Nos commissions des finances et des affaires européennes ont le plaisir d'accueillir, ce matin, Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et aux douanes.
Cette audition tombe à point nommé, puisque le 13 mai dernier, la Commission européenne a rendu publique sa « recommandation de recommandation du Conseil » concernant le programme national de réforme et portant avis sur le programme de stabilité de la France pour 2015. La publication de cette recommandation présente une importance particulière à deux égards. Tout d'abord, elle intervient quelques semaines après que le Conseil de l'Union européenne a reporté le délai de correction du déficit excessif de la France. Le Gouvernement a donc présenté, dans le dernier programme de stabilité, une trajectoire des finances publiques tenant compte de ce report.
Cette recommandation constitue une étape essentielle dans le cadre du semestre européen ; une fois adoptée formellement par le Conseil de l'Union européenne en juillet prochain, elle devra être prise en compte pour l'élaboration du projet de budget de la France pour 2016.
Au-delà, nos échanges avec Pierre Moscovici seront également l'occasion d'aborder des sujets d'une actualité tout aussi brûlante, à l'instar des négociations avec la Grèce - je sais que c'est un sujet qui l'occupe depuis le début de son mandat - et des actions engagées au niveau communautaire en matière de fiscalité, notamment en ce qui concerne les tax rulings.
Nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui au Sénat conjointement avec la commission des finances. C'est l'occasion pour nous de prolonger l'échange que nous avions eu lors de notre déplacement à Bruxelles au mois de mars.
Comme le président Larcher l'a indiqué au président Juncker lors de leur récent entretien, nous souhaitons avoir un dialogue régulier avec les commissaires européens. Vous êtes en outre le commissaire français. C'est donc tout naturellement que nous devons nourrir un dialogue continu sur les dossiers économiques dont vous avez la charge.
La situation économique de l'Union semble s'améliorer. Mais cette reprise paraît encore fragile.
La Commission a présenté, le 13 mai, ses recommandations. Elle affirme quatre priorités communes dont la relance de l'investissement et la conduite de réformes structurelles ambitieuses. Nous sommes donc intéressés d'entendre vos explications sur ces priorités communes.
S'agissant de la France, la Commission a rappelé l'échéance du 10 juin pour la présentation par le gouvernement de nouvelles mesures d'ajustement structurel pour 2015 atteignant 0,2 % du PIB, soit environ 4 milliards d'euros. Le gouvernement est aussi invité à mettre en oeuvre un « effort de réformes ». Il est incité à intensifier une large revue des dépenses publiques. Je relève en particulier le souhait de la Commission que des mesures soient prises, d'ici mars 2016, pour parvenir à équilibrer le régime des retraites, notamment celui des retraites complémentaires. La Commission fait aussi des observations sur la réduction du coût du travail, sur la modernisation du contrat de travail ou encore sur le poids des prélèvements obligatoires. Pouvez-vous nous donner des précisions sur cette recommandation concernant notre pays ?
Par ailleurs, la situation de la Grèce continue de nous préoccuper. Le récent Eurogroupe a reconnu que la discussion est devenue plus substantielle. Mais certains sujets, comme les retraites ou le marché du travail, semblent encore poser de gros problèmes. Or il faudra bien qu'un accord soit trouvé sur les réformes à mener avant que de nouveaux versements soient effectués. La lecture de la presse récente laisse supposer qu'il existerait une crise de liquidités. Quelle est votre appréciation ?
Enfin, nous souhaitons connaître votre analyse sur les voies envisageables pour améliorer la gouvernance économique. Des réflexions sont en cours. Plusieurs pistes sont évoquées. Nous y avons-nous-mêmes travaillé et nous continuons à le faire avec Fabienne Keller et François Marc, nos deux rapporteurs. Quelles sont, selon vous, les perspectives dans ce domaine ?
Je vous remercie de votre invitation. J'ai eu l'occasion de recevoir plusieurs d'entre vous à Bruxelles, mais c'est ma première audition au Sénat depuis ma prise de fonctions il y a six mois. Je veux rappeler ici toute l'importance que cette Commission européenne attache au dialogue avec les parlements nationaux. Le président Juncker nous a donné à tous mission de nous rendre devant eux. J'étais moi-même lundi au Bundestag, et je serai mardi prochain à Dublin. Je viendrai devant vous aussi régulièrement que vous le souhaiterez pour vous informer sur chacun des rendez-vous, désormais très réguliers, en matière de surveillance budgétaire. J'ajoute que tous les sénateurs sont bienvenus à Bruxelles pour un échange de vues avec le commissaire français que je suis. Je n'oublie pas le pays d'où je viens, et c'est d'ailleurs à quoi nous invite tous le président Juncker, qui n'estime pas que nous sommes des hommes et des femmes « hors sol » et qu'au contraire notre rôle est aussi de communiquer avec les instances de notre pays.
Nous avons franchi, la semaine dernière, une étape du semestre européen, avec la publication des recommandations par pays. L'objectif initial de cet exercice, qui a parfois été perdu de vue dans le passé, est de coordonner les politiques économiques et budgétaires dans le but de favoriser la convergence de nos économies. Nos concitoyens se demandent souvent si l'Europe, et notamment l'euro, n'a pas produit de la divergence. C'est une interrogation légitime, et qui nous appelle à réfléchir aux moyens de faire reconverger, dans un sentier de croissance équilibré, nos économies.
L'ambition du semestre européen n'est pas de propager auprès des États membres je ne sais quelle vérité révélée que détiendrait la Commission européenne. Comme je le disais lundi devant le Bundestag, la Commission n'est pas un professeur, les gouvernements ne sont pas des élèves, et les peuples n'ont pas à être tancés. Cela n'a jamais été ma conception de l'Europe lorsque j'étais parlementaire ou ministre, et mon point de vue n'a pas changé.
L'ambition est de rallier les États membres, de les convaincre d'adhérer à des objectifs économiques partagés pour le bien commun de la zone économique que nous formons et en particulier, pour la France, de la zone euro. Telle est la perspective que la commission Juncker a adoptée, et qui est peut-être un peu différente de celle de la précédente commission. Elle est mieux à même, à mon sens, de produire des résultats au niveau national et de recréer, comme cela est fondamental à mes yeux d'européen convaincu, de l'adhésion politique.
Un mot de la conjoncture économique, qui forme la toile de fond des recommandations que nous venons de publier. À mes yeux, le moment économique actuel est caractérisé par deux traits, une bonne nouvelle et un risque persistant. La bonne nouvelle, c'est que l'Europe connaît un printemps économique réel. Pour la première fois depuis le début de la crise, en 2007, les économies de tous les États membres, sauf Chypre, qui est dans une situation un peu particulière, devraient cette année renouer avec la croissance. Notre prévision est de 1,8 % pour l'Union européenne, et de 1,5 % pour la zone euro, et cette tendance, comme le jugent aussi de hautes instances internationales comme le Fonds monétaire international (FMI), devrait s'accélérer l'an prochain, à 2,1 % pour l'Union européenne dans son ensemble et 1,9 % pour la zone euro. Je souligne au passage que l'écart entre l'Union européenne dans son ensemble et la zone euro se réduit, parce que les politiques d'ajustement menées sont très largement engagées, améliorant le potentiel de croissance de la zone euro.
La dernière revue trimestrielle sur l'emploi et la situation sociale, et c'est un bon signal, met en évidence une baisse constante du chômage, notamment des jeunes et des chômeurs de longue durée. La France a elle-même bénéficié d'un rebond plus ferme que prévu - y compris par nous-mêmes - avec une croissance de 0,6 % au premier trimestre 2015, la plus importante enregistrée depuis début 2013. Cela signifie que les prévisions de croissance, communes à la Commission européenne et au Gouvernement français, et que vous avez vous même validées dans vos rapports, sont assez crédibles. La croissance devrait être cette année supérieure à 1 % en France et l'on peut espérer qu'elle s'achemine, d'ici à la fin de l'année, vers un rythme supérieur à 1,5 % : nous prévoyons 1,7 % en 2016, si elle y met du sien.
Il ne s'agit pas, cependant, de tomber dans l'autosatisfaction. Ce serait hors de propos, car un risque persiste : celui que cette embellie ne dure qu'un printemps. On ne saurait se satisfaire d'un printemps économique, quand c'est une reprise de quatre saisons qu'il faut construire en Europe. Pour que cette embellie se prolonge, il faut poursuivre les réformes. Le danger qui nous guette, c'est que les Gouvernement ne saisissent l'occasion de cette reprise pour relâcher l'effort d'assainissement budgétaire et de modernisation des structures économiques, alors même qu'elle devrait être la rampe de lancement d'un agenda de réforme ambitieux. Ce serait une bien mauvaise analyse que de considérer que parce que la reprise est là, nous sommes tirés d'affaire. Il faut au contraire tirer parti des marges de manoeuvre qu'elle nous offre pour réformer ce qui, dans un climat moins favorable, n'a pas pu l'être. Il s'agit, en quelque sorte, d'inverser le cycle, sans céder à la tentation du relâchement. Il est plus aisé de réformer en période de rebond qu'en période de contraction.
Il est d'autant plus important de maintenir le cap des réformes que la reprise est d'abord portée par ce que la Commission appelle des vents arrières - taux de change de l'euro favorable à nos exportations, prix bas du pétrole, qui favorise consommateurs et producteurs, effet incontestable, et même plus fort que prévu, du programme d'assouplissement quantitatif mis en place par la Banque centrale européenne (BCE). Ce sont là des facteurs conjoncturels, qui favorisent une reprise cyclique. Mais tout cycle se renverse un jour, et si l'on n'a pas, pendant sa phase haute, créé les conditions d'une croissance durable, on se retrouve, quand le cycle se retourne, aussi faible, sinon plus faible qu'avant. Ce sont les économies qui auront le plus réformé qui seront les plus fortes.
L'économie européenne repart de l'avant, c'est incontestable, mais elle n'avance pas encore entièrement grâce à la puissance de son moteur propre. Même s'il est vrai que des réformes de structure, de même que des assainissements budgétaires, partout en Europe, ont été menées, qui portent leurs fruits, ces moteurs ne sont pas suffisants, et la reprise est aussi tractée par des facteurs externes, sur lesquels nous n'avons pas de contrôle.
C'est en gardant ce contexte macroéconomique à l'esprit qu'il faut se pencher sur les recommandations de la Commission. Ce qui intéresse le commissaire que je suis, c'est que la France soit en position de contribuer à l'agenda de croissance et d'emploi pour l'Union européenne que la Commission veut promouvoir.
Un mot, tout d'abord, de la méthode. Nous sommes partis d'un projet partagé. Ce que veut la Commission, c'est affermir la croissance et renouer avec l'emploi, ce qui implique de se concentrer sur quelques priorités. Vous observerez que nous avons évité de dresser, comme cela a pu être le cas par le passé, une sorte d'inventaire à la Prévert, d'une utilité discutable. Pour avoir été ministre de l'économie et des finances, je puis attester que lorsque l'on reçoit des recommandations très nombreuses et poussées jusque dans le détail, on a tendance à s'en désintéresser. La Commission a ainsi voulu cibler ses recommandations sur un certain nombre de secteurs stratégiques. Le fait est qu'elle n'a pas à ordonner une prescription détaillée à chaque État membre. Elle n'est pas, je l'ai dit, un professeur, et il ne s'agit pas, pour moi, de donner une liste de devoirs à faire. Ce à quoi elle s'est employée, c'est à identifier les points où un État membre peut faire plus et tenter de le convaincre pour parvenir à un objectif partagé. Il s'agit, en somme, de donner à chaque État membre l'opportunité de prendre toute sa place dans le redressement économique européen. Cette approche, nouvelle, attribue à chacun un rôle mieux défini. La Commission doit identifier les fins et les objectifs communs. Elle doit jouer son rôle de coordination à l'échelle de l'Union. Mais les États membres, à la souveraineté desquels je suis très attaché, doivent avoir le choix des moyens, en toute autonomie, et dans le respect du cadre démocratique interne. Je suis convaincu que ce que beaucoup de nos concitoyens ne supportent plus, c'est cette idée d'une Europe qui impose de l'extérieur. Si l'on veut qu'ils se réapproprient l'idée européenne, cela passe par une meilleure définition des rôles. Je veux sortir de la dynamique binaire qui a souvent prévalu entre prescription et opposition, réprimande et résistance. La logique de cette Commission c'est une éthique de conviction et non une logique de punition. C'est ce qui favorisera l'appropriation des recommandations au niveau national, aujourd'hui quelque peu défaillante si l'on en croit leur taux d'exécution.
J'en viens à la recommandation adressée à la France. Vous avez relevé dans votre propos introductif que la Commission ne s'est pas prononcée, dans sa décision du 13 mai, sur la procédure pour déficit excessif. Pourquoi ? Parce qu'elle avait, le 10 mars, adressé à la France une recommandation, qui fixait un délai de trois mois pour être respectée, ce qui nous mène au 10 juin, date à laquelle la Commission finalisera sont travail d'analyse. Ce délai permet de poursuivre le travail des deux côtés. Pour la France, il s'agit de préciser, en la détaillant, la stratégie de redressement des comptes pour 2015 et 2016. Pour la Commission, il s'agit de voir si, à cet horizon, les mesures nécessaires - notamment un effort structurel de 0,5 % du PIB en 2015 - ont été menés. Mon collègue Valdis Dombrovskis a estimé que les choses allaient plutôt dans le bon sens. Je ne peux qu'y adhérer, mais il nous reste encore un peu de temps pour finaliser le travail. Nos prévisions, comme celles du Gouvernement français, tablent sur 3,8 % de déficit en 2015, quand la recommandation de mars ciblait 4 %. Mais ce sont les résultats qui compteront. Voilà pour le volet finances publiques.
Pour ce qui est des réformes, les recommandations prennent la mesure des progrès accomplis et proposent des voies d'approfondissement, dans une logique d'exigence et d'accompagnement. Quand, le 25 février dernier, la Commission a délibéré, les discussions ont été longues et compliquées, car certains avaient des doutes sur la conduite des réformes en France. La discussion collégiale qui a eu lieu la semaine dernière a été beaucoup plus courte et beaucoup plus simple, parce que la Commission a le sentiment qu'elle a été entendue, et que le plan national de réformes présenté par le Gouvernement français est plus cohérent. Reste que notre exigence collective à l'égard de la France, qui est la deuxième économie de la zone euro, demeure élevé. Nous avons identifié six domaines prioritaires pour la période 2015-2016 : la poursuite de la correction durable du déficit public ; la maîtrise des dépenses et la montée en puissance des économies ; la poursuite des efforts visant à créer un environnement favorable au facteur travail ; l'amélioration du climat des affaires, focalisée sur les barrières réglementaires qui faussent la concurrence afin d'améliorer l'investissement - le projet de loi Macron, que le Sénat vient d'adopter, poursuit sa navette ; l'amélioration de l'équité du système fiscal, qui contient encore trop de poches d'inefficacités - c'est là une recommandation qui vaut pour tous les pays ; l'amélioration, enfin, de l'environnement juridique du marché du travail, où la segmentation s'enracine.
Vous aurez noté que nombre de ces recommandations invitent la France à poursuivre dans la voie qu'elle s'est déjà elle-même tracée, qu'il s'agisse du travail sur les retraites, de la mise en oeuvre du pacte de responsabilité, de la simplification administrative ou de l'amélioration du dispositif d'accords pour le maintien dans l'emploi. La Commission entend encourager les initiatives en cours, et inviter le Gouvernement français à tenir le cap.
Dans certains cas, identifiés comme des priorités, nous recommandons plus, tout en laissant à la France le choix des moyens. Je citerai trois exemples. Nous pensons, en premier lieu, que les conditions de fixation des salaires restent à améliorer, pour éviter une perte de compétitivité. En deuxième lieu, nous soulignons l'importance qu'il y a à simplifier la fiscalité, en particulier celle qui s'applique aux entreprises, et souhaiterions voir la France se rallier davantage à cet objectif. En troisième lieu, nous insistons sur l'accès au contrat à durée indéterminée. Nous estimons que le marché du travail est, en France, très segmenté, ce qui pèse sur le dynamisme du pays et sa cohésion sociale.
J'en arrive à vos questions sur la Grèce et sur la gouvernance de la zone euro.
La Grèce est un sujet qui m'occupe jour et nuit puisque je suis chargé, auprès du président de la Commission, qui suit ce dossier avec beaucoup d'attention, de la négociation avec ce pays. C'est le degré de volonté politique qui déterminera la suite des événements. Incontestablement, depuis quelques semaines, la situation s'est améliorée. L'Eurogroupe qui s'est tenu il y a quelques semaines à Riga avait été un moment de très grande tension, parce que nous y constations que durant les trois mois précédents, les négociations avaient patiné. Depuis trois semaines, cela va mieux. La négociation a produit plus de résultat qu'au cours de tous les mois précédents. Il faut l'imputer à un changement de méthode, à l'arrivée de nouvelles équipes, mais aussi au fait que la Grèce a entendu l'impatience de certains de ses partenaires. Une partie des obstacles plus ou moins artificiels qui pesaient sur la conduite des négociations ont été levés. Le Gouvernement grec a émis des propositions qui représentent des progrès réels, et c'est pourquoi l'Eurogroupe a parlé de « changements substantiels ». Sur plusieurs points, nous avons rapproché nos positions, et des propositions tangibles ont enfin été mises sur la table. Nous avons eu des discussions constructives sur une réforme en profondeur de la TVA. Les autorités grecques nous ont fait part de leur intention de légiférer pour la création d'une agence indépendante pour l'administration des revenus. Nous avons fait des progrès sur la stratégie à mettre en oeuvre pour faire face au problème des prêts non performants. Nous commençons à parler de réforme des retraites. Ce sont là des avancées précises, mais le compte n'y est pas encore. Il reste des divergences importantes à réduire sur d'autres sujets si nous voulons arriver à un accord dans les prochaines semaines. En particulier sur deux grands sujets, les retraites et le marché du travail. Les autorités grecques ont été claires sur les aspects du programme qu'elles n'acceptent pas. C'est leur droit, mais il est logique qu'elles indiquent, en retour, les alternatives qu'elles proposent pour atteindre l'objectif de création d'emploi et de soutenabilité des finances publiques.
Le ministre grec des finances, Yanis Varoufakis, désormais bien connu, estime que la fenêtre d'opportunité pour un accord est de deux semaines. Parce que la Grèce fait face à des problèmes de liquidité que chacun connaît. Nous n'ignorons pas ces tensions sur les liquidités, même si le Gouvernement a su faire preuve jusqu'à présent de créativité face aux exigences de paiement... Il est donc clair pour chacun qu'il faut aller vite. Il faut qu'un accord intervienne dans les quelques semaines à venir. Mon sentiment est que c'est possible, si l'on poursuit le rythme de travail qui est le nôtre, et qui a désormais un sens. La Commission s'y consacre. Elle n'a pas de plan B ; elle souhaite vraiment une Grèce plus solide, plus compétitive, qui reste dans la zone euro. C'est à quoi elle consacre ses efforts dans un dialogue constructif, même s'il n'est pas toujours facile, avec le Gouvernement grec. La Grèce doit rester dans la zone euro, c'est sa place, c'est son rang, c'est sa famille ; tous nos efforts sont tendus vers cet objectif.
Un mot, pour finir, sur la gouvernance de la zone euro. Comme vous le savez, un rapport dit des quatre présidents - Commission, Conseil, Eurogroupe, BCE - est en train de s'élaborer, travail auquel le Parlement européen apporte son appui. Il sera soumis au Parlement européen le mois prochain. Je pense, comme Mario Draghi, que nous devons nous fixer des objectifs de gouvernance ambitieux. Il faut à la zone euro des instruments de gouvernance à la hauteur de l'importance de cette monnaie dans les affaires internationales, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Pour moi, je crois profondément nécessaire que la zone euro se dote d'une capacité financière autonome. C'est une exigence fondamentale, en faveur de laquelle les autorités françaises plaident depuis de nombreuses années. En tout état de cause, il faut aller de l'avant sur la gouvernance.
Il est d'autres sujets qui nourrissent mon agenda, comme celui de la fiscalité, sur lequel je suis prêt à répondre à vos questions. Deux objectifs me guident, transparence et compétitivité. Cette Commission est attachée à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale, à la lutte contre l'érosion des bases fiscales. Sur la transparence, j'ai un mandat très clair du président Juncker. J'ai proposé une directive sur l'échange automatique d'informations en matière de tax ruling. Autant il me paraît bon que les entreprises puissent, grâce à la procédure du rescrit fiscal, prévoir l'impôt qu'elles vont verser, car c'est un facteur d'attractivité, autant il ne me paraît pas logique qu'elles puissent, sur cette base, organiser une planification fiscale agressive qui ressemble parfois non seulement à de l'optimisation mais à de l'évasion. Il faut aller plus loin, d'où le projet d'assiette commune consolidée pour les sociétés que je présenterai dans quelques semaines.
L'une des ambitions de cette commission est de favoriser un dialogue de meilleure qualité entre le niveau communautaire et le niveau national, grâce à des échanges plus structurés en amont et à une discussion plus fournie avec les autorités de chaque pays. Le dialogue avec le Parlement est, dans ce cadre, très important, et j'espère que notre échange d'aujourd'hui sera le premier d'une série : je serai disponible chaque fois que vous le voudrez, tant pour parler du semestre européen que de la trajectoire budgétaire, de la fiscalité, ou des douanes - ce qui n'est pas un mince sujet.
Merci de cet exposé, dans lequel transparaît une conviction dont nous avons tant besoin. Puisse-t-elle redonner couleur à ce que nous aimons dans l'Europe.
Merci de cette présentation qui répond à certaines de nos interrogations, mais suscite aussi des questions.
La Commission a souhaité, nous dites-vous, cibler ses recommandations. Le fait est que pour la plupart des États membres, celles-ci se limitent à quatre tout au plus. Mais pour la France, l'Italie et la Croatie, elles sont au nombre de six. Faut-il comprendre qu'elle demande à ces pays un effort plus approfondi ?
Sur l'effort structurel, notre commission a relevé une divergence d'approche entre la Commission européenne et le Gouvernement français, peut-être liée à une estimation différente de la croissance potentielle. Estimez-vous, concrètement, que la France doit présenter, d'ici au 10 juin, un effort budgétaire accru, compte tenu notamment des dépenses supplémentaires qu'elle va engager en matière de défense ?
Alors que le Sénat avait adopté, à une très large majorité, dans la loi de finances puis dans la loi de finances rectificative un dispositif de suramortissement au bénéfice des entreprises, le Gouvernement avait cru bon de s'y déclarer défavorable. Or, un tel dispositif a été repris, par voie d'amendement, dans le projet de loi Macron, ce dont nous nous félicitons, puisqu'il ne peut qu'améliorer l'investissement des entreprises. Cependant, dès lors que la Commission recommande de réduire, en France, le taux nominal de l'impôt sur les sociétés, qui est, de fait, plus élevé qu'ailleurs, considère-t-elle qu'il serait préférable d'aller plutôt dans ce sens, pour parvenir à une convergence des taux de cet impôt en Europe ?
Sur la question de l'érosion fiscale des bases des grandes sociétés, on a le sentiment que l'OCDE, avec son plan BEPS (Base Erosion and Profit Shifting), est plus avancée que la Commission européenne. Vous avez évoqué, pour juin, un projet d'assiette consolidée de l'impôt sur les sociétés, est-ce à dire que l'on va enfin aboutir à quelque chose d'opérationnel ?
La question de la TVA préoccupe beaucoup notre commission, dont un groupe de travail se réunit chaque semaine ou presque pour se pencher sur la question de la fiscalité du numérique. Nous sommes effrayés par les pertes de TVA qu'engendre, pour l'heure, le développement du e-commerce. Bien des achats sur internet ne sont soumis à aucune TVA, sans parler des phénomènes de fausse facturation, que l'administration fiscale française a les plus grandes difficultés à appréhender. Or, on a le sentiment que la Commission européenne, qui a récemment présenté un travail sur l'économie numérique, s'intéresse peu à cette érosion des bases de la TVA, qui est, faut-il le rappeler, l'impôt principal en France.
Oui, nous avons voulu réduire le nombre de recommandations, qui est de trois à six selon les pays. Ce n'est pas un hasard si la France fait partie des pays auxquels six recommandations ont été adressées. J'ai évoqué notre réunion collégiale de février. Dans la procédure applicable aux déséquilibres macroéconomiques, dite Macroeconomic Imbalance Procedure, la France avait atteint le cinquième cran. Quand on en arrive au dernier, le sixième, cette procédure devient un peu désagréable, et nous voulions l'éviter. La France a entendu le message, et ce qu'elle a ensuite présenté était de meilleure qualité, et nous ne sommes donc pas allés plus loin. Cela étant, la France est la deuxième économie de la zone euro, et la Commission estime qu'il y a des réformes à faire. D'où un plus grand nombre de recommandations que pour l'Allemagne, où elles sont au nombre de trois, parce que nous tenons compte de la performance économique.
La France, qui représente 20 % de l'économie de la zone euro, a des atouts formidables - et vous me trouverez toujours dressé contre le « French bashing ». Mais elle a besoin de réformes, et c'est d'ailleurs ce que vous proposez sur tous les rangs de cette assemblée - en retenant des formules différentes, cela s'appelle la démocratie.
Un effort structurel doit-il être demandé à la France en 2015 ? Nous ne l'estimons pas, à ce stade, même si l'examen contradictoire n'est pas achevé. Les règles européennes, contrairement à ce que l'on pense, ne sont ni stupides ni rigides. Quand un pays ne réussit pas, pour des raisons diverses, à réduire suffisamment son déficit nominal, la corde de rappel du déficit structurel est là. C'est ce qui s'est passé au cours des dernières années, et qui a justifié deux reports supplémentaires du délai pour arriver sous les 3 %. La Commission a été amenée à constater, chaque fois, que l'effort structurel avait été mené, et qu'il pouvait être poursuivi. Mais quand cet effort structurel est en question, c'est le nominal qui prime. Or, pour 2015 et 2016, nous avons des raisons de penser que les prévisions de croissance retenues par le Gouvernement français sont assez valides, ainsi que vous le relevez, me semble-t-il, dans votre rapport. Pour 2014, la Commission, comme d'ailleurs le Gouvernement français, avait fait une erreur, puisque le déficit a été de 4 % au lieu de 4,3 % ou 4,4 %. Dès lors, il est réaliste de penser que nous serons à 3,5 % cette année, et à 3,4 % l'année suivante, à politique inchangée, c'est-à-dire sans prendre en compte les effets de réformes comme le CICE, que nous ne pouvons anticiper.
Pour ce qui est de l'effort de défense, le Gouvernement français a annoncé qu'il serait financé. C'est à lui de faire les propositions adéquates.
Le suramortissement ? Je ne me prononcerai pas sur les mesures dont vous débattez dans le cadre de l'examen d'un projet de loi. Je souligne simplement que tout ce qui va dans le sens de l'encouragement à l'investissement est bienvenu, car le taux d'investissement est le gros problème de l'économie européenne. Entre 2007 et 2015, les taux d'investissement globaux ont été de moins 15 %. Si nous ne faisons rien, alors que dans d'autres économies, et notamment l'économie américaine, l'innovation et l'investissement sont dynamiques, nous serons, dans dix ans - et cela vaut aussi pour l'Allemagne -, des pays de seconde zone. Il faut prioriser l'investissement, charge à chaque pays de déterminer les moyens.
En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés, je reprendrai, je l'ai dit, le projet d'assiette commune consolidée, dit ACCIS, parce qu'il faut d'abord harmoniser les bases. Quant à la convergence des taux, j'y suis favorable, et c'est une option que la Commission considère avec beaucoup de sympathie, comme vous l'avez vu dans nos recommandations. Peut-être les initiatives franco-allemandes annoncées en d'autres temps pourraient-elles être reprises.
Vous comparez, sur la fiscalité, les initiatives de l'OCDE et celles de la Commission. Je ne vous suivrai pas sur ce terrain, parce que l'OCDE, à travers son travail sur l'érosion des bases fiscales, connu sous le nom de BEPS, mène une réflexion à l'échelle internationale. Je puis vous dire qu'au G2O, où, comme ministre des finances français, je représentais, jusqu'il y a quelques mois, notre pays, et où je représente aujourd'hui la Commission, ces travaux sont un appui pour faire avancer les standards, et notamment l'échange automatique d'informations. Et la Commission européenne joue pleinement son rôle en la matière. Je suis fier de pouvoir dire que s'agissant de l'échange automatique d'informations sur les tax rulings, c'est l'Europe, et non pas les États-Unis, comme ce fut le cas avec FATCA, qui va entraîner le peloton. Et je compte sur les États membres pour changer de braquet sur la transparence. Vous savez ce qu'il en est de la décision en Europe. Le projet ACCIS a été posé par la Commission sur la table du Conseil en 2011. Mais obtenir l'unanimité à vingt-huit n'est pas simple. Pour pousser les États membres à aller de l'avant, je ferai une nouvelle proposition, à la mi-juin. Et je ne compte pas m'arrêter à l'échange automatique sur les tax rulings ; il faut aller plus loin. Le Parlement européen se demande s'il ne faut pas des rapports pays par pays. J'ai dit ma sympathie pour cette idée. Nous allons au moins analyser l'impact économique que cela peut avoir. Et tout ce qui viendra des parlements nationaux pour nous aider à lutter contre l'évasion fiscale, la fraude fiscale, l'érosion des bases fiscales nous inspirera, croyez-moi. Cette commission veut mettre la transparence à son agenda du premier au dernier jour. Et je m'en réjouis, car c'est un combat que je mène, à titre personnel, depuis longtemps.
Je comprends, enfin, votre préoccupation sur la TVA. J'ai fait inscrire au programme de travail de 2016, dans le cadre de l'initiative dite « Mieux légiférer », une mise en place du régime définitif de TVA, qui supposera de réfléchir au numérique. Si nous n'avons pas souhaité inclure les problèmes fiscaux dans le projet de marché unique du numérique présenté par mes collègues Andrus Ansip et Gunther Oettinger, c'est que nous estimons qu'ils doivent être traités dans un cadre plus large. Il est aussi une préoccupation très présente dans le débat français, celle de la TVA sur le livre numérique et la presse en ligne. La France, comme le Luxembourg, a été condamnée par la Cour de justice de l'Union européenne. Mon intention n'est pas de mettre en cause les décisions de justice, mais il est des solutions possibles, qui permettent de prendre en compte ce qu'est l'économie du numérique. J'en ai évoqué quelques-unes, comme la possibilité de laisser le choix aux États membres. En tout état de cause, tous ces sujets seront repris en 2016.
Merci de vos propos rassurants, de nature à susciter un peu d'optimisme à l'heure où l'on s'interroge sur l'ambition européenne. On passe d'une logique du bâton à une logique du dialogue, ainsi que vous l'avez souligné. On a davantage d'ambition en matière de transparence fiscale et de lutte contre l'évasion fiscale. Surtout, la doctrine a évolué, la croissance et la création d'emplois sont désormais des priorités plus clairement affichées à l'échelle européenne.
On peut se réjouir des perspectives de croissance pour 2016 que vous évoquez, à 1,9 %. Mais atteindre un niveau de croissance élevé suppose de s'adapter aux exigences du temps présent, et en particulier aux évolutions du modèle de croissance au sein de l'Europe. Nombreux sont les économistes, parmi lesquels Jeremy Rifkin, qui estiment que ce modèle doit évoluer. Ne serait-ce que parce que nous devons faire face à des exigences environnementales, parce qu'aussi ce modèle doit davantage servir l'emploi, il doit évoluer. Vous vous êtes exprimé dans Les Echos avec votre collègue allemand il y a quelques jours, sur « l'achèvement du marché numérique », que vous présentez comme l'un des leviers qui permettra, demain, d'adapter notre modèle. Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par là ?
Certains investissements, avez-vous indiqué, seraient dorénavant exclus du déficit de chaque État, à condition que son déficit public se situe sous le seuil de 3 % du PIB. Quels investissements sont visés ? Ce qui a trait à la défense nationale peut-il en faire partie ?
Le conseil Ecofin du 10 mars 2015 a introduit une clause de réforme structurelle, à la demande de la France. Comment les réformes engagées peuvent-elles s'appuyer sur cette clause ? Comment peut-elle nous aider à adapter notre trajectoire dans des conditions plus équilibrées ?
Je ne reviens pas sur l'ACCIS, sur laquelle vous avez apporté des éléments de réponse, sinon pour vous demander, puisque vous avez évoqué les difficultés que pose la règle de l'unanimité, si vous n'estimez pas qu'il serait temps, pour arriver enfin à fendiller certaines murailles, d'aller, en matière de fiscalité, vers la règle de la majorité qualifiée ?
Vous saluez un printemps de la reprise ; je suis plus réservé : dans l'économie réelle, cette reprise tarde à faire sentir ses effets, en particulier sur l'emploi, question majeure pour l'Europe aujourd'hui. En revanche, certains observateurs évoquent une indéniable euphorie dans la sphère financière. Les indices boursiers se portent bien, et même les mesures non conventionnelles de la BCE, engagées depuis maintenant trois mois, semblent tarder à produire des effets sur l'investissement. Quant à la consommation, elle reste très atone dans certains États.
Pourtant, l'initiative de la BCE, totalement contraire à son catéchisme, est une véritable révolution copernicienne. Injecter des liquidités en rachetant de la dette privée et de la dette publique, à hauteur de 60 milliards d'euros, ce n'est pas rien. Ramené au déficit de la Grèce, cela peut, entre parenthèses, faire réfléchir. Si vraiment une solidarité s'exprimait à son égard, il me semble que cette politique d'assouplissement quantitatif pourrait apporter quelques solutions... Au-delà, cette politique n'est-elle pas l'aveu implicite de l'échec de la politique de réduction des dépenses publiques engagée dans l'ensemble des États de l'Union ?
Sur le traité transatlantique, les négociations en sont à leur neuvième cycle. Mais tout se passe entre fonctionnaires. Quid des parlementaires ? De la démocratie ? L'absence de transparence sur ces négociations a été vivement dénoncée. On m'objectera qu'il y a quelque progrès. Sans doute : les parlementaires ont désormais accès aux salles de lecture, et ont le droit de prendre connaissance de ces documents rédigés, je ne dirai pas dans la langue de Shakespeare, mais dans un anglais assez technocratique... à condition de ne pas prendre de notes. On appréciera, alors que nos concitoyens se posent de sérieuses questions sur ce traité. Pouvez-vous faire un point là-dessus ?
Je suis un peu rassuré de vous entendre dire que vous n'êtes pas venu ici en professeur, en donneur de leçons. Cela tranche sur les propos de certains de nos partenaires. Vous faites, en somme, de l'assouplissement qualitatif ; j'espère que cela se traduira dans les faits.
La méthode de cette Commission est de conviction plutôt que de sanction, avez-vous dit. Je suppose qu'il ne s'agit pas d'abandonner, car ce ne serait pas de bonne politique, toute idée de sanction, mais pouvez-vous nous indiquer à quel moment vous estimez que ces sanctions devraient être mises en oeuvre en cas de déficit excessif ? On peut considérer que la France reste dans ce cas. Certains disent que la situation s'est améliorée, mais alors que la loi de finances pour 2014 prévoyait 3,6 % de déficit, nous sommes à 4 %. Où est l'amélioration ? J'aimerais donc savoir à quel moment le non-respect, par la France, de ses engagements, est susceptible d'entraîner des sanctions.
Vous voulez faire preuve de conviction et mentionnez vos propositions de simplification fiscale. Quelles sont vos pistes prioritaires en la matière ? Et comment entendez-vous convaincre le Gouvernement français d'aller dans ce sens ? Car j'ai le sentiment que lorsque l'on fait de telles propositions dans notre pays, on n'est guère entendu.
Le commissaire que vous êtes est également chargé des questions de fiscalité. On peut s'étonner que les recommandations de la Commission omettent cet instrument que sont les politiques fiscales.
La Commission a fait évoluer son discours sur l'investissement, et je m'en réjouis, mais l'Union européenne manque d'une ambition industrielle dotée d'instruments. On a l'impression que c'est toujours la concurrence qui prédomine. On s'est beaucoup soucié d'établir des règles de concurrence intra-européennes, sans se rendre compte que dans certains domaines, comme celui du numérique, nous n'avons pas d'industrie propre. La chancelière allemande ne dit pas autre chose quand elle appelle de ses voeux un internet européen, auquel le président Hollande a acquiescé. Mais nous n'avons pas les instruments, nous avons dix ans de retard sur les États-Unis. Sans capacité d'intervention des États, harmonisée par les instances européennes, nous ne rattraperons jamais ce retard. Les États-Unis, le Canada, les pays asiatiques, se dotent de politiques de crédit d'impôt sectorielles qui attirent nos fleurons industriels. Je rappelle que l'OMC considère le crédit d'impôt comme une forme de dumping fiscal. Quand donc l'Union européenne tentera-t-elle de réguler ces crédits d'impôts, qui attirent les entreprises européennes vers les États-Unis ? On aura beau créer une réglementation idéalement harmonisée du marché européen du numérique, à quoi cela servira-t-il si nous n'avons pas la capacité de créer une vraie filière industrielle. Ou bien faudra-t-il en passer, comme pour Airbus, par une politique spécifique ? Il y a là un véritable enjeu, qui nous invite à sortir des seuls principes macroéconomiques pour passer à l'investissement dans les secteurs stratégiques.
Nous avons entendu Michel Sapin nous dire que toutes les initiatives françaises pour réduire le déficit et rétablir les rentrées fiscales étaient en partie hypothéquées par la déflation. Un débat de spécialistes s'est élevé, certains affirmant qu'il n'y a pas de déflation, d'autres que c'est un avantage en certains domaines, d'autres enfin que la déflation est ce qui risque d'entraver nos efforts. Quelle est votre approche ? Ce souci qui se manifeste en France est-il commun à l'ensemble de l'Europe ? Et si tel est le cas, est-il susceptible d'influer sur vos projections ?
Je remercie Éric Bocquet de sa jolie formule d'« assouplissement qualitatif ». Travailler avec les États en confiance, cesser d'être prescriptif ne veut pas dire, Monsieur Delahaye, que les sanctions sont exclues. Que leur rôle soit avant tout de dissuasion ne veut pas dire qu'elles ne peuvent être, le cas échéant, appliquées. Mon attitude à l'égard de la France, parce que je suis Français, est observée à la loupe. Je me garde de toute forme de complaisance, c'est une question de crédibilité. Vous me demandez ce qui pourrait déclencher les sanctions ? Si ni le déficit nominal, ni le déficit structurel n'étaient tenus, la Commission n'aurait d'autre choix que de les appliquer. C'est en vertu de l'effort sur le structurel que nous avons décidé, en février, d'accorder un délai. Notre logique n'est pas punitive. Pour moi, si des sanctions devaient intervenir, ce serait un échec. On sait, au plan national, qui en profiterait : les forces anti-européennes. L'approche par la conviction fonctionne mieux, de surcroît, qu'une approche purement disciplinaire.
François Marc juge mes propos rassurants. Ils le sont sur un point : incontestablement, l'économie européenne se porte mieux, et l'économie française ne fait pas exception. Mais il faut faire en sorte que ce ne soit pas un feu de paille. Ce n'est pas parce que les perspectives sont bonnes sur un semestre qu'il faut croire que c'est arrivé. Nos économies ont subi une récession et ne commencent qu'aujourd'hui à retrouver leur PIB de 2008. Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir si nous voulons que ce rétablissement soit durable.
L'emploi, Monsieur Bocquet, est évidemment une préoccupation première. Le chômage baisse en Europe. La France, pour arriver à le réduire en France, a besoin d'un taux de croissance de 1,5 %, et d'améliorer le contenu de la croissance en emplois. On ne peut donc se contenter d'un taux de croissance à 1 %. Pour nous, il est possible d'atteindre 1,7 % en 2016. On en verra alors le résultat sur le marché du travail.
Je pense comme vous que l'investissement est une question fondamentale. Le plan Juncker vise un modèle de croissance fondé sur l'investissement et il est ciblé : sur le numérique, l'énergie, la transition énergétique, les transports, le capital humain, à travers l'innovation et la recherche. Je partage, monsieur Gattolin, votre souci de l'industrie. J'ai été vingt ans l'élu d'une grande région industrielle. Pourquoi n'avons-nous pas d'industrie numérique significative en Europe ? Le premier constat, c'est que lorsqu'il existe des obstacles sur le marché, une société n'a pas la possibilité de s'étendre. C'est ainsi qu'il faut entendre l'initiative du marché unique numérique : il s'agit de lever les barrières, de réguler les plates-formes, de mettre en place une fiscalité adaptée. Au-delà, il faut une politique d'investissement ambitieuse. D'où les priorités du plan Juncker, dont fait partie le numérique.
François Marc m'interroge sur les flexibilités. La communication sur le sujet que j'ai présentée en janvier tient en trois points : un État qui investit doit être encouragé ; un État qui engage des réformes structurelles doit être encouragé ; l'effort structurel requis doit tenir compte de la situation cyclique du pays - on ne saurait demander le même effort à un pays en récession qu'à un autre. Comme vous l'avez noté avec votre acuité habituelle, tous les pays ne peuvent bénéficier de la clause d'investissement, car il faut être sorti de la procédure corrective et être en dessous de la barre des 3 % de déficit. Quels investissements peuvent être exclus ? Tous ceux qui entrent, d'abord, dans le périmètre du plan Juncker. Si un pays veut, par exemple, entrer au capital du plan stratégique européen d'investissement qui devrait voir le jour dans quelques semaines, cet effort ne sera pas comptabilisé comme déficit dans la procédure de surveillance. De même pour tout cofinancement entrepris dans le cadre du plan. Ces flexibilités ne sont pas nouvelles, elles existaient dans le cadre du pacte de croissance et de responsabilité, mais nous les systématisons.
Vous appelez de vos voeux, Monsieur Bocquet, un passage à la règle de la majorité qualifiée en matière fiscale. Je ne peux que vous suivre, mais le problème reste bien que pour modifier la règle de l'unanimité, il faut modifier les traités, ce qui requiert l'unanimité. Je crains donc que nous soyons contraints, pour un certain temps, à nous accommoder de la règle de l'unanimité... C'est un énorme sujet de frustration pour le commissaire à la fiscalité que je suis, tant les dossiers qui sont sur la table sont nombreux, mais c'est ainsi. Sur chaque projet fiscal, je dois me demander non seulement s'il est bon, mais s'il est susceptible de franchir la barre de l'unanimité. Il est des bons projets que nous avons dû retirer parce que la réponse à cette deuxième question était négative.
Sur le TAFTA, le traité transatlantique, des efforts de transparence beaucoup plus importants que ce qui ressort de vos propos ont été faits. Tant au niveau de la Commission, où un certain nombre de documents, et notamment le mandat de négociation, ont été rendus publics, qu'au niveau des gouvernements, qui font ce qu'il faut pour informer la représentation nationale. J'ai, au cours de ma vie politique, vu trop de projets capoter parce qu'une information lacunaire nourrissait les fantasmes pour être convaincu qu'il ne faut pas avoir peur de la transparence ; elle sécurise, quand l'opacité inquiète. Ce traité représente pour nous une opportunité importante, car le marché américain est beaucoup moins ouvert que le marché européen. Il doit être bien négocié, mais il y a aussi un combat à mener pour que les opinions y adhèrent, et dans ce combat, la transparence est une arme essentielle.
Je me garderai, Monsieur Delahaye, de répondre à votre question sur la simplification fiscale. La Commission ne livre que des analyses, qui fondent de grandes orientations. C'est ensuite à vous, parlementaires, de débattre, avec le Gouvernement, des mesures fiscales que vous souhaitez mettre en place.
Vous avez raison, Monsieur Gattolin, de juger que la priorité industrielle n'a pas suffisamment été affirmée dans le passé. Mais je pense qu'il ne faut pas opposer, comme je le disais au sujet du numérique, industrie et règles de marché. Vous aurez sans nul doute observé les évolutions de la Commission sur les questions relatives à la concurrence. Ma collègue Margrethe Vestager a pris, sur un certain nombre de sujets, des décisions courageuses et qui tranchent sur le passé. La concurrence ne doit pas jouer contre l'industrie. Il faut privilégier une approche transversale, qui mêle les aspects fiscaux, normatifs, industriels, et s'appuie sur le plan d'investissement et les réformes structurelles. C'est ainsi que l'on construira une politique industrielle moderne.
L'analyse de la Commission, Monsieur Karoutchi, est qu'il n'y a pas de déflation en Europe, mais qu'en revanche, l'inflation, trop basse, menace de nous entraîner vers un cycle déflationniste. L'inflation négative que nous avons connue était selon nous temporaire et largement alimentée par la baisse des prix du pétrole, dont l'effet est plutôt positif sur l'économie. Elle ne saurait être comparée à celle qui a suivi la crise de 1929. On sait ce que l'hyperinflation a provoqué en Allemagne, on sait aussi ce que la déflation, avec la politique de Laval, a provoqué en France. Nous ne sommes pas du tout dans ce cas de figure. Techniquement, l'Europe est sortie de cette spirale de l'inflation négative. Eurostat nous classe parmi les territoires légèrement positifs en matière d'inflation. Pourquoi, me demandez-vous, la BCE a-t-elle changé de politique ? Mais c'est toujours l'inflation qui reste son objectif. Quand l'inflation est trop élevée, elle pratique des politiques restrictives, quand elle est trop faible, elle met en oeuvre une politique d'assouplissement quantitatif pour la faire remonter autour de 2 %. Selon nos prévisions, l'inflation devrait être très légèrement positive en 2015 et remonter vers 1,5 % en 2016.
Je reviens sur la TVA : vous n'avez rien dit des « carrousels ». Les mesures prises ces dernières années à l'encontre de cette forme de fraude à la TVA intracommunautaire portent-elles leurs fruits ?
Pour mesurer si un pays respecte les règles, vous vous fiez à deux curseurs, le déficit et l'endettement. Or, tous les pays européens n'ont pas de certification des comptes, et de comptabilité de bilan. Ce qui caractérise la France, c'est qu'elle a des actifs. Dès lors que la Commission veut pousser l'investissement, ne serait-il pas logique de prendre en compte le bilan d'un pays pour déterminer si on lui donne le feu vert pour déroger au respect des règles s'agissant des investissements - et je pense notamment aux investissements en matière d'infrastructures ?
Vous avez parlé d'assouplissement en matière d'emploi : estimez-vous qu'il faille des mesures spécifiquement orientées vers l'emploi des jeunes ?
Vous avez évoqué la convergence au sein de la zone euro et indiqué que celle-ci se renforçait au sein de l'Union européenne. Je note qu'un récent rapport souligne que 2014 a été, en France, une année record en matière de dépense publique - 57,5 % du PIB - et relève un différentiel de 11 % avec la moyenne de la zone euro. Cet écart est-il appelé à s'accroître, ou l'exigence de convergence doit-elle nous amener à un effort redoublé de réduction des dépenses publiques ?
Ma deuxième question est plus personnelle. Ces six premiers mois passés à la Commission ont-ils changé votre vision de la France ? Vos fonctions nouvelles vous ont-elles apporté un éclairage nouveau ? Avez-vous perçu un danger pour notre économie que vous n'auriez pas perçu auparavant ?
Que vous inspire le fait que la Grèce ait remboursé la moitié de son échéance par le biais du FMI ?
Vous êtes commissaire européen mais aussi homme politique français : y a-t-il bien convergence entre ces deux facettes ? Ce que vous évoquez ici comme commissaire européen touchant la convergence des économies européennes est-il bien en accord avec certain document récent au bas duquel vous avez, en France, apposé votre signature ?... Où est la neutralité du commissaire européen ?
Vous dites que les négociations avec la Grèce avancent, fort bien. Cela dit, la lecture des déclarations de certains ministres grecs n'apaise pas toutes les inquiétudes. La Commission a-t-elle réalisé un crash test pour mesurer les conséquences d'une sortie de l'euro sur les créanciers, le système bancaire européen, les États européens ? Si cela est le cas, ne serait-il pas bon de communiquer sur ses conclusions, sachant que le débat public, qui se partage entre ceux qui disent que la Grèce est victime des pères Fouettard de Bruxelles et de Madame Merkel et ceux qui estiment que la Grèce n'était pas prête pour l'euro et qu'il faut arrêter les frais, ternit l'image de l'Europe ? Un peu de pédagogie ne ferait pas de mal.
Dans les recommandations de la Commission, il est demandé à la France de consacrer tous ses efforts à la réduction des dépenses publiques, notamment en s'efforçant de limiter les dépenses des collectivités locales. Le Gouvernement, de ce point de vue, a choisi une double voie. La première consiste en une réduction assez drastique des dotations aux collectivités territoriales. Il n'est pas certain que cela limitera la dépense, car il leur reste le levier fiscal - que certaines ont déjà fait jouer, ce qui ne va guère dans le sens de l'objectif de limitation de la pression fiscale -, et le levier de la dette - dont un emploi immodéré serait contraire à l'objectif de limitation de l'endettement. Surtout, cette baisse des dotations entraîne une chute de l'investissement des collectivités, très dommageable pour le secteur du BTP. L'autre voie dans laquelle s'est engagé le Gouvernement est celle de la réforme structurelle. Je n'ai pas le sentiment, hélas, que la loi NOTRe nous permettra de réaliser des économies.
Vous avez rappelé que la Commission ne définit que des orientations, et laisse aux États membres le choix des moyens. Mais quand le Gouvernement français vient vous présenter ces réformes, vous vous en faites bien une idée. Pensez-vous que ce qui est entrepris, s'agissant des collectivités locales, permettra d'aller dans le sens souhaité par la Commission ?
Vous avez rappelé que le regain de croissance est lié à des causes conjoncturelles - remontée de l'euro, baisse du prix du pétrole et des taux d'intérêt. Il se trouve que ces jours derniers, on a vu combien ces tendances pouvaient être fragiles. Quelle est votre appréciation ?
La négociation est en cours sur le traité transatlantique, qui vise à créer une grande zone de libre-échange. La filière bovine française est très inquiète : nous ne nous battons pas, d'un côté et de l'autre de l'Atlantique, avec les mêmes atouts, et nos deux modèles entrent totalement en opposition. Faut-il rappeler les crises successives autour de la viande bovine ? Faut-il rappeler le modèle, qu'avec notre population, nous entendons privilégier - taille des exploitations, circuits courts, qualité de la viande ? Pouvez-vous nous rassurer et témoigner que vous attachez une attention particulière à ce volet de la négociation, essentiel pour nos territoires ruraux ?
Sur les « carrousels » de TVA, je ne dispose pas ici de données précises, Monsieur Bouvard, mais je vous les ferai parvenir.
Ce que vous dites de la comptabilité de bilan pourrait, en effet, être important pour une future évolution du pacte de stabilité, même s'il faut être très prudent, afin de préserver simplicité et rationalité. D'aucuns proposent de reporter considérablement les pouvoirs de la Commission en matière de surveillance budgétaire : c'est un sujet sur lequel je reste extrêmement circonspect. J'en profite pour indiquer que les investissements de défense n'entrent pas dans le champ de ceux qui peuvent être décomptés du déficit dans le processus de surveillance. Ce n'est pas un sujet tabou à Bruxelles, et chacun est conscient du rôle que joue la défense nationale française au service de l'Europe. Mais j'incline à penser que plus le processus de défense sera européanisé, y compris en matière de décision, plus la question de la prise en compte des investissements de défense s'en trouvera simplifiée. Cette voie me paraît préférable à celle qui consisterait à ouvrir la discussion sur des investissements supplémentaires à exclure, qui nous entraînerait dans un engrenage périlleux et finirait par nous conduire à exclure toute sorte d'investissements.
L'emploi des jeunes est une priorité, et nous encourageons, bien sûr, les mesures spécifiques.
S'agissant de la dépense publique, Monsieur Dominati, vous savez ce que sont les engagements du Gouvernement français, au travers du programme de stabilité qu'il vous a soumis. Il est vrai que la part de la dépense publique est importante, voire excessive, mais elle devrait tendre à se réduire dans les années à venir compte tenu de l'amélioration de la situation économique, et parvenir à un niveau plus honorable, autour de 54 %, en fin de programme.
Sur la Grèce, les institutions internationales et les institutions européennes travaillent ensemble. Ceci pour répondre à la question d'Éric Doligé. La Commission européenne, la BCE et le FMI n'ont certes pas la même logique institutionnelle, ni les mêmes programmes, mais elles travaillent solidairement, et il serait factice et néfaste de tenter de les opposer. On n'est plus dans la logique de la troïka, avec des missions de fonctionnaires se déplaçant sur le terrain pour venir donner des ordres aux gouvernements, mais le travail est conjoint, y compris avec le mécanisme européen de stabilité, dans le cadre du groupe de Bruxelles. Il est fondamental que ces institutions prennent, in fine, des positions communes, même si sur tel ou tel sujet, elles peuvent, en vertu de leur nature même, avoir des analyses divergentes, et c'est pourquoi un travail de concertation est en permanence mené.
Il n'y a pas eu, Monsieur Dallier, de crash test, tout simplement parce que le scénario de sortie de la Grèce doit être à tout prix évité. Il serait extrêmement dangereux pour la force de l'euro, pour son sens politique. L'euro est bien davantage qu'une zone de taux de change fixes, c'est une monnaie commune, ce qui implique une irréversibilité. Une sortie changerait la donne, et la mettrait en danger. Nous sommes donc entièrement tendus vers la recherche d'un accord.
Vous m'interrogez également sur les choix du Gouvernement français en matière de réduction des déficits. J'ai dit que nous ne sommes pas prescriptifs sur le choix des réformes, mais il est entendu qu'ensuite, nous les évaluons.
Les évolutions récentes, Monsieur Patriat, ne me paraissent nullement inquiétantes. Quand on est à un niveau très bas - je pense au prix du pétrole ou aux taux d'intérêt -, on peut s'attendre à une forme de normalisation, qui n'a pas lieu de préoccuper si la remontée reste contenue. Mais il est vrai qu'il peut advenir, un jour, même s'il est clair que ce n'est pas demain, que l'inversion devienne plus sérieuse, et c'est bien pourquoi je dis, qu'il ne faut pas se contenter de bâtir sur du sable, et qu'il faut profiter de la phase haute du cycle pour construire du durable, grâce à des réformes structurelles qu'il revient à chaque pays de conduire, avec sa sensibilité politique.
Le traité transatlantique, Monsieur Husson, nous offre des opportunités et c'est pourquoi j'y suis, comme la Commission, favorable. Mais nous serons très vigilants sur les négociations, notamment dans leur volet agricole. Je n'oublie pas, quant à moi, que je suis un commissaire français, et que comme tel, il me revient de refléter, sur les dossiers qui ne sont pas les miens, les positions de mon pays auprès de la Commission. N'hésitez donc pas à me saisir.
Permettez-moi d'ajouter une question, qui porte sur la mise en place d'un salaire minimum en Allemagne. En a-t-on mesuré, depuis, les effets, notamment sur notre écart de compétitivité avec ce pays ?
La France doit-elle, à votre sens, suivre la voie qu'a empruntée l'Allemagne depuis 2003, avec les lois Hartz. Certes, le chômage a beaucoup diminué en Allemagne. Mais avec la fin des aides aux communes et aux länder, toute évolution s'est trouvée bloquée dans le pays.
Je vous remercie d'avoir souligné que vous étiez favorable au traité transatlantique. C'est courageux, et ambitieux. Nous avons mis en place un groupe de travail commun à nos commissions des affaires européennes et économiques pour présenter les détails de ce projet de traité à nos collègues. Il est vrai que les négociations avec les États-Unis sur le volet agricole, y compris les indications géographiques protégées, et sur la question des investissements directs étrangers sont assez crispantes. La vigilance dont vous nous assurez est donc bienvenue.
Je rebondis sur la question de François Patriat. Le fait est que l'embellie que nous connaissons peut présenter un danger si elle nous conduit à repousser sine die des réformes structurelles indispensables, en particulier en matière de coût du travail, de souplesse du marché du travail, de dépenses de santé et de retraites. À quoi j'ajoute que l'économie du XXIème siècle sera tout entière numérisée. Comme nous l'a confirmé notre récente rencontre, à Strasbourg, avec le commissaire Ansip, un marché unique numérique opérationnel pourrait représenter une contribution de 415 milliards d'euros par an à notre économie, et l'on ne peut que s'en réjouir. Mais si nous ne menons pas les réformes délicates qui restent devant nous, nos fragilités n'en seront qu'aggravées.
Je vous rejoins. J'ai dit que j'étais favorable au TAFTA ; c'est ma position personnelle et celle de la Commission. Je participe au groupe de travail qui, autour de Cecilia Malmström, travaille aux différents aspects de ce traité. Je garde les préoccupations françaises très présentes à l'esprit, et je sais que le Gouvernement français est également très engagé dans cette négociation. Nous restons très vigilants sur toute une série de sujets. Ce traité ne sera bénéfique que s'il est bien négocié, et dans la transparence, car l'adhésion de l'opinion lui est essentielle.
Il est un peu tôt, Madame Schillinger, pour évaluer les effets du SMIC allemand. Et je me garderai de proposer des réformes Hartz à la française, car nos systèmes ne sont pas comparables. Reste que vu de la Commission, la réforme clé est celle du marché du travail, car nous constatons que tous les pays qui ont mené une telle réforme ont de meilleures performances.
Je veux rassurer Éric Doligé : je ne suis pas victime d'un dédoublement de la personnalité. Je sais qui je suis. Je suis français, et membre, à l'échelle européenne, de la famille socialiste. Cette Commission européenne est une commission politique : elle est uniquement composée d'hommes et de femmes politiques. Elle compte quatorze membres du PPE, huit socialistes, cinq libéraux, et un Britannique ! Nous avons, jusqu'à présent, pris nos décisions à l'unanimité. Nous travaillons dans une ambiance transpartisane où chacun respecte le travail de ses collègues, sans renoncer à ses convictions. Je reste un homme engagé, j'appartiens à un parti politique et le texte que j'ai signé l'a également été, si je ne me trompe, par certains membres du Gouvernement français. Je préfère les réformistes et les proeuropéens à ceux qui ne le sont pas. Ce qui ne m'empêche pas, dans l'exercice de ma fonction, d'agir dans une stricte neutralité, en fonction de règles ; c'est une question de crédibilité. J'observe que personne, lorsque je me suis rendu devant le Bundestag, n'a songé à me poser la question que vous me posez. Mon prédécesseur, qui appartenait à un autre parti, n'a pas plus que moi coupé les ponts en devenant commissaire européen. Être fidèle à ses convictions n'empêche pas de travailler dans la collégialité, en commissaire impartial. S'abstenir d'en faire état serait d'une hypocrisie totale. Quant au contenu du document auquel vous faites allusion, je relève qu'il fait écho à certaines recommandations de la Commission qui, s'agissant de l'Allemagne, notamment, observe que ce pays dispose de marges de manoeuvre budgétaires qu'il peut utiliser davantage à la relance de l'investissement public et privé et en matière d'infrastructures. Et j'ai pu me rendre compte, au Bundestag, que c'est un sentiment qui est partagé sur tous les rangs en Allemagne, où le Gouvernement a d'ailleurs lancé un programme d'investissement de 15 milliards d'euros, dont dix pour les infrastructures et cinq pour encourager les collectivités locales qui en ont besoin.
J'ai dit en quoi les méthodes de travail de cette commission étaient nouvelles. Elles permettent de travailler collégialement dans le respect des convictions de chacun. Je retrouve, comme commissaire européen, les instances que j'ai connues lorsque j'étais ministre des finances - G7, G20, FMI, Eurogroupe, Ecofin - et mon changement de casquette n'a pas changé pour moi les choses. En revanche, l'image de la France à l'échelle de l'Union européenne et à la Commission me préoccupe. Le débat du 25 février a été, je l'ai dit, difficile. J'encourage les ministres, les parlementaires, à venir dialoguer avec la Commission. Plus on échange à Bruxelles, plus on convainc qu'il y a, dans notre pays, des choses qui bougent, plus on améliore son image. Si le débat du 13 mai a été plus serein que celui du 25 février, c'est aussi, incontestablement, parce que les ministres français sont allés à Bruxelles mener ce travail de conviction auprès de tous les commissaires. Cela permet aussi, en retour, de mieux intégrer les préoccupations européennes, au lieu de considérer l'Europe comme ennemie ou lointaine. Plus on européanise la politique intérieure, plus les relations sont aisées. Comme Français, et comme Européen, je souhaite par-dessus tout que l'image du grand pays qui m'a vu naître s'améliore. C'est ainsi que je vois, aussi, ma tâche de commissaire français.
Merci de votre volonté, que nous partageons. Nous avons été très bien reçus, à Bruxelles, quand nous y sommes venus, avec le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale et les rapporteurs généraux de nos deux assemblées. Nous entretenons également le dialogue avec nos collègues parlementaires des autres États membres. C'est aussi par là que l'on peut améliorer l'image de notre pays.
La réunion est levée à 10 heures 55.
Enfin, la commission entend M. Bernard Delas en vue de sa possible nomination en qualité de vice-président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.
Par courrier en date du 23 avril dernier, le secrétaire général du Gouvernement a fait savoir au Président du Sénat que les ministres chargés de l'économie, des affaires sociales et de la mutualité envisageaient de nommer Bernard Delas au poste de vice-président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).
En application de l'article L. 612-5 du code monétaire et financier, les commissions des finances donnent leur avis sur cette nomination. En l'absence d'avis sous un délai de trente jours, celui-ci est réputé favorable.
Bernard Delas a été entendu tout à l'heure par la commission des finances de l'Assemblée nationale. Nous voterons à l'issue de son audition.
Je rappelle que l'ACPR est née de la fusion de la Commission bancaire, organe placé sous l'égide de la Banque de France, et de l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (ACAM).
Lors de cette fusion, l'ACAM et le secteur de l'assurance, craignant une absorption par la Commission bancaire, s'étaient interrogés sur le devenir de la régulation applicable au secteur de l'assurance.
C'est pourquoi il a été prévu que le vice-président de l'ACPR serait une personnalité qualifiée dans le secteur de l'assurance, le président étant le Gouverneur de la Banque de France. Le vice-président siège dans toutes les formations du collège de l'ACPR, y compris le sous-collège banques.
Monsieur Delas, je vous propose que, dans un premier temps, vous nous présentiez les grandes lignes de votre parcours professionnel et que vous nous indiquiez quels sont vos mandats actuels dans le secteur de l'assurance. Je le suppose mais vous nous confirmerez que vous n'êtes pas en situation de conflit d'intérêts ; si tel n'était pas le cas, quels sont vos intérêts ?
En ce qui concerne mon parcours professionnel, mon curriculum vitae vous a été communiqué. Je me contenterai de vous donner quelques points de repère sur mon parcours dans l'assurance. Il s'étale sur plus de quarante ans.
En étant un peu schématique je distinguerai quatre périodes.
La première correspond à ma carrière au sein de Groupama Assurances, qui a duré vingt-neuf ans. Au cours des dix premières années, j'ai eu la chance d'occuper des fonctions très variées dans les différents départements de la Samda qui était à l'époque la plus importante des filiales de Groupama. Cette expérience a été très formatrice. Elle m'a permis de découvrir quelques-unes des multiples facettes de l'assurance et d'acquérir les bases de ce qui est devenu mon métier d'assureur. J'ai ensuite accédé à des responsabilités de direction à la Samda d'abord, au siège du groupe ensuite avant de me voir confier en 1990 la direction générale d'une caisse régionale, en 1993 celle de Groupama Assurances France et enfin, en 1995, la direction générale du groupe.
Au cours de cette période, Groupama s'est profondément transformé et a changé de taille. J'ai bien sûr contribué à mon niveau à ces transformations. Je citerai trois événements qui ont marqué l'histoire de ce groupe et auxquels j'ai pris une part active : à la fin des années 1980, la mutualisation de la Samda et sa fusion avec les Assurances Mutuelles Agricoles pour donner naissance à Groupama ; au début des années 90, la fusion des caisses régionales dont le nombre passe en quatre ans de soixante-sept à une vingtaine ; en 1998, la privatisation du GAN et son acquisition par Groupama.
En 2000, je quitte Groupama pour CNP Assurances, groupe public et premier assureur vie français : c'est le début de la deuxième période. Au sein du directoire, je suis chargé de développer le réseau international du groupe. C'est une expérience passionnante. Pendant un peu plus de trois ans, je structure le dispositif qui permet à CNP de promouvoir auprès de grandes banques étrangères et de réseaux postaux son modèle original de bancassurance. Modèle qu'elle a développé en France, avec le succès que l'on sait, en vendant ses produits dans les réseaux de la Poste et des Caisses d'Épargne.
Pour ne donner qu'un exemple de mes réalisations au cours de cette période, je citerai l'acquisition et la restructuration de Caixa Seguros au Brésil. Cette filiale de la CNP a depuis connu un développement remarquable et contribue aujourd'hui de façon très significative aux résultats du groupe.
La troisième période débute en 2004, lorsque je rejoins Crédit Agricole SA, la holding de tête du groupe Crédit Agricole. La mission qui m'est confiée est, comme à la CNP, de créer ex nihilo un réseau international « Assurance ». Je constitue les équipes au siège afin d'accompagner un développement très rapide qui se fait par acquisition ou création de sociétés d'assurance. C'est une aventure professionnelle très stimulante. Elle me permet de découvrir de l'intérieur l'efficacité du modèle de bancassurance du Crédit Agricole ainsi que le monde de la banque qui est tellement différent de celui de l'assurance.
Au moment où je prends ma retraite au 1er janvier 2010, Crédit Agricole Assurance est présent dans une quinzaine de pays et l'international représente plus de 20 % du chiffre d'affaires du groupe.
Enfin, la quatrième période correspond au conseil stratégique indépendant : retraité et souhaitant rester actif, je décide de me lancer dans une activité de conseil indépendante. C'est l'activité que je développe depuis cinq ans. J'ai une dizaine de clients : ce sont pour l'essentiel des sociétés d'assurance étrangères ou des assureurs français que je conseille sur leur stratégie internationale.
Je conclurai ce rapide survol de mon parcours dans l'assurance en mentionnant d'une part une incursion dans le monde de la sécurité sociale que j'ai connu en exerçant pendant trois ans simultanément les fonctions de directeur général d'une caisse régionale de Groupama et de directeur général d'une caisse de mutualité sociale agricole ; d'autre part, mes responsabilités à la fédération française des sociétés d'assurances (FFSA) dont j'ai été vice-président ou à la fédération française des sociétés d'assurances mutuelles (FFSAM) dont j'ai été président.
Je répondrai bien sûr tout à l'heure à vos demandes d'éclaircissements ou de précisions sur mon parcours professionnel mais je voudrais au préalable vous dire dans ce propos liminaire pourquoi je suis candidat aux fonctions de vice-président de l'ACPR et ce que je pense pouvoir apporter à l'autorité de supervision.
Les motifs de ma candidature sont les suivants : j'ai pour habitude de m'investir complétement au service des entreprises pour lesquelles je travaille et, tout au long, de ma carrière professionnelle, j'ai surtout eu l'occasion de défendre des intérêts particuliers ou, lorsque j'ai eu des responsabilités à la FFSA, des intérêts catégoriels.
Pour cette ultime étape de ma carrière, je serais très heureux de passer de la sphère privée à la sphère publique et de mettre mon expérience de l'entreprise au service d'une institution qui exerce ses missions au nom de l'intérêt général.
L'ACPR est une autorité indépendante adossée à la Banque de France. Sa mission principale est de veiller à la préservation de la stabilité du système financier et à la protection des clients. Elle est présidée par le gouverneur de la Banque de France. Depuis la fusion, en 2010, des instances de supervision de la banque et de l'assurance, les textes prévoient que son vice-président doit disposer d'une expérience professionnelle dans l'assurance.
C'est à cette fonction que je suis candidat. Il me semble en effet que mon parcours professionnel, tout entier consacré à l'assurance, m'a préparé à exercer cette responsabilité.
Les différents postes que j'ai occupés au sein de trois groupes français - un assureur mutualiste, une institution publique, un bancassureur - mes responsabilités dans la profession ainsi que les clients que j'ai accompagnés comme consultant m'ont permis d'acquérir une expérience approfondie et une vision transversale du monde de l'assurance en France.
Si ma candidature était retenue, j'apporterais à l'ACPR mon expérience et mes compétences dans les domaines suivants : une longue pratique des principaux métiers de l'assurance dommage, de l'assurance vie et de la réassurance ; une connaissance approfondie des marchés de l'assurance et de la bancassurance en France et à l'étranger ; une expérience confirmée de la direction générale de sociétés ou de groupes d'assurance de tailles très diverses en France et à l'étranger ; une expertise plus spécifique, toujours dans l'assurance, pour tout ce qui touche à la réflexion stratégique, à l'international, aux fusions et acquisitions ainsi que la création de nouvelles sociétés d'assurance.
Je terminerai mon propos en vous présentant ma vision du rôle de l'ACPR et des défis auxquels elle est confrontée.
Le rôle de l'ACPR pour la régulation de la banque et de l'assurance en France est essentiel. Sous l'impulsion du Parlement, il s'est beaucoup renforcé au cours de ces dernières années notamment à la suite de la crise bancaire de 2008. Un cadre réglementaire prudentiel rénové dont les grandes orientations sont définies au niveau international et européen se met en place étape par étape. La transposition en droit français de la directive CRD 4 et l'entrée en vigueur du mécanisme de surveillance unique (MSU) constituent pour le secteur de la banque une avancée considérable. Dans l'assurance, la transposition de la directive « Solvabilité II » est maintenant réalisée depuis début avril. Le décret et l'arrêté d'application viennent d'être publiés et « Solvabilité II » pourra effectivement entrer en vigueur au 1er janvier 2016.
Ce nouveau cadre réglementaire impose aux banquiers et aux assureurs de nouvelles exigences et confère au superviseur des leviers d'action beaucoup plus nombreux et plus puissants pour faire appliquer et respecter les normes prudentielles.
Il s'agit d'avancées remarquables qui ont d'ores et déjà permis une appréciation beaucoup plus juste des risques auxquels les banques et les sociétés d'assurance sont confrontées et un meilleur calibrage des exigences de fonds propres.
Tous les acteurs concernés, le législateur, les régulateurs à l'échelon national comme à l'échelon européen mais aussi les banquiers, les assureurs et leurs organisations professionnelles ont accompli un travail immense pour élaborer, tester et adapter à la réalité du terrain ces nouveaux dispositifs. Il faut à cet égard saluer la qualité des équipes de l'ACPR, unanimement reconnue, tant en France qu'à l'étranger, et qui ont joué un rôle majeur pour que ces nouvelles normes européennes prudentielles deviennent réalité.
Cela ne signifie pas que les défis à relever ne demeurent pas nombreux. Le dispositif réglementaire prudentiel mis en place est particulièrement performant mais il est aussi sophistiqué et complexe. Il ne produira les effets positifs que nous en attendons que si nous savons instaurer entre contrôleur et contrôlés un dialogue étroit et confiant afin de procéder, en marchant, à la nécessaire adaptation de cet outil à la réalité de l'entreprise et aux véritables besoins de la régulation.
Si je rejoignais l'ACPR, j'exercerais mes nouvelles responsabilités au sein du collège de supervision en toute indépendance et j'aurais évidemment à coeur le respect des textes et leur application rigoureuse. Mais je m'efforcerais aussi de rappeler que la véritable efficacité du nouveau cadre prudentiel se mesure d'abord au niveau de l'entreprise lorsque celle-ci le met à profit pour mieux gérer ses risques, c'est-à-dire pour mieux faire son métier.
J'ai plusieurs questions à vous poser. L'une concerne les fonctions exercées au cours de votre carrière, dans la perspective d'éventuels conflits d'intérêts, problématique évoquée par la présidente dans son propos liminaire. Je lis dans votre curriculum vitae que vous êtes Senior advisor du groupe portugais Espirito Santo Financial, dont la banque est confrontée à une faillite retentissante. Quelles sont vos fonctions au sein de ce groupe ? D'autres de vos fonctions pourraient-elles également être la source de conflits d'intérêts ?
J'ai par ailleurs entendu hier l'ACPR, dans le cadre d'un travail conjoint avec mon collègue Claude Raynal, relatif au pouvoir de sanction des régulateurs financiers. Pensez-vous que le montant des sanctions prononcées par l'ACPR est approprié ? Faut-il revoir les plafonds des sanctions ? De façon plus générale, estimez-vous que l'ACPR exerce son pouvoir de manière efficace ou bien considérez-vous, au contraire, que des améliorations seraient souhaitables en ce domaine ?
Enfin, nous avons tenu le 6 mai dernier une table ronde sur l'assurance vie et les contrats d'assurance vie luxembourgeois, qui nous a laissés un peu sur notre faim. Nos interlocuteurs nous ont en effet expliqué que la réglementation française s'appliquait au niveau de la souscription, mais qu'ensuite, les règles applicables relevaient largement du régulateur luxembourgeois. Quelle est votre position sur la régulation des contrats d'assurance vie, notamment luxembourgeois, souscrits en France en libre prestation de service ?
Mes questions s'apparentent à celles du rapporteur général. Tout d'abord, je souhaiterais que vous précisiez votre définition de la supervision bancaire dans les conditions d'aujourd'hui, après les années de crise que nous avons connues.
Ensuite, j'ai également une question sur cette banque portugaise qui a fait parler d'elle en mars dernier : 5 000 de ses clients ont troqué leur épargne contre des créances toxiques de Rio Forte Espirito Santo international ; cette banque, qui avait mis en place un système de financement occulte de son principal actionnaire en passant par sa filiale au Panama, a été sauvée de la faillite en 2014 ; deux entités luxembourgeoises du groupe Espirito Santo ont également fait faillite. Autant d'évènements qui interpellent sur cet établissement que vous avez conseillé. Tout cela fait beaucoup... Je voudrais donc savoir quel était votre rôle en tant que conseil de cette banque. Je ne vous cache pas que cette situation me pose évidemment question.
Je souhaiterais connaître votre vision des fonctions de l'ACPR, plus particulièrement s'agissant de sa mission de protection des particuliers, en veillant à leur bonne information dans tous les produits financiers qui sont distribués. En effet, chacun sait que, dans le secteur de l'assurance, l'évolution du contexte macroéconomique n'est pas sans poser des difficultés, telle que l'existence de risques portant, par exemple, sur la qualité et la fiabilité des taux d'intérêt actuellement proposés. À cet égard, j'estime que, par le passé, l'ACPR a fait preuve de timidité.
Pensez-vous qu'il existe un risque sérieux de déstabilisation des assureurs français et européens en cas de remontée brutale des taux d'intérêt ?
Ensuite, j'aimerais connaître votre position sur la question des comptes inactifs et des contrats d'assurance vie non réglés. Les banquiers et les assureurs doivent apurer au maximum le stock avant l'entrée en vigueur de la loi « Eckert » le 1er janvier prochain, date à laquelle débuteront les transferts à la Caisse des dépôts et consignations. Quel doit être pour vous le rôle de l'ACPR dans ce processus ?
Comme le rapporteur général, je souhaiterais que vous évoquiez la question des assureurs étrangers qui commercialisent les contrats d'assurance vie en France, pour évoquer en particulier le cas du Luxembourg.
Enfin, l'une des priorités de l'ACPR en 2015 sera la mise en oeuvre du principe de séparation des activités bancaires avec une filialisation des activités de trading pour compte propre à partir du 1er juillet 2015. La loi prévoit cependant des exceptions, en particulier pour ce qui concerne les activités de tenue de marché. Comment l'ACPR peut-elle contrôler la bonne application de la loi ? À votre avis, est-elle en mesure de vérifier ce qui relève du trading pour compte propre et de la tenue de marché ?
S'agissant de la question des conflits d'intérêt, si ma candidature était retenue, je renoncerais bien évidemment à tous mes mandats en France et à l'étranger, ainsi qu'à mes activités de conseil extérieur auprès d'une dizaine de clients qui sont des assureurs français et étrangers. Je les ai d'ailleurs déjà prévenus de cette éventualité. Ma position à l'ACPR serait donc exclusive de toute autre activité et de tout autre mandat.
Concernant le groupe Espirito Santo, j'ai effectivement été, il y a cinq ans, Senior advisor de cet établissement. J'ai acquis cette position à la suite des responsabilités que j'ai exercées au sein du groupe Crédit agricole, qui était un partenaire du groupe Espirito Santo au Portugal. J'ai plus particulièrement exercé ma fonction de conseil au sein de la filiale assurance du groupe, dénommée Tranquilidade Seguros. Cette filiale a donc été mon client au cours des cinq dernières années. J'ai accompagné son équipe dirigeante pour l'aider à restructurer et à transformer cette société d'assurance au Portugal. Mon mandat avec ce client portugais a pris fin en janvier 2015. J'ai en effet accompagné de manière indirecte le régulateur portugais au moment où il a fallu vendre la société Tranquilidade Seguros, privée d'actionnaire du jour au lendemain, à un investisseur international. Son capital a été racheté le 15 janvier dernier par le fonds d'investissement américain Apollo.
En ce qui concerne les pouvoirs de sanction de l'ACPR, cette dernière décide du montant des sanctions à appliquer dans le cadre de la commission des sanctions, qui est indépendante du collège de supervision. Dans le droit actuel, on distingue la situation des banques et celle des assurances. Dans ce dernier secteur, la sanction maximale, exprimée en valeur absolue, s'élève à 100 millions d'euros.
S'agissant des banques, du fait de la directive européenne applicable au monde bancaire dans l'ensemble de la zone euro, les sanctions maximales s'expriment en pourcentage du chiffre d'affaires net des banquiers et non pas en valeur absolue. Si je comprends bien votre question, vous souhaitez savoir si, à titre personnel, je serais favorable à ce que l'on évolue vers une harmonisation en ce domaine. Mon premier réflexe serait de répondre positivement. Il ne semble en effet pas y avoir de raison d'avoir des normes distinctes pour les banques et les assurances, à condition cependant de traiter quelques problèmes techniques afférents. Il conviendrait notamment de bien s'entendre sur la définition adéquate du chiffre d'affaires.
On peut évoquer d'autres sujets sur la politique de sanction de l'ACPR. En matière juridique, il faudrait probablement évoluer vers une harmonisation avec les pratiques de l'Autorité des marchés financiers, les deux autorités collaborant étroitement sur de nombreux sujets.
Je pense par exemple à la possibilité d'appliquer à la fois une sanction administrative et une sanction pénale. Toutefois, l'ACPR est sans doute moins susceptible d'être confrontée à des conflits entre une sanction disciplinaire et une sanction pénale, compte tenu de son rôle. Mais ce sont effectivement des sujets qui sont sur la table et sur lesquels je me montrerais vigilant si j'étais nommé à la vice-présidence de l'ACPR.
Concernant les contrats luxembourgeois, il est vrai qu'une part limitée de l'activité, notamment pour les clients disposant d'un contrat d'un montant moyen élevé, est confiée à des assureurs luxembourgeois, lesquels s'avèrent même parfois être des filiales de groupes bancaires ou d'assurance français ou étrangers. Pour autant, un souscripteur d'un contrat d'assurance vie vendu en France est soumis à la réglementation juridique et fiscale française, quelle que soit la société d'assurance qui porte le risque. En revanche, une fiscalité différente s'applique effectivement aux sociétés d'assurances, en particulier s'agissant de l'imposition sur les sociétés. En Europe, il existe malheureusement encore des différences de fiscalité entre les pays qu'il conviendrait certainement d'atténuer au cours des prochaines années.
En réponse à Éric Bocquet, s'agissant de l'efficacité de la supervision des banques et des assurances, je suis convaincu que la situation s'est effectivement améliorée à la suite des dernières dispositions législatives adoptées. Le dispositif actuel offre des garanties en termes de solidité et de sécurité des acteurs. Est-ce, pour autant, qu'il sera suffisant pour éviter de nouvelles crises ? Certainement pas, mais il permettra de nous y préparer mieux et peut être d'en limiter l'impact. Les crises appartiennent nécessairement au système, elles seront d'autant plus violentes et auront une vitesse de propagation d'autant plus forte que nos économies sont ouvertes à l'international. C'est la raison pour laquelle il est nécessaire de s'y préparer au mieux et d'agir avec prudence, même si les procédures sont parfois lourdes pour les acteurs.
Je souhaite d'ailleurs préciser qu'une crise dans le secteur bancaire a un caractère généralement plus systémique que dans celui des assurances. Le risque de propagation au reste de l'économie est plus grand pour une banque qui a des difficultés que pour une société d'assurance dont les engagements et les placements sont de plus long terme et qui a généralement davantage de temps pour gérer les effets de la crise. La problématique de la liquidité est essentielle pour les banquiers, bien plus relative pour les assureurs.
Pour répondre à Maurice Vincent, j'ai effectivement le sentiment que l'ACPR s'intéresse depuis plusieurs années, et devra continuer à le faire à l'avenir, aux modalités selon lesquelles les clients des établissements bancaires et des sociétés d'assurances sont informés du contenu de leurs contrats, des risques encourus... À mon sens, leur information doit d'ailleurs encore être améliorée et cela constituera un axe prioritaire de mon action si j'accède aux fonctions de vice-président de l'ACPR, compte tenu de mon expérience passée.
Concernant les contrats en déshérence, madame la Présidente, le droit n'a pas toujours été correctement appliqué et l'ACPR a procédé à des contrôles qui ont conduit à dresser des constats et même à infliger des sanctions significatives à trois groupes d'assurances.
La loi du 13 juin 2014 relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d'assurance vie en déshérence, dite « loi Eckert », qui entrera en vigueur le 1er janvier 2016, a renforcé les obligations des sociétés d'assurance. Celles-ci réalisent un important travail afin de se conformer aux dispositions de cette loi. Les résultats devraient pouvoir être constatés dans le rapport au Parlement que l'ACPR est censée remettre avant le 1er mai 2016.
S'agissant de votre question sur le risque de déstabilisation des assureurs français et européens compte tenu du contexte actuel de taux d'intérêt très bas, il est évident que, notamment pour le secteur de l'assurance vie, la situation n'est pas aisée. En effet, soit l'assureur recherche un placement rentable, qui s'avère alors risqué et susceptible de remettre en cause la stabilité du système ou, a minima, de certains acteurs du marché, soit il se contente d'un investissement prudent au rendement bien plus faible qui ne permettra pas de servir un taux moyen de rendement suffisant. Ainsi, lorsque les taux des titres souverains s'établissent à 1 %, il n'est pas possible d'obtenir un taux moyen de rendement tel que constaté l'an dernier de 2,5 % pour les contrats d'assurance vie. Seul l'existence d'un stock de placements plus ancien et à rendement plus élevé a permis cela en 2014. Lorsque ceux-ci auront été, au fur et à mesure remplacés, par des placements à plus faible rendement, ces taux seront intenables.
Si les taux bas devaient perdurer, leur suivi constituerait l'un de mes dossiers les plus préoccupants dans le cadre de mes nouvelles compétences au sein de l'ACPR.
Les assureurs français encourront encore plus de risques si les taux d'intérêt devaient augmenter, surtout si cette remontée était brutale. Ils se retrouveraient ainsi à vendre des obligations en moins-values et à enregistrer des pertes afin d'honorer des rachats d'assurance vie à des clients qui voudraient réaliser des placements plus rentables. Si ce risque doit faire l'objet d'une attention particulière sur le marché français, les taux bas sont encore plus problématiques en Europe du Nord, dans la mesure où une pratique répandue consiste à retenir des taux garantis qui s'avèrent alors extrêmement difficiles à respecter pour les assureurs. La seule solution est de disposer de fonds propres toujours plus importants.
S'agissant de la séparation des activités bancaires, je ne suis pas en mesure de m'exprimer à ce stade. Si je connais, bien sûr, la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires, je ne connais pas la pratique des établissements. Toutefois, si je suis nommé à mes nouvelles fonctions à l'ACPR, je serai sans doute à même de vous répondre à l'occasion d'une nouvelle audition dans quelques mois.
Pour approfondir le sujet que vous connaissez bien, celui des assurances, je souhaiterais évoquer les inquiétudes, que nous partageons tous, liées à une remontée brutale des taux d'intérêt. Avez-vous des pistes d'amélioration, des mesures de protection qui pourraient être prises ?
Par ailleurs, quelle est la durée du mandat de vice-président de l'ACPR ?
Le mandat est prévu pour cinq ans.
Concernant la première question, les outils existants ne sont pas très nombreux et l'ACPR doit faire oeuvre de prospective, me semble-t-il, avec une connaissance précise de la situation, très variable, de chaque assureur, dans l'objectif de limiter les effets négatifs, potentiellement dévastateurs, de la hausse brutale des taux d'intérêt.
Si la situation s'avérait particulièrement grave d'un point de vue macroéconomique, l'adoption de nouvelles mesures, notamment législatives, n'est pas à exclure. Toutefois, nous n'en sommes pas là, et rien n'indique que nous nous dirigeons vers cela. Tout comme le secteur bancaire, les sociétés d'assurance européennes, et tout particulièrement françaises, ont été soumises à de nombreux stress tests dans le cadre de la mise en oeuvre de Solvabilité II et ont bien réagi. Il appartient tout de même à l'ACPR d'imaginer des scénarii pour l'avenir, y compris les plus extrêmes, afin que le secteur s'y prépare.
La commission procède ensuite au vote sur la proposition de nomination du vice-président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et au dépouillement du scrutin.
MM. Philippe Dallier et François Marc, secrétaires, sont désignés en qualité de scrutateurs.
Mes chers collègues, voici le résultat du vote :
- Nombre de votants, en tenant compte des délégations : 25
- Blancs : 2
- Suffrages exprimés : 23
- Pour : 18
- Contre : 5
La commission émet un avis favorable à la nomination de M. Bernard Delas en tant que vice-président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.
La réunion est levée à 12 h 24.