Au cours d'une première réunion tenue le matin, la commission procède tout d'abord à l'examen du rapport d'information de M. François Trucy sur l'évaluation de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne.
Cette communication a pour objet de dresser le bilan de la loi d'ouverture à la concurrence et de régulation du marché des jeux d'argent et de hasard en ligne du 12 mai 2010, dont j'avais été le rapporteur au nom de notre commission.
L'article 69 de cette loi prévoit d'ailleurs que le Gouvernement remette au Parlement deux rapports : l'un, avant le 13 novembre 2011, qui évalue les conditions et les effets de l'ouverture du marché et propose le cas échéant des adaptations ; et l'autre, avant le 31 décembre 2011, sur la mise en oeuvre de la politique de lutte contre le jeu excessif ou pathologique. En effet, cette loi innovait et défrichait des domaines inconnus, ce qui a suscité des inquiétudes et a rendu indispensable le principe d'une évaluation à horizon relativement rapproché.
Estimant que le Sénat devait porter un son regard propre sur ce texte, j'ai mené des travaux de mon côté, dans le but de déterminer si la loi et les textes règlementaires ont été respectés, si la loi a atteint ses objectifs, quels ont été ses succès et ses échecs, si elle comporte des lacunes ou des défauts et quelles améliorations pourraient éventuellement lui être apportées.
Le rapport formule soixante-neuf propositions d'importance inégale. Certaines relèvent du domaine législatif, d'autres, plus nombreuses, du domaine règlementaire, voire infra-règlementaire. Je vous les présenterai au fur et à la mesure : toutes ont pour but de conforter ou d'améliorer la loi, et d'assurer sa réussite dans les domaines les plus importants.
Je débuterai par un bref rappel du contexte dans lequel nous avons légiféré. Quand, en 2010, le Gouvernement a présenté au Parlement ce projet de loi, il a avancé plusieurs raisons :
- la nécessité de mieux protéger les mineurs contre les jeux d'argent et de lutter contre l'addiction au jeu par la prévention et les soins apportés aux joueurs addictifs ;
- l'urgence d'encadrer un marché qui s'est totalement développé en dehors du cadre légal grâce à internet et qui n'apporte aux joueurs aucune garantie de fiabilité et à l'Etat aucune ressource ;
- enfin, le conflit opposant, depuis deux ans, la France et la Commission européenne, celle-ci exigeant alors des Etats membres qu'ils abolissent leurs monopoles sur les jeux et ouvrent leur marché aux opérateurs en ligne. A cette époque, la France a reçu un avis motivé et risquait d'être déferrée devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). La Commission a d'ailleurs clos la procédure d'infraction le 24 novembre 2010.
Une fois la loi promulguée, les décrets d'application, aussi nombreux que complexes, ont été publiés à un rythme extrêmement rapide et tout à fait inaccoutumé, à deux exceptions près : le décret sur le poker a dû attendre un mois pour être opérationnel, et surtout celui relatif au comité consultatif des jeux (CCJ) a pris neuf mois.
Je vous rappelle que la loi a crée une nouvelle autorité administrative indépendante, l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), en charge d'instruire et de délivrer - ou non - des agréments aux candidats sur la base des dispositions législatives et du respect de deux cahiers des charges. Elle assure également une surveillance continue des opérateurs afin de veiller au respect de leurs nombreuses obligations et participe à la lutte contre les sites illégaux.
Son premier défi était d'étudier les premiers dossiers d'agrément en un temps très court et de manière crédible. Ce pari a, de mon point de vue, été réussi. D'abord parce que l'ARJEL a su profiter de sa période de préfiguration, avant l'entrée en vigueur de la loi, afin d'être opérationnelle dès la promulgation de ce texte. Ensuite parce qu'elle a su délivrer cinquante-trois agréments (dont quarante-quatre sont exploités) à trente-sept opérateurs, sans que les conditions d'examen aient été véritablement contestées.
L'Autorité de régulation, très organisée, compétente et respectée en Europe, a une mission extrêmement difficile touchant à un grand nombre de domaines, à la fois techniques et complexes. J'estime que, jusqu'ici, elle s'en est sortie de manière tout-à-fait louable.
Dix-huit mois après, où en sommes-nous ?
S'agissant du marché, la Française des jeux (FdJ), a perdu son exclusivité sur les paris sportifs, mais, appuyée sur son réseau de plus de 30 000 points de vente de petit commerce, elle conserve intact son monopole des jeux de tirage et de grattage. Le PMU a, pour sa part, perdu son monopole sur les paris hippiques en ligne mais, là aussi, la force de son réseau et sa réactivité face au nouveau marché et aux nouveaux concurrents font qu'il a, pour l'instant en tout cas, très bien tiré son épingle du jeu. Ces deux opérateurs, non contents de préserver leurs positions traditionnelles, cherchent à diversifier leurs activités et ont conquis une part significative du nouveau marché. « Pmu.fr » est ainsi le premier site de jeux en ligne en France, le PMU étant même en troisième position pour les paris sportifs - ce qui ne peut que réjouir les sociétés de course. Cependant, la redevance, tirée des jeux et versée à la filière équine, est fortement contestée, dans sa forme actuelle, par la Commission européenne, un dispositif transitoire ayant été instauré par la loi de finances pour 2011...
En termes généraux, le marché du poker en ligne, tiré rapidement de l'illégalité, compte plus d'un million de comptes actifs de joueurs. C'est le marché légal qui fonctionne le mieux puisqu'il représente plus de 80 % des mises. Celui des paris sportifs après de bons débuts, marque le pas depuis le début de l'année et a tendance à se tasser. Et celui des paris hippiques se porte plutôt bien, grâce aussi à une augmentation sensible du nombre de courses supports de paris.
Toutefois, il est clair que, pour l'instant, aucun des nouveaux opérateurs en ligne ne gagne d'argent, à la fois parce qu'ils ont dû consentir des efforts coûteux pour répondre aux exigences de la loi et parce qu'ils ont engagé des dépenses de publicité très lourdes pour s'imposer sur le marché. Plus fondamentalement, il faut souligner que ce marché n'est pas le « pactole » auquel ils croyaient. Les Français ne sont pas, et de loin, les plus joueurs de la planète et chacun d'entre nous peut s'en féliciter...
Seuls les casinos, non directement concernés par la loi de mai 2010, mais impactés par la concurrence, continuent d'enregistrer une baisse sensible de leur chiffre d'affaires et affrontent une période de difficultés sans précédent, qui s'est quand même atténuée sur la dernière année ludique. Le rapport estime simplement qu'il ne faut pas ouvrir davantage le champ d'application de la loi, en particulier aux jeux de casinos.
La seule ouverture que je suggère concerne l'autorisation des paris sportifs portant sur un écart de points supérieur à un écart donné, ce qui aurait des effets équivalents au pari à handicap. En effet, il me semble que l'on reste dans l'esprit de la loi. En outre, la Française des jeux propose déjà des paris à handicap sur son site ; il est plus sain de mettre tout le monde à égalité.
J'en arrive à un sujet qui me tient particulièrement à coeur : l'effort significatif que la loi affichait dans le domaine sanitaire et social a-t-il été suivi d'effets ?
Le projet de loi proposait, dès sa version initiale, des éléments destinés à la protection des mineurs et à la lutte contre l'addiction - interdiction faite aux mineurs de participer à des jeux d'argent et de hasard, obligation pour les opérateurs de faire obstacle à la participation des personnes ayant souhaité se faire interdire de jeux, mise en place de modérateurs de jeu, etc.
Ces deux éléments ont été considérablement enrichis par les deux Assemblées, auxquelles on doit la mise en place d'un message avertissant que le jeu est interdit aux mineurs, l'encadrement de la publicité, l'instauration d'un numéro d'appel destiné aux joueurs problématiques et à leur entourage, l'affirmation du principe de l'interdiction de jeu à crédit et la procédure de consultation du fichier des interdits de jeu ; ainsi, un opérateur ne peut inscrire un nouveau joueur sans avoir consulté le fichier des interdits volontaires de jeu, tenu par ministère de l'intérieur. De plus, tous les mois, les opérateurs doivent obligatoirement réviser l'ensemble de la consultation du fichier.
Pour obtenir leurs agréments, les opérateurs doivent souscrire à des obligations très détaillées.
Enfin, un financement est prévu, pour la prévention du jeu excessif et la lutte contre l'addiction. Prélevée sur le produit des nouveaux prélèvements sociaux sur les jeux, une dotation, dans la limite d'un plafond de 5 millions d'euros, est affectée à l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES), à charge pour lui de réaliser des campagnes de prévention et de mettre en place un numéro d'appel d'urgence et d'assistance pour les joueurs en difficultés. En 2010, l'INPES n'a reçu que 4,4 millions d'euros. Mais cet écart devrait être « compensé » en 2011.
Par contre, le surplus des nouveaux prélèvements sociaux affecté à l'assurance maladie n'a pas permis d'accroître le financement de la recherche et de la prise en charge des joueurs problématiques. Compte tenu des aménagements de la contribution sociale généralisée (CSG) et de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) sur les jeux intervenus par ailleurs, la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM) n'a reçu que 10 millions d'euros de recettes supplémentaires. Dès l'examen du projet de loi, j'étais inquiet de ne pouvoir « flécher » ces ressources vers leurs cibles. Et j'avais raison de l'être car je ne dispose aucun élément attestant que le produit des nouveaux prélèvements sociaux sur les jeux (environ 120 millions d'euros) ait permis un accroissement des moyens des structures de prise en charge des joueurs. Il y a, de mon point de vue, une étude à faire sur la question.
Dans ce domaine sanitaire, le rapport énonce une vingtaine de recommandations, dont le renforcement du dispositif de protection des mineurs, certains aménagements en matière de publicité (publicité au cinéma, modalités d'affichage des messages sanitaires, encadrement des « bonus » offerts par les opérateurs aux joueurs, etc.), l'augmentation de la fréquence de consultation du fichier des interdits de jeu, ou encore le renforcement des modérateurs de jeu. Il propose également d'étudier la mise en place d'un numéro unique d'enregistrement des joueurs pour mieux les aider, ce qui, j'en conviens, peut entraîner des problèmes pratiques et des difficultés au regard des libertés publiques. Il faudrait aussi améliorer l'information du joueur sur les risques liés au jeu, renforcer la formation des « écoutants » du numéro d'appel destiné aux joueurs problématiques et, surtout, assurer enfin le financement des centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA), ainsi que celui des centres de recherche et de formation et des associations d'aide aux joueurs.
Je vais à présent évoquer la lutte contre les sites illégaux : en effet, à quoi servirait-il d'avoir légalisé la majeure partie de ce secteur, si le poker ou les paris en ligne légaux étaient voués à dépérir au profit d'un retour des joueurs sur les sites illégaux ?
Or ce risque existe vraiment : l'assiette retenue pour la taxation, c'est-à-dire les mises engagées par les joueurs, est inappropriée car elle réduit de moitié le temps de jeu que payent les joueurs. Une telle fiscalité peut les inciter à s'en aller et, ainsi, « tuer » le marché légal.
Le rapport propose donc de taxer le produit brut des jeux (PBJ), comme c'est le cas pour les casinos et comme ce l'était pour les paris hippiques avant l'ouverture, à l'instar de ce qui se pratique dans la grande majorité des pays européens. Je relève au passage que nombre d'Etats membres, tels que l'Espagne, l'Allemagne, le Danemark ou la Grèce, tendent à s'inspirer du nouveau modèle français pour bâtir leur régulation nationale, mais se fondent sur le PBJ pour établir leur assiette fiscale.
En revanche, le rapport ne propose nullement d'augmenter le plafond du taux de retour aux joueurs (TRJ), de 85 %, en l'absence des études qui permettraient enfin de dire si une telle augmentation est susceptible, ou non, de favoriser l'addiction au jeu.
Le rapport propose aussi d'ouvrir les tables de poker à d'autres joueurs que ceux des sites en « .fr » et ce, sous réserve que cela ne soit possible qu'avec des pays européens régulés et liés par convention avec l'ARJEL.
Enfin d'autres mesures, plus anodines, sont susceptibles d'accroitre l'attractivité du jeu sans conséquences néfastes sur les phénomènes d'addiction. Je pense notamment à l'autorisation des variantes de poker à la mode ou au renforcement des garanties aux joueurs.
Il est également important d'ouvrir la réflexion sur l'encadrement des jeux d'adresse (« skill games »), qui se développent à grande vitesse et pourraient aussi être régulés par l'ARJEL, sur le même modèle que les paris et le poker en ligne.
S'agissant des paris sportifs et hippiques, la loi a bien abordé le problème des conflits d'intérêts et de la fraude sportive. Le danger existe car le crime a toujours aimé le jeu et y trouve des champs d'action sans cesse renouvelés.
Il faut donc aller plus loin ; les fédérations sportives, les sociétés de courses hippiques doivent beaucoup contribuer à cette lutte en adaptant leurs codes, leurs règlements, leur éthique.
Le rapport propose aussi la création d'un délit de corruption sportive - que le Sénat a d'ailleurs déjà adoptée, à l'initiative d'Ambroise Dupont, dans le cadre de la proposition de loi d'Yvon Collin visant à renforcer l'éthique du sport et les droits des sportifs. Ce nouveau délit serait assorti d'une obligation de déclaration de soupçons qui pèseraient sur les fédérations, les acteurs et les organisateurs des compétitions, ainsi que sur les opérateurs de paris.
S'agissant de l'ARJEL, vingt-et-une propositions visent à renforcer son action, essentielle.
Une question importante concerne le fait de lui conférer ou non la personnalité morale. Lors de l'examen du texte au Sénat, nous avions sollicité l'avis du Gouvernement, qui était défavorable. Il faut être clair : l'ARJEL, quand elle a détecté une fraude, un site illégal, un fournisseur d'accès à internet (FAI) qui fait obstacle à la fermeture d'un site, un opérateur qui ne respecte pas ses obligations, un média qui ne respecte pas les interdictions de publicité... peut mettre un temps considérable à mettre en oeuvre des sanctions et n'a pas les moyens d'intenter elle-même une action pénale. Elle met, en tout cas, beaucoup plus de temps que le fraudeur, qui dispose de nombreux moyens techniques de contournement de la loi.
L'ARJEL a donc besoin de pouvoir agir plus vite et plus efficacement. Pour autant, il n'est pas certain que la personnalité morale soit la solution idéale car elle a des implications budgétaires. C'est donc au Gouvernement d'en décider. A défaut, l'efficacité de l'ARJEL pourrait être renforcée en consacrant un droit d'action civile de son président en cas de publicité pour un site illégal, quels que soient les jeux et paris en ligne en cause.
Je propose également que le collège de l'ARJEL, comme celui de l'Autorité des marchés financiers (AMF), puisse prendre des mesures conservatoires d'urgence à l'encontre d'un opérateur, sous le contrôle de la commission des sanctions.
La plupart des autres propositions du rapport concernent les joueurs, leurs intérêts, leur sécurité, la gestion de leurs comptes, la transparence de la procédure de sanction de l'ARJEL (en s'inspirant de celle de l'AMF), ou encore la création d'une médiation en second recours entre les joueurs et les opérateurs...
Il est également proposer d'améliorer l'efficacité de la lutte contre les sites illégaux, en renforçant les moyens des cyber-patrouilles, en développant la coopération entre l'ARJEL et les autorités judiciaires, ou encore en étendant la portée des procédures civiles de blocage... Je propose également d'amorcer la réflexion sur la pénalisation de la demande de jeux en sus de celle de l'offre, c'est-à-dire des joueurs, dès lors qu'ils contournent ouvertement et régulièrement la loi.
La dernière partie de cette présentation concerne l'Europe. Les institutions communautaires ont le devoir de mettre en harmonie les régulations des Etats qui ont fait des efforts dans ce domaine. Faute de quoi, si certains peuvent continuer à pratiquer les taux de fiscalité qui leur conviennent pour attirer les opérateurs, à ne rien contrôler, à ne pas protéger les mineurs et les joueurs en difficulté et à ne rien respecter, seuls les Etats vertueux seront pénalisés.
Le rapport s'exprime assez vivement à l'égard de la Commission européenne sur ces sujets et demande qu'elle agisse sans délais. Les initiatives récentes de Michel Barnier me paraissent cependant assez encourageantes, puisqu'il a annoncé récemment une possible directive en 2012 sur la protection des joueurs, la lutte contre l'addiction et l'intégrité des compétitions sportives. Les Etats demeureraient toutefois libre du mode de régulation, monopole ou concurrence, pour autant qu'une coopération entre autorités soit mise en place.
En conclusion, puisque la loi a prévu une « clause de rendez-vous » dix-huit mois après sa promulgation, puissent ces propositions enrichir la réflexion du Gouvernement, qui reste maître de ce qu'il entend proposer dans son rapport. En toute hypothèse, il me semble que nous pourrions, à l'avenir, consacrer davantage de rapports à l'exécution des lois.
Je vous remercie de votre attention.
Merci, monsieur le rapporteur. Il est vrai que cette loi touche à de vraies préoccupations, dans de multiples domaines. Je constate que vous avez réalisé un travail approfondi et nous allons pouvoir débattre de vos propositions.
Pour ma part, j'ai le sentiment que nous sommes parvenus à un point d'équilibre dans le domaine des jeux en ligne et que les avancées que vous proposez, notamment afin de renforcer l'ARJEL, vont dans le bon sens.
Vous avez souligné la célérité avec laquelle le Gouvernement a publié les décrets d'application de la loi, tout en relevant qu'il y avait une exception, relative au CCJ. Connaissez-vous la raison de ce retard ?
Je m'interroge sur l'urgence qu'il y avait à voter cette loi en 2010. D'autre part, pourriez-vous préciser ce qu'est exactement le « droit au pari » sportif, qui semble agacer les opérateurs et dont on dit qu'il est une « invention française » ? Par ailleurs, quelles préconisations ont formulé les rapports de l'Assemblée nationale et de l'ARJEL sur la loi du 12 mai 2010, et que peut-on attendre exactement de la « clause de rendez-vous » que vous avez évoquée ?
Au sujet du CCJ, je vous rappelle qu'avant la loi de 2010, le contrôle du secteur des jeux relevait de divers organismes dépendant de pas moins de sept ministères. Bref, il était trop dispersé. C'est pourquoi notre commission a fortement plaidé pour la création d'un comité unique et, après des débats parfois animés, a réussi à obtenir son inscription dans la loi ainsi que son rattachement auprès du Premier ministre, ce qui coupait court aux querelles entre ministères. Toutefois, par sa décision n° 2010-221 L du 14 décembre 2010, le Conseil constitutionnel a jugé que le rattachement du CCJ à Matignon était de nature réglementaire et le Gouvernement a estimé devoir placer ce comité sous la double tutelle des ministères chargés des finances et de l'intérieur. C'est pour cela que la sortie du décret n° 2011-252 du 9 mars 2011 relatif au comité consultatif des jeux a pris tant de temps.
A Mme des Esgaulx, je dirai qu'au-delà des menaces de contentieux communautaire, l'échéance qu'avaient en tête tous les acteurs de ce dossier au moment de l'examen de la loi était la coupe du monde de football de 2010. Tout le monde souhaitait que le dispositif soit en place au moment de ce rendez-vous majeur afin d'éviter le risque d'une « explosion » du marché illégal, en l'absence d'une réglementation adaptée.
A propos du droit au pari, il s'agit effectivement d'une création française. L'objet consiste à organiser les relations entre les fédérations ou les organisateurs de compétitions et les opérateurs légaux de paris en ligne. Ces derniers doivent rémunérer les organisateurs, le droit de consentir à l'organisation de paris étant reconnu comme faisant partie de leur droit de concession. Cet argent - correspondant généralement à 1 % du montant des mises -, ainsi que les autres dispositions contractuelles entre opérateurs et organisateurs, doivent améliorer le dispositif de lutte contre la fraude et contre la tricherie.
S'agissant des autres travaux sur le projet de loi, les députés Jean-François Lamour et Aurélie Filippetti ont publié un rapport d'information au printemps dernier, dont, pour dire les choses brièvement, l'inspiration est commune avec ce que je vous propose aujourd'hui. En revanche, le rapport de l'ARJEL a été adressé au seul Gouvernement et je n'en ai donc pas connaissance.
Quant aux conséquences concrètes de la clause de rendez-vous, c'est un mystère du point de vue législatif, aucun véhicule n'étant programmé pour l'instant. Néanmoins, des progrès pourraient déjà être réalisés à un niveau infra-législatif.
Ayant suivi le projet de loi pour le groupe socialiste, j'avais constaté que les jeux représentent un sujet particulier et délicat. Mes observations sont les suivantes :
- les difficultés sont réelles en matière d'addiction, comme en attestent les 600 000 personnes victimes de problèmes de cet ordre. Lors des débats en séance, nous avions exigé une protection forte de ces populations. Je remercie François Trucy de proposer aujourd'hui des avancées en la matière. Pour ma part, j'estime qu'il faut aller encore plus loin. Ainsi, alors que les publicités à caractère sexuel sont interdites près des écoles pour protéger les enfants, en matière de jeux, la publicité peut encore trop facilement atteindre les mineurs ;
- dans le domaine fiscal, les données fournies par le ministre en charge du budget de l'époque, Eric Woerth, faisaient état d'environ 5 milliards d'euros de recettes. La position défendue par le groupe socialiste consistait à conserver un niveau équivalent de rentrées fiscales malgré l'adoption d'une nouvelle législation. La baisse des taux nous inquiétait tout particulièrement. Je me demande si l'objectif de stabilisation des recettes fiscales a été atteint ;
- la mise en place d'une offre légale aurait conduit à ce que 90 % des joueurs en ligne utilisent actuellement les sites agréés. Cette proportion est encourageante. Je note que l'Italie n'a pas connu la même évolution. Si ce taux correspond à la réalité, cela montre qu'en France, l'ARJEL a pleinement joué son rôle de régulateur ;
- enfin, la politique de lutte contre la fraude est satisfaisante, à la faveur du rôle essentiel joué par l'ARJEL. J'approuve, à cet égard, les propositions du rapporteur dans ce domaine.
Au total, nous ne pouvons que souscrire à la plupart des propositions de notre collègue François Trucy. J'indique que nous prendrons connaissance avec attention du futur rapport du Gouvernement et que nous étudierons son contenu à la lumière du rapport qui nous a été présenté ce matin.
Les règles en matière de publicité peuvent effectivement être renforcées pour mieux protéger les mineurs. S'agissant des recettes de l'Etat, elles s'élèvent à 3,3 milliards d'euros en 2010 et 3,28 milliards d'euros en 2011. De tels chiffres ne permettent pas de pavoiser surtout que rien ne garantit leur stabilité. Pour ce qui concerne la proportion de l'offre légale, le scénario à 90 % est le plus optimiste : en effet, certains font état d'une offre illégale qui représenterait encore entre 20 % et 30 % du marché. Par ailleurs, je précise que le droit au pari pourrait inspirer la future directive communautaire. Enfin, les moyens de la lutte contre l'addiction doivent être renforcés, en particulier les centres spécialisés comme les CSAPA. Ces derniers, traditionnellement dédiés aux problématiques d'alcool, de drogues et de tabac gagneraient à accroître leurs compétences aux jeux. En outre, les 120 millions d'euros aujourd'hui fléchés vers l'assurance maladie devraient, en partie au moins, financer la politique de lutte contre l'addiction. Trop souvent, les associations qui apportent une aide de proximité aux joueurs en difficulté ne le font qu'avec le seul soutien des opérateurs de paris et de jeux.
J'ai trois questions : comment déceler les joueurs addictifs s'ils ne se manifestent pas ? Comment protéger les mineurs ? L'existence de paris sportifs n'est-elle pas une incitation à la tricherie ?
Il est vrai qu'en l'absence de manifestations de la part du joueur concerné, personne ne peut déceler l'addiction. Les commissions de surendettement peuvent toutefois jouer un rôle en la matière mais, le plus souvent, c'est l'entourage du joueur qui permet d'alerter sur les cas les plus pathologiques. Certains opérateurs sérieux, à l'instar des casinotiers, font parfois ce travail d'eux-mêmes. En outre, je souligne que le risque de tricherie existe mais, à ce stade, il est surtout avéré à l'étranger.
Le président de l'ARJEL, Jean-François Vilotte, a évoqué le cas de matchs de football de Ligue 2 sur lesquels des paris considérables avaient été engagés par des joueurs originaires d'Asie du sud-est, laissant présager un système de corruption.
De tels phénomènes justifient un renforcement de la législation, d'où mes propositions de créer un délit de corruption sportive et de compléter la liste des pratiques relevant du conflit d'intérêts en matière de paris sportifs.
Je souhaiterais poser deux questions relatives à la fiscalité.
Tout d'abord, votre proposition n° 13 consiste à verser le produit du prélèvement sur les hippodromes à l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) sur le territoire duquel est implanté l'hippodrome, plutôt qu'à la commune. Dans le rapport écrit, avez-vous analysé en détail les conséquences d'une telle proposition ?
De même, votre proposition n° 15 vise à ce que soit prévue plus explicitement, dans le code général des impôts, la possibilité de fiscaliser les gains de certains joueurs selon un faisceau d'indices qui déterminerait leur degré de professionnalisation. Là aussi, avez-vous des éléments pour étayer cette proposition, qui paraît aller dans le sens d'une plus grande transparence ?
Au sujet des hippodromes, qui ont fait l'objet de débats nourris au sein des deux Assemblées lors de l'examen du texte, je trouve anormal que seule la commune d'implantation physique bénéficie du prélèvement. Le même problème se pose d'ailleurs pour les casinos. Or il s'agit de sommes importantes - 15 % du produit brut des jeux du casino. Par cette proposition, je souhaite donc « lancer un ballon d'essai », mais j'avoue que l'équation fine reste à définir.
Quant aux joueurs, il faut bien distinguer les joueurs « normaux », qui s'amusent et ne gagnent rien - voire perdent - des grands joueurs, professionnels de fait, qui ne jouent d'ailleurs pas toujours à partir du territoire national. Nous devons donc les considérer pour ce qu'ils sont d'un point de vue fiscal, et d'ailleurs pousser pour que nos voisins européens agissent de la même façon.
Je salue l'excellence du travail ainsi que la constance de François Trucy. Je suis impressionné par le nombre de ses propositions. Pour ma part, j'aimerais revenir sur la proposition n° 13. Il est vrai que la question du prélèvement sur les hippodromes avait facilité l'adoption du projet de loi l'année dernière... Mais il existe une présomption d'aubaine. Je préconise donc de conserver la position prudente que la commission avait défendue pendant les débats. Sur la proposition n° 20, je m'interroge sur la compatibilité entre le métier d'opérateur et celui de média offrant des pronostics.
Je souhaiterais que la proposition n° 13 fasse l'objet d'une réflexion commune avec le nouveau mode de calcul du potentiel financier. Pour ce qui concerne l'addiction aux jeux, nous sommes face à une grande difficulté : souvent, l'action des pouvoirs publics arrive bien trop tard. Les jeux ont tendance à faire miroiter un potentiel de gains immenses alors que la réalité est toute autre.
Lors des débats en séance publique, il y a plus d'un an et demi, nous avions exprimé des doutes quant à la possibilité de lutter efficacement contre les sites illégaux. Pourra-t-on venir à bout de ces pratiques et a-t-on les moyens d'agir contre les Etats qui abritent ces opérateurs ?
Je partage l'analyse de Marie-France Beaufils concernant l'addiction. Les modérateurs de jeux, à condition d'être bien placés, peuvent prévenir certaines dérives. S'agissant de l'offre illégale, la loi du 12 mai 2010 a mis en place un dispositif convenable mais il faut rester vigilant. J'ajoute que les sites illégaux sont présents au coeur de l'Europe, comme le montrent les exemples de Malte, Gibraltar ou, encore, des îles anglo-normandes. L'Union européenne doit faire le ménage et ne pas pénaliser les Etats membre les plus vertueux. Enfin, en réponse aux inquiétudes de Jean Arthuis que je partage, je préconise de faire montre de vigilance.
Je propose un vote sur l'adoption de ce rapport particulièrement instructif et contenant de nombreuses propositions.
A l'issue de ce débat, la commission, à l'unanimité, donne acte de sa communication à M. François Trucy, rapporteur, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
La commission entend ensuite une communication de Mme Fabienne Keller sur l'application du droit communautaire de l'environnement.
Mes chers collègues, je vais vous présenter mon quatrième rapport sur l'application du droit communautaire de l'environnement. Je voudrais remercier mes collègues de la majorité sénatoriale d'avoir bien voulu me laisser présenter ce rapport, bien que je ne sois plus, aujourd'hui, rapporteur de cette mission. J'ai profité du printemps et de l'été pour conduire ce travail. C'est un sujet qui appelle une grande vigilance, car nous ne sommes toujours pas au point.
Je rappelle, pour mémoire, que c'est en 2006 que la France a été condamnée pour la première fois, au titre d'une mauvaise application d'une directive dans le domaine de l'environnement, qui concernait les petits merlus. C'était le contentieux dit des « merluchons ». A l'époque, plusieurs ministères avaient dû s'acquitter de l'amende, ce qui avait posé la question de la coordination de l'action publique.
Pour le présent contrôle, afin de comprendre les enjeux associés aux directives environnementales, j'ai rencontré un certain nombre d'administrations françaises mais aussi la Commission européenne. De plus, j'ai effectué des visites de terrain à Lyon, Bordeaux et Strasbourg, avec l'aide des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement. Enfin, je me suis rendue à Air Parif, à la station d'épuration de Seine-Aval à Achères, et j'ai rencontré des représentants du département santé-environnement de l'institut national de veille sanitaire (INVS). J'ai choisi pour ce nouveau contrôle de me concentrer plus spécifiquement sur les directives dans le domaine de l'eau et de l'air.
Partant des constats dressés en 2008, j'ai observé certains progrès dans l'application du droit communautaire de l'environnement. Cependant, il reste un nombre significatif de contentieux, ce qui s'explique en partie par l'arrivée à échéance de plusieurs directives. On compte ainsi onze procédures au stade du manquement (article 258 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, TFUE), dont trois sont pendantes devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), et quatre procédures au titre du manquement sur manquement (article 260 du TFUE). Les domaines les plus concernés sont l'eau, les déchets et la biodiversité.
En outre, sur la période 2007-2010, on observe une tendance générale à la baisse des cas d'infraction au droit du marché intérieur de l'Union européenne. En décembre 2010, la Belgique est le plus mauvais élève tous domaines confondus, avec 109 cas, tandis que la France en compte 74. Si notre pays est bien classé sur les études d'impact environnementales, il rencontre des problèmes récurrents dans l'application de certaines directives.
Sur les questions de transposition, nous restons en retard, puisque nous comptons douze directives en retard de transposition, mais cela correspond à la moyenne européenne.
Plusieurs évolutions juridiques ont contribué à l'amélioration des résultats. D'une part, le traité de Lisbonne accélère les procédures et renforce les risques de condamnation financière, notamment à travers la suppression de l'avis motivé pour les arrêts en manquement. Cela signifie que, lorsque la Cour a rendu une première décision, le risque de condamnation financière sera beaucoup plus rapide. La procédure est également accélérée en cas de défaut de transposition.
D'autre part, la commission fait preuve d'une attitude très constructive. Elle a par exemple mis en place le mécanisme EU Pilot, qui permet de prévenir les contentieux, l'idée étant de remonter l'information des Etats membres le plus en amont possible, plutôt qu'au stade de la non-application. Enfin, les grandes directives dans le domaine de l'environnement ont été adoptées dans les années 1990 et codifiées dans les années 2000, et il y a actuellement moins de production de nouvelles directives. Au contraire, nous sommes dans une période de suivi de leur mise en oeuvre.
S'agissant de la France, les autres évolutions les plus significatives depuis 2008 sont la mise en place d'un certain nombre d'outils nationaux, en particulier le Grenelle de l'environnement et sa démarche de concertation qui a impliqué tous les acteurs, mais aussi la constitution d'un grand ministère de l'écologie et du développement durable, qui a permis d'intégrer des problématiques et de bénéficier de compétences transversales, même si un certain nombre d'enjeux restent encore éclatés entre plusieurs ministères. L'un des défis est bien de fédérer les gestionnaires du niveau national au niveau local.
Enfin, du fait de la condamnation de la France en 2006 et du risque de sanctions financières, une réelle prise de conscience sur la nécessité d'appliquer correctement le droit communautaire de l'environnement s'est opérée au plus haut niveau de l'administration. De fait, quand le ministère des finances commence à se mobiliser, l'administration française s'active ! La charge budgétaire des contentieux est supportée par le budget de l'Etat, selon une clé de répartition entre les ministères. Le montant des provisions pour litiges est inscrit globalement dans le « compte général de l'Etat ». A titre d'exemple, la somme de 253,5 millions d'euros était provisionnée dans le cadre du bilan de clôture pour 2010.
Pour être plus concrets, regardons maintenant ce qui se passe dans le domaine de l'eau. Malheureusement, la France a un retard chronique dans la mise en oeuvre des directives sur l'eau. La directive sur les eaux résiduaires urbaines, dite DERU, est une directive fondée sur des obligations de moyen, qui s'applique essentiellement aux agglomérations. La France est concernée par trois procédures d'infraction relatives à ce texte. Une procédure précontentieuse pour manquement au stade de la mise en demeure, une procédure contentieuse pour manquement au stade de la saisine de la Cour, et une procédure contentieuse au stade de l'avis motivé. C'est cette dernière qui présente le risque financier le plus imminent, puisqu'elle a atteint le stade du manquement sur manquement. Toutefois, le ministère est plutôt rassurant sur la résolution de ce dossier avant la sanction.
On peut noter que la prise de conscience sur cette directive a été tardive. Globalement, la France compte un plan de retard des agences de l'eau. Les objectifs de la directive ont été pris en compte sur la planification 2007-2012, alors qu'ils auraient dû l'être dès la programmation précédente. Les efforts accomplis dans ce cadre et les mesures prévues dans la prochaine programmation 2012-2018 devraient permettre d'atteindre les objectifs. Il y a eu indéniablement une mauvaise anticipation des pouvoirs publics, notamment des agences de bassin, qui sont un des lieux de gouvernance où se rencontrent l'Etat, ses représentants en région, les industriels, les associations environnementales et les collectivités territoriales. L'enjeu est que tout le monde prenne ensemble des décisions convergentes.
Permettez-moi à cette occasion de souligner les sommes mobilisées, absolument considérables, pour la mise en oeuvre de la directive sur les eaux résiduaires urbaines. En effet, le montant d'investissements de l'ensemble des collectivités et des autres acteurs représente 75 milliards d'euros sur vingt ans. Je ne suis pas sûre que le ministre qui a adopté le texte en 1991 disposait alors d'études d'impact suffisamment étayées pour prévoir l'ampleur des moyens nécessaires pour la réalisation des objectifs de la DERU. Cet exemple illustre toute l'importance, au moment où l'on adopte des textes généraux d'application différée dans le temps, de mesurer les implications juridiques et financières liées aux objectifs des directives environnementales.
La directive-cadre sur l'eau dite DCE, dont les objectifs doivent être réalisés en 2015, implique des obligations de résultat, à savoir l'atteinte du bon état écologique des masses d'eau et le respect du principe de non dégradation de l'état des eaux, le respect des zones protégées, la réduction des rejets de quarante et une substances prioritaires et le rétablissement de la continuité écologique. Un certain nombre d'outils de planification accompagnent la mise en oeuvre de ce texte : les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), élaborés à l'échelle des bassins hydrographiques, qui définissent les ambitions et les objectifs par masse d'eau, les schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE), qui permettent de décliner au niveau local les dispositions arrêtées par les SDAGE, et les programmes de mesures (PDM), qui identifient les mesures nécessaires à l'accomplissement des objectifs définis dans les SDAGE.
Echaudées par le précédent de la DERU, les agences de l'eau ont plutôt bien anticipé la mise en oeuvre de la DCE. Malgré tout, sur le terrain, on constate que le rattrapage des investissements concerne d'abord la DERU. La prochaine programmation des agences devrait rester centrée sur le respect des obligations communautaires. Une hausse des interventions est notamment prévue pour lutter contre la pollution industrielle, du fait des risques inhérents aux substances dangereuses. Les acteurs de terrain, par exemple à Bordeaux, estiment qu'il faudrait augmenter les moyens de l'ordre de 20 % pour être en ligne avec les objectifs de la DCE dès 2015.
En effet, la France risque de ne pas atteindre les objectifs aux dates prévues, du fait des difficultés liées à l'incertitude des financements, de l'inertie des milieux, qui dépend par exemple des conditions climatiques, et de la difficulté à identifier les maîtrises d'ouvrage, notamment pour la restauration des cours d'eau.
Se pose aussi la question spécifique de la gouvernance de l'eau, sujet sur lequel j'avais travaillé il y a quelques années. On peut se demander, cinq ans après la loi sur l'eau et la création de l'office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), si cet outil s'est révélé pertinent. On peut également s'interroger sur l'efficacité des polices de l'eau, en principe simplifiées par la mise en place des directions départementales des territoires.
Il serait peut-être temps, mais cette tâche appartiendra à mon successeur, de dresser un bilan des forces et des faiblesses de la gouvernance de l'eau et de l'ONEMA.
J'ai pu constater sur le terrain combien les investissements nécessaires pour le traitement des eaux peuvent être considérables. Je dois dire que, de ce point de vue, la visite de la station d'Achères était tout à fait impressionnante. Permettez-moi ici, en tant qu'écologiste convaincue, de partager une préoccupation. La station d'épuration d'Achères traite 7 millions d'équivalents habitants. Elle consomme, du fait du cumul des traitements, autant que la Communauté urbaine de Nantes, en termes d'électricité ! On se heurte ici à la contradiction d'objectifs environnementaux qui peuvent être concurrents. De ce point de vue, comme je le dirai en conclusion, je pense que les prochaines directives devraient être encore plus transversales, et traiter, non plus chaque objet à protéger, mais adopter une approche coûts/avantages globale en terme environnemental.
Le deuxième dossier sur lequel j'ai focalisé mon contrôle est la directive sur la qualité de l'air. La réglementation européenne relative à la qualité de l'air est très compliquée. Là encore, elle existe depuis les années 1990. Les différentes directives ont été codifiées dans une directive de 2008 sur la qualité de l'air ambiant et un air pur en Europe. Elle concerne notamment les particules dans l'air, les oxydes d'azote, le dioxyde de soufre et l'ozone. Elle fixe des valeurs cibles et des valeurs limites pour l'ensemble des polluants concernés. Pour les particules dont le diamètre est inférieur à 10 micromètres, dites PM 10, la valeur limite de 50 ug/m3 ne doit pas être dépassée plus de 35 jours par an en moyenne journalière. En revanche, en moyenne annuelle, la valeur limite est de 40 ug/m3. Ce sont des polluants pour lesquels il faut à la fois éviter les périodes de pointe, qui ont des conséquences sur les asthmatiques par exemple, et les expositions de fond, qui peuvent créer des fragilités en termes de santé, quand on est exposé trop longtemps.
La directive a été déclinée à travers la loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie. Cependant, le vote d'une loi n'est que la première étape de la mise en oeuvre d'une directive. Plus récemment, le Grenelle de l'environnement, le Plan national santé environnement et le Plan particules sont venus renforcer cet arsenal législatif. Je tiens, enfin, à souligner le rôle essentiel des Agences de surveillance de la qualité de l'air (AASQA), qui effectuent un remarquable et indispensable travail de mesures, de simulations et de modélisation.
La France est concernée par une procédure contentieuse au stade de la saisine sur le fondement de l'article 258 TFUE, pour non respect des valeurs limites de PM 10. Plusieurs Etats membres sont concernés par un tel contentieux. La condamnation de la France semble inévitable, car toutes les grandes agglomérations françaises sont concernées (Ile de France, Rhône-Alpes, Alsace, Aquitaine notamment).
Au-delà des enjeux financiers associés au contentieux, la lutte contre les particules représente aussi un enjeu sanitaire, puisqu'elles ont des effets négatifs sur la santé, à court et à long terme, qui ont été démontrés dans de nombreuses études épidémiologiques récentes. La mauvaise qualité de l'air est ainsi responsable de quelques milliers de décès précoces par an.
Les sources principales des particules PM 10 sont les activités agricoles, l'industrie, l'habitat (en particulier le chauffage) et le transport routier. C'est en général le cumul de ces différents facteurs qui crée les problèmes de dépassement des seuils.
La difficulté de la mise en oeuvre de la directive s'explique par la diversité des sources de pollution et la contradiction entre des objectifs concurrents. Par exemple, on nous a beaucoup parlé à Bordeaux de l'usage du chauffage au bois par des personnes pauvres qui ont des maisons mal isolées. Le chauffage individuel au bois est très émetteur de particules, alors que son utilisation est recommandée dans le cadre de la lutte contre le changement climatique. Certes, ses émissions dépendent de la manière dont la combustion est conduite. En général, dans les grosses centrales, ce mode de chauffage ne pose pas de problème. En revanche, lorsqu'il passe par une cheminée, les rejets sont catastrophiques. C'est un sujet de préoccupation, car l'analyse des AASQA a clairement pointé une forte densité de PM 10 au cours des pics de froid hivernaux, du fait d'un recours massif au chauffage au bois.
Mais la mauvaise application de la directive s'explique surtout par un problème de gouvernance et de pilotage. Il y a beaucoup d'outils, mais on peut se poser la question de leur hiérarchie et de leur coordination : les schémas régionaux climat air énergie (SRCAE), les plans de prévention de l'atmosphère (PPA), les plans de déplacement urbains (PDU), les plans régionaux climat énergie (PRCE), pour n'en citer que quelques-uns. La question centrale porte sur le lieu où l'on prend les décisions pour mettre en oeuvre ces différents outils, et où l'on pilote ces décisions.
De ce point de vue, le domaine de l'eau est moins problématique, car les agences de bassin rendent possible une rencontre et une confrontation de tous les acteurs, qui mène à la prise de décision. En outre, les redevances de l'eau constituent un outil financier au service de cette politique. Au contraire, dans le domaine de l'air, il n'y a pas d'outil financier identifié, ni de lieu de coordination et de pilotage. Ce sera l'objet de l'une de mes propositions.
Au-delà de ces deux grandes problématiques que sont l'air et l'eau, la France est exposée à d'autres contentieux, alors que d'autres procédures sont en voie de classement. Je vous renvoie sur ce point au rapport.
Je voudrais insister ici sur les dossiers à enjeux, qui présentent des risques sanitaires et financiers. Pour la qualité de l'air, au-delà des PM 10, les risques portent sur les particules plus fines, inférieures à 2,5 micromètres, ainsi que sur les oxydes d'azote, toujours dans les grandes agglomérations.
Un deuxième dossier qui ne doit pas être négligé est celui du bruit. La directive relative à l'évaluation et à la gestion du bruit impose des obligations de moyens, notamment l'élaboration d'une cartographie du bruit autour des principales infrastructures et agglomérations, puis de plans d'actions destinés à réduire ces nuisances sonores. Le bruit représente en effet aussi une nuisance sensible pour la santé, à travers des effets sur l'audition et le stress des populations exposées.
Seul un tiers des cartes a été réalisé à ce jour, et la Direction générale de l'environnement de la Commission européenne m'a spécifiquement alertée sur ce dossier, qu'elle surveille de très près. Or, il apparaît encore plus complexe d'agir sur le bruit que sur la qualité de l'air. En effet, nous ne disposons pas d'un réseau d'organismes de mesures, et les sources de bruit sont encore plus diffuses. Enfin, il n'existe aucune instance de discussion et de décision intégrée.
A partir de ce constat, quels enseignements tirer et quelles recommandations proposer pour améliorer la mise en oeuvre des directives européennes ?
Je pars du plus global pour aller au plus opérationnel. Je propose d'abord d'engager une réflexion sur une appréhension globale des enjeux et un traitement transversal des objectifs, pour qu'on ne se retrouve pas à opposer les priorités environnementales entre elles. On est ici très en amont du processus, à travers une impulsion à donner au niveau européen, afin d'aboutir à une approche plus intégrée de la qualité de l'air et de la lutte contre le changement climatique, et que les textes soient gérés de manière plus globale, en introduisant la notion de valeur environnementale. Cette dernière doit permettre de mener une réflexion sur les avantages et les coûts des directives européennes pour la collectivité, en termes de consommation d'énergie, d'amélioration de la qualité de l'environnement, et d'investissements par exemple.
Mon deuxième grand axe de propositions consiste à perfectionner le pilotage et la gouvernance de la mise en oeuvre des directives. Il reste beaucoup de choses à faire pour créer des lieux de gouvernance. Je pense qu'on peut à la foi imaginer un tel lieu au niveau local, pour chaque grande directive, comme l'air et l'eau, le but étant de fédérer l'ensemble des acteurs. La région pourrait être un niveau pertinent. Au-delà, on pourrait également envisager la création d'un lieu de gouvernance national, qui pourrait rassembler les experts des textes européens, des représentants des Parlements, des communes, des départements, des régions, mais aussi des agences spécialisées ou d'autres acteurs comme l'ADEME. Le but est de créer un lieu de pilotage structuré et organisé, qui permettrait par exemple de faire du reporting sur les actions conduites et ce qu'il reste à faire.
De plus, je propose de réorganiser les ministères. L'administration territoriale s'est beaucoup restructurée, mais elle dialogue avec plusieurs ministères dans le pilotage de l'accompagnement des directives environnementales. Je propose donc une réorganisation du bas vers le haut, selon une approche « bottom up ». On voit bien avec la qualité de l'air que l'on aurait besoin d'une approche totalement intégrée pour être plus efficace. Le dossier relève en effet de plusieurs ministères (santé, écologie notamment).
Ma dernière série de recommandations est la plus concrète. Elle consiste à mettre en place une automaticité de la transposition des directives. C'est ce qui existe par exemple en Finlande, où le processus législatif national est conduit pratiquement en parallèle de la négociation au niveau européen. Cela permet d'associer le parlement national aux débats au bon moment, c'est-à-dire quand les grandes lignes des textes sont fixées, mais aussi de créer une mobilisation et une adhésion des différents acteurs. En outre, cela évite ce que l'on a connu sur la directive OGM, à savoir l'écart temporel entre le moment où est adoptée la directive et celui où elle est transposée, avec une réouverture du débat au niveau national qui complique grandement la transposition. Il s'agit de déplacer toute l'énergie aujourd'hui consacrée aux procédures juridiques vers la gouvernance et la mise en oeuvre concrète des mesures.
Une série de propositions complémentaires sont également détaillées dans le rapport : la création d'une équipe projet avec un ministère chef de file sur chaque texte, l'élaboration et l'actualisation de fiches d'impact simplifié pour que tout le monde puisse prendre conscience de l'impact d'une directive dès son adoption, la rédaction de plans de transposition et de tableaux de concordance à diffuser, ou encore la détermination d'un créneau parlementaire annuel pour transposer les directives de manière régulière, afin d'éviter l'accumulation des textes et une certaine acrobatie parfois nécessaire pour respecter les délais de transposition.
Enfin, il faut poursuivre les démarches engagées. Dans mes précédents rapports, j'avais fait une série de propositions davantage liées à la diffusion d'une « culture européenne » : sensibiliser les agents publics à l'importance des enjeux communautaires dans le droit communautaire - je rappelle à cet égard que 80 % du droit dans ce domaine est d'origine communautaire ; développer l'évaluation, à travers des études d'impact ; réaliser des analyses coûts-bénéfices, et mieux utiliser l'action des Parlements nationaux, notamment dans leur travail interparlementaire, pour influer sur le processus législatif européen, démarche facilitée par le Traité de Lisbonne.
Je voudrais revenir sur les propositions de Mme Keller. Votre rapport tombe bien, dans la mesure où il concerne un sujet cher au Sénat, à savoir celui des normes. Je voudrais le rappeler, notamment aux nouveaux collègues. Les normes font l'objet d'un moratoire, qui apparaît comme une toute petite compensation pour les collectivités territoriales, compte tenu de la manière dont elles ont été bousculées par les différentes réformes impactant l'activité locale.
Ce moratoire porte sur 10 % des textes, qui ont un impact réglementaire. En matière environnementale, comme l'a dit Mme Keller, 80 % de la norme est européenne, que l'on transpose plus ou moins bien. Ces normes sont par définition exclues du champ du moratoire. Je voudrais rappeler que le comité consultatif de l'évaluation des normes (CCEN) a évalué sur un an (septembre 2008-fin 2009) à un milliard d'euros en année pleine le coût des nouvelles normes pour les collectivités locales, pour 365 millions d'économies. En 2010, le coût des nouvelles normes atteint 577 millions pour les collectivités, pour seulement 133,6 millions d'économies.
Quand vous nous parlez d'automaticité de la transposition, cela rejoint effectivement la question des normes. Notre collègue Belot a piloté un rapport de la délégation aux collectivités territoriales, dont le titre était particulièrement parlant à cet égard : « la maladie de la norme ». De plus, notre collègue Eric Doligé a réalisé un travail sur ce sujet, à la demande du Président de la République, qui a débouché sur une proposition de loi. Cette dernière a fait polémique - à juste titre - avant même d'exister. Elle devait être examinée par le Sénat mais a été retirée de l'ordre du jour. Si je rappelle cela, c'est pour souligner l'existence d'un problème général d'acceptation de la norme dans notre pays.
Vous nous proposez un gros travail en amont. Quant à la démarche transversale, je pensais que c'était l'objet du Grenelle de l'environnement. Sur le travail en amont, on connaît les difficultés que rencontrent les Parlements nationaux pour travailler avec le Parlement européen. J'y suis favorable, mais vos propositions tracent un chemin bordé de difficultés. Les transpositions peuvent nécessiter des semaines entières de discussion, comme ce fut le cas avec le débat relatif à la loi sur l'eau, que j'avais suivi en tant que députée.
Votre rapport est tout à fait louable dans ses objectifs, mais on a peine à voir, comment, avec les difficultés rencontrées sur les grandes directives environnementales, l'on pourrait imposer cette automaticité de la transposition. Évidemment, le Gouvernement pourrait le faire par ordonnance, mais il y a parfois des abus dans cette pratique qui heurte les prérogatives du Parlement.
Vous posez la question des normes. Il est vrai que les grandes directives environnementales s'appuient sur des critères. Je n'ai pas trop détaillé ce point que j'avais longuement développé dans mes rapports précédents. Toute la question est de savoir comment ces éléments inclus dans les directives sont construits, et quelle est notre participation à la définition de ces critères. Ce sont des directives qui donnent toujours lieu à des livres blancs et des livres verts, ainsi qu'à plusieurs mois de débats.
La question porte sur la contribution des gens qui devront les mettre en oeuvre à l'élaboration de ces critères. Or, il est vrai que pour ces grandes directives, les collectivités de base, qui sont très largement actrices sur l'eau et sur l'air, n'ont clairement pas été associées au moment de la négociation. Nous avons aujourd'hui l'opportunité de nous rattraper avec la révision des directives sur les OGM et SEVESO, qui font partie des grands dossiers du moment. Il faut s'impliquer dès maintenant dans l'élaboration de ces textes et de leurs références.
Deuxièmement, je voudrais souligner l'habileté de la Commission. Elle est plutôt ouverte et elle n'exclue en rien d'adapter tel ou tel critère. La question porte donc bien sur l'alimentation d'outils de travail pertinents en amont, en associant le mieux qu'on peut ceux qui devront mettre en oeuvre les directives
De plus, l'Union européenne, à la différence de la France, suit l'application de ces lois. En la matière, la Commission se prévaut du Conseil qui demande un état des lieux régulier sur l'application des textes. Les traités ont donc prévu un arsenal juridique pour sanctionner le non respect du droit communautaire. La Commission a engagé une véritable « industrialisation » des recours et une gestion diplomatique assez fine des dossiers, avec le classement de certains contentieux, tandis que d'autres prospèrent, et ce de manière équilibrée entre les différents Etats membres. Elle manie assez bien la carotte et le bâton.
S'agissant du travail transversal, vous avez raison de pointer que le Grenelle de l'environnement a permis d'avancer dans certains domaines : on peut le constater sur l'eau. Mais pour l'air, le ministère de la santé et la direction générale de l'énergie et du climat doivent travailler de concert. Il faut aller plus loin pour être plus efficaces sur ces sujets environnementaux qui sont par nature des sujets transversaux.
J'ai beaucoup apprécié la présentation du rapport de Mme Keller. On peut être écologiste et économiste en même temps. J'ai présidé la commission de l'économie et du développement durable et c'est quelque chose de compatible à partir du moment où l'on veut être rationnel.
Sur les normes, il ne s'agit pas de remettre en cause l'esprit de la directive cadre sur l'eau, mais il faudrait au minimum revoir les délais, car les collectivités locales n'ont pas les moyens financiers nécessaires. J'ai été responsable dans un département des problématiques environnementales pendant seize ans. De ce point de vue, je me suis réjoui de la loi Voynet, qui affirme que l'eau fait partie d'un patrimoine commun. C'est un point important, car on a bien vu dans l'entretien des rivières ou dans les politiques d'assainissement que ce statut offrait de nouvelles capacités et possibilités d'intervention aux acteurs locaux.
Or, que constate-t-on depuis vingt ans dans les politiques environnementales ? A une période donnée, les conseils généraux conduisaient les politiques de l'eau en partenariat avec les agences de l'eau, à travers une démarche de contractualisation. Souvent, on atteignait alors des niveaux de subventions de 50 % à 80 % pour les entretiens de rivières, et de 50 % à 60 % pour l'assainissement. Or, depuis 2004, les conseils généraux ont acquis d'autres compétences en matière sociale et ont en conséquence souvent abandonné les financements en direction des politiques de l'eau, du fait des difficultés budgétaires.
Vous parlez de gouvernance. L'Etat collectait des ressources financières à travers le fonds national pour le développement des adductions d'eau (FNDAE) et les répartissait dans les départements selon des critères de longueur des réseaux. Or, l'Etat a abandonné le FNDAE mais a permis aux agences de l'eau de conserver des moyens financiers.
Le ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement (MEDDTL) a de larges compétences, mais les acteurs reconnus au niveau européen sont les agences de l'eau. Elles sont reconnues pertinentes au niveau européen, du fait d'une approche par bassin, rationnelle et pragmatique. Quand on voit ce qu'elles prélèvent sur les factures d'eau de nos concitoyens, de l'ordre de quelques centimes d'euros par mètre cube, je pense qu'il faudrait renforcer leur capacité à développer des financements sur l'eau en général (entretien des rivières, assainissement dans nos communes). Aujourd'hui, les maires me disent qu'ils sont à court de financements. Cela bloque toutes les opérations. Il faut faire en sorte que les agences de l'eau aient les moyens d'accompagner toutes ces politiques de l'eau.
L'excellent rapport de Mme Keller m'amène également à m'exprimer sur la question de l'eau. Vous dites que la gouvernance de l'eau reste perfectible. C'est évident. Mais on sait qu'en matière d'eau potable, le gravitaire est la solution la moins couteuse après vingt-cinq ans. Or, un bon réseau dure cinquante ans. Dès lors, partout où cela serait possible, pourquoi ne pas préconiser que l'on puise l'eau en montagne, là où elle n'est pas polluée, plutôt que de la puiser en aval avec des rivières qui sont déjà polluées - induisant d'importantes dépenses - pour avoir une eau potable mais non buvable ! Voilà des choses simples et faisables ! Je suis président d'un syndicat d'eau interdépartemental, qui compte 9 000 kilomètres de réseau gravitaire. Les derniers abonnés sont à 130 kilomètres des sources, et notre prix de l'eau est tout à fait correct, pour une bonne qualité de l'eau.
Deuxièmement, je vais vous faire sourire, mais j'avais déposé un amendement - voté à l'unanimité - dans le débat sur le Grenelle de l'environnement, préconisant que les herbivores devaient manger de l'herbe : la qualité du lait et de la viande est en effet optimale quand les animaux mangent de l'herbe. De plus, on protège par là-même les nappes phréatiques, car la présence d'espaces enherbés empêche par définition le lessivage des sols. Voilà des préconisations simples, ayant une efficacité réelle sans que cela coûte très cher.
Enfin, vous avez évoqué l'ONEMA. Vous avez dit qu'il est perfectible. J'irai beaucoup plus loin : il faut neutraliser ses « cerbères galonnés et armés » ! Ils font passer les maires pour des délinquants, en demandant des peines de prison ferme à l'encontre de maires qui auraient laissé faire un coup de pelle mécanique intempestif dans telle ou telle rigole, qui aurait bien entendu dérangé l'habitat de je ne sais quelle libellule multicolore ou salamandre marbrée ! Jusqu'à maintenant, les procureurs ont classé ces demandes d'emprisonnement ferme, sans que cela aille plus loin, mais cette tendance est gênante.
Merci à François Fortassin dont l'intervention colorée nous éloigne un peu du pragmatisme des fonctionnaires européens...
Le sujet est évidemment l'écologie, mais aussi la transposition des règles européennes. Soit on est pour une Europe fédérale, à terme, avec une transposition des directives automatique. Je suis plutôt partisan d'une telle proposition. Mais le coeur du débat n'est pas celui-là aujourd'hui. On parle ici de l'application du droit européen. Je voudrais réagir en tant que nouvel élu du Sénat. Je suis sincèrement convaincu par la nécessité de l'écologie et de l'environnement, mais je suis également certain que gronde une révolte des élus locaux. On prend ces derniers en otage, alors qu'ils créent un lien important entre la base et le sommet.
Le schéma de la gouvernance de la qualité de l'air est une véritable usine à gaz : comment veut-on faire appliquer des choses comme ça ! Ce genre de dysfonctionnement dresse un certains nombre de personnes contre des directives qui sont pourtant nécessaires. On va fêter en 2012 les trente ans de la décentralisation. Cela pourrait être l'occasion de réfléchir aux compétences des collectivités locales en la matière. Nous avons des visions si technocratiques qu'elles en deviennent antidémocratiques. La conséquence paradoxale en est que, alors qu'on devrait se mobiliser et traiter ces sujets, ils suscitent le rejet des acteurs locaux.
Au vu des évolutions de ces dernières années, tout le monde est d'accord pour adhérer au phénomène écologique et le respecter. Mais je pense aussi que nous devons être pragmatiques. L'Etat est en faillite, nos collectivités sont étranglées et n'ont plus de marges de manoeuvre, et le contribuable, notamment local, est asphyxié par la hausse des impôts locaux, par exemple en matière de foncier bâti. Il faut donc se donner le temps d'appliquer les différentes règles, car on n'en a pas les moyens. J'ai été conseiller général pendant trente-deux ans, dont quatorze comme président. Dans ce cadre, j'avais fait de l'assainissement une priorité absolue. Nous avons obtenu de bons résultats, en parvenant aussi à sensibiliser les acteurs. Mais nous n'avons travaillé que sur un sujet. Je ne pense pas que l'on puisse tout faire en même temps.
Dans la DCE, il y a quelque chose qui me gêne beaucoup : il y a des rivières de différentes catégories : nos prédécesseurs ont construit des barrages au fil du temps, et nous devons aujourd'hui les détruire. Je ne suis pas d'accord. Ils avaient un sens à l'époque. Il faut les entretenir et les mettre en état.
Sur l'air, le chauffage au bois est un non sens d'après vous. C'est vrai dans les grandes villes, mais allez dire ça dans les villages : vous braquerez encore davantage les populations contre l'écologie !
Enfin, nous aimons les bovins et les pâturages, mais on leur reproche d'émettre trop de CO2 ! Soyons pragmatiques !
Les problèmes financiers liés à l'écologie sont très lourds. On ne peut pas tout faire en même temps. On est d'accord sur les grandes lignes, mais il faut procéder paquet par paquet. J'émets donc des réserves sur les propositions de Fabienne Keller.
Je me réjouis de ce débat ! D'ailleurs, je dis à M. Fortassin, car je connais bien son courant politique, que j'ai bien entendu l'ode à la défense des territoires et le fait qu'il ne faut pas tout judiciariser. Mais je reprendrai une formule appréciée des radicaux de gauche, de l'abbé Lacordaire : « entre le fort et le faible, c'est la loi qui protège et la liberté qui opprime ». C'est aujourd'hui la réalité de la politique environnementale.
Certes, il y a sûrement des améliorations à apporter à la confection des directives, du point de vue démocratique et participatif. En tant qu'écologiste, je suis attaché à l'application des textes sur l'eau, l'air et les déchets - que Mme Keller n'a pas abordés. Tous ces problèmes ne s'arrêtent pas à nos frontières. C'est un défi européen et planétaire. La question des normes environnementales est très importante. Je constate aussi que les frontières des partis politiques ne correspondent pas forcément aux frontières écologiques. Mme Keller se montre en effet plus normative et volontariste sur les transpositions que Mme Bricq.
La question est celle de la transposition rapide des normes mais aussi de la transversalité, sur laquelle le Grenelle de l'environnement a permis d'avancer. Ce qui avait été fait par les cinq groupes de travail était très intéressant, par exemple sur les trames vertes et bleues.
Au-delà, Mme Keller a raison de porter attention à la question de la gouvernance, éminemment importante. Le problème est aussi celui du contrôle du respect des normes région par région, département par département. Il faut bien contrôler la réalité de la norme sur les différentes formes de pollution, dans le respect des acteurs locaux. Mais le volontarisme est aussi de donner une orientation. Par exemple, au niveau de la région Ile-de-France, on ne fait que voter des plans, sauf que personne n'en vérifie la mise en place efficace, et qu'il n'y a pas de bonus si on est vertueux ou de malus si on est mauvais. Il faut rétablir la parole politique. C'est en ce sens que les préconisations du rapport de Mme Keller me satisfont.
Nous sortons d'une campagne sénatoriale, et beaucoup d'élus de départements ruraux ont été confrontés au problème de l'assainissement individuel. Les contrôles s'effectuent en ce moment sur les équipements des particuliers, par exemple sur le type de fosses d'évacuation qu'ils possèdent. Souvent, on leur indique que leur équipement est non conforme, et il revient aux maires d'annoncer ces nouvelles aux particuliers qui ont dépensé l'argent pour cet équipement. Tout cela a quelque chose de désespérant !
Votre rapport est tout à fait intéressant, mais lorsque vous préconisez de réorganiser les ministères par rapport aux territoires et non l'inverse, je vous souhaite bon courage. En effet, j'ai pu constater toute l'ampleur de la tâche dans le cadre de la mission d'information sur la révision générale des politiques publiques.
Enfin, il est urgent d'ouvrir une conscience sur les dangers du bruit sur la santé. Beaucoup de nos compatriotes sont atteints de déficits auditifs plus ou moins importants, et en souffrent. De par mon expérience professionnelle, je peux dire qu'on ne fait pas assez attention aux conséquences de ces maladies.
Pour les élus que nous sommes, l'expression du droit communautaire se réduit essentiellement à la transposition des directives et à l'application de la norme, alors que l'on atteint le stade ultime du processus législatif européen. Lorsque j'étais membre de la commission des lois nous avions fait une tournée des Parlements européens. J'avais alors été frappé devant le constat que les autres Parlements nationaux agissent nettement plus en amont dans le processus communautaire. C'est clairement l'une de nos faiblesses. Nous avons de gros efforts à faire en la matière. Agir sur la transposition et sur l'application se révèle assez vain quand le processus antérieur est déjà épuisé.
Je voudrais d'abord féliciter Mme Keller pour son excellent rapport. Je trouve que la démarche consistant à tirer des enseignements et à effectuer des recommandations pour améliorer la transposition des directives, à ce moment précis, est vraiment utile et importante.
Il me semble qu'il y a un moment privilégié des discussions, qui est celui où l'on discute des documents d'urbanisme, qu'il s'agisse de l'établissement des plans locaux d'urbanisme (PLU) ou des schémas de cohérence territoriale (SCOT). Ce moment privilégié, qui rassemble l'Etat avec les différentes administrations, peut faire bouger les choses, notamment pour sensibiliser les agents publics. Malgré tout, il faudra veiller à l'uniformité.
En effet, j'ai constaté, dans mon département, que l'on arrive quelquefois à des positions sur des établissements de cartes communales ou de PLU qui ne sont pas tout à fait identiques, ce qui me gêne. Il faut profiter de ces moments clés pour poser ces problématiques devant les élus locaux : car cela crée du lien entre la décision communautaire, l'action nationale et les mesures locales, tout en veillant à ce que l'administration formule des instructions claires et précises pour éviter les disparités.
S'agissant des provisions, bien sûr, le Gouvernement fait le nécessaire et agit de façon rationnelle. Mais, selon vous, quel est le risque réel que l'on ait à débourser tout ou partie de cette somme au bout du compte ? N'y a-t-il pas là une forme d'agitation sur ces menaces de sanctions financières, sans condamnation avérée, tel le guignol lyonnais ? J'ai en tête un exemple sur l'eau.
Je voudrais rappeler que le droit communautaire a été élaboré par le conseil de l'Union européenne et par le Parlement européen, et que, très majoritairement, ces textes ont été adoptés à l'unanimité. Nous sommes dans un processus où, entre celui qui vote et celui qui transpose, il peut y avoir plusieurs ministres. La technique de l'Union européenne est d'être très volontariste sur les objectifs, mais en fixant des délais de réalisation de ces objectifs de façon différée dans le temps. De fait, ce sont rarement ceux qui votent qui sont finalement responsables de la mise en oeuvre, méconnaissant le fait que, si l'on veut « être dans les clous », il faut agir dès l'adoption de la directive.
Plusieurs d'entre vous ont évoqué la question des finances. M. Emorine suggère de se servir un peu mieux des redevances des agences de bassin, voire de les augmenter, puisqu'on a là une base fiscale assez pertinente : elle fait payer ceux qui polluent et consomment de l'eau. Évidemment, les discussions dans chaque bassin sont difficiles et le prix de l'eau est une question éminemment politique, mais on dispose d'un outil que l'on n'a pas pour l'air, à part un peu de TGAP sur telle ou telle activité.
Je me propose d'ajouter au rapport la proposition de M. Emorine de mieux doter les agences de bassin, sachant que les autres acteurs ont plus de difficultés à trouver des ressources.
Je n'y suis pas hostile, mais les redevances de l'eau échappent au budget de l'Etat. C'est un problème. Et puis, il y aurait malgré tout beaucoup à dire sur les agences.
L'évaluation des investissements totaux sur les réseaux est de 135 milliards d'euros pour refaire intégralement l'assainissement collectif en France. N'y a-t-il pas des endroits où il serait plus pertinent d'avoir un bon assainissement individuel, comme le suggère Mme André ? Au-delà, se pose la question du financement des équipements individuels. On ne peut pas ne pas prendre en compte la question financière. On ne règlera pas le problème de l'assainissement individuel par un texte de loi. C'est un problème de terrain, qui doit faire l'objet d'une discussion entre les acteurs concernés, pour qu'on monte les mécanismes de financement nécessaires. Sur l'assainissement collectif et individuel, peut-être pourrait-on initier un travail pour une nouvelle adaptation des directives. L'objectif de la commission n'est pas d'embêter les gens mais d'avoir un dispositif pertinent, qui supporte des adaptations dès lors qu'elles ne sont pas en contradiction avec l'objectif.
M. Germain, je me suis limitée au cas de textes qui doivent être mis en oeuvre. L'incompréhension dans les procédures formelles est également liée au fait que nous appliquons ces textes vingt ans après leur adoption. Du coup, la perception des élus locaux qui n'ont jamais été associés au processus de décision et qui doivent tout financer eux-mêmes est négative. L'un des sujets est aussi de partager la prise de décision. C'est la question des fiches d'impact, des évaluations financières, de l'implication des acteurs de terrain.
M. du Luart, le problème des barrages entre tout à fait dans la problématique des normes contre les objectifs. La question du chauffage au bois illustre la complexité de l'écologie. Tout cela est multifactoriel.
M. Placé, sur les déchets, il y a effectivement un souci sur la directive relative aux décharges non autorisées. A ce jour, trois décharges sont encore non conformes en Guyane. Vous avez aussi évoqué les normes et leur réalité. Mon rapport se limite à la vérification de l'application des directives adoptées. Sur la qualité de l'air, on a des plans, mais l'on n'en contrôle pas la mise en oeuvre, et l'on ne dispose pas d'un outil financier dédié. Du coup, on impose la solution la plus coûteuse, celle de la norme, dont on n'est pas sûr des effets par rapport aux résultats attendus. Tout cela est contre-productif.
Sur la réorganisation des ministères, ma remarque était un peu générale, car il y a sur le terrain des directions départementales et régionales qui reçoivent des recommandations de nombreux ministères. En principe, ce sont celles-ci qui sont proches de la vie réelle. Ma proposition relève donc davantage d'une philosophie générale qui partirait du terrain pour construire les ministères, à travers une sorte de « reengineering » des ministères.
M. Guené a très justement souligné la nécessité d'une action beaucoup plus en amont sur les textes communautaires. J'y souscris bien sûr.
Sur les questions d'urbanisme, les documents d'urbanisme sont absolument stratégiques, ce sont les documents les plus intégrateurs, notamment les SCOT.
Enfin, sur la question des provisions, elles sont établies en prenant en compte des probabilités. C'est un chiffrage qui est plutôt inférieur à la réalité des risques. Il faut revoir chaque année cette prévision, afin de remobiliser tout le monde.
Merci à tous pour ce débat très instructif et intéressant. Je vais vous demander si vous êtes d'accord pour adopter le rapport de Mme Keller pour qu'il donne lieu à publication.
La commission donne acte de sa communication au rapporteur et décide, à l'unanimité, d'en autoriser la publication sous la forme d'un rapport d'information. Elle autorise également le rapporteur à mener une action de communication sur ce rapport.