La commission procède à l'audition de M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés sur le projet de loi n° 253 (2010-2011), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la garde à vue.
Je m'en tiendrai à un bref panorama, puisque nous entrerons ensuite dans le détail du projet de loi avec vos questions. Cette réforme de la garde à vue a été voulue par ceux qui ont voté la révision constitutionnelle de 2008 ; il n'y aucune raison de s'y engager à reculons. De fait, la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 faisait suite à une question prioritaire de constitutionnalité, une innovation constitutionnelle majeure appelée à devenir un mode habituel de réforme de notre droit. C'est une bonne réforme qui construit un équilibre nouveau entre deux exigences de même valeur constitutionnelle : celle de sûreté inscrite à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et celle du respect des libertés et droits garantis par notre loi fondamentale. Ce texte est entouré -c'est là tout l'intérêt de l'affaire- de deux garanties pour le citoyen : une garantie constitutionnelle via la question prioritaire de constitutionnalité et une garantie conventionnelle, soit la Convention européenne des droits de l'homme de 1950 et la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Cet équilibre doit apporter un « plus ».
Quels sont les objectifs de ce texte ? Tout d'abord, mettre fin à la banalisation de la garde à vue. Entre 2000 et 2009, leur nombre est passé environ de 200 000 à 800 000. Plus de 170 000 d'entre elles sont aujourd'hui décidées pour des infractions routières, ce qui, dans la très grande majorité des cas, ne paraît pas nécessaire. La garde à vue doit rester un moyen exceptionnel d'enquête. Le but est de réduire leur nombre d'au moins 300 0000. Ensuite nous visons une plus grande conformité avec les règles du droit conventionnel. Elle passe par la reconnaissance du droit au silence : la personne gardée à vue doit être informée qu'elle a le droit de se taire, sauf lorsque les questions touchent à son identité. Elle passe également par l'humanisation des conditions de la garde à vue : utilisation des fouilles à corps seulement lorsque la sécurité l'exige, droit à une visite médicale, droit d'informer les proches et l'employeur que l'on est gardé à vue et, surtout, droit à la présence d'un avocat dès la première minute de la privation de liberté. Cette dernière disposition, qui va obliger les barreaux à se réorganiser, entraîne des conséquences budgétaires importantes. La conservation de régimes dérogatoires est nécessaire pour les crimes en bande organisé, le trafic de stupéfiants et le terrorisme. La loi Perben s'appliquera, moyennant quelques modifications issues des arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation d'octobre et de décembre 2010.
Le débat s'est focalisé sur le contrôle de la garde à vue et sa durée. Cessons de nous flageller en permanence : la France a un des systèmes les plus protecteurs au monde ! La Grande-Bretagne en aurait un meilleur ? Tout à fait faux ! L'officier de police y dirige l'enquête et décide du prolongement de la garde à vue dont la durée maximale va jusqu'à 26 jours. Soit, il y existe l'habeas corpus. Mais celui-ci n'est-il pas expressément inscrit à l'article 66 de notre Constitution ? (M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission, approuve.) Cet article dispose : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. » Tout est dit : c'est la définition même de l'habeas corpus.
Je serai clair sur le rôle du parquet, qui a suscité de nombreux débats. Le parquet à la française n'est pas propre à notre république ; il existe dans d'autres pays de droit continental, même si son statut y est différent. Je renvoie tous ceux qui veulent fouiller la question en droit interne aux conclusions de Marc Robert, avocat général à la Cour de cassation, dans l'arrêt de décembre 2010 relatif à des événements survenus à l'Ile de la Réunion. En droit conventionnel, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme a évolué vers une confusion entre l'article 5-3 de la Convention européenne des droits de l'homme relatif aux mesures de privation de liberté qui prévoit la présence d'un magistrat et les dispositions de l'article 6-1 relatives au procès équitable qui imposent l'intervention d' un juge indépendant. Résultat, la Cour de Strasbourg a jugé que le procureur à la française, parce qu'il n'est pas neutre, ne peut pas être l'autorité de contrôle. C'est donc la nature de partie poursuivante du parquet qui est en cause, et non son statut.
A quel moment faire intervenir l'autorité de contrôle de la garde à vue, donc le juge? Les arrêts de la Cour de Strasbourg varient sur ce point sans compter les problèmes de traduction. Pour faire coexister les deux versions - anglaise et française- de la Convention qui font foi, la Cour a recours au concept de promptly, que l'on pourrait traduire par promptitude, à distinguer de l'immédiateté. La Cour de Strasbourg a prévu que le juge devait intervenir dans un délai compris entre trois et quatre jours selon les cas. En deçà, chacun est libre de faire comme il l'entend et de nombreux États confient à la police le soin de mettre en oeuvre la garde à vue. Quid de la France ? Nous confions, durant cette période, le contrôle de la garde à vue à un magistrat, le procureur de la République. N'en déplaise à certains, le Conseil constitutionnel a rappelé, dans sa décision du 30 juillet 2010, que l'autorité judiciaire était composée des magistrats du parquet et du siège. Cette décision s'impose à tous ; il n'y a pas lieu d'y revenir. Nous ajoutons à cette garantie constitutionnelle du procureur pour le premier prolongement de la garde à vue, la garantie conventionnelle du juge du siège pour la suite de la procédure. Voilà l'architecture retenue après les débats à l'Assemblée nationale.
L'article premier A, introduit par les députés, obéit à une intention louable mais il faut éviter qu'il ne devienne source de nombreuses nullités. Le risque a été souligné par de nombreux juristes. Quel sort réserver à l'auto-incrimination dans des affaires anciennes ou des affaires de moeurs où tout se joue sur la parole de l'un contre la parole de l'autre ? Quid d'une éventuelle nullité au motif que la preuve est directement issue d'une déclaration faite hors la présence d'un avocat ? Ce risque est d'autant plus grand que le procureur pourra différer la présence de l'avocat lors des auditions jusqu'à douze heures et que son autorisation écrite et motivée pourra être ultérieurement contestée.
Ensuite, quid de l'étude d'impact ? N'a-t-on pas réalisé une évaluation financière a minima ? Outre l'aide juridictionnelle, il aurait fallu tenir compte des dispositions introduites par les députés sur les régimes dérogatoires et les retenues douanières.
Enfin, de nombreuses personnes que j'ai entendues, y compris des policiers, souhaitent étendre l'obligation d'enregistrement à toutes les gardes à vue en matière correctionnelle, pour des raisons de simplicité. Cela ne semble pas poser de problèmes matériels sur le terrain. Qu'en pensez-vous ?
Je suis tout à fait favorable au recours à l'enregistrement audiovisuel, qui existe déjà pour les enfants. C'est uniquement une question de moyens ; nous ne pouvons pas lancer tous les chantiers en même temps. Il faudrait également développer la visioconférence afin de maintenir des officiers de police judiciaire (OPJ) sur tout le territoire. Je suis contre l'idée d'un regroupement des personnes gardées à vue dans les villes sièges des préfectures. D'où la nécessité de faciliter les relations avec le parquet et la brigade de gendarmerie. Nous irons aussi vite dans ce domaine que le Parlement nous en donnera les moyens...
dans les limites de l'article 40 de la Constitution ! Le Gouvernement propose les crédits, le Parlement les approuve....
La première évaluation financière de la réforme, centrée sur la seule indemnisation des avocats, ne représente pas la totalité des moyens en jeu. Il faudrait également tenir compte des moyens immobiliers, de l'indemnisation des magistrats qui devront se déplacer dans les commissariats et les gendarmeries...
J'ai déjà demandé au Premier ministre de revoir le montant de la première enveloppe prévue pour l'indemnisation des avocats durant la deuxième partie de l'année 2011.
L'article premier A n'est en rien une novation ! Il reprend purement et simplement l'arrêt Salduz de la Cour européenne des droits de l'homme du 27 novembre 2008. Son objet est de limiter la force probante des déclarations faites hors la présence d'un avocat. Il donnera lieu à une interprétation stricte. Son dispositif est bien encadré : le champ est limité aux matières correctionnelles et criminelles ; il y est question de prononcé de condamnations, les lois de procédure en sont donc écartées -cela répond à vos craintes, monsieur le rapporteur ; seuls les aveux hors la présence d'un avocat sont concernés, ce qui oblige à rechercher des preuves pour fonder la condamnation. Il s'inscrit dans une évolution globale de notre droit pénal, de la culture de l'aveu à la culture de la preuve. Enfin, qu'il figure ou non dans la loi, il sera d'application dès mai 2011. De fait, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, prononcera un arrêt dans quelques semaines qui devrait rendre automatique l'application du droit conventionnel. Nous pourrons préciser, lors des débats en séance publique, que cet article ne concerne pas la procédure afin que cela figure noir sur blanc dans les travaux préparatoires.
Cette réforme tout à fait nécessaire nous a été imposée. Peut-être avons-nous d'ailleurs trop attendu. Le texte comporte des avancées et je me réjouis de la suppression de l'audition libre à l'Assemblée nationale. Pourtant, celle-ci ne réapparaît-elle pas à l'article 11 bis par le biais de la comparution sans contrainte ? Le ministre de l'intérieur a donné son interprétation, quelle est la vôtre ?
Lorsqu'il s'agit de justice, c'est moi qui donne des interprétations !
Le texte prévoit que l'avocat est présent lors des auditions. Qu'en est-il lors des confrontations ? Pour les personnes soupçonnées d'actes de terrorisme, il est prévu des dispositions particulières à l'article 12. Je pense, entre autres, à la liste des avocats habilités à les assister qui devront être élus par le Conseil national des barreaux. Que se passera-t-il si les avocats se récusant, aucun nom ne figure sur la liste ? La garde à vue doit se dérouler dans des conditions respectueuses de la dignité de la personne, est-il écrit dans ce texte. Dès lors, ne faut-il pas prévoir des moyens supplémentaires pour l'aménagement des locaux ? Enfin, quand aura lieu la réforme de la procédure pénale annoncée ?
Mieux aurait valu en revenir à ce qu'était la garde à vue à l'origine : une prise de corps rapide, n'excédant pas 24 heures, avant que la juridiction ne statue de manière contradictoire en présence d'un avocat. Ne pas en faire un moyen d'enquête nous aurait épargné bien des complications !
J'avais cru comprendre que l'objectif de la loi était de diminuer le nombre des gardes à vue. Outre que l'article premier A posera d'énormes problèmes de contentieux, il aurait fallu, pour atteindre ce but, modifier la législation. A l'article premier, il est toujours prévu qu'elle peut être utilisée « pour un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement », soit à peu près tout ! (Mme Borvo Cohen-Seat acquiesce.) En réalité, la combinaison de l'article 62 du code de procédure pénale complété par un paragraphe qui est loin d'être neutre et du nouvel article 73 du même code revient à donner toute liberté à la police et à la gendarmerie !
Vous évoquiez nos lointaines provinces à propos de la visioconférence. Pensez-vous que le délai de deux heures, prévu à l'article 7-2, suffira à l'avocat pour rejoindre le lieu où la personne est gardée à vue dans les territoires ruraux ? Dans quelles conditions les avocats pourront-ils consulter les procès-verbaux établis selon les conditions décrites au nouvel article 64 du code ? Par internet, par e-mail ? Il faudra aménager ces dispositions.
Enfin, le retour de l'audition libre via la réécriture de l'article 62 du code posera problème.
Monsieur le garde des sceaux, nombre de ceux qui n'ont pas voté la révision constitutionnelle réclamaient, depuis longtemps, une réforme de la garde à vue. Et la majorité a tout fait pour ne pas le réformer jusqu'à ce qu'elle y soit obligée...
Ma position est proche de celle de M. Michel, une garde à vue qui serait strictement un temps d'attente avant l'intervention du juge. Soit, cela suppose d'augmenter le nombre de magistrats. Mais la voie que vous avez choisie a, de toute façon, d'importantes conséquences financières.
Les policiers veulent garder la mainmise sur la garde à vue. Leur conception de la procédure est contraire à la défense des libertés. Pour moi, la garde à vue doit être extrêmement courte et exceptionnelle. D'où la nécessité de la limiter aux personnes soupçonnées de crimes ou de délits punis par cinq ans d'emprisonnement au moins. Je suis contre les régimes dérogatoires car, pour prolonger une garde à vue, il suffira d'invoquer des faits de terrorisme...
Plus la charge est grave, plus la personne a besoin de l'assistance d'un avocat. Quant au contrôle de la garde à vue, il doit être entièrement confié au juge des libertés et de la détention. Pourquoi refuser d'introduire un critère de nombre d'années d'emprisonnement pour l'application de la garde à vue ? Pourquoi réintroduire l'audition libre ?
Monsieur le garde des sceaux, je suis sensible à l'objectif de réduire le nombre de gardes à vue que vous avez clairement affiché à l'Assemblée nationale, ce qui mécaniquement améliorera leur condition de prise en charge. La gendarmerie évalue à 50 millions le coût du réaménagement de ses locaux afin que la garde à vue puisse être assurée dans de bonnes conditions par toutes les brigades sur le territoire, sans quoi il faudra envisager une réorganisation totale de ses services. Quelle est votre position sur ce sujet ? Ensuite, le chiffre de 300 000 gardes en vue en moins est en-deçà de la diminution envisagée par la police et les magistrats ; les premiers, parce qu'ils considèrent la garde à vue comme un prolongement de l'arrestation, parlent de moins 30% et les seconds de moins 50%. N'y a-t-il pas à craindre que la réforme proposée n'entraîne pas la diminution attendue ?
Madame Borvo, l'Assemblée nationale a adopté ce projet de loi à une très large majorité ; seulement 32 voix contre ! Nous avons bien travaillé et j'aborde les débats dans le même esprit d'ouverture au Sénat.
Monsieur Anziani, l'audition libre ne réapparaît pas sous le couvert des dispositions de l'article 11 bis. Ce n'est pas moi qui le dis, mais Mme Elisabeth Guigou.
Elle en a fait la démonstration brillante à l'Assemblée nationale si bien que je n'avais rien à ajouter. L'avocat est d'autant plus présent durant les confrontations que le texte prévoit -c'est une innovation- que la victime pourra être assistée d'un avocat à l'article 7 bis nouveau -cette mesure devra être prise en compte dans l'évaluation de la réforme.
Il est justifié de prévoir des régimes dérogatoires.
Il faudra peut-être améliorer le texte sur la liste des avocats habilités à intervenir pour les personnes soupçonnées de faits de terrorisme, de crime organisé ou de trafic de stupéfiants. Nous avons repris le système espagnol puisqu'il est excellent, parait-il... Le but est d'éviter que les prévenus en garde à vue puissent communiquer avec des avocats proches d'eux, qui leur feraient passer des messages. Nous savons tous que cela existe.
J'ai évoqué les moyens humains, immobiliers et mobiliers nécessaires au succès de cette réforme. L'étude d'impact approche la vérité. Il ne faut pas être trop exigeant, notamment pour les locaux de la gendarmerie, dont les propriétaires n'ont pas forcément les moyens de les aménager immédiatement.
A quand la réforme de la procédure pénale ? Tout de suite après la réforme de la garde à vue. Le calendrier est très contraint, nous ne pourrons pas aller beaucoup au-delà du 14 juillet à cause des élections sénatoriales.
On ne peut pas décemment faire une session extraordinaire et lancer un débat sur la réforme de la procédure pénale en septembre. La suite de cette réforme - à laquelle beaucoup d'entre vous ont travaillé -viendra juste après.
Monsieur Michel, vous avez souhaité que l'on revienne aux origines, mais le retour à l'âge d'or est un vieux rêve impossible, notamment pour les raisons qu'a avancées le président de votre commission.
Monsieur Mézard, cette réforme vous laisse sceptique mais je sens que vous avez envie de la voter. Je ferai en sorte que votre envie devienne réalité.
Les infractions non frappées de peines d'emprisonnement, cela existe ! Par exemple, en 2009, il y a eu 59 687 condamnations pour conduite d'un véhicule à moteur sans assurance, 1 235 condamnations pour exécution de travaux sans permis de construire ; ou encore des condamnations pour pêche maritime dans une zone où cette pêche est interdite. Tout cela n'est pas passible de prison !
Un mot sur les moyens. En fait, lorsque j'ai parlé de visioconférence, je pensais aux membres du parquet plutôt qu'aux avocats qui sont là dès la première minute. Vu l'excellent état des routes du Cantal, un délai d'une heure est bien suffisant.
Oui, Madame Borvo, cette réforme suppose un profond changement culturel, notamment pour nos forces de police et de gendarmerie. Il faudra les y aider. Mais elles en sont aussi capables que celles des pays voisins qui ont une législation proche de celle que nous projetons et qui parviennent très bien à confondre les délinquants. L'objectif est de faire moins de gardes à vue, de mieux les cibler et de mieux former les OPJ dont certains peuvent se sentir mal à l'aise face à des avocats à la parole facile. C'est pourquoi le texte prévoit que l'officier de police judiciaire mène le débat et que l'avocat ne parle qu'après lui.
Monsieur Vial, vous avez rappelé notre objectif de diminuer le nombre de gardes à vue. Dès cette année, on en compte 100 000 de moins. Avec la loi, nous ferons mieux.
Le délai d'ici son entrée en vigueur est extrêmement court compte tenu de la nécessaire adaptation des locaux, des permanences du parquet etc. On risque de gros dégâts...
Le Conseil constitutionnel n'a pas dit que tout devait entrer en vigueur au 1er août. On peut différer certaines dispositions.
Nous ne ferons pas tout le même jour et certaines adaptations de terrain se feront sans nous. Je souhaite une date d'entrée en vigueur la plus proche possible. On peut autrement craindre un grand désordre dans nos tribunaux où certains appliqueront la loi actuelle tandis que d'autres appliqueront la convention de Strasbourg. Sans procédure accélérée j'en appelle à la responsabilité des parlementaires pour adopter la réforme dans des délais qui permettent d'éviter une telle situation.
Espérons que certains magistrats auront le même sens des responsabilités.... Le délai du Conseil constitutionnel est raisonnable.
Monsieur le garde des sceaux, pouvez-vous faire le point sur les rapports de l'Inspection générale des services, que vous avez remis hier aux organisations professionnelles des magistrats et de l'administration pénitentiaire ?
J'ai également transmis hier un exemplaire de ces rapports aux présidents des commissions des lois du Sénat et de l'Assemblée nationale.
Après le meurtre de la jeune Laetitia, une émotion considérable s'est légitimement emparée du pays et j'ai immédiatement diligenté deux missions d'inspection, l'une auprès des services judiciaires, l'autre auprès des services pénitentiaires pour étudier ce qui s'était passé au TGI et au SPIP (Service d'insertion et de probation) de Nantes. Les deux rapports m'ont été remis et, comme je m'y étais engagé, je les ai présentés hier aux organisations syndicales de magistrats et de l'administration pénitentiaire. Nous avons dialogué pendant trois heures car je considère qu'on doit écoute et considération aux magistrats. Les deux missions n'ont pas été uniquement centrées sur le cas de Tony Meilhon mais sur le fonctionnement des deux services, TGI et SPIP de Nantes. Le Tribunal de grande instance de Nantes connaissait certains dysfonctionnements insuffisamment pris en compte par le président de la juridiction et par le Premier président de la Cour d'appel de Rennes. Doté de 48 postes de magistrats, ce tribunal, de 2009 à 2011, en a eu constamment davantage - 49 ou 50 - sauf pendant une période de deux mois. En revanche, pendant ces mêmes années, le service des juges d'application des peines a toujours été en sous-effectif et, à une exception près, chaque fois que la juridiction nantaise a demandé et obtenu des magistrats placés, ils ont été affectés ailleurs qu'à l'application des peines, au civil plutôt qu'au pénal. Le président du tribunal, aujourd'hui décédé, avait, dès son arrivée, délégué la totalité de ses tâches organisationnelles à sa 1ère vice-présidente et ne s'était plus intéressé qu'au juridictionnel.
J'entends saisir le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) au titre de l'article 65 de la Constitution qui permet au garde des sceaux d'interroger ce Conseil sur le fonctionnement du service public de la justice. Je demanderai au CSM, qui a publié un code de déontologie si le président d'une juridiction peut ainsi se décharger de ses tâches de gestion.
Cette mission d'enquête a mis en évidence la totale solitude des juges d'application des peines (JAP) de ce tribunal. Ils croyaient leurs demandes transmises alors que la Chancellerie ne les recevait pas.
Le cas Meilhon a été très bien traité par le tribunal de Nantes. Condamné, très jeune par le Tribunal pour enfants il a été placé en prison à Nantes, en 2001, dans la cellule d'un « pointeur », un délinquant sexuel.
Il a été ensuite condamné pour viol par la Cour d'assises des mineurs et il passera ensuite la quasi-totalité de sa vie en prison, à l'exception de quelques mois, il y a cinq ou six ans pendant lesquels il aura un enfant. Une audience relative à la garde de cet enfant fut la cause de sa dernière condamnation - à six mois de prison et un an de sursis avec mise à l'épreuve (SME) - pour outrage à magistrat. Il sort de prison le 24 février 2010 mais la mise à l'épreuve n'est pas appliquée. Pourtant, dès septembre 2009, le juge d'application des peines avait inscrit à la main sur la copie du jugement : « Urgent, avertir le service probationnaire pour le SME ». Le dossier sera transmis en novembre 2009 - c'est-à-dire plusieurs mois avant la libération de Meilhon - au SPIP de Loire-Atlantique ; il contient le casier judiciaire B1qui retrace toute la vie pénale de Tony Meilhon et où, dès la deuxième ligne, on pouvait voir qu'il avait été condamné pour viol. Le magistrat avait donc fait son travail, en utilisant le programme APPI, logiciel qui permet de partager les informations entre services pénitentiaire, d'application des peines et probationnaire. Mais ce qu'on inscrira dans ce programme sera inexact. Le SPIP en fera un dossier « virtuel », c'est-à-dire qu'il restera sans affectation.
La mission d'enquête sur la pénitentiaire a montré que Tony Meilhon a bénéficié d'un très bon suivi psychologique et psychiatrique en prison mais qu'il a été totalement abandonné à lui-même à sa sortie de prison. Il n'y aucune communication entre le milieu fermé, le personnel médical et le milieu ouvert. Le directeur du SPIP de Nantes a décidé que tous les dossiers avec SME seraient non prioritaires et non affectés. Il y a eu une grave défaillance du service de probation. Le dossier de Tony Meilhon a été transmis avec 43 jours de retard. Il y a peut-être là matière à saisine de l'instance disciplinaire.
Dans la presse, les rapports ont été présentés de façon complètement contradictoire. Où peut-on avoir accès à ces rapports pour se forger un avis fiable ?
Ces rapports sont consultables sur le site du ministère.
J'avais cru comprendre qu'on avait institué les SPIP pour faire communiquer milieu ouvert et milieu fermé !
J'en ai discuté avec les procureurs généraux. J'ai constaté qu'il faut rétablir le dialogue...
Puis la commission examine le rapport d'information de MM. Christian Cointat et Bernard Frimat sur l'adéquation de l'organisation institutionnelle de Saint-Pierre-et-Miquelon aux enjeux de développement de l'archipel.
Pour notre rapport, nous proposons le titre : « Saint-Pierre-et-Miquelon, trois préfets plus tard, penser l'avenir pour éviter le naufrage ». En effet, si l'État assure une présence à Saint-Pierre-et-Miquelon, les préfets y restent très peu longtemps, et nous retirons de notre visite une grande inquiétude pour l'avenir de l'archipel. Sa population, d'un peu plus de 6000 habitants, diminue ; les jeunes s'en vont. Cette collectivité d'outre-mer a un sénateur, un député, un Conseil territorial de 19 membres et deux mairies : Saint-Pierre-et-Miquelon-Langlade. C'est un ensemble institutionnel bien lourd pour un si petit territoire.
Le soutien de l'État est indéniable : le montant de l'effort budgétaire par habitant est le plus fort de toutes les collectivités d'outre-mer, le double de celui de la Guyane. En réalité, cela ne fait que 0,6% de ce type de dépenses et, en même temps, l'archipel doit entretenir les services qui seraient en métropole ceux d'une préfecture de plusieurs dizaines de milliers d'habitants ; il y a là une Direction régionale de l'équipement et quasiment toutes les Directions des administrations de l'État y sont représentées.
La commande publique y est essentielle et, chaque année, les deux principales entreprises du BTP l'attendent avec impatience. On s'interroge sur la pertinence de certains investissements, dont on se demande si la finalité n'a pas été uniquement de nourrir la commande publique : lorsque l'hôpital actuellement en construction sera terminé - pour 6 000 habitants - on ne va tout de même pas en construire un second ?
La situation de la population est contrastée. Les uns vivent bien, notamment ceux qui bénéficient des monopoles d'importation sur les îles. Le nombre de 4x4 est impressionnant, sans doute parce qu'ils sont soumis à un taux de TVA réduit. Une autre partie de la population, notamment les retraités dont les pensions sont indexées en métropole, subit la cherté de la vie.
La situation des collectivités territoriales est fragile, d'autant qu'elles ne bénéficient pas de l'avance par l'Etat des « douzièmes » sur les recettes fiscales. L'économie connaît les difficultés structurelles de la pêche - la « grande pêche » est une époque révolue. Il existe 12 bateaux de pêche artisanale, inactifs sept mois de l'année pendant lesquels les marins sont pris en charge par les collectivités territoriales. Il y a un pôle halieutique à Saint-Pierre et un autre à Miquelon mais ils se font concurrence. Comme on le dit là-bas, « Les navires sont à Saint-Pierre et les poissons à Miquelon ». L'aquaculture est expérimentée pour les naissains de coquilles saint-jacques depuis dix ans .... L'État et le préfet ont dénoncé la Délégation de service public relative à un service de fret qui coûtait 2,5 millions d'euros. On en est maintenant à 4,5 millions... L'aéroport, surdimensionné, pourrait accueillir des A 320 alors que n'y atterrissent qu'un ATR 42 venant du Canada et un Cessna de 9 places reliant Miquelon. Il y a à Saint-Pierre un port en eau profonde, d'aspect sinistre, qui ne peut guère inciter les bateaux de croisière à y accoster.
La dépendance aux financements publics a un effet anesthésiant sur l'économie, d'autant que l'État manque de vision à long terme. L'Etat est face à une alternative : soit la commande publique est engagée pour acheter la paix sociale, soit il prend le risque de financer des opérateurs privés et de préparer l'avenir, mais le résultat n'est pas assuré. Le tourisme pourrait se développer et attirer les Canadiens. Mais il semble que les investissements de l'État soient dépourvus de perspectives à long terme.
Le contrôle de légalité est squelettique : deux délibérations ont été transmises en deux ans, alors même que la vie politico-judiciaire locale est animée : on attend une décision du tribunal supérieur d'appel concernant le président de la collectivité territoriale. Dans les journaux municipaux nous avons relevé huit marchés d'études passés par une société d'économie mixte dont la présidence est assurée par le président de la collectivité territoriale ; et l'objet de ces études ne nous est pas clairement apparu.
Nous avons examiné la coopération régionale avec le Canada et, à ce titre, étudié l'opportunité de passer du statut de pays ou territoire d'outre mer de l'Union européenne (PTOM) à celui de région ultrapériphérique de l'Union européenne (RUP). Or, ce changement ferait perdre à l'archipel les avantages que lui apporte son actuel statut en matière de règle d'origine et d'autonomie financière, douanière ou fiscale. Pour bénéficier des aides au titre de région ultrapériphérique, il faut avoir un PIB par habitant inférieur à la moyenne des PIB européens, ce qui n'est pas le cas de l'archipel. Celui-ci perdrait alors les subventions du Fonds européen de développement auxquelles son statut de PTOM lui donne aujourd'hui accès.
Saint-Pierre-et-Miquelon importe du Canada et exporte vers l'Union européenne. Le Canada et l'Union européenne négocient pour parvenir à un accord économique global qui risque de diminuer l'attractivité de Saint-Pierre-et-Miquelon comme porte d'entrée de l'Europe au bénéfice de la règle d'origine. La France ne défend pas les intérêts de son archipel dans cette négociation. Notre première recommandation sera que le gouvernement change d'attitude et donne mandat à la Commission européenne de prendre en compte les intérêts de Saint-Pierre-et-Miquelon. Ensuite, nous allons déposer une proposition de résolution pour que l'Union européenne, dans ces négociations, tienne compte des intérêts de l'archipel. Cela rejoint une résolution que j'ai rapportée devant la commission des affaires européennes, demandant que, dans tout accord commercial qu'elle signe, l'Europe tienne compte des intérêts de ses pays et territoires d'outre-mer, ainsi que des pays associés ACP.
La façon dont se déroulent les négociations de coopération avec le Canada nous a également laissés pantois. Il y a la commission mixte officielle où ne siège que le préfet, tandis que le Conseil territorial noue des contacts parallèles. Nos partenaires canadiens semblent favorables à une coopération mais encore faudrait-il qu'ils sachent avec qui en discuter. Cette dichotomie fait désordre... Le Canada juge que cette coopération est digne d'intérêt du fait de l'application de la règle d'origine et aussi parce que le contact avec les ministères français, tous présents sur l'archipel, est facile. Encore faut-il que le Conseil territorial l'impulse. Actuellement il y a déjà des réussites en matière de sécurité, de santé, d'éducation et d'enseignement supérieur, les étudiants de l'archipel pouvant s'inscrire dans l'université de langue française de Moncton.
La coopération avec le Canada se heurte à des difficultés juridiques, ce pays étant un État fédéral où les provinces ont beaucoup de pouvoir, tandis que la France est un pays unitaire. Jusqu'à présent notre gouvernement estimait qu'il ne pouvait pas y avoir d'accord avec les provinces canadiennes sans accord intergouvernemental. Il semblerait ainsi qu'il envisage maintenant la possibilité d'une coopération directe avec les provinces. On pourrait ainsi développer la coopération en matière de placement des mineurs en danger ou d'activité scientifique. On envisage aussi que, désormais, l'archipel puisse exporter non plus seulement des produits congelés mais également des produits frais, ce qui suppose qu'ils soient analysés par des laboratoires canadiens. D'autres domaines de coopération sont envisagés : exploitation des hydrocarbures, traitement des ordures ménagères. Reste l'épineux dossier du plateau continental. La France a obtenu 12 000 kilomètres carrés de zone économique exclusive, alors qu'elle en revendiquait 47.000. Le Canada a ensuite modifié les limites de sa zone économique exclusive. Nous avons fait valoir nos droits ce qui a un peu fâché nos partenaires. Les autorités françaises doivent davantage tenir compte des intérêts de l'archipel et, pour ce faire, être plus pragmatiques et envisager des coopérations régionales comme le permet la récente modification de la loi organique statutaire.
J'en viens à l'organisation institutionnelle. On ne peut plus supporter d'avoir un système à trois collectivités territoriales pour un peu plus de 6 000 habitants, d'autant que cela s'accompagne d'un enchevêtrement de responsabilités complètement perturbant - par exemple, la commune de Miquelon n'a que 80 mètres de voirie municipale ; pour le déneigement à Saint-Pierre, la moitié d'une route dépend de la commune, l'autre moitié du Conseil territorial... Il y a une liaison par bateau entre Saint-Pierre et Langlade, qui est le lieu de villégiature des Saint-Pierrais, tandis que la liaison avec Miquelon connaît de nombreuses vicissitudes.
Les habitants étant très attachés à l'existence de leurs deux communes, il faudrait envisager un Conseil territorial qui émanerait d'elles, comme la Nouvelle-Calédonie avec ses provinces ou Paris avec ses arrondissements. Le développement économique doit bien entendu dépendre du Conseil territorial, mais la subsidiarité doit jouer pour les questions d'urbanisme, de logement, de gestion du quotidien, qui seraient de la responsabilité des communes.
Il y a également le problème du SDIS qui devrait être un STIS, un service territorial d'incendie et de secours, car les communes n'ont pas les moyens d'assumer cette compétence.
Le tourisme doit être développé, notamment le tourisme vert. Mais lorsqu'on arrive sur le quai en eau profonde de Saint-Pierre, on découvre d'horribles bâtiments sur le port, dans un cadre pourtant splendide, puisque l'Ile aux Marins se trouve de l'autre côté de la rade. Il faut réaliser les investissements nécessaires et préserver l'environnement : la seule forêt boréale que possède la France se trouve à Langlade, mais elle est menacée par les cervidés.
Avant de quitter Saint-Pierre-et-Miquelon, nous nous sommes inquiétés auprès du préfet de ce que le président du conseil territorial préside pratiquement toutes les SEM de Saint-Pierre. Nous lui avons demandé sans succès si un tel cumul était compatible avec ces fonctions car une telle pratique s'éloigne substantiellement des règles en usage en métropole.
La concentration des pouvoirs et la dispersion des énergies sont évidentes. Certes, cette concentration convient au président du Conseil territorial car cette assemblée rédige, par exemple, les règlements d'urbanisme. Si les maires signent les permis de construire, ils n'ont aucune maîtrise du foncier, qui appartient à la collectivité.
Sur un si petit territoire, une situation conflictuelle entre le Conseil territorial et les communes n'est pas acceptable. C'est pourquoi nous proposons, de façon un peu paradoxale, un cumul entre les deux fonctions municipale et territoriale, afin d'harmoniser les politiques menées. Sur la question du STIS, le Conseil, qui refuse de le créer, estime que les communes n'ont pas à se plaindre puisqu'il finance leurs crèches, par exemple.
Le superbe musée de l'Héritage, à Saint-Pierre, n'existe que par la volonté de deux personnes privées et le Conseil territorial l'ignore complètement, alors qu'une étude est engagée sur la réfection de la toiture du musée de l'Arche pour un montant de 800 000 euros ! Il faut donc revoir la répartition des compétences.
Si le Conseil territorial était l'émanation des communes, la répartition des compétences se ferait de façon plus naturelle : le Conseil pourrait ainsi garder le développement économique et culturel tandis que la dimension sociale et l'urbanisme reviendraient aux communes.
Autre problème : comme il s'agit d'une collectivité d'outre-mer (COM), le temps s'est relativement figé et certaines lois n'ont pas été transposées. Ainsi, la réforme de la formation professionnelle n'est pas appliquée à Saint-Pierre, alors qu'elle fait la part belle à la décentralisation. Nous préconisons donc un bilan sur le droit en vigueur à Saint-Pierre-et-Miquelon, afin d'éviter tout dysfonctionnement lourd de conséquences. Par ailleurs, la collectivité rencontre parfois des difficultés pour assumer ses compétences normatives, si bien qu'il n'y a pas de véritable code des douanes. Il convient de renforcer les conditions de mise à disposition des services de l'Etat.
Un cumul de responsabilités permettrait aux mêmes personnes d'exercer des fonctions différentes et de créer une synergie. Il n'est pas besoin d'augmenter le nombre de conseillers : les quinze représentants de Saint-Pierre et les quatre de Miquelon-Langlade devraient émaner des conseils municipaux, quitte à s'assurer que Miquelon soit automatiquement représentée au sein du conseil exécutif. Ce qui est certain, c'est que le statut actuel explique en partie le blocage entre mairies et Conseil territorial. Et le préfet ne tranche pas : il est là pour éviter que l'eau ne s'agite...
Les préfets, qui souvent prennent leur grade en étant nommés à Saint-Pierre-et-Miquelon et sont en fin de carrière administrative, ne restent pas assez longtemps dans l'archipel, d'où l'intitulé « Trois préfets plus tard ».
Nous donnons bien évidemment notre accord à la publication de ce rapport.