La mission commune d'information a d'abord procédé à l'audition de MM. Arnaud Vinsonneau, adjoint au directeur général, chargé des relations institutionnelles, Bruno Grouès, conseiller technique, et Mme Jeanne Dietrich, chargée de mission au pôle « lutte contre les exclusion » de l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes sanitaires et sociaux (UNIOPSS).
a rappelé que la mission commune d'information sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion souhaitait mener un examen critique des politiques engagées dans ce domaine depuis trente ans, dans leurs différents aspects : minima sociaux, santé, éducation, culture, logement, formation professionnelle, emploi. La mission s'efforcera ainsi d'établir une hiérarchie des urgences, voire de proposer des innovations, en prenant éventuellement position sur certaines idées actuellement en réflexion, telles que l'individualisation du RMI proposée par un rapport du Conseil économique et social en 2003 ou la création d'un revenu minimum d'existence.
Dans ce contexte, M. Bernard Sellier, rapporteur, a souhaité connaître l'état des réflexions de l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS) sur les grands enjeux actuels dans le domaine de la pauvreté et de l'exclusion.
a d'abord rappelé que l'UNIOPSS, qui rassemble 110 associations ou fédérations nationales dans le champ de l'action sociale et de la santé (Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS), secours catholique, secours populaire, front juif unifié, etc.), a été créée en 1947 afin de développer une vision transversale de la lutte contre la pauvreté, d'établir un pont entre les pouvoirs publics et les associations, de diagnostiquer et de faire évoluer les politiques nationales dans ce domaine. L'UNIOPSS compte 22 unions régionales et représente au total environ 20 000 établissements et services sanitaires, sociaux et médico-sociaux.
a ensuite évoqué la création en 1985, alors que le phénomène des travailleurs pauvres prenait de l'ampleur, de la Commission de lutte contre la pauvreté de l'UNIOPSS, qui rassemble 40 associations nationales. En 1994, le Premier ministre a décidé de faire de la lutte contre la pauvreté une grande cause nationale. Dans ce cadre, la Commission de lutte contre la pauvreté a bénéficié de crédits importants et a pris le nom de « collectif ALERTE ».
L'UNIOPSS a participé à l'élaboration de plusieurs grandes avancées législatives : revenu minimum d'insertion (RMI), couverture maladie universelle (CMU), loi solidarité et renouvellement urbain (SRU). Ayant constaté l'échec de ces efforts pour résorber le noyau dur de la pauvreté, le collectif réfléchit à présent à un traitement mettant davantage l'accent sur les causes du phénomène, parmi lesquelles le chômage est l'une des principales.
Le collectif ALERTE a ainsi décidé de travailler avec les partenaires sociaux et un accord a été trouvé en décembre 2007 sur un texte relatif à l'insertion économique. Cet accord fixe comme objectif principal l'accès de toutes les personnes en situation de précarité à un emploi permettant de vivre dignement. M. Bruno Grouès a estimé que l'acceptation par les partenaires sociaux de la nécessité d'un emploi de bonne qualité constituait une avancée remarquable, tout comme la reconnaissance d'une responsabilité sociétale des entreprises. L'accord met également l'accent sur la lutte contre l'échec scolaire, l'amélioration de la formation et la lutte contre l'illettrisme. Deux thèmes de négociation ont en outre été choisis pour l'année 2008 : la lutte contre la pauvreté économique et la participation des personnes défavorisées aux décisions qui les concernent.
Concernant le revenu de solidarité active (RSA), l'UNIOPSS est favorable au principe de la valorisation du travail. Toutefois elle craint qu'il en résulte une « dualisation » des pauvres, c'est-à-dire une différenciation trop importante des revenus minimaux entre ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas.
L'idée est en effet très répandue que, seules, les personnes ayant un emploi seraient méritantes, alors même qu'en règle générale la cause du chômage persistant des personnes en difficulté réside dans leur niveau de qualification insuffisant ou la dégradation de leur état de santé psychique consécutif aux épreuves qu'elles ont traversées. Ainsi le RMI a-t-il déjà perdu beaucoup de pouvoir d'achat par rapport au SMIC au cours des dernières années. L'UNIOPSS souhaite que ce minimum social soit indexé sur une valeur indiscutable, d'autant plus que sa récente départementalisation peut laisser craindre que l'Etat ne veuille plus l'augmenter.
Concernant l'accès au logement, Mme Jeanne Dietrich a souligné l'importance de la loi sur le droit au logement opposable (DALO) et a insisté sur le caractère décisif de la mise en place immédiate dans chaque département des commissions de médiation, avec les moyens humains nécessaires. Ces commissions devront surtout s'efforcer de respecter les critères fixés par la loi en raisonnant à partir des besoins, et non pas à partir de l'offre de logement actuellement disponible.
a ensuite rappelé les derniers développements de la mobilisation des associations pour le droit au logement. Le Premier ministre les a reçues le 18 décembre 2007 et a annoncé, en conformité avec un engagement du Président de la république, une nouvelle politique du logement et de l'hébergement, visant à l'élimination complète du phénomène des sans-abris. A la suite d'une mission de M. Etienne Pinte, député, à laquelle l'UNIOPPS a été associée, le Premier ministre a annoncé le 29 janvier que le logement serait un chantier national prioritaire du gouvernement pour la période 2008-2012. Les associations avaient évalué à 1,7 milliard d'euros, en plus des crédits déjà prévus au budget 2008, la somme nécessaire pour qu'il n'y ait plus de sans-abris en 2012, alors que le Premier ministre n'a annoncé le déblocage que de 250 millions d'euros pour l'année 2008. Jugeant cet effort insuffisant, les associations ont décidé une mobilisation nationale pour le 21 février.
a également rappelé que l'UNIOPSS souhaitait une répartition plus équitable des logements sociaux et que le seuil de 20 % imposé aux communes par la loi SRU devait être respecté.
a ensuite indiqué que l'UNIOPSS fondait désormais ses actions et ses propositions dans le domaine du logement sur quatre grands principes : personne ne doit subir la contrainte de vivre à la rue ; l'Etat doit être garant de l'accès et du maintien dans un logement décent ; le logement doit rester la finalité de tous les dispositifs d'accueil et d'hébergement ; l'accompagnement social doit être systématiquement proposé aux personnes concernées. Afin d'augmenter rapidement le nombre de logements sociaux, l'UNIOPSS demande ainsi que tout nouveau programme immobilier de 10 logements ou plus comporte obligatoirement 20 % de logements sociaux.
Mme Jeanne Dietrich a par ailleurs fait part de l'inquiétude des associations sur la baisse du volume des contrats aidés. En effet, cette baisse est justifiée par l'embellie économique, mais celle-ci ne profite pas au public-cible de ces contrats. De plus, cette réduction est paradoxale, a-t-elle estimé, au moment où l' « activation » des aides sociales est affichée comme une priorité. La sanctuarisation annoncée de ces contrats dans le domaine de l'insertion par l'activité économique (IAE) n'est pas de nature à rassurer les associations, car nombre d'entre elles ont un rôle d'insertion important sans pour autant relever de l'IAE à proprement parler. Quant au futur contrat unique, l'UNIOPSS souhaite qu'il soit un contrat de droit commun, simple et adaptable dans sa durée hebdomadaire comme dans la durée du contrat lui-même.
Concernant la santé, M. Bruno Grouès s'est félicité de l'instauration de la CMU, mais a regretté que les titulaires de l'allocation adulte handicapé (AAH) et du minimum vieillesse, c'est-à-dire plus d'un million de personnes, soient exclus du bénéfice de la couverture maladie universelle complémentaire (CMUC). L'UNIOPSS demande ainsi que la CMUC bénéficie à toutes les personnes vivant sous le seuil de pauvreté.
Quant à l'aide médicale d'Etat (AME), elle souffre d'une sous-estimation budgétaire initiale, qui donne aujourd'hui l'illusion d'une hausse très forte des dépenses. L'UNIOPPS estime qu'il est très difficile pour ses bénéficiaires potentiels d'accéder à l'AME, notamment du fait de l'obligation de domiciliation, et demande donc qu'elle soit fondue dans la CMU. Enfin, l'UNIOPSS préconise le renforcement des permanences d'accès aux soins de santé (PASS) dans les hôpitaux, qui sont d'une grande utilité. Malheureusement, ces permanences ne sont pas toujours mises en place.
s'est interrogé sur la nature même du phénomène de la pauvreté. Alors que les aides s'accumulent, notamment dans le domaine du logement, la pauvreté semble toujours augmenter. En outre, la notion de pauvreté ne recouvre pas le même phénomène, par exemple à Mayotte, où beaucoup de personnes vivent avec deux euros par jour, et en métropole. Il est ainsi nécessaire de bien définir la pauvreté pour savoir ce qu'il faut combattre.
s'est interrogée sur la possibilité de contraindre les bailleurs privés à prévoir 20 % de logements sociaux pour chaque programme de dix logements et plus. Elle a également demandé si les locataires n'avaient pas été trop protégés, au détriment des propriétaires, de sorte que ceux-ci refusent souvent de louer leur bien de peur des impayés. De nombreux logements restent ainsi vacants. Les réflexions menées actuellement sur les garanties pour impayés de loyers vont sans doute dans la bonne direction. Les nouvelles constructions, quant à elles, sont pratiquement irréalisables dans certaines zones déjà très urbanisées, par exemple dans la petite couronne de l'Île-de-France.
a souhaité que les pouvoirs publics concentrent leurs aides sur un public plus ciblé, et a regretté les excès et les fraudes dont sont parfois victimes les services sociaux. Il a souhaité qu'en plus des illettrés, soient pris en compte ceux qui ne savent lire et écrire qu'avec difficulté.
a regretté le manque de progrès accomplis depuis vingt ans dans la lutte contre la pauvreté et a souhaité que les responsables politiques et les associations fassent évoluer la législation pour ne pas se retrouver dans la même situation dans vingt ans.
a déploré la suppression des mesures de prévention en direction des jeunes en difficulté : centres d'adaptation à la vie active (CAVA) de 1979, programme Préparation Active à la Qualification et à l'Emploi (PAQUE) de 1992, programme Trajets d'accès à l'emploi (TRACE) de 1998, stages de dynamisation pour les jeunes sans qualification. Elle a souligné l'importance de la continuité et de la durée des politiques menées dans le domaine de l'insertion. Elle a enfin rappelé la nécessité de prendre en compte les « coûts évités » de la prévention, notion mise en exergue en 1992 par Claude Alphandery, alors président du Conseil national de l' insertion par l'activité économique. Les bonnes politiques de prévention permettent en effet d'économiser des dépenses de réinsertion ultérieures.
a souhaité savoir si la pauvreté et l'exclusion touchaient toujours les mêmes individus et les mêmes catégories sociales.
a rappelé la nécessité d'une réflexion en commun sur les causes de la pauvreté et a regretté que la France, malgré sa richesse, ne sache toujours pas comment éradiquer ce phénomène. En réponse aux différents intervenants, il a ensuite apporté les éléments de réponse suivants :
- les catégories sociales souffrant de la pauvreté et de l'exclusion varient dans le temps. La pauvreté touche aujourd'hui davantage les jeunes, les travailleurs pauvres, les personnes en situation de rupture conjugale. Par ailleurs, les bénéficiaires du RMI connaissent un taux de rotation non négligeable. Cependant un noyau dur persiste, notamment dans les banlieues ;
- la garantie des risques locatifs est certes le meilleur moyen d'améliorer la situation du logement et les mesures à actuellement l'étude pour alléger les formalités d'accès à la location sont très attendues par les associations. Toutefois de nouvelles constructions restent nécessaires : si 435 000 nouveaux logements ont été mis en chantier en 2007, trop peu sont accessibles aux personnes à revenu modeste. A cet égard, la proposition de 20 % de logements sociaux dans chaque nouveau programme de 10 logements relèverait bien de la loi. Cette mesure s'appliquerait à toutes les communes au-dessus d'un certain seuil de population, et non aux seules communes n'ayant pas encore atteint les 20 % de logements sociaux fixés par la loi SRU ;
- les mesures de prévention pour les jeunes en difficulté sont effectivement très utiles et auraient dû être maintenues. Les changements de majorité parlementaire et les infléchissements des politiques qui en résultent mettent souvent en difficulté les associations qui ont établi des programmes sur le long terme ;
- concernant les fraudeurs, de multiples études ont montré qu'ils ne représentent qu'une très faible part des bénéficiaires des aides sociales.
a souligné la possibilité pour les collectivités territoriales d'innover sans attendre l'Etat pour lutter contre la pauvreté. Il a ainsi fait part de l'expérience de sa région qui a réussi à créer 10.000 emplois en six ans pour des personnes en difficulté, dont 8.500 pérennes. Il est nécessaire de faire confiance aux initiatives locales et de ne pas toujours s'en remettre à la réglementation complexe et aux procédures trop lourdes de l'Etat.
a enfin précisé que l'UNIOPSS, tout en étant favorable à l'expérimentation locale, souhaitait une garantie nationale. Ainsi, pour le RMI, une tendance se fait jour actuellement pour laisser aux collectivités territoriales la possibilité d'en fixer le montant. Seule la faculté de moduler à la hausse les minima est acceptable pour les associations.
La mission commune d'information a ensuite procédé à l'audition de M. Patrick Dugois, délégué général d'Emmaüs France.
a d'abord rappelé les grandes dates de l'histoire du mouvement Emmaüs :
- 1949 : création d'une première auberge de jeunesse, puis d'une première communauté ;
- 1954 : appel de l'abbé Pierre et naissance d'un mouvement de contestation ;
- 1963 : création d'Emmaüs international ;
- 1985 : création d'Emmaüs France.
Emmaüs international comporte 400 groupes répartis sur quatre continents (Afrique, Amérique, Asie, Europe), dont 250 en France. Il y rassemble environ 15.500 personnes, dont 4.000 compagnons, 3.500 salariés et 8.000 bénévoles, répartis en trois branches coiffées par Emmaüs France :
- une branche communautaire. 120 communautés vivent de la « ramasse » et permettent d'offrir des activités à des personnes peu qualifiées et d'équiper des ménages à peu de frais ;
- une branche logement et action sociale : une cinquantaine de groupes « SOS familles » est venue en aide à 1.500 familles dans ce cadre en 2007. La fondation Abbé Pierre est centrée sur le logement et a remis à ce titre un rapport de référence le 1er février dernier. L'association Emmaüs Paris est la première structure de logement des personnes en très grande difficulté en France. Emmaüs gère par ailleurs une société HLM de 13.000 logements ;
- une branche insertion par l'économie : le Relais est un réseau d'entreprises à but socioéconomique assurant les deux tiers de la collecte et du recyclage de textiles et déchets électroménagers. Il rassemble 634 groupes et 3.000 salariés.
a ensuite rappelé les valeurs spécifiques d'Emmaüs :
- accueillir inconditionnellement toute personne en situation de détresse. Dépourvu de limite de durée, cet accueil ne donne pas lieu à questionnement sur le passé de la personne recueillie, les informations la concernant n'étant communiquées à la police ou la justice que dans le cadre d'éventuelles procédures judiciaires. Sont ainsi accueillies de nombreuses personnes ayant été incarcérées, des prisonniers en liberté conditionnelle, mais aussi des sans-papiers. Désemparées face à des familles qu'elles ne savent pas gérer, les structures d'accueil voient arriver un nombre croissant de jeunes en situation de marginalisation, mais également d'étrangers ;
- redonner de la dignité par le travail. Ce dernier, qui peut n'être que symbolique, tient compte des rythmes, capacités et besoins de la personne accueillie ;
- lutter contre les symptômes de la misère, mais aussi contre ses causes, en interpellant l'ensemble de la société sur ces phénomènes.
a ensuite souligné que le logement et l'hébergement d'urgence constituaient aujourd'hui un enjeu majeur. Si de nombreux logements sont aujourd'hui construits, ils ne sont pas accessibles aux ménages à faible revenu. De 200 à 350 personnes continuent ainsi de mourir chaque année dans la rue, alors que les pouvoirs publics sous-estiment cette situation et la souffrance qu'elle représente pour les exclus, et ne publient pas les chiffres dont ils disposent. Le soutien aux sans domicile fixe (SDF), dont le parcours les conduit souvent de la rue au métro, puis aux galeries du métro, est d'autant plus difficile et coûteux qu'il intervient tardivement, rendant indispensable le développement de politiques de prévention adaptées.
Les établissements psychiatriques ont laissé sortir de nombreux malades que des structures comme Emmaüs, bien que mal adaptées à ces publics, doivent aujourd'hui recueillir. Ce d'autant plus que les structures de socialisation traditionnelles, telle que l'armée, ne fonctionnent plus comme avant.
Demandant à l'occasion du « Grenelle de l'insertion » la reconnaissance de son modèle communautaire et d'un statut original pour ses compagnons, qui ne soit ni celui de salarié, ni celui de bénévole, Emmaüs propose par ailleurs une réponse collective aux phénomènes d'exclusion touchant des populations inaptes à s'insérer dans un modèle économique concurrentiel.
a indiqué que le phénomène croissant du « malendettement », trouve son origine dans le marketing d'entreprises non responsables, dont les conséquences négatives pèsent sur l'ensemble de la société. Il serait opportun de mettre en place des mécanismes d'encouragement et de sanction qui, tel un système de bonus-malus, les responsabiliseraient davantage.
De nature entrepreneuriale, le mouvement Emmaüs a obtenu des pouvoirs publics la mise en place de mesures fiscales, par exemple pour contribuer au recyclage des textiles, qu'il faudrait aujourd'hui étendre à de nouveaux domaines, comme celui de certains matériels informatiques, afin d'inciter à des comportements écologiques et économes. Mouvement également capable d'innovation, comme l'a démontré son travail sur l'accueil de jour, les pensions de famille ou les brevets en matière de logement et d'habitat, il tend à illustrer l'idée que l'exclusion peut être envisagée comme un espace économique à part entière.
Soulignant la pertinence des analyses exprimées, M. Paul Blanc a attribué à la sectorisation des établissements médicaux et psychiatriques leur incapacité à traiter les personnes exclues atteintes de troubles mentaux. L'interrogeant sur la proportion de SDF en milieu rural, il a jugé que leur concentration dans les espaces urbains soulevait des questions en matière d'aménagement du territoire.
Observant que les personnes à problèmes pouvaient autrefois s'appuyer, en zone rurale, sur des structures d'intégration dans la vie socioéconomique aujourd'hui disparues, M. Charles Revet s'est interrogé sur les causes générales de la montée de l'exclusion.
Etablissant une relation entre principe d'inconditionnalité et accueil des personnes en situation irrégulière, M. Jean Desessard s'est interrogé sur la signification concrète du volet « insertion » du revenu minimum d'insertion (RMI). Reconnaissant que la construction de 435.000 logements par an était appréciable, il a toutefois noté qu'elle ne stimulait pas la mobilité résidentielle, comme l'espérait le Gouvernement. Se demandant si cela était dû à un phénomène de « file d'attente » résultant d'une demande excessive ou bien à une insuffisance du pouvoir d'achat des accédants à la propriété à laquelle ne permettrait de remédier qu'une revalorisation des salaires, il a souhaité obtenir des précisions complémentaires sur le nouveau statut communautaire demandé par Emmaüs pour ses compagnons.
Interrogeant également l'intervenant sur ce dernier point, Mme Annie Jarraud-Vergnolle l'a en outre questionné sur ses préconisations en termes d'encadrement législatif et de politiques de prévention, ainsi que sur les relations d'Emmaüs avec les hôpitaux psychiatriques.
Assurant partager la démarche du délégué général et sa demande de reconnaissance juridique des communautés, M. Bernard Seillier, rapporteur, a demandé des précisions sur la ventilation des 1,7 milliard d'euros demandés par les associations pour répondre aux besoins en matière de logement et d'hébergement.
En réponse à ces différentes questions, M. Patrick Dugois a apporté les éléments de réponse suivants :
- si la part respective des SDF évoluant en milieu rural et dans les villes n'est pas connue avec certitude, il est néanmoins acquis que l'environnement urbain est un facteur aggravant d'exclusion et qu'il n'a pas été aménagé pour tenir compte de leurs besoins, les espaces privés y étant inexistants. Sans doute également présente dans les campagnes, la misère y est toutefois moins visible que dans les villes ;
- les causes générales de l'exclusion sont multiples. Si des « accidents de la vie » tels que la perte d'emploi, le divorce ou le décès d'un proche sont des facteurs déclenchants ou aggravants, ils ne font que cristalliser des prédispositions qui seraient demeurées latentes dans une société de plein emploi. Un sondage effectué par Emmaüs a montré que 49 % des Français craignaient de devenir un jour SDF, ce qui explique pour partie la réticence de beaucoup d'entre eux à créer des entreprises. L'affaiblissement des liens de solidarité et la fragilisation des filets de sécurité rendent indispensable une véritable politique de prévention des exclusions, sur laquelle Emmaüs seul n'a pas de prise et qui requiert dès lors un véritable engagement collectif. Cette politique doit être perçue, non comme une charge, mais comme un investissement permettant d'éviter à l'avenir des coûts encore plus importants ;
- le principe de l'accueil inconditionnel doit être entendu et appliqué de façon radicale, indépendamment de la politique d'immigration décidée et mise en place par le Gouvernement ;
- seuls 30 % seulement des bénéficiaires du RMI sont inscrits à l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE). Dès lors, et afin qu'ils ne perdent pas le bénéfice de l'accompagnement professionnel auquel ils pourraient prétendre, il serait opportun de les y inscrire automatiquement. Si certains bénéficiaires du RMI abusent de leur situation en ne cherchant pas à se réinsérer par une activité professionnelle, cela reste toutefois une exception, toute généralisation en ce sens étant fausse et inacceptable. Ainsi, 30 % des SDF parisiens travaillent. La situation de grande détresse dans laquelle se trouvent de nombreux Rmistes ne leur permet pas, de surcroît, de se projeter dans l'avenir et de rentrer dans la situation contractuelle équilibrée que requiert l'accès à un emploi. Afin de sensibiliser les professionnels et l'opinion publique au quotidien des exclus et aux problèmes d'insertion qu'il engendre, une grande campagne d'information nationale serait nécessaire ;
- si un effort a incontestablement été réalisé en matière de logement social, une carence d'un million de logements reste encore à combler. Le problème du logement doit être traité de façon séquentielle, en améliorant pour commencer l'hébergement d'urgence et en fournissant les places de stabilisation qu'il nécessite. Est actuellement menée une politique de volume, au moyen d'outils fiscaux finançant la création de logements vides car proposés à la location à des prix non accessibles à de nombreux foyers. La mobilisation de l'habitat privé est aujourd'hui impérative, près de deux millions de baux étant renouvelés chaque année. Il faut également rénover les 1.800.000 logements insalubres, dont 600.000 sont dans un état de délabrement avancé. En chiffrant à 1,7 milliard d'euros les besoins de financement du logement social, et en proposant de les affecter à la résorption du logement indigne, à l'hébergement d'urgence et à la rénovation des centres d'hébergement, les associations ont fait leur travail d'interpellation des pouvoirs publics, qui doivent à présent prendre des mesures opérationnelles ;
- la demande de reconnaissance du statut des communautés tend à la sécurisation du régime fiscal et social de leurs membres et à la confirmation de leur non-assujettissement au droit du travail.
La mission commune d'information a enfin procédé à l'audition de M. Daniel Zielinski, délégué général, et Mme Béatrice Longueville, déléguée générale adjointe de l'Union nationale des centres communaux et intercommunaux d'action sociale (UNCCAS).
a tout d'abord demandé si les caractéristiques de la pauvreté et de l'exclusion avaient évolué et si le système de solidarité français était en mesure d'y faire face.
Elle a également souhaité savoir s'il existait un dispositif d'évaluation des actions des centres communaux d'action sociale (CCAS) permettant d'identifier les bonnes pratiques et de les diffuser.
a rappelé que l'UNCCAS regroupait 3 400 CCAS et centres intercommunaux d'action sociale (CIAS) représentant au total 5 100 collectivités territoriales et 40 millions d'habitants.
La loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale a favorisé le développement des CIAS, permettant ainsi un regroupement des compétences, une égalité de traitement des usagers d'une commune à l'autre et une plus grande efficacité de l'action sociale des communes. En décembre 2008, un bilan de l'action sociale intercommunale devrait être présenté à Périgueux, en partenariat avec l'Association des intercommunalités de France.
L'enquête relative aux aides facultatives (secours, aides financières et prêts accordés par les collectivités territoriales), conduite par 200 CCAS, met en évidence une évolution sensible des pratiques concernant les critères d'attribution : les ressources sont désormais plus prises en compte que le statut, afin de ne pas pénaliser les personnes qui travaillent et perçoivent de faibles revenus. Néanmoins, 80 % des aides facultatives sont encore versées aux bénéficiaires de minima sociaux.
Cette inflexion se justifie par le souci d'orienter les actions des CCAS sur les politiques de prévention et de ne plus cantonner leurs interventions au versement d'aides sociales d'urgence ou de secours.
A cet égard, l'« analyse des besoins sociaux » (ABS), qui vise à mieux connaître les caractéristiques des publics accueillis, permet aux CCAS d'intervenir plus en amont sur les populations fragilisées.
a rappelé, qu'en vertu de l'article R. 123-1 du code de l'action sociale et des familles, la réalisation de cette étude annuelle était obligatoire depuis 1995. Mais elle a trop souvent été négligée ou réduite à un simple rapport d'activité. Les chambres régionales des comptes veillent aujourd'hui à ce que chaque CCAS réalise cette étude dans une vision prospective, quelle que soit la taille de la collectivité concernée, afin de mieux préparer les actions à venir. L'objectif est de se doter d'un certain nombre d'indicateurs à partir desquels les différents intervenants peuvent s'accorder sur un diagnostic et une démarche qui pourront être évalués sur deux à trois années.
Ainsi, l'ABS constitue un outil d'évaluation indispensable pour cibler les actions prioritaires et favoriser la cohérence et la transversalité des politiques mises en oeuvre au niveau du département, de l'intercommunalité ou même du bassin d'emploi.
a fait observer que les ABS constituaient un outil d'aide à la décision et permettaient la mise en place de plans pluriannuels, validés par les différents acteurs en charge de ces politiques. Elles ont d'ailleurs déjà permis de détecter l'émergence de nouveaux publics précaires : les travailleurs pauvres, les jeunes âgés de moins de vingt-cinq ans non éligibles aux minima sociaux, les veuves bénéficiaires de pensions de réversion et les familles monoparentales, pour lesquels les soutiens financiers prévus restent insuffisants. Afin de mieux répondre à ces nouveaux besoins, un récent rapport suggère que chaque département recense les aides facultatives dont il dispose en précisant leurs modalités de calcul et de versement. Cela suppose la constitution d'un partenariat entre les CCAS d'un même département, voire la mise en place d'une union départementale des CCAS, qui puisse être un interlocuteur unique pour les conseils généraux.
a ensuite évoqué les enjeux que représente le microcrédit social pour lutter contre l'exclusion financière, ainsi que la mise en oeuvre, dans plusieurs départements, d'une expérimentation visant à remplacer les aides financières par le microcrédit, conduite en partenariat avec la Caisse des dépôts et consignations. Dans ce cadre, les CCAS jouent un double rôle d'accompagnement dans la gestion des problèmes économiques et sociaux des ménages en difficultés et d'interpellation des institutions bancaires concernant leurs pratiques dans le traitement des situations d'endettement.
Elle a en outre fait part de son inquiétude concernant les difficultés d'accès aux soins et les problèmes de mobilité des jeunes en situation de grande précarité.
a noté que la question de l'accès aux soins était préoccupante s'agissant des personnes âgées, qui ne bénéficient d'aucune prise en charge par les services sociaux, notamment à la suite d'un séjour en hôpital. Les programmes régionaux d'accès à la prévention et aux soins (PRAPS), institués par la loi du 29 juillet 1998 contre les exclusions, n'ont en effet pas véritablement joué leur rôle, faute de liens efficaces entre les institutions sanitaires et sociales.
Il a ensuite évoqué les actions conduites par les CCAS en faveur de l'accès aux activités culturelles et sportives et contre l'illettrisme, qui concerne près de 10 % de nos concitoyens.
Puis, il a souligné l'importance de la réorganisation des services d'accueil et de garde de la petite enfance, afin d'en privilégier l'accès aux personnes souhaitant reprendre une activité, ainsi que le prévoit la loi du 23 mars 2006 relative au retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux.
Enfin, il a noté la montée en puissance des collectivités territoriales et de l'Union européenne, qui compense le retrait relatif de l'Etat et des caisses de sécurité sociale des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion. La mise en place d'un réseau européen en ligne d'élus locaux pour l'inclusion et l'action sociale (ELISAN) devrait en particulier contribuer à l'échange des bonnes pratiques locales européennes dans ce domaine et à la définition des services sociaux d'intérêt général.
En réponse à M. Jean Desessard qui souhaitait savoir si les bonnes pratiques recensées chaque année dans les CCAS étaient accessibles sur Internet, M. Daniel Zielinski a indiqué que le site de l'UNCCAS comportait une rubrique consacrée aux expériences sociales locales.
a par ailleurs signalé l'existence de formations destinées aux élus locaux et aux fonctionnaires territoriaux relatives aux bonnes pratiques diffusées par l'UNCCAS et aux enseignements que l'on peut tirer de l'ABS de chaque territoire.
s'est demandé dans quelle mesure les diverses expériences conduites dans de nombreux domaines par les CCAS, sur l'ensemble du territoire national, ne pouvaient pas permettre d'identifier les axes principaux d'une future politique de prévention et de lutte contre la pauvreté et l'exclusion.
Dans un contexte en constante évolution, M. Daniel Zielinski a fait valoir l'intérêt d'une connaissance partagée et sans cesse actualisée des besoins des populations et des territoires, afin de garantir la réactivité et la cohérence des politiques mises en oeuvre par les différents intervenants.
Confortant cette analyse, Mme Béatrice Longueville a souligné l'importance d'un diagnostic partagé et validé par l'ensemble des acteurs intervenant en faveur de l'insertion de ces publics et du repérage précoce des difficultés et des risques par un système d'alerte des élus. Certains indicateurs doivent en effet susciter la vigilance : déscolarisation des jeunes, isolement des personnes âgées, éclatement de la cellule familiale et phénomènes de décohabitation...