La réunion est ouverte à 10 heures.
Mes chers collègues, nous allons à présent auditionner les représentants de la fédération des entreprises du recyclage, la FEDEREC.
Je souhaite la bienvenue à M. Jean-Pierre Parisi, président de la commission DEEE de cette fédération, à Mme Claire Dagnago, secrétaire générale, à M. Pascal Lermechin, membre de la commission DEEE, et à Mme Tess Pozzi, chargée de mission. Je les remercie d'avoir répondu rapidement à notre invitation et d'être présents pour répondre à nos questions.
Créée en 1945, la FEDEREC regroupe 1 300 établissements adhérents, qui vont de la très petite entreprise au grand groupe et sont répartis sur l'ensemble du territoire français. L'activité de la FEDEREC consiste en la collecte, le tri, la valorisation matière des déchets industriels et ménagers et dans le négoce de matières premières de recyclage.
Monsieur Parisi, je vous rappelle que notre mission d'information, créée à la demande du groupe écologiste, porte sur l'inventaire et le devenir des matériaux et composants des téléphones mobiles. Nous avons commencé nos travaux au tout début de ce mois de juillet, et nous les achèverons à la fin du mois de septembre.
Nous avons déjà mené une dizaine d'auditions, qui nous ont permis d'entendre les représentants des fabricants, de la fédération des opérateurs de téléphonie mobile et des éco-organismes. À nos yeux, il était également indispensable d'auditionner les acteurs de la collecte et de la valorisation des déchets.
Je vous donne la parole, en vous remerciant de nouveau de votre présence et de votre contribution à nos travaux.
Monsieur le président, c'est à nous de vous remercier de votre invitation. Pour nous, il est extrêmement important de faire entendre la voix des acteurs du recyclage, de ceux qui sont présents sur le terrain : nous sommes d'autant plus heureux d'être au Sénat aujourd'hui que nous avons parfois l'impression d'être oubliés...
Parmi les 1 300 entreprises que réunit la FEDEREC, environ 800 sont impliquées dans la problématique des déchets électriques et électroniques, qu'il s'agisse de la collecte, de la massification ou du traitement. Parmi ces acteurs, dont le volume est non négligeable, entre 50 et 80 font partie de la commission DEEE.
Ces entreprises sont pleinement impliquées sur le terrain. Elles interviennent, soit par l'intermédiaire des éco-organismes, via des contrats qu'elles ont conclus avec eux pour collecter, massifier et traiter les DEEE, soit directement auprès de détenteurs de déchets électriques et électroniques.
La mission d'information que vous présidez porte plus précisément sur les téléphones mobiles. Il s'agit d'un sujet important pour nous : malheureusement, ce sont là des produits que nous ne voyons que très peu dans les lots de DEEE que nous sommes appelés à collecter. Pourquoi ? Parce que les filières existantes ne permettent pas d'assurer un taux de collecte important, et pour cause : elles ne sont pas suffisamment adaptées.
En effet, à l'heure actuelle, la collecte des téléphones mobiles est essentiellement menée dans le but du réemploi. Elle est effectuée par le biais des fournisseurs de réseaux, des fournisseurs d'accès, c'est-à-dire des grands opérateurs, ou au travers des fabricants. Ces acteurs cherchent à opérer un tri entre les téléphones réemployables, qui sont en règle générale destinés à l'export, et ceux qui ne le sont pas. Une petite fraction de ces derniers est dirigée vers deux ou trois sites spécialisés, qui, eux, procèdent à leur recyclage.
J'ai pris connaissance de certaines auditions que vous avez menées, et il me semble qu'en la matière, vous disposez déjà des ordres de grandeur : entre 20 et 25 millions de téléphones portables sont mis sur le marché chaque année en France. Parallèlement, environ 2 millions seulement sont récupérés. On est donc très loin du taux de collecte que l'on devrait assurer !
Sur la masse, quelques téléphones portables viennent se perdre dans les déchetteries, dans les bacs de produits en mélange, les PAM. Il en résulte une grave distorsion en termes de valorisation économique. Jeter dans un bac contenant des aspirateurs et des friteuses un téléphone portable revient à lui faire perdre une grande partie de sa valeur, qui n'est pas négligeable.
Voilà pourquoi, selon nous, il faut repenser ces problématiques de collecte, déterminer qui doit intervenir le plus, qui doit faire respecter la réglementation et la législation en vigueur. À cette fin, peut-être est-il nécessaire de revenir à la base. Pour notre part, si nous étions conduits à récupérer ces téléphones, nous saurions ce qu'il faut en faire, il n'y a aucun problème à ce niveau !
Dans nombre de grandes entreprises, l'informatique classique est gérée par les services informatiques, tandis que les téléphones, notamment les smartphones, sont souvent gérés par les services généraux : ainsi coexistent deux circuits clairement distincts.
Trop souvent, nous n'avons pas accès aux téléphones et aux smartphones. Compte tenu de leur valeur potentielle, ces équipements n'empruntent pas le circuit des DEEE classiques, comme les unités centrales, les serveurs ou les divers accessoires informatiques.
Les textes réglementaires précisent que la responsabilité de la collecte et du recyclage des DEEE relève essentiellement des producteurs metteurs sur le marché. Peut-être faut-il revenir à cette règle de base ! Dans ce cadre, les fournisseurs de téléphones portables ou les fournisseurs d'accès, comme Orange, Bouygues, SFR ou Free, seraient tenus d'organiser les circuits de collecte, de véritables circuits retours. J'ajoute que ces derniers devraient être gratuits : gardons à l'esprit qu'un téléphone portable a une valeur économique positive.
Par exemple, lorsqu'on envoie un téléphone portable par la Poste, il serait possible d'y joindre un emballage de retour gratuit.
Cela étant, il faut revenir à la base du problème : je le répète, si nos entreprises peuvent récupérer ces produits, nous saurons qu'en faire. Encore faut-il que nous les collections !
Ne pensez-vous pas qu'il faudrait réorganiser les filières, par exemple en groupant les téléphones portables et les petits équipements informatiques mobiles d'un côté et le grille-pain et le sèche-cheveux de l'autre ? Des acteurs comme Eco-systèmes ne veulent pas en entendre parler.
Il faut admettre que le système en vigueur est déjà assez compliqué : mieux vaut éviter de le complexifier encore. À l'heure actuelle, très peu de particuliers apportent leurs téléphones à la déchetterie. Qu'en sera-t-il si on leur demande de les déposer dans un bac ou dans un lieu spécifique ? En outre, le nombre d'équipements collectés par ce biais est trop faible. Il ne me semble pas pertinent d'élaborer un dispositif pour quelques dizaines de milliers de téléphones seulement.
Nous ne sommes pas toujours sur la même ligne que les éco-organismes, mais en l'occurrence nous sommes d'accord !
Avez-vous des éléments à nous communiquer au regard du questionnaire que nous vous avons adressé ?
En matière de collecte, j'ai déjà pu vous expliquer quel était, selon nous, l'intérêt d'une véritable filière de retours. Au demeurant, peut-être cet outil permettrait-il de résorber des filières illégales avec lesquelles - il est inutile de le préciser - nous n'avons aucun lien, d'autant que nous collectons très peu de téléphones.
Si ces filières illégales existent, c'est parce que les téléphones portables ont une valeur économique positive. Les services après-vente ou les fournisseurs d'accès, qui gèrent un grand volume de téléphones mobiles, ont tendance à surévaluer le prix de leurs produits.
Dans ce domaine, les produits sont en général vendus aux enchères, notamment sur internet. Un fournisseur d'accès ou un fabricant de matériel met sur le marché tel ou tel lot de téléphones. Les enchères organisées sont souvent des enchères descendantes, au centime d'euro près. L'enchérisseur qui remporte le lot, souvent en y mettant le prix, est fréquemment conduit à rehausser ensuite la part affichée d'appareils réemployables dans ces lots afin de les revendre au meilleur prix, ce qui peut favoriser les filières illégales.
En la matière, l'enjeu est bel et bien de responsabiliser les producteurs et les distributeurs, pour les placer face à leurs obligations. Les téléphones qui font l'objet d'une offre de reprise devraient être dirigés vers la filière de recyclage, et non pas revendus en lots. Ces reventes ne sont pas réglementaires. Les acteurs concernés n'en ont pas nécessairement conscience.
En l'occurrence, nous sommes également face à un problème sémantique : aujourd'hui, la réglementation relative à la collecte et au traitement s'applique aux déchets d'équipements électriques et électroniques. Souvent, les entreprises qui possèdent des lots de téléphones mobiles, au titre du service après-vente, en tant que fournisseurs d'accès ou en tant que producteurs, estiment que les produits qu'elles collectent sont des équipements et non des déchets d'équipements. Peut-être s'abritent-elles derrière cette ambiguïté pour se livrer à des procédés qui ne sont pas toujours réglementaires...
Quoi qu'il en soit, le législateur pourrait effectuer cette clarification : dans tous les cas, dès lors qu'un produit est abandonné par son détenteur, il doit être considéré comme un DEEE, et non comme un équipement. Il faut clairement énoncer une distinction entre les « équipements » et les « déchets d'équipements ». Au reste, la filière des DEEE permet le réemploi des déchets d'équipements électriques et électroniques qu'elle collecte.
À notre niveau, le recyclage ne pose pas de difficulté, à ceci près qu'il faut être vigilant lors de certaines étapes, certains des déchets traités étant dangereux. Dans le cas des téléphones mobiles, le principal danger est lié à la présence des batteries au lithium, qui peuvent s'enflammer spontanément. Pascal Lermechin le sait mieux que personne : l'un de ses sites a récemment été détruit par un incendie causé, vraisemblablement, par l'embrasement d'une pile dans un lot de PAM.
Un tel exemple l'illustre : il faut absolument éviter que les téléphones portables atterrissent dans des lots de PAM. Lorsqu'ils sont collectés de manière isolée, dans des caisses ou dans des containers à part, ils font l'objet d'opérations manuelles de désassemblage qui permettent de réduire considérablement les risques d'inflammabilité.
Une fois ces risques neutralisés, les téléphones portables deviennent des DEEE comme les autres : ils contiennent des métaux, des matières plastiques, des cartes électroniques, des fils, autant de produits que l'on sait traiter, mais qui n'ont pas tous la même valeur.
Les cartes électroniques ont une valeur assez importante. Le taux de cuivre peut être assez élevé. D'autres métaux stratégiques et produits rares peuvent être intéressants à collecter, lorsque la conjoncture économique s'y prête, ce qui n'est pas toujours le cas. Il existait encore il y a peu un site en France, mais il a fermé.
Cela étant, pour nous, le recyclage des téléphones mobiles ne pose pas de difficulté particulière : il est même plus rentable de démonter et de valoriser des portables que des friteuses. Nous pourrions donc leur consacrer des lignes dédiées, au sein de petites unités répondant au principe de proximité. À mon sens, il s'agit là d'un enjeu essentiel : il faut réfléchir en termes d'économie circulaire.
Il serait logique de procéder de cette manière, au niveau des anciennes régions ou des nouvelles grandes régions. Les produits obtenus seraient ensuite massifiés et traités comme les autres, c'est-à-dire en distinguant les cartes électroniques, les métaux, les câbles et les plastiques. Dans ce cadre, il faudrait travailler davantage la question des retardateurs de flamme bromés.
C'est à nous, entreprises du recyclage, d'apporter la preuve que les lots constitués sont propres : dès lors que certains plastiques risquent de contenir des retardateurs de flammes bromées, il faut les trier. Nous travaillons sur cette question avec le ministère. Mais, je le répète, les opérations particulières dont il s'agit sont déjà effectuées pour d'autres produits, comme les PAM, les écrans plats, les écrans à tube cathodique. On sait trier les matières plastiques, valoriser les métaux et les cartes électroniques, même si ces opérations ne sont pas nécessairement effectuées en France.
Permettez-moi à revenir sur l'incendie qu'a évoqué M. Parisi. Un lot de PAM peut contenir des téléphones portables renfermant des batteries au lithium. La manipulation de ces produits par des procédés mécaniques peut induire une inflammation. C'est un accident de ce type qui a provoqué un important incendie sur le site PAPREC de Pont-Sainte-Maxence.
À l'avenir, nous devons réfléchir à de nouvelles méthodes de tri. Quoi qu'il en soit, j'insiste sur le grave risque d'incendie qu'induisent ces batteries au lithium.
Il faudrait aussi réfléchir à l'éco-conception. Certains fabricants semblent partir du principe qu'il faut créer les téléphones les plus difficiles à démonter, pour dissuader les usagers de les réparer, ou de les « bricoler » eux-mêmes. Certaines batteries sont même scellées, ce qui rend les interventions très compliquées. Parfois même, les téléphones sont jetés sitôt que leur batterie, qui est l'élément faible, n'est plus opérationnelle.
Essayons d'éviter de tels procédés, qui relèvent de l'obsolescence programmée. Les téléphones doivent être conçus pour une durée de vie prolongée et un recyclage efficace. S'il faut donner un coup de marteau dessus pour les démonter, l'on s'expose à un risque d'accident - un morceau de plastique ou de métal peut sauter au visage de l'usager -, voire à un risque d'incendie. Du même coup, les possibilités de réemploi se trouvent amoindries.
J'ajoute que le démontage des téléphones portables est la plupart du temps effectué manuellement. Leurs cartes électroniques ont souvent une grande valeur, liée aux quantités assez importantes d'or, d'argent, de palladium ou de cuivre qu'elles contiennent. Toutefois, dans bien des cas, ces cartes sont mélangées à d'autres avant de partir vers des circuits classiques d'affineurs, en Suède ou en Belgique.
Quelle est la valeur approximative d'une tonne de cartes électroniques ?
Nous gérons surtout des cartes d'unités centrales, pour lesquelles le volume d'or est de 50 à 150 grammes par tonne. Quant aux téléphones portables, ils comprennent entre 200 et 500 grammes d'or par tonne d'équipement, ce qui représente entre 5 et 10 euros le kilo.
Ce prix final peut sembler assez bas, mais il faut tenir compte des coûts de traitement. Le problème est que les groupes qui traitent les cartes électroniques - Aurubis, Umicore, Boliden - sont très souvent étrangers. En France, Terra Nova se limite au concentrat et quelques sites pilotes travaillent sur des technologies de tri des métaux précieux. Non seulement ces grands groupes étrangers imposent des coûts de traitement assez élevés, mais les technologies actuelles sont axées sur la récupération de quelques métaux, et non de la totalité. La carte électronique n'est donc pas intégralement valorisée.
On constate en outre que, depuis quelques dizaines d'années, la valeur des cartes électroniques a tendance à diminuer : les producteurs y mettent de moins en moins d'or et de métaux.
Les carences en matière de recyclage sont donc également un problème d'ordre économique.
Certes, monsieur le président, mais dans l'absolu nous ne devons pas tenir compte de cet aspect. La réglementation que nous devons suivre est d'ordre purement environnemental : si les DEEE doivent être traités, c'est parce qu'ils contiennent des éléments polluants.
Bien sûr, nous collectons des métaux et des matières plastiques, qui auront une seconde vie, ce qui est extrêmement important. Cela étant dit, si les téléphones n'avaient aucune valeur, les abandonner dans la nature serait catastrophique, compte tenu de ce qu'ils contiennent.
Ma question n'est pas là. À l'évidence, cette filière de recyclage n'est pas performante : pour 25 millions de téléphones vendus chaque année en France, 2 millions sont effectivement récupérés. Les opérateurs et les fabricants n'ont-ils pas intérêt à tout faire pour empêcher ce recyclage ?
Tout à fait. Tel est d'ailleurs le sens de mes propos sur l'éco-conception. Jusqu'à présent, cette dernière a bon dos : il est assez clair qu'elle permet avant tout aux opérateurs de mettre en place une obsolescence programmée. Et les téléphones portables ne sont pas les seuls concernés !
Nous connaissons de nombreux de réparateurs professionnels qui, en fonction de la marque ou du numéro de série, peuvent vous dire d'entrée de jeu quelle pièce ils vont devoir changer ! Pour tel type de téléviseur Samsung en provenance de Chine, il faut remplacer un condensateur qui coûte quelques centimes d'euros et modifier légèrement le ventilateur. Cette petite réparation étant effectuée, la vie de l'équipement est prolongée de plusieurs années !
Bien entendu, il en est de même des téléphones, pour lesquels il faut également tenir compte des effets de mode : qui, pour avoir le dernier iPhone, n'a jamais été tenté de remiser son ancien téléphone dans un tiroir ?
C'est vrai, les fabricants et les opérateurs poussent toujours à la consommation. Ils cherchent ainsi à limiter le réemploi, ou bien font en sorte que le réemploi soit effectué dans des pays où ils ne vendent pas d'équipements neufs...
Vous nous avez interrogés sur l'économie sociale et solidaire. Même si nous ne faisons pas partie de la Fédération des entreprises d'insertion, nous travaillons main dans la main avec les entreprises de ce secteur, avec le réseau Envie et avec Emmaüs, surtout lorsque les activités concernées requièrent une main-d'oeuvre importante.
L'économie sociale et solidaire doit jouer un rôle majeur sur le marché des téléphones portables, les seules entreprises ayant des relations contractuelles avec des fournisseurs d'accès ou des opérateurs étant des entreprises de ce secteur. Les quelques téléphones en provenance des déchetteries qui sont traités sur des lignes de tri le sont souvent par des acteurs de l'économie sociale et solidaire, qui pourvoient à de nombreux emplois dans le recyclage. Les personnels employés ayant un niveau de formation assez peu élevé, il est nécessaire de les former au travail de ligne.
Existe-t-il des entreprises spécialisées dans le traitement des téléphones portables ou les entreprises sont-elles toutes mixtes ?
Les Ateliers du bocage étaient spécialisés dans le traitement des téléphones mobiles, mais il me semble qu'ils ont perdu leur marché récemment, au profit d'un pays d'Europe de l'Est, dont les prix étaient moins élevés.
Des entreprises travaillent en aval. Il s'agit des brokers, qui sont des intermédiaires. Ils achètent, souvent à des prix élevés, des lots lors d'enchères inversées, en tablant sur le fait qu'ils pourront réemployer le maximum d'équipements. Ils confient ces lots à des structures - il s'agit souvent de structures de l'économie sociale et solidaire - qui réalisent des tests sur les appareils, remplacent certains équipements, tels les écrans ou les batteries, et les reconditionnent pour les remettre sur le marché. Elles traitent également la partie qui n'est pas réemployable. C'est la filière classique.
Certains brokers envoient des lots complets à l'étranger au lieu de les faire traiter en France, essentiellement en raison du coût de la main-d'oeuvre.
On a vu apparaître les brokers il y a cinq ou dix ans. Les places de marché comparent les prix des téléphones des opérateurs - tel téléphone Samsung vaut tel prix - et les brokers se livrent une concurrence féroce - ils sont à un ou deux euros près - pour les acheter. Une grosse partie des flux qui étaient traités par les Ateliers du bocage est ainsi partie en Europe de l'Est, pour un ou deux euros. C'est aberrant. Les tensions sont très fortes sur ce marché.
Les brokers. Les opérateurs de téléphonie lancent des appels d'offres, consultent des brokers, qui sont sur la place publique et qui sont contraints à une concurrence féroce entre eux. Sachant qu'un smartphone vaut entre 50 et 300 euros et que 20 ou 25 millions de téléphones mobiles sont mis sur le marché chaque année, imaginez le marché que cela représente.
Où procèdent-ils à la revente ? Sur internet ? Dans des magasins spécialisés ?
Les ventes ont lieu sur des plateformes de vente en ligne.
Lorsque les téléphones sont envoyés à l'étranger, ils ne sont pas considérés comme des déchets ?
Quand un broker achète un lot, il récupère non pas des DEEE, mais des équipements électriques et électroniques, ce qui change tout en termes de transport transfrontalier de déchets. S'agissant d'équipements à réparer, ils peuvent être envoyés n'importe où. En revanche, les déchets d'équipements électriques et électroniques sont, eux, soumis à la réglementation sur les transferts transfrontaliers de déchets. On n'a pas le droit d'envoyer n'importe quoi. Il faut en outre apporter la preuve, pour chaque conditionnement, que les produits envoyés à l'étranger sont des produits de réemploi et non des déchets. Cela pose un véritable problème. La problématique est la même pour d'autres types d'équipements, tels les disques durs.
Une part significative des lots envoyés en Europe de l'Est est véritablement constituée de déchets. Qu'en est-il fait sur place ?
Je pense qu'ils sont recyclés, car ils présentent un intérêt économique. En outre, ces pays s'éveillent aux problématiques du recyclage. Cela étant dit, je ne pense pas que les conditions du recyclage et de la valorisation soient les mêmes qu'en France.
Les éco-organismes ont instauré voilà deux ans le WEEE labex, une norme interne aux éco-organismes, qu'ils nous imposent à nous, le but étant d'harmoniser les obligations des opérateurs à l'échelon européen. En réalité, cette norme n'est pas appliquée de la même manière dans tous les pays européens, ce qui crée des distorsions de concurrence, alors que des outils ont été mis en place pour les éviter. C'est un grave problème, sur lequel l'Europe est en train de se pencher afin d'harmoniser les obligations des sites de dépollution.
Il faut fortement sensibiliser les opérateurs de téléphonie au fait que des équipements, c'est-à-dire des matériels qui fonctionnent, et des déchets, sont deux choses différentes. Les documents d'enchère des opérateurs ne contiennent aucune spécification, on ne sait pas si les téléphones qu'ils vendent sont entiers, s'ils fonctionnent ou non.
Les brokers ne font que subir les contraintes financières et économiques qui leur sont imposées. Si l'on ne demande pas aux opérateurs de téléphonie de gérer cette question différemment, la situation n'évoluera pas.
C'est en fait comme si Darty revendait en direct les réfrigérateurs qui leur sont rapportés par leurs clients. Les opérateurs de téléphonie n'ont pas à revendre les appareils qui leur sont remis par leurs clients. Le particulier qui rapporte son téléphone à un opérateur pense qu'il sera envoyé à une filière de traitement, il ignore qu'il sera revendu.
Le fait que le réfrigérateur remis à Darty soit un déchet, mais non le téléphone rapporté à l'opérateur, est incompréhensible.
Je ne suis pas certain que les opérateurs vont nous entendre. Faut-il employer un moyen législatif ?
Il faut que la loi soit appliquée : dès lors qu'un produit est abandonné par son dernier détenteur, il devient un DEEE. Le problème, c'est que les services après-vente considèrent qu'ils récupèrent un équipement électrique et non un DEEE. Il faudrait donc préciser dans les textes qu'un téléphone mobile, au même titre qu'un réfrigérateur, est un DEEE. Il faudrait également préciser que le dernier détenteur est celui qui a acheté l'appareil et non le service après-vente.
Personne en France n'a jamais eu la volonté d'investir dans les équipements nécessaires, lesquels proviennent souvent d'anciennes installations industrielles. De gros affineurs étrangers ont, eux, dédié des fours au recyclage, contrairement aux gros sidérurgistes français, qui n'ont jamais eu envie de s'intéresser à ce type de problèmes et d'investir. Nous sommes donc obligés aujourd'hui de passer sous les fourches caudines de ces grosses structures que sont Aurubis et Boliden, lesquelles nous imposent leurs conditions.
Ces entreprises ne font pas de très gros efforts pour aller très loin dans le recyclage, car cela leur coûterait trop cher pour récupérer quelques grammes de métaux, même s'ils sont très intéressants. Ils préfèrent s'en tenir à l'or, à l'argent, au palladium, au platine, qu'ils savent parfaitement traiter, plutôt que de mettre au point des technologies qui leur permettraient de récupérer d'autres métaux.
En France, Terra Nova a essayé de s'y mettre et d'aller plus loin. Cette société souhaitait produire un concentrat et le traiter. Pour l'instant, elle en est restée à la première étape et elle revend son concentrat. C'est le signe que c'est difficile. Bigarren Bizi, au Pays Basque, et d'autres sociétés, comme Extracthive, s'intéressent aux nouvelles technologies, à des systèmes à ultra-sons ou à d'autres méthodologies, mais il ne s'agit pour l'instant que de projets pilotes.
La société Nyrstar d'Auby recycle l'indium contenu dans certains produits, comme les écrans, mais la variabilité du prix de ce métal est considérable. L'indium est ainsi passé de 1 000 euros le kilo à 200 euros le kilo. Dans ces conditions, cela coûte trop cher de le recycler. Il est parfois presque plus intéressant de le mettre en centre d'enfouissement ou en incinération que de le faire traiter. Ce qui a conduit Solvay à fermer son usine de la Rochelle, c'est la variabilité de la valeur des terres rares.
Terra Nova et Nyrstar viennent du même creuset. Ces entreprises ont des connaissances métallurgiques classiques, mais elles sont limitées par l'adéquation entre les tonnages et les coûts. C'est un problème purement économique de rentabilité d'une entreprise. Il faudrait trouver des technologies qui soient à la fois applicables à des petites quantités et économiquement valables.
J'ai travaillé avec l'Institut national polytechnique de Grenoble sur des technologies à sels fondus afin de récupérer des métaux précieux. Elles fonctionnent très bien avec un petit morceau d'or, mais pas avec une carte électronique. La société Extracthive a mis au point une technologie qui marche très bien sur des produits riches. Elle fonctionne avec un résidu d'aimant, mais pas avec les aimants extraits des disques durs ou des téléphones portables, lesquels contiennent des polluants antagonistes des produits que l'on veut récupérer.
L'évolution des technologies pose également problème. Si l'on développe une technologie rentable pour 100 grammes d'or par tonne et que, du jour au lendemain, les produits n'en contiennent plus que 50 grammes par tonne, on est mort. Compte tenu des problèmes que pose le recyclage et de la baisse des cours des métaux, qui osera investir ?
Pour notre part, nous sommes soumis à une forte pression des éco-organismes du fait de la baisse des cours. Ils souhaitent qu'on les paie davantage, mais on ne le peut pas, car les cours des métaux et des matières plastiques ne cessent de baisser. En outre, des obligations importantes nous sont imposées. Pour retirer les retardateurs de flamme bromés des matières plastiques, il faut mettre en place un tri qui coûte cher. Il faut ensuite traiter les retardateurs qui ont été éliminés. Les éco-organismes ne comprennent pas que les produits ont alors une valeur négative. Nous nous battons pour leur faire comprendre que la valeur d'un produit peut devenir négative en raison de l'évolution des technologies, des obligations qui nous sont imposées et de la baisse du prix des matières.
Pour continuer sur l'exemple des retardateurs de flamme bromés dans les plastiques, nous avons mis en évidence leur présence par flux. Certains flux ont des taux de retardateurs de flamme bromés supérieurs à 2 000 ppm, soit la limite maximale, et des taux de polluants organiques persistants, les POP, supérieurs à 1 000 ppm. En fonction des fractions, on peut soit les recycler, en boucle fermée ou ouverte, soit les détruire, soit produire des combustibles solides de récupération, les CSR. Nous avons transmis toutes nos analyses au ministère, qui a promis de nous répondre au mois de septembre. Nous sommes soumis à des obligations réglementaires, nous ne pouvons pas faire ce que nous voulons.
Les marges financières sont totalement différentes selon que l'on fait du recyclage, qui rapporte de l'argent, de la destruction, qui coûte très cher, de la mise en décharge, qui coûte un peu moins cher, de l'incinération ou du CSR. Nous répondons aux obligations. Dans certains cas mêmes, les éco-organismes se sont approprié les fractions dangereuses afin de les traiter eux-mêmes dans des sites dédiés.
Ce sont les affineurs qui le récupèrent, quand ils traitent du cuivre par exemple, qui en contient. Les poussières de béryllium sont dangereuses, mais pas le béryllium en lui-même.
Existe-t-il des chartes, par exemple, permettant de protéger les salariés ?
Nous avons en effet des guides de bonnes pratiques.
Oui, nous vous les transmettrons.
Nous avons l'obligation d'être conformes à l'autorisation délivrée par la préfecture prévue dans la législation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement et au WEEE labex, qui traitent, outre les aspects réglementaires, des problématiques sanitaires et sociales.
Nous devons réaliser un travail de recensement interne de données sur ce sujet.
Il est important pour nous de nous assurer, lorsque nous faisons traiter des produits ailleurs qu'en France - je parle de pays limitrophes, l'Espagne par exemple -, que le traitement est réalisé dans les mêmes conditions. De ce point de vue, le WEEE labex n'est pas une norme acceptable, car elle est interprétée de façon différente dans chaque pays européen. Ce qui devait être une norme européenne n'en est plus une.
Le WEEE Labex est un label d'excellence pour le traitement des DEEE. La majorité des sites sont en train d'être certifiés, mais les autres États n'imposent pas forcément le respect de cette norme aux entreprises.
En outre, cette certification peut coûter jusqu'à 10 000 euros par an par entreprise et par flux, chaque flux faisant l'objet d'une labellisation - les réfrigérateurs, les petits appareils en mélange, les écrans. En outre, les frais d'audit sont financés par les entreprises. Cela crée une distorsion de concurrence entre les pays.
En France, une entreprise n'ayant pas obtenu le WEEE Labex a très peu de chances de travailler dans le secteur des DEEE. En Allemagne, quasiment aucun site n'est labellisé WEEE Labex.
Le WEEE Labex est un standard privé. La FEDEREC travaille également sur des normes européennes avec le Comité européen de normalisation en électronique et en électrotechnique. Nous achevons la rédaction d'un ensemble de textes, dont nous espérons qu'ils seront ensuite rendus obligatoires à l'échelon européen, et pas uniquement en France.
Si ces textes étaient intégrés à notre réglementation, mais pas à celle des autres pays, ils présenteraient un risque pour nos entreprises. Nous souhaitons donc que la Commission européenne, qui a été sensibilisée à ce sujet, les intègre à la réglementation européenne. Des contrôles seront ensuite nécessaires sur le terrain. Les éco-organismes effectuent très fréquemment des audits des sites en France. Le respect des obligations est très contrôlé en France par rapport à d'autres États.
Elles sont cordiales. Nous avons mis en place, à la demande de l'État et du législateur, un comité d'orientation stratégique par filière, lequel réunit PV Cycle, Récylum, Écologic et Éco-systèmes, ainsi que la FNADE, la Fédération nationale des activités de la dépollution et de l'environnement et la Fédération des entreprises du recyclage. Sa présidence est tournante - c'est actuellement moi qui l'assure. Nous nous voyons tous les deux ou trois mois pour faire le point sur différents problèmes, que nous parvenons ainsi à régler. À ce niveau, les choses fonctionnent très bien. Les tensions sont ensuite liées aux exigences assez fortes des éco-organismes et à la concurrence qu'ils se livrent entre eux, laquelle a des impacts sur les prestataires.
Quels sont les avantages et les inconvénients de ce modèle et de cette concurrence ?
Les éco-organismes DEEE sont des organismes opérationnels, contrairement aux éco-organismes du secteur des emballages, qui sont des organismes financiers. Les éco-organismes financiers collectent les contributions, gèrent l'ensemble de la filière en mettant en place les contrats et en contrôlant les prestataires. Point important, ils restent propriétaires de la matière.
Les organismes opérationnels facturent des prestations et paient la matière aux éco-organismes pour pouvoir la revendre. S'il n'y avait qu'un seul éco-organisme, il n'y aurait plus aucune concurrence, le risque serait alors que, une fois les prestataires choisis, les choses soient définitivement bouclées. Une certaine pluralité est nécessaire. Or elle n'est pas assez importante actuellement. Deux éco-organismes se livrent une petite guerre, car leurs adhérents passent de l'un à l'autre en fonction des tarifs pratiqués. Pour minimiser leurs coûts et réduire les prix qu'ils font payer à leurs adhérents, ils s'en prennent aux prestataires. C'est un problème important.
Non, le risque serait alors dilué. Il serait dangereux que toutes les cartes soient placées entre les mains d'un seul éco-organisme.
Cela étant dit, nous parvenons de mieux en mieux à discuter avec les éco-organismes. Ils se rendent compte de leurs limites. Les sachants, c'est nous, pas eux. Cela a été difficile de le leur faire comprendre, mais ils commencent à l'admettre, ce qui est important pour nous.
La réunion est levée à 10 h 55.
Le compte rendu de cette audition sera publié ultérieurement.
Le compte rendu de cette audition sera publié ultérieurement.