Mes chers collègues, je souhaite, à titre liminaire, évoquer devant vous le suivi des résolutions européennes adoptées par le Sénat, qui constitue un enjeu important.
Au titre de l'article 88-4 de la Constitution, nous adressons au Gouvernement nos positions sur les textes en discussion dans les instances européennes. Depuis la révision constitutionnelle de 2008, nous pouvons le faire désormais sur « tout document émanant d'une institution européenne ». C'est un élargissement important du champ des résolutions européennes dont le Sénat s'est saisi au cours de ces dernières années. Je pense en particulier à nos résolutions sur le vin rosé, sur les profils nutritionnels ou encore sur la procédure de révision des textes relatifs à la protection des données.
Encore faut-il que nous sachions ce que le Gouvernement fait de nos résolutions. Certes, dans notre système de séparation des pouvoirs, il n'est pas juridiquement tenu de s'y conformer. Il n'existe pas, comme dans certains États membres, de mandat de négociation auquel le Gouvernement doit obligatoirement se tenir. Mais au titre du contrôle exercé par le Sénat sur l'action européenne du Gouvernement, il est logique que nous disposions d'informations sur la position que celui-ci adopte dans les négociations européennes. Quel sort réserve-t-il à nos prises de position ? Au-delà, les résolutions européennes, quel que soit leur objet, doivent permettre un véritable dialogue avec l'exécutif.
Ce sujet, nous l'abordons depuis quelques années, de façon récurrente avec les ministres en charge des affaires européennes et avec le SGAE. Certains d'entre nous se souviennent que, lors de l'audition de M. Bernard Cazeneuve, alors en charge des affaires européennes, en juillet 2012, notre collègue Simon Sutour lui avait remis l'ensemble des résolutions adoptées par le Sénat ! Le précédent SGAE, M. Serge Guillon, avait fait part, au cours de son audition en février 2013, de son attachement à des relations transparentes et franches entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Il avait indiqué qu'il demandait et utilisait de nombreuses résolutions pour définir les positions de la France dans la négociation européenne. Une telle démarche doit aider le Gouvernement. Il avait néanmoins reconnu que cette démarche n'était sans doute pas assez formalisée et, surtout, que le Gouvernement n'en rendait pas suffisamment compte au Sénat.
En juin 2013, le dispositif de suivi des résolutions européennes a été relancé. Il s'agit d'un suivi trimestriel. Le Gouvernement adresse à la commission des affaires européennes des fiches qui font un point sur l'état des négociations et sur la position française sur les questions ayant fait l'objet de la résolution. Les deux dernières fiches que nous avons reçues en octobre ont porté sur les biocarburants et sur le Mécanisme de résolution unique (MRU) destiné à traiter les faillites bancaires. Richard Yung nous parlera dans un instant de ce dernier sujet. Nous reviendrons sur la question importante des biocarburants dans une prochaine réunion.
Il faut souligner l'effort entrepris par le SGAE dans la mise en oeuvre de cette procédure. Au total, nous avons reçu treize fiches de suivi en 2014 contre cinq en 2013. Pour l'essentiel, elles nous ont été adressées fin août et fin octobre. Vous les trouverez dans le dossier qui vous a été remis. Nos rapporteurs en rendront compte devant la commission.
Je veux toutefois évoquer deux difficultés que soulève la procédure de suivi dans sa forme actuelle. D'abord, le SGAE nous adresse des fiches de suivi sur des résolutions qui ont porté sur un projet d'acte. Aussi nos résolutions qui ne portent pas sur un projet d'acte ne sont pas prises en compte, ce qui est assez déplaisant. Vous en trouverez la liste dans le tableau figurant au dossier. Des sujets aussi importants que les droits de plantation, les droits des consommateurs, la lutte contre le gaspillage alimentaire, les aides d'État aux aéroports régionaux, la citoyenneté européenne ou encore le dumping social dans les transports européens, sont précisément laissés de côté. Ce sont pourtant des sujets importants que l'on prend soin d'examiner très en amont !
Cette solution ne me paraît pas satisfaisante. La procédure de l'article 88-4 doit permettre un dialogue avec le Gouvernement sur tous les sujets européens dont le Sénat se saisit. La fiche de suivi n'est bien sûr qu'un instrument de ce dialogue. Mais elle peut constituer une source appréciable d'information. En outre, comme je l'ai indiqué précédemment, c'est la Constitution elle-même, depuis la révision de 2008, qui nous autorise à adopter des résolutions qui ne portent pas spécifiquement sur un texte européen. Un dialogue doit donc pouvoir se dérouler, à partir de la fiche de suivi, quelle que soit la base de notre résolution, projet d'acte ou simple document.
En deuxième lieu, le SGAE établit une fiche de suivi lorsque le texte a fait l'objet d'un accord politique au Conseil au cours du trimestre écoulé. On peut comprendre que cette circonstance donne une base plus solide pour faire un état de la négociation. Dans le même temps, elle conduit à ce que nous ayons des retours très tardifs sur nos résolutions. Comme vous pourrez le constater à la lecture du tableau, les fiches nous sont transmises un an, voire plus, après l'adoption de la résolution. En outre, la conclusion d'un accord politique signifie que la négociation est en voie d'être finalisée. Ce qui veut dire que nous n'avons plus la possibilité d'avoir un échange utile avec le Gouvernement sur son déroulement.
Je prendrai l'exemple de la protection des données personnelles. Le texte de la Commission européenne prend la forme d'un règlement qui sera d'application directe une fois adopté. Sur le rapport de Simon Sutour, nous avions adopté une résolution européenne, en mars 2013, qui souligne plusieurs priorités que le Sénat souhaitait voir prises en compte, notamment sur la question sensible du guichet unique. Depuis lors, la négociation s'est poursuivie. La nouvelle Commission souhaite la faire aboutir. Pouvons-nous attendre la conclusion d'un accord politique pour savoir ce qu'il est advenu de nos positions sur ce sujet sensible pour la protection des droits fondamentaux ?
Pour conclure, je veux à nouveau souligner que cette procédure de fiches de suivi n'est qu'un moyen, certes important, pour savoir ce que deviennent les résolutions que nous votons. Comme je l'avais indiqué lorsque nous avons débattu de notre programme de travail, je vous proposerai de procéder à l'audition des ministres avant des réunions du Conseil qui doivent aborder des questions ayant fait l'objet de résolutions du Sénat. Nous pourrons alors avoir un échange direct avec le Gouvernement sur l'état des négociations et la position qu'il entend défendre au Conseil.
Il importe ainsi de bien faire comprendre au Gouvernement que les positions arrêtées lors de nos débats ne doivent pas demeurer lettre morte et lui rappeler notre souhait qu'il se conforme à notre position. Si tel n'était pas le cas, il ne faudrait pas s'étonner que le Sénat ne suive pas la position du Gouvernement lorsqu'il présente un projet de loi de transposition. D'ailleurs, l'ensemble des sujets que notre Commission a abordés demande une réponse.
Je tiens enfin à souligner que le SGAE, qui rassemble des équipes qui suivent de près les dossiers, est un service de grande qualité. Notre dialogue doit donc être approfondi.
Je pense que tout cela n'est pas satisfaisant ! Une proposition de résolution permet certes de faire connaître la position publique de notre commission, mais celle-ci ne fait pas l'objet d'un suivi suffisamment attentif de la part du Gouvernement. Il est vrai que nous avons déjà pu obtenir satisfaction comme sur la question des plantations viticoles. Le Gouvernement fait, en revanche, plus attention lorsqu'il sollicite en urgence le président de la commission pour une levée de la réserve d'examen parlementaire. Et d'ailleurs, le président de la commission est libre de faire part au Gouvernement de son désaccord. Je l'ai moi-même manifesté lors de l'examen de l'accord avec les États-Unis sur le transfert de données des passagers aériens (PNR). Il faudra ainsi conduire une démarche analogue de suivi s'agissant des avis politiques que nous transmettons à la Commission européenne.
Nous avions en effet, notamment avec notre collègue Robert Badinter, fait preuve d'une grande vigilance sur la question des PNR. Il n'est pas toujours possible de lever la réserve d'examen parlementaire sur les dossiers qui nous sont transmis. C'est notre responsabilité d'exprimer nos réserves sur tout texte qui le mérite.
Les avis motivés au titre de la subsidiarité permettent par ailleurs aux parlements de donner un signal efficace aux institutions européennes. Le SGAE est en effet une bonne administration mais le suivi de nos résolutions dépend en grande partie de l'implication de son responsable.
C'est aussi souvent utile pour le Gouvernement que nous prenions position en cours de négociation ; D'ailleurs, nos voisins allemands le font souvent et il n'y a pas de raison, qu'à notre tour, nous ne soutenions pas notre propre gouvernement de la sorte ! Nous l'avons fait avec succès pour les fonds de résolution unique.
Je rappellerai nos positions au ministre en charge des affaires européennes et notre souhait d'avoir un dialogue avec le Gouvernement avant les réunions du Conseil. Nous devons être particulièrement vigilants sur certains dossiers en cours comme la transposition du traité transatlantique de libre-échange. Sur les Indications géographiques protégées (IGP), on constate les divergences entre le Nord, qui s'estime peu concerné et se rapproche des États-Unis sur cette question, et le Sud de l'Europe, pour lequel les appellations et le terroir apportent aux productions agricoles et agronomiques une forte valeur ajoutée.
Nous allons maintenant entendre une communication de Richard Yung sur le mécanisme de résolution unique dans le cadre de l'union bancaire.
La construction de l'union bancaire est un enjeu essentiel pour mettre en place une régulation qui a cruellement fait défaut au moment de la crise financière. L'Union européenne s'est dotée d'un mécanisme de supervision unique. Il est confié à la Banque centrale européenne (BCE). Il permet de superviser les principales banques de la zone euro.
Il convient désormais de finaliser le mécanisme de résolution unique. C'est indispensable pour que les contribuables ne subissent plus les conséquences des défaillances bancaires. Un conseil et un fonds de résolution uniques seront instaurés.
Le Sénat a adopté, sur notre initiative, en mars dernier, une résolution européenne sur ce mécanisme de résolution unique. Nous sommes intéressés de savoir ce que le Gouvernement a fait de cette résolution. Elle fait l'objet d'une fiche de suivi qui vous a été distribuée.
Ce dispositif ne sera cependant opérationnel qu'une fois ratifié l'accord intergouvernemental signé le 21 mai. Or, la question du financement du fonds reste problématique. Le Sénat a manifesté sa préoccupation récemment. Sur l'initiative de Richard Yung, il a conditionné la participation de la France à ce mécanisme à l'issue des négociations sur les contributions nationales au fonds de résolution.
Richard Yung a suivi ces questions et nous a rendu compte à plusieurs reprises des avancées de ce processus
Je lui donne la parole.
Ma communication portera sur l'un des volets de l'Union bancaire. Nous avions déjà traité l'aspect surveillance qui concernait la mise en place du Mécanisme de Surveillance Unique par la Banque centrale européenne. Les tests de résistance et la revue de la qualité des actifs bancaires y ont été publiés ; la Banque centrale européenne est désormais effectivement le superviseur unique des banques de la zone euro.
Nous avions adopté, en mars dernier, une résolution européenne qui portait sur ce mécanisme de résolution. Cette résolution, présentée par la commission des affaires européennes et approuvée sans modification par la commission des finances, s'intégrait dans la continuité des travaux menés par le Sénat sur les différentes étapes de l'union bancaire. Elle visait notamment les modalités de la mise en place de règles uniformes pour les 28 États membres en ce qui concerne la résolution et le financement des crises bancaires sous la forme d'une directive dite BRRD qui précise l'ordre d'appel des fonds allant des actionnaires privés jusqu'aux fonds nationaux eux-mêmes auxquels se substituera progressivement un fond européen. Rappelons que cette démarche s'avère motivée notamment par le souci de prévenir que les contribuables ne soient mobilisés en lieu et place des banques.
Elle visait aussi le règlement dit MRU instituant un mécanisme de résolution unique et un Fonds de résolution unique destinés à traiter les défaillances bancaires au sein de la zone euro.
Ce règlement très technique doit permettre, en trente heures, de faire face à une défaillance bancaire au sein de la zone euro.
Si l'adoption du règlement MRU, de la directive BRRD et la poursuite de la mise en place du mécanisme de surveillance unique sont autant d'éléments que le Sénat a soutenu dans sa résolution, il reste encore aujourd'hui des points majeurs en négociation.
En effet, la mise en place du Mécanisme de Résolution Unique, est étalée dans le temps et complexe.
Étalée dans le temps tout d'abord car, malgré l'adoption du règlement MRU, il faudra attendre la mise en place du Fonds de résolution unique pour que les dispositions relatives à la résolution s'appliquent. Or, la mise en place du Fonds de résolution suppose la ratification de l'accord intergouvernemental (AIG) qui n'entrera en vigueur que lorsqu'il aura été ratifié par les États membres représentant 90 % des votes pondérés au sein de l'Union bancaire.
Complexe car le mécanisme de résolution des crises bancaires a été scindé en deux instruments juridiques : un règlement créant un mécanisme de résolution et un accord intergouvernemental (AIG), portant sur l'utilisation des fonds.
La question du financement du fonds, qui sera doté à terme de 55 milliards d'euros, et de sa répartition nationale entre les banques de l'Union bancaire est rapidement apparue comme centrale au bon fonctionnement du mécanisme. La résolution adoptée par le Sénat avait d'ailleurs souligné l'importance des règles de contribution des banques au fonds de résolution unique et la nécessité de ne pas créer de distorsion entre les systèmes nationaux. C'est dans le même esprit que le Sénat a, lors de l'examen du projet de loi DDADUE visant notamment à adapter notre droit au règlement MRU, conditionné la participation de la France au MRU à l'issue des négociations sur les contributions nationales au fonds de résolution.
Ce paquet de mesures contient ainsi un acte délégué, qui correspond à l'appel des fonds, et un acte d'exécution, qui détermine le mécanisme de montée fort complexe au demeurant.
On le voit, ce mécanisme de résolution de crise est relativement complexe à mettre en oeuvre. En effet, à quels critères doit-on recourir pour déterminer la répartition entre les États ? Le total des actifs, c'est-à-dire le poids, qui est défavorable à la France puisque les établissements bancaires y sont de grande envergure, ou les actifs pondérés par les risques, puisqu'une banque, fût-elle de taille moyenne, peut s'avérer aussi dangereuse qu'une plus grande banque. Le choix de ces critères a occasionné un débat entre la France et l'Allemagne dont les petits établissements bancaires n'ont pas été pris en compte pour la détermination de la quote-part au fonds. Une telle démarche a ainsi occasionné une différence de participation entre la France, qui devait honorer une participation de l'ordre de 18 à 21 milliards d'euros, et l'Allemagne qui acceptait de participer à hauteur de 15 milliards d'euros. Cette situation a conduit la France à protester et le Sénat à voter une résolution, lors de l'examen par la commission des finances, de la loi DDADUE, précisant qu'il ne ratifierait pas ce traité tant que la clef de répartition ne serait pas satisfaisante. Notre démarche a semble-t-il fonctionné, dans la mesure où, comme le ministre l'a indiqué à la commission des finances, un accord a été trouvé avec son collègue M. Wolfgang Schäuble, sur une répartition plus équitable entre la France et l'Allemagne, mettant finalement à la charge du système bancaire français environ 15 milliards d'euros. Cet accord de principe n'a cependant pas fait, pour le moment, l'objet d'une confirmation formelle.
Les négociations se poursuivent à Bruxelles et elles restent délicates même si la présidence italienne de l'Union espère voir cette démarche aboutir avant la fin de l'année. Il me semble toutefois qu'un accord politique est possible, puisque une majorité qualifiée du Conseil est nécessaire pour s'opposer à cet acte délégué.
La position du Sénat sur ces points a été largement prise en compte par le Gouvernement. Nous avions également souligné la nécessité de mettre en place un « filet » de financement permettant de recapitaliser des banques en utilisant le mécanisme européen de stabilité (MES), puisque, pour le moment, le MES ne peut être utilisé pour recapitaliser les banques. Nous avions d'ailleurs proposé que ce fonds de résolution dispose de sa propre capacité d'emprunt. La réalisation de ces deux propositions n'a pas, pour l'heure, connu d'avancée.
Je remercie notre collègue pour la présentation qu'il vient de nous faire d'un sujet très complexe qu'il maîtrise parfaitement. Je retiendrai que l'ensemble de ces textes démontre qu'une sécurisation dans ce domaine s'est progressivement mise en place depuis les années 2008-2009 marquées par la faillite de grands établissements bancaires. Précédemment, les instances communautaires étaient paralysées lorsqu'il s'agissait de répondre à des problématiques financières ; les solutions apportées démontrent les avancées réalisées.
Le sujet que vient de nous présenter notre collègue Richard Yung est en effet très complexe. J'avais d'ailleurs eu l'occasion d'y travailler lorsque j'étais parlementaire européenne ! J'aurais une question très large : peut-on être rassuré quant au risque d'éclatement d'une nouvelle crise financière et les banques sont-elles dignes de la confiance qu'on semble leur accorder aujourd'hui ?
Notre pays peut-il honorer son engagement de pourvoir le nouveau fonds qui vient d'être créé à hauteur des 15 milliards annoncés, quand on connaît son ratio d'endettement ? Cette dotation transparaîtra-t-elle dans notre budget national ? Par ailleurs, l'adossement des banques européennes à un système de sécurisation est présenté comme bénéfique aux contribuables et aux créanciers des établissements bancaires. Cette démarche est-elle de nature à contribuer à la diminution des taux d'intérêt ? La constitution d'un fonds de 55 milliards d'euros doit-elle être comprise comme une bonne nouvelle, au sens macroéconomique du terme ? Enfin, quelles ont été les retombées des graves difficultés de la première banque privée portugaise, la Banco Espirito Santo, sur le système bancaire européen ? A-t-elle induit une évolution du cours des négociations et du nouveau système européen que notre collègue Richard Yung vient de nous retracer ?
Bien que des mécanismes impliquant une surveillance accrue du fonctionnement des établissements bancaires, se mettent en place, il nous faut demeurer vigilants ! D'ailleurs, le fait que les spécialistes aient une nationalité distincte de celles des banques qu'ils surveillent, comme en France où ce sont par exemple des ressortissants néerlandais qui assurent le suivi du fonctionnement de nos banques, tend à éviter toute forme de complaisance. En outre, les mécanismes de surveillance et de résolution devraient protéger les États et les contribuables et la nouvelle architecture du système bancaire européen doit pouvoir être portée pour partie au crédit de la France.
L'évaluation des banques françaises est positive et le système bancaire français fonctionne correctement. Les banques françaises vont abonder dans les prochaines années ce mécanisme de résolution des crises bancaires à hauteur de 15 milliards : cela est déjà en soi un témoignage de leur état de santé !
Les taux d'intérêt sont déjà très bas, lorsqu'ils ne sont pas négatifs dans le contexte d'apport des liquidités à la Banque centrale européenne. Comment une telle construction peut-elle les influencer ? Je serais d'ailleurs, pour ma part, satisfait si les taux d'intérêt remontaient et on peut imaginer que la disparition du soutien implicite des États aux banques implique un renchérissement des taux interbancaires !
Enfin, le mécanisme de résolution de crise portugais a su faire face à la crise de la grande banque que vous évoquiez.
Mes chers collègues, à ce sujet, je vous renvoie à l'article rédigé par deux économistes et publié par un grand quotidien du soir : « L'euro, sortie de crise ? ». J'en retiens plusieurs idées. L'Union européenne représente près du quart de l'économie mondiale. Conscientes de cette importance économique, les banques centrales européenne et américaine se sont entendues pour laisser filer le cours de l'euro. Au même moment, la baisse du prix du pétrole entraîne dans son sillage celle des coûts de production. Ainsi, alors que nous attendons la lettre officielle de cadrage de la Commission sur le projet de loi de finances pour 2015, je vois dans la position implicite de la Commission la volonté de sortir du marasme dans lequel nous nous trouvons et d'éviter la déflation. Le rapport de notre collègue Richard Yung vient donc à point nommé sur ces sujets.
En effet, il faut éviter toutes les situations qui risqueraient d'installer pour longtemps la déflation, comme au Japon qui a connu ce phénomène pendant près de 15 ans !
Notre ordre du jour appelle maintenant une communication de notre collègue Didier Marie sur le paquet « croissance, emploi et investissement ». Jean-Paul Emorine a également travaillé sur ce sujet. Malheureusement, souffrant, il ne peut être parmi nous aujourd'hui. C'est donc Didier Marie qui s'exprimera au nom des deux rapporteurs.
L'Europe subit une diminution durable du niveau d'investissement, soit une chute de 500 milliards d'euros depuis 2007.
Le nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a annoncé, dès le 15 juillet 2014, la mise en oeuvre d'un plan d'investissement de 300 milliards d'euros sur trois ans (2015-2017), 315 milliards d'euros sont désormais évoqués. Ce plan serait destiné à relancer l'emploi, la croissance et la compétitivité en Europe. Manifestement, la Commission a souhaité accélérer son calendrier puisque Jean-Claude Juncker devait faire une présentation au Parlement européen et à la presse aujourd'hui même.
Comme le débat que nous avons eu à l'Assemblée nationale, le 28 octobre, avec les parlementaires européens l'a bien montré, beaucoup d'incertitudes demeurent autour de ce plan. Quels projets ? Quelle répartition entre financement public et privé ? Quelles ressources européennes ou nationales seront mobilisées pour la part publique de ce financement ? Quelle articulation avec le cadre financier pluriannuel ?
Ce plan ne doit pas procéder à un recyclage des crédits affectés à la politique de cohésion. Ce ne serait pas acceptable vis-à-vis des collectivités territoriales.
Notre commission procédera en deux temps. Aujourd'hui, nous examinerons un avis politique qui sera adressé à la Commission européenne dans le cadre du dialogue politique que nous conduisons avec elle. Dans un second temps, nos rapporteurs examineront plus en détail des propositions de la Commission européenne en vue de nous soumettre une proposition de résolution européenne et, le cas échéant, un nouvel avis politique. Je donne la parole à notre collègue Didier Marie.
Monsieur le Président, mes chers collègues, en l'absence de Jean-Paul Emorine, nous abordons aujourd'hui un sujet important et d'actualité qui constitue l'une des priorités du programme de travail de la nouvelle Commission européenne, à savoir le plan d'investissement annoncé de 315 milliards d'euros, qui relèvera, sous l'autorité de M. Jean-Claude Juncker, de la compétence du commissaire finlandais, M. Jyrki Katainen, vice-président en charge de l'emploi, de la croissance, de l'investissement et de la compétitivité. Le détail des mesures (le « paquet ») doit être présenté pour le Conseil ECOFIN du 9 décembre puis le Conseil européen des 18 et 19 décembre.
Les 23 et 24 octobre derniers, le Conseil européen a soutenu le plan proposé par le Président Juncker « pour des investissements supplémentaires provenant de sources publiques et privées » et la mise en place de la task force chargée d'identifier des actions concrètes. Les propositions de la Commission, du Conseil ECOFIN et de la Banque européenne d'investissement (BEI) seront examinées lors de sa réunion de décembre prochain.
Nous avons lu et entendu beaucoup d'informations sur ce plan. Comme vient de le dire le président Bizet, les échéances se sont accélérées et le président Juncker présente son plan aujourd'hui au Parlement européen. Plusieurs groupes politiques du Parlement européen, en particulier les libéraux et les socialistes, ont par ailleurs déjà pris position en formulant diverses hypothèses sur le contenu qu'ils souhaiteraient que prenne ce plan d'investissement.
D'un point de vue méthodologique, je vous propose que notre commission procède en deux étapes :
- dans un premier temps, et compte tenu des nombreux questionnements qui continuent d'entourer le contenu et la mise en oeuvre du plan d'investissement, il nous paraît opportun que notre commission intervienne en amont en nouant un dialogue avec la Commission européenne sur la base d'un avis politique que je vous exposerai tout à l'heure ;
- dans un second temps, après la présentation des mesures concrètes de ce plan et nos travaux d'investigation, la commission pourrait, le cas échéant, adopter une proposition de résolution européenne au cours du premier trimestre 2015, en parallèle du parcours législatif définissant le dispositif devant le Parlement européen et le Conseil.
Permettez-moi de vous rappeler le contexte général dans lequel intervient ce plan d'investissement.
Alors que l'Europe connaît une diminution durable du niveau d'investissement, une chute de 15 %, soit 500 milliards d'euros depuis 2007 et que le montant des investissements en Europe ne représente que 2 % du PIB contre 4 % aux États-Unis, le nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a annoncé, dès le 15 juillet 2014, la mise en oeuvre d'un plan d'investissement de 300 milliards d'euros sur trois ans (2015-2017), aujourd'hui fixé à 315 milliards d'euros, destiné à favoriser l'emploi, la croissance et la compétitivité en Europe.
Les besoins en investissements sont en effet considérables. Je vous en donnerai quelques exemples :
- le premier concerne les réseaux numériques du haut débit. L'Union européenne s'est fixé comme objectif de couvrir 100 % de son territoire avec le haut débit d'ici à 2020 - la couverture actuelle serait de 62 %. Les disparités de couverture sont très importantes non seulement entre les États membres, mais également entre les zones urbaines et rurales et en termes de qualité d'accès ;
- c'est le cas également des transports : dans le cadre du nouveau mécanisme pour l'interconnexion en Europe (MIE), le cadre financier pluriannuel (CFP) 2014-2020 a prévu 26 milliards d'euros sur cette période pour les infrastructures de transport, contre 8 milliards pour les années 2007-2013. Au titre de la première tranche de cette enveloppe, la Commission, le 11 septembre dernier, a invité les candidats intéressés à proposer des projets pour utiliser des crédits à hauteur de 11,9 milliards d'euros, les propositions retenues et les attributions aux projets devant être annoncées à l'été 2015. Ces crédits sont, pour l'essentiel, consacrés au financement de neuf corridors de transport ;
- c'est le cas, enfin, de l'emploi des jeunes, compte tenu des taux de chômage élevés pour cette catégorie de la population. L'Union européenne a mis en place en 2012 une initiative pour l'emploi des jeunes, dont un mécanisme de « garantie jeunesse » doté de 6 milliards d'euros, portés ensuite à 8 milliards, à décaisser pour l'essentiel en 2014 et 2015. Or, les présidents Barroso et Van Rompuy avaient déploré l'absence de résultats sur ce terrain en raison de la montée en charge très lente du dispositif.
On le voit, plusieurs de ces domaines, qui entrent, nous le verrons tout à l'heure, dans le champ du plan d'investissement du président Juncker, font déjà partie des mesures que le CFP 2014-2020 prévoit de financer.
Aussi devrons-nous porter une grande attention à la nature des projets retenus. La task force, au sein de laquelle la France est représentée par le commissaire général adjoint à l'investissement, Thierry Francq, est chargée d'identifier les goulets d'étranglement et les barrières, en particulier les contraintes réglementaires, limitant l'investissement public et privé. Elle doit établir une « réserve » (et non une simple liste) de projets stratégiques à forte valeur ajoutée européenne. Cette identification des projets est toutefois distincte du financement des investissements. La task force, qui s'est réunie à trois reprises, doit remettre son rapport au Conseil ECOFIN du 9 décembre, qui sera ensuite soumis au Conseil européen qui suivra.
Certains États membres, en particulier l'Allemagne, les Pays-Bas et l'Espagne, ont insisté sur le fait que les projets identifiés devaient être viables économiquement et d'autres ont demandé à ne pas remettre en cause des projets d'investissement déjà décidés. Néanmoins, le manque de projets à fort impact pourrait constituer la véritable difficulté. Du reste, certains types de projets ne seraient guère attrayants pour les investisseurs privés, dans les transports en particulier, le retour sur investissement étant généralement très long.
Toutefois, un consensus semble s'être dessiné sur les grands secteurs qui pourraient faire l'objet des financements éligibles au titre du plan d'investissement. Tant les propositions formulées par certains groupes politiques du Parlement européen, que j'évoquais tout à l'heure, que le rapport remis récemment par Pierre Moscovici, missionné par le Premier ministre avant qu'il ne devienne commissaire européen, sur la contribution des politiques européennes à la croissance et à l'emploi, vont dans le même sens et retiennent cinq secteurs :
- la recherche-développement et l'innovation ;
- la formation initiale et continue et l'emploi des jeunes ;
- les télécommunications et l'économie numérique, le haut débit en particulier ;
- l'énergie et la transition énergétique ;
- les infrastructures et interconnexions en matière de transports.
Il est à noter qu'à la demande de la Commission, les États membres, à l'exception de l'Allemagne et des Pays-Bas, ont déjà fait remonter des projets ; la France en a déjà présenté trente-deux.
Nous avons fait le choix, Jean-Paul Emorine et moi-même, de ne pas détailler ces secteurs dans le projet d'avis politique que nous vous soumettons, à la fois pour laisser de la place au débat et pour ne pas nous enfermer dans une feuille de route trop restrictive.
Je vous le disais dans mon propos liminaire : ce plan d'investissement suscite toujours, à ce stade, un certain nombre d'interrogations. J'en citerai trois :
- la première porte sur le montant optimal du plan d'investissement. Les 315 milliards d'euros envisagés seront-ils suffisants ? D'aucuns en doutent. Ainsi, certains députés européens considèrent que les besoins seraient plutôt de 200 milliards d'euros par an. De même, la Confédération européenne des syndicats (CES) réclame un plan de 250 milliards d'euros par an au cours des dix prochaines années. Récemment, la Pologne, par la voix de son ministre des finances, a estimé que 300 milliards d'euros constituaient un « minimum » et a évoqué un dispositif permettant de mobiliser jusqu'à 700 milliards d'euros. Comme je vous le disais, deux groupes politiques du Parlement européen ont fait des propositions pour donner un contenu au plan d'investissement : le groupe libéral l'a chiffré à 700 milliards d'euros, essentiellement d'origine privée, et le groupe socialiste à 800 milliards, d'origine publique et privée ;
- la deuxième interrogation est relative aux modalités de financement du plan d'investissement. De nombreux députés européens demandent des fonds additionnels et non un « recyclage » de crédits existants, ceux de la politique de cohésion en particulier. Le Comité des régions de l'Union européenne s'est d'ailleurs récemment ému de l'éventuelle réorientation des dotations initialement affectées à d'autres projets après que la commissaire à la politique régionale, Mme Corina Cretu, eut indiqué que la politique de cohésion apporterait « une contribution significative » au plan d'investissement.
Autre question : les crédits alloués au plan de financement pourront-ils être exclus du calcul des déficits publics dont les règles sont déterminées par le Pacte de stabilité et de croissance, comme d'aucuns le réclament ? Pour ce qui concerne les modalités de financement du plan d'investissement, la créativité est grande et diverses solutions ont été évoquées, y compris dans les propositions de certains groupes politiques du Parlement européen. Ainsi, les libéraux suggèrent la mise en place d'un fonds européen d'investissement pour lever les 700 milliards d'euros qu'ils évoquent, avec des garanties des États membres, de la BEI et du Mécanisme européen de stabilité (MES), même si l'Allemagne a exprimé sa forte opposition à mobiliser ce fonds de sauvetage de la zone euro. Quant au groupe socialiste, il propose un nouvel instrument européen d'investissement lié à la BEI, le recours au MES comme garantie et des investissements plus risqués de la BEI. De manière générale, selon la formule de M. Pierre Moscovici, « il faut des investissements privés autant que possible et des investissements publics lorsque c'est nécessaire, et il faudra les deux. »
Le plan tel qu'il a été dévoilé et sera vraisemblablement confirmé par M. Juncker devant le Parlement européen aujourd'hui est un subtil compromis entre la position de l'Allemagne, qui souhaitait un calibrage minimal, de la Grande-Bretagne, qui souhaitait des dispositifs de prix de capital ou de dettes subordonnées qui s'approchent des project bonds et de la France, qui voulait un plan ambitieux alimenté par de l'argent frais.
Selon les informations disponibles à cette heure, et comme on s'y attendait, la Banque européenne d'investissement (BEI) est au coeur du dispositif.
Le plan prévoit la création d'un fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) au sein de la BEI, doté de 5 milliards de fonds de celle-ci, et 16 milliards de garantie, dont 8 milliards viennent du budget européen : 3,3 milliards du mécanisme d'interconnexion, 2,7 milliards du programme Horizon 2020 qui concerne la recherche et 2 milliards des marges de flexibilité en réserve de budget. Une incertitude demeure sur les 8 milliards restants.
Forte de son triple A, auquel elle est très attachée, et de cette garantie de 21 milliards d'euros, la BEI pourra lever des prêts et engager des fonds propres sur des opérations plus risquées à hauteur, nous dit-on, de 63 milliards d'euros, le FEIS fournissant un amortisseur du risque à la BEI. Comme chacun le sait, nous ne souffrons pas d'un manque d'épargne, mais d'une aversion au risque. Ce fonds pourrait couvrir jusqu'à 20 % des coûts des projets d'investissement et, grâce à un effet multiplicateur de 15, atteindrait 315 milliards d'euros, soit 240 milliards pour les projets à long terme et 75 milliards pour les PME d'ici 2017.
Les États membres seraient appelés à « muscler » le plan. Certains y sont prêts, comme l'Espagne, qui l'a annoncé, à la condition que leur apport sorte du calcul du déficit, ce qui pourrait être accepté.
Les projets financés au titre du FEIS porteraient sur les secteurs suivants : infrastructures d'énergie et de transport, système d'éducation et d'innovation, énergies renouvelables, numérique, ce qui était attendu. Il ne s'agirait pas cependant de projets totalement nouveaux car ils seraient choisis parmi ceux qui sont déjà annexés aux grands programmes de financement d'infrastructures adoptés dans le cadre financier pluriannuel 2014-2020. Les projets seraient par ailleurs sélectionnés par un comité composé d'experts de la Commission et de la BEI, au sein duquel la décision politique aurait peu de place. Ainsi, la Commission devrait présenter en janvier le projet de règlement destiné à mettre en place le FEIS afin qu'il soit opérationnel en juin 2015.
Enfin, la dernière interrogation, mais non la moindre, est relative au contexte politique dans lequel intervient ce plan d'investissement. Plusieurs États membres, dont le Royaume-Uni et les Pays-Bas, ont considéré que le soutien à l'investissement devait être lié à la mise en oeuvre de réformes structurelles dans les États bénéficiaires.
La résistance la plus forte pourrait toutefois venir de l'Allemagne. Le sujet cristallise les divergences entre ce pays, qui réclame des réformes structurelles internes, et la France, qui milite pour davantage d'investissements dans la zone euro. Le 20 octobre, les ministres de l'économie et des finances des deux pays se sont rencontrés à Berlin pour rapprocher leurs positions. Ils se sont engagés à élaborer, d'ici le 1er décembre, une proposition commune sur les possibilités d'investissement dans les deux pays et dans laquelle ils exposeraient leur vision commune de l'Europe. Le ministre de l'économie, Emmanuel Macron, et son homologue allemand, Sigmar Gabriel, ont ainsi confié à Jean Pisani-Ferry et Henrik Enderlein la mission de définir pour la France et pour l'Allemagne des domaines prioritaires d'investissement, de réformes structurelles et d'actions communes. Leur rapport, qui doit être présenté demain à M. Emmanuel Macron, doit contenir des recommandations concrètes et prendrait la forme d'une contribution aux travaux du Conseil ECOFIN du 9 décembre. Des « fuites » dans la presse allemande font état de propositions hétérodoxes - attendons néanmoins la version officielle du rapport ! L'Allemagne, qui a reconnu un déficit d'investissements de 50 milliards d'euros, a récemment évolué, son ministre des finances, Wolfgang Schäuble, ayant annoncé le 6 novembre mettre en oeuvre 10 milliards d'euros d'investissements publics supplémentaires d'ici à 2018. Ces crédits devraient servir de levier à l'investissement privé à hauteur de 50 milliards d'euros. Ces 60 milliards représenteraient la contribution allemande au plan d'investissement.
Des questions importantes demeurent sur le financement du FEIS, sur le ratio entre investissements publics et privés, sur la part des investissements européens et nationaux, sur les secteurs à privilégier, ainsi que sur les difficultés existantes à mobiliser de l'argent frais quand la Commission connaît des problèmes pour boucler son budget et cumule les arriérés.
Compte tenu de ces incertitudes et en vue du Conseil européen de décembre, Jean-Paul Emorine et moi-même étions parvenus à la conclusion de soumettre à la commission des affaires européennes un avis politique, dont le texte, qui prend également en compte les échanges que nous avons eus lors de notre réunion commune avec nos collègues députés et députés européens, le 28 octobre dernier, vous a été préalablement distribué, afin de fixer quelques grandes orientations pour ce plan d'investissement. Ce texte me semble toujours d'actualité, même s'il mérite peut-être, vous en jugerez, d'être précisé au vu de l'actualité récente.
Merci, Monsieur le rapporteur, pour votre présentation qui ne manquera pas de susciter un grand nombre de questions.
Quels sont les problèmes rencontrés par le décaissement des 8 milliards qui étaient prévus à destination de la jeunesse et qui devaient déjà être décaissés cette année ? J'entends en effet mentionner, parmi les 315 milliards d'euros désormais annoncés, une série de mesures pour la jeunesse, mais je m'interroge pour savoir si, au final, les mêmes causes ne vont pas provoquer les mêmes effets. Quel est, par ailleurs, l'effet de levier susceptible de se produire entre un investissement privé et un investissement public ? Concernant les interconnexions, les retours sur investissement pour les investissements privés sont presque dissuasifs puisqu'à trop long terme. Un financement intégral issu du public semble nécessaire pour assurer les flux de transports, qui nous manquent, entre les différents pays de l'Union. Les activités de recherche-développement (R&D) me paraissent les plus efficaces pour gonfler les programmes-cadres de recherche et de développement (PCRD) qui ne sont pas assez importants, dans les biotechnologies en particulier. Il y a dans ce domaine un leadership à prendre. D'ailleurs, le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) est certainement l'organisme le plus efficace dans le domaine des biotechnologies et le remarquable cluster qui y est consacré à Grenoble doit être particulièrement soutenu et pourrait même être dupliqué dans d'autres domaines. Le haut débit peut, quant à lui, générer des retours sur investissement favorables au secteur privé, par contre PCRD, transports et écologie me paraissent les trois domaines prioritaires sur lesquels on peut aller jusqu'à un investissement public intégral.
Peut-on avoir la liste des 32 projets présentés par le Gouvernement français que notre rapporteur vient d'évoquer ?
Le problème de l'utilisation des fonds européens est souvent lié au co-financement qui les caractérise et qui constitue bien souvent une source de blocage, dans un contexte où l'État et les collectivités disposent de moins de moyens.
Je retiens que l'avis politique qui nous est soumis désigne « l'économie de l'immatériel ». La France avait mis cette question au premier plan en 2008. Il faut encourager l'économie du savoir, dont les universités sont le centre et qui est considérée par certains pays comme un investissement à part entière. Comptez-vous mentionner ce point dans la proposition de résolution qui va être faite et en faire une priorité en intégrant notamment la formation des jeunes ?
S'agissant de l'avis politique, j'aurai deux points à préciser. D'une part, le déclenchement de ces différents plans est subordonné à la discussion entre les deux principaux États, la France et l'Allemagne, sur l'engagement d'un État membre à mettre en oeuvre un certain nombre de réformes structurelles. L'Europe peut ainsi aider un État membre si celui-ci se met en capacité par les réformes idoines que nous avons déjà évoquées. D'autre part, nous avons pris contact avec MM. Pisani-Ferry et Enderlein afin qu'ils viennent nous présenter les propositions de réforme et les thèmes sur lesquels la France pourra faire des propositions. Je salue également le courage de notre collègue Daniel Raoul qui n'a de cesse de promouvoir les sujets relatifs à la science du vivant qui s'avèrent cruciaux pour l'innovation. D'ailleurs, en matière de génomique, les Américains viennent de décrypter le génome du blé ce qui va leur permettre de rattraper leur retard sur l'Europe en matière de rendements. Attendons-nous ainsi à ce que le rendement en matière de céréales conventionnelles de l'agriculture américaine devienne très élevé ! Comme quoi, la R&D peut être la source d'une distorsion de concurrence.
S'agissant du programme « garantie-jeunesse » qui n'a pas été consommé, loin s'en faut, de l'avis général, une certaine complexité administrative demandée par la Commission européenne et la nécessité d'obtenir des co-financements à hauteur de 50 % sont deux facteurs explicatifs de sa difficile mise en oeuvre. Un tel constat n'exclut pas pour autant la nécessité d'investir massivement en faveur de la jeunesse et de l'emploi et il nous faudra, au travers de nos avis politiques et propositions de résolution, souligner la nécessité d'une mobilisation plus aisée des crédits mis à disposition dans ce domaine.
La liste des 32 dossiers n'est pas pour le moment communiquée, mais nous devrions obtenir plus d'informations du commissaire adjoint à l'investissement qui représente la France au sein de la task force, que nous devons rencontrer prochainement. Nous savons pour le moment que ces projets sont d'intérêt général et présentent une envergure européenne.
Pour ce qui concerne la mobilisation des crédits, la BEI pense pouvoir mobiliser 63 milliards d'euros en faveur des projets privés ou publics. Mais cette annonce suscite plusieurs interrogations : d'une part, comment cette mobilisation va-t-elle s'effectuer ? D'autre part, un coefficient multiplicateur de 15 est annoncé sur la base d'opérations antérieures conduites auparavant par la BEI dont certaines ont connu un coefficient multiplicateur de 18. Ce point nous semble devoir être expliqué d'autant que le chiffrage du plan s'élève également, en termes d'emplois, à un million, voire un million trois cent mille emplois. Une autre interrogation demeure quant à la durée de ce plan : l'idée était certes de dynamiser l'économie européenne et si 75 milliards d'euros d'économie ont été mobilisés, sur trois ans, on est sur 240 milliards d'euros annoncés à plus long terme. Mais quel est donc ce terme ? Espérons également que ces 240 milliards d'euros ne se diluent pas, chemin faisant, dans des opérations peu performantes. En outre, s'agissant des priorités évoquées par le plan, la recherche et l'innovation ont été mentionnées dans l'attente d'une réponse de la Commission : les universités doivent en effet faire l'objet de la plus grande attention, mais dresser une liste exhaustive nous paraissait, à ce stade, prématuré. À cet égard, notre projet de résolution pourra être plus précis. Enfin, j'appelle votre attention sur le calendrier : nous avions prévu une résolution pour la fin du premier trimestre 2015. Or, puisque la Commission va annoncer une proposition de règlement vraisemblablement à la mi-janvier pour une mise en oeuvre effective du FEIS au 15 juin, notre proposition de résolution devra anticiper cette échéance et être transmise plutôt au début du premier trimestre 2015.
J'aurais une dernière question. Lorsqu'on parle de financement intégral, pourrait-on citer, au-delà du critère d'exhaustivité susceptible de nous fermer quelques portes, les deux domaines que sont la R&D et les infrastructures de transports, sur lesquels il n'y a pas de retour d'investissement immédiat ? C'est juste un problème rédactionnel !
J'aurais deux remarques sur cette suggestion. D'une part, sur les financements, à ce jour, il n'est pas question de financements exclusivement publics, ce qui représente une difficulté pour de nombreux domaines délaissés par l'investissement privé. D'autre part, une formulation de l'avis politique demande à ce que la Commission nous précise la part des investissements publics et privés ainsi que leur articulation. Certes, sur la liste des projets, on pourra insérer une précision reprenant les trois grands sujets que sont la R&D, le numérique et l'emploi des jeunes.
Sauf que le numérique devrait susciter davantage d'intérêt des investisseurs privés que les infrastructures de transport et la jeunesse.
Financer la R&D uniquement par des investissements publics n'est pas non plus évident.
Je pense que, dans un premier temps, notre rédaction peut s'en tenir là et nous avons trois mois pour y travailler avant la réponse de M. Juncker. Nous pourrons sans doute rentrer dans les détails dans une prochaine résolution. Puisque nous allons suivre ce sujet pendant un certain temps, notre avis politique peut, pour le moment, demeurer général.
Je vous propose, mes chers collègues, de donner acte à la communication de notre collègue rapporteur et d'adresser cet avis politique à la Commission européenne.
L'avis politique est adopté à l'unanimité
Vu les conclusions du Conseil européen des 23 et 24 octobre 2014, en particulier le paragraphe 8,
La commission des affaires européennes du Sénat fait les observations suivantes :
Compte tenu de la diminution durable du niveau de l'investissement, tant public que privé, en Europe, elle est favorable au principe d'un plan d'investissement d'un montant de 300 milliards d'euros sur les années 2015 à 2017, annoncé par le président de la Commission européenne ; elle estime qu'un tel plan est propice à favoriser l'emploi, la croissance et la compétitivité en Europe et attend avec intérêt la présentation du détail des mesures prévue avant la fin de l'année ;
Elle demande que les nombreuses incertitudes qui continuent d'entourer les modalités de mise en oeuvre du plan d'investissement soient levées le plus rapidement possible ;
Elle souhaite en particulier que soient clarifiées les sources de financement du plan d'investissement, dont la contribution de la Banque européenne d'investissement, et que soient précisées la part respective de l'investissement public et de l'investissement privé et celle des financements européens et des financements nationaux ;
Eu égard aux conséquences de la crise économique et sociale qui continue d'affecter de nombreux États membres et qui engendre une réduction drastique des dotations financières nationales aux collectivités territoriales, elle considère que l'aménagement du territoire ne doit pas être négligé et appelle dès lors à la préservation des fonds structurels alloués à la politique de cohésion qui ne doivent pas faire l'objet d'un « recyclage » des crédits déjà programmés ;
Elle est d'avis que la contribution éventuelle du cadre financier pluriannuel 2014-2020 au financement du plan d'investissement doit être très précisément exposée ;
Afin de concilier le caractère ambitieux du plan d'investissement et les contraintes budgétaires auxquelles de nombreux États membres sont soumis, elle est favorable à ce que l'investissement public puisse être utilisé pour créer un effet de levier de l'investissement privé, sans renoncer pour autant à un éventuel financement public intégral en fonction du secteur concerné et des objectifs recherchés, et que des instruments financiers innovants soient mis en oeuvre à cette fin ;
Elle rappelle que la task force mise en place sous la direction de la Commission européenne et de la Banque européenne d'investissement pour identifier les actions concrètes à engager au titre du plan d'investissement doit rendre ses conclusions pour le Conseil ECOFIN du 9 décembre 2014 au plus tard et souhaite que ces conclusions soient très précisément présentées et indiquent les délais impartis pour la réalisation des investissements ainsi ciblés ainsi que les résultats attendus ;
Elle forme le voeu que les travaux de la task force soient rapidement suivis d'une estimation financière de chacun des projets ainsi identifiés ;
Je précise que pour nos collègues qui seraient intéressés, nous tenons à leur disposition l'intervention du Pape à Strasbourg, le 25 novembre.
J'ai pu assister à l'intervention du Pape au Parlement européen où il a exprimé avec force ses convictions. J'ai d'ailleurs été très impressionnée par le nombre de journalistes accrédités au Parlement européen pour couvrir ce qu'il me semblait être un grand moment de la vie européenne !
La réunion est levée à 16 heures 37.