Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale

Réunion du 8 avril 2010 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • HALDE
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  • jeannette bougrab
  • statistique

La réunion

Source

La commission a procédé à l'audition de Mme Jeannette Bougrab, candidate désignée à la présidence de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE).

Debut de section - Permalien
Jeannette Bougrab

Après avoir rendu hommage à ses parents qui l'ont élevée dans la passion de la République française et des principes de liberté, d'égalité, de laïcité et de respect du droit, Mme Jeannette Bougrab a retracé les grandes étapes de son parcours.

Expliquant qu'elle a été guidée vers les études juridiques car le droit est l'instrument qui rétablit la justice, elle a souligné son intérêt précoce pour les questions relatives à l'égalité comme en témoignent sa thèse de doctorat sur les origines de la Quatrième République, ses travaux sur l'aide juridictionnelle et l'égalité d'accès à la justice, et ceux sur la discrimination en matière d'accès à l'emploi ou de rémunération. A l'occasion de ses recherches, elle s'est forgé la conviction que les discriminations sont intolérables parce qu'elles fragilisent les principes fondateurs de la République, et que la loi est le meilleur instrument pour rétablir l'égalité sociale.

Estimant que son parcours et ses origines lui permettront d'apporter une aide efficace à la lutte contre les discriminations, Mme Jeannette Bougrab a indiqué ressentir comme un honneur la proposition de sa nomination à la présidence de la HALDE.

Elle a rappelé avoir défendu la mise en place d'une structure de lutte contre les discriminations lorsqu'elle avait été entendue par la mission de préfiguration de la HALDE, dirigée par M. Bernard Stasi. Elle a rendu hommage au travail effectué par cette autorité au cours de son premier mandat dont rendent notamment compte la bonne image dont elle jouit auprès de la population et les recours chaque année plus nombreux adressés à ses services. Elle a estimé que ce succès trouve son origine dans la plus grande facilité d'accès des citoyens à la HALDE par rapport aux tribunaux et dans la rapidité et l'efficacité de la réponse qu'elle apporte aux victimes de discriminations.

Tout en saluant le travail du Sénat sur la question des discriminations, elle a observé que la HALDE symbolise aujourd'hui, aux yeux des citoyens, la lutte contre les discriminations.

Dessinant les principes qui guideront son action à la présidence de la HALDE, Mme Jeannette Bougrab a indiqué qu'elle s'attachera à préserver l'indépendance de cette autorité à l'égard des groupes d'intérêts comme des groupes politiques.

Afin de promouvoir la lutte contre les discriminations, sans juger nécessaire d'ajouter de nouvelles dispositions législatives, elle a estimé que la question étant avant tout celle de l'application des règles en vigueur, et a proposé de nouer un dialogue constructif avec le législateur à ce sujet.

Affirmant par ailleurs que la pénalisation n'était pas nécessairement la voie la plus efficace pour apporter aux personnes victimes de discrimination une juste réparation, celle-ci pouvant intervenir au terme d'une procédure civile ou d'une médiation, elle a considéré que la HALDE devait approfondir sa collaboration avec le monde judiciaire et apporter son expertise aux tribunaux.

a rappelé que la HALDE n'était pas le législateur, qu'elle n'avait pas vocation à se substituer aux tribunaux, qu'elle était davantage un auxiliaire de justice. Elle a jugé qu'elle devait approfondir ses relations avec le monde de l'entreprise, de l'administration, les collectivités territoriales tout en évoquant les chartes négociées et les classes préparatoires intégrées déjà ouvertes.

Selon la candidate désignée, la HALDE doit s'occuper de l'ensemble des discriminations : celles concernant les femmes encore trop discriminées, l'âge, le handicap, l'origine ethnique. Elle a rappelé que la force de la haute autorité était de consolider le pacte social mais qu'elle n'avait pas vocation à devenir la caisse de résonance du communautarisme, ni un outil de revanche.

La candidate désignée s'est engagée, si elle était nommée, à rencontrer régulièrement les sénateurs pour leur rendre compte des travaux de la haute autorité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-René Lecerf

a évoqué les conclusions de très nombreux rapports selon lesquels l'absence d'outils de mesure statistique des comportements discriminatoires constitue un frein à la prise de conscience de leur ampleur et à la lutte contre les atteintes au principe d'égalité et s'est interrogé sur les moyens de combattre un phénomène non mesuré. Il a demandé à Mme Jeannette Bougrab si, devant l'invisibilité statistique des minorités visibles, il ne convenait pas de permettre aux autorités publiques comme aux personnes morales de droit privé d'utiliser un cadre de référence établi par la HALDE en collaboration avec l'INSEE et l'INED, pour mesurer en leur sein la diversité ethnique. Il a dit n'être pas convaincu en la matière par la jurisprudence du Conseil constitutionnel non plus que par les réponses faisant référence de manière incantatoire à la déclaration des droits de l'homme ou à une éventuelle mixité qui règlerait les problèmes.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

a souhaité connaître le sentiment de Mme Jeannette Bougrab sur les conclusions d'une délibération de la HALDE en date du 22 février 2010, concernant un arrêté municipal interdisant le stationnement des caravanes sur le territoire de la commune, assorti d'une dérogation pour la période s'étendant entre le 15 juin et le 15 septembre. Pour la HALDE, l'arrêté, s'il était apparemment neutre car d'application générale, avait un effet préjudiciable à l'égard des gens du voyage et constituait donc une discrimination indirecte.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

a interrogé la candidate désignée sur le périmètre de compétence du futur défenseur des droits, sur l'importance du maintien de l'indépendance et de la spécificité de la HALDE ainsi que du défenseur des enfants et de la commission nationale de déontologie de la sécurité : ces instances doivent-elles être intégrées dans l'institution du défenseur des droits ou leur spécificité justifie-t-elle la préservation de leur identité propre ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

après avoir déclaré prendre acte avec intérêt des qualités personnelles et professionnelles de la candidate désignée à la présidence de la HALDE, a souhaité connaître son avis sur le profil récemment défini par le président du groupe UMP du Sénat pour y accéder.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

a tout d'abord interrogé Mme Jeannette Bougrab sur les critiques concernant les pouvoirs excessifs que se serait octroyé la haute autorité ainsi que sur celles concernant l'insuffisance de ses moyens et la nécessité de lui en accorder davantage, et son opinion sur l'évolution des moyens et du périmètre de la HALDE. Il a souhaité ensuite connaître son sentiment sur le débat organisé sur l'identité nationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrice Gélard

rapporteur du projet de loi organique concernant le défenseur des droits, a rappelé le rapport parlementaire sur les autorités administratives indépendantes, qui avait conclu à la nécessité de les rationaliser et d'en réduire le nombre. Il a considéré que leur multiplication aboutissait à un démembrement de l'action de l'Etat. Il a rappelé que les parlementaires avaient obtenu que les responsables de ces autorités viennent leur rendre compte de leur activité, ce qui n'était pas auparavant le cas. Il a souhaité connaître la réaction de la candidate désignée à l'éventuelle suppression à terme de la HALDE et son intégration dans l'institution du défenseur des droits qui, constitutionnellement, a une vocation générale. Il a regretté, enfin, la participation de la HALDE à une émission dominicale sur la radio Europe 1 au cours de laquelle, semblant déborder de son cadre actuel, la haute autorité se transformait selon lui en quasi juridiction.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

a souhaité connaître la position de Mme Jeannette Bougrab sur la subordination de la HALDE au défenseur des droits.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

évoquant les observations sur une trop grande judiciarisation de la société, a considéré qu'elles trouvaient leurs limites en matière de discrimination, un domaine relevant largement du droit pénal et appelant de ce fait l'intervention du juge en s'appuyant sur l'exemple des salaires. Il s'est déclaré surpris du faible nombre de transmissions de dossiers au parquet par la HALDE. Il a rappelé que le Sénat s'était opposé à l'attribution de pouvoirs juridictionnels à celle-ci et que se posait la question d'un équilibre entre la transmission au parquet et le traitement direct des réclamations. Pour lui, les discriminations les plus importantes doivent être transmises au parquet car elles constituent des délits. Par ailleurs, il a interrogé Mme Jeannette Bougrab sur l'activité de la HALDE, notant que d'après les statistiques sur cinq ans de celle-ci, les requêtes qui en relèvent effectivement diminuent de moitié après leur instruction ; il s'est s'interrogé sur la frontière entre discrimination et égalité. Il a remarqué que la HALDE avait permis de mettre en lumière des discriminations qui n'étaient pas connues comme celles concernant les femmes enceintes, et avait permis le dépôt de plaintes. Il s'est enfin interrogé, à titre anecdotique, sur l'utilité des études demandées à des sociologues, qui pouvaient parvenir à des conclusions excessives, comme celle déconseillant l'étude, en classe, du poème de Ronsard « Mignonne, allons voir si la rose » qui serait discriminatoire envers les seniors.

Debut de section - Permalien
Jeannette Bougrab

a estimé que l'existence d'autorités administratives indépendantes (AAI) était légitime dans certains domaines spécifiques où l'organisation administrative traditionnelle était peu efficace, notamment dans le champ des libertés publiques ou dans des matières très techniques. Elle a fait valoir que les AAI n'étaient pas des démembrements de l'Etat mais des émanations de celui-ci, dont le cadre juridique et le budget restaient fixés et contrôlés par le Parlement, l'indépendance ayant ainsi pour contrepartie la responsabilité.

Concernant la création éventuelle du défenseur des droits et ses conséquences pour l'avenir de la HALDE, elle a indiqué qu'il reviendrait en tout état de cause au législateur de se prononcer. Toutefois, à titre personnel, elle a estimé que la lutte contre les discriminations constituait une mission bien spécifique et que l'existence d'une autorité chargée en propre de cette mission avait permis de mettre fin à un sentiment d'impunité dans certains domaines, citant en exemple des pratiques de licenciement de femmes enceintes qui n'avaient auparavant donné lieu à aucune jurisprudence qui fût favorable à ces dernières.

Après avoir rappelé qu'elle avait préconisé, par le passé, de confier à la HALDE un pouvoir de sanction administrative, afin que la saisine de cette autorité ne constituât pas simplement une étape supplémentaire dans une procédure juridictionnelle, elle a toutefois indiqué qu'elle ne souhaitait pas que la HALDE acquière de nouveaux pouvoirs, tels que celui de déclencher des visites de contrôle inopinées ou encore d'invoquer le délit d'entrave. Elle a ainsi souligné que la HALDE pouvait déjà saisir le juge des référés pour obtenir des documents et qu'elle avait obtenu gain de cause dans les trois cas où elle avait usé de cette faculté au cours des cinq dernières années.

a par ailleurs estimé qu'il n'était pas souhaitable que la HALDE recoure encore davantage aux procédures pénales. En effet, il est nécessaire pour le plaignant, en matière pénale, de produire la preuve de la discrimination, ce qui est souvent très difficile, tandis qu'en matière civile la charge de la preuve est inversée, l'employeur ayant à prouver l'absence de discrimination. En outre, l'action civile permet de réparer l'injustice résultant de la discrimination, réparation préférable, car plus utile au plaignant, à la condamnation pénale du responsable de cette discrimination.

Il est ainsi nécessaire, selon elle, que l'action de la HALDE puisse mieux s'articuler avec l'ensemble des procédures juridictionnelles, notamment par le développement du rôle d'expertise de cette AAI auprès des tribunaux civils et administratifs.

En matière de statistiques sur les discriminations, elle a souligné que la HALDE avait utilement participé à des études visant à mesurer les phénomènes discriminatoires, en collaboration avec des organismes tels que l'Institut national des études démographiques (INED), l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) ou le Centre d'études et de recherche sur les qualifications (CEREQ). Elle a salué l'intérêt de l'étude l'enquête Trajectoires et origines (TeO) menée par l'INSEE et l'INED et récemment publiée.

Elle a toutefois estimé qu'il n'était pas tant nécessaire de compter les discriminations que de les combattre, d'autant que les études statistiques en la matière sont très coûteuses. Elle a également marqué son désaccord avec la manière dont avait été menée une grande enquête de « testing » auprès d'entreprises du CAC 40.

En revanche, selon elle, le rôle de la HALDE peut consister à mener des études de cas particuliers permettant de mettre en évidence des mécanismes de discriminations systémiques et d'en démonter le fonctionnement. La HALDE peut également s'attacher à mettre en valeur des expériences positives, telles que les programmes mis en place par certaines grandes entreprises pour lutter contre les discriminations.

Elle a également observé que les personnes les plus affectées par les discriminations ne s'adressaient pas suffisamment à la HALDE, et que celle-ci devrait donc s'efforcer d'entrer en contact avec ces personnes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-René Lecerf

a fait valoir que limiter les études à des cas particuliers risquait de conduire à ignorer l'ampleur des processus de discrimination. Il a cité en exemple le cas de grandes entreprises et d'offices HLM qui n'embauchent presque jamais de personnes appartenant aux « minorités visibles » sans même que ce choix soit nécessairement conscient. L'existence et la publication de statistiques globales seraient susceptibles d'inciter ces acteurs à modifier leurs pratiques. Par ailleurs, il a interrogé Mme Jeannette Bougrab sur l'éventualité d'une installation de la HALDE en banlieue parisienne, ce qui permettrait de diminuer sensiblement le loyer payé par l'institution.

Debut de section - Permalien
Jeannette Bougrab

a souligné que le ministre du budget avait tenté de faire réviser le bail, signé en 2004 bien avant l'installation de l'AAI, et elle a fait valoir que sa rupture pure et simple donnerait lieu au paiement de pénalités. Elle s'est engagée à chercher une solution à ce problème tout en soulignant la nécessité que la HALDE reste un lieu accessible à tous, notamment aux personnes handicapées. Elle a fait valoir à cet égard qu'il était très difficile pour celles-ci d'utiliser le métro parisien, insuffisamment équipé pour les accueillir.

En réponse à une question de M. Jean-René Lecerf, elle a également évoqué la persistance des discriminations liées à la couleur de la peau et à l'origine géographique des personnes.

Elle a ajouté qu'il existait également des actions à mener contre les discriminations dans les départements et collectivités d'outre-mer, ainsi que dans les territoires ruraux.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

En réponse à la question de M. Pierre-Yves Collombat concernant les gens du voyage, Mme Jeannette Bougrab a rappelé qu'un arrêté municipal interdisant le stationnement des caravanes relevait du contrôle des mesures de police administrative du maire et de leur adaptation aux circonstances.

Interrogée à nouveau par M. Pierre-Yves Collombat sur la position adoptée par la HALDE sur cet arrêté municipal, Mme Jeannette Bougrab a indiqué ne pas souhaiter commenter un avis de la HALDE, ajoutant qu'elle était au demeurant tenue à une obligation de réserve en raison de son appartenance à une juridiction administrative.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

a jugé souhaitable que certaines institutions ne s'estimassent pas supérieures aux juridictions, voire au législateur et au Conseil constitutionnel, regrettant ainsi certaines positions prises par la HALDE.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

S'étonnant de l'attachement à son obligation de réserve de magistrat administratif affiché par Mme Jeannette Bougrab, M. Bernard Frimat a souligné que la fonction de président de la HALDE devait comporter un rôle d'alerte conduisant à sortir de l'obligation de réserve.

Après avoir rappelé que la HALDE était obligatoirement consultée par le Gouvernement sur les projets de textes susceptibles de concerner la lutte contre les discriminations, Mme Jeannette Bougrab a affirmé que le rôle d'alerte de la HALDE devait s'exercer dans le cadre de la préparation de la loi, mais que la loi votée par le Parlement devait être appliquée. La loi votée par le Parlement ne saurait, selon elle, être liberticide. En outre, elle a considéré qu'il n'appartenait pas à la HALDE de porter des appréciations sur les décisions du Conseil constitutionnel. En revanche, elle a convenu qu'il appartenait à la HALDE de signaler les difficultés pratiques pouvant survenir dans l'application de la loi générant des situations discriminatoires. Pour autant, elle a confirmé qu'elle ne souhaitait pas que la HALDE excédât son rôle, mais au contraire qu'elle respectât les prérogatives du Parlement et des juridictions.