Nous regrettons l'absence de M. Olivier Klein, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la ville et du logement, qui n'a pas pu être présent, alors que nous aurions dû l'entendre en audition.
Le Bureau du Sénat a confié à notre délégation la mission de simplification des normes, en 2014. Les normes sont indispensables lorsqu'elles sont pertinentes, mais elles sont coûteuses, en particulier financièrement. Elles ralentissent, complexifient et contreviennent à l'efficience de l'action publique, entretenant ainsi le désamour de nos concitoyens pour la chose publique, réduite à l'impuissance. Les sondages montrent qu'elles donnent lieu à une forme d'obsession et de cauchemar.
Le Conseil d'État a organisé récemment un colloque sur la simplification des normes, en collaboration avec l'Association des maires de France (AMF), le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) et la direction générale des collectivités locales (DGCL). Nous avons entendu en audition la secrétaire générale du Gouvernement ainsi que les directeurs de l'École nationale d'administration (ENA) et de l'Institut national des études territoriales (Inet), et, plus récemment, le rapporteur des études du Conseil d'État sur la simplification des normes.
Nous portons avec l'État une responsabilité collective, qui nous oblige à nous adapter à un contexte complexe et aux évolutions de la société, notamment au développement de la judiciarisation, dont on trouve une illustration récente dans les recours déposés contre les maires de certaines communes où les horaires de l'éclairage public ont été restreints.
Les précédentes tentatives de maîtrise des normes ont échoué. Nous l'avions constaté, avec Mathieu Darnaud, au sujet de la loi sur la transition énergétique, puis sur le code de l'urbanisme, avec François Calvet et Marc Daunis ; enfin, j'avais déposé, en 2016, une proposition de loi constitutionnelle, qui a été adoptée par le Sénat à une large majorité, mais que l'Assemblée nationale n'a jamais examinée. Elle reposait sur trois principes, celui du « one in, two out » - pour une norme introduite, on en retire deux -, celui du « qui décide paie » et celui visant à éviter la surtranposition européenne. Il y a urgence à agir : face à cette addiction aux normes, nous avons besoin d'une thérapie de choc.
Les raisons de cette inflation normative tiennent d'abord au fait que nous devons bâtir des équilibres toujours plus complexes entre des demandes souvent contradictoires, par exemple lorsqu'il s'agit de respecter des objectifs environnementaux sans nuire au développement des territoires. L'objectif du zéro artificialisation nette (ZAN) est, de ce point de vue, emblématique.
Ensuite, la judiciarisation de la société et le principe de précaution sont des facteurs inflationnistes. Les citoyens, les administrations et les élus locaux eux-mêmes réclament des normes toujours plus détaillées pour se protéger en cas de contentieux : on l'a vu récemment au sujet de l'extinction de l'éclairage public dans les villes et villages.
Enfin, l'emballement normatif tient également à une croyance quasi-mystique dans la norme. Il s'agit là d'un mal très français : quand ils veulent répondre à une « émotion » ou manquent de moyens financiers, les pouvoirs publics cèdent volontiers à la création de la norme « magique », afin de donner l'illusion qu'ils ont réglé la question. Quant aux parlementaires, ils présentent parfois des amendements trop précis, qui aboutissent à créer de nouvelles normes.
Les conséquences sont importantes pour les collectivités territoriales. Non seulement l'inflation normative complexifie et retarde les projets locaux, mais elle en augmente aussi fortement le coût, notamment pour les petites communes aux ressources limitées. La multiplication des normes constitue donc un frein au développement des territoires dans le contexte budgétaire contraint que chacun connaît.
Le Gouvernement évalue à près de 2 milliards d'euros le coût total pour les collectivités locales de cette inflation normative au cours de la période 2017-2021. Ce montant est à rapprocher du montant de 1 milliard d'euros que coûterait, en 2023, l'indexation de la dotation globale de fonctionnement (DGF) sur l'inflation.
Toutefois, nous avons découvert, à notre grande surprise, qu'il n'existait pas de thermomètre permettant de mesurer précisément la fièvre normative. En effet, le chiffre de 400 000 normes qui est parfois avancé n'a jamais été actualisé et ne repose sur aucun recensement rigoureux.
Face à cette lacune, nous avons regardé l'évolution du code général des collectivités territoriales (CGCT) et du code de l'urbanisme. Le CGCT a triplé de volume entre 2002 et 2022. Certes, cette évolution résulte en partie de l'adaptation des règles à la diversité des territoires. Toutefois, la différenciation territoriale ne peut expliquer à elle seule cette situation, étant précisé que le CGCT pourrait, au 1er janvier 2023, dépasser le seuil symbolique du million de mots : n'est-ce pas là un seuil d'alerte ?
Quant au code de l'urbanisme, il a augmenté de 44 % sur la même période.
Dans ce contexte, certains élus dénoncent une « addiction aux normes », voire un « harcèlement textuel »...
Les lois de simplification ne font parfois qu'ajouter une couche de complexité, et nous sommes convaincus de la nécessité de transformer le mode d'élaboration de la norme. Pour ce faire, nous avons privilégié des solutions simples et atteignables rapidement, grâce à des engagements politiques du Gouvernement ou du Parlement. Elles ne nécessitent pas, pour la plupart, de modification des textes juridiques.
Nous avons tenté d'être sobres dans nos recommandations et nous nous sommes concentrés sur l'instauration d'un principe de précaution pour éviter le délire normatif, en fabriquant la loi autrement.
En 2013, le Sénat a créé le CNEN, qui a pour mission de traiter des normes concernant les collectivités territoriales, sachant que toutes les lois sont susceptibles d'en produire. Nous recommandons un changement de pratiques portant sur la fabrique de la norme.
Tout d'abord, nous avons réfléchi aux études d'impact qui accompagnent les projets de loi et que le Gouvernement doit présenter au CNEN. En effet, ces études d'impact, dans la mesure où elles sont produites par le ministère qui présente le texte, sont davantage un outil d'autojustification qu'une aide objective à la décision. Nos recommandations à ce sujet sont à droit constant, car l'enjeu est plus de faire évoluer une culture et une discipline que de tout changer par une loi.
Le rapport recommande de donner plus de visibilité au Parlement, en le faisant participer à l'élaboration du texte très en amont. Il encourage le Gouvernement à présenter, à chaque début de session, à l'occasion d'un débat parlementaire en séance ou en commission, les principales mesures législatives et réglementaires relatives aux collectivités territoriales. Ce débat d'orientation permettrait aux parlementaires d'inviter le Gouvernement, le cas échéant, à réfléchir à des propositions alternatives, sans création de normes nouvelles. On éviterait ainsi les normes instaurées uniquement à des fins de communication.
Nous proposons également de modifier le mode d'élaboration de l'étude d'impact. Cette position est confortée par le fait que, pas plus tard qu'hier, le président du CNEN, Alain Lambert, « grande gâchette de la norme » s'il en est, a de nouveau alerté la Première ministre sur l'urgence de mettre fin au dérapage incontrôlé et incontrôlable de la norme.
Nous proposons donc deux recommandations pour que l'étude d'impact joue davantage son rôle d'outil d'aide à la décision. En premier lieu, le rapport recommande au Gouvernement, s'agissant des projets de loi sur les collectivités, de réaliser l'étude d'impact en deux temps : pour les textes les plus importants, un premier rapport, qualifié d'« étude d'options » ou d'« étude d'opportunités », permettrait d'évaluer l'intérêt même d'une nouvelle norme, en la comparant avec les autres solutions possibles. On éviterait ainsi le jaillissement de normes et l'on gagnerait en efficacité, sans avoir à toucher à la loi organique de 2009.
Cette démarche nécessite d'évaluer précisément les dispositions législatives en vigueur que le projet de loi envisage de modifier ; de soumettre cette étude d'options au CNEN ; d'organiser en séance publique ou en réunion restreinte un débat d'orientation avant l'examen du texte lui-même. Je rappelle, en effet, que 20 % à 25 % des textes qui arrivent au CNEN doivent être traités en urgence et qu'il y en a eu 19 au mois de décembre dernier.
En second lieu, le rapport recommande au Gouvernement, si ce dernier estime nécessaire de créer de nouvelles normes, de soumettre au CNEN une première version de l'étude d'impact au moins un mois avant l'examen de ladite norme. Le CNEN devra également certifier la sincérité, l'objectivité et la complétude de l'étude d'impact, rôle qui lui convient parfaitement, puisqu'il s'agit d'une autorité indépendante.
Le rapport formule d'autres propositions concernant l'étude d'impact.
Tout d'abord, nous constatons que les projets de loi concernant les collectivités territoriales ne justifient pas suffisamment du respect des principes de simplification, de libre administration, de subsidiarité et d'autonomie financière des communes. Nous invitons le Gouvernement à corriger le tir.
Ensuite, nous dénonçons, dans notre rapport, le risque de surtransposition des directives européennes. Comme je l'avais rappelé dans ma proposition de loi de 2016, les mesures assurant la transposition d'une directive communautaire ne doivent pas excéder les objectifs que cette dernière poursuit. Les études d'impact doivent être plus précises sur ce point.
J'en viens à la troisième recommandation, qui me tient particulièrement à coeur : l'évaluation a posteriori des lois que nous votons. En effet, le Parlement ne remplit pas suffisamment son rôle à cet égard.
L'évaluation d'une norme ne doit pas seulement intervenir avant son adoption, mais aussi après son entrée en vigueur, les démarches évaluatives ex ante et ex post étant complémentaires. Le rapport souligne l'intérêt de deux mécanismes susceptibles de contribuer à une meilleure évaluation des normes. Il recommande tout d'abord d'expérimenter, dans les lois à fort impact sur les collectivités territoriales, des clauses de réexamen et, le cas échéant, en dernier recours, des « clauses guillotine ». Certains textes de loi pourraient ainsi être à durée déterminée, comme cela se pratique déjà en Angleterre, avec un délai de cinq ans, au terme duquel on choisirait de pérenniser ou de mettre fin aux dispositions.
Nous rappelons ensuite l'importance du dialogue entre les services déconcentrés de l'État et les élus. En effet, depuis plusieurs années, le Sénat propose d'instaurer, auprès du préfet, une instance de concertation, composée de représentants des services de l'État et des collectivités locales.
En quatrième recommandation, le rapport encourage le renforcement du CNEN. Créé sur l'initiative du Sénat, à la fin de 2013, celui-ci est chargé d'évaluer l'impact technique et financier des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics. Il s'agit d'en faire un organe charnière inspiré du Nationaler Normenkontrollrat (NKR) allemand, comme je l'ai proposé dans ma proposition de résolution déposée en juin 2022.
Deux mesures symboliques visent à faire reconnaître l'importance du CNEN, qui nécessitent respectivement de modifier la loi et le règlement. Il convient tout d'abord de réaffirmer l'indépendance du CNEN et de le rattacher au Premier ministre, ce qui marquerait à la fois son importance et la transversalité de son action, par nature interministérielle.
Il faut ensuite donner davantage de visibilité aux travaux du CNEN. Le Conseil devrait transmettre directement au Sénat ses avis négatifs motivés. En outre, il conviendrait d'annexer ses avis aux études d'impact des projets de loi. On recense environ 20 à 30 avis négatifs du CNEN chaque année ; nous en sommes rarement informés.
Il convient également d'étendre et de conforter les missions du CNEN. On pourra ainsi lui confier la certification des études d'options et des études d'impact des textes imposés aux collectivités territoriales.
On pourra aussi permettre au Conseil de travailler dans des conditions sereines, en réduisant significativement la part des textes que le Gouvernement lui impose d'examiner en urgence. En effet, environ 25 % des textes qu'il examine s'inscrivent dans le cadre d'une procédure d'urgence, voire d'extrême urgence.
Enfin, il faudra renforcer les moyens humains et financiers du CNEN, qui ne compte pour l'instant que 5 à 6 équivalents temps plein (ETP), alors que le NKR allemand en compte 23.
En cinquième recommandation, nous estimons nécessaire de créer, au sein du Sénat, une fonction de veille et d'alerte, qui serait au service des commissions permanentes compétentes, le plus en amont possible de la production des normes, législatives ou réglementaires, applicables aux collectivités territoriales.
Cette fonction, comparable pour les textes nationaux à celle qu'exercent les commissions parlementaires des affaires européennes à l'égard des normes communautaires, aurait un double objectif. Concernant les avant-projets de loi, cela permettrait aux commissions permanentes compétentes d'être alertées très tôt lorsqu'apparaissent certaines difficultés pour les collectivités. Pour ce qui est des projets de décrets d'application, il faudrait permettre à ces mêmes commissions d'être alertées avant toute publication, notamment lorsque les textes envisagés semblent méconnaître la volonté du législateur. En effet, une telle situation se présente trop souvent, notamment dans le domaine des collectivités territoriales. Les décrets du ZAN en sont malheureusement l'illustration : ainsi, ils ont donné lieu à un avis négatif de la part du collège des élus du CNEN, dès le mois d'août. Certes, les avis du CNEN sont publiés sur son site internet, mais nous n'avons pas forcément le temps d'aller les consulter.
Il convient donc de renforcer le suivi des projets de décrets d'application. Récemment, deux ministères ont associé les rapporteurs des textes concernés à l'écriture des décrets d'application, mais ce genre d'initiative reste accidentel.
Le Sénat conforterait ainsi son rôle de gardien vigilant du processus de fabrique des réformes concernant les collectivités territoriales. Cette nouvelle fonction parlementaire suppose un renforcement des liens du Sénat avec le CNEN. Ce dernier pourrait, en effet, jouer un rôle de filtre, de sorte que le Sénat exercerait cette fonction de veille et d'alerte uniquement en cas d'avis négatif du CNEN.
Nous sommes collectivement soucieux de l'efficience de l'action publique. Pour reprendre les propos de David Lisnard, il faudrait cesser de considérer d'abord « ce qui est autorisé », alors qu'autrefois on regardait « ce qui est interdit », car cela a pour conséquence que nous nous retrouvons paralysés : en France, il faut sept à huit ans pour qu'un projet d'éolienne aboutisse, alors qu'en Allemagne le délai est trois fois moindre.
Par conséquent, nous suggérons que notre délégation désigne, en son sein, des « référents simplification » pour chaque commission, qui pourraient intervenir au moment de l'examen des textes concernant les collectivités. Ils seraient ainsi, de manière informelle, les porte-voix de la délégation. L'idée est que chacun d'entre nous, au sein de la commission dont il est membre, se fasse le porte-voix informel de la délégation.
Enfin, sixième recommandation, nous proposons d'organiser des États généraux de la simplification. Ce ne sera ni le 4 août ni le grand soir, mais ils répondraient à la convergence des préoccupations du CNEN, des associations d'élus et du Conseil d'État, liée au fait que nous arrivions au bout de ce qui est possible en matière de production de la norme. Cette convergence démontre la nécessité d'une forme d'autodiscipline, avec, en vue, l'efficacité de l'action publique. Parfois, à vouloir trop bien faire et conjuguer des impératifs contradictoires, nous en arrivons à une norme contre-productive.
Il faut sensibiliser les citoyens : la norme vient de nous tous. Chaque fois que quelque chose de négatif arrive, on considère que c'est parce que quelqu'un a failli. Pour protéger les maires contre des recours abusifs, certains envisagent, par exemple, de définir des normes d'éclairage public dans toutes les communes de France. Jusqu'où ira-t-on ?
Les États généraux que nous proposons seront l'occasion d'une prise de conscience collective : il ne suffit pas de donner son nom à une loi pour montrer que l'on a agi... Organisés le jeudi 16 mars et placés sous le haut patronage du président du Sénat, ils auront lieu dans notre assemblée. De nombreux acteurs, dont le CNEN et les associations d'élus, nous soutiennent ; même l'éditeur Dalloz s'y intéresse. Nous y dévoilerons les résultats de la consultation et nous souhaiterions que, à la fin de ce colloque, une charte engage moralement à la fois le Gouvernement, le Sénat, le CNEN et les associations d'élus. Nous y inscririons nos recommandations, notamment celle relative à la fabrique de la loi, qui doit s'apparenter à un processus industriel normalisé.
Une petite rectification sur le rôle de veille : notre délégation contient des membres de toutes les commissions. Les référents devraient être officiellement désignés en tant que tels au sein de leurs commissions permanentes. Si l'on veut recueillir tous les problèmes de normes, chacun doit être responsabilisé.
Je vous remercie pour ce rapport fort intéressant.
Qu'est-ce qui empêche le « one in, two out » de fonctionner ?
Le Sénat commence à être vertueux, avec ses deux lois tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit, dites « Balai ». C'est un ouvrage considérable - je l'ai constaté en étant rapporteur de la seconde - commencé par Vincent Delahaye que de remonter à la genèse des lois pour déterminer leur obsolescence. De plus, abroger suppose de prendre en compte toutes les ramifications juridiques, législatives comme réglementaires, avec un travail titanesque de réécriture du droit en vigueur. Les États généraux devraient être l'occasion de fixer un objectif annuel de nombre de lois passées au crible - une quarantaine ou une cinquantaine, par exemple. Encore en faut-il les moyens...
Il faudrait, pour le « one in, two out » nous autolimiter sur nos amendements. Certes, et ce n'est pas nouveau, nous sommes plus sobres qu'à l'Assemblée nationale, avec respectivement 46 000 amendements déposés contre 200 000 sur l'ensemble de la dernière législature. Cependant, moins d'amendements ne veut pas dire moins de normes. Nous en ajoutons souvent, en précisant trop la volonté du législateur.
À mon avis, c'est parce que l'étude d'impact n'est pas assez complète. Elle devrait présenter plusieurs options et leurs conséquences sur les normes.
La secrétaire générale du Gouvernement nous a indiqué que, sans que cela se voie, il y avait beaucoup de progrès - nous en avons été impressionnés. Cependant, cela finit toujours par déraper, notamment sur les décrets d'application. De plus, l'inflation normative est aussi législative : les textes se succèdent à toute allure et les ministères ne travaillent pas les uns avec les autres.
Ainsi, alors que nous examinions le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, personne, dans le cabinet d'Agnès Pannier-Runacher, nouvelle ministre chargée de l'énergie, n'avait conservé de trace d'une disposition de la loi - adoptée six mois plus tôt - du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite « 3DS », sur l'association des élus, par une modification simplifiée du plan local d'urbanisme (PLU), à l'implantation d'éoliennes. Au sein du Gouvernement manque une capacité d'évaluation de l'impact des normes sur les collectivités, alors qu'il a l'obligation d'en présenter les éléments au CNEN - c'est ce que nous avons vu pour le ZAN.
Vous avez raison, le travail du Sénat sur les lois Balai est remarquable, mais il ne s'agit que de lois qui ne s'appliquent plus. En parallèle, il faut être aussi frugal en production de normes qu'en consommation d'énergie ou de foncier... Le ministère de la transition écologique ne voit pas le sujet des collectivités.
Une remarque : le droit d'amendement est constitutionnel. Les députés et les sénateurs y seront toujours attachés, en bonne conscience ou par volonté de se faire reconnaître. De plus, les outils - études d'impact et comités divers - ne remplaceront pas une volonté politique de simplification d'un gouvernement, quel qu'il soit. Ce ne sont pas les outils qui manquent : c'est la volonté.
Enfin, vous avez mentionné la difficulté pour les préfets de déroger. L'efficacité ne supposerait-elle pas une fonction territorialisée de simplification et de dérogation ? En effet, dès que l'on porte un projet de terrain, on est confronté à cette nécessité. Cela ne peut pas venir que du haut, tout comme la décentralisation.
C'est exactement l'objet de notre recommandation sur la conférence de dialogue au niveau des départements, avec les préfets. Ceux-ci devraient être plus libres, sans avoir à craindre que le pouvoir de dérogation leur porte préjudice.
Tout d'abord, le rapport d'information de nos collègues Agnès Canayer et Éric Kerrouche intitulé À la recherche de l'État dans les territoires recommande que l'évaluation du préfet associe les élus locaux.
Ensuite, nous avons introduit dans la loi - 3DS notamment - des règles de différenciation du pouvoir réglementaire local et nous avons encouragé l'expérimentation. Cependant, pour être ou avoir tous été élus locaux, nous reconnaissons que l'on s'appuie parfois sur la norme pour motiver face aux concitoyens la non-réalisation de certains projets. Ainsi - j'en prends ma part -, nous amendons parfois un texte en créant une norme qui s'applique à tous pour résoudre le problème d'un territoire donné, alors que la loi devrait donner un cadre laissant la possibilité d'ajustements locaux. Cependant, la norme est parfois protectrice pour le maire. C'est un problème culturel qui perdurera, faute d'une approche systémique du Gouvernement.
Les ministres sont chacun dans leur couloir. Quant au préfet, ni le directeur de l'agence régionale de santé, ni celui des finances publiques, ni le recteur d'académie ne dépendent de lui. C'est pourquoi nous avons proposé que le préfet soit le chef d'orchestre des administrations déconcentrées de l'État. Le Sénat pourrait être l'avertisseur qui rappelle à chaque fois le Gouvernement à ses devoirs. Nous ne révolutionnerons pas tout, mais, si nous ne faisons rien, c'est la confiance de nos concitoyens qui en souffrira.
Je vous remercie de votre travail. La vertu est paradoxale : les outils existent, mais ils sont mal utilisés. Le Conseil constitutionnel a déjà validé des études d'impact vides...
Une étude d'impact défavorable demanderait donc bien du courage, alors qu'elle n'est pas nécessaire. De plus, les gouvernements essaient de faire croire qu'ils ont une prise sur le réel en légiférant, les parlementaires aiment se faire mousser et la population aime les textes : en France, un espace de liberté s'appelle un vide juridique ! Il nous faut de la loi partout. Les maires réclament plus de pouvoir, mais, pour éteindre la lumière, ils se justifient en rejetant la faute sur les autres... Le pouvoir ne va pas sans responsabilité.
Ma question porte sur le caractère général de la loi. Le pouvoir d'ajustement des territoires est intéressant, mais la judiciarisation renforce le rôle des magistrats, souvent éloignés de la réalité et guidés par leurs opinions. Ne devrions-nous pas limiter les juges à l'appréciation de l'erreur manifeste plutôt que les laisser interpréter la loi comme s'ils étaient chargés de son application ?
La loi définit un cadre d'action. Elle permet, localement, de trouver la réponse. En revanche, le juge interprète la loi plus qu'il la lit. Éviter la distorsion par le juge est la raison du caractère parfois bavard de la loi... Vous dressez une piste intéressante.
Pour avoir travaillé sur l'évaluation des politiques publiques il y a quelques années, travail ayant finalement débouché sur des dispositions bien modestes par rapport à la mission qui était la mienne, je souscris à vos propositions.
Il faut distinguer loi, règlement et politiques publiques. L'évaluation doit être réalisée sur ces dernières. J'avais proposé la création d'un Conseil parlementaire d'évaluation des politiques publiques, à l'instar de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), qui travaille bien dans son domaine. Cela me semble toujours d'actualité. Il faut une implication structurelle des associations de collectivités, de la Fédération nationale des schémas de cohérence territoriale (SCoT), etc.
Y a-t-il des travaux universitaires sur ce sujet ? Je propose d'associer des laboratoires universitaires, avec, au coeur du dispositif, le CNEN. Le Sénat et notre délégation pourraient lancer cette démarche.
Plus largement, je pose la question du droit souple. On a parlé de la codification inflationniste et de l'amour des Français pour le texte : notre culture juridique continentale n'est pas celle des Anglo-saxons. Ne pourrait-on pas introduire, à la faveur de la simplification, du droit souple en matière de fonctionnement des collectivités ?
Nous creuserons votre question sur les travaux universitaires. Notre rapport mentionne aussi la formation de ceux qui contribuent à produire les normes, c'est-à-dire les hauts fonctionnaires. Nous devons tous nous servir des outils, comme l'a dit Philippe Mouiller.
Cher Franck Montaugé, l'amour des Français pour la loi, comparable à celui des jardins à la française, fait que nous sommes perturbés lorsque l'égalité est interprétée de façon erronée. Nous considérons souvent que l'égalité passe par la norme. Or, l'égalité n'est pas l'uniformité : c'est l'équité qu'il faut rechercher. Nous ne changerons pas notre culture, mais nous devons nous soigner. Il faut toujours garder en tête la préoccupation que ce que l'on produit soit utile.
Si nous avions un débat d'orientation législative sur les collectivités territoriales en début de session, nous pourrions travailler bien plus en amont et le Gouvernement serait plus vigilant sur la justification de ses normes.
Je précise que les universitaires sont associés aux États généraux.
Je vous remercie de votre rapport : vous formulez d'ailleurs un nombre restreint de recommandations, vous appliquant à vous-mêmes vos préconisations.
Entre l'instruction et la réalisation, les normes évoluent, ce qui freine les réalisations des élus et les démobilise. Ne pourrait-on figer les normes au moment de l'instruction ? Cela créerait un espace de liberté et d'appréciation, utilisé conjointement par l'élu et par le préfet. En effet, ce décalage de plusieurs années est insupportable et s'avère souvent bloquant.
Je rencontre un franc succès, lors des voeux, lorsque je parle de simplification. Ces États généraux suscitent l'intérêt : il y a une attente des élus et de nos concitoyens. La consultation en ligne sur la plateforme du Sénat apportera des idées.
Je souscris aux propos de Philippe Mouiller : il faut une vraie volonté politique. Dans l'histoire récente, un chef d'État annonçait un « choc de simplification ». Nous avons eu le choc, mais où est la simplification ?
Ces États généraux doivent être l'occasion pour les parlementaires de faire de la pédagogie sur notre propre production de normes. Personnellement, je fais dès le départ le tri dans les propositions d'amendement que je reçois. Il nous faut nous autoréguler.
Ce matin, avec d'autres parlementaires, j'ai eu une réunion sur la crise qui menace les betteraviers avec les néonicotinoïdes : la norme française s'ajoute à l'européenne, qu'elle surtranspose. Nous sommes gavés à la norme.
La réponse aux difficultés évoquées par Chantal Deseyne, c'est le local. La commission départementale de conciliation est un cadre idéal pour résoudre les problèmes normatifs.
Sur l'autocensure, nous pourrions même imaginer une charte parlementaire pour encourager ceux qui agissent en faveur de la simplification...
Il faut une stabilité de la norme : sa modification ne devrait pas avoir de répercussion rétroactive sur un projet déjà engagé. C'est particulièrement vrai en matière d'urbanisme.
Je mentionne à nouveau le rapport de nos collègues Agnès Canayer et Éric Kerrouche, qui met l'accent sur l'autorité harmonisatrice du représentant de l'État dans les territoires. Vous avez tous eu cette expérience : on fixe un schéma d'accessibilité avec le préfet, et l'on apprend le lendemain, dans la presse, la fermeture d'une trésorerie. Le préfet doit arbitrer. Voyez les contrats de mixité sociale : c'est le préfet qui apprécie la situation.
Quand, ici, nous avançons lentement sur l'eau et l'assainissement, et que cela ne fonctionne toujours pas en certains endroits, cela montre que les élus doivent avoir la capacité de choisir et de faire.
Enfin, la commission de coordination est utile, mais il ne faut pas laisser l'élu seul face au préfet. Le maire d'une grande ville n'a pas la même puissance que celui d'une petite commune.
Vous mentionnez une thérapie de choc. Je vous propose un choc, dont j'ai parlé hier avec l'AMF : rien ne sert de réécrire constamment le code de l'urbanisme, déjà compliqué et lourd, et face auquel les élus se sentent dépossédés. Après avoir été privés de l'autonomie fiscale, ils ne peuvent désormais plus aménager. Pourquoi ne pas laisser le code tel qu'il est, en autorisant une commission départementale rassemblant tous les acteurs - préfet, élus, entreprises, agriculteurs, associations, etc. - à déroger à l'ensemble du code de l'urbanisme ? Nous pourrions expérimenter cette capacité de dérogation sur certains territoires, avec un recours devant le Conseil d'État sous trois mois.
Nous verrions alors les effets des décisions des acteurs de proximité. En effet, les décisions s'éloignent de plus en plus de l'expérience de la population. Voilà une thérapie de choc, alors que l'urbanisme est, typiquement, une matière exigeant des adaptations territoriales. Certaines situations justifient de déroger.
Au bout de quelques années, nous constaterions peut-être de belles réalisations répondant aux besoins des territoires. Je prêche dans le désert, sentant votre doute...
Il s'agit bien d'un choc... Je signale toutefois que le rescrit existe déjà
De plus, il existe une hiérarchie des normes. Le code de l'urbanisme contient des dispositions environnementales. Ainsi, la loi Littoral empêche les constructions dans la baie du Mont-Saint-Michel, qui contient la seule appellation d'origine protégée (AOP) de production de moules, alors que celle-ci nécessite des structures pour poursuivre l'activité. Il faut hiérarchiser et sécuriser la norme, car le risque de recours existe toujours. Or la judiciarisation et le risque de recours d'un voisin contrarié font que tout le monde se cramponne à la norme. Il faut être imaginatif sans chercher à inventer de nouveaux outils, car ceux-ci existent déjà.
Mes chers collègues, je vous remercie de ces échanges.
La délégation adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.
La réunion est close à 10 h 30.