Notre mission commune d'information a été créée à l'initiative de Mme Nicole Bonnefoy, élue de Charente, au début de cette année. Elle regroupe vingt-sept sénateurs de toutes tendances politiques et appartenant à chacune des commissions du Sénat. Dans un premier temps, nous nous sommes donné pour objectif d'étudier les conséquences des pesticides sur la santé des utilisateurs.
A ce titre, nous avons déjà entendu des médecins, des chercheurs, des agriculteurs et des industriels,... La séance d'aujourd'hui est consacrée aux utilisateurs non agricoles, notamment aux « jardiniers du dimanche », si vous autorisez l'expression.
Nous avons donc souhaité entendre votre fédération, notamment pour mieux comprendre comment vous organisez la commercialisation des pesticides dans les magasins de votre réseau.
Créée initialement, il y a vingt-cinq ans, pour gérer la convention collective applicable aux pépiniéristes, notre fédération regroupe aujourd'hui la majeure partie des grandes enseignes (Truffaut, Jardiland, Delbard, Côté nature, etc.), soit 600 à 700 magasins spécialisés dans le commerce des végétaux et des plantes, ou 85 % du chiffre d'affaires global des quelque 1 200 jardineries dénombrées en France. Notre spécificité provient de l'adaptation progressive de notre outil aux produits que nous commercialisons, c'est-à-dire aux végétaux. Cela suppose de disposer d'infrastructures particulières comme les serres pour respecter la plante et préserver ses qualités naturelles. Les produits naturels ou vivants représentent 65 % de notre chiffre d'affaires (45 % pour le végétal et 20 % en animalerie). Le reste provient de la vente de produits manufacturés améliorant les sols et préservant la qualité des végétaux, les pesticides ne représentant que 10 % de l'ensemble.
Qui sont vos fournisseurs de pesticides ? Les industriels vous démarchent-ils pour vendre leurs produits ?
Depuis près de trente ans, nous travaillons avec des grands groupes qui font référence sur le plan national pour certains produits.
Il convient de préciser que l'on parle ici uniquement des produits phytosanitaires, ce qui exclut du champ d'analyse les biocides. Nos magasins fonctionnent avec les dix grandes firmes qui pèsent sur le marché et dont les marques bénéficient d'une certaine notoriété (Bayer, BASF, etc.)
Etes-vous amenés à élaborer vous-même certaines molécules pour répondre à des demandes spécifiques de vos clients ?
Non. Nous nous bornons à acheter des produits finis en fonction de deux critères : l'efficacité des molécules et la notoriété de la marque.
Aujourd'hui nous n'achetons plus que des produits finis, mais il y a quelques années, Truffaut avait déposé des brevets sur certains produits. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, les procédures d'homologation des produits et les exigences de sécurité étant trop lourdes. En revanche, certains produits élaborés par les industriels restent vendus sous notre marque.
Les grands groupes industriels vous démarchent-ils pour vendre leurs produits ?
On ne peut pas parler de démarchage à proprement parler, les liens commerciaux avec les grandes entreprises étant établis depuis longtemps. Certains groupes sont vraiment référents sur certains produits. En revanche, nous sommes davantage sensibles aux tendances. Je pense, par exemple, aux magasins Botanic qui ont choisi d'exclure de leur gamme les produits non « bio ».
Comment sélectionnez-vous vos produits ? Vous ne pouvez pas vraiment tester leur efficacité ?
Non, nous ne la testons pas. Nous nous fions aux informations que les industriels nous donnent sur l'efficacité et aux références des produits.
Il peut nous arriver de tester a posteriori les produits sur le végétal lorsque l'on met en culture, comme pour les coloris des tulipes. Mais c'est rare.
Quelle part de marché représentez-vous pour les industries phytosanitaires ?
Les jardineries représentent 3 % ou 4 % du marché national, la FNMJ représentant 15 % de ce total.
Les fabricants vous proposent des gammes adaptées aux jardiniers amateurs, différentes des gammes professionnelles. Les industriels réalisent certainement un effort important en termes de marketing et de présentation, alors que vous ne pesez que 3 % à 4 % du marché. J'imagine donc que les produits sont excessivement margés ?
La grande distribution représente de plus grands volumes en termes d'unités vendues, mais elle vend surtout des prêts-à-l'emploi à faible valeur marchande. A l'inverse, les jardineries vendent de petites quantités de produits plus techniques. C'est pourquoi les particuliers préfèrent venir chez nous, plutôt qu'en grandes surfaces, pour bénéficier de conseils.
Ne pesez-vous donc pas suffisamment pour imposer des tendances aux fabricants et négocier des tarifs sur les volumes ?
Nous parvenons à négocier quelques tarifs.
Ce type de produits procure 30 % à 40 % de la marge totale de nos adhérents et 10 % de leur chiffre d'affaires. Globalement, la marge des jardineries est proche de 3 % des ventes réalisées.
Mais nous réalisons les plus fortes marges sur la vente des végétaux et des produits de jardin, qui constitue notre métier de base.
Non. Les produits sont généralement promus par les fabricants eux-mêmes ou dans les grandes surfaces qui connaissent la plus grande affluence.
C'est ce qui fait la notoriété des marques.
Pouvez-vous réellement sensibiliser et former vos salariés à la dangerosité des produits si vous ne connaissez pas leur composition ?
A la base, nos employés ont généralement suivi des formations de pépiniéristes, de maraîchers, de marchands de terreaux ou de graines, d'agriculteurs ou d'horticulteurs du niveau BTA ou BTS agricoles. La vente de produits phytosanitaires est alors conditionnée alors par l'obtention de l'agrément DAPA (distribution et application de produits antiparasitaires), dont sont titulaires la plupart de nos vendeurs. Depuis la création du Certiphyto, nous avons mis en place, il y a trois ans, une pré-formation Certiphyto via « e-learning », en partenariat avec l'Ecole supérieure d'Angers et la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) du ministère de l'agriculture. 2000 personnes en ont bénéficié.
Les produits phytosanitaires ne sont pas tout à fait en libre service : ils sont placés dans des rayons bien identifiés avec des vendeurs formés à Certiphyto et disponibles pour donner des conseils. Les vendeurs doivent être capables d'identifier les maladies des plantes et de conseiller le consommateur pour lui recommander le traitement adapté. En revanche, nous avons refusé la vente en circuit fermé, contre l'engagement d'assurer la disponibilité d'un vendeur formé dans un rayon identifié.
Quels types de conseils le vendeur donne-t-il ? Des indications relatives aux quantités, aux doses nécessaires, à la manipulation du produit ?
En fonction du problème à traiter et dans la mesure du possible, le vendeur oriente prioritairement le consommateur vers des méthodes alternatives douces, de préférence au traitement phytosanitaire. Il ne conseille un pesticide qu'en dernier ressort. La connaissance des méthodes « bio » et des modalités d'application des traitements phytosanitaires fait partie intégrante du programme de formation en « e-learning » que nous avons mis en place. La sensibilisation au respect de la nature et à l'agriculture biologique est largement développée dans la formation que nous dispensons à nos employés.
Les vendeurs-conseils sont-ils affectés à un rayon en particulier ou peuvent-ils conseiller les clients dans plusieurs rayons ?
Chaque vendeur est normalement affecté à une zone définie du magasin. Les vendeurs associés au rayon des produits phytosanitaires sont spécifiquement formés pour délivrer des conseils relatifs aux traitements. En cas d'absence dans le rayon, ils sont appelés.
Vos vendeurs sont-ils intéressés au chiffre d'affaire du rayon phytosanitaire ?
Non.
Comment sont-ils rémunérés ? Perçoivent-ils des primes en sus d'un salaire fixe ?
Ils peuvent percevoir des primes, liées au résultat global du magasin, au montant du « panier moyen », pas seulement au montant des ventes réalisées dans tel rayon en particulier.
Les solutions alternatives « bio » sont-elles plus onéreuses que les traitements phytosanitaires ?
Les plantes exposées dans les magasins ne sont que très rarement traitées, car elles ont vocation à être vendues rapidement. En cas de traitement, elles sont écartées de la vente, car elles ne sont pas présentables en l'état, avec des pucerons par exemple.
Nos produits sont vendus dans des rayons spécifiques avec des vendeurs-conseils. Nous sommes opposés à la vente fermée. De plus, nous ne vendons que des produits dont le risque est mesuré, ayant la mention EAJ (emploi autorisé dans les jardins). Cette mention a été créée en 2004 par le ministère de l'agriculture pour différencier les produits utilisés par les jardiniers amateurs et limiter les risques. En effet, les particuliers n'ont souvent pas conscience de la dangerosité des produits et ont tendance à surdoser. C'est le rôle du vendeur-conseil de prévenir les surdosages et les accidents liés à une mauvaise utilisation.
Les produits phytopharmaceutiques que vous vendez sont-ils toujours présentés dans des emballages fermés ou sont-ils parfois vendus en vrac ?
Oui, bien sûr. Il n'y a pas de vente en vrac.
Non. Pour les produits qui présentent un certain danger, tels que les insecticides, les bidons ont des bouchons de sécurité. S'agissant des autres produits, la plupart sont conditionnés en uni-doses ou en sacs prêts à l'emploi.
Que pensez-vous du problème posé dans les grandes surfaces par le mélange des produits dans le chariot ou le panier de la ménagère ? Comment faire pour éviter que les pots de yaourts soient à proximité du Roundup ?
Il faudrait en effet que les magasins alimentaires isolent les rayons propres aux pesticides des autres rayons et prévoient un encaissement à part. Cela parait préférable !
Faut-il aller jusqu'à prévoir un encaissement distinct ?
La coexistence dans le même chariot des produits phytosanitaires et alimentaires laisse croire que les premiers sont inoffensifs.
Le nombre de paquets vendus en hypermarché est supérieur à celui des jardineries, mais le chiffre d'affaires est proportionnellement moindre. La grande distribution arrive à négocier des prix plus bas auprès des fabricants tout en maintenant les marges. Alors que ce n'est pas leur coeur de cible, les grandes surfaces écoulent des plantations et des produits phytosanitaires en grandes quantités. Elles représentent une concurrence rude pour les jardineries.
Vos vendeurs-conseils délivrent-ils également des recommandations relatives au dosage, aux équipements de protection nécessaires lors du traitement, au recyclage du bidon de pesticides vide ? Jusqu'où va le conseil ?
La formation dispensée via le « e-learning » va assez loin dans ces différents domaines.
Au-delà de la formation, y a-t-il un suivi des recommandations données ?
Nous n'avons pas encore mis en place de véritable suivi, le dispositif de formation étant relativement récent et concernant les quelque 4 000 vendeurs de notre réseau de magasins.
C'est le Grenelle 2 qui été le moteur de notre initiative en faveur du « e-learning » pour mettre en place la certification, en partenariat avec la direction générale de l'enseignement de la recherche (DGER). Nous avons apporté notre expertise et avons également insisté pour que des contrôles soient faits en aval et qu'ils puissent se traduire par la suspension de la certification. Mais un suivi sera effectif à compter du 1er octobre : des certificateurs vérifient alors le travail de nos vendeurs-conseils.
Pour répondre à votre inquiétude sur les surdosages, il convient de préciser que, le plus souvent, les firmes prévoient des doses uniques, prêtes à l'emploi, ce qui limite les incidents.
Encore faut-il que les doses soient adaptées à l'usage qui en est fait, ce qui n'est pas toujours le cas ! Nous avons rencontré des cultivateurs en serre qui ont signalé l'inadaptation des doses aux petites surfaces.
Les cultivateurs utilisent des gammes professionnelles et nous ne vendons dans nos jardineries que des produits portant la mention « emploi autorisé dans les jardins d'agrément ». Il demeure que le surdosage est dangereux.
Pour les amateurs, les doses ne sont pas les mêmes. Un arrêté définit les quantités maximales et le conditionnement est fait de telle sorte que l'utilisateur ne puisse pas être en contact direct avec le produit : la pochette se dissout seule.
Et que penser des opérations promotionnelles sur des gros bidons de Roundup placés en tête de gondole, très souvent hors du rayon réservé aux produits phytosanitaires et donc sans vendeur-conseil à proximité ? Par ailleurs, que recommandez-vous pour les emballages vides ?
Concernant l'élimination des emballages, des indications figurent généralement sur le bidon lui-même. La mention DDS, déchets diffus spécifiques, correspond à une cartographie des lieux où l'on peut déverser les produits non utilisés. Les informations sont disponibles sur Internet sur le site de la FNMJ et des brochures sont à disposition dans les magasins de notre réseau.
Cela coûte d'ailleurs fort cher aux intercommunalités. Ne devrait-on pas instituer une participation pour aider les collectivités ?
Une redevance est prévue, je crois, pour financer les surcoûts des centres de tri. Le consommateur la paye et nous la reversons aux collectivités.
Dans mon département, j'ai constaté que certains produits vendus en jardinerie ne sont pas autorisés en usage professionnel pour les producteurs de légumes par exemple. Est-ce une réalité ?
Cela n'existe pas, car la loi nous oblige à ne vendre que des produits qui ont l'agrément « emploi autorisé dans les jardins d'agrément » (EAJ). Le décret n'est pas encore paru. Il devait paraître avant les élections. Les formules vendues devront au préalable avoir reçu l'autorisation de mise sur le marché réservées aux jardiniers amateurs. Il y aura alors une séparation complète entre le monde professionnel et le monde amateur. La date butoir de mise en oeuvre de la directive pesticides est prévue au 1er janvier 2013, me semble-t-il. A l'inverse, pour se procurer des produits professionnels, il faut être en mesure de présenter la carte professionnelle Certyphyto.
Il semble que des molécules actives interdites pour les usages professionnels puissent être autorisées à la vente aux amateurs...
C'est l'ANSES qui est responsable des règles applicables au secteur amateur. Nous sommes, il est vrai, dans une période transitoire.
S'agissant du Plan Ecophyto et de l'objectif de réduction de 50 %, quelles actions avez-vous mises en oeuvre ?
Nous nous sommes beaucoup engagés sur le développement du bio-contrôle. Des consignes ont été données aux vendeurs-conseils pour qu'ils orientent prioritairement notre clientèle vers ce type de méthodes alternatives. C'est une nouvelle philosophie du jardinage, hélas dépourvue d'indicateurs d'efficacité.
On observe déjà cette tendance dans les gammes de produits offertes dans nos magasins, qui font une place de plus en plus grande aux produits « bio ». Il en découle forcément une diminution de la consommation de pesticides. Sur 5 mètres de rayons, au moins 2 mètres sont réservés désormais aux produits « bio ». Cela a forcément un impact.
Mais constatez-vous d'ores et déjà une diminution de la consommation des produits phytosanitaires ?
Nous n'avons pas les moyens aujourd'hui d'avoir des données chiffrées sur ce point. Nous aurions besoin de créer avec la DGAL un indicateur global à partir des références NODU (nombre de doses unités) et IFT (indice de fréquence de traitement) qui permettent de quantifier l'usage des produits phytosanitaires. Il conviendrait également de distinguer les quantités de produits vendues aux professionnels et aux amateurs, en créant un NODU spécifique pour le secteur amateur et les produits portant la mention EAJ. Cela devrait pouvoir se faire à partir des codes APE (activité principale exercée). Une réunion est organisée sur ces sujets avec la DGAL dès la rentrée de septembre. Mais je pense que le bio-contrôle est la voie à suivre et qu'il va se développer.
Combien représentent les produits « bio » dans votre chiffre d'affaires ?
C'est difficile à dire de façon précise, mais indéniablement la tendance est à la hausse. Cela dépend aussi beaucoup de la météorologie, notamment pour les fongicides et les insecticides. C'est pourquoi l'évolution doit être observée sur une période de deux à trois ans. Pour l'instant, les chiffres sont stables. Mais il faut communiquer dans la durée. Ce travail de longue haleine portera progressivement ses fruits. Il s'agit d'abord de limiter les excès et de changer les mentalités. Par exemple, nous pourrions inciter les particuliers à utiliser le paillage plutôt que les désherbants.
La part du chiffre d'affaire réalisée sur les ventes de produits « bio » augmente-t-elle ?
Je vous invite à visiter les rayons « bio » de Jardiland et de Truffaut. Les ventes de ces types de produits présentent des taux d'augmentation à deux chiffres !
Toutefois, il faut éviter les confusions. Les produits dits « bio » d'après le règlement de 2007 ne sont pas tous anodins. La bouillie bordelaise, par exemple, bien qu'elle soit un produit dit « naturel » n'est pas sans conséquence sur la nature et l'environnement, notamment en Charente, où rien ne pousse plus. Il faudrait qu'il existe pour les produits « bio » une batterie de tests comparable à celle qui prévaut pour les produits chimiques, pour identifier et isoler les produits dangereux.
Il est des produits naturels dangereux. La nicotine, par exemple, est naturelle mais dangereuse. Pour faire évoluer les amateurs, il faut utiliser leur langage.
Avec les publicités diffusées par les fabricants et la grande distribution, il est à craindre que les méthodes n'évoluent que très lentement et que la conversion des consommateurs au paillage ne soit pas immédiate... Comment acheminez-vous les produits vers vos espaces de vente ? Devez-vous respecter des conditions spécifiques de transport et de stockage ?
Vous avez malheureusement raison. Les produits de paillage étant issus du monde agricole, la force de frappe publicitaire est plus faible que celle des industries phytosanitaires. Il faudrait sans doute réfléchir aussi au positionnement de ces produits dans les rayons, où ils voisinent souvent avec des sacs de terreaux, alors qu'il serait plus pertinent de les placer à proximité des désherbants comme méthode alternative de désherbage.
Concernant les règles de transport, nous n'avons pas de contrainte particulière.
Concernant le stockage, il convient d'isoler certains produits et de les placer dans un endroit défini dans la réserve ; hors du contact des produits consommables ou des animaux. Une circulaire est en cours d'élaboration à la DGAL sur ces points.
Je souhaitais revenir sur les « promotions girafe » qui consistent à offrir au consommateur une part de produit plus importante pour un prix identique. La FNMJ souhaite les supprimer mais elle se heurte aux groupes de pression des industriels. Nous avons besoin de votre aide sur ce point.
L'UIPP s'est pourtant dotée d'une charte sur la publicité. Est-elle insuffisante ?
En tant que jardineries, nous travaillons davantage avec l'UPJ sur ces sujets. De même, nous sommes hostiles aux mélanges qui associent deux types de produits (un insecticide avec un herbicide par exemple) avec des actions combinées aux effets incertains. Nous avons signalé ce problème à la DGAL, mais attendons encore la réponse.
Merci d'avoir répondu à notre invitation. L'objectif de la mission commune d'information consiste à analyser l'impact des pesticides sur la santé. Nous nous intéressons prioritairement à la santé des utilisateurs directs, qui peuvent aussi être des jardiniers amateurs. Nous venons d'entendre les représentants des jardineries et sommes intéressés par le témoignage de distributeurs généralistes de pesticides pour jardiniers amateurs, car cette pratique nous préoccupe. Nous sommes également désireux d'entendre vos éventuelles recommandations.
Tout d'abord, nous vous remercions pour votre invitation.
La FCD est un syndicat professionnel soumis à la loi de 1884. Elle regroupe la quasi-totalité des enseignes de grande distribution généraliste, à l'exception d'Intermarché et de Leclerc. Ses adhérents représentent une part significative des ventes de produits phytopharmaceutiques destinés au grand public, soit 38 % des volumes vendus et 25 % du chiffre d'affaires. Les jardineries spécialisées assurent près de la moitié des ventes, les enseignes de bricolage environ 20 %.
Pour compléter votre information, je précise que les produits phytopharmaceutiques à destination non agricole représentent seulement 5 % du marché total. Sur cette part, environ deux tiers sont destinés aux jardiniers amateurs. Au total, la FCD ne représente donc que 1 à 1,5 % de la distribution totale des produits phytopharmaceutiques en France. Mais nous estimons cependant jouer un rôle important auprès du consommateur final pour conseiller un produit et la manière de l'utiliser.
Les acheteurs se renseignent beaucoup par Internet et assez peu auprès de nos vendeurs en rayon. ; ils privilégient l'achat d'un produit déjà connu. Nos clients préfèrent nettement les conditionnements prêts à l'emploi plutôt que des produits à diluer plus compliqués pour eux. Cette tendance permet de limiter les risques liés aux manipulations.
Cela vous posera-t-il un problème si la commercialisation des produits phytopharmaceutiques destinés aux jardiniers amateurs était restreinte aux seuls produits prêts à l'emploi ?
L'offre n'est pas toujours disponible sous cette forme.
En effet.
Les clients ne risquent-ils pas de penser que la dilution diminue l'efficacité ?
Non, ils préfèrent cette présentation.
Il me semble que le « prêt à l'emploi » comporte un risque de surdosage. Globalement, le dosage de l'application des pesticides est plus compliqué pour les amateurs que pour les professionnels qui utilisent des pulvérisateurs bien réglés.
Vous avez raison, mais le produit amateur est moins nocif. Les modes d'emploi ne sont cependant pas toujours bien suivis par les jardiniers amateurs.
Constatez-vous une baisse - souhaitable - du volume des ventes de pesticides pour amateurs ?
Le plan Ecophyto 2018 tend à réduire de 50 % l'usage des produits phytopharmaceutiques, tous usages confondus. On n'observe rien de tel de la part des jardiniers amateurs, notamment parce que la mode du jardinage accroît la demande.
En revanche, Ecophyto 2018 a amené une évolution qualitative de l'offre. Certaines enseignes comme Carrefour ont retiré de leurs rayons les produits classés cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR) et ont développé l'offre compatible avec l'agriculture biologique.
Par ailleurs, les produits phytopharmaceutiques sont vendus en hypermarchés et dans les plus gros supermarchés mais pas dans les enseignes de proximité.
Comment effectuez-vous le référencement des produits proposés à la vente dans vos magasins ?
Je souhaite préciser à titre liminaire que les marques de distributeurs (MDD) sont quasiment absentes en matière de produits phytopharmaceutiques avec 3 % du marché. Les enseignes adhérentes à la FCD distribuent des produits de marques.
Les distributeurs comme Carrefour disposent de personnel spécialisé - dont un ingénieur qualité - pour les achats, qui sont effectués par appel d'offres répondant à un cahier des charges précis. Le service qualité formule des exigences commerciales et réglementaires - dont l'existence d'une autorisation de mise sur le marché (AMM). Les fournisseurs peuvent également être audités par le distributeur.
Une fois les produits achetés, leur transport et leur stockage doivent respecter les conditions inscrites sur leur fiche de données de sécurité (FDS). La grande distribution est habituée à gérer ce type de contraintes qui s'imposent également pour d'autres produits, comme les aérosols ou l'eau de Javel.
En ce sens, notre qualité de généralistes de la vente constitue un atout. Il n'existe au demeurant pas de réglementation spécifique au transport et au stockage de produits phytopharmaceutiques, sauf lorsqu'ils sont classés « dangereux ». Ainsi, la présence d'une substance cancérogène impose la présentation dans une armoire fermée à clé. Tout ce qui est dangereux doit être séparé de l'alimentation humaine ou animale. Les FDS donnent toutes les indications et la base Quick-FDS est consultable en ligne.
Ne trouvez-vous pas curieux de retrouver ensuite dans le même chariot ces produits à côté du steak ou du yaourt ?
Les emballages des produits sont étanches. Aucun problème n'a été signalé. Chez lui aussi, le consommateur sait faire la différence.
La grille du chariot permet à nos clients de séparer leurs achats.
Devrait-on aller jusqu'à des zones de vente fermées spécifiques aux pesticides ?
On y vient. Les enseignes anticipent la nouvelle réglementation en mettant en place, à des distances éloignées, des espaces réservés aux produits dangereux, en stockage comme en rayon. Pour les produits classés CMR, lorsque les enseignes ne les ont pas retirés de la vente, des logos obligatoires figurent sur les étiquettes.
Ne devriez-vous pas inciter tous les distributeurs à retirer de la vente les produits classés dangereux ?
Les enseignes et la FCD effectuent une veille réglementaire permanente permettant de suivre l'évolution des molécules et des produits. Nous disposons aussi d'une expertise sur les pesticides grâce à notre métier d'acheteurs de fruits et légumes, en traquant les résidus. Chez Carrefour, nous réagissons vite, notamment en retirant de la vente les produits pour éviter les mises sous clé.
Il est difficile pour les enseignes de mettre en place un dispositif de mise sous clé des produits proposés à la vente. Nos adhérents préfèrent donc souvent mettre fin à la commercialisation. Très absorbée, ces deux dernières années, par la mise en place, avant octobre 2013, de la nouvelle réglementation sur les produits phytopharmaceutiques, la FCD n'a pas souhaité retenir de normes plus strictes. Les bonnes pratiques s'échangent entre enseignes adhérentes à la FCD, mais chacune garde sa liberté.
En qualité de présidente du comité non alimentaire de la FCD, je confirme notre pratique d'échanges permanents.
A-t-on besoin de personnel spécialement formé en rayon pour vendre les pesticides ?
Bien sûr. Le Grenelle de l'environnement a imposé la certification obligatoire, ce qui a modifié la donne : il nous fallait autrefois disposer d'environ une personne formée pour dix présentes en rayon. Avec la réforme, il faudra assurer la présence continue d'un vendeur détenteur du certificat, valable cinq ans. L'arrêté du 21 octobre 2011 a défini la formation, sur trois jours, nécessaire pour obtenir le certificat et les modalités d'actualisation des connaissances.
Pour Carrefour, 300 points de vente sont concernés et 1 200 personnes sont actuellement en formation dans toute la France en vue d'obtenir le certificat. Identifiés par un badge, les vendeurs devront conseiller les acheteurs en les dirigeants d'abord vers des pratiques respectueuses de l'environnement et en promouvant des méthodes alternatives.
Vu le coût induit par ces nouvelles contraintes, estimez-vous encore intéressant de vendre des pesticides pour jardiniers amateurs ?
J'imagine que vos conseillers étant mieux formés, ils sont mieux payés. Que dit la convention collective ?
C'est à vérifier. En fait, les salariés détenant le certificat étaient habituellement des vendeurs qualifiés possédant le certificat de qualification pour les distributeurs et applicateurs des produits antiparasitaires à usage agricole. Ce diplôme ne suffisait pas à justifier une meilleure rémunération.
Il faut inciter à l'utilisation de méthodes alternatives, comme la binette, le paillage ou le désherbage thermique, mais il n'en existe pas pour toutes les cultures. Le consommateur aurait aussi besoin d'une base de données consacrée aux méthodes alternatives.
Les industriels n'ont pas forcément intérêt à une telle évolution, à l'inverse des distributeurs, qui vendent aussi des binettes, du paillage, etc.
A l'aune des déchets dangereux que l'on retrouve dans les déchetteries, les consommateurs ne semblent pas disposés à prendre de nouvelles habitudes.
Ne pourriez-vous pas vendre des stages d'apprentissage de méthodes alternatives ?
Nous n'y avions pas pensé. Cependant, nous travaillons à leur popularisation, notamment via l'initiative « Jardiner autrement » dans le cadre du plan Ecophyto 2018.
Le slogan publicitaire contestable attaché à cette initiative « L'abus de pesticides est dangereux » suggère que les pesticides en général peuvent ne pas être dangereux !
C'est le ministère de l'agriculture qui a choisi le slogan, pas la FCD.
Créée en début d'année, la mission commune d'information sur les pesticides s'est focalisée sur l'incidence sanitaire de ces produits pour ceux qui les fabriquent, les transportent, les commercialisent ou les épandent, sans omettre les familles des intéressés, ni les riverains des zones traitées.
Après avoir amplement auditionné des représentants du corps médical et des acteurs de l'agriculture, nous ne pouvions négliger une grande entité comme la SNCF compte tenu de la superficie considérable qu'elle désherbe.
Le petit questionnaire que vous avez reçu peut servir de guide à votre intervention. Nous éprouvons un intérêt marqué pour la veille technologique mise en place par la SNCF et RFF.
Je suis en charge du développement durable au sein de la branche « infrastructures » de la SNCF ; M. François Lauzeral s'occupe de la maîtrise de la végétation.
Pourquoi désherbons-nous la voie et le rail ? Pour des raisons de sécurité des circulations.
Une plate-forme de voies ferrées comporte en premier lieu le ballast, qui serait déséquilibrée si des poches d'humidité se formaient. Or, les plantes peuvent provoquer l'apparition de telles poches, d'où la nécessité d'éviter toute végétation.
De part et d'autre du ballast, deux pistes permettent la circulation des agents d'entretien. Le cas échéant, ces mêmes pistes servent à évacuer les voyageurs d'un train en panne. Là encore, l'absence totale de végétation est impérative pour des raisons de sécurité du personnel.
Il m'est arrivé de voir de l'herbe pousser sur les voies. Cela ne me gêne d'ailleurs pas...
Moi, si ! Nous faisons circuler des trains vérifiant la géométrie des voies, car les rails doivent être parallèles et au même niveau. L'apparition d'humidité sous le ballast, qu'elle soit imputable à la végétation ou à la nature du terrain, crée un risque.
J'en reviens à la structure des voies ferrées. Chaque piste de circulation est longée par une bande large de deux à trois mètres, où l'existence d'une végétation contribue à maintenir la plate-forme, mais en évitant toute exubérance, afin de ne pas cacher les panneaux et feux de signalisation. Cette même précaution améliore la visibilité des automobilistes au passage à niveau.
Enfin, les abords font l'objet d'une surveillance dont le but principal est d'éviter que des branches d'arbres ne tombent sur des caténaires, notamment en cas d'orage.
Comment désherbons-nous ? Le désherbage chimique coûte environ 15 millions d'euros par an ; le débroussaillage mécanique et le fauchage de l'herbe reviennent à 75 millions d'euros chaque année.
Le désherbage chimique est assuré à 95 % par des trains désherbeurs. Ceux dits « à grand rendement » circulent à 70 km/h, alors que les trains régionaux ne dépassent guère les 30 km/h. Exclues lorsqu'il y a du vent, ces opérations ont un statut de travaux. Aucun train de voyageurs ne circule donc pendant qu'elles ont lieu. D'où l'intérêt des trains à grand rendement, qui n'empêchent la circulation que pendant une durée plus brève.
Lorsqu'il passe dans une gare, un train désherbeur continue-t-il à pulvériser des pesticides ?
Pas lorsqu'il y a des voyageurs sur les quais. D'où, peut-être, l'herbe que vous avez pu observer sur certaines voies.
Il y en général une à deux heures par journée sans passager sur les quais. Les trains régionaux peuvent donc intervenir sur les voies des gares, avec une vitesse pouvant techniquement atteindre 50 km/h.
La voie, le rail et les pistes des voies principales du réseau sont traités par les trains à grand rendement une fois chaque année ; les trains régionaux interviennent avec la même fréquence en gare, mais avec une zone d'intervention plus large de part et d'autre des pistes par fauchage et, tous les trois à cinq ans environ, par désherbage sélectif.
La question ne se pose pas : la proximité devrait être véritablement immédiate.
Les passages à niveau sont traités de façon mécanique.
Étant les seuls à utiliser ce type de matériel, nous sommes dépourvus d'éléments de comparaison pour apprécier la dérive, mais nous avons constaté que la vitesse du train n'empêchait pas les herbicides de rester au sol... sauf lorsqu'il y a du vent ! Et nous ne traitons pas lorsque le vent souffle.
Le dosage est proportionnel à la vitesse du train, pour arriver à une quantité constante d'herbicides par hectare. La largeur traitée est bien sûre prise en compte.
Je précise en outre que les produits épandus à faible vitesse sont surmouillés ; ceux dispersées à vitesse élevée forment des gouttes bien plus grosses que celles observées en agriculture, car nous utilisons des buses à plus gros calibre, précisément pour éviter la dérive des produits.
Vers 1925, les premiers désherbants utilisés étaient à base de chlorate de soude. Généralisé vers 1985 sur les trains régionaux, le dosage proportionnel intégral est aujourd'hui systématique. À l'étranger, ces opérations sont fréquemment sous-traitées : les Anglais utilisent des trains hongrois ; les Allemands ont recours à des trains désherbeurs appartenant à la société Bayer. Les Russes font comme nous.
On nous a dit qu'il n'y avait pas de désherbage des voies ferrées au Luxembourg.
Toutefois, l'épaisseur du ballast utilisé sur les voies modernes, comme celles du TGV, rend son désherbage sans objet.
Ainsi, les ballasts des voies à grande vitesse ne sont jamais traités.
Les sources captées sont protégées par des arrêtés préfectoraux définissant des périmètres autour des points d'eau. Les conducteurs de train disposent de feuilles de route indiquant la présence de sources captées et ils sont également équipés de GPS extrêmement précis. Un dispositif d'asservissement monté sur les trains régionaux leur permet d'intervenir au bon endroit. Les trains à haut rendement sont progressivement équipés.
Nous avons néanmoins subi quelques déboires sur des points d'eau.
En Bretagne, région pilote sur ce point, un GPS déclenche une alarme sonore aux abords des points d'eau, un peu comme les GPS d'automobilistes signalent les radars. Pour la généralisation, nous pensons plutôt à un GPS de précision métrique permettant d'asservir les pompes.
Comment la ligne à grande vitesse desservant Angoulême sera-t-elle désherbée ?
Nous ne pouvons vous répondre, car nous ne connaissons pas le cahier des charges du concessionnaire. La SNCF n'est pas concernée.
RFF réfléchit à des plates-formes qui ne s'enherbent pas. Les Suisses utilisent une technique de granitude, comme une route, protégeant de façon définitive le ballast et les pistes de circulation contre toute apparition végétale.
Nous utilisons des produits destinés aux professionnels et agréés pour les usages non agricoles par le ministère de l'agriculture, en excluant ceux classés « toxiques ».
Le désherbage total est assuré grâce à des produits destinés aux professionnels. Nous les achetons par appel d'offres. À terme, nous devrons mettre en oeuvre, selon les cas, des préparations homologuées « désherbage totale des voies ferrées » ou « entretien des zones herbeuses ».
Comment protégez-vous les personnes qui opèrent sur des trains désherbeurs ?
Chaque train désherbeur dispose d'un équipage parfaitement protégé lorsqu'il remplit les cuves (avec des combinaisons, des masques, des lunettes, des gants). Au demeurant, chacun de nos six trains désherbeurs n'est chargé qu'une fois par an, au mois de février. Il n'y a pas de réassort jusqu'à la fin de la campagne, en juillet.
L'opération d'épandage ne laisse que des traces de produits sur les trains.
Quelque 300 personnes travaillent à temps plein et à temps partiel sur les trains désherbeurs, dont l'activité s'étale de mars à juillet.
Notre personnel est suivi par un médecin du travail, une cellule toxicologique formule des recommandations. Nous n'avons eu aucun signalement d'accidents du travail ni de maladie professionnelle, ni sur le plan institutionnel, ni de la part des partenaires sociaux.
Quid du suivi de la santé des personnels après la fin de leur travail à la SNCF ?
Nos salariés restent habituellement à la SNCF jusqu'à leur départ en retraite. Ils sont donc médicalement surveillés après la fin de leur participation au désherbage, mais aucun suivi longitudinal n'a été mis en place pour les retraités.
Les pesticides peuvent provoquer l'apparition de pathologies quinze, vingt voire vingt-cinq ans plus tard.
Nous avons contribué à sa mise au point, nous avons signé un accord avec l'État et RFF.
S'agissant de l'objectif à l'horizon 2018, nous avons mis en place notre système de mesure, en attendant l'élaboration de normes ministérielles. Une application logicielle est en cours d'installation. Au demeurant, notre consommation de pesticides a déjà baissé de 30 % depuis 2008.
Nous avons supprimé certains traitements de parties ballastées lorsque l'enherbement est le plus faible. Accessoirement, nous utilisons souvent des doses inférieures à la réglementation. Ainsi, lorsque le glyphosate était homologué pour huit litres par hectare, nous n'en utilisions que six ; la dose maximale actuelle est inférieure, nous avons donc diminué la quantité mise en oeuvre.
Elles brûleraient les fils électriques ! Quant au désherbage à la vapeur, il est très coûteux. Les Allemands utilisent une espèce d'usine à vapeur dispersant 13 m de vapeur à la minute. Pour éviter d'épandre quelques milligrammes de substance active de synthèse, ces trains consomment l'équivalent de l'énergie fournie par deux réacteurs nucléaires, soit l'équivalent de 350 locomotives diesel !
La binette n'est guère envisageable, puisque son emploi obligerait à empêcher toute circulation sur les voies pendant quatre heures d'affilée.
Ce serait une façon de résorber le chômage ! Il faut en parler à M. Jean-Marc Ayrault !
Avez-vous trouvé un produit de substitution à la créosote pour le traitement des traverses de chemin de fer en chêne, dont ma région est largement productrice ?
L'utilisation de cet insecticide et fongicide sera très probablement interdite en 2018, mais nous n'avons pas encore trouvé par quoi la remplacer. Les sels de bore ou l'huile posent problème. Le remplacement par des traverses en béton coûterait trop cher.
Les propriétés herbicides et fongicides de la créosote nous sont très utiles.
Pour en revenir au plan Écophyto 2018, nous avons divisé par trois la consommation d'herbicides en trente ans et par deux cette consommation en quinze ans. En augmentant l'épaisseur du ballast et grâce à la maîtrise de l'asservissement, nous espérons atteindre l'objectif de -50 % de pesticides utilisés à l'horizon 2018.
Nous gérons directement le pilotage des pompes, mais il reste à asservir le traitement à la présence de végétation, même si l'on ne peut raisonnablement envisager de traiter exclusivement 3 dm² à 70 km/h. Malgré les déboires techniques rencontrés à ce jour dans la mise au point de cet asservissement, nous espérons qu'il sera opérationnel au cours des prochaines années, ce qui permettra de diviser par deux les produits consommés à l'horizon 2018.
N'y a-t-il pas un risque de traiter également les plantes situées chez les riverains des chemins de fer ?
Ce cas de figure est rare, car nous connaissons les zones dangereuses pour le traitement. Bien sûr, le désherbage sélectif des talus a pu occasionner des dégâts chez les riverains, qui ont alors été indemnisés.
C'est un élément de l'accord-cadre de 2007, qui met la maintenance du réseau à la charge de RFF. Seuls deux ou trois sites sont convenablement équipés, notamment pour éviter la pollution de l'eau.
Avouons-le : nous ne savons pas ce que nous aurions fait à la place de RFF.
Le logiciel d'infrastructure unifiée doit améliorer la situation dans quelques années.
Les bidons sont repris par Adivalor, mais nous rencontrons des difficultés avec certaines coopératives, car nous achetons les produits directement chez les fabricants.
Au demeurant, nous n'avons guère le choix, puisque la réglementation des marchés publics interdit de les segmenter pour s'approvisionner auprès des PME.
Globalement, presque tout est repris par Adivalor, mais les containers de 1000 litres consignés repartent vers les producteurs et les camions sont rincés.
Pourrez-vous me renseigner sur le traitement de la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux ?
La seule solution durable consiste à construire des plates-formes empêchant toute arrivée d'herbes, car toutes les solutions curatives reposent sur des traitements chimiques.
Je vous remercie d'être là ce soir devant cette mission d'information, demandée par Mme Nicole Bonnefoy, et consacrée à l'impact des pesticides sur la santé et l'environnement. Nous nous sommes concentrés d'abord sur la santé de ceux qui utilisent les pesticides, donc beaucoup sur le monde agricole.
Votre institut a-t-il été sollicité pour appuyer la réduction des pesticides ?
Depuis un décret de février 2012, l'Institut national de la Recherche en Sciences et Technologies pour l'Environnement et l'Agriculture (IRSTEA), a succédé au Centre de Machinisme Agricole, du Génie Rural, des Eaux et Forêts (CEMAGREF), dont il a repris les thématiques.
Pourriez-vous aborder les évolutions technologiques et, dans le cadre d'Ecophyto 2018, l'action de votre institut pour diminuer l'usage des pesticides.
Je ne suis président de l'IRSTEA que depuis trois mois. Auparavant, je travaillais au ministère de l'agriculture. Je me suis un peu occupé des pesticides dans le passé. M. Pierrick GIVONE, directeur délégué en charge notamment de la partie scientifique, pourra compléter mes propos.
Le champ de compétence de l'IRSTEA n'est pas directement lié aux pesticides mais plutôt à l'eau, à la gestion des risques naturels, à l'écologie autour des territoires et aux écotechnologies, dont l'assainissement et les compétences du centre sur le machinisme agricole. C'est à ce dernier titre que l'institut est appelé à s'occuper des pesticides. En revanche, l'IRSTEA n'a pas de compétences agronomiques ; il n'est pas impliqué dans le plan Ecophyto 2018.
Nos compétences en machinisme agricole nous ont conduits à étudier les tracteurs et les pulvérisateurs, ainsi que d'autres types de machines, en accordant une attention particulière à l'ergonomie des machines agricoles.
Nous nous sommes donc préoccupés de la sécurité des travailleurs et de l'expologie des agriculteurs. D'où le travail conduit sur les pulvérisateur pour prendre en compte l'exposition potentielle complète de l'agriculteur depuis le remplissage du pulvérisateur jusqu'au nettoyage du matériel, en passant par l'étanchéité des cabines de tracteurs, les caractéristiques du pulvérisateur au sol - souvent des espèces de brouettes mécanisées - sans omettre les moments où l'agriculteur descend du tracteur pour déployer les rampes d'épandage, nettoie avec ses mains les buses qui se bouchent, ni la phase de nettoyage final du matériel.
Ce bilan expologique va intéresser les industriels et le ministère de l'agriculture.
L'IRSTEA a été saisi aussi de l'épandage aérien sur les bananeraies en outre-mer, qu'il s'agisse du traitement aérien lui-même ou du travail préalable de cartographie imposé pour pouvoir appliquer l'arrêté de 2004 sur le respect des zones de 50 mètres entre les bâtiments ou les cours d'eau permanents et l'épandage.
Nous avons aussi testé les matériels - notamment toutes les buses - pour limiter la dispersion, mais également les rampes, aussi bien sur les avions que sur les hélicoptères. Nous avons enfin élaboré un logiciel de traçabilité à partir d'un repérage GPS, après avoir établi des cartographies.
Ce système a été mis en oeuvre parallèlement au travail sur le développement de méthodes alternatives au sol, ce qui a conduit à tester tous les matériels existants, dont les canons au sol et les lances, peu ou pas du tout performants, notamment par comparaison avec les descriptions des catalogues (capacités, distances, répartition des doses, expologie).
Quant aux équipements de protection individuelle, ils ne sont pas testés par l'IRSTEA.
Un nouveau système de traitement au sol avec une nouvelle tête de pulvérisateur est en train d'être testé par l'IRSTEA. Ce prototype préindustriel sera capable de gravir des pentes relativement importantes et de passer entre les bananeraies avec une perche qui monte à 7 mètres.
Notons que la chlordécone n'est jamais épandue de façon aérienne, mais au pied des bananiers.
En termes d'expologie, l'ANSES s'est autosaisie de l'efficacité des équipements de protection individuelle. Dans le cadre de la première partie de cette étude, l'IRSTEA a recensé l'ensemble des équipements de protection individuelle commercialisés sur le marché. Il a mené une enquête auprès des agriculteurs pour savoir comment ils utilisaient ces protections. Ce rapport sera rendu fin juillet ou début août 2012.
Les combinaisons - à usage unique - ne devraient être utilisées qu'une demi-journée. En réalité, les agriculteurs les utilisent plusieurs fois, ou ne les utilisent pas assez ou pas au bon moment. Ils sous-estiment les risques de contamination, notamment par la peau, lorsque la buse se bloque ou lorsqu'il faut plier ou redéplier les bras de la rampe d'épandage. Parfois, une cigarette est allumée sans ôter des gants souillés.
Une seconde phase de l'étude, non confiée à l'IRSTEA, tendra sans doute à évaluer l'efficacité des équipements de protection, de leurs textiles. L'efficacité des combinaisons n'entre pas dans le champ de compétence de l'IRSTEA.
Comme il a déjà été indiqué, l'IRSTEA a précisé l'expologie à travers l'ergonomie des machines, notamment en apposant des patches sur tout le corps des utilisateurs. La même méthode peut être appliquée aux équipements de protection.
Au sujet du traitement aérien, l'optimisation des systèmes en place a été atteinte en termes de rampe de pulvérisation, de traçabilité et de capacités des buses à développer une dérive minimale avec coupure automatique si l'avion ou l'hélicoptère pénètre sur une zone où il ne doit pas traiter.
Avant d'accorder une dérogation pour un épandage aérien, peut-être faudrait-il s'assurer qu'une cartographie a bien été établie ?
Dans le cas des bananes en Martinique et en Guadeloupe, l'IRSTEA a optimisé la chaîne complète, allant de la cartographie à la traçabilité, pour que les buses impliquent une dérive minimale. Il incombe ensuite à l'administration de vérifier la bonne application de l'arrêté de 2004 quant à la zone de 50 mètres, en fonction du dossier préalable déposé.
Le travail dans les départements d'Outre-mer a été compliqué par le fait que la situation cadastrale ne rendait pas compte de l'état réel du bâti, ce qui a obligé à partir de photos satellites. Cela ne serait sans doute pas le cas pour le territoire métropolitain.
L'utilisation d'une carte et du GPS permet, au retour, de constater de visu si les zones traitées sont bien celles prévues.
Les avions et les hélicoptères sont contraints par les conditions météo incluant une température et un vent spécifiques. S'ils ne respectaient pas ces conditions, la dérive des produits à répandre serait excessive. Il incombe aux préfets de vérifier. En général, cela est respecté puisque le traitement aérien s'effectue rapidement : il est inutile de se mettre en situation difficile pour gagner deux heures, au prix d'un traitement peu efficace.
Les recommandations de l'IRSTEA ne valent que pour la Martinique et la Guadeloupe, et seulement pour les bananiers, non pour le maïs ou le riz en Camargue, ni le polder en Guyane.
Même avec un traitement aérien optimisé, les zones d'exclusion liées à la présence de cours d'eau ou à celle d'habitations représentent au moins 20 % à 30 % des surfaces à traiter. D'où la nécessité de trouver une méthode terrestre alternative.
En Martinique et en Guadeloupe, il faut pouvoir travailler sur des pentes atteignant 45 % et dans des conditions climatiques nécessitant des aménagements. Un mât très élevé peut garantir une dérive minimale et le porteur au sol doit être adapté. Ce qui a été assez compliqué ...
Y aurait-il encore des améliorations à apporter sur les pulvérisateurs, ou sur d'autres matériels ?
Seules les buses ont été testées de manière systématique, mais sur un banc d'essai et non en situation, pour déterminer celle qui limiterait au mieux la dérive. Mais ensuite, les buses se montent sur une très large gamme de machines et il est impossible de toutes les tester en situation.
Le classement des buses est effectué à partir d'essais en site avec du vent pour déterminer les coefficients de dérive.
Quand on traite en fongicide sur des bananiers, l'excipient c'est de l'huile, ce qui donne en pulvérisation une taille et un poids de gouttes tout à fait différents que si le même produit était dilué dans l'eau. Il faut donc non seulement tester en situation vis-à-vis de la dérive, mais aussi utiliser les buses avec le type de produit générant un certain type de goutte, d'où l'impossibilité d'avoir une réponse générale sur tel ou tel type de matériel.
Autre exemple, si les gouttes sont de très petite taille et pèsent très peu et si la chaleur entraîne une vitesse ascensionnelle, la goutte ne retombe pas immédiatement sur la plante et risque de repartir.
Des tests en vraie grandeur sont nécessaires, mais difficiles à réaliser : il faudrait déposer des milliers de boîtes de Pétri pour étudier les effets du passage de l'avion. De tels tests ont été effectués sur la banane ; les généraliser serait hors de portée de l'IRSTEA.
Les buses ont été testées, mais leur efficacité dépend du climat, de l'air, chaud et froid, de la hauteur de passage de l'avion. D'où la nécessité d'intégrer ces résultats dès la conception des machines pour prendre en compte la sécurité, comme l'efficacité, très en amont afin d'éviter au maximum le contact avec les produits.
Il faut également prévoir de ne pas toucher le produit quand on l'achète, puis d'éviter tout contact par la suite grâce à des systèmes mécaniques évitant l'intervention humaine : automatiser au maximum le déploiement des rampes, tester les buses pour éviter qu'elles ne se bouchent en les dotant de systèmes de nettoyage.
L'important est que les fabricants de machines intègrent les risques dès la conception de celles-ci.
Ces producteurs travaillent en liaisons avec l'IRSTEA, puisqu'ils récupèrent les méthodes mises au point.
Ces machines sont-elles produites par beaucoup de fabricants français, européens ?
Des fabricants de pulvérisateurs, il y en a un peu partout. C'est un marché assez pointu. Les fabricants de tracteurs sont sans cesse moins nombreux en France.
Les pulvérisateurs très sécurisés coûtent probablement plus chers. Cela n'est-il pas dissuasif pour les agriculteurs ?
Si. D'ou la nécessité d'actions de sensibilisation, faisant prendre conscience aux agriculteurs des risques qu'ils courent.
Ne leur a-t-on pas laissé croire pendant longtemps qu'il ne s'agissait pas de produits dangereux ?
Les étiquetages des produits phytosanitaires existaient déjà il y a vingt ans.
Les étiquettes étaient relativement claires quant aux risques.
Il n'est pas nécessaire de lire la liste de toutes les molécules mais seulement les mesures de sécurité à prendre.
Le Certiphyto a pour mérite de forcer les agriculteurs à se former, à connaître le risque applicateur.
Normalement, dans les lycées agricoles comme dans les écoles ultérieures, cette dimension est intégrée dans les cours.
Il y a une différence entre l'agriculteur qui fait confiance et des actions effectuées sans penser aux conséquences.
Ainsi, dans les enquêtes d'expologie, les filmer en continu le comportement des gens permet de détecter un grand nombre de comportements à risque. Les ouvriers agricoles se protègent mieux que les responsables d'exploitations qui font les choses plus vite.
Les cabines de tracteurs sont classées de 1 à 4 et sont testées avant d'être certifiées. La catégorie 1 correspond à la présence d'une cabine ; la catégorie 2 à une cabine protégeant de la poussière ; la catégorie 3 à une protection contre les poussières et les aérosols ; la catégorie 4 une protection contre les poussières, les aérosols et les gaz.
Pour la production de bananes, une cabine de classe 4 s'impose pour que les gens à l'intérieur ne soient pas tenus de mettre un équipement de protection. Dans ces cabines, des règles de comportement extrêmement strictes doivent être adoptées : ne pas sortir du tracteur avant la fin du traitement, car ces cabines sont en surpression ; démonter et mettre au sec les filtres spéciaux après la pulvérisation, changer ces filtres tous les six mois ou tous les deux ans ; Les comportements sont parfois décalés par rapport aux notices...
Est-on certain de la protection offerte par les équipements de protection individuelle ?
Ils ont été testés, mais tout dépend de leur utilisation effective... Normalement, la combinaison ne doit pas servir plus d'une demi-journée ; il ne faut surtout pas la remettre.
S'agissant des bananeraies, l'IRSTEA a apporté des éléments pour que les formations des conducteurs d'engins prennent en compte l'ensemble des préconisations. Des milliers d'agriculteurs ont été rencontrés. Ces études sont ensuite revues par l'ANSES qui en tirera des conclusions. Le Certiphyto, fait l'objet de discussions entre l'IRSTEA et l'ANSES.
En réalité, il faut éliminer le décalage entre les préconisations et la pratique. Par exemple, il ne faut ni fumer, ni enlever ses gants et les remettre.
Il faut donc à la fois concevoir les outils pour réduire les risques inhérents au comportement humain et obtenir une bonne utilisation de ces outils. Le système ultime consiste à automatiser les traitements au maximum.
Je ne sais pas très bien ce qu'il nous resterait à manger...
Dans les années 1960, il y avait sans doute très peu de protection.
Pour les bananeraies, il a été nécessaire de filmer les personnes qui enlevaient leur combinaison pour leur montrer qu'ils se recontaminaient, alors qu'il y avait d'autres façons de faire. C'est comportemental : il faut toujours se mettre en situation.
Comment faire comprendre qu'il faille se protéger d'un produit qui va dans l'environnement et se retrouve dans l'alimentation ?
Il s'agit tout de même de biocides. Il existe des règles strictes de délais pour leur commercialisation, et leur application ! Les gens ne peuvent s'exonérer de la totalité de leurs responsabilités alors qu'ils doivent avoir un local fermés à clé pour ranger les pesticides, tenir un registre...
Ces produits particuliers nécessitent des règles de comportements adaptées.
Pendant des années, les agriculteurs ont produit toujours davantage comme on le leur demandait, avec les excès que cela comporte ; ils ont fait confiance...
Sans porter de jugement sur le passé, près des deux tiers des molécules ont été interdites au niveau communautaire et, pour les molécules CMR restantes, la substitution est obligatoire dès qu'elle est possible. Les produits sont aujourd'hui de meilleure qualité, les méthodes de traitement ont été améliorées, l'utilisateur est mieux informé et l'effet des molécules sur l'environnement n'est plus négligé.
Le danger n'est pas toujours consécutif à un accident du travail : on constate des maladies provoquées par vingt ans de pratique. Très peu de contaminations surviennent par action massive, hormis des réactions allergiques.
Il y a peu de risques aigus.
Oui, pour étudier l'exposition et la qualité de la pulvérisation.
Ce milieu confiné impose des protections individuelles accrues, des précautions spécifiques, notamment pour les délais de ré-entrée, qui son allongés.
À Montpellier, un tunnel sert à effectuer ce genre de tests, non avec des pesticides mais avec des fluides : on simule ce qui se passe dans une serre pour caractériser la dérive, la régularité...
On pourrait songer à un développement de machines intégrant, le plus en amont possible, des systèmes de vision identifiant les mauvaises herbes, associées à un dispositif d'élimination. Beaucoup été fait dans la vision automatique, mais il reste très compliqué d'identifier les mauvaises herbes à partir d'une reconnaissance automatique de forme.
Une autre alternative testée est l'électrocution des mauvaises herbes, sans produits chimiques. Une reconnaissance excellente permettrait aux automates d'intervenir de manière très ciblée à partir de la cartographie de la parcelle.
Les emplacements des traitements par engrais sont déjà repérés grâce à un logiciel qui permet d'intervenir à bon escient.
Mais cela reste une vision d'avenir. Des chercheurs y réfléchissent, mais ils sont loin du stade industriel, d'autant que, par nature, les plantes poussent et changent d'apparence.
L'avenir pour les risques applicateurs, c'est la robotisation. Déjà des producteurs de Champagne sont intéressés car leurs rangs de vignes sont très étroits. Des robots pourraient être pilotés du haut du champ...
L'absence de toute possibilité de contact avec les pesticides réglerait le risque de contact. Ce serait un gain net. Tous les gains nets doivent être recherchés, d'autant que le matériel agricole coûte cher et la main-d'oeuvre encore davantage.
Il existe, aujourd'hui, des tracteurs couplés entre eux ; c'est déjà le stade industriel du développement de la robotisation. Par ailleurs, les CUMA permettent aux agriculteurs d'acheter du matériel à plusieurs.
Dans le cas des bananeraies, le système de traitement est mutualisé, le passage des avions effectuant un traitement est payé en fonction d'un forfait au kilo de bananes produit dans l'année.
Quand il faut traiter massivement de vastes zones, une flotte d'engins est alors nécessaire.
Enfin, nous vous transmettons les réponses écrites au questionnaire adressé par la mission.