Nous recevons Mme Jeanne Seyvet, Médiateur du cinéma. Créé par l'article 52 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, codifié aux articles L 213-1 à L 231-8 du code du cinéma et de l'image animée, le Médiateur organise une conciliation préalable « pour tout litige relatif à l'accès des exploitants d'établissements de spectacles cinématographiques et à l'accès des oeuvres cinématographiques aux salles, ainsi que, plus généralement, aux conditions d'exploitation en salle de ces oeuvres ». Vous intervenez donc en cas de position dominante ou de situation restreignant ou faussant la concurrence. Le décret du 9 février 1983 précise cette fonction. Son titulaire est nommé par décret après avis de l'Autorité de la concurrence, signé par le ministre de la concurrence et le ministre chargé du cinéma, pour un mandat de quatre ans renouvelable. Il est issu du Conseil d'État, de la Cour de cassation ou de la Cour des comptes. Vous avez été nommée par décret le 7 octobre 2011 en remplacement de M. Roch-Olivier Maistre, démissionnaire.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Jeanne Seyvet prête serment.
Le Médiateur du cinéma est une autorité administrative indépendante d'un genre particulier : elle opère dans le domaine de la conciliation, dans un secteur régulé par des politiques publiques très actives, pour des litiges entre exploitants de salles de cinéma et distributeurs de films, avec une distribution sélective. Notre structure est toute petite : je travaille moi-même à temps très partiel, aidée par un cadre A et par un agent de catégorie C, tous deux à temps plein. Le Médiateur n'a pas de personnalité juridique et est rattaché budgétairement au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC).
Mon rôle de médiation est concentré sur les litiges entre les exploitants et les distributeurs après saisine d'une des parties, de fédérations, du CNC ou auto-saisine. Il existe plusieurs milliers d'établissements de cinéma en France, une centaine de distributeurs et près de 400 films inédits sortent chaque année. La denrée rare, c'est la salle, non le film. La concurrence pour les salles est très forte entre distributeurs, dont certains sont très puissants, et entre exploitants, quelques-uns concentrant là aussi la majorité des entrées. Une typologie plus fine peut être réalisée, par exemple entre salles d'art et d'essai et multiplexes en périphérie de zone urbaine. Les litiges interviennent au moment du placement des films. Le Médiateur a un pouvoir d'injonction dont il use avec modération, sous le contrôle du Conseil d'État, mais qui est une vraie possibilité de sortir d'un litige après l'échec de la conciliation.
Le Médiateur peut aussi défricher un domaine qui fait l'objet de débats au sein de la profession, comme en 2014-2015 sur les conditions d'exploitation : nombre de semaines d'exploitation, nombre de séances qui sont de plus en plus difficiles à gérer avec la multiplication des sorties. Nous rappelons parfois des règles générales ou des bonnes pratiques qui s'appliquent au-delà du cas particulier, sous la forme de recommandations publiques. Nous intervenons sur l'organisation des avant-premières, des festivals, dont le développement peut poser des problèmes de concurrence, ou sur la diffusion de films de patrimoine. Récemment, nous avons traité de la vente liée, associant un ticket de cinéma et une boisson ou une confiserie, qui a donné lieu à de rudes débats.
Le deuxième volet de notre activité concerne la création ou l'extension des multiplexes sur un territoire, décidée par les commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC). Les parties peuvent déposer un recours devant la commission nationale (CNAC). Le Médiateur examine tous les dossiers : s'il estime que l'intérêt général n'est pas respecté, il peut lui aussi déposer un recours contre la décision de la CDAC. Nous le faisons dans 10 % des cas environ. Le flux des demandes d'autorisation ne tarit pas alors que le pays est déjà très bien équipé. L'an dernier, sur 45 dossiers, 39 ont été autorisés. Les villes et communautés urbaines ont intérêt à réfléchir à l'aménagement cinématographique, mais il faut tenir compte de l'aspect économique. Nous expliquons aux élus l'importance de préserver la dynamique des établissements déjà implantés et la diversité des formes d'exploitation sur le territoire : centre-ville ou périphérie, cinéma d'art et essai ou multiplexe, animation autour du cinéma ou zone commerciale. Les engagements de programmation que peut prendre le créateur du multiplexe sont un outil utile, mais il faut éviter que les opérateurs ou les élus ne tombent sous le coup de la politique de concurrence : un accord entre concurrents est prohibé même si la mairie est signataire...
Notre troisième mission concerne les engagements de programmation. La loi impose aux gros exploitants, locaux ou nationaux, de prendre des engagements de programmation pour garantir l'intérêt général et la diversité des oeuvres proposées, afin notamment de limiter la diffusion de blockbusters sur un nombre excessif d'écrans au détriment d'autres films. Nous émettons un avis sur les décisions des exploitants que nous publions et transmettons à l'exploitant et au CNC qui est décisionnaire. Cet outil de régulation, bien connu de la profession, est insuffisamment utilisé ; il pourrait être renforcé.
Enfin, nous publions un rapport annuel, qui fait le point sur toutes ces questions.
Votre qualité d'AAI n'est pas reconnue par la loi mais par le rapport du Conseil d'État de 2001. Qu'est-ce qui justifie ce statut ? En avez-vous besoin ?
Le Médiateur prend ses décisions en toute indépendance du Gouvernement et du CNC, bras armé de la politique du cinéma en France. Il est important que cette indépendance soit reconnue, notamment par les agents du CNC, dont nous dépendons pour nos moyens et pour diverses taches de notre vie quotidienne. Ainsi, nous voudrions faire évoluer notre site Internet, qui est vétuste, mais le CNC a d'autres priorités budgétaires... Nous faisons appel aux équipes du CNC pour des études ou du conseil juridique. L'écoute est globalement très bonne, mais il arrive, notamment lors d'un changement de personnel, que nous soyons obligés de rappeler que c'est Médiateur qui instruit les dossiers. Si aucun texte ne garantissait cette indépendance, le Médiateur serait absorbé par le CNC. Le Médiateur ne consomme pas de crédits publics : toutes ses fonctions support sont mutualisées avec le CNC. Créer une agence indépendante eût été ridicule.
Si vous estimez que c'est une priorité pour vous, vous restez sous le couperet d'une décision du CNC. Votre indépendance est relative.
Relativisons, le temps est aux économies...
Nous supposions que les administrations en réalisaient quelle que soit la période, et nous comptons sur la Cour des comptes !
Je ne critiquais pas mais donnais un exemple tangible de la vie quotidienne.
Le CNC a des relations très étroites avec la profession et attribue des subventions et des aides pour l'exploitation ou la distribution ; difficile pour lui de se poser en autorité non liée aux parties, à la différence du Médiateur.
Ce n'est pas du tout dans mes attributions. En cas de contestation, le ministre serait saisi, puis le tribunal administratif.
Avez-vous pour rôle de veiller à ce que la loi et la réglementation ainsi que les règles de concurrence soient bien respectées par les parties ?
Même si je peux être amenée à rappeler la loi et la réglementation en vigueur, l'objectif de la médiation est de sortir du litige avec un accord.
Il peut le faire, c'est arrivé une fois dans l'histoire du Médiateur, sur les dispositifs destinés aux scolaires.
Si la conciliation n'aboutit pas, avez-vous un pouvoir d'injonction qui s'impose aux parties ?
De fait, les parties suivent nos injonctions. Si ce n'était pas le cas, il faudrait passer par le tribunal pour faire appliquer l'injonction. C'est très rare.
Nous avons des relations régulières mais espacées. Le ministre ne m'a jamais saisie de sujets particuliers durant mon mandat. Il doit être satisfait de cet outil qui facilite les relations. La diffusion des films en salle n'est pas un sujet médiatique ou politique, sauf exception, comme le litige sur les Champs-Élysées, mais le ministère est conscient de son importance au quotidien pour le secteur du cinéma, car cela représente un vrai goulot d'étranglement.
Nous intervenons sur des sujets précis, comme des litiges entre le distributeur d'un film diffusé dans le cadre d'un festival et l'exploitant de la ville concernée. Ainsi, un exploitant ayant conclu un accord avec un distributeur pour une sortie nationale pourrait s'estimer lésé en apprenant que le film sera présenté en festival et y voir une forme de captation de clientèle. Nous avons été saisis une à deux fois sur le sujet. En général, les festivals ne génèrent pas de litiges. Mais la tension devenant plus importante, les exploitants nous saisissent désormais.
Vous indiquiez déposer un recours contre 10% des décisions des commissions départementales. C'est considérable !
Ce n'est pas un objectif mais le simple résultat d'un examen au cas par cas.
Il existe différents cas. Ainsi, une autorisation avait été donnée pour un établissement au ras d'une zone à risque inondable.
Oui, hélas, je dois regarder l'ensemble des critères.
Belle démonstration du délitement de notre pauvre République ! Il y a pourtant une procédure de permis de construire ! Comment expliquer que le Médiateur du cinéma soit compétent en une telle matière ?
Je vous ai donné un exemple très particulier. Les textes me donnent un pouvoir de recours sur l'ensemble des critères. Le marché est tellement équipé que l'implantation d'un nouveau multiplexe peut poser problème, en restreignant la diversité des oeuvres diffusées et en éclatant les entrées - ce qui n'apporte rien aux habitants. Il déstabilise la zone et fragilise économiquement les opérateurs des salles d'art et d'essai.
Mes recours sont très nuancés. Souvent je propose que l'opérateur demandeur limite sa programmation et respecte une ligne éditoriale permettant le maintien de la diversité des formes d'exploitation - qui est une exigence du législateur. Les parties prenantes le comprennent très bien, mais les propositions sont souvent insuffisantes : s'engager à ne pas programmer de films élus par l'Association française des cinémas d'art et d'essai (Afcae), cela ne concerne que 25 petits films par an ! Le véritable enjeu est l'accès aux films d'art et d'essai porteurs, indispensables à la rentabilité des salles art et essai. Jusqu'à présent, les commissions départementales, comme la commission nationale, comptaient peu de personnes compétentes en matière de cinéma, mais elles sont en train d'être réformées. Certaines situations nécessitent un examen fin, dans des territoires très équipés, quand d'autres zones bénéficient sans hésitation de l'arrivée d'un multiplexe. Les décisions des commissions ne sont pas laxistes mais le dialogue doit être nourri entre le CNC, les élus et le Médiateur. C'est grâce à la dynamique des multiplexes qu'on a équipé le pays et poussé les exploitants de salles préexistantes à investir. Notre parc est d'une qualité remarquable, il faut s'en réjouir.
L'Autorité nous interroge parfois sur des affaires en lien avec nos missions. À l'inverse, si j'avais connaissance de faits mettant gravement en cause la concurrence, il faudrait que je la saisisse. Ce n'est jamais arrivé, même si nous avons demandé à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) une étude concernant la Réunion, où les interactions entre acteurs sont particulièrement complexes et conflictuelles, les deux principaux exploitants étant également sous-distributeurs.
Serait-il envisageable que l'Autorité de la concurrence soit en charge de la régulation ?
En général, elle nous consulte : elle n'a ni la pratique, ni la compétence.
Cet argument vaut dans tous les secteurs que traite l'Autorité ! Elle n'a pas de compétence spécialisée dans tous les domaines...
Le législateur a récemment décidé d'extraire la partie « cinéma » des CDAC et CNAC du code du commerce pour la rattacher au code du cinéma, car elle relève plus de la politique de régulation du cinéma que de la politique de concurrence.
Franchement, ne serait-il pas préférable que vous soyez rattachés à l'Autorité de la concurrence, y compris pour avoir davantage de moyens ? Cela vous garantirait une véritable indépendance. Quels en seraient les inconvénients ?
Rattacher notre activité de médiation, qui repose sur la confiance, à l'Autorité de la concurrence, me semble difficile. Comme je ne suis pas un juge, on peut tout me dire ! Je réagis pour rétablir ce qui doit l'être et trouver une issue après avoir mis à plat les difficultés.
Je comprends, j'ai moi-même fait de la médiation familiale dans une autre vie, quand j'étais avocat...
Le milieu du cinéma est particulier : s'il représente une activité économique à rentabiliser, il reste également attaché aux valeurs culturelles. Souvent la médiation ne relève pas d'aspects concurrentiels mais plutôt de la façon dont il faut valoriser un film pour qu'il rencontre son public.
J'entends bien, mais la plupart des AAI émettent des avis, comme le Médiateur.
En général, je n'émets pas d'avis : je dois inciter, susciter, explorer tous les types d'accord, aider à rechercher un terrain d'entente. Même si je donne mon avis, les parties s'accordent d'abord entre elles. Je ne publie mes recommandations que si la situation offre des enseignements plus larges, dissociées du cas d'espèce.
Autre argument qui plaide pour une proximité avec le CNC : nous avons absolument besoin de ses bases de données, comme celles des bordereaux d'entrées des exploitants. Si l'on veut économiser l'argent public, on ne peut doublonner de tels outils.
Les distributeurs et les exploitants ne vous demandent-ils jamais d'intervenir auprès des chaînes de télévision ?
Mais les accords avec les chaînes de télévision ont des conséquences sur la fréquentation des salles...
C'est la période d'exclusivité en salle, surtout la sortie nationale et la première semaine, qui sont cruciales et calibrent le succès d'un film, davantage que la négociation avec les chaînes de télévision - qui n'a aucune influence sur ces premiers jours, sauf peut-être les émissions de critiques de films.
J'apprends, dans le cadre de cette commission d'enquête, que les AAI ont un pouvoir très important par leurs avis et leurs décisions, et qu'elles dessinent grandement le paysage administratif, politique et culturel de notre pays. Ce qui m'inquiète, c'est la parenté qui se dessine entre elles. Cela ne favorise-t-il pas un schéma de pensée unique qui conduit à prendre des décisions allant toujours dans le même sens, bloquant toute créativité et inventivité ?
Les multiplexes mettent en péril les salles art et essais, dites-vous. Pourtant, ils sont souvent implantés en périphérie, et fréquentés par des ruraux, qui en tirent un vrai bénéfice. Pourquoi vouloir uniquement protéger ce qui existe ? Le cinéma est une formidable école ! Ne pourrait-on plutôt obliger les multiplexes à diffuser aussi des films d'art et d'essai, afin d'aiguiser l'appétit de cette population rurale et de répondre au souci des élus ruraux de diversifier leur offre culturelle ?
Il n'y a pas d'uniformité de pensée ou de méthode au sein des AAI. Je n'ai pas de relations avec les autres médiateurs, nous n'en avons guère le temps. C'est plutôt une mosaïque d'autorités.
Je n'ai aucun a priori sur les multiplexes : j'ai vécu dans des zones tant rurales qu'urbaines, et fréquenté toutes sortes de salles. En zone rurale, et notamment en montagne, il existe même des cinémas itinérants.
La loi de 2014 a rajouté dans les objectifs de la politique du cinéma le maintien et la protection du pluralisme non seulement des oeuvres mais aussi des formes d'exploitation, qui correspondent à des types de programmation très différents. Les multiplexes projettent plus ou moins de films d'art et d'essai, tout l'enjeu est de savoir où ils sont implantés. Quand ils sont en situation de quasi-monopole, il est important qu'ils présentent une diversité de films, et cette obligation pourrait être renforcée. Mais dans des zones bien équipées, d'autres assurent mieux cette mission, en organisant des animations spécifiques autour de petits films pour les faire connaître et donner envie de les voir : c'est tout le travail des salles d'art et d'essai. Il faut respecter ces différentes formes d'exploitation qui ont leur public, et examiner au cas par cas les demandes des multiplexes pour ne pas déstabiliser certaines zones.
Je réalise un bilan annuel dont une partie est publique, et le CNC reprend la négociation et peut prononcer des sanctions. Les engagements de programmation sont un outil de régulation difficile, mais trop peu utilisé.
Je suis maire d'une commune rurale de 4 000 habitants et j'ai de grandes difficultés à organiser une semaine du cinéma avec des distributeurs, car louer un film est extrêmement cher. Pouvons-nous vous saisir ?
Oui, vous pouvez nous saisir si vous êtes exploitant en régie directe. Il faut d'abord sérier les problèmes : quels types de films recherchez-vous, exclusivités ou films de patrimoine ? Avec quels distributeurs, dans quelles conditions économiques ? Nous pouvons ensuite organiser une réunion de conciliation.
Depuis quatre ans, nous avons accompagné, par notre médiation, la mutation du numérique qui a touché le secteur du cinéma, en complément de l'effort du CNC - et du pays tout entier - pour aider à l'équipement des salles. Les négociations entre les exploitants et les distributeurs autour des frais de copie virtuels prévus par la loi ont été difficiles. Les pratiques des distributeurs et des exploitants ont évolué et cette période redoutée s'est finalement bien déroulée grâce aux comités de concertation du CNC et à notre médiation.
Effectivement, il n'était plus possible pour une petite salle d'obtenir de films sans passer au numérique...
Le numérique permet des multiprogrammations sur un seul écran, ainsi qu'un accès aux différentes versions. Nous avons aussi accompagné l'évolution de la Dynamic Range Control (DRC).
C'est effectivement un bouleversement. Merci d'avoir répondu si directement à nos questions.
Nous recevons M. Jean-François Mary, président de la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP), instance composée à parité de représentants de l'administration de l'État et des professionnels de la presse et présidée par un membre du Conseil d'État. Les représentants des entreprises et agences de presse sont désignés sur proposition des organisations professionnelles les plus représentatives. Le président et les autres membres sont nommés par arrêté du ministre chargé de la communication pour un mandat de trois ans renouvelable. M. Jean-François Mary a succédé en mars 2014 à M. Pierre Bordry à la présidence de cette commission chargée de délivrer un avis relatif aux bénéfices du régime économique de la presse - tarifs postaux et fiscaux -, de reconnaître la qualité de service de presse en ligne (Spel) et de proposer l'inscription sur la liste des entreprises ayant le statut d'agence de presse.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-François Mary prête serment.
Je préside la commission paritaire depuis le 8 mars 2014. En raison de la nature des décisions prises, elle a été considérée comme une autorité administrative indépendante (AAI) au terme du processus qui trouve son origine dans le rapport du Conseil d'État qui en dresse la liste. Cette qualification ne découle d'aucune loi ni décision juridictionnelle.
La CPPAP n'a pas de personnalité morale. Elle fonctionne avec le soutien de l'administration, en particulier de la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC), sans que cela entraîne de conséquences directes. La Haute autorité pour la transparence de la vie publique a estimé qu'elle entrait dans le champ de la loi de 2013 et soumis ses membres aux obligations déclaratives qui en découlent.
La commission est une autorité administrative, indéniablement. Est-elle indépendante ? Elle a pour originalité d'être constituée à parité de représentants de l'administration et du monde professionnel. Historiquement, on a considéré que la presse devait être aidée au nom du respect de la libre communication des idées et des opinions, non par l'administration seule, mais associée aux professionnels. À la Libération notamment, des commissions du même type décidaient de l'attribution de ces aides. Le paritarisme a des conséquences sur l'indépendance puisque les représentants des professionnels défendent les intérêts de leurs mandants et que l'administration se représente elle-même. Elle reste indépendante dans la mesure où le président, qui ne représente que lui-même, tranche en cas d'égalité entre les voix. On constate que la confrontation des points de vue, la dialectique du débat peut faire évoluer les positions des uns et des autres.
Nous sommes une porte d'entrée, un sas ouvrant droit aux aides économiques à la presse. Le régime distingue les aides générales (taux de TVA à 2,1 % ; délivrance d'un certificat aux publications selon des critères réglementaires de périodicité, d'information, de formation et de récréation du public dans un cadre d'intérêt général ; allègements postaux) des aides plus ciblées, notamment vers les publications d'information politique et générale qui contribuent au débat démocratique et citoyen. Il s'agit pour nous de dire quelles publications répondent à ces critères. Pour certaines, cela tombe sous le sens ; pour d'autres, la qualification d'information « politique » fait débat, étant donné la diversification des centres d'intérêt de la vie publique. Le mécanisme est similaire pour les services de presse en ligne.
La principale difficulté de la CPPAP est de sélectionner les titres sans commettre d'erreur ni d'injustice. Nous nous appuyons sur un mécanisme de lignes directrices : la commission élabore une doctrine à mesure qu'elle examine les dossiers, fournissant un cadre non réglementaire aux intéressés - un repère et non un carcan. Nous nous en servons mais il ne nous oblige pas. Les publications différentes ne sont pas obligatoirement écartées.
Nous sommes une autorité administrative indépendante selon la jurisprudence constante du Conseil d'État car nous prenons des décisions, même s'ils s'appellent « avis ». Si nous refusons la délivrance d'un certificat, les administrations fiscale comme postale ne peuvent pas accorder d'aides. En revanche, en cas de délivrance d'agrément de notre part, les textes autorisent l'administration fiscale à refuser une aide : le système est asymétrique. Enfin, le recours se fait devant le Conseil d'État en cas de refus d'agrément.
Intervenez-vous dans la répartition des diverses aides à la presse, aides au pluralisme, à la modernisation, etc ?
Le Fonds stratégique pour le développement de la presse est une instance totalement indépendante de la CPPAP, la délivrance d'un certificat par celle-ci étant la condition pour que le dossier soit étudié par le fonds.
C'est pourquoi Le Monde touche des sommes folles, quand Le Monde diplomatique ne perçoit rien.
Elle n'est pas tenue par nos avis positifs, mais par nos avis négatifs.
Vous avez précisé dans votre réponse au questionnaire que votre fonctionnement était pris en charge par un bureau dédié au sein de la DGMIC. Les crédits budgétaires ne sont pas individualisés, hormis pour la rémunération du président. Vous n'avez donc aucune autonomie de moyens.
Mon rôle est d'organiser la confrontation des points de vue, d'organiser un vote et, le cas échéant, de trancher. Il est très fréquent que des propositions de refus de l'administration soient combattues par l'autre partie. J'ai la faiblesse de penser que l'absence de moyens propres n'a pas d'influence sur l'indépendance de la commission - mais je conçois qu'on puisse penser autrement !
En effet. Que pensez-vous de la multiplication du nombre d'autorités administratives indépendantes ?
J'appartiens à une maison, le Conseil d'État dans sa formation administrative, qui pense que les AAI sont trop nombreuses et a souvent estimé que les missions de certaines pourraient être exercées par l'administration. La CPPAP est à l'extrême limite de la sphère des autorités administratives. L'État préfère ne pas être en première ligne. Il est tout à fait concevable de regrouper la commission et d'autres autorités, comme le Fonds stratégique pour le développement de la presse.
Je me demande comment le Conseil d'État arrive à faire face, quand nombre de ses membres se retrouvent à siéger dans quantité d'AAI. Votre vie doit être terrible !
Les membres du Conseil d'État doivent en permanence arbitrer entre leur fonction, qu'il ne s'agit pas d'abandonner - le contentieux, en ce qui me concerne - et les multiples sollicitations. J'essaie de faire les deux aussi bien que possible.
Je ne le suis plus dans les faits. J'ai informé la Cour nationale du droit d'asile que ce n'était plus possible, compte tenu de mes activités.
Vous êtes membre titulaire de la Commission des infractions fiscales, autre AAI. C'est le législateur qui l'a voulu, direz-vous. Certes, et nous en tirerons, je l'espère, toutes les conclusions. Nous n'entendons en audition que des personnalités compétentes, bien sûr, mais c'est à se demander, avec une pointe de provocation, si le Conseil d'État, la Cour des comptes et, dans une moindre mesure, la Cour de cassation n'ont pas pris le contrôle de la République !
Mes fonctions à la tête de la Commission paritaire pourraient être assurées par quelqu'un qui ne soit issu ni du Conseil d'État ni de la Cour des comptes. Il faut montrer à l'extérieur que le président de cette commission n'est pas suspect de liens avec un quelconque intérêt public ou privé. J'essaie de ne pas exercer une présidence dormante, loin de là, mais je n'instruis pas moi-même les dossiers.
Ne prenez pas ma remarque comme une perfidie - on connait la déontologie du Conseil d'État - mais il peut paraitre original que le Conseil d'État statue sur des décisions prises par l'un de ses membres en exercice !
Nous avons régulièrement ce débat. La Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg s'est prononcée dans l'arrêt Procola contre Luxembourg. Le Conseil d'État, dans sa formation consultative, donne un avis sur des textes qu'il peut être amené à examiner ensuite au contentieux. Cela se justifie par le cloisonnement - argument parfois difficile à entendre pour le public, je le conçois. En matière de presse, les affaires viennent en première instance devant le tribunal administratif de Paris, dont les membres ne sont certainement pas impressionnés par le fait que la commission paritaire soit présidée par un conseiller d'État.
Vous comprenez le sens de ma question, d'autant plus que vous êtes rapporteur général de la commission de déontologie de la fonction publique hospitalière.
La présidence par un membre du Conseil d'État est une garantie d'indépendance. On estime, à tort ou à raison, qu'un membre du Conseil d'État, de la Cour de cassation ou de la Cour des comptes examine les affaires sans se laisser influencer. C'est la théorie de l'apparence. Nos missions pourraient être exercées par d'autres.
Les membres des AAI sont tenus de faire une déclaration de patrimoine et d'intérêts. Ce n'est pas le cas des membres du Conseil d'État.
Le président d'une autorité administrative présente toutes les garanties d'indépendance dès lors qu'il publie sa déclaration d'intérêts et de patrimoine. Cela ouvre davantage le champ.
Vous comprenez ces questions. Vous êtes également membre titulaire du Comité de l'abus de droit fiscal...
On ne prête qu'aux riches...
Avec la multiplication des AAI, peuplées de membres de corps constitués, soumis à l'obligation de déclaration d'intérêts et de patrimoine, on en arrive à dépasser certaines limites. Ce n'est bon pour aucune de nos instituions.
À l'époque de la création de la CPPAP, les choses étaient claires : la presse papier était le principal diffuseur d'informations d'opinions, avec quantité d'organes de presse différents, exprimant des opinions très différentes. Aujourd'hui, on a beaucoup de titres, mais tous disent plus ou moins la même chose ! Il faut se tourner vers Internet pour trouver une information différente. Or les aides vont essentiellement à la presse papier, et, de surcroît, pas uniquement à la presse d'opinion. In fine, on assiste à une financiarisation extraordinaire de la presse. À la Libération, il existait une presse d'opinion et non une presse pour formater l'opinion. Ne pensez-vous pas que dans le contexte actuel, vos missions n'ont plus grand intérêt ? Ne faudrait-il pas ventiler différemment les aides, non à la presse mais à l'expression d'opinions ? Une haute autorité pourrait s'en charger.
Je comprends votre préoccupation. Une partie de notre activité intéresse les services de presse en ligne. Nous jouons le même rôle de sas d'entrée, selon des critères semblables à la presse papier, liés à l'information, à l'expression des opinions, au respect d'exigences déontologiques. Les aides accordées aux Spel, sans être de même ampleur, deviennent significatives. Ils bénéficient du même taux de TVA réduit et peuvent demander de l'aide au fonds stratégique pour le développement de la presse. Un régime d'aide dédié aux Spel se dessine, non seulement pour ceux qui dépendent de journaux, mais aussi ceux qui sont autonomes. L'expression du pluralisme est plus marquée sur Internet que dans la presse traditionnelle.
Le problème de fond est que l'essentiel des aides sont indirectes, via les tarifs postaux et la TVA. Des avancées ont eu lieu sur celle-ci. Mais les aides aux tarifs postaux vont à des publications qui amusent les gens sans être d'un apport considérable à la formation d'une opinion raisonnée chez nos concitoyens. Je verrais d'un bon oeil l'atténuation, par votre organisme ou un autre, de l'impression bizarre qu'on a à la lecture de la liste des subsides à la presse. Plus celle-ci est conventionnelle, plus elle reçoit d'aide ! Une autorité administrative indépendante pourrait ici avoir son intérêt.
La réorientation des structures est envisageable. L'état actuel des textes nous contraint à admettre des publications « assurant des missions de formation, d'information et de récréation du public dans un intérêt général ». Je partage en grande partie votre opinion. La notion d'information politique et générale, instituée en 1997 pour cibler davantage les aides, relève de la même démarche. Il faut d'autres modifications. La ministre de la culture et de la communication, Mme Fleur Pellerin, a des idées sur la question, à en croire ses propos dans la presse. Elle souhaite privilégier la connaissance et le savoir. Mais une nouvelle autorité administrative indépendante ne pourra rien mettre en oeuvre si les textes ne sont pas changés.
Et la financiarisation ? On aide des organes de presse générateurs de revenus - je ne parle pas d'influence politique - pour leurs propriétaires. Le paysage n'a plus rien à voir avec celui de la Libération. Il est temps de repenser les textes.
Il existe d'autres autorités administratives indépendantes exerçant dans le domaine de la presse : l'Autorité de régulation de la distribution de la presse, le Conseil supérieur de l'AFP, le Conseil supérieur des messageries de presse... N'y aurait-il pas intérêt à les regrouper, afin de simplifier et de clarifier leurs rôles ?
J'ai dit mon ouverture intellectuelle à toute forme de regroupement, mais ces organisations exercent des fonctions différentes les unes des autres. Je suis circonspect devant les projets trop amples. Il de s'agit pas de constituer un ministère bis.
À partir de quand atteint-on un seuil, dans la multiplication et le grossissement des AAI, tel que l'équilibre est rompu et que l'on bascule dans un autre système ? Le Sénat exprime une préoccupation légitime, mais il faut éviter de reconstituer de gros machins.
Il s'agit d'avoir des machins qui servent à quelque chose et ne soient pas des paravents faisant croire à la concurrence ou au pluralisme. Quand on lit la liste des aides à la presse, on prend peur. Plus d'1 milliard d'euros d'aides directes et indirectes, un pur scandale ! Il doit y avoir moyen de réorganiser cela de façon plus tonique pour la démocratie. Je sais que l'argent va à l'argent, mais ne confondons pas liberté de la presse et liberté de l'argent dans la presse.
Nous admettons des publications pauvres, notamment les Spel. On n'a pas idée du nombre de titres qui ne sont pas adossés à des groupes financiers.
Le bénéfice qu'ils peuvent tirer de l'agrément est minime compte tenu du mode de répartition de la somme globale d'aides.