La réunion est ouverte à 9 h 35.
Nous désignerons demain le rapporteur pour avis du projet de loi relatif à l'égalité réelle outre-mer, de même que le rapporteur de la proposition de loi - examinée à l'Assemblée nationale cette semaine - portant adaptation des territoires littoraux au changement climatique, dont le groupe socialiste vient de demander l'inscription en séance publique dans son espace réservé du 11 janvier. Nous examinerons cette proposition de loi en commission le 21 décembre.
Monsieur Janaillac, nous sommes très heureux de vous accueillir, pour la première fois depuis votre prise de fonctions, le 4 juillet dernier, à la tête du groupe Air France-KLM. Quel constat dressez-vous de l'état du groupe, de ses forces et de ses faiblesses, de son positionnement commercial et de sa situation financière et sociale ? Les Français sont très attachés à cette entreprise qui porte le nom de notre pays. Nous avions auditionné vos prédécesseurs. La situation sociale n'est pas simple, bloquant des évolutions pourtant indispensables dans un environnement concurrentiel. Vous avez déjà pu faire des propositions dans votre nouveau plan Trust Together, succédant aux plans Transform 2015 et Perform 2020. A-t-il plus de chance d'aboutir que les précédents ? Le groupe relèvera-t-il les défis pour cesser de perdre des parts de marché ? Air France ne bénéficie pas de la croissance du trafic aérien mondial...
Vous avez annoncé la création d'une nouvelle compagnie pour concurrencer les vols à bas coûts et les compagnies du Golfe sur des lignes long-courrier que vous qualifiez d'hyper compétitives. Quel sera son positionnement commercial au sein du groupe ? Comment ce projet complètera-t-il efficacement les autres compagnies du groupe ? Comment est-il perçu dans l'entreprise ? Toute entreprise a besoin d'investir et de renouveler sa flotte ; ce n'est pas facile lorsque les résultats financiers ne sont pas au rendez-vous. La situation financière s'est améliorée sur les derniers exercices, mais surtout grâce à la réduction du coût de l'énergie. Pouvez-vous nous en dire plus sur le projet de filialisation des activités de maintenance ?
Je suis impressionné d'être devant vous pour cette première audition. Le groupe Air France-KLM compte 85 000 salariés, dont 53 000 à Air France, il est le premier employeur privé de la région Ile-de-France, avec un chiffre d'affaires de 25 milliards d'euros, dont 16,5 milliards d'euros pour Air France.
Les points forts du groupe sont d'abord un vaste réseau long-courrier, avec un grand nombre de destinations, équilibrées géographiquement. Le groupe a comme hubs deux des principaux aéroports européens : Paris-Charles-de-Gaulle et Amsterdam-Schiphol qui, combinés pour des voyageurs d'Amérique ou d'Asie, sont un facteur d'attractivité importante. Les deux marques sont complémentaires et fortes, et ont une qualité de produits et services qui s'est fortement améliorée grâce aux mesures prises par mon prédécesseur Alexandre de Juniac. Nous avons une alliance importante sur l'Atlantique nord avec Delta Airlines. Notre activité de maintenance, numéro deux mondiale après celle de Lufthansa, génère des profits et se développe. Nous disposons d'un personnel de grande qualité, très attaché à ses métiers et à l'entreprise.
Le groupe présente trois faiblesses principales. Parmi les grands groupes, il est celui qui a la rentabilité la plus faible : son résultat opérationnel représente la moitié de celui de Lufthansa, un tiers de celui de British Airways, un quart de celui de Delta ou d'easyJet. Celui de KLM est un peu plus élevé, mais tout de même inférieur à celui de ses concurrents.
Le bilan financier du groupe est faible et sa valeur boursière ridicule - 1,6 milliard d'euros, soit quatre fois moins que Lufthansa ou easyJet, et dix fois moins que Ryanair. La dette s'est largement réduite grâce aux efforts des plans Transform et Perform, mais insuffisamment par rapport à nos concurrents. Les capitaux propres d'Air France sont négatifs. Cette structure financière délicate entrave notre développement et nous fragiliserait en cas de retournement de conjoncture.
Enfin, j'ai constaté un manque de confiance au sein du groupe, entre les différentes catégories de personnel, entre le personnel et le management, entre Air France et KLM ; un manque de confiance aussi en les capacités du groupe à relever les défis et à se projeter dans l'avenir. Un sondage au sein du personnel a confirmé cette impression. C'est pourquoi nous avons lancé le projet Trust Together, la confiance ensemble - nous recourons à l'anglais parce que nos salariés sont néerlandais et français - afin de donner au groupe des perspectives de croissance.
Après sept années de pertes entre 2008 et 2014, le groupe a retrouvé des résultats positifs en 2015. Ils le seront également en 2016, grâce aux efforts de productivité de Transform et Perform et surtout grâce à la réduction des coûts du pétrole, qui nous a fait économiser 1,5 milliard d'euros entre 2015 et 2016. Le résultat opérationnel est positif mais contrasté : l'activité domestique est équilibrée, l'activité long-courrier est bénéficiaire mais avec 35 % de lignes déficitaires - sachant que 10 % des lignes nous font perdre 200 millions d'euros. Le réseau moyen-courrier est déficitaire, et ce déficit s'accroît. Vers Roissy, seules 20 % des lignes moyen-courrier réalisent des bénéfices.
En effet, la concurrence s'est renforcée avec les compagnies low cost et celles du Golfe. L'écart de compétitivité tient aux conditions d'emploi du personnel, aux cotisations sociales et aux taxes et redevances aéroportuaires. Nous pourrions être comparés à une entreprise exportant plus de 50 % de son chiffre d'affaires, produisant dans une seule usine à Paris, dont 95 % des salariés sont sous contrat français, et qui paie des redevances à l'aéroport le plus cher en Europe après celui de Londres. Si les taxes et les redevances étaient réduites, nous économiserions plusieurs centaines de millions d'euros...
La concurrence des compagnies du Golfe s'accentue. En 2012, Emirates avait autant d'appareils long-courrier qu'Air France-KLM, et Qatar Airways la moitié. En 2020, Emirates en comptera deux fois plus, et Qatar Airways autant. Cette âpre concurrence est favorisée par des environnements fiscal, réglementaire et économique très différents. Sans parler des cotisations sociales, les seules « touchées » - taxes aéroportuaires pour l'arrivée et le départ - pour un Boeing 777 s'élèvent à 14 600 euros à Roissy-Charles de Gaulle, contre 3 500 euros à Dubaï, sachant que 100 % de nos avions se posent à Roissy, et 100 % de ceux d'Emirates à Dubaï : le différentiel s'élève à 360 millions d'euros.
Le trafic aérien progresse assez vivement en Asie et en Europe, mais la capacité augmente plus vite encore que la demande. D'importantes commandes d'avions ont été passées par les compagnies du Golfe, Turkish Airlines, Norwegian ou les compagnies chinoises ; or, en raison des faibles coûts du pétrole, les vieux avions, qui consomment plus, volent encore. De ce fait, les recettes unitaires sont réduites d'environ 8 %.
Notre projet stratégique se fonde sur une vision et une ambition : nous devons négocier avec les organisations sociales et le management du groupe pour atteindre notre objectif stratégique, car alors que le volume du transport aérien augmente, nous ne saurions nous résigner au repli, et devons trouver les moyens de la croissance. Si nous limitons nos vols, il sera difficile de gagner en productivité, car les coûts fixes sont importants. Nous devons être productifs pour gagner en croissance et réciproquement. Nous visons une croissance de 2,5 et 3 % par an sur les long-courriers d'ici 2020 ; elle entraînera celle des moyen-courriers. C'est un plan ambitieux, avec une croissance trois fois supérieure à celle que nous avons connue ces cinq dernières années, et qui nécessitera des efforts réels du personnel navigant. Ce plan est néanmoins réaliste par rapport à nos points forts.
La croissance passe par un effort de l'ensemble de l'entreprise sur tous les coûts - les salaires, la possession de la flotte, la productivité pour les navigants. Les coûts de possession de la flotte seront réduits par l'augmentation du nombre de vols, la réduction du leasing, l'augmentation des recettes, le renforcement des partenariats avec Delta et les compagnies chinoises, notamment pour desservir des villes secondaires en Asie et en Amérique. L'effort de productivité doit être modéré et réaliste sur tous les vols, mais important sur les 10 % des lignes long-courrier où les compagnies du Golfe nous concurrencent. C'est pourquoi nous lançons une nouvelle structure à bas coûts, pour sauver les lignes menacées, rouvrir des lignes fermées et ouvrir de nouvelles lignes. Ce projet se décline en neuf axes sur toutes les fonctions de l'entreprise, avec une réorganisation du groupe et des fonctions centrales. Les derniers départs volontaires ont réduit le nombre d'employés, mais nous souhaitons restructurer et rendre le siège plus efficace et plus mobile en recourant davantage au numérique.
Merci pour la qualité de votre exposé. Je vous souhaite un plein succès dans vos actions, pour donner un nouvel élan à Air France, notre grande compagnie nationale, à laquelle chacun d'entre nous est attaché.
Notre commission a adopté un amendement autorisant des tarifs différenciés de redevance pour services terminaux de la navigation aérienne (RSTCA) aux aéroports de Roissy-Charles de Gaulle et Orly, par rapport aux autres aéroports de la métropole, à hauteur de 26 millions d'euros. Cet amendement doit poursuivre son parcours législatif à l'Assemblée nationale, où Bruno Le Roux est prêt à le défendre. Qu'en pensez-vous ?
Le projet Trust Together, que vous avez présenté le 3 novembre, vise à atteindre 100 millions de passagers en 2020 pour Air France-KLM, en s'appuyant sur sa nouvelle compagnie, Boost. Le low cost long-courrier se développe très rapidement, à l'instar de la compagnie French Blue, que nous avons auditionnée il y a quelques semaines. Selon vos déclarations, Boost ne sera pas une compagnie low cost. Comment sera-t-elle, alors, concurrentielle ? Elle disposera, d'ici 2020, de 10 avions long-courrier, et se positionnera sur 30% de lignes nouvellement créées. Comment comptez-vous recruter des pilotes d'Air France, volontaires, avec « des règles de rémunération adaptées » ?
Monsieur le président, nous vous remercions de ne pas masquer les difficultés ni de vous cacher devant l'avenir : vous faites un bilan en demi-teinte.
La part du pavillon français en France s'est réduite de 60 % en 1997 à 44 % en 2015, tandis que le trafic au départ de France a progressé de 0,9 % en moyenne pour les compagnies françaises, contre 4 % pour les compagnies étrangères. Le niveau des taxes et des charges sociales est le plus élevé. Le coût du contrôle aérien a augmenté de 17 % entre 2008 et 2014, et les taxes et redevances aéroportuaires de 25 %. La taxe de solidarité sur les billets d'avion, dite « taxe Chirac », instaurée en 2006, est applicable dans 30 pays sur 190, mais seuls neuf d'entre eux la paient - et parmi eux Madagascar, le Mali et le Niger... Elle coûte 90 millions d'euros à Air France.
Si l'on applique un taux de taxes ou de redevances équivalent à celui des Pays-Bas, les dépenses d'Air France seraient allégées de 350 millions d'euros, dont 150 millions d'euros de taxes aéroportuaires et 48 millions d'euros de frais de sûreté. La lutte contre le terrorisme est une mission régalienne mais elle coûte 11,2 euros à chaque passager, via la taxe aéroportuaire ; l'État n'y contribue qu'à hauteur de 0,93 euro.
Alors que Les Echos rappelaient hier la déconfiture d'Alitalia, la faillite de Swissair et la disparition du pavillon belge, se dirige-t-on vers la mort du pavillon français ? Comment l'État peut-il soutenir le transport aérien français ? On ne peut lui attacher des boulets aux pieds pour ensuite s'étonner de ses difficultés.
La taxe sur le Charles-de-Gaulle Express pénalisera directement Air France, dont Roissy est le hub.
Vous devriez porter attention à la qualité du service : sur les court-courriers, que j'utilise deux fois par semaine, les liseuses sont de plus en plus souvent en panne - c'est certes moins grave qu'une panne de réacteurs mais gênant.
Merci de votre exposé clair et lucide. Comment, avec des semelles de plomb, courir aussi vite que les autres ? La lucidité est-elle partagée par tous, au sein de l'entreprise ? Pourquoi ne pas réformer, sinon supprimer, les lignes les plus déficitaires, tout de même 10 % du total ? Enfin, vous n'avez pas évoqué l'avenir de Transavia, qui se porte assez bien semble-t-il.
J'avais déposé un amendement en loi de finances l'an dernier, sur le statut particulier des personnels navigants, instaurant un parallélisme avec le personnel maritime. Ma proposition a été rejetée par le ministre, qui avait cependant laissé entendre que l'accueil pourrait être plus favorable si un progrès était fait du côté de l'entreprise. Il s'agit en particulier de supprimer le différentiel de cotisations sociales entre la compagnie française et les concurrents des autres États membres. Avez-vous des discussions sur cette question ?
J'ai plusieurs fois interrogé la Commissaire européenne Violeta Bulc à propos du mandat donné à la Commission européenne, concernant la libéralisation des services aériens avec les pays du Golfe, mais aussi la Turquie, les pays de l'Asean...
J'imagine que vous réfléchissez aux conséquences du Brexit pour des compagnies comme easyJet ou IAG : à la demande du président du Sénat, M. Raffarin et moi-même animons un groupe de suivi sur le Brexit. Je ne suis pas partisan d'un régime punitif, mais d'une situation claire, donc d'un Brexit plutôt hard !
Enfin, où en sont les négociations à l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) pour éviter la double taxation à la taxe carbone ?
Air Inter, qui pratiquait des tarifs deux à trois fois supérieurs à ceux de ses concurrents, a connu un scénario catastrophe et a disparu, remplacé par des compagnies low cost qui font fortune sur les mêmes lignes. Votre endettement vous oblige-t-il à acheter ou louer les avions plus cher - faute de surface financière rassurante - et à acheter le carburant dans de moins bonnes conditions que d'autres ? Enfin, quelle différence de masse salariale y a-t-il entre Air France et ses concurrents ?
Dans ma région, emprunter la ligne aérienne exploitée par Air France est le seul moyen de se rendre à Paris rapidement. Je profite de l'occasion pour vous signaler que dans l'avion, les liseuses fonctionnent par intermittence... Sur Transavia, j'ai constaté l'exiguïté des sièges : pourquoi avoir acheté des Boeing 737 et non des Airbus A320, plus confortables ?
À Périgueux, pas de liaison aérienne : au moins, nous n'avons pas de problème de liseuses ! Je me réjouissais que la commission ait voté cet amendement à 26 millions d'euros ; nous ne pourrons hélas pas profiter de la caisse de résonance de la séance publique pour nous faire entendre fortement par l'Assemblée nationale.
Pouvez-vous nous livrer votre analyse de la concurrence entre l'aérien et le ferroviaire ? La prochaine mise en service de la ligne à grande vitesse Bordeaux-Poitiers vous inquiète-t-elle ?
Monsieur Janaillac, vous tenez des propos de vérité, c'est courageux. L'équation est difficile : éteindre la crise sociale, devenir compétitif, rééquilibrer l'accord entre Air France et KLM, réduire l'endettement... tout cela en respectant l'engagement de votre prédécesseur, aucun plan de départs en retraite avant 2018. Je reprends l'expression de mon collègue à mon compte, le groupe a chaussé des semelles de plomb ! Faut-il faire voler plus les avions, à des prix plus compétitifs ? Quelles sont vos intentions sur le long-courrier, le moyen-courrier, les liaisons franco-françaises ? Avez-vous prévu dans le nouveau plan un service minimum les jours de grève, ces épisodes qui détruisent l'image de la compagnie ?
L'amendement de Mme Bonnefoy va dans la bonne direction, celle de la réduction des coûts : je ne peux que vous encourager à continuer ! Nous travaillons avec les services de l'État sur d'autres pistes. Les nouvelles compagnies comme French Blue ou Norwegian proposent des long-courriers low cost. Air France, il y a une dizaine d'années, avait complètement méconnu l'arrivée des compagnies comme easyJet ou Ryan Air, estimant avec une certaine arrogance qu'elles ne faisaient pas le même métier, ne jouaient pas dans la même catégorie. Or ces compagnies ont pris de grosses parts de marché. Nous ne ferons pas la même erreur sur le long-courrier. Néanmoins ces compagnies dont la flotte compte trente ou quarante avions, neufs mais densifiés, avec des services payants, ne sont pas pour nous la principale menace : les compagnies du Golfe, elles, exploitent 500 avions !
Parmi les lignes long-courrier, celles que nous appelons « ultra-business » sont rentables, tout comme les lignes ultra-tourisme. Les lignes mixtes sont celles qui souffrent, notamment sur les liaisons avec l'Asie du sud-est. L'effort, face à Emirates, ne peut passer par des avions densifiés, mais par un service de qualité avec une structure de coût révisée. Nous devons regarder attentivement ce qui se passe dans le low cost long-courrier pour déterminer la meilleure réponse à apporter.
Oui, pour piloter les avions low cost, il y a des volontaires, même s'ils travaillent plus. En particulier, les co-pilotes ont ainsi l'opportunité de devenir capitaines, d'exercer des responsabilités, de progresser en fonctions comme en rémunération. C'est le cas pour Transavia.
Monsieur Nègre, je suis arrivé à Air France il y a cinq mois et non un an : mais il est vrai que ces quelques mois ont été très denses !
Notre compagnie fournit un tiers du produit mondial de la taxe de solidarité. Les seuls autres pays ayant adopté la taxe et disposant d'une flotte suffisante pour contribuer véritablement à la ressource sont la Corée et le Chili. Les objectifs sont louables, mais l'initiative est coûteuse, 60 millions d'euros par an : à titre d'exemple, ce sont 45 euros de taxe pour un billet vers les États-Unis et 1,2 euro pour un vol intérieur... Ce serait formidable si tous les pays y participaient...
Le pavillon français peut-il mourir ? Mourir, non, mais décliner, bien sûr : c'est pourquoi il faut reprendre l'offensive et capter des parts de marché. L'État peut nous y aider. Voyez comment le gouvernement allemand a pris à sa charge une partie des coûts de sécurité.
Nous sommes favorables au Charles-de-Gaulle Express, mais ce n'est ni aux passagers, ni aux compagnies de le préfinancer. Payer lorsque l'infrastructure sera en fonctionnement, bien sûr, mais pas avant les travaux : les usagers des routes nationales ne préfinancent pas la construction des autoroutes !
Je prends bonne note de vos remarques sur les liseuses. Quant aux semelles de plomb, certes, nos coûts sont supérieurs à ceux des compagnies du Golfe ou des low cost ; néanmoins nous n'avons pas à réduire la totalité du différentiel, parce que nous avons également un différentiel de recette unitaire, grâce à un certain nombre de facteurs, les alliances, le programme de fidélité, les accords avec les entreprises, notre image, etc. Il importe de maintenir nos points forts pour conserver ce différentiel.
La conscience qu'il est nécessaire de faire des efforts en tenant compte de l'environnement concurrentiel - ce que vous appelez lucidité - n'est pas générale mais elle grandit.
Dans un réseau, toutes les lignes ne peuvent être bénéficiaires ; les déficitaires ont tout de même leur intérêt, pour compléter le réseau. Il faut un équilibre. En long-courrier, 85 % des lignes de KLM sont bénéficiaires, 15 % déficitaires, ce qui est normal. Couper des lignes affaiblit le réseau, rend les hubs moins attrayants, supprime des possibilités de connexion, notamment sur le moyen-courrier. C'est ce que nous voulions éviter en créant la nouvelle compagnie.
S'agissant du mandat de la Commission européenne, la question pour les grandes compagnies est la suivante : pour l'Europe, est-il ou non important - sur les plans social, culturel, stratégique - de conserver des compagnies indépendantes des intérêts extra-européens, plutôt que de voyager toujours au moindre coût ? De la réponse découle la politique à mener en matière d'ouverture du ciel... Ayons à l'esprit aussi que les compagnies du Golfe ont reçu quelque 40 milliards de dollars d'aides directes d'État en dix ans. Les Allemands et les Anglais s'interrogent pareillement - en Italie en revanche, Alitalia est déjà possédée à 49 % par Etihad - sur l'arbitrage entre le prix des voyages et l'indépendance des compagnies. Ces considérations n'exonèrent pas cependant le personnel d'efforts de réduction des coûts et des prix.
On est dans l'Europe, ou en dehors. En cas de Brexit sans accord, easyJet ne pourra bien sûr pas continuer à opérer entre Paris et Toulouse ou Nice. Il lui faudra créer une autre compagnie. British Airways possède aujourd'hui Aer Lingus, Iberia et Vueling, il n'en aurait plus le droit : l'ensemble éclaterait. Nous serons vigilants et comptons sur l'appui de l'État afin que toutes les compagnies qui auront les mêmes droits aient aussi les mêmes devoirs.
Au sein de l'Organisation de l'aviation civile internationale, un accord a été signé pour limiter les émissions de CO2, avec l'engagement d'une croissance neutre en carbone à partir de 2020 et une réduction par la suite. Les compagnies européennes souhaitent que les mesures internationales et européennes en la matière soient cohérentes entre elles.
Air Inter a été racheté par Air France. Notre structure de coûts dépend des charges salariales et du coût des escales, supérieurs à ceux de nos concurrents : Transform et Perform comportaient précisément des mesures visant à diminuer ces coûts.
Si nous avons choisi pour Transavia des Boeing et non des Airbus, c'est que le Transavia néerlandais créé précédemment exploite des Boeing, et que la maintenance est moins onéreuse avec une flotte unique. Ce n'est pas la nature des appareils mais le pitch de la configuration interne - largeur des sièges, espace entre les sièges - qui détermine le confort... et la rentabilité. Nos standards sont conformes à ceux de nos concurrents low cost européens. Transavia n'est pas encore à l'équilibre, il est en phase d'ouverture des lignes. L'offre a augmenté de 20 % cette année et les résultats s'améliorent. Le projet était naguère de développer des lignes entre de nombreux pays européens. Néanmoins, nous ne pouvons tout faire et j'ai recentré le modèle, qui ressemble plus désormais à celui de Vueling ou Eurowings, avec un développement à partir de la base nationale, des vols au départ des Pays-Bas ou de la France vers des destinations européennes.
Notre grosse faiblesse demeure la part de marché des vols reliant les villes de province et les destinations internationales, européennes en particulier, qui n'est que de 5 %. Je précise cependant que Périgueux n'est pas très éloigné de grands aéroports, Bordeaux en particulier ! C'est là que nous avons fêté les vingt ans de la « navette ». La première navette avait certes été créée entre Marseille et Paris : le choix de Bordeaux pour nos festivités visait à réaffirmer notre volonté de conserver ce service entre la ville aquitaine et Paris-Orly mais aussi Paris-Roissy, en dépit de la création de la LGV, grand concurrent.
Comment faire voler davantage nos avions ? Air France fait voler ses avions 15% de moins que KLM, parce que la maintenance des appareils est plus longue. Nous nous attelons à réduire ce temps d'immobilisation, car un avion au sol coûte et ne rapporte rien...
Le service minimum dépend des pouvoirs publics, non du groupe. Une loi sur le dépôt des préavis de grève a facilité la prévision et donc la gestion des flux de passagers. Au-delà, il importe de trouver un mode de dialogue avec le personnel navigant - et les autres catégories - plus apaisé, dégagé de la pression de la grève, celle-ci devant être l'ultime recours et non planer sur toutes les discussions, au risque de les bloquer.
Pouvez-vous nous dire ce qu'il en est de la filialisation de la maintenance ?
Nos téléphones ont crépité il y a quelques instants : nous venons d'apprendre que trois des auteurs des violences d'octobre 2015 au sein du groupe ont été condamnés par le TGI de Bobigny à trois ou quatre mois de prison avec sursis, les deux autres ayant été relaxés. Qu'en pensez-vous ?
Je ne commenterai pas une décision de justice. A fortiori sur une affaire qui date d'avant mon arrivée dans le groupe.
La maintenance est l'un des points forts d'Air France-KLM : c'est une activité intégrée, coordonnée, qui à plus de 40 % concerne des services aux tiers. Nous avons donc lancé une étude - j'insiste, il s'agit d'une simple étude - pour savoir si une organisation différente favoriserait une plus grande efficacité. Nous avons aussi à l'esprit la valorisation du groupe, qui aujourd'hui n'autorise pas le financement des investissements par augmentation de capital. Une structure de maintenance pourrait valoir entre 3 et 4 milliards d'euros, soit plus de deux fois la valeur du groupe aujourd'hui... Nous nous penchons sur les questions managériales et étudions toutes les options, notamment avec les représentants des salariés.
Nous sommes tous attachés à cette belle entreprise, sommes inquiets de son avenir et nous tenons à vos côtés pour la soutenir. La réforme est une nécessité impérieuse, dans ses aspects sociaux et économiques, qui conditionnent la compétitivité. Nous souhaitons aussi que l'Union européenne agisse, car nombre de compagnies européennes sont menacées par leurs concurrentes du Golfe. Monsieur Janaillac, nous vous remercions.
La réunion est close à 10 h 50.