J'ai eu l'honneur de conduire du 15 au 18 décembre dernier une délégation qui s'est rendue au Maroc au nom de la commission de l'Économie : cette délégation était composée de nos collègues Odette Herviaux, Jacqueline Panis et Marc Daunis. Le but de notre déplacement -à Rabat et Tanger- était d'étudier les politiques de développement durable qui y sont mises en oeuvre et de dresser un état des lieux des relations, notamment économiques, entre ce pays et l'Union européenne.
Nous avons rencontré le ministre des affaires économiques et générales, M. Nizar Baraka, la ministre de l'Énergie, des mines, de l'eau et de l'environnement, Mme Amina Benkhadra ainsi que M. Youssef Amrani, secrétaire général au ministère des affaires étrangères et qui vient d'être nommé, le 25 mai dernier, à la tête de l'Union pour la Méditerranée (UpM) en remplacement du Jordanien M. Ahmed Massa'deh. Nous avons également pu voir le représentant de l'Union européenne au Maroc, M. Eneko Landaburu, dont l'exposé clair et convaincant nous a passionnés.
Je signale que nous avions d'ailleurs rencontré, avant notre départ, Son Excellence M. El Mostafa Sahel, Ambassadeur du Maroc en France, qui a bien voulu nous recevoir pour préparer au mieux notre visite.
Nous avons également pu rencontrer sur place des représentants des différents milieux économiques et institutionnels marocains ainsi que des entreprises françaises présentes dans le pays.
Nous avons enfin effectué un certain nombre de visites de terrain : le site de l'aménagement de la vallée du Bouregreg entre Rabat et Salé, le site de l'usine Lafarge à Tétouan, près de Tanger, avec son parc éolien et aussi le nouveau port Tanger-Méditerranée, où je sais qu'une délégation du groupe de travail sur la réforme portuaire, conduite par notre collègue Charles Revet, s'est également rendue le mois dernier.
Il est important, à ce stade, de souligner que notre déplacement a eu lieu avant les récents événements qu'ont connus les pays arabes et que l'on a appelés « printemps arabes ». En Égypte, en Libye, au Yémen, en Syrie, en Jordanie, en Algérie notamment, mais aussi au Maroc, les manifestations et les contestations ont revêtu des spécificités bien marquées selon le pays et se sont inscrites dans des contextes à chaque fois différent.
Ce dont nous sommes sûrs, du reste, c'est de la vague d'espoir démocratique qui s'est étendue dans l'ensemble de ces pays, notamment à travers la mobilisation de la jeunesse, dont les regroupements spontanés ont été largement relayés par les réseaux sociaux sur internet.
Ce qui est sûr aussi, c'est que le monde arabe, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, est en train de connaître une mutation démocratique sans précédent. Il y aura un « avant » et un « après » printemps arabe et il sera important, dans les mois et les années qui viennent, d'analyser les changements politiques et sociétaux profonds qui en auront découlé.
Lors de notre déplacement, en décembre, ce gigantesque bouleversement n'avait pas encore eu lieu et les thèmes choisis par notre mission étaient davantage liés aux aspects économiques et environnementaux qu'aux problématiques politiques ou géopolitiques, tant intérieures qu'extérieures. Notre délégation ne s'est donc pas penchée dans son rapport sur les mutations politiques que connaît actuellement la région car les rencontres et les visites effectuées sur le terrain, axées sur les problématiques économiques et environnementales ne nous permettent pas de proposer une analyse sérieuse et fondée sur des événements récents.
Néanmoins, notre délégation, consciente de l'importance de ces changements, non seulement dans la donne régionale, mais également dans le contexte intérieur du Maroc, a tenu à auditionner la sous-direction du Ministère des Affaires étrangères spécialisée sur l'Afrique du Nord et sur le Maroc, ce qui nous a permis de mieux cerner l'impact de ces révolutions sur le Maroc, sa politique de réformes et son évolution institutionnelle. Dans un discours à la nation du 17 juin, Mohammed VI a ainsi présenté un projet de réformes constitutionnelles qui vise à « consolider les piliers d'une monarchie constitutionnelle, démocratique, parlementaire et sociale » et constitue un pas important - voire révolutionnaire - dans la réforme du pays : ce projet sera soumis à référendum le 1er juillet prochain.
Le rapport de mission que je vais vous présenter comporte trois parties : dans la première, je vous présenterai les caractéristiques du Maroc, notamment au regard de sa situation géographique exceptionnelle de « carrefour » entre l'Europe et l'Afrique ; dans la deuxième, j'évoquerai le cadre spécifique dans lequel s'inscrivent aujourd'hui les relations entre la France et le Maroc : celui d'un partenariat avec l'Union européenne de plus en plus ambitieux ; et enfin, j'insisterai sur les grands chantiers et les grands projets lancés par le Roi Mohammed VI dans le domaine économique et surtout environnemental, dont nous avons pu, pour certains, constater l'avancement sur place.
Comme je vous l'ai indiqué, la position géographique du Maroc est exceptionnelle : il est situé à l'extrême Nord-Ouest du continent africain, et séparé de l'Espagne par le mince détroit de Gibraltar de 13 kilomètres. La fermeture de la frontière algérienne à l'est du pays depuis 1994 a créé des conditions de quasi-insularité. Cette situation a contribué à ce que le pays se tourne de plus en plus vers l'Europe. En effet, si le Maroc constitue une sorte d'isthme en Afrique, il est de l'autre côté, grâce à sa position de porte de la Méditerranée, un véritable pont vers l'Europe, avec qui les relations, tant économiques que politiques et culturelles sont anciennes et n'ont cessé de se renforcer.
Sur le plan économique, la croissance du pays atteint 5,2 % en 2009 et 4,2 % en 2010, pour un produit intérieur brut estimé à 65 milliards d'euros. Cette forte croissance s'explique en grande partie grâce au secteur agricole, dont les résultats dépendent beaucoup des conditions climatiques, et notamment de la pluie. Depuis le début des années 2000, si elle est irrégulière en fonction des pluies justement, la croissance annuelle moyenne est forte, aux alentours de 4,8 %. Le déficit budgétaire est de 2,2 % du PIB.
La société marocaine connaît des mutations profondes. Il est par exemple révélateur que le taux de fécondité soit passé de 7 à 2,4 en 2006. Pourtant, malgré une augmentation de l'indice de développement humain (IDH) - il a augmenté de plus de 50 % en 32 ans - ce dernier reste particulièrement faible au Maroc par rapport à l'ensemble du Maghreb. En effet, malgré des progrès, la population marocaine reste très pauvre, notamment dans les campagnes, et l'analphabétisme est très fort.
Depuis son arrivée sur le trône en 1999, le Roi Mohammed VI a engagé des réformes importantes, notamment sur le plan du développement social. L'initiative majeure qu'il a prise est l'Initiative nationale de développement humain, lancée au printemps 2005 dans le triple but de désenclaver les zones défavorisées du pays, de lutter contre la précarité et d'installer une économie solidaire au profit des catégories les plus démunies. Ce programme a ainsi été doté d'une enveloppe de 900 millions d'euros pour la période 2006-2010. Il a également voulu améliorer la situation des femmes, notamment à travers l'adoption d'un nouveau code de la famille en 2003.
Avec la France, le Maroc entretient depuis longtemps un partenariat privilégié et étroit, tant sur le plan économique et politique que culturel. Premier partenaire commercial du Maroc, la France y est également le premier investisseur étranger avec 797 filiales d'entreprises françaises présentes sur le territoire marocain, employant plus de 115 000 personnes. Parmi les 20 plus grandes entreprises au Maroc, six sont françaises.
Les liens économiques entre les deux pays se doublent d'une très forte proximité culturelle, entretenue par des flux migratoires importants et un tourisme très développé.
Mais ce partenariat étroit et historique s'inscrit aujourd'hui dans le cadre d'une coopération plus large et toujours plus approfondie avec l'Union européenne. Depuis 1963 s'est établi un « partenariat privilégié ». Le premier accord commercial d'association fut conclu en 1969 et un nouvel accord en 1976. Une nouvelle étape est franchie dans le cadre du « processus de Barcelone », lancé en 1995 qui met en place un programme de dialogue, d'échange et de coopération pour garantir la paix, la stabilité et la prospérité dans la région.
Depuis 2002, le Maroc entre dans le cadre de la politique européenne de voisinage, qui a pour but de créer un espace de prospérité et de valeurs partagées, fondé sur une intégration économique accrue, des relations politiques et culturelles plus intenses, une coopération transfrontalière renforcée et une prévention conjointe des conflits.
Ces objectifs se traduisent concrètement par des plans d'action différenciés établis par l'Union européenne et chacun des pays partenaires et qui prennent en compte les spécificités de chacun d'entre eux.
En 2010 a été préparé un nouveau plan d'action UE-Maroc qui permettra d'opérationnaliser la dynamique du statut avancé, forme la plus avancée de coopération sans intégration, obtenu par le Maroc en 2008, dans son ambition de rapprochement avec les normes européennes.
Le nouveau programme de coopération entre le Maroc et l'Union européenne pour la période (2011-2013) s'élève à environ 580,5 millions d'euros de subventions.
Depuis le 13 juillet 2008, l'Union pour la Méditerranée (UpM), qui compte 43 membres à part entière auxquels s'ajoute la Ligue arabe, a donné un nouveau souffle au processus de Barcelone. Six projets principaux sont à la base de ce rapprochement : le projet de dépollution de la Méditerranée sur le thème de l'environnement ; le projet des autoroutes maritimes et terrestres sur le thème des transports ; le développement de la protection civile à l'échelle de la région pour répondre aux catastrophes naturelles ; la création d'une université euro-méditerranéenne ; le soutien aux énergies alternatives, notamment solaires ; le développement des affaires à travers un mécanisme de soutien aux petites et moyennes entreprises.
Aujourd'hui, l'Union pour la Méditerranée comme le contenu du « statut avancé » ne progressent peut-être pas aussi vite que les prévisions initiales : la mise en oeuvre des projets prévus par l'UpM prend du temps ; les capacités de financements européens restent limitées et les différends politiques pèsent parfois sur le fonctionnement de l'UpM. Mais les progrès sont néanmoins certains. Ainsi, la création, le 26 mai 2010, d'Inframed, un fonds d'investissement doté de 385 millions d'euros pour financer les projets de l'UpM pourrait permettre à celle-ci, d'après la Caisse des dépôts et consignations de « mobiliser à terme 1 milliard d'euros », et donc de changer d'ampleur.
Le cadre juridique de ce partenariat est en tout état de cause posé et il fonctionne à travers des réunions interministérielles, notamment sur le problème de l'eau. Certains projets prennent forme : l'université euro-méditerranéenne a ainsi été mise en place à Portoroz ; le programme Desertect, lancé en juillet 2009, a permis d'installer des fermes solaires et éoliennes à grande échelle en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, et le projet Medgrid, lancé en décembre 2010, regroupe une vingtaine de sociétés visant à permettre l'acheminement d'électricité d'origine photovoltaïque du Sud vers le Nord. Un accord a par ailleurs été obtenu sur la création d'un centre stratégique pour la protection civile en Méditerranée, et conformément aux recommandations de notre collègue Roland Courteau, il serait utile d'envisager un centre d'alerte aux tsunamis.
Quant au statut avancé, un rapport relatif à la mise en oeuvre de la politique européenne de voisinage par le Maroc en 2010, paru le 25 mai 2011, souligne un bilan « globalement positif », qui devrait « se traduire par davantage de réalisations concrètes en 2011 », et met en avant la mise en oeuvre des réformes structurelles malgré quelques réserves en matière de droits des femmes, de liberté d'information ou encore de justice.
Enfin, dans une dernière partie, j'évoque certains chantiers de modernisation lancés par Mohammed VI que nous avons pu visiter et dont nous avons pu constater sur place l'ampleur et l'ambition.
Le Maroc est en effet aujourd'hui résolument tourné vers le développement durable, menant dans ce domaine depuis plusieurs années une politique volontariste et diversifiée.
Nous avons tout d'abord pu rencontre Mme Amina Benkhadra, la ministre de l'Énergie, des mines, de l'eau et de l'environnement, qui nous a exposé le programme de développement énergétique privilégiant un bouquet diversifié et équilibré, avec une place de choix pour les énergies renouvelables. D'ici à 2020, le pays s'est donné pour objectifs de tripler la puissance électrique installée et de développer les centrales fonctionnant avec des énergies renouvelables afin qu'elles représentent 42% de la capacité électrique totale installée et un nouveau cadre législatif a été adopté en février 2010, afin d'assurer le développement des énergies renouvelables.
Sur ce sujet, nous avons pu visiter le site de Tétouan de la cimenterie Lafarge au Maroc, qui présente la particularité d'avoir mis en place un système d'autoproduction de son électricité, grâce à un parc éolien permettant de produire 32 MégaWatts par an et correspondant à une réduction des gaz à effet de serre à hauteur de 90 000 tonnes de CO2 par an.
Nous avons également visité la vallée du Bouregreg, entre Rabat et Salé, dont l'aménagement lancé en 2006 symbolise la volonté d'une modernisation soucieuse des enjeux du développement durable. L'organisation des transports constitue un axe important de cet aménagement avec la mise en place du tramway de Rabat-Salé, issu d'une collaboration avec Alstom, la construction du pont Moulay Hassan II et le creusement du tunnel des Oudayas.
La délégation a visité le récent port de Tanger-Méditerranée, véritable port leader en Méditerranée. Bénéficiant d'une situation géographique exceptionnelle, sa capacité initiale s'élève à 3 millions de conteneurs auxquels viendra s'ajouter une extension (Tanger Med 2), dont la capacité devrait être de 5,2 millions de conteneurs à l'horizon 2016. Le port est par ailleurs bordé d'une zone franche comprenant des zones logistiques et industrielles. Un des premiers groupes installés est le groupe franco-japonais Renault-Nissan, qui est en train de construire une usine de production d'une capacité de 200 000 voitures par an.
A l'issue de cette présentation, je vous proposerai d'intituler ce rapport « Les chantiers du Maroc de demain ». Il apparaît en effet que ce pays est entré pleinement dans la voie de la modernisation par le biais de réformes économiques ambitieuses et axées sur le développement durable, d'un partenariat poussé avec l'Union européenne et de réformes sociétales et politiques dont il conviendra de suivre attentivement les retombées.
Le bureau de la commission avait fait le choix d'un déplacement au Maroc car la France, qui assurait la présidence de l'Union européenne, avait mis en avant l'Union pour la Méditerranée. On voit bien que ces pays aspirent à la démocratie. Tout ce qui s'est passé dernièrement le montre, alors même que l'on n'imaginait pas une telle évolution. L'aspiration de ces pays à la démocratie constitue bel et bien l'enjeu de l'Union européenne pour demain. Il est important de les soutenir. C'est une chance pour l'Europe que ces pays se développent.
Je remercie notre rapporteur pour son bilan très complet de la situation au Maroc. J'ai eu l'occasion de m'y rendre dans le cadre d'un déplacement du groupe de travail sur la réforme portuaire que j'ai l'honneur de présider. On voit que finalement, la France est pratiquement le seul partenaire économique du Maroc. Le récent attentat de Marrakech rappelle d'ailleurs les risques que cela comporte. Cela étant, il est de notre intérêt de continuer cette démarche en facilitant les moyens d'échanges. Mais il y a encore beaucoup à faire. Dans le domaine des échanges maritimes, Tanger peut être, comme Algésiras de l'autre côté du détroit de Gibraltar, un partenaire de nos ports, au Sud comme au Nord.
Je voudrais tout d'abord souligner l'excellent travail qui a été fait sous l'impulsion du rapporteur pendant cette mission, dont le rythme s'est avéré très soutenu, peut-être même un peu trop !
De façon plus sérieuse, je crois que le rapport commence par une vérité dont n'avons pas assez conscience : la place stratégique du Maroc par rapport à l'Europe et par rapport au continent africain. J'ai la conviction depuis de nombreuses années que le Maroc constitue un point d'accès et de diffusion pour tout le continent africain particulièrement privilégié. Avec l'Afrique du Sud, ce sont les deux pays qui ont un fort potentiel de développement au niveau de l'Afrique.
C'est pourquoi, je crois que la construction d'un espace euro-méditerranéen est majeure pour les décennies à venir : hélas je ne suis pas persuadé que les ambitions que nous avons en la matière soient à la hauteur. Il conviendrait que le Sénat puisse avoir un suivi particulier sur cette question de l'Union pour la Méditerranée.
Je souhaiterais également nuancer fortement le propos de notre collègue Charles Revet lorsqu'il affirme que la France est le seul partenaire économique du Maroc : historiquement, nous demeurons le principal partenaire mais l'Espagne est en train de développer l'éolien, l'Allemagne le photovoltaïque, les Etats-Unis sont en train sur un plan financier et politique, voire culturel, d'investir au Maroc alors que les élites étaient traditionnellement formées en France.
Je souhaiterais que nous puissions travailler prochainement sur un paradoxe : la France s'investit massivement dans les formations primaires et secondaires or on s'aperçoit qu'au moment des études supérieures, les jeunes élites marocaines préfèrent de plus en plus, se tourner vers les Etats-Unis ou l'Angleterre, ce qui contribue à distendre les liens avec la France. Autrefois, le débouché quasi-obligatoire des étudiants marocains à l'étranger, c'était la France mais nous sommes sur une pente dangereusement décroissante.
Il faut certes une université euro-méditerranéenne, mais il faut aussi faciliter l'accès à la formation, et notamment dans les filières d'excellence, des jeunes qui sont appelés à être les futurs cadres de l'économie marocaine.
Nous devons enfin prendre garde à ce qui se passe autour du développement du port de Tanger Med. Cela va bouleverser les mouvements portuaires et l'organisation globale y compris de notre propre façade maritime.
Notre commission pourrait assurer un suivi sur le long terme en sélectionnant des sujets stratégiques.
Nous devons effectivement garder notre place dans la mondialisation et les échanges extérieurs. Je suis tout à fait d'accord par ailleurs : le suivi de ce pays, qui est à notre porte, doit être un souci de notre commission.
Je crois que c'est important d'avoir fait ce déplacement au Maroc. Je suis assez d'accord avec ce que vient de dire notre collègue Marc Daunis, notamment sur la question de l'importance de l'Union pour la Méditerranée. Je crois tout de même que les élites marocaines aiment toujours venir étudier en France.
Je voudrais par ailleurs souligner que très tôt, le Maroc a su faire des réserves d'eau importantes même dans le Sud du Maroc ainsi que des barrages.
J'ai néanmoins une seule inquiétude : c'est la corruption. Il faut une vraie politique pour la fonction publique.
Je vous remercie pour ces interventions. Je voudrais rappeler à Charles Revet que l'objectif du site de Renault sur la zone franche de Tanger c'est la production de 200 000 voitures par an, la création de 6000 à 7000 emplois directs et de 30 000 emplois indirects chez les équipementiers installés autour du site. Le développement de ce port est très important. Marc Daunis a souligné fort opportunément la place du Maroc dans le cadre de l'Union pour la Méditerranée, qui doit être encouragée, ainsi que les problèmes liés à l'université. La proposition, relayée par notre président, du suivi de ce pays qui est à notre porte va dans le bon sens. Le suivi notamment des réformes et des chantiers mis en oeuvre par le roi Mohammed VI est essentiel. Enfin, Michel Bécot a souligné l'importance de la pluie pour l'économie marocaine. Le problème de la corruption est également à relever et à suivre particulièrement.
La commission autorise, à l'unanimité, la publication de ce rapport d'information.
Puis la commission procède à l'audition de Mme Patricia Lemoyne de Forges, président de l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (ACNUSA).
L'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires (ACNUSA) a été créée par la loi du 12 juillet 1999 afin de contrôler l'application des dispositifs de lutte contre les nuisances sonores occasionnées par le transport aérien. Le 1er novembre dernier, en application de la loi « Grenelle II » du 12 juillet 2010, l'ACNUSA est devenue l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires, car elle doit désormais contrôler les nuisances environnementales d'une manière générale, qu'il s'agisse du bruit ou de la qualité de l'air.
Cette nouvelle compétence constitue une reconnaissance pour la grande qualité du travail effectué par l'Autorité depuis plus de dix ans. Je remercie donc Mme Patricia Lemoyne de Forges, président de l'ACNUSA, d'avoir accepté notre invitation, pour présenter le rapport établi par cette autorité. J'ai également souhaité que les membres de la commission spéciale sur le Grand Paris puissent participer à cette audition.
Madame le Président, sans doute pourrez-vous nous dresser un premier bilan de la mise en oeuvre de la nouvelle compétence de l'Autorité, mais également nous présenter un point sur les nuisances sonores, s'agissant notamment des vols de nuit. Je vous demanderai ainsi comment l'Autorité compte concilier le contrôle des nuisances aériennes d'une part et des émissions polluantes d'autre part : ces deux objectifs sont-ils toujours compatibles ?
L'ACNUSA est la première autorité administrative indépendante dans le domaine de l'environnement. Créée par la loi du 12 juillet 1999, elle a vu ses compétences étendues à la pollution atmosphérique sur et autour des aéroports par la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement. C'est une instance de concertation et de dialogue, garante de la transparence des informations.
L'ACNUSA compte dix membres dont le mandat est de six ans : cinq membres sont renouvelés tous les trois ans. Non révocables et non renouvelables, ils sont nommés par décret en Conseil des ministres. Deux sont désignés par le Parlement et huit par le gouvernement. Leur mandat est incompatible avec toute activité professionnelle et toute responsabilité associative en lien avec l'activité des aéroports, avec tout mandat électif et avec la détention d'intérêts dans une entreprise des secteurs aéronautique ou aéroportuaire.
L'Autorité peut être saisie par un ministre, par une commission consultative de l'environnement, une commune ou un établissement public de coopération intercommunale, ainsi que par une association concernée par l'environnement aéroportuaire. Elle peut également se saisir elle-même.
Elle exerce deux types de compétences. Sur la France entière en premier lieu, elle émet des recommandations sur toute question relative aux nuisances environnementales générées par le transport aérien sur et autour des aéroports :
- pour les nuisances sonores : il s'agit de la mesure du bruit et ses indicateurs, de l'évaluation de la gêne sonore et de la maîtrise des nuisances sonores du transport aérien et de l'activité aéroportuaire, enfin de la limitation de leur impact sur l'environnement, notamment par l'instauration de procédures particulières au décollage et à l'atterrissage ;
- pour la pollution atmosphérique : l'Autorité rend chaque année un rapport de synthèse sur les informations et propositions émises par l'ensemble des parties concernées.
Elle peut prononcer des amendes administratives, sanctionnant le non-respect des arrêtés du ministre chargé de l'aviation civile qui fixent des restrictions permanentes ou temporaires d'usage de certains aéronefs en fonction de leur classification acoustique, des restrictions permanentes ou temporaires de certaines activités en raison des nuisances sonores qu'elles occasionnent, des procédures particulières de décollage ou d'atterrissage en vue de limiter leurs nuisances sonores, par exemple les volumes de protection environnementale sur certains aéroports, des règles relatives aux essais moteurs et des valeurs maximales de bruit à ne pas dépasser.
Ces arrêtés concernent les aéroports de Bâle-Mulhouse, Beauvais-Tillé, Bordeaux, Lyon-Saint-Exupéry, Marseille-Provence, Nantes-Atlantique, Nice-Côte-d'Azur, Paris-Charles-de-Gaulle, Paris-Le Bourget, Paris-Orly et Toulouse-Blagnac. L'aéroport de Strasbourg s'appuie, pour sa part, sur une charte de bonne conduite.
L'Autorité a prononcé des amendes pour un montant de plus de 25 millions d'euros au total depuis 2002, les arrêtés de restriction ayant commencé à être pris à cette date. Ces sommes abondent le budget général de l'État, mais nous souhaiterions qu'elles soient plutôt destinées à des mesures en faveur des riverains. Des amendes d'un montant de 1,685 million d'euros ont déjà été prononcées depuis le 1er janvier 2011.
L'ACNUSA dispose en second lieu de compétences particulières :
- d'une part pour les aérodromes pour lesquels le nombre annuel des mouvements d'aéronef de plus de 20 tonnes a dépassé 20 000. Sont concernés les aéroports de Bâle-Mulhouse, Beauvais, Bordeaux-Mérignac, Lyon-Saint-Exupéry, Marseille-Provence, Nantes-Atlantique, Nice-Côte-d'Azur, Paris-Charles-de-Gaulle, Paris-Orly, Strasbourg-Entzheim et Toulouse-Blagnac ;
- d'autre part pour les aérodromes dont le nombre annuel de mouvements d'aéronef de plus deux tonnes dépasse 50 000, si le plan d'exposition au bruit (PEB) ou le plan de gêne sonore (PGS) de cet aérodrome possède un domaine d'intersection avec les PEB et PGS d'un aérodrome défini dans le point précédent. Cette disposition vise en fait l'aéroport de Paris-Le Bourget, dont les PEB et PGS sont en cours d'élaboration.
Sur ces aéroports, l'Autorité dispose de pouvoirs spécifiques :
- dans le domaine des nuisances sonores, elle définit les indicateurs de mesure du bruit et de la gêne sonore et les prescriptions techniques relatives aux dispositifs de mesure de bruit, s'assure du respect de ces prescriptions par l'exploitant et diffuse l'information auprès du public. Elle est consultée sur les projets de plans et les révisions des PEB et des PGS ainsi que sur les projets de textes règlementaires, contrôle le respect des engagements pris dans des chartes et peut enfin être saisie d'une demande de médiation ;
- dans le domaine de la pollution atmosphérique, elle est chargée de contribuer au débat en matière d'environnement aéroportuaire et peut formuler des propositions d'études pour améliorer les connaissances et diffuser ces études.
Chaque année, l'Autorité établit un rapport rendant compte de son activité. Ce rapport, qui est remis au gouvernement et au Parlement, doit comporter une partie consacrée aux vols de nuit et une synthèse des informations et propositions relatives à la pollution atmosphérique. Les services de l'administration doivent répondre à ce rapport et aux avis et recommandations de l'Autorité dans un délai de six mois.
Les demandes de l'Autorité peuvent être réparties en trois grandes catégories :
- réduire la gêne lors du survol : il faut encourager la nuit et lors des périodes de jour peu chargées les approches en descente continue, ce qui permet un gain de bruit significatif pour les personnes habitant les communes situées en amont de la trajectoire, conduire de nouvelles réflexions sur la prise en compte globale de l'intérêt général lors de transfert de nuisances, enfin généraliser l'installation et l'utilisation des dispositifs d'alimentation fixes qui fournissent à la fois du courant électrique et de l'air pré-conditionné ;
- réparer et prévenir les nuisances sonores : l'Autorité propose de mettre en place un programme pluriannuel volontariste visant à terminer en cinq ans l'insonorisation des logements, de prendre en charge les travaux à 100 %, d'étudier la création d'une zone de transition aux limites du PGS moins 3 dB où l'aide serait réduite de moitié et d'envisager l'ouverture d'un recours aux riverains hors PGS qui démontreraient que le niveau de bruit est supérieur à celui du PGS. En terme d'urbanisation, l'Autorité recommande d'encadrer le renouvellement urbain et, dans la perspective d'une évolution indispensable du droit, de confier une mission de bilan et de préconisations au Conseil général de l'environnement et du développement durable, de renforcer également le contrôle de légalité en zone C des PEB et de mettre en place, dans le cadre du Grand Paris, une expérimentation portant sur l'accompagnement de la transformation d'une zone bâtie proche d'une plateforme ;
- améliorer les connaissances, la communication et le partage d'informations : une réflexion doit être engagée sur les processus de concertation et de consultation des populations. L'enquête DEBATS tend à mieux connaître et mieux quantifier les effets du bruit des avions sur la santé des populations riveraines des aéroports français : elle comporte une phase d'observation épidémiologique avec mesures ; après la mise au point en 2010 du protocole définitif de recherche, l'étude pilote doit démarrer au deuxième semestre 2011 pour un achèvement de l'enquête en 2016.
Enfin, l'Autorité propose, s'agissant des vols de nuit, de ne les autoriser que pour les avions les moins bruyants, de retenir pour les mesures de restriction une période correspondant à huit heures de sommeil et non à cinq heures comme c'est le cas actuellement à Roissy-Charles-de-Gaulle, de mettre en place un groupe de travail ACNUSA sur les vols de nuit et enfin de porter les réflexions sur ce sujet au niveau européen.
Il est bon de préconiser l'interdiction de construction dans les zones les plus concernées par les nuisances sonores, mais jusqu'à quelle distance cette interdiction doit-elle être mise en oeuvre ? Les mesures d'insonorisation ne devraient d'ailleurs pas s'arrêter selon une limite géographique trop précise, car le bruit se répand de manière plus diffuse.
Je constate que le trafic aérien croît de manière exponentielle, mais que la plupart de nos concitoyens ne se sentent pas concernés directement par les nuisances sonores aéroportuaires : comment faire pour parvenir à une meilleure prise de conscience de ces questions, d'autant que la variation des procédures d'atterrissage est susceptible de nuire à un nombre d'habitants de plus en plus important ? Je souligne également que ce problème touche, au-delà de Paris, des villes de province telles que Toulouse dont l'aéroport est bordé par des zones urbanisées.
Tout en évoquant les nuisances, il faut aussi souligner l'apport que jouent les aéroports pour le développement économique régional et national.
Dans quel cadre particulier s'organise la concertation avec les élus ? Je rappelle que les nuisances sont souvent transférées sur de nouvelles populations à l'occasion de travaux sur les plateformes aéroportuaires : l'ACNUSA est-elle consultée à cette occasion, de manière à élaborer des recommandations à l'avance ? Je pense ainsi à la construction d'un nouveau terminal à Roissy. Le Grand Paris prévoit la construction de nouvelles gares et de nouveaux logements sociaux et les communes doivent d'ores et déjà respecter les règles de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains : comment peuvent-elles y parvenir lorsqu'elles sont à proximité des aéroports ? Je constate enfin que le nombre de sanctions, qui était en baisse ces dernières années, semble repartir à la hausse cette année : quelle en est la raison ?
Quel regard portez-vous d'ores et déjà sur la pollution de l'air autour des aéroports ? S'agissant des nuisances sonores, la tendance est-elle à l'amélioration malgré l'augmentation du trafic ? Je rappelle que Nice-Côte d'Azur est la deuxième plateforme aéroportuaire après Paris : quelle est la position de l'ACNUSA sur la polémique relative aux politiques d'approche, s'agissant d'une zone dense en habitat ? Enfin, quelle est votre avis sur l'évolution de l'aéroport de Cannes-Mandelieu ?
Quel bilan l'ACNUSA tire-t-elle de la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion, qui a modifié les règles d'urbanisation autour de l'aéroport d'Orly ?
Je rappelle que l'urbanisation autour des aéroports est réglementée par les plans d'exposition au bruit, dont les zones A et B sont globalement inconstructibles, un accroissement faible de l'urbanisation étant autorisé en zone C. Ces zones sont calculées d'après des perspectives d'évolution du trafic à 25 ans.
Les plateformes de Paris-Orly et de Toulouse-Blagnac sont particulières car elles ont été construites dans des zones déjà bien urbanisées. À Paris-Charles-de-Gaulle, peut-être a-t-on laissé construire trop de logements, d'où notre demande d'un renforcement du contrôle de légalité sur les opérations d'urbanisme en zone C des PEB, afin d'appliquer de manière plus satisfaisante l'article L. 147-5 du code de l'urbanisme. Il est toutefois difficile d'apprécier le critère de faible accroissement de la population et les élus ont besoin de trouver des terrains pour construire. Dans le cas d'Orly, certaines communes ont même vu leur population diminuer en raison de la difficulté à rénover les immeubles.
L'ACNUSA n'est pas favorable à une urbanisation non contrôlée et demande la conduite d'une mission d'étude sur la question. Si les riverains sont souvent résignés, les personnes survolées à plus grande distance ont vu leur situation se dégrader en raison de l'accroissement du trafic aérien. Or leur logement est souvent situé hors du PGS et ne donne donc pas droit aux aides à l'insonorisation, qui n'améliorent d'ailleurs la situation qu'à l'intérieur des bâtiments.
À Toulouse-Blagnac, l'ACNUSA a considéré que l'arrêté relatif aux vols de nuit manquait d'ambition.
Je fais observer que les compagnies aériennes ont rencontré ces dernières années des difficultés qui les conduisent à ralentir leur programme de remplacement des avions par des appareils plus récents et moins bruyants. Certains arrêtés de restriction ont d'ailleurs une date d'application différée de plusieurs années afin de donner aux compagnies le temps de s'adapter. Il faut également prendre garde aux effets pervers de certaines mesures : la réduction des vols entre minuit et 5 heures entraîne un report des vols entre 22 heures et minuit d'une part, entre 5 heures et 6 heures d'autre part. C'est pourquoi nous proposons que la période concernée par les restrictions ait une durée de huit heures.
L'ACNUSA rencontre régulièrement les commissions de concertation et entre en contact avec les élus à cette occasion. Nous avons également organisé des rencontres avec les élus l'an dernier afin de leur exposer les projets de relèvement de trajectoire autour d'Orly et de Roissy. Je précise d'ailleurs qu'il n'y a pas de projet de construction d'une nouvelle piste à Roissy, mais que le trafic risque d'augmenter avec la reprise économique. À Orly, le dernier PEB date de 1975. Or on a constaté que les règles de plafonnement risquaient de rétrécir le nouveau PEB.
S'agissant des sanctions, il faut faire observer que la transition vers la nouvelle procédure de sanctions a réduit le nombre de sanctions prononcées en 2010. En 2011, l'instauration de relevés de manquement sur les plateformes de province commence à produire des effets. Je constate que les sanctions ont eu un effet pédagogique sur les compagnies.
S'agissant du contrôle de la pollution de l'air, nous commençons à prendre la mesure de cette nouvelle compétence et nous savons qu'il faudra établir des compromis. En-dessous de 2 000 mètres, c'est la réduction du bruit qui sera prioritaire, ce qui pourra conduire à l'allongement de certaines trajectoires bien que cela augmente la consommation de kérosène.
À Nice-Côte d'Azur, les règles d'approche sont particulièrement complexes et les manquements fréquents. Quant à l'aéroport de Cannes-Mandelieu, nous avons signé un protocole d'accord et nous surveillons l'application de la charte de développement durable. Nous avons demandé la mise en place d'un indicateur sonore afin de disposer de mesures comparables d'une année à l'autre.
Je vous remercie, Madame le président, pour cette présentation très claire de votre rapport.
Enfin, la commission procède à l'examen du rapport sur la proposition de loi n° 541 (2010-2011) visant à instaurer un nouveau pacte territorial.
Je donne d'abord la parole à M. Jean-Jacques Lozach, invité à participer aux travaux de notre commission en tant que premier signataire de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.
Cette proposition de loi propose un nouveau pacte territorial entre l'État et les espaces ruraux. Il s'agit d'interpeller l'État sur certaines de ses missions, je dirais presque ses devoirs, en termes d'unité nationale, d'aménagement du territoire ou d'équité dans les conditions d'accès aux services publics. Le constat de départ est largement partagé et a fait l'objet de débats récents à l'Assemblée nationale, portés par des parlementaires de toutes les sensibilités politiques. Certains ont mis en avant la notion de bouclier rural, que l'association des petites villes de France avait développée dès 2007. Nous avons repris cette notion en l'intégrant dans une vision plus globale, plus cohérente et plus transversale de la ruralité. Il y a en effet un malaise des espaces ruraux, qui ressentent l'impact de la Réforme générale des politiques publiques (RGPP), de la désindustrialisation, de la crise de l'élevage et, plus récemment, de la sécheresse. La réforme territoriale suscite par ailleurs la crainte qu'on se retrouve dans un face à face entre l'État et les espaces métropolitains, d'où les territoires seraient exclus. Une question orale avec débat, portée par Didier Guillaume, a permis au groupe socialiste de lancer le débat dès le mois de janvier de cette année. Cette proposition de loi s'est aussi appuyée sur plusieurs rapports, notamment parlementaires : le rapport de Michèle André sur l'impact de la RGPP dans les préfectures, le rapport d'Yves Daudigny sur l'ingénierie territoriale, le rapport de Jacqueline Gourault et Didier Guillaume sur les relations entre l'État et les collectivités locales ou encore le rapport du Médiateur de la République. Notre objectif est de remettre la problématique de la ruralité au centre du débat public et d'en souligner les atouts. La ruralité est une chance pour notre pays, mais sous réserve qu'un certain nombre de conditions soient remplies.
Ce sont ces conditions que notre texte expose. Il aborde la gouvernance territoriale des politiques publiques, en soulignant la nécessité de mettre en place un dialogue régulier au niveau national entre l'État et les collectivités. L'actuelle conférence nationale des exécutifs ne fonctionne pas de manière satisfaisante et se réunit, un peu au gré de Matignon. Nous voulons donc lui donner un fondement juridique solide. Nous souhaitons aussi une évaluation réelle de l'impact territorial des politiques nationales sectorielles, la pérennisation des contrats de projets État-région, la mise en place d'un contrat rural de cohésion territoriale, l'ouverture d'une grande conférence territoriale pour réfléchir à une nouvelle étape de la décentralisation, la révision des indicateurs utilisés pour l'implantation des services publics, un moratoire de la RGPP, la révision de l'organisation du système de soins avec la mise en place de mesures plus contraignantes pour l'installation des professionnels de santé libéraux en fonction d'un zonage, l'instauration d'un nouveau pacte éducatif, la définition d'un temps d'accès maximum pour accéder à un certain nombre de services publics de base, une extension des missions du centre national pour le développement du sport, l'instauration d'un pacte national de protection et de tranquillité, une politique de maîtrise foncière pour distinguer ce qui relève de l'équipement agricole, urbain ou commercial et une meilleure coordination des divers schémas nationaux de transports qui visent au désenclavement. Nous souhaitons également un service universel de téléphonie mobile et du haut-débit, un retour de l'épargne vers les territoires où elle est collectée, un accès plus aisé des PME à la commande publique, l'utilisation du Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce pour la mise aux normes de l'hôtellerie rurale, la création de caisses de mutualisation publique pour l'indemnisation du chômage des artisans, commerçants, professions libérales et mêmes des agriculteurs, la sécurisation du fonctionnement de l'Office national des forêts et un retour au dispositif des contrats territoriaux d'exploitation. Enfin, le dernier article met l'accent sur la notion de péréquation verticale et horizontale entre les collectivités territoriales.
Avant de donner la parole au rapporteur, je voudrais rappeler que les territoires ruraux n'ont pas toujours été abandonnés. J'ai été rapporteur de la loi sur le développement des territoires ruraux de 2005. C'était la première fois qu'un gouvernement s'intéressait à la problématique de la ruralité. La loi DTR, sans être parfaite, apportait déjà des réponses. On peut en zone de revitalisation rurale, avec l'avis de l'agence régionale de santé, financer des maisons de santé. S'agissant des médecins, je rappelle qu'au début des années 2000, il y avait un numerus clausus réduit à 2 000 médecins formés par an et que nous l'avons relevé à 7 000 depuis trois ou quatre ans. Pour les politiques foncières, vous n'avez pas dû suivre l'évolution de la politique des schémas de cohérence territoriale, pas plus que ce qu'a déclaré le ministre de l'agriculture. Tout le monde a pour objectif une meilleure utilisation des ressources foncières, notamment par la lutte contre la consommation d'espaces naturels ou agricoles. Concernant les infrastructures, je voudrais aussi rappeler que la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire a récemment débattu du schéma national des infrastructures de transport. Je voudrais enfin attirer votre attention sur les contraintes et sur l'impact financier des anciens contrats territoriaux d'exploitation : il aurait fallu multiplier le budget de l'agriculture par trois ou quatre pour y faire face. Je passe maintenant la parole au rapporteur.
Ce texte de M. Jean-Jacques Lozach, membre de la commission de la culture, et de deux de nos collègues de la commission de l'économie, Mme Renée Nicoux et M. Didier Guillaume, est cosigné par l'ensemble des membres du groupe socialiste et apparentés. Ambitieux dans son objet, il vise à instaurer un nouveau pacte territorial.
Cette proposition de loi se situe à la croisée de la question institutionnelle des relations entre l'État et les collectivités territoriales et de la problématique de l'aménagement du territoire. On y retrouve certaines dispositions de la proposition de loi « pour l'instauration d'un bouclier rural au service des territoires d'avenir », présentée par le groupe socialiste de l'Assemblée nationale, qui a été discutée et rejetée le 29 mars dernier. Mais elle est plus diverse par les sujets abordés. Je relève, d'ailleurs, que son examen aurait pu justifier la constitution d'une commission spéciale.
Afin de bien saisir l'intention des auteurs de ce texte, je crois qu'il convient de lire attentivement son exposé des motifs. Celui-ci débute par une dénonciation, en termes virulents, des effets territoriaux de la révision générale des politiques publiques engagée depuis cinq ans. Le constat de départ des auteurs est celui d'une défaillance radicale de la politique nationale d'aménagement du territoire. Pour expliquer cette situation, les auteurs de la proposition de loi mettent en avant tout particulièrement la révision générale des politiques publiques, politique qualifiée de court termiste, marquée par la volonté de réduire le champ du périmètre d'intervention publique en livrant des biens publics comme l'éducation et la santé aux appétits marchands. Plus généralement, les auteurs de la proposition de loi n'admettent pas la pertinence des outils récents de la politique d'aménagement du territoire. La logique de pôles, de compétitivité ou d'excellence rurale, ne ferait que renforcer, selon eux, les forces d'attraction des zones déjà attractives. Quant à la pratique des appels à projet, elle ne favoriserait pas une politique d'aménagement équilibré des territoires mais les mettrait en concurrence. Enfin, les auteurs de la proposition de loi s'inquiètent de ce qu'ils considèrent comme une crise des relations entre l'État et les collectivités territoriales. Ils dénoncent une crise du dialogue entre l'État et les collectivités territoriales et un désengagement de l'État.
La majorité de notre commission ne peut pas admettre cette critique sans concession de la politique du Gouvernement en matière d'aménagement du territoire. Je rappellerai les rapports d'information produits par M. Rémy Pointereau dans le cadre du groupe de travail sur les pôles d'excellence rurale, par MM. Michel Houel et Marc Daunis dans le cadre du groupe de travail sur les pôles de compétitivité. Je veux citer également les rapports d'information de M. Bruno Sido sur la couverture du territoire en téléphonie mobile, et de M. Louis Nègre dans le cadre du groupe de suivi du schéma national des infrastructures de transports. Je n'oublie pas non plus nos travaux législatifs récents, avec le rapport de M. Bruno Retailleau sur la proposition de loi relative à la lutte contre la fracture numérique, ni le rapport que je vous ai présenté sur le projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux services postaux.
L'ensemble des travaux de notre commission, tout en proposant des améliorations, donne acte au Gouvernement de ses efforts pour maintenir la cohésion du territoire dans un contexte économique et budgétaire difficile. Nous nous inscrivons ainsi dans une démarche de critique constructive, et non pas de dénonciation virulente.
Cette mise au point faite, j'en viens à mes observations sur le contenu même de la proposition de loi. Ma première observation est que la valeur normative des différentes dispositions de ce texte est très inégale. Beaucoup d'entre elles, et non des moindres, n'ont pas d'effet juridique direct, mais devraient plutôt relever d'une loi de programmation assignant à l'État des objectifs pour l'avenir. Ma deuxième observation est relative au coût financier de cette proposition de loi, qui est vraisemblablement élevé mais n'est aucunement évalué. J'estime qu'au moins neuf articles ont un coût certain et tombent sous le coup de l'article 40 de la Constitution, qui exclut formellement que l'on puisse gager financièrement la création ou l'aggravation d'une charge publique. Enfin, ma dernière observation sera relative au caractère précipité du rythme imposé pour l'examen de cette proposition de loi. Elle respecte de justesse le délai minimum de six semaines prévu par le règlement du Sénat, alors que la diversité et l'ambition des sujets abordés auraient largement justifié davantage de temps pour leur analyse. Mais cette précipitation de la part de ses auteurs est surtout regrettable parce que les domaines abordés par cette proposition de loi recoupent les champs d'investigation de trois missions communes d'information du Sénat qui n'ont pas encore fini leurs travaux ou les achèvent tout juste : celle sur l'organisation territoriale du système scolaire et sur l'évaluation des expérimentations en matière scolaire, celle sur les conséquences de la RGPP pour les collectivités territoriales et les services publics locaux et celle relative à Pôle emploi. Ainsi, cette proposition de loi préjuge largement des conclusions de ces trois missions communes d'information et j'estime indispensable que notre commission puisse se prononcer en bénéficiant de l'éclairage apporté par les analyses solidement étayées qui résulteront de leurs travaux.
Aussi je vous propose, à ce stade, d'adopter une motion tendant au renvoi de ce texte en commission.
Les dispositions de la proposition de loi me paraissent plus relever d'un programme présidentiel que d'une éventuelle loi de programmation...
Vous avez reproché à cette proposition de loi, Monsieur le Président, de faire fi des initiatives prises au cours des dernières années, à l'exemple de la loi DTR de 2005. Le rapporteur a quant à lui évoqué les dispositifs mis en place en faveur des territoires ruraux, comme les pôles d'excellence rurale.
L'efficacité de ces différents dispositifs n'a cependant pas paru évidente au Gouvernement lui-même. En 2006, le Gouvernement dirigé par Dominique de Villepin a ainsi élaboré une charte sur l'organisation de l'offre des services publics en milieu rural, signée notamment avec l'Association des maires de France (AMF), la Poste, la SNCF ou encore l'ANPE. Lors d'une séance de questions cribles thématiques, M. Michel Mercier, alors ministre en charge de l'aménagement du territoire, avait indiqué, en réponse à une question que je lui avais posée sur l'organisation des services publics en territoire rural, que cette charte devait être appliquée. Aujourd'hui, ni la loi DTR ni cette charte ne constituent des réponses adaptées aux difficultés rencontrées par les territoires ruraux. Le groupe socialiste souhaite donc être plus ambitieux.
Enfin, je souhaite indiquer au rapporteur, qui propose d'adopter une motion de renvoi en commission, que nous sommes aujourd'hui même en commission : nous pouvons donc débattre dès maintenant du contenu de ce texte.
Cette proposition de loi aborde la question essentielle du déclin de la ruralité. Il n'est pas dans notre volonté de négliger ce qui a été fait au cours des dernières années : les différents dispositifs sont cependant restés sans effets. Les territoires ruraux rencontrent en effet des problèmes aigus : je le constate dans le département du Doubs avec la fermeture de bureaux de poste, de classes ou encore des regroupements pédagogiques non demandés.
La proposition de loi constitue donc une réponse utile. Je pense que nous pouvons dresser, par delà nos divergences politiques, un constat commun. Un « nouveau pacte territorial » est indispensable, sous peine de voir se produire un nouvel exode rural. L'équilibre auquel est parvenu la Franche-Comté, avec 48 % de population rurale et 52 % de population urbaine, est menacé. A l'avenir, le fait d'habiter à la campagne ou en ville ne sera plus un choix.
Je m'étonne des attaques virulentes du Président et du rapporteur contre cette proposition de loi.
Ce texte part d'un constat qui peut être fait par des élus de gauche comme de droite : l'absence voire la disparition des services publics en certains endroits du territoire. Nous estimons que les territoires ruraux constituent une chance pour notre pays : la volonté de nombre de nos concitoyens urbains de venir s'installer en milieu rural en est une illustration. Qu'en sera-t-il lorsqu'il n'y aura plus de services publics sur ces territoires ?
Aujourd'hui, les élus ne sont pas consultés sur la fermeture des services publics, comme dans le cas des tribunaux ou des classes. La Charte de 2006 vise certes à permettre le maintien des services publics, mais en partageant les coûts entre l'État, les prestataires ainsi que les collectivités territoriales. C'est une façon de reporter une charge sur des collectivités territoriales démunies : dans les zones urbaines, l'ensemble des coûts est pris en charge par les prestataires.
C'est un des sujets devant être abordé et qui fait partie des objectifs de cette proposition de loi : faire en sorte que les territoires ruraux soient traités de la même façon que les autres territoires et assurer un égal accès aux services publics sur l'ensemble du territoire.
u. - Le diagnostic qui est à l'origine de cette proposition de loi ne semble pas partagé sur l'ensemble de nos bancs. Des initiatives ont bien entendu été prises en faveur des territoires ruraux au cours des dernières années. Cependant, je rappelle que la réforme des cartes judiciaire et hospitalière est intervenue, ainsi que de nombreuses fermetures d'écoles. La fermeture d'une école est un élément très significatif, qui enclenche un déclin démographique et peut conduire à une perte d'attractivité du territoire concerné. Quant aux généralistes, ils sont dissuadés de s'installer en zone rurale, s'ils ne disposent pas du soutien d'un plateau technique hospitalier à proximité.
Je vous invite à relire les comptes-rendus des questions orales sans débat du mardi matin : chaque semaine, des sénateurs de tous bords interpellent les ministres sur la question des services publics.
Il me paraît donc tout à fait adéquat de discuter de ce texte aujourd'hui. Le diagnostic me paraît réaliste. Il y a en effet un clivage idéologique entre la majorité et notre groupe sur cette question. La majorité est cohérente avec la politique de la révision générale des politiques publiques : il s'agit d'appliquer aux services publics locaux la logique qui a été appliquée aux services publics nationaux.
Je suis d'accord sur la nécessité d'avoir un débat sur ce sujet d'importance, mais une proposition de loi déposée ainsi à la sauvette est une insulte à la ruralité. Est-ce de la démagogie à l'approche des élections ou de l'amateurisme parlementaire ? Je me demande, en outre, si nos collègues de l'opposition ont conscience du problème de la dette publique. Les territoires ruraux représentent 85 % du territoire national et 20 % de la population : ils méritent mieux que ce texte. C'est donc avec enthousiasme que je voterai son renvoi en commission.
Je suis représentant d'un territoire dont la densité est de quatre habitants au kilomètre carré. Je connais bien la ruralité. Habiter dans un village est un choix : c'est le choix du bonheur avec des contraintes. J'ai vu évoluer la ruralité et j'ai pu la comparer à la ville. Je constate qu'il y a plus de services au public qu'avant. On peut avoir des assistantes sociales. On ferme moins d'écoles en territoire rural qu'en territoire urbain. Il y a 17 000 points de présence postale en France. La Poste propose des agences communales : les gens en sont satisfaits. Il y a des transports scolaires. C'est mieux qu'avant. On ne peut pas juger l'offre de services en territoire rural par rapport à celle des villes : ce serait déraisonnable. Concernant la carte hospitalière, on ne peut pas garder des hôpitaux qui font la même chose partout, sinon on perd en qualité des soins. L'avenir, c'est de spécialiser les sites, et de développer le télédiagnostic. Donc je suis résolument optimiste pour la ruralité. Pour citer Bernanos, « le pessimiste est un imbécile malheureux ».
Je connais bien aussi la ruralité. On ne peut pas dire qu'il n'y a pas de problèmes dans la ruralité, mais il faut les analyser avec sérénité en prenant en compte notamment ce que permettent les techniques modernes de communication. Chacun sait que certains bureaux de poste dans des petits villages ne voyaient aucun client pendant des après-midi entières. Dans les petites communes, la présence postale telle qu'elle est organisée aujourd'hui est meilleure qu'auparavant. Je voudrais aussi rappeler la « loi Chevènement » du 12 juillet 1999 qui réforme la dotation globale de fonctionnement au détriment des petites communes. Pourquoi votre proposition de loi ne revient-elle pas là-dessus ? Je crois que le grand mérite de ce texte est qu'on pourra vous le rappeler s'il y a une alternance politique l'année prochaine. Vous aurez les finances de l'État dans la même situation que la majorité actuelle : vous devrez bien tenir compte de cette réalité ! On ne peut pas conserver dans chaque bourg la totalité des administrations. Il faut plutôt privilégier une approche en termes de maison des services publics. Donc, je voterai aussi le renvoi en commission parce que les problèmes de la ruralité ne se règlent pas à travers une approche politicienne mais par une action sereine et pragmatique.
La présentation qui a été faite de la réforme hospitalière est risible. La tarification à l'activité est un mécanisme qui crée du déficit dans les petites structures, que ce soit les maternités ou les services d'urgence, car elle ne permet pas de couvrir les coûts fixes imposés par les normes. Elle condamne donc ces structures à disparaître. La disparition de toute notion de budget global au profit exclusif de la tarification à l'activité est bien un outil de restructuration.
Les débats de ce matin confirment qu'il faut se donner le temps d'approfondir la réflexion et de pouvoir exploiter les travaux considérables des missions communes d'information. C'est sans aucune hésitation que je vous soumets donc une motion de renvoi en commission.
Le vote de cette motion renverra l'examen du texte à la prochaine session parlementaire. Vous bottez en touche pour repousser le débat après les sénatoriales de septembre.
La motion tendant au renvoi en commission de la proposition de loi est adoptée.