Permettez-moi, en premier lieu, de souhaiter la bienvenue aux nouveaux membres de l'Office, désignés à la suite des élections sénatoriales. Comme vous le savez, le renouvellement du bureau de l'Office, qui devait avoir lieu aujourd'hui, a été reporté à mardi prochain, 13 décembre, à 16h30.
Nous voici donc réunis pour la présentation par la commission nationale d'évaluation de son cinquième rapport annuel consacré à l'état d'avancement des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs.
Je voudrais rappeler, au préalable, que la CNE a été instituée par la loi du 28 juin 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs. Elle succédait alors à une première commission nationale d'évaluation, créée par la loi du 30 décembre 1991 dite « loi Bataille ».
La loi du 28 juin 2006 prévoit que le rapport annuel de la CNE est transmis à l'Office. Elle prévoit également une évaluation par l'Office du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), ce qui s'est traduit, au mois de janvier dernier, par la publication d'un rapport que nos collègues Claude Birraux et Christian Bataille ont intitulé : « Déchets nucléaires : se méfier du paradoxe de la tranquillité ».
Le rapport que vous nous présentez aujourd'hui fait suite au rapport d'étape que vous nous avez présenté en juin qui traitait de l'état des recherches sur la séparation-transmutation et, avec des réserves, sur le stockage géologique profond. Vous nous faisiez en effet part de votre inquiétude quant à une remise en cause possible du projet actuel de stockage géologique, fondé sur une décennie d'études, au profit d'une autre architecture d'ensemble, proposée par les producteurs de déchets, et motivée par une logique de réduction des coûts. Le rapport de nos collègues Claude Birraux et Christian Bataille, que je viens de mentionner, dénonçait d'ailleurs cette démarche des producteurs, en dehors des cadres de concertation prévus par la loi.
Je laisse donc maintenant la parole à M. Jean-Claude Duplessy, président de la CNE, pour actualiser les informations transmises à l'Office il y a quelques mois, en vous remerciant très vivement de venir ainsi faire le point devant nous à intervalles réguliers.
Je ne présenterai aujourd'hui que les faits nouveaux intervenus depuis juin 2011, concernant les deux thématiques de recherche prévues par la loi du 28 juin 2006 : la séparation-transmutation des déchets et leur stockage géologique.
Le stockage géologique est l'objet d'études et recherches très satisfaisantes. Les bonnes qualités de l'argile callovo-oxfordien ont été confirmées. Le passage en phase de réalisation industrielle s'est toutefois révélé plus problématique, en raison de la présentation parallèle de deux projets, ce qui nous a paru remettre en cause le partage des responsabilités mis en place par le législateur. En septembre 2010 en effet, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) a présenté une organisation et une stratégie industrielles appelées CIGEO (centre industriel de stockage géologique). En parallèle, les producteurs de déchets (EDF, Areva et le CEA) ont proposé un projet alternatif, dont la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) a demandé l'évaluation par l'ANDRA en avril 2011. En parallèle, la DGEC a mis en place une revue du projet CIGEO pour élaborer des recommandations sur son cahier des charges, prenant en compte les propositions des producteurs. Cette revue a été finalisée en juin 2011.
Je veux souligner ici qu'à diverses reprises, depuis fin 2010, la CNE avait demandé que lui soient transmises les informations sur le concept avancé par les producteurs et l'analyse que l'ANDRA en avait faite. Aucun dossier suffisamment complet ne lui a été remis avant son séminaire de rédaction du rapport annuel de mai. C'est pourquoi la commission a reporté la sortie du rapport que nous vous présentons aujourd'hui.
L'information de la commission a depuis lors été complétée : en juin 2011, un de nos membres a été invité à la revue du projet CIGEO ; au cours de l'été, la commission a reçu les documents relatifs au projet des producteurs, dit projet STI, qu'EDF lui a présenté pour la partie qui concerne le stockage profond.
La commission estime que ce projet contient des éléments qui méritent examen. Cependant, l'architecture d'ensemble semble participer d'une logique de réduction des coûts, comme l'Office l'a souligné en janvier dernier. Par rapport au projet de l'ANDRA en 2009, le projet STI présente une flexibilité plus faible et limite la vérification des objectifs de sûreté au seul respect d'un critère de dose. Il satisfait moins bien au principe d'optimisation dit ALARA (as low as reasonably achievable), d'un point de vue technique.
Le 11 octobre 2011, l'ANDRA a présenté à la Commission le cahier des charges pour la conception d'esquisses de stockage et leurs spécifications techniques. L'ANDRA a précisé avoir choisi de retenir une maîtrise d'oeuvre système pour les études de conception de la période 2011-2017 et souligné que cette maîtrise d'oeuvre devrait apporter une réponse architecturale, technique et économique.
La Commission s'inquiète de ce que - sans avoir fait figurer un schéma conceptuel dans son appel d'offres - l'ANDRA ait délégué la maîtrise d'oeuvre système à une entreprise extérieure qui devra finaliser, en moins d'un an, l'esquisse détaillée de la première tranche du stockage, et aura également la charge du chiffrage des coûts de réalisation.
La Commission demande que l'ANDRA assume pleinement toutes les responsabilités qui lui ont été confiées par la loi. Elle insiste pour que, tout au long de la réalisation du projet industriel CIGEO, les producteurs soient associés, et leur contribution mise à profit, à travers un processus qui reste à définir, mais qui laisse à l'ANDRA toutes ses prérogatives de maître d'ouvrage.
La Commission rappelle que le Débat public prévu en 2013 devra porter à la connaissance du public : le schéma du stockage, les modalités proposées de la réversibilité, le schéma des installations de surface, les puits et descenderie, l'inventaire des déchets prévus pour le stockage et une estimation du coût de l'installation.
La Commission redoute que les divergences entre l'ANDRA et les producteurs continuent de peser, au risque de perturber le bon déroulement du projet.
J'en viens maintenant aux enjeux de la séparation des déchets. La faisabilité scientifique et technique des opérations permettant la séparation de l'uranium, du plutonium, des produits de fission et des actinides mineurs a été établie. Des recherches approfondies ont permis de créer des molécules capables de résister à la radiolyse et d'extraire spécifiquement l'uranium, le plutonium, le neptunium, l'américium et le curium.
Concernant la transmutation, les irradiations effectuées dans Phénix, HFR (Pays-Bas), à Halden (Norvège), et à Argonne (Etats-Unis), ont montré la faisabilité scientifique et technique de la transmutation. Il reste à démontrer qu'une stratégie de transmutation et de multi-recyclage du plutonium, actinide majeur, associé à de l'uranium appauvri est possible à l'échelle industrielle. Le prototype de réacteur à neutrons rapides (RNR) de quatrième génération, dit Astrid, est notamment destiné à démontrer cette faisabilité industrielle. Sa construction est inscrite dans la loi de 2006. Elle devra permettre d'explorer de nombreuses innovations telles que : conception du coeur du réacteur, utilisation de nouveaux matériaux résistants pour les structures et le combustible ainsi que des options permettant l'amélioration de la sûreté en comparaison de celle des réacteurs de troisième génération.
C'est un outil indispensable à la recherche française pour tirer le plein bénéfice des expertises et du savoir-faire acquis en France sur la transmutation des actinides et les RNR, notamment au cours de vingt ans d'efforts entrepris depuis la loi de 1991.
Ce prototype sera associé à un pilote de retraitement permettant de tester les performances d'une chaîne complète de retraitement intégrant la séparation des actinides, la fabrication d'un nouveau combustible recyclant le plutonium, et le conditionnement de tout ou partie des actinides mineurs en vue de leur transmutation.
La stratégie de séparation-transmutation n'a de sens qu'appliquée d'abord au plutonium, qui représente 90 % des actinides produits ; elle repose sur le choix d'une production d'électricité nucléaire poursuivie à très long terme par des réacteurs de quatrième génération.
S'agissant des actinides mineurs la transmutation est un processus lent et il faut une longue période d'exploitation des réacteurs pour en tirer le plein bénéfice.
En cas d'arrêt de cette filière, il faudrait gérer les actinides encore présents dans le cycle soit environ 900 tonnes de plutonium et 100 tonnes d'américium pour un parc de RNR produisant 430 TWhe/an. La quantité d'actinides à gérer sera plus grande si on ne développe pas les RNR.
La Commission souhaite attirer l'attention sur trois points :
alors que la Chine, la Russie et l'Inde développent des projets de RNR, la France se retrouve affaiblie par l'absence d'un prototype ;
la Suède et la Finlande poursuivent leur projet de stockage géologique, et la directive européenne Euratom du 18 juillet 2011 précise que le stockage géologique constitue actuellement la solution la plus pérenne et la plus durable. C'est aussi l'avis des députés du Parti des Verts allemand (Grünen), rencontrés au Bundestag par la Commission lors de son récent voyage d'études en Allemagne.
L'agence suédoise de gestion des déchets nucléaires (SKB) a déjà déposé sa demande d'autorisation de construction d'un stockage.
Enfin, les conséquences de l'accident de Fukushima, dans les domaines de compétence de la CNE, seront analysées dans l'année qui vient.
Présidence de M. Claude Birraux, président -
Je vous remercie, Monsieur le président, pour cet exposé. J'aurais deux questions à vous poser :
- Concernant le réacteur de quatrième génération, dont vous nous avez expliqué l'utilité pour l'ensemble du cycle nucléaire, l'envisagez-vous sur un plan strictement national ou sous l'angle de coopérations internationales ? Je sais par exemple que le CEA a signé des accords avec Rosatom.
- Doit-on se concentrer sur la filière des RNR refroidis au sodium, qui ont pu être qualifiés par la presse de « super-superphénix », ou faut-il garder un droit de regard sur d'autres types de projets ? La Belgique s'est par exemple lancée dans le projet MYRRHA ; la République tchèque envisage un réacteur refroidi à l'hélium ; quant à la Suède, elle travaille sur un RNR refroidi au plomb-bismuth.
Le scientifique que je suis ne peut qu'approuver des collaborations internationales. Il faut toutefois être vigilant sur la question des brevets. Le CEA possède déjà plusieurs brevets ; d'autres sont à déposer et cela est un élément de notre compétitivité industrielle. Je suis donc favorable aux coopérations internationales mais sous réserve que les acquis de la recherche demeurent auprès de leurs auteurs.
En ce qui concerne les autres filières de quatrième génération, le CEA et le CNRS participent à MYRRHA. La France participe aussi au projet européen de RNR refroidi au gaz ALLEGRO.
Un contrat de collaboration et de recherche a en effet été signé entre le CEA et Rosatom. Les dernières présentations faites par le CEA nous ont montré en quoi le réacteur Astrid est doté d'éléments de sûreté nouveaux par rapport à Superphénix :
- d'une part, son coeur possède la propriété de donner ce qu'on appelle un « vide négatif », c'est-à-dire que sa configuration permet d'éviter sa fonte. En tout état de cause, le temps d'intervention sur ce type de réacteur est considérablement allongé en raison de l'inertie thermique du sodium ;
- d'autre part, le circuit de refroidissement n'est pas unique mais décomposé en compartiments multiples, ce qui évite en cas d'incident d'avoir la totalité du sodium qui réagisse avec l'eau. Par ailleurs, l'expérience russe nous permet d'envisager d'associer un circuit primaire au sodium à un circuit secondaire au plomb-bismuth, ce qui éradiquerait le risque de réaction entre l'eau et le sodium.
Une série de progrès significatifs sont en marche. Ils démontrent qu'Astrid est un nouvel objet. Par rapport à MYRRHA ou aux ADS (accelerator driven system), il faut souligner qu'Astrid serait un prototype électrogène. S'agissant des collaborations internationales, le CEA est engagé dans les projets MYRRHA et ALLEGRO. Il existe bien sûr aujourd'hui une incertitude sur l'avenir de la collaboration avec le Japon, qui était importante.
L'ANDRA évolue de façon décevante. En 1991, lors de la création de l'ANDRA, qui n'était au préalable qu'une branche du CEA, nous avions estimé que la gestion des déchets devait être indépendante. Aujourd'hui il existe une forme d'impérialisme d'EDF : on l'a vu à l'égard d'Areva, on le voit peut-être aujourd'hui aussi à l'égard de l'ANDRA. Malheureusement, l'ANDRA, confrontée à cette évolution, ne manifeste pas beaucoup de personnalité. La délégation de la maîtrise d'oeuvre du système de stockage signifie-t-elle une privatisation de la filière déchets, alors que nous avons toujours considéré à l'Office que la gestion des déchets relevait d'un quasi-service public, ce qui garantit sa crédibilité ? La position de la CNE, concernant la nécessité pour l'ANDRA de conserver toutes ses prérogatives de maître d'ouvrage, est louable. Par la pertinence de ses avis, la CNE démontre d'ailleurs chaque année son utilité. Pour ma part, je souhaiterais que cette position de la CNE soit aussi celle de l'Office, afin d'assurer un relais politique aux observations des scientifiques. La filière déchets demeure fragile et soumise à des aléas politiques ; les divergences entre l'ANDRA et les producteurs sont préjudiciables. L'ANDRA doit agir en concertation avec les producteurs, mais sans déléguer ses prérogatives à un opérateur privé.
La loi de 1991 a créé l'ANDRA ; la loi de 2006 lui a confié une responsabilité d'ensemble sur la gestion des déchets radioactifs. Pour compléter la question de Christian Bataille, sur quels aspects l'ANDRA envisage-t-elle aujourd'hui de faire appel à des sous-traitants ?
Nos remarques ne portent pas sur des points techniques précis, mais sur un sentiment général d'ambiguïté quant aux missions confiées au maître d'oeuvre système. Si les documents de l'appel d'offres précisent un certain nombre d'aspects et semblent fixer des garde-fous, ils ouvrent néanmoins au prestataire la possibilité de proposer certaines options. Il s'en dégage, de ce fait, une impression de flou, qui pourrait résulter de la nécessité de préserver les apparences, après le conflit survenu avec les producteurs. L'ANDRA ne semble pas définir assez clairement ses attentes, y compris sur des aspects techniques importants, tels que le choix entre une ou deux descenderies ou encore la taille des alvéoles. La CNE souhaite que ces incertitudes soient levées, un maître d'oeuvre pouvant difficilement apporter en quelques mois des réponses plus pertinentes que l'ANDRA sur des sujets que celle-ci étudie depuis quinze ou vingt ans.
Quel jugement portez-vous sur les travaux menés par l'ANDRA au cours des quinze dernières années ?
A ce stade, il serait utile de pouvoir faire un point avec les tutelles de l'ANDRA. Je rappelle qu'au mois de janvier 2011, nous avons signifié aux producteurs qu'il revient à l'ANDRA de définir les caractéristiques du stockage géologique profond. L'ASN, de son côté, a refusé d'examiner le projet des producteurs et les a invités à communiquer celui-ci à l'ANDRA.
En conformité avec la loi, la CNE s'est, elle aussi, adressée à l'ANDRA pour obtenir des précisions sur le projet des producteurs.
Estimez-vous que l'ANDRA se dessaisit de ses responsabilités ? Je constate pourtant que l'ANDRA travaille nuit et jour. Quel bilan faites-vous des avancées des travaux de l'ANDRA ?
Au plan scientifique, nous considérons que le travail des équipes de l'ANDRA est d'excellente qualité. Celui-ci a permis de démontrer l'adéquation du site pour le stockage, d'étudier son hydrogéologie et de confirmer les qualités de confinement de l'argile callovo-oxfordien. Certes, il reste nécessaire d'approfondir un certain nombre de points, que nous avons signalés, tels que les techniques de scellement. Mais cela ne constitue pas un sujet d'inquiétude, l'ANDRA disposant encore de cinquante a cent ans pour trouver des solutions encore plus performantes que celles envisagées actuellement. Compte tenu de l'avancement de ses travaux, il semble raisonnable de considérer que l'ANDRA est en capacité de proposer en 2012 un projet cohérent, lequel pourra, par la suite, être amélioré.
Les difficultés sont apparues avec le passage à la phase industrielle, sur des points qui n'avaient pas fait l'objet d'études spécifiques, par exemple la ventilation. Nous estimons que certaines questions ont été prises en compte tardivement, au regard de l'échéance, fixée à 2012, pour la remise d'un dossier complet permettant au Gouvernement, au Parlement, mais aussi au public, de se forger une opinion.
Le dossier remis par l'ANDRA en 2009 comportait pourtant des schémas et des données compréhensibles par tout un chacun. Il semble difficile de croire qu'un maître d'oeuvre système sera mieux à même que l'ANDRA de préconiser des solutions adaptées alors qu'il doit s'approprier au préalable les résultats des recherches menées par cette dernière. La situation présente semble résulter directement du conflit survenu avec les producteurs, à l'origine des incertitudes sur certaines options techniques. Il est, de ce fait, demandé au maître d'oeuvre de préconiser un certain nombre de choix, par exemple en termes d'architecture. Si nous sommes certains que l'ANDRA suivra le travail du maître d'oeuvre, il n'en reste pas moins que celui-ci devra s'approprier les acquis de quinze à vingt ans de travail dans un temps très court, ce qui introduit un risque de dérive.
Il ne faut pas sous estimer les difficultés auxquelles s'est trouvée confrontée l'ANDRA, contrainte de prendre en compte extrêmement rapidement le projet STI d'EDF, et qui n'a ensuite bénéficié que d'un délai très court pour préparer l'appel d'offres de sélection d'un maître d'oeuvre système. Il aurait été nécessaire que l'ANDRA dispose de plus de temps. Aussi, faut-il, à mon sens, attendre une année pour formuler un jugement.
M. Bérest parle d'or. Nous sommes dans une perspective de long terme, de 100 ans avant la fermeture du centre de stockage. Il faut replacer le projet Cigéo dans cette perspective longue. Nous avons insisté sur le respect du rythme du calendrier fixé par la loi, mais une année de plus ne représente pas grand chose dans un tel projet. Le risque serait que l'ANDRA, dans l'urgence, cède ses prérogatives à des producteurs qui ne sont plus des entreprises totalement publiques. Que sera le statut d'EDF dans vingt ans ?
Quelles seraient les conséquences sur le projet de stockage d'un abandon de la séparation-transmutation ?
Je souhaitais également intervenir sur ce sujet. Lorsque je suis interrogé par la presse, je souligne que le stockage géologique profond est essentiel et constitue la meilleure réponse au problème des déchets hautement radioactifs. De fait, les recherches en matière de séparation-transmutation semblent ne plus avancer et la perspective de l'incinération des déchets s'éloigner. Quels sont les progrès réalisés dans ce domaine ?
S'agissant de la séparation, les résultats des essais réalisés dans plusieurs pays s'avèrent particulièrement satisfaisants, puisqu'ils ont démontré que les extractants élaborés permettaient une séparation individuelle ou groupée des éléments radioactifs.
Par ailleurs, nous avons envisagé les conséquences, en termes de déchets, de trois scénarios d'évolution du parc de réacteurs à l'horizon 2150.
Le premier scénario correspond à un parc de réacteurs à eau pressurisée brûlant un combustible classique. Le stock de plutonium accumulé serait, dans cette hypothèse, après 150 ans, de 1 900 tonnes. Il faudrait y ajouter celui d'uranium appauvri, ainsi que les résidus issus des mines, puisque l'exploitation de celles-ci resterait nécessaire.
Le deuxième scénario se fonde sur un parc constitué de réacteurs identiques mais alimentés en combustible MOX1(*). Une partie du plutonium étant recyclé en combustible, le stock final serait réduit à 1 300 tonnes, mais il demeurerait nécessaire d'extraire l'uranium, donc d'accumuler des résidus miniers.
Le troisième scénario suppose la mise en oeuvre d'un parc de réacteurs à neutrons rapides. Le fonctionnement de celui-ci nécessiterait le maintient dans le cycle de 900 tonnes de plutonium. Le stock d'uranium appauvri serait consommé à hauteur de 50 tonnes par an. Enfin, l'arrêt de l'extraction de l'uranium permettrait de s'affranchir des résidus miniers. Un tel scénario permet d'envisager plusieurs milliers d'années de production, sur la base du stock de 250.000 tonnes d'uranium appauvri existant.
Ces perspectives dépassent celle, limitée à quelques années, de la vie politique. Il serait plus opérationnel d'étudier l'impact sur le stockage d'un arrêt, envisagé par certains, de l'ensemble des installations nucléaires dans 30, 40 ou 50 ans.
Si les installations devaient être stoppées aujourd'hui, il resterait 350 tonnes de plutonium, immobilisées dans les combustibles usés et «moxés», à gérer. Il serait alors nécessaire de choisir entre un stockage direct, comme en Allemagne ou en Suède, ou après retraitement.
Dans la mesure où elle modifie le projet de stockage, c'est une question qu'il serait nécessaire d'étudier dans le cadre du prochain rapport de la CNE.
Pour revenir sur un sujet d'actualité, Christian Bataille avait, dans la loi de 1991, prévu la réversibilité du stockage géologique profond comme une option. La loi de 2006 l'a rendue obligatoire. Quelle est votre estimation de l'impact de la réversibilité sur les délais et les coûts de réalisation de ce stockage? Qu'en est-il à l'étranger?
Je regrette que notre collègue, Claes Thegerström2(*), ne soit pas présent pour expliciter les raisons pour lesquelles la Suède, qui n'avait initialement pas pris en compte la réversibilité, l'envisage à présent.
Je vais vous faire part de mon analyse personnelle. Nous avons interrogé l'ANDRA sur le coût de la réversibilité. Sans apporter de réponse chiffrée, l'ANDRA a indiqué que lorsqu'elle est prévue dès le départ, le surcoût de la réversibilité reste limité.
A contrario, comme nous avons pu le constater sur les sites de Stocamine, en Alsace, ou d'Asse, en Allemagne, l'absence de réversibilité peut conduire à des difficultés majeures en matière de stockage des déchets. La réversibilité contraint, en effet, à prendre des précautions quant aux modalités de stockage des déchets et permet de corriger d'éventuelles erreurs.
A l'occasion de la conférence internationale sur la réversibilité et la récupérabilité organisée par l'OCDE à Reims, en décembre 2010, que j'ai eu l'honneur de présider durant trois jours, j'ai eu la satisfaction de constater que le Parlement français avait été précurseur, puisque cet objectif était partagé par la quasi totalité des pays représentés. Comme l'a indiqué le président Duplessy, les Suédois ont progressé dans leurs réflexions sur ce sujet. Ils distinguent ainsi la réversibilité, tant que le site est ouvert, de la récupérabilité, après sa fermeture, laquelle implique un contrôle à distance de l'évolution du stockage.
Il me reste à remercier les représentants de la CNE, pour leur exposé, ainsi que mes collègues parlementaires présents et à rappeler que nous devons nous retrouver la semaine prochaine pour la reconstitution de l'Office parlementaire et de son bureau.
Monsieur le président, je tenais à vous remercier de votre accueil et à vous faire part de notre satisfaction de savoir que nous disposons du soutien de l'Office parlementaire pour faire face à toute difficulté.
* 1 Combustible constitué de plutonium et d'uranium appauvri.
* 2 Président directeur général de SKB, consortium constitué, par les producteurs suédois, pour la gestion de leurs déchets.