation de mise en service, en vue de laquelle l'ASN a examiné certains sujets, tels que le dispositif de contrôle-commande.
L'intervenant a indiqué que l'examen de la sûreté de l'EPR obéit à un processus itératif, les industriels proposant des solutions et l'ASN prenant position sur ces propositions. Les positions de l'ASN peuvent naturellement conduire à des évolutions de conception. Un tel dialogue technique approfondi permet à l'ASN de renforcer les choix de sûreté, et sa lettre sur le contrôle-commande n'est qu'une étape de ce processus itératif.
a souligné que ce processus d'examen présente un caractère fondamentalement international. Jusqu'en 1998, il s'agissait d'un processus franco-allemand, avec des évaluations communes aux deux autorités de sûreté nucléaire, des avis conjoints des groupes d'experts et des lettres de position cosignées par les deux autorités. Cette coopération s'est distendue après l'abandon de l'option nucléaire par l'Allemagne en 1998, à la suite du changement de la coalition gouvernementale. A partir de 2005, une coopération s'est engagée avec la Finlande, à la suite de la décision de ce pays d'acquérir un EPR, qui a été étendue au Royaume-Uni. Des experts britanniques et finlandais participent ainsi au GPR. Enfin, une initiative franco-américaine vise à mettre en commun les résultats des évaluations de sûreté, pour parvenir à des positions les plus harmonisées possible. C'est pourquoi la position de l'ASN sur le système de contrôle-commande est parfaitement cohérente avec celle de ses homologues étrangères.
S'agissant du dispositif de contrôle-commande de l'EPR, il se compose d'un niveau de base, où se trouvent les capteurs, d'un niveau supérieur, où se trouve la salle de commande réunissant les moyens de conduite principaux et les moyens de conduite de secours, ainsi que d'un niveau intermédiaire, où se trouvent deux plateformes, l'une « classique » et l'autre spécifiquement nucléaire. La question essentielle est de savoir si ces deux plateformes sont suffisamment sûres prises séparément, et suffisamment indépendantes l'une de l'autre pour continuer de fonctionner en cas de défaillance de l'une d'entre elles. Il s'agit de systèmes informatiques programmés extrêmement complexes.
a rappelé que la mise en place du dispositif de contrôle-commande avait été difficile pour la génération précédente de réacteurs. En effet, ce dispositif utilise des systèmes de l'industrie « classique », dont la pertinence pour une utilisation nucléaire doit être démontrée. La démonstration de sûreté à laquelle EDF va devoir se livrer pour l'EPR sera forcément complexe. Quant aux étapes de l'évaluation du dispositif de contrôle-commande, elles ont été jusqu'à présent les suivantes :
- en mars 2007, l'ASN a rendu son avis sur l'autorisation de création, selon lequel un dispositif de contrôle-commande numérique pour l'EPR était acceptable dans son principe ;
- en février 2008, l'ASN a adressé à EDF une lettre d'alerte sur la conception détaillée envisagée, selon laquelle EDF prenait un « risque industriel » en s'engageant dans une option qui pourrait ne pas être finalement validée ;
- en juin 2009, le GPR a rendu son avis sur la base d'une analyse de l'IRSN ;
- en octobre 2009, l'ASN a adressé à EDF une lettre qui relève la complexité de la conception proposée et démontre que son caractère faisable n'est pas acquis. Des positions similaires des autorités de contrôle finlandaise et britannique ont été communiquées à AREVA.
En conclusion de son exposé, M. André-Claude Lacoste a estimé que la position de l'ASN sur le dispositif de contrôle-commande de l'EPR, cohérente avec celle de ses homologues étrangères, résulte de la difficulté pour EDF et AREVA de produire, jusqu'à présent, les éléments en démontrant la sûreté. Il a considéré que le fait d'avoir rendu publique cette position s'inscrit totalement dans la démarche voulue par la loi du 13 juin 2006 sur la transparence et la sûreté en matière nucléaire. Il a observé que le jour même où cette position était rendue publique, l'autorité de sûreté américaine a adressé une lettre à l'entreprise Westinghouse pour la mettre en garde contre certaines failles de sûreté du réacteur AP 1000, notamment en matière de résistance aux tremblements de terre. M. André-Claude Lacoste a affirmé que l'ASN pourra se prononcer de façon conclusive, et publiquement, sur le caractère acceptable d'une solution de contrôle-commande lorsqu'EDF aura produit les éléments demandés avec l'appui d'AREVA. Il a estimé ce dialogue technique « musclé » nécessaire pour assurer la sûreté de l'EPR.
a estimé surprenant que l'on se lance dans la construction d'installations nucléaires de cette importance sans avoir toute les garanties nécessaires, mais s'est félicité que l'on tende vers une vision internationale cohérente de la sûreté.
a fait valoir que la construction d'un réacteur nucléaire est un processus très long qui, dans le cas de l'EPR, a débuté dans les années 1990 pour aboutir à un dossier de principe en 2004.
après avoir observé que personne ne peut s'opposer à l'ASN sur un sujet aussi important, a souligné que l'opinion publique, qui fonctionne souvent dans le registre de l'émotion, n'est pas forcément réceptive aux explications scientifiques, et qu'une communication publique mal conduite peut causer des dégâts considérables. Il a exprimé la crainte que, même lorsque l'ASN rendra un avis conclusif positif, l'opinion publique ne le prenne pas en considération et reste inquiète. Il s'est déclaré par ailleurs contrarié par le discrédit international qui résulte de cet épisode pour des groupes industriels en passe de conclure des marchés importants en Inde ou en Chine. Il a souhaité savoir s'il n'y aurait pas eu moyen de communiquer autrement, par exemple en convoquant EDF et AREVA de manière plus discrète.
a fait valoir que, dès lors que l'on adopte une politique de transparence, il n'est plus possible d'en changer. L'ASN publie par principe tous ses avis. Il a rappelé que les médias étaient déjà en attente de sa prise de position, et étaient attentifs notamment à d'éventuelles divergences entre les trois autorités de sûreté nucléaire nationales concernées. Toutefois, il a déploré que, en l'espace d'une nuit, la position de l'ASN ait été interprétée comme une mise en cause de la sûreté de l'EPR et de l'avenir de la filière nucléaire française, ce qu'elle n'est absolument pas. Il y a eu manifestement une surinterprétation médiatique, qui contraste avec le peu d'écho qu'à soulevé l'avis de l'autorité de sûreté nucléaire sur le réacteur AP 1000, et qui s'explique par la course à laquelle se livrent les organes de presse pour annoncer les premiers les malheurs d'EDF ou les retards d'AREVA.
constatant que les médias ont réagi exagérément aux observations de l'ASN, s'est interrogé sur la nécessité de revoir la stratégie de communication de l'Autorité.
rappelant que certains pays ne sont pas transparents en matière de sécurité nucléaire, ce qui posera à terme des problèmes sérieux en cas de survenue d'un incident nucléaire, a plaidé pour une application rigoureuse des règles de transparence en France, dans le cadre délimité par la loi de 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire.
rappelant ses fonctions d'élu dans la région de Tricastin, qui abrite le plus grand site nucléaire d'Europe, a estimé que l'ASN est le « meilleur gendarme nucléaire du monde », ce qui n'empêche pas cependant que des améliorations soient nécessaires dans tel ou tel secteur de son activité. En outre, il a plaidé pour une plus grande transparence sur les questions relatives à la sûreté nucléaire, rappelant les dysfonctionnements majeurs de l'entreprise AREVA, qui n'a pas communiqué suffisamment rapidement avec le préfet de la Drôme lors d'un accident survenu le 4 juillet dernier. Cette exigence de transparence était moins prégnante à l'époque du commissariat de l'énergie atomique, ce qui explique la découverte, de nombreuses années plus tard, de déchets radioactifs aux conséquences écologiques néfastes.
Rappelant l'impact économique très bénéfique de l'implantation d'installations nucléaires dans son département, M. Didier Guillaume a regretté les dysfonctionnements que connaissent AREVA et EDF, mettant à mal l'« excellence industrielle » française.
S'agissant de la production d'électricité l'hiver prochain, il a souhaité savoir si l'arrêt de 17 des 58 centrales nucléaires françaises est lié à des difficultés d'organisation du travail ou à des motifs d'ordre industriel.
Concernant l'utilisation d'entreprises sous-traitantes en matière de contrôle et de sûreté nucléaire, il s'est interrogé sur le respect par ces entreprises des dispositions du code du travail.
Abordant la question de la qualité des soudures sur le chantier de construction de l'usine d'enrichissement « Georges Besse II » d'AREVA sur le site du Tricastin, il a souhaité savoir si les constructions défectueuses doivent être ou non totalement refaites.
Evoquant ensuite la traçabilité des déchets nucléaires tout au long de leur traitement, il a douté de la qualité des services rendus par les autorités et entreprises russes qui recueillent certains déchets français.
Enfin, s'agissant du financement des commissions locales d'information (CLI), il a souhaité que leur financement ne soit plus assuré par les collectivités territoriales mais par l'ASN, afin d'en garantir l'indépendance.
a rappelé que deux lois majeures ont été adoptées sur les questions nucléaires : la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire du 14 juin 2006 et la loi de programme relative à la gestion durable des matières et des déchets radioactifs du 29 juin 2006.
a apporté les éléments de réponse suivants :
- les interrogations relatives aux taux de disponibilité des centrales nucléaires françaises relèvent de la compétence des responsables d'EDF. Toutefois, il a indiqué que le nombre important de centrales à l'arrêt résulte de trois facteurs : la grève plus ou moins larvée de certains personnels de centrales nucléaires a retardé les arrêts de tranches prévus par EDF ; des défaillances des parties « conventionnelles » des centrales ; trois réacteurs seulement ont été arrêtés pour des raisons de sûreté suite à des dysfonctionnements des générateurs de vapeur ;
- les inspecteurs de l'ASN ont également pour mission de contrôler l'application des dispositions du code du travail, mais uniquement dans les centrales nucléaires d'EDF. A cette occasion, M. André-Claude Lacoste a plaidé pour qu'on revienne sur cette distinction entérinée par la loi précitée du 13 juin 2006, afin d'étendre à l'ensemble de la filière nucléaire cette mission d'inspection du travail exercée par les agents de l'Autorité et de mieux maîtriser les phénomènes de sous-traitance ;
- EDF doit être rapidement capable de présenter un projet alternatif pour le dispositif de contrôle-commande du réacteur EPR ;
- s'agissant de la qualité des soudures du chantier de l'usine « Georges Besse II », il a indiqué que le dossier suit son cours et que, s'il s'avérait que les soudures ne sont pas sûres, alors elles devraient être obligatoirement refaites ;
- l'envoi de déchets en Russie ne présente pas pour l'heure des garanties de sûreté et de sécurité analogues à celles applicables en France, telles qu'elles résultent de la loi précitée du 29 juin 2006 ;
- le financement des CLI n'est pas satisfaisant actuellement, mais pourrait être amélioré par les parlementaires lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2010.
estimant que le rôle des CLI est globalement positif, a jugé que leur financement ne devrait pas, en théorie, poser de problèmes, compte tenu du chiffre d'affaires très important généré par la filière nucléaire.
après avoir remercié le président de la commission d'avoir invité à l'audition les membres du groupe d'études de l'énergie, a affirmé son attachement au principe de transparence en matière de sûreté nucléaire. Toutefois, il a déploré la stratégie de communication de l'Autorité, qui pourrait nuire à l'image de la France à l'international et dans les négociations commerciales en cours pour vendre des centrales nucléaires de type EPR. Plaidant pour un dialogue constructif, et le plus en amont possible, entre l'Autorité, d'une part, et EDF et AREVA, d'autre part, il a rappelé que les salariés d'AREVA sont très inquiets pour leur avenir, et il a vivement souhaité une révision des moyens de communication de l'Autorité. En outre, abordant la position de l'Allemagne par rapport à l'énergie nucléaire, il a déploré que les incertitudes actuelles outre-Rhin bloquent la construction de la défense européenne, qui est pourtant un projet du Président de la République.
a apporté les éléments d'information suivants :
- la loi sur la transparence en matière de sûreté nucléaire est une loi forte et ambitieuse qui ne doit souffrir aucune exception ni aménagement, afin de maintenir la confiance de l'opinion dans les travaux de l'Autorité et la crédibilité de la France sur la scène internationale ;
- l'Allemagne n'a pas mis en place d'autorité indépendante de sûreté nucléaire, l'homologue allemand du président de l'ASN étant directement nommé par le Gouvernement. Depuis que la collaboration nucléaire franco-allemande a cessé en 1998, avec l'élection du Chancelier Schröder, l'actuel directeur ne dispose plus que de marges de manoeuvre très limitées. L'éventuelle abrogation de la loi allemande sur la sortie du nucléaire poserait la question de la prolongation d'activité des centrales nucléaires allemandes au-delà de quarante ans. A terme, une coopération étroite entre la France, l'Allemagne, la Suède et la Belgique est indispensable pour relancer les investissements dans le domaine des centrales nucléaires, en partenariat technique avec les Etats-Unis.
revenant sur le dispositif de contrôle-commande de l'EPR, s'est demandé s'il n'aurait vraiment pas été possible d'anticiper une question qui allait se poser tôt ou tard publiquement, de manière à ce qu'elle soit tranchée avant que les chantiers aient été engagés.
a rappelé que l'ASN avait prévenu EDF, par une lettre en date du 8 janvier 2008, de l'existence d'un « risque industriel » lié à l'absence de réponse de fond sur la conception du dispositif de contrôle-commande. Il a souligné que la complexité de la construction d'un réacteur nucléaire est considérable et implique de partir d'une conception d'ensemble pour entrer progressivement dans les détails, par des études de plus en plus précises.
a affirmé sa confiance dans l'excellence industrielle de la filière nucléaire française, même si la perfection demeure toujours l'objectif, et a exclu de transiger sur la transparence. Il a estimé cependant que des progrès sont possibles sur les relations entre l'ASN et les industriels, dans un contexte de très forte concurrence économique.
a invité le président de l'ASN à revenir chaque année devant la commission pour présenter son rapport sur l'état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France.