Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission auditionne M. Jean de Gliniasty, ambassadeur de France en Russie sur le rôle de la Russie sur la scène internationale, puis elle a entendu une communication de M. Patrice Gélard, président du groupe d'amitié France-Russie du Sénat, sur le déplacement d'une délégation en Russie du 27 septembre au 3 octobre 2010.
Nous sommes très heureux d'accueillir aujourd'hui deux éminents connaisseurs de la Russie, M. Jean de Gliniasty, ambassadeur de France en Russie, et notre collègue Patrice Gélard, président du groupe d'amitié France Russie du Sénat, afin qu'ils nous exposent la situation de la Russie, tant au plan intérieur que sur la scène internationale. M. Jean de Gliniasty a été directeur des Nations unies, puis directeur d'Afrique et de l'océan Indien au ministère des affaires étrangères, ambassadeur de France au Sénégal et au Brésil. Il est en poste à Moscou depuis 2009. Nous souhaiterions qu'il nous présente les évolutions récentes du rôle de la Russie sur la scène internationale. Puis, nous entendrons une communication de notre collègue Patrice Gélard, président du groupe d'amitié France Russie du Sénat, qui a effectué un déplacement en Russie du 27 septembre au 3 octobre dernier, et qui nous parlera notamment des relations bilatérales franco-russes, dans le cadre de l'année croisée 2010.
Ce qui se passe en Russie en ce moment est très important. Il y a une volonté politique au plus haut niveau, partagée par l'ensemble de la population, de se tourner vers l'occident. Ce n'est pas la première fois que l'on assiste à un tel phénomène mais la quatrième.
La première s'était produite à l'époque de Gorbatchev. Celui-ci avait réussi à nouer avec les dirigeants allemands, français, américains, une relation intéressante. Le monde était prêt à accueillir sur la scène internationale une Union soviétique modernisée, en voie de libéralisation. L'effondrement de l'URSS a mis à bas ce schéma.
Boris Eltsine était un partisan énergique de la libéralisation. Le système « loans for shares » a permis aux Russes, grâce à des emprunts à faible intérêt, de racheter les entreprises publiques. Cela a certes donné lieu à des excès, népotisme, escroquerie pure et simple, sous-estimation de la valeur des biens de production. On a vu des emprunts remboursés en deux mois grâce au cash-flow courant ; des fortunes colossales constituées en quelques années par une classe d'oligarques.
Cependant la Russie s'est effondrée -la fin de la période Eltsine a été catastrophique- et elle a régressé sur la scène internationale. Elle a assisté ulcérée au règlement, dirigé par d'autres, de la crise yougoslave, aux bombardements de l'Irak sans l'autorisation du Conseil de sécurité donc sans son aval. Des traces de la période antérieure subsistaient : le dialogue était maintenu avec l'Otan, mais la fin de l'ère Eltsine fut une période de tensions.
Troisième tentative, celle de Vladimir Poutine, qui s'est tourné vers les Etats-Unis, en particulier après les attentats du 11 septembre 2001, ouvrant aux Américains des bases militaires en Asie centrale, cherchant à créer des liens de solidarité avec George Bush, accueillant favorablement les investissements de groupes américains tels que General Motors. Mais il a suffi de trois ou quatre événements pour mettre un terme à ces progrès. D'abord, l'attaque de l'Irak sans l'autorisation du Conseil de sécurité de l'Onu ; ensuite, les projets d'élargissement de l'Otan à l'Ukraine et à la Géorgie et, enfin, la volonté d'implanter des éléments du système américain de défense anti-missiles en Pologne et en République tchèque. Il en est résulté une atmosphère de guerre froide à Moscou, des critiques incessantes contre les pays occidentaux et surtout contre les Etats-Unis.
Une quatrième ouverture est à l'oeuvre aujourd'hui. Elle a, semble-t-il, démarré à Davos, avec le discours de Vladimir Poutine : « voyez comme nous sommes forts » disait-il en substance, mais aussi, en filigrane, « voyez comme nous pouvons coopérer avec vous ». La crise géorgienne a aussi donné lieu à une prise de conscience, chacun comprenant que l'on avait frôlé un désastre continental.
Si l'ouverture a été possible, c'est en raison de plusieurs facteurs concomitants. D'abord, le renforcement du pouvoir en Russie. A l'époque de Boris Eltsine, la politique étrangère était en partie laissée à un homme d'affaires, M. Berezovsky, qui vit aujourd'hui en Angleterre... Le redressement économique -huit années de croissance à 7 ou 8 %- a aussi joué un rôle. Le très large parti centriste « Russie unie » a été créé, l'opposition démocratique étant réduite à presque rien. La base sociale qui avait soutenu la perestroïka puis Boris Eltsine était formée d'anciens komsomols entrés au parti, chercheurs, professeurs, fonctionnaires éclairés. Or cette classe a été balayée par la très dure crise de 1998, épisode fondateur du régime actuel. La classe qui avait été le vecteur de la libéralisation et de la démocratisation était laminée ; la Russie entière vivait l'humiliation de sa faillite économique. Le désespoir et la misère régnaient.
Le parti Russie unie -auquel il est indispensable d'adhérer si l'on souhaite faire carrière, dans quelque domaine que ce soit- est pour le gouvernement un puissant support politique. Les gouverneurs ne sont plus élus : les candidats indépendants, voire indépendantistes, devenaient trop dangereux -dans l'Oural, le gouverneur local entendait créer une République indépendante, dotée d'une monnaie propre, le franc ouralien... Le Président Dimitri Medvedev a réussi à l'écarter. Aujourd'hui le parti centriste domine la Douma comme les assemblées locales.
Le pays a recommencé à créer une classe moyenne et la consolidation du pouvoir rend possibles des relations plus sereines avec l'étranger. Les Etats-Unis aussi ont modifié leur politique. Après la crise géorgienne, qui a montré que la Russie s'était militairement ressaisie, le Président américain Barack Obama a développé une vision plus claire et plus simple de la politique étrangère américaine : les intérêts américains se situent plutôt du côté de la Chine ou de l'Inde qu'en Europe ; et la Russie peut être un allié potentiel. A l'occasion de cette remise à plat, dite « reset », la Russie a été à nouveau considérée comme une grande puissance. Et pourtant, la campagne de presse anti-américaine n'a cessé qu'après la signature du nouvel accord START sur la réduction des armes stratégiques.
En Ukraine, l'alternance politique a rassuré la Russie : or il s'agissait du dossier le plus délicat. La révolution orange avait suscité un grave contentieux avec l'Europe, mais l'arrivée au pouvoir d'un candidat plus favorable à la Russie, la résolution du problème de Sébastopol par la signature d'un bail de trente ans pour le stationnement de la flotte russe et les discussions pour mettre fin au conflit gazier ont changé beaucoup de choses. En outre, les Américains ont accepté de mettre sous cloche la question géorgienne... Un dialogue sur l'Asie centrale a été également possible ; la crise kirghize a été cogérée par la Russie et les Etats-Unis, sans les Chinois, qui ont pourtant là-bas des intérêts importants. Si ce dialogue se poursuit, notre principal partenaire et concurrent en Russie, qui, aujourd'hui, est l'Allemagne, sera demain les Etats-Unis. L'élargissement de l'Otan à l'Ukraine et la Géorgie est mis en sommeil, en dépit des déclarations sur la politique de « porte ouverte » ; le projet d'installation d'éléments du système américain de défense anti-missiles en République tchèque et en Pologne a été abandonné.
Autre moteur de rapprochement, la modernisation. Les autorités russes ont pris conscience du retard pris dans certains secteurs. Sur ce plan, la Russie a besoin de l'Europe. Le Président Dimitri Medvedev l'a dit au Premier ministre François Fillon comme au Président de la République Nicolas Sarkozy : « il faut moderniser, mais il est difficile de le faire avec les Etats-Unis » -c'était avant le nouveau traité START...- « les Chinois sont surtout occupés à détourner les technologies et la coopération avec le Japon est compliquée. L'Union européenne est un partenaire naturel ! » Le propos, à mon sens, était sincère, mais les Russes auraient voulu traiter non avec chaque pays mais globalement avec l'Union européenne, or cela n'a pas été possible en raison de divers blocages.
Au salon Maks -l'équivalent de notre salon du Bourget- en août 2009, j'ai vu Vladimir Poutine vanter la production russe de matériel militaire aux journalistes occidentaux, afin qu'ils relaient son offre de coopération internationale...
L'ouverture est-elle durable ? Du temps de la NEP et du traité de Rapallo, les Allemands sont allés en URSS, ont modernisé l'appareil industriel, puis l'Union soviétique est revenue à la logique communiste. Mais, cette fois, le rapprochement est durable et même irréversible. D'abord, l'économie russe est beaucoup plus ouverte que l'on ne le dit : 13 % du capital fixe appartient à des étrangers ; dans certains secteurs, faute de production locale, les importations atteignent 50 % -pour les voitures- voire 80 %, pour les médicaments. Et permettez-moi une anecdote pour illustrer la réactivité des autorités. Lorsque sont apparus les problèmes sur la viande bovine, la ministre russe de l'agriculture m'a contacté et m'a dit : 800 entreprises françaises agricoles ou agro-alimentaires exportent en Russie, 759 ont une certification de vos services vétérinaires, cela nous suffit, nous vous faisons confiance, mais il faut examiner la situation des autres. Dans la plupart des cas, les choses se sont réglées rapidement, la certification de 17 entreprises seulement a été bloquée. L'économie est ouverte, les droits de douane sont plus faibles que ceux du Brésil, à peine plus élevés que ceux de la Chine, la circulation des capitaux est totalement libre. Des entreprises pétrolières étrangères peuvent même devenir opérateurs sur les gisements, ce qui n'est pas le cas dans la plupart des grands pays producteurs. Mais attention, il s'agit de la Russie et nous ne sommes pas à l'abri d'une réglementation nouvelle qui brusquement tarirait les flux... Il y a aussi, nous le savons bien, une corruption généralisée.
Autre motif de croire à une ouverture durable : les facteurs démographiques. Le taux de natalité s'est stabilisé à un niveau « occidental », et si le taux de mortalité reste élevé, chez les jeunes hommes en particulier, c'est en raison des accidents de la route, de la drogue, de l'alcool ainsi que de l'effondrement du système sanitaire et médical. Mais ces facteurs sont exogènes et des améliorations sont possibles. Le redressement des structures hospitalières est devenu une priorité pour le régime. La population devrait se stabiliser autour de 140 millions d'habitants. Mais l'important, pour le sujet qui nous occupe, c'est que les familles qui ont un seul enfant ne le laisseraient pas partir au front de gaîté de coeur. Quant à l'éducation, tout le monde apprend l'anglais, cherche à étudier en Angleterre ou à y faire un stage ; l'Allemagne accueille aussi beaucoup d'étudiants russes, trois fois plus que la France. La population russe lit la presse, qui sans être totalement libre est surtout bridée par l'autocensure. Bien sûr, si le président ou le premier ministre ne sont pas contents, ils passent des coups de téléphone, mais la presse est tout de même très libre. En lisant sept ou huit journaux différents, on sait tout - à condition de décrypter « l'intox ». La télévision nationale ne jouit pas de la même liberté : elle diffuse le pain et les jeux, ainsi que des informations calibrées sur la politique intérieure. C'est l'ORTF ! Mais chacun a accès à toutes les chaînes étrangères ; Euronews, par exemple, certes guère « toxique », offre matin et soir une ouverture sur le monde entier. La liberté est absolue sur internet, contrairement à ce qui se passe en Chine.
La Russie estime aujourd'hui, la situation en Ukraine et en Géorgie étant stabilisée, que les conséquences de l'effondrement de l'empire soviétique sont canalisées. Au plan international, les problèmes qu'elle doit affronter sont aussi ceux des Etats-Unis : poussée intégriste, drogue en Amérique latine ou en Afghanistan, terrorisme, mafias internationales, prolifération... La Russie se sent à présent solidaire de nos préoccupations ! Il lui paraît crucial, par exemple, que la coalition ne perde pas la guerre en Afghanistan et la base de Manas a été ouverte aux Américains, afin qu'ils puissent acheminer du matériel militaire en Afghanistan.
Un bémol doit être apporté. Certaines questions majeures ne sont pas réglées. L'ambiance générale est au nationalisme, l'idéologie de base actuellement. Le sentiment nationaliste a été cimenté dans les humiliations subies -politiques et économiques. Le grand mérite de Vladimir Poutine a été d'en apaiser les manifestations les plus violentes. Le mouvement de jeunesse « Nachi » a été pour lui un levier dans la prise de pouvoir, mais il a eu, depuis, quelque difficulté à les gérer. Et les groupes d'extrême droite aiment à « casser du noir » -en l'occurrence des Caucasiens. Mais une vraie répression a été engagée depuis le discours de Vladimir Poutine en novembre 2008 en présence des journalistes : « il faut respecter les étrangers qui travaillent chez nous » avait alors clamé le Chef de l'Etat.
Tous les dossiers stratégiques ne sont pas réglés. Si Barack Obama n'obtient pas la ratification du nouvel accord START par le Congrès américain -or le résultat n'est pas acquis-, quelle sera la réaction de la Russie ? La question des missiles antibalistiques est sensible : les phases I et II du déploiement ne sont pas dangereuses pour la dissuasion nucléaire russe, mais après ? « L'affaire peut se retourner contre nous » pensent certains.
Je rappelle que dans le premier projet de concept stratégique de l'Otan, la Russie était toujours implicitement considérée comme l'ennemi potentiel. Certes, les choses peuvent changer au cours des discussions.
Dans le rapport du groupe d'experts de Mme Albright, la Russie n'est pas considérée comme un ennemi.
Les Russes sont contents que l'Ukraine ait inscrit dans une loi organique qu'elle n'adhérera jamais à l'Otan. Mais ils savent aussi qu'une autre majorité politique pourrait défaire cette loi et en décider autrement. Ils considèrent avoir rendu service aux Occidentaux en Afghanistan, avoir conclu le nouvel accord START, être allés au-delà de la résolution 1929 du Conseil de sécurité sur les sanctions à l'égard de l'Iran. Ils n'ont pas livré à l'Iran de missiles S-300. Ils ont persuadé les Chinois de voter les sanctions.
Bref, ils estiment avoir fait beaucoup et attendent un paiement en retour. Or tout élargissement de l'Otan serait un danger à leurs yeux. Pour eux, la prééminence du Conseil de sécurité et de l'Onu par rapport à l'Otan ne doit pas être remise en cause. Le monopole de l'usage de la force dans le monde doit rester aux Nations unies et les bombardements en Irak ont été jugés un inacceptable « coup de canif » dans le contrat !
Le rapprochement pourrait être fragilisé par des conflits gelés actuellement ou des problèmes territoriaux. Il y a la Tchétchénie, avec les violences, les atteintes aux droits de l'homme. Parmi les conflits gelés, il y a la Transnistrie, où on peut espérer un règlement pacifique, mais aussi la Géorgie, problème plus délicat et qui n'est pas réglé, car un retour de flamme est toujours possible...
Dans cette conjoncture, la France a plutôt bien tiré son épingle du jeu. En 2009, nous sommes les seuls à avoir maintenu au même niveau notre flux d'investissement, si bien qu'en juillet 2010, nous sommes passés de la neuvième à la cinquième place des investisseurs étrangers et des flux commerciaux. Mais nos échanges ne représentent encore que 5 % du commerce extérieur russe, contre 15 % pour l'Allemagne. Nous avons été également les premiers à répondre à l'appel du Président Dimitri Medvedev sur les partenariats industriels.
L'évolution profonde que connaît ce grand pays n'est pas achevée, les risques de retour en arrière ne sont pas à négliger, ce qui exige du doigté de notre part.
Merci de cet exposé fort complet. Vous avez insisté sur la politique étrangère de la Russie et sa place dans les relations multilatérales. Quel est le sentiment de notre collègue Patrice Gélard, président du groupe interparlementaire d'amitié France-Russie, sur nos relations bilatérales avec la Russie, à la lumière du déplacement qu'il a effectué en Russie récemment ?
Une délégation du groupe d'amitié France Russie du Sénat, que je conduisais et composée de nos collègues Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, Mme Catherine Troendle, M. Nicolas Alfonsi, M. Yves Pozzo di Borgo et M. Pierre-Yves Collombat, s'est rendue en Russie, du 27 septembre au 3 octobre derniers, à l'invitation du Conseil de la Fédération de Russie.
Nous ne nous étions pas rendus en Russie depuis trois ans et nous avons trouvé le pays très changé.
A Saint-Pétersbourg, notre délégation s'est notamment entretenue avec le président de la Cour constitutionnelle de Russie, M. Valery Zorkine, le secrétaire général de l'assemblée interparlementaire des pays de la Communauté des Etats indépendants, M. Mikhail Krotov et le président de l'assemblée de Saint-Pétersbourg, M. Vadim Tioulpanov.
A Moscou, nous avons eu des entretiens avec le vice-ministre des affaires étrangères, M. Alexandre Grouchko, le ministre de la culture, M. Alexandre Avdeev, le représentant plénipotentiaire du gouvernement au Conseil de la Fédération, M. Andrei Yatskine, ainsi que les parlementaires membres du groupe d'amitié Russie-France du Conseil de la Fédération, et en particulier sa présidente, Mme Ludmila Narusova.
Nous devions rencontrer également le maire de Moscou, M. Iouri Loujkov, mais celui-ci a été démis de ses fonctions au moment de notre visite.
Au cours de notre visite, nous avons également rencontré les représentants de la communauté française et de la chambre de commerce et d'industrie franco-russe.
Nous avons reçu un accueil très chaleureux de la part des autorités russes et je tiens à remercier ici le Conseil de la Fédération de Russie, ainsi que l'Ambassadeur de France en Russie et la Consule-adjointe de France à Saint-Pétersbourg pour leur aide précieuse.
Je profite de cette occasion pour déplorer la situation faite à nos ambassades, notamment dans les pays d'Europe orientale, car elles sont démunies de moyens financiers et en termes de personnel. On a retiré 10 % des effectifs à Moscou !
Au cours de notre visite, nous avons évoqué, avec nos collègues du Conseil de la Fédération de Russie et avec le président de la Cour constitutionnelle, les réformes institutionnelles et juridiques en cours en Russie et l'état de nos relations bilatérales.
La procédure de nomination des gouverneurs, des présidents et des maires de Moscou et Saint-Pétersbourg est complexe : le Président fait son choix parmi trois noms qui lui sont proposés par la majorité de l'assemblée locale ; si celle-ci refuse par trois fois de l'approuver, elle peut être dissoute ! Les choses ne sont encore jamais arrivées à cette extrémité.
Au 1er janvier 2011, il faudra désormais, pour être sénateur, avoir exercé un mandat local. Or plusieurs sénateurs actuels ne remplissent pas cette condition...
La Cour constitutionnelle de Russie, qui a déménagé de Moscou à Saint-Pétersbourg, présidée par Valery Zorkine, joue un rôle important en matière de consolidation de l'Etat de droit, notamment à travers le contrôle de constitutionnalité, qui s'exerce aussi bien de manière abstraite que de manière concrète, à l'occasion d'un litige devant un tribunal. Ce contrôle donne lieu à environ vingt mille recours par an. La Cour rend une quinzaine d'arrêts par an, ainsi que des décisions sommaires, renvoyant à une jurisprudence. Elle se réfère fréquemment à la Convention européenne des droits de l'homme et à la jurisprudence de la Cour européenne de Strasbourg.
Sur le plan judiciaire, l'instruction pénale a ainsi été réformée : elle est désormais séparée de la procurature.
La peine de mort figure dans la partie fondamentale de la Constitution, ce qui rend son abrogation problématique : on en reste donc, pour l'heure, à un moratoire, mais dont la portée illimitée a été confirmée par une décision de la Cour constitutionnelle.
Les cours suprêmes ont une jurisprudence parfois divergente, notamment en matière de responsabilité, mais le principal problème est celui de l'application des décisions de justice.
Certains évoquent l'idée de créer une cour suprême, qui regrouperait l'actuelle Cour suprême, la Cour constitutionnelle et la Cour supérieure d'arbitrage -et dont la présidence pourrait échoir à Dimitri Medvedev, si celui-ci ne se représente pas pour un nouveau mandat.
Le deuxième sujet a porté sur l'état des relations bilatérales.
L'année croisée France-Russie a été un grand succès.
Cette année a également été marquée par plusieurs rencontres importantes, comme la visite d'Etat en France du Président Dimitri Medvedev, en mars, la présence du Président de la République au forum économique de Saint-Pétersbourg, dont la France était l'invitée d'honneur ou encore la récente rencontre de Deauville entre le Président de la République, la Chancelière allemande Angela Merkel et le Président de la Russie.
Enfin, nos échanges économiques ont beaucoup progressé, puisque la France est passée de la neuvième à la cinquième place des investisseurs étrangers, mais reste encore loin derrière l'Allemagne.
Enfin, les relations culturelles n'ont jamais été aussi denses. L'exposition de l'Académie des Beaux Arts de Russie à l'Orangerie du Sénat a ainsi accueilli dix mille visiteurs en dix jours !
A cet égard, nos interlocuteurs russes nous ont rappelé avec insistance la promesse faite -avant 1917 !- de baptiser l'avenue qui prolonge le pont Alexandre III « avenue Nicolas II » et ont également évoqué le projet de statue de Diaghilev derrière l'Opéra, qui serait intégralement financé par les Russes.
Enfin, notre collègue Mme Dominique Voynet m'avait alerté sur les menaces pesant sur un précieux arborétum abritant des essences exceptionnelles pour la biodiversité, l'institut de Pavlovsk, situé en banlieue de Saint-Pétersbourg et qui se retrouve menacé par des projets immobiliers. Le président de la Douma de Saint-Pétersbourg nous a assurés que toutes les précautions étaient prises et que le Président russe suivait lui-même cette question.
Notre groupe d'amitié s'était fixé comme objectif de faire avancer les relations bilatérales sur trois dossiers importants : les visas, le droit de la famille et l'enseignement des langues. Nous avons donc échangé avec les interlocuteurs russes sur ces trois sujets au cours de notre séjour.
Le problème des visas entre la France et la Russie relève largement de l'Union européenne. La France et la Russie ont toutefois signé un traité bilatéral, le 27 novembre 2009, sur les migrations professionnelles, qui devrait améliorer les conditions de circulation et de séjour des entreprises et des travailleurs français en Russie, et je félicite l'ambassade de France pour son travail.
Reste qu'il est choquant de refuser aux Russes la libre circulation sans visa que l'Union européenne accorde aux Serbes, aux Bosniaques ou aux Macédoniens, d'autant que le risque migratoire en provenance de Russie est très faible.
Face à l'afflux de demandes de visas, l'ambassade de France, débordée, a dû sous-traiter la gestion des demandes à une entreprise indienne, ce qui n'est pas satisfaisant.
L'Allemagne semble toutefois réticente à la libéralisation des visas.
Ce sujet devrait figurer à l'ordre du jour des prochaines réunions entre la Russie et l'Union européenne : la France devrait faire preuve de dynamisme, ne serait-ce que pour les visas touristiques.
Le deuxième sujet concerne le droit de la famille.
On compte environ vingt mille couples mixtes franco-russes, or les divorces posent des problèmes dramatiques. Pension alimentaire, droit de visite, droits des grands-parents : les jugements français ne sont pas applicables en Russie, et vice versa, faute de convention bilatérale en matière de droit de la famille.
Dès lors, pourquoi ne pas envisager une convention bilatérale franco-russe en matière de droit de la famille, sur le modèle de ce qui existe avec l'Allemagne ?
Des progrès ont néanmoins été accomplis en matière d'adoption. La Russie, qui avait institué un moratoire sur les adoptions à la suite de violences sur des enfants adoptés et élevés aux États-Unis et au Canada, nous avons apporté la preuve que toutes les garanties étaient prises en France, et les choses sont rentrées dans l'ordre avec la signature d'un accord.
Troisième volet, l'enseignement du français en Russie et du russe en France.
Cela fait trois ans qu'aucun poste n'a été ouvert à l'agrégation ou au Capes de russe, pas plus qu'à l'École normale supérieure.
Un poste a été mis au concours de l'agrégation en 2010.
Il y a là une vraie carence. De moins en moins de collèges et de lycées proposent un enseignement du russe, alors que l'enseignement du chinois explose. Impossible pourtant de parler le chinois à l'issue du secondaire, à la différence du russe.
Le lycée français de Moscou, qui est saturé, va peut-être enfin trouver un nouveau local.
Toutefois, l'enseignement du français en Russie souffre d'un manque de financement, notamment par rapport à nos partenaires allemands. Nous avons voulu créer un institut d'élite trilingue avec l'Institut d'État du droit : 90 % des étudiants ont opté pour l'allemand, et 10 % seulement pour le français, car les universités allemandes étaient ouvertes l'été, pas les nôtres ! Par ailleurs, les statuts des enseignants, trop disparates, devraient également être harmonisés.
Enfin, les Alliances françaises manquent de moyens élémentaires pour assurer une présence. Il faut saisir les ministres de l'enseignement supérieur et de l'éducation nationale, car les Russes, eux, font des efforts pour l'enseignement du français. Pourquoi ne pas créer un lycée bilingue à Paris et à Moscou offrant un double cursus, comme le proposait l'ancien président du groupe d'amitié, M. Dimitri Mezentsev ? L'importance de la communauté russe en France le justifierait, et il pourrait trouver sa place à côté du centre orthodoxe qui sera situé sur l'ancien site de Météo France, à proximité de la Tour Eiffel.
Si nous unissions nos efforts avec l'Assemblée nationale, nous pourrions sans doute obtenir davantage de résultats.
Je regrette toutefois que tant le Sénat français que le Conseil de la Fédération de Russie aient été exclus de la grande commission parlementaire franco-russe, créée à l'initiative de l'ancien président de l'Assemblée nationale et du président de la Douma. Chaque année on discute au sein de cette instance de problèmes qui intéressent les deux pays : il conviendrait à mon sens d'inclure les deux chambres de chaque Parlement.
J'étais des deux derniers voyages : en trois ans, les choses ont en effet beaucoup changé en Russie.
A l'occasion de sa visite officielle en France, le Président russe Dimitri Medvedev avait été reçu au Sénat et nous avait dit vouloir se rapprocher de l'Europe grâce à la France et à l'Allemagne. Le sommet de Deauville vient de s'achever : que pouvez-vous nous en dire ?
Par ailleurs, vous n'avez pas évoqué le rôle joué par l'énergie dans l'évolution de la politique étrangère russe. Les Russes espéraient vendre leur gaz aux États-Unis : l'exploitation du gaz non conventionnel a brisé cet espoir. À cela s'ajoute la chute des prix du gaz, de 50 %, ce qui peut expliquer la quatrième tentative que vous avez évoquée.
La rencontre de Deauville constitue un événement important. Deux points fondamentaux sont acquis : premièrement, Dimitri Medvedev a confirmé qu'il se rendra à Lisbonne au Sommet de l'OTAN, dès lors que les préoccupations russes sont prises en compte. Deuxièmement, ce dialogue tripartite se poursuivra, avec une nouvelle réunion, probablement en Allemagne. C'est important car, malheureusement, l'Union européenne est encore paralysée, même si l'amélioration des relations entre la Russie et la Pologne a changé beaucoup de choses. Certains pays de l'Union européenne, comme la République tchèque, la Hongrie, la Roumanie, et, avec des nuances, la Grande-Bretagne, demeurent toutefois encore assez réticents à l'égard de la Russie. D'où un piétinement, par exemple, sur les visas.
J'ai été frappé par la liberté de ton des dirigeants russe, allemand et français à Deauville. Il était important d'atténuer la déconvenue que représente pour les Russes l'attitude générale de l'Union européenne des vingt-sept.
Sur le gaz, vous avez raison. L'objectif à long terme pour la Russie est de garantir un débouché pour son gaz. N'oublions pas que la Chine est un gros consommateur potentiel et empressé, prêt à construire des dizaines de milliers de kilomètres de gazoducs !
Les relations entre l'URSS et la Chine ont connu des moments de grande tension. Aujourd'hui, il n'en est plus question. Est-ce à dire que la paix règne ?
En effet, on n'en parle jamais, mais on y pense beaucoup ! Les Russes ne diront jamais avoir peur de la Chine ; s'ils mettent en avant les excellentes relations commerciales, la vente de centrales nucléaires, ils restent toutefois très vigilants en matière de transfert de technologies -pas question d'exporter du matériel militaire- ou de flux commerciaux.
À Moscou, M. Iouri Loujkov avait sous-traité à des groupes ethniques la gestion de quartiers et de zones économiques. Le gigantesque marché de Cherkizon, où l'on ne trouvait que des textiles importés en fraude de Chine, a été fermé par le gouvernement il y a un an : depuis, les producteurs de textiles russes ont vu leur production croître de 30 % ! Mais tous les textiles vendus sur les marchés russes sont chinois. Même chose au Kazakhstan...
Les Russes sont tout aussi vigilants sur le plan démographique. À Vladivostok, on voit des Coréens, des Japonais mais on ne trouve pas un seul Chinois ! Le consul général des États-Unis estime que si les Russes laissaient entrer les Chinois, le PIB augmenterait de 2 %, mais le gouverneur s'y refuse. Quant au consul général de Chine à Khabarovsk, il m'a tenu un discours lénifiant, disant s'intéresser uniquement aux régions riches, et non à l'Extrême-Orient.
La Russie a-t-elle formalisé une réflexion stratégique en matière de défense, sur le modèle du Livre blanc français ? Quelles menaces sont explicites ? Quel est le plan de rénovation de l'outil de défense ? Y a-t-il la volonté de retrouver la Russie triomphante de l'époque soviétique, ou plutôt de s'adapter aux circonstances ?
Le Conseil de sécurité, que dirige Nikolai Patrouchev, ancien du KGB, émet tous les trois à quatre ans un rapport sur les orientations stratégiques. Le dernier rapport, publié en février 2010, met l'accent sur des thèmes transversaux : terrorisme, intégrisme islamiste, non-prolifération, ainsi que sur des sujets de société : drogue, délinquance, décomposition sociale.
C'est à tort que l'on a cru pouvoir déduire, à la lecture de ce rapport, que la Russie considérait l'Otan comme une menace. En réalité, c'est l'élargissement de l'Otan, et non l'Otan elle-même, qui préoccupe la Russie.
Quant à l'armée russe, elle reste encore très délabrée. Avec la guerre en Géorgie, la prise de conscience a été brutale pour les autorités russes. La Russie consacre moins à sa défense que la France en pourcentage du PIB, or son PIB est plus faible que le nôtre, et son armée plus nombreuse... Les choses ont été reprises en main, avec la nomination de M. Anatoly Serdioukov comme ministre de la défense : pour la première fois, c'est un civil, et un comptable, qui est nommé à ce poste. En un an, 250 000 officiers ont été licenciés ! Nous sommes en première ligne pour les ventes de matériel, mais l'Allemagne et les États-Unis sont aussi sur les rangs.
Au bout du compte, l'armée russe reste l'une des plus importantes d'Europe, avec 800 à 850 000 hommes, mais demeure une armée de conscription.
Elle n'est pas possible dans l'immédiat.
Selon les organisations humanitaires, le racisme ne cesse de progresser en Russie, de façon toujours plus angoissante. Est-ce exact ?
La guerre de Tchétchénie a été un traumatisme collectif. De nombreux Russes ont été chassés, dans des conditions catastrophiques : ils forment la clientèle électorale de Vladimir Jirinovski. Les Chinois ne sont guère visibles : l'immigration économique est essentiellement caucasienne, les personnes originaires du Caucase reprennent tous les petits commerces. La montée du racisme à leur égard dans la société est indéniable.
Le gouvernement, en revanche, est conscient qu'il faut intégrer une partie de ces immigrés, russophones et souvent éduqués, pour enrayer le déclin démographique. Le léger accroissement de la population en 2009 n'est pas dû à l'amélioration des structures sanitaires et sociales ou à la politique nataliste, mais à un gain migratoire, et les autorités le savent. D'où des interventions très fermes contre les crimes racistes.
Il n'y a pas non plus une once d'antisémitisme d'État en Russie. Vladimir Jirinovski est d'ailleurs juif ; sa famille a été exterminée par les Allemands. D'importantes personnalités du monde politique et administratif sont d'origine juive. Pas d'antisémitisme donc dans l'appareil d'État, dans le monde du spectacle ou des arts, plus de quotas implicites comme au temps de l'URSS. Mais il y a bien une tradition antisémite sous-jacente notamment orthodoxe. Les préjugés existent, mais sans être très nocifs : la question raciale n'est pas aussi taboue dans la société russe qu'en France, et l'ironie et les sobriquets sont monnaie courante.
Ma seconde question s'adresse à notre collègue Patrice Gélard. À l'époque de l'URSS, la rigueur de la sélection et de l'attribution des diplômes assurait la remarquable qualité de l'université russe. Ce niveau s'est-il maintenu ? Comment fonctionne l'université russe ?
Sous Eltsine, la situation de l'université était, comme celle de l'armée, épouvantable, les professeurs n'étaient plus payés... Mais les Russes connaissent le système D : les universités ont valorisé leur patrimoine immobilier, vendu des biens, et ont pu avoir des étudiants payants, aujourd'hui majoritaires. Les candidats aisés sont orientés vers le concours payant, plus facile ! Les frais de scolarité sont élevés, l'équivalent de nos écoles de commerce. Grâce à cette évolution, le niveau de vie des universités s'est amélioré, les bâtiments ont été rénovés.
Les écoles privées se sont multipliées, avec jusqu'à 24 facultés de droit à Moscou ! Si le concours d'entrée à l'université est difficile, pour les écoles privées, il est surtout payant ! Or être étudiant signifie échapper au service militaire, et ne devoir accomplir que des périodes de deux à trois mois. La loi a toutefois limité cette dispense aux écoles reconnues, entraînant la disparition des trois quarts de celles qui s'étaient créées...
Les écoles étrangères fleurissent également, anglaises, américaines ou allemandes. L'institut Marek Halter, présent au sein des universités de Moscou et de Saint-Pétersbourg, envoie des étudiants à Sciences Po. La chambre de commerce de Paris souhaite créer une école de management.
Une alliance a été nouée avec l'université Paris Dauphine.
Les universités russes restent à l'écart des avancées au niveau mondial, du moins en sciences humaines, et sont absentes des congrès internationaux. Est-ce un problème financier, ou de génération ? Globalement, l'université russe fonctionne bien.
Les universités russes se mettent au système LMD (Licence Master Doctorat). Le problème est celui du recrutement de jeunes professeurs : les anciens, nommés par le parti, sont restés en place, et sont les seuls à pouvoir délivrer une thèse de doctorat, car les thèses passées à l'étranger ne sont pas reconnues.
La France accueille un nombre très faible d'étudiants russes, environ quatre ou cinq mille, notamment en raison des difficultés liées à l'obtention d'un visa.
Quelle est la situation des musulmans et l'attitude des pouvoirs publics à leur égard ? À l'époque de l'URSS, l'Islam était quasiment étatisé.
L'idéologie communiste transcendait tout, et les muftis ou évêques étaient des agents stipendiés, souvent membres du KGB.
Aujourd'hui, le souci est de différencier le « bon » Islam de l'extrémisme. Le Tatarstan est l'une des provinces les plus dynamiques en la matière : en face d'une énorme cathédrale orthodoxe se dresse une énorme mosquée. Le métropolite et le Grand mufti s'entendent parfaitement, l'église officielle musulmane est cultivée et honorée. Son école religieuse enseigne aussi bien la philosophie occidentale que le Coran : nous pourrions nous en inspirer ! À Moscou, la mosquée en construction en face du stade olympique arborera un bulbe doré de dix mètres. Les religions officielles -l'islam en fait partie- sont cultivées ; les sectes protestantes et pentecôtistes sont respectées, l'État intervenant discrètement dans les luttes internes. Religion officielle, l'islam est encouragé quand il joue le jeu de la légalité.
Reste le cas de la Tchétchénie : comme l'a bien décrit Jonathan Littell, Vladimir Poutine, pour mettre fin à la guerre, a laissé carte blanche à Kadyrov, qui lui a fait allégeance et instauré un islam rétrograde pour asseoir sa légitimité dans la lutte contre les boïeviki, dont la plupart se réclament du wahhabisme.