Nous connaissons bien M. Christophe Castaner, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, que nous voyons régulièrement aux réunions de la conférence des présidents, et avec lequel nous entretenons des relations cordiales. Qu'il n'y ait aucune ambiguïté : il est entendu comme délégué général du Mouvement La République en Marche.
Monsieur Castaner, votre audition nous a paru nécessaire parce que M. Alexandre Benalla était accompagné par M. Vincent Crase, qui a participé à l'opération de maintien de l'ordre place de la Contrescarpe, et peut-être avant cela, au Jardin des plantes. M. Crase portait une arme, cela a été établi par le rapport de l'inspection générale de la police nationale (IGPN). Il est salarié de votre mouvement. Nous voulons aussi vous entendre sur le contexte de l'emploi de M. Benalla à la présidence de la République et ses activités au sein de La République en Marche avant l'élection de M. Emmanuel Macron. Nous avons aussi des interrogations au sujet de la diffusion, par des adhérents de votre mouvement, d'images provenant d'une vidéosurveillance transmises à l'Élysée... et peut-être également à La République en Marche ?
Notre commission des lois étant dotée des prérogatives d'une commission d'enquête, je vous indique qu'un faux témoignage serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Christophe Castaner prête serment.
Je suis désireux d'apporter au Sénat tous les éléments dont j'ai connaissance sur les conditions dans lesquelles se sont produits les événements du 1er mai, et d'éclairer votre commission des lois en charge de cette enquête. J'ai été personnellement choqué par ces images et je condamne les actes auxquels se sont livrés MM. Benalla et Crase, car ils sont contraires aux valeurs portées par la République et par le mouvement politique La République en Marche.
Je suis délégué général de ce mouvement depuis mon élection le 18 novembre 2017, et suis le représentant légal de cette association, ainsi que l'employeur de tous les salariés.
Le 2 mai, sur une vidéo largement diffusée par les réseaux sociaux - vue plus de 100 000 fois -, plusieurs salariés de La République en Marche ont été stupéfaits de reconnaître l'un de leur collègues, Vincent Crase, qu'ils connaissent bien puisqu'il assure l'accueil et la sécurité au siège du mouvement. Certains ont également reconnu M. Benalla pour l'avoir croisé durant la campagne présidentielle. J'ai été alerté aux alentours de 18 heures et j'ai visionné cette vidéo sur mon téléphone alors que j'arrivais au siège de La République en Marche. À 18 h 15, j'ai souhaité voir M. Crase, en présence de mon directeur de cabinet M. François Blouvac et du responsable sécurité et sûreté, M. Pierre-Yves Baratier, supérieur hiérarchique de M. Crase, afin qu'il nous donne des explications. M. Crase est depuis le 1er juillet 2017 adjoint sécurité et sûreté, non cadre, sous l'autorité du chef de sécurité, dans un service de huit personnes chargé notamment de l'accueil et de la surveillance des locaux de l'association. Je tiens l'organigramme de ce service à votre disposition.
Lors de cet entretien, Vincent Crase nous a dit avoir agi en tant que gendarme réserviste, à la demande expresse de M. Benalla, avec lequel il était en contact dans le cadre d'opérations réalisées comme gendarme réserviste. Il m'a informé être chef d'escadron, gendarme réserviste depuis 1996, rattaché à l'Élysée, dans un cadre extra-professionnel. Il a confirmé que les faits étaient intervenus en dehors des heures de travail, hors de toute information de sa hiérarchie et qu'il n'en avait pas rendu compte. « Gendarme réserviste, par ailleurs employé de La République en Marche », c'est ainsi qu'il a été identifié par Bruno Roger-Petit, porte-parole de la présidence de la République. L'entretien a duré quelques minutes, car je devais présider un bureau exécutif de notre mouvement à 18 h 30. En déplacement pendant trois jours, du 3 au 5 mai, j'ai chargé M. Blouvac et M. Baratier de le recevoir le lendemain pour décider des conséquences à tirer de ces événements. Bien que les faits se soient déroulés hors de son cadre de travail, j'ai souhaité le sanctionner, car ces faits étaient graves. J'ai fait savoir, en premier lieu, à M. Crase que son attitude était en complet décalage avec celle attendue de nos salariés, particulièrement de ceux qui sont en charge de l'accueil et la sécurité, y compris hors du temps de travail. Une telle attitude, en second lieu, portait atteinte à l'image de notre mouvement.
Dans la mesure où M. Crase affirmait avoir agi comme gendarme réserviste et à la demande de M. Benalla, j'ai souhaité contacter le directeur de cabinet de la présidence, pour connaître les suites à donner et que sa sanction soit liée à celle infligée à M. Benalla. Un échange a eu lieu entre mon directeur de cabinet et celui de la présidence de la République à ce sujet, et c'est sur la base de cet échange que j'ai notifié le 3 mai à M. Crase la sanction de suspension pour 15 jours, du 4 au 18 mai. Il fait, depuis le 20 juillet, l'objet d'une procédure de licenciement fondée sur le trouble objectif au fonctionnement de l'association et l'atteinte portée à l'image de celle-ci. Aujourd'hui, sur la base du rapport de l'IGPN, je constate qu'à sa faute M. Crase ajoute le mensonge, car il n'était présent ni comme gendarme réserviste, ni comme personnalité dûment autorisée. Il a été présenté comme un collaborateur par M. Benalla, et le major Mizerski a indiqué n'avoir pas demandé de plus amples détails, compte tenu du statut de M. Benalla, représentant de la présidence de la République. Comme l'établit clairement le rapport de l'IGPN, l'activité salariée de Vincent Crase n'est en aucun cas liée à sa présence ce jour-là. Le général Bio-Farina l'a confirmé, à l'Assemblée nationale : « M. Crase (...) m'a dit qu'il avait suivi Alexandre Benalla de son propre chef ce jour-là. »
Nous avons ici un seul combat, la vérité. Nous entendons mettre au jour les dysfonctionnements et faire des propositions pour y remédier. Votre propos contient déjà des éléments de réponse aux questions que je voulais vous poser.
Le 1er mai, M. Crase n'avait nullement le statut d'observateur, contrairement à M. Benalla : il s'est donc rendu sur les lieux dans un cadre informel, sur la suggestion de M. Benalla ?
Sur la base des affirmations de M. Crase et du rapport de l'IGPN, la réponse est claire : il n'avait pas le statut d'observateur. Il n'en a du reste pas fait état lors de notre bref entretien, ni lors de celui qu'il a eu le lendemain avec mon directeur de cabinet. Il a dit : « Alexandre Benalla m'a appelé et m'a dit de venir, je suis venu. »
Il est étonnant, compte tenu de cette procédure informelle, et des actes qui ont été commis, qu'aucune remontée interne ne soit intervenue au sein de la police : ni le préfet de police, ni le ministre n'ont été informés par cette voie, ils l'ont été le 2 mai par l'Élysée... De même, vous n'avez été informé que le 2 mai ?
Je vous le confirme. Le major Mizerski, compte tenu du statut de M. Benalla, n'a pas osé aller plus loin...
Vous n'avez reçu aucune information, ni le 1er ni le 2 mai ni ensuite, sur les faits qui se seraient produits préalablement, au Jardin des plantes ? Une enquête préliminaire est ouverte.
Non, à aucun moment.
La gravité des faits qui se sont produits sur un théâtre d'opération de la police vous a conduit à prononcer une sanction, mais vous n'avez pas songé à saisir la justice à ce stade ? Pourquoi ?
Vincent Crase me disait être intervenu comme gendarme réserviste auprès l'Élysée et je n'avais pas compétence pour juger les conditions de son intervention. Dans le courrier que je lui ai adressé le lendemain, je lui ai rappelé que son attitude était en décalage complet tant avec ce qui était attendu d'une personne en charge de l'accueil et de la sécurité qu'avec les valeurs de notre mouvement.
Gendarme réserviste ou pas, vous auriez pu signaler son comportement au parquet. Lorsque vous avez été en contact avec le directeur de cabinet de la présidence de la République, avez-vous eu un échange sur la question d'une transmission au parquet, lequel aurait apprécié l'opportunité de poursuites à l'encontre de M. Crase ?
M. Crase invoquant son appartenance à la réserve de la gendarmerie à l'Élysée, j'ai voulu savoir, d'abord, si le cabinet à l'Élysée était informé. Je souhaitais également appliquer un parallélisme des formes pour la sanction, par rapport à celle qui serait infligée à M. Benalla, qui me semblait l'auteur principal. Le général Bio-Farina a démis M. Crase de ses fonctions au sein de la réserve - je l'ai appris seulement au moment des auditions -, ce qui montre bien que ce statut était mis en avant par l'intéressé.
M. Crase intervenait ponctuellement pour la présidence de la République : existait-il une convention entre l'Élysée et votre mouvement pour son emploi ?
Ses interventions avaient lieu en dehors de ses heures de travail, et c'est lors des auditions que j'ai appris qu'il avait effectué quarante missions entre novembre 2017 et avril 2018.
N'avez-vous pas trouvé étrange que la sanction à l'égard de votre salarié soit annoncée par Bruno Roger-Petit, porte-parole de l'Élysée ?
C'est mon directeur de cabinet qui l'a annoncée à M. Crase.
Je n'ai pas à me prononcer sur le caractère « étrange » de cette annonce.
Le licenciement de M. Benalla a été justifié par un élément nouveau : s'être procuré, avoir accepté ou s'être fait offrir des vidéos transmises illégalement. Quel nouvel événement a justifié le licenciement de M. Crase ?
Hasard du calendrier, l'entretien de licenciement aura lieu tout à l'heure... Je considère que les récents événements ont porté à notre connaissance des faits nouveaux et ont mis en lumière la gravité de ces comportements, de nature à discréditer le mouvement et à porter publiquement atteinte à nos valeurs - et à ce que je suis, personnellement... et si ce n'est pas de nature à justifier un licenciement, j'assume le risque de contentieux aux prud'hommes.
L'intéressé a reçu ou s'est procuré des vidéos auprès de trois agents de la préfecture de police : les avez-vous vues ?
Non.
Une copie en a été remise par M. Benalla à un conseiller de la présidence de la République, M. Ismaël Emelien. Or plusieurs comptes sur les réseaux sociaux ont reproduit ces vidéos, dont l'intérêt est de montrer les événements « amont » - des personnes commettant des atteintes sur les forces de l'ordre en lançant des projectiles, ce qui pourrait justifier une réplique (de la part des forces de police légitimes, s'entend). Avez-vous été au courant que des comptes de membres de La République en Marche ont été activés pour cette occasion ?
Aucun membre de La République en Marche à ma connaissance n'a relayé ces vidéos. Je ne sais à quels comptes Mediapart ou d'autres se réfèrent, une enquête judiciaire est en cours.
Vous n'avez aucune information sur une décision qui semble avoir été prise de retirer ces images de l'ensemble des comptes, simultanément ? Quelques personnes attachées au droit se sont sans doute avisées qu'il y avait là un problème juridique...
En somme, vous n'avez pas vu ces images, vous n'avez pas évoqué la question avec le conseiller de l'Élysée qui en a été destinataire, vous n'êtes pas au courant que certains comptes de membres de La République en Marche les ont diffusées, et vous n'avez pas eu connaissance d'une initiative juridique pour les retirer ?
Je n'ai eu connaissance de ces images que quelques minutes seulement avant leur diffusion par BFM, parce que le microcosme en parlait, puis à la lecture de l'article de Mediapart. À aucun moment dans la « maison » La République en Marche je n'ai été informé d'une quelconque présence ou utilisation de ces images.
Vous n'avez eu connaissance d'aucune instruction donnée ou initiative prise par quelque responsable de votre mouvement sur l'apparition ou la disparition de la vidéo...
Je suis convaincu - avec la limite de ma conviction - qu'il n'y a eu aucune instruction parmi nos cadres.
Pouvez-vous nous préciser l'organisation de la communication de La République en Marche sur les réseaux sociaux ?
Nous avons un pôle communication stratégique, qui traite du développement du site, des médias, de la riposte, de l'opinion, du porte-parolat. Il compte des spécialistes de la gestion des plateformes numériques et du site de La République en Marche, mais ceux-ci n'ont pas vocation à diffuser des vidéos non officielles.
En mai 2018, ils représentaient vingt-cinq équivalents temps plein.
Les seuls bénévoles s'occupent du « service après-vente » : appels aux sympathisants, envois de mails, aide apportée aux quelques agents professionnels dans les éléments de réponse.
Comment organisez-vous la sécurité de votre mouvement politique : faites-vous appel à un prestataire extérieur, ou avez-vous une division interne ?
Une responsable de service, au sein du pôle administration et finances, chapeaute le service sécurité et sûreté, lequel comprend un responsable, M. Baratier, deux chefs d'équipe, dont M. Crase, deux agents de sécurité et quelques agents spécifiquement en charge de l'accueil. La nuit et le week-end, nous faisons appel à une société extérieure, Tego, pour l'ouverture et la fermeture du site.
M. Crase n'est donc pas un simple agent d'accueil, mais il a des missions de sécurité. Est-il titulaire d'une habilitation CNAPS ?
Il est responsable adjoint sûreté et sécurité, catégorie non cadre et sous l'autorité de son supérieur hiérarchique. Ses missions, fixées par sa fiche de poste sans que cette liste ne soit exhaustive, sont la surveillance générale des locaux de l'association, la sécurité des biens et des personnes, la surveillance technique des locaux et des équipements, l'accueil, l'orientation et l'information des visiteurs, éventuellement l'accompagnement à l'extérieur de personnalités. Je précise sur ce point que jamais Vincent Crase ne m'a accompagné en déplacement, encore moins en étant armé, comme l'affirme Libération ce matin - c'est un mensonge. J'ai lu dans la presse que M. Crase a fait une demande d'agrément de responsable de société, qu'il n'a pas obtenu. Il est titulaire d'un agrément CNAPS et muni d'une carte professionnelle, comme quatre autres professionnels chargés de la sécurité. Ils sont une petite équipe... en aucun cas une milice.
Je n'avais pas alors de responsabilité dans l'organisation, j'étais le porte-parole du candidat. Dans le cadre de relations contractuelles ponctuelles, M. Crase était prestataire depuis novembre 2016, comme support sur des missions de sécurité ; il a été embauché en CDI au 1er juillet 2017 par le mouvement La République en Marche.
Des acteurs de sécurité privée du candidat En Marche pendant la campagne ont ensuite occupé des fonctions de sécurité à l'Élysée : M. Benalla, directeur de la sécurité pendant la campagne, devient adjoint au chef de cabinet, coordinateur de la sécurité, ou encore M. Crase. En outre, un ancien membre du GIGN qui a travaillé pour la sécurité du candidat est devenu contractuel au GSPR, or quelqu'un serait intervenu pour le faire embaucher. Êtes-vous intervenu dans son embauche ou celle des deux autres personnes ?
Pour aucun d'entre eux. Je n'étais pas aux responsabilités à La République en Marche lorsque ces recrutements ont eu lieu. J'ai entendu parler du troisième seulement hier lors de l'audition de M. Girier.
Vous vous dites choqué par des images contraires aux valeurs de votre mouvement politique, désormais important. Or les vidéos, selon les policiers, discréditent la police. Mais il ne vous est pas venu à l'esprit de porter à la connaissance publique l'information que vous aviez, plutôt que de la taire...
J'ai considéré que je n'avais pas à me substituer à l'autorité sous laquelle M. Crase était placé, comme gendarme réserviste. Il ne m'appartenait pas d'évaluer si les actes étaient proportionnés aux missions.
Actes dont vous avez dit qu'ils étaient « contraires aux valeurs de La République en Marche ». Contraires à la démocratie, tout simplement ! Nous avons tous été choqués. M. Benalla se servait de son statut pour solliciter les personnes autour de lui. Avait-il déjà commis des abus d'autorité comme proche d'un candidat à la présidence de la République ? Se sert-il de sa proximité avec le Président ?
Nous avons en commun, vous et nous, les valeurs de la République. J'ai mentionné mon mouvement car je ne peux parler au nom des autres. Je suis surpris par ce qui est dit de l'influence de M. Benalla sur M. Crase. Je ne le connaissais pas personnellement durant la campagne, mais je l'ai rencontré régulièrement et chaque fois que je l'ai vu, il était cordial, efficace. Je l'ai rencontré pour la première fois comme porte-parole du candidat Emmanuel Macron vers la fin de l'année 2016. Jamais je n'ai été le témoin de tensions particulières, d'abus de fonction dans ses missions à l'Élysée. Sinon, j'en aurais référé au Président de la République.
J'ai eu le sentiment, à entendre votre réponse à M. Bigot, que vous complétez un tableau... Les actes du 1er mai, avez-vous dit, sont d'une exceptionnelle gravité. Le Président de la République a parlé d'actes « inadmissibles et inacceptables ». M. Benalla s'en est pris physiquement à des citoyens, et ce, sans aucun mandat : c'est grave en effet ! Le 2 mai, un certain nombre de personnes en sont informées. Or dans nos auditions, nous assistons à un jeu de renvoi de balle remarquable : le préfet de police n'a pas saisi la justice, n'étant pas ministre de l'intérieur ; le ministre de l'intérieur indique que l'intéressé relevait de l'Élysée ; mais ni le directeur de cabinet, ni le secrétaire général de l'Élysée ne considèrent qu'il y avait lieu pour eux de saisir la justice. Vous êtes l'employeur d'un des deux protagonistes, mais vous estimez qu'il ne vous revenait pas de vous en charger. Dans cette configuration, personne n'a estimé utile de le faire. Et pourtant les faits sont très graves !
Ils relèvent effectivement d'une procédure pénale. En témoigne le fait que le procureur, dès qu'il a été informé, a ouvert une enquête préliminaire. Du reste, nous avons le devoir de transmettre les faits qui nous paraissent délictueux au procureur, et c'est lui qui déclenche une action publique. Autrement dit, celui qui est assujetti à une obligation de transmission n'a pas à se poser la question de la gravité des faits.
J'ai l'habitude d'assumer et je n'ai pas l'habitude de renvoyer la balle à qui que ce soit. La vérité est unique, mais elle est différente selon qu'on la regarde sur un téléphone portable, ou que l'on voit, quelques semaines après, toutes les images décortiquées, commentées. J'ai été choqué par les images, j'ai interrogé M. Crase, il a dit être intervenu comme gendarme réserviste sous l'autorité de la présidence de la République. Il n'était dès lors pas à mes yeux un citoyen intervenant de son propre chef dans la rue. Vous connaissez l'atmosphère qui régnait le 1er mai, avec 1 200 Black blocs dans les rues... Bien sûr que mon regard, sur le coup, n'était pas celui d'aujourd'hui. Même chose pour les images de l'interpellation : il fallait neutraliser une personne agressive. Le regard que l'on porte est celui d'un instant donné... Puisque M. Crase était un réserviste, ma responsabilité était d'informer sa hiérarchie pour vérifier que ces faits étaient connus et qu'il y ait eu une sanction. M. Crase a été exclu dès le 4 mai par le général Bio-Farina de la présidence de la République et remis à disposition de la garde républicaine ; je ne l'ai pas su alors, je l'ai découvert lors des auditions...
La réponse est subtile. Vous ne parlez pas de forces de l'ordre débordées, ni de bénévole auxiliaire du service public de la police, mais vous dites : j'ai la conviction que l'intéressé intervient comme réserviste, sous l'autorité de M. Benalla et de l'Élysée. C'est seulement ultérieurement que vous avez compris que les forces de police n'étaient pas débordées, en dépit de la violence des assauts. Néanmoins vous infligez tout de même une sanction à votre salarié : n'y a-t-il pas là une incohérence ?
J'ai appliqué par parallélisme la sanction décidée par l'autorité de M. Benalla. J'ai repris les termes de la lettre adressée à celui-ci. J'ai souligné dans mon courrier à M. Crase qu'il n'intervenait nullement dans le cadre de ses activités professionnelles et n'avait pas informé sa hiérarchie. Il ne l'a pas contesté. Je peux vous transmettre le courrier en question.
Vous avez estimé le comportement des deux hommes choquant... comme l'ont jugé toutes les personnes entendues. N'avez-vous pas craint, à conserver dans vos rangs l'un des auteurs, une crise politique - qui est aujourd'hui avérée ? Votre explication du gendarme réserviste est subtile, mais elle ne passe pas facilement dans l'opinion. Ce qu'on entend dire aujourd'hui, c'est que les intéressés sont licenciés uniquement parce que l'information est devenue publique : la sanction était-elle adaptée ?
Le licenciement a été engagé en raison de la mise en examen : il y a là une atteinte à l'image de notre mouvement. Nous ne pouvions pas licencier M. Crase pour un comportement en dehors de son travail. Il est certain qu'avec tous les éléments dont nous disposons à présent, mon attitude aurait été différente. Je le répète, oui, la vérité est unique, mais elle n'est pas toujours pareillement perçue.
La peine infligée à M. Crase comme à M. Benalla me semble bien légère : il y a tout de même eu usurpation de fonctions, violences physiques...
« Les partis concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement », proclame la Constitution. Votre liberté d'organiser votre formation politique est totale, notamment dans ses recrutements. Quels enseignements tirez-vous du comportement d'Alexandre Benalla et de Vincent Crase pour le fonctionnement de La République en Marche... et de toutes les formations politiques ?
Les enseignements que l'on peut tirer du comportement humain : naturellement bon, il peut déraper... Ayant été jeune chef de cabinet dans le gouvernement de Lionel Jospin, je sais comment certaines positions peuvent monter à la tête. C'est la question du facteur humain ! En politique, il y a une exigence particulière à avoir, grâce à des cliquets, des contrôles, une surveillance. J'ai demandé un audit de gestion sur la sécurité lorsque j'ai pris mes fonctions, et le 26 avril dernier j'ai reçu la contribution d'un cabinet d'avocats, afin que nous puissions bénéficier d'un service de sécurité le plus transparent possible et pour disposer d'une expertise extérieure sur la sécurité de La République en Marche. La réponse de M. Crase sur la réserve de gendarmerie a montré qu'il existe des anomalies, des dysfonctionnements. Il faut revoir l'organisation des services pour améliorer la transparence, j'en rendrai compte publiquement.
Quarante missions en six mois... Vous l'avez découvert tout récemment. Cela ne se ressent-il pas dans l'agenda de votre salarié ? Le CNAPS lui a refusé l'agrément pour diriger une société de sécurité privée : pour quelle raison, à votre connaissance ? Vous avez mentionné les échanges avec M. Strzoda à l'Élysée : vous êtes-vous concertés sur la nature de la sanction ? Avez-vous tous deux considéré la sanction infligée comme adaptée ?
Je n'avais pas connaissance des activités de gendarme réserviste de M. Crase. Ses horaires sont des horaires adaptés, il travaillait généralement une semaine sur deux. Il n'avait pas besoin de nous rendre compte de ces quarante interventions. J'ai néanmoins demandé à notre service juridique de me dire si la clause d'exclusivité qui figurait dans son contrat interdisait - il apparaît que non - son engagement dans la réserve de gendarmerie. Politiquement je souhaite favoriser un tel engagement, mais comme employeur licenciant son employé, j'avais besoin de cette précision.
Quant à l'autorisation du statut de chef d'entreprise de sécurité, j'ignore pourquoi M. Crase l'a demandée, j'ignore pourquoi on la lui a refusée.
Entre les deux directeurs de cabinet, celui de l'Élysée et le mien, il n'y a pas eu concertation mais information sur la sanction : le directeur de cabinet du Président de la République nous a fait parvenir la lettre qu'il avait adressée à M. Benalla, base grâce à laquelle nous avons pris la même lettre sanctionnant M. Crase.
Je note tout de même une certaine confusion des missions de M. Benalla, comme de M. Crase. Vous ne connaissiez pas tout son cursus, vous avez appris qu'il avait effectué quarante missions - c'est beaucoup ! Toutes se sont-elles déroulées en compagnie de M. Benalla ? Avez-vous noté au fil du temps un changement de comportement ? On loue généralement la solidité psychologique, le dévouement des gendarmes réservistes. Au cas présent, les liens entre les deux hommes ont-ils pu déteindre sur votre employé ? A-t-il pu se passer quelque chose entre les deux ?
Il n'y a aucune confusion dans l'activité professionnelle de M. Crase. Je n'ai pas observé de changement de comportement, même si nos relations se bornaient aux politesses quotidiennes. Je n'ai pas les éléments pour me livrer à son analyse psychologique. Le général Bio-Farina a indiqué que les deux se connaissaient depuis longtemps, qu'il y avait un lien fort de l'un vis-à-vis de l'autre. Le 2 mai, Vincent Crase m'a précisé qu'Alexandre Benalla lui avait dit de venir... et qu'il était donc venu.
Il est né en 1973. Il a donc 45 ans. Cela dit, l'autorité n'est pas liée à l'écart d'âge...
Hier, le chef de cabinet du ministre de l'intérieur nous a indiqué avoir remarqué la présence de M. Benalla et de M. Crase, salarié de La République en Marche, dès le 1er mai au soir. Avez-vous eu vous des contacts avec le ministère de l'intérieur, avant ou après avoir pris connaissance des faits, le 2 mai, via les réseaux sociaux ?
Non, l'information m'est remontée par les réseaux sociaux. Ni le ministère de l'intérieur ni la préfecture de police ne m'ont informé des événements, ce qui, dans l'absolu, est normal. Je pense que Vincent Crase n'avait pas été identifié par leurs dispositifs. C'est ce qu'a précisé le préfet de police, notamment dans son audition.
Mon information est venue de la seule rumeur qui a circulé dans la maison La République en Marche dans la journée du 2 mai, le siège du mouvement étant fermé le 1er mai. Je n'en ai pris connaissance que le soir du 2 mai.
Je n'ai eu aucun contact, à ce moment, avec le ministère de l'intérieur. Les seuls échanges que j'ai pu avoir avec celui-ci sont postérieurs au 18 juillet. À aucun moment, il ne m'a informé de la situation.
M. Crase avait-il un permis de port d'arme et portait-il une arme sur lui ?
J'ignore s'il portait une arme, mais le rapport de l'IGPN précise que les images vidéo sont beaucoup plus parlantes s'agissant de M. Crase - pour qui le port d'arme de catégorie B constitue l'un des chefs d'inculpation - que concernant M. Benalla. Je ne doute pas que la justice permettra d'établir les faits, mais le faisceau d'indices devait être suffisant, pour qu'il ait été mis en examen à ce titre, ce qui ne remet évidemment pas en cause le principe de la présomption d'innocence.
Selon les informations en ma possession, Vincent Crase n'était pas autorisé à porter une arme. Si deux autorisations de détention d'armes lui avaient été accordées durant la campagne électorale, la fin de celle-ci les a rendues caduques. Ni M. Benalla, ni M. Crase, ni quiconque ne peut aujourd'hui prétendre bénéficier du droit de détenir une arme à La République en Marche au titre de ses fonctions.
Les termes mêmes de l'article 40 du code de procédure pénale prévoient que « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République. »
Je vous indique, chers collègues, que M. Castaner, comme membre du Gouvernement, est bien concerné par cet article. Cependant, c'est dans le cadre de ses fonctions de dirigeant associatif qu'il a eu connaissance de faits répréhensibles imputables à M. Crase. Il me semble donc que les termes mêmes de l'article 40 ne pouvaient pas le conduire à se poser la question de son application.
Ils pouvaient néanmoins l'amener à se demander s'il ne fallait pas dénoncer ces faits délictueux au parquet dans un autre cadre...
En préparant cette audition, j'ai eu l'occasion de réfléchir à cette question. Je n'ai pas souhaité soulever cette exception de droit, bien qu'elle me paraisse juste, parce qu'il m'a semblé que c'était aussi ma responsabilité en tant que responsable politique qui intéressait la commission. Je n'ai pas voulu esquiver la question. J'ai souhaité assumer la réponse que je voulais vous apporter sur le fond. Mais en droit, le débat peut effectivement avoir lieu.
Avez-vous connaissance d'autres personnes au sein de La République en Marche qui effectuent des tâches ou des missions de sécurité pour l'Élysée, notamment en tant que réservistes ?
Cette question ayant été abordée lors de l'une des auditions, je l'ai posée aux services de La République en Marche. On m'a répondu que non.
Je pense que la personne qui a été mentionnée a été un moment en responsabilité, je ne sais pas dans quel cadre mais je pense qu'elle ne l'est plus depuis de longs mois.
Dans le rapport de l'IGPN, il est indiqué que, le 1er mai, la présence de M. Crase n'a pas été contestée, compte tenu du fait qu'il avait été présenté comme accompagnant une personne qui s'affichait et qui était reconnue comme membre de la présidence de la République. Le fait que l'on n'ait pas vérifié l'identité de cette personne et qu'on l'ait laissée faire, parce qu'elle a été présentée avec ce statut, pose un problème sur la prééminence de la présidence de la République.
Qu'en tirez-vous comme conséquence politique sur la place de la présidence de la République dans nos institutions ? Que faudrait-il faire pour éviter que de telles situations de passe-droit ne se reproduisent ? Compte tenu du débat que nous avons eu, lors de la dernière discussion budgétaire, sur les cabinets ministériels, parfois réduits au minimum et empêchés de fonctionner correctement, quand la présidence de la République prend de plus en plus de place, ces événements vous conduisent-ils à faire évoluer vos positions sur la place de celle-ci dans nos institutions et sur la manière d'encadrer sa prééminence ?
C'est une question importante. La maladie du pouvoir, de tout temps et sur tous les continents, a toujours été l'abus de pouvoir. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les constitutions ont été inventées.
Je n'ai pas à me prononcer sur la question de la vérification de l'habilitation à être observateur. Comme vous, j'ai lu que le rapport de l'IGPN faisait état d'une anomalie. Pour ce qui concerne les conséquences à en tirer sur le plan organisationnel, j'ai pu noter que le ministre de l'intérieur avait retenu la totalité des préconisations de l'IGPN et avait demandé leur mise en oeuvre, notamment s'agissant du statut d'observateur.
Pour ce qui est des conséquences politiques, vos propos m'amènent à une réflexion : ils ne sont que le reflet d'une interprétation politique d'une situation, interprétation qui vous appartient. Je ne suis pas sûr que ce soit dans le cadre de cette audition que je puisse vous répondre. Peut-être faudrait-il que nous y revenions dans d'autres instances, à l'occasion d'un autre débat.
Ce que je sais, c'est qu'Alexandre Benalla était un chargé de mission identifié comme tel à la présidence de la République et qu'il a eu un comportement individuel inacceptable, qui ne met en aucun cas en cause la présidence de la République et la façon dont le Président de la République exerce son autorité.
Premièrement, nous avons appris que, pendant sa période de suspension, M. Benalla avait été rémunéré. M. Crase l'a-t-il également été, « par parallélisme des formes » ?
Absolument ! C'est une question importante sur le fond. Deuxièmement, M. Benalla a fait l'objet d'une rétrogradation. Qu'en a-t-il été de Vincent Crase, toujours par parallélisme des formes ?
M. Crase a été suspendu de ses fonctions entre le 4 et le 18 mai. Cette suspension lui a été notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception. Son salaire, lui, n'a pas été suspendu.
Pour ce qui concerne la rétrogradation, je précise que, les fonctions de M. Crase n'étant pas tout à fait les mêmes que celles de M. Benalla, il m'était difficile de les réorganiser. En revanche, comme je l'ai dit tout à l'heure, M. Crase n'a plus fait aucun déplacement extérieur. De toute façon, il n'a jamais eu l'occasion de m'accompagner dans mes déplacements, je le répète. Ma sécurité personnelle est assurée par les officiers de sécurité mis à ma disposition en ma qualité de secrétaire d'État. Et faisons un sort aux fantasmes : toute personnalité politique ayant été accompagnée par des femmes ou des hommes armés dans l'intérêt de sa sécurité sait que ce n'est un plaisir pour personne ! J'ai fait l'objet d'une tentative d'attentat par un réseau terroriste, qui, depuis, a été démantelé - cinq personnes sont toujours en prison. Pour avoir été suivi, dans ma commune de Forcalquier, par des gens qui voulaient m'égorger, je peux vous dire que je préférerais un système où l'on n'aurait pas besoin d'officier de sécurité. J'y insiste, M. Crase n'a jamais été en charge de ma sécurité. Sa situation n'avait donc pas besoin d'évoluer.
Vous avez déclaré, la semaine dernière, que les oppositions étaient la coalition de ceux « qui n'aiment pas l'État, de séditieux, de ceux qui rêvent d'une République affaiblie, avides de têtes qui roulent. » Cette audition et la qualité de nos débats vous rassurent-elles quant à nos intentions et à notre volonté d'aller vers une République plus transparente ?
Monsieur le sénateur, en préparant cette audition, vous avez sans doute pu lire la totalité du texte que vous citez sur mon compte Facebook. Certes, j'y évoque un rassemblement d'opposants - j'imagine que vous vous classez dans cette catégorie, le groupe politique auquel vous appartenez étant, du moins à l'Assemblée nationale, membre de l'opposition -, de séditieux, etc., mais ces différents éléments sont séparés par des virgules. Je ne considère pas que tous les opposants soient des séditieux, bien au contraire ! Je tiens à vous rassurer, si vous avez pu penser le contraire.
L'urbanité que nous vous connaissons me faisait spontanément exclure cette hypothèse, mais il faut reconnaître que la phrase était ambiguë.
Monsieur le délégué général, pour avoir été membre actif du parti socialiste, vous ne pouviez bien évidemment pas ignorer que M. Montebourg avait demandé à M. Benalla de ne plus travailler pour lui, à la suite d'un comportement non recommandable. Dans un souci de transparence, mais également de sécurité, n'avez-vous à aucun moment signalé cette situation lorsque M. Benalla a été recruté dans le cadre de la campagne de M. Macron, puis à l'Élysée ?
Sauf erreur de ma part, je crois que personne ici, y compris ceux qui sont restés au parti socialiste, n'avait entendu dire que M. Montebourg avait renvoyé son chauffeur. C'est une information que M. Montebourg a révélée depuis. Mon statut de membre du parti socialiste, dépourvu de toute responsabilité nationale en son sein, ne m'amenait pas à connaître les décisions de ce genre que pouvait prendre un ministre.
Madame la sénatrice, vous avez indiqué que je ne pouvais pas ignorer cet événement. Je vous le dis : je l'ignorais totalement. Si j'en avais eu connaissance, je pense que je l'aurais signalé.
Nous nous interrogeons tous sur l'amitié complice entre M. Benalla et M. Crase, qui a abouti au fait qu'ils se soient donné rendez-vous le jour du 1er mai pour voir comment se déroule une manifestation, observer les comportements des uns et des autres - l'un, avec le titre d'observateur, et l'autre, sans aucun titre -, et finalement, interpeller des manifestants et faire preuve à leur égard de la brutalité que nous avons pu voir sur les vidéos, sans que jamais personne ne les interroge.
Depuis le début de nos auditions, chacun nous dit, de manière constante : « on ne savait pas ». Autrement dit, on peut circuler entre les services comme entre les mailles d'un filet, et commettre des actions extrêmement graves.
Monsieur le délégué général, avez-vous été amené à interroger les services ou l'environnement du mouvement La République en Marche pour savoir si d'autres personnes avaient pu, à un moment ou à un autre, avoir des comportements similaires, en raison d'un certain sentiment d'impunité issu de l'impression que l'on est défendu par tous, lorsque l'on travaille pour les services du gouvernement ou de l'Élysée ?
À cette question subjective, je vais d'abord répondre de manière objective, en évoquant la révision du statut d'observateur. Vous avez raison : que M. Benalla se soit considéré comme invité, que beaucoup l'aient considéré comme tel, qu'il lui ait suffi de présenter M. Crase comme son collaborateur, en dehors de toute habilitation, pour que personne n'ose plus dire quoi que ce soit, c'est une anomalie. Il est important de mettre un terme à de telles pratiques. La mise en oeuvre des préconisations contenues dans le rapport de l'IGPN doit sécuriser les choses sur ce plan.
Vous avez également évoqué des comportements qui ne sont pas des interventions en tant que telles. J'ai en tête les propos du préfet Michel Delpuech, selon lequel nombre de ceux qui ne connaissaient pas M. Crase et l'ont vu intervenir aux côtés des forces de l'ordre ont pensé qu'il était un policier et que sa participation était, par là même, légitime, même si l'on peut considérer que les conditions de son intervention étaient disproportionnées. Cela montre que tout doit être revu.
Quant à savoir si je me suis questionné sur l'existence d'un risque de dérives au sein de La République en Marche, je ne l'ai fait qu'a posteriori, parce que je ne pensais pas que ce risque pouvait exister.
Après le 18 juillet, dès le lundi suivant, j'ai réuni l'ensemble des salariés pour leur dire que notre maison devait être totalement transparente, notamment dans le cadre de l'enquête judiciaire qui pouvait conduire à des interventions de la justice au sein du siège. J'ai indiqué à chacun qu'il fallait se préparer à assurer toute la transparence sur ces sujets. En outre, j'ai demandé si d'autres personnes, dans la maison, pouvaient avoir un statut double, comme celui de gendarme réserviste. Il m'a été répondu que ce n'était pas le cas.
Je veux simplement faire une suggestion pour le travail de la commission. Comme chacun de ses membres, je ne suis là que pour la manifestation de la vérité. C'est la première fois qu'il est fait mention de l'écho de presse suivant lequel M. Benalla était chauffeur de M. Arnaud Montebourg lorsque celui-ci était ministre du redressement productif à Bercy. J'ai beaucoup de difficulté à imaginer que quelqu'un qui n'était pas fonctionnaire ait pu être chauffeur d'un ministre de Bercy.
Cette remarque est judicieuse. Je me propose de demander à M. Montebourg si cette information est réelle et, si les faits sont établis, ce qu'il a fait ensuite.
Je veux apporter une précision. Actuellement, deux jeunes femmes salariées de La République en Marche sont engagées dans la réserve de la gendarmerie, ce que j'ignorais. Toutefois, ces personnes assurent des fonctions administratives et n'ont aucun lien avec la réserve de la gendarmerie de la présidence de la République ni même, me semble-t-il, avec celle de la garde républicaine.
Dans votre déclaration liminaire, vous avez fait part de l'émotion qu'ont suscitée ces événements et de l'importance que vous y attachiez. Or, parallèlement, on a l'impression que, parmi les autres responsables de La République en Marche, notamment parmi les députés qui s'expriment régulièrement depuis quelques jours, la consigne est de minimiser les faits. Les mêmes éléments de langage sont répétés à l'envi. L'expression « 150 tonnes de mousse avec 15 grammes de savon » a sûrement été pensée quelque part, puisqu'on l'entend partout. La manière dont le travail d'enquête a été conduit par vos amis, à l'Assemblée nationale, montre aussi la volonté d'étouffer l'affaire. Vous-même, dans une formule assez lapidaire, avez qualifié M. Benalla de « bagagiste ». C'était au moment de la Coupe du monde.
Votre sentiment, en tant que délégué général de La République en Marche, se modifie-t-il à la faveur des investigations du Parlement, singulièrement de cette commission d'enquête, qui ne cesse, sous l'autorité de son président Philippe Bas et de ses rapporteurs, de montrer les incohérences et les dérèglements dont témoigne cette affaire ?
Alors que nous sommes à la veille d'une réforme constitutionnelle importante, considérez-vous, à rebours de l'impression que peuvent donner les différentes déclarations, que le rôle du Parlement, singulièrement celui du Sénat, est important pour équilibrer les institutions et faire la lumière sur les affaires d'État, par respect pour l'opinion publique ?
La question s'adresse aussi un peu au secrétaire d'État chargé des relations au Parlement...
Monsieur le sénateur, vous avez le sentiment que certains ont voulu minimiser les événements. De mon côté, j'ai l'impression que certains tendent à les exagérer quand ils les qualifient d'« affaire d'État ». Tout cela est subjectif. Compte tenu de mon référentiel, je considère qu'il ne s'agit pas d'une affaire d'État, et je n'ai pas l'impression de minimiser les choses en le pensant. On voit comme le positionnement politique peut amener à porter un regard différent sur les mêmes faits.
Vous avez déclaré que j'aurais qualifié M. Benalla de « bagagiste ». Je tiens à rappeler les propos que j'ai tenus précisément.
Dès le 19 juillet, alors que peu de personnes s'étaient exprimées sur l'affaire, j'ai évoqué les événements à la télévision, parce que je n'ai jamais cherché ni à fuir une quelconque responsabilité ni à minimiser la gravité des événements. D'ailleurs, je suis la première personnalité de La République en Marche à s'être rendue sur un plateau de télévision pour évoquer les faits. Or, quand la journaliste m'a interpellé, elle a utilisé un mot qui n'était pas à la hauteur de leur gravité. Ma première intervention a consisté à la corriger, non pas pour lui donner une leçon de sémantique, mais pour que les événements soient qualifiés à la hauteur de l'émotion que m'avait inspirée leur gravité.
Lors d'une autre émission, diffusée le matin sur BFMTV et RMC, j'ai déclaré : « Je ne suis pas l'employeur de cette personne et je ne sais pas quelles étaient ses missions. J'ai entendu dire qu'il était en charge de la logistique, notamment des bagages. » Voyez comme votre restitution de mes propos est caricaturale ! Or cette version caricaturale a été abondamment relayée par certains.
Au demeurant, ce raccourci est insultant, notamment pour les agents du groupe de sécurité de la présidence de la République, le GSPR, qui, lors des voyages officiels, sont aussi en charge de la logistique et de bagages. D'ailleurs, comme cela a été évoqué au cours de certaines auditions, il conviendrait de réfléchir à l'éventualité d'une meilleure organisation. De fait, je considère que les membres du GSPR ne devraient pas avoir pour rôle de gérer les bagages des délégations officielles.
Enfin, sur un plan plus politique, s'il y a une personne qui, ici, assume l'importance du bicamérisme, dans le sens, d'ailleurs, des propos que le Président de la République a tenus tout récemment au Congrès, c'est bien moi ! En effet, en ma qualité de secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, je connais la particularité de votre approche et la responsabilité que vous incarnez, pour les côtoyer au quotidien. Je n'ai aucun doute sur ce sujet.
Les propositions de modification constitutionnelle, qu'une partie de l'Assemblée nationale a décidé de bloquer dans le courant du mois de juillet, ne visent en aucun cas à minimiser le rôle de l'Assemblée nationale ou du Sénat. Il s'agit, au contraire, de trouver la meilleure fluidité possible. Dans leurs échanges, le Président de la République, le Premier ministre et le président du Sénat Gérard Larcher ont toujours été d'accord pour que le Président de la République soit le garant de l'importance du bicamérisme et pour que les chefs de l'État et du Gouvernement soient à l'écoute de celui-ci et le mettent en oeuvre. Le bicamérisme est un fondement même de notre Constitution, qui, comme l'a rappelé le président Philippe Bas, est certainement le meilleur rempart pour la protection des libertés publiques.
Monsieur le délégué général, j'ai senti que, autour de vous, on approuvait vos derniers propos sans réserve !
Je n'en suis pas surpris !
Monsieur le délégué général, vous avez évoqué un audit interne concernant la sécurité. Savez-vous si M. Crase a été dirigeant d'une société privée de sécurité ou s'il détient des parts dans une société de même type, puisque l'on a évoqué un refus d'agrément ?
Je ne dispose pas d'informations sur la demande d'agrément en tant que responsable d'entreprise, comme je l'ai précisé tout à l'heure.
Je sais que, pendant la campagne électorale, M. Crase a été rémunéré pour des prestations réalisées sous le statut d'auto-entrepreneur. Voilà le seul statut que je lui connaisse dans ce cadre et à ce moment.
Quand avez-vous eu connaissance du refus d'habilitation de M. Crase ? Celui-ci ne devait-il pas faire jouer la clause d'exclusivité que vous avez évoquée à propos de son contrat de travail, le fait de demander une habilitation pour une présidence de société pouvant impliquer l'existence de deux emplois ?
Si je vous ai bien compris, c'est en tant qu'auto-entrepreneur que M. Crase a été prestataire lors de la campagne ?
Je vous le confirme, au vu des informations dont je dispose et sur la base des factures que j'ai pu voir. Je n'ai eu connaissance du refus d'agrément qu'hier soir, lors de la parution en ligne de l'article qui est sorti ce matin en format papier. Il semble que M. Crase n'a à aucun moment informé ni sa hiérarchie ni les ressources humaines de sa volonté de créer une entreprise.
Vous êtes auditionné ce matin en votre qualité de délégué général de La République en Marche, mais chacun sait ici que vous êtes membre du Gouvernement, chargé des relations avec le Parlement. C'est d'ailleurs avec cette « casquette » que vous avez répondu à un certain nombre de questions ce matin.
À la faveur de l'affaire qui nous occupe, ne pensez-vous pas qu'il serait utile, voire nécessaire, au nom de la démocratie et de la transparence, de s'interroger sur la possibilité d'être à la fois premier responsable d'une formation politique et membre d'un gouvernement, quel qu'il soit ?
Non, je ne le pense pas. À mes yeux, il n'est pas honteux qu'un ministre, quels que soient ses choix, veuille faire de la politique. Le fait d'être ministre ne doit pas être un handicap.
Vouloir dépolitiser la fonction ministérielle en considérant qu'elle serait incompatible avec les fonctions de responsable d'un parti politique, même exercées à titre bénévole - contrairement à d'autres partis, La République en Marche ne considère pas que cet engagement doive être rémunéré - et, pourquoi pas, avec un mandat de parlementaire ou de maire ne me semble pas une bonne approche.
Dans mes fonctions de secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, je pense n'avoir jamais orienté mes choix en fonction d'une appétence politique. J'ai toujours recherché un meilleur fonctionnement de nos institutions, notamment des relations entre le Gouvernement et le Sénat - je n'y arrive pas toujours parfaitement, comme on a pu me le reprocher lors de la dernière réunion de la conférence des présidents.
J'avoue rester un peu sur ma faim s'agissant du caractère approprié de la sanction des agissements de M. Crase, que vous qualifiez d'extrêmement graves. Si j'ai bien compris, celui-ci a simplement été dispensé de travailler pendant quinze jours, tout en restant rémunéré. Je n'y reviendrai pas, puisque vous vous êtes longuement expliqué sur ce point.
Ma question s'adresse plutôt au secrétaire d'État, puisque vous allez reprendre ces fonctions dans quelques instants. Elle rejoint l'intervention de Christian Cambon. Vous savez que nous nous soucions de la réalité de la sanction de M. Benalla, notamment de la nature de la rétrogradation dont il a fait l'objet. Nous l'avons vu dans le car qui a conduit l'équipe de France de football sur les Champs-Élysées, ce qui a étonné tout le monde. Dans les circonstances que vous avez indiquées, vous avez déclaré avoir « entendu dire » qu'il s'occupait de la logistique - je vous rassure, c'est ce que tous les membres de cette commission avaient compris.
Cela signifie-t-il que vous vous êtes enquis de savoir ce qu'il faisait dans ce bus et que vous vous êtes vous-même inquiété ou que vous avez vous-même été surpris de le voir exercer de telles fonctions ? En toute hypothèse, qui vous a donné cette information ?
Comme secrétaire d'État, il ne m'appartient pas de répondre sur l'évolution du poste d'un chargé de mission à l'Élysée, qui relève de l'organisation interne de l'Élysée, d'autant que, comme je l'ai dit lors de l'interview que j'ai évoquée, je ne disposais d'aucune information concernant M. Benalla, n'étant pas son employeur.
La petite polémique déclenchée par l'utilisation du mot « bagagiste » m'ayant légèrement agacé, j'ai cherché l'origine de cette information. Pour être honnête, je n'ai pas retrouvé par qui je l'avais « entendu dire ». Sinon, je l'aurais immédiatement retweetée, pour me protéger des moqueries dont j'ai fait l'objet. Je ne suis donc pas en mesure de répondre à cette question.
Monsieur le délégué général, monsieur le secrétaire d'État, nous sommes face à des faits graves, inadmissibles, inacceptables. Il y a peut-être même une seconde affaire Benalla, d'autres faits ayant peut-être été commis le même jour.
La République en Marche a prononcé des sanctions ; vous en avez parlé. L'Élysée a prononcé une mise à pied, avec des conséquences en matière de retenue sur congés. Or, une fois la mise à pied terminée, cette personne est redevenue visible lors d'événements extrêmement sensibles, comme le transfert des cendres de Simone et d'Antoine Veil au Panthéon, très symbolique dans notre République, ou l'arrivée des Bleus. Elle l'a également été, le 14 juillet, sur la tribune officielle. N'aurait-il pas été tout simple d'exfiltrer M. Benalla en le déchargeant de toutes ses responsabilités après les quinze jours de mise à pied ? N'est-il pas choquant, vis-à-vis des gendarmes, qu'il apparaisse ainsi publiquement, y compris à Roissy ?
On peut faire une lecture très simple des événements : si quelques journalistes ne s'y étaient pas intéressés et si une information n'avait pas été livrée, on aurait cherché à étouffer l'affaire. En effet, les sanctions véritables ont été prononcées bien plus tard. Le problème principal est que la justice n'a pas été saisie : elle s'est saisie elle-même. Quel est votre sentiment sur ce point ?
J'ai tenté de répondre aux questions de votre commission d'enquête par des faits. Je souhaite aujourd'hui, devant vous, en rester aux faits, ce qui me paraît essentiel. Il y a d'autres lieux pour exprimer des sentiments ou faire des commentaires.
Monsieur le délégué général, M. Vincent Crase était un réserviste actif de la gendarmerie et travaillait avec l'Élysée. Vous nous avez indiqué tout à l'heure que La République en Marche comptait deux autres réservistes. Devant l'Assemblée nationale, le général Bio-Farina a indiqué qu'une autre personne venant de La République en Marche était réserviste au sein de l'Élysée. Pouvez-vous nous dire si vous connaissez cette personne ? Est-ce l'une des deux personnes que vous avez citées tout à l'heure ?
Je répète que nous n'avons aucune trace de cette personne, dont j'ai découvert la possible existence lors de l'audition. Je ne saurais être plus franc ! Nous allons creuser cette question. Deux autres personnes, deux jeunes femmes, font partie de la réserve, sans être liées à la présidence. Je communiquerai leurs noms au président à la suite de cette audition - je ne préfère pas les citer publiquement, car leur engagement est privé. Je vous transmettrai également l'organigramme, ainsi que la lettre de notification de la sanction. Nous vous communiquerons avec diligence les autres pièces dont vous pourriez avoir besoin, monsieur le président.
Il me reste à vous remercier, monsieur le délégué général, monsieur le secrétaire d'État, de votre coopération avec la commission des lois.
Mes chers collègues, il s'agissait de la dernière des auditions de ce cycle. Nous reprendrons nos travaux sur ce sujet à la rentrée.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion, suspendue à 9 h 40, est reprise à 9 h 55.
Article 2 bis EA
Avis favorable à l'amendement du Gouvernement n° 1, qui est rédactionnel.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 1.
La commission donne l'avis suivant :
En première lecture, le Sénat a largement réécrit ce texte en élaborant un contre-projet plus cohérent, et en abordant l'ensemble des sujets migratoires que sont l'asile, les politiques d'intégration et la lutte contre l'immigration irrégulière.
Ainsi, en matière de lutte contre l'immigration irrégulière, nous avons renforcé les peines complémentaires d'interdiction du territoire, réduit le nombre de visas accordés aux pays les moins coopératifs qui refusent de délivrer les laissez-passer consulaires, réorganisé la durée de la rétention administrative, interdit le placement en rétention des mineurs isolés et encadré celui des mineurs accompagnant leur famille.
S'agissant du droit d'asile, nous avons maintenu à 30 jours le délai de recours contre une décision de rejet de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).
S'agissant de l'immigration étudiante, nous avons aussi réintroduit la visite médicale des étudiants étrangers, afin de répondre à un grave enjeu de santé publique.
En matière d'intégration, nous avons prévu un investissement renforcé dans les cours de français et amélioré les dispositifs d'insertion sur le marché de l'emploi des étrangers en situation régulière.
Enfin, nous avons souhaité soutenir les collectivités territoriales, en proposant d'insérer les places d'hébergement des demandeurs d'asile dans le décompte des logements sociaux de la loi « solidarité et renouvellement urbains » (SRU), et en créant un fichier national biométrique des étrangers déclarés majeurs à l'issue de leur évaluation par un département.
Malgré le dialogue constructif que nous avions engagé avec l'Assemblée nationale, la commission mixte paritaire du 4 juillet dernier n'a pas pu parvenir à un accord.
Je regrette néanmoins que le texte adopté par les députés en nouvelle lecture ne prenne que très peu en compte les préoccupations majeures exprimées par le Sénat.
Malgré tout, il y a quelques points d'accord : le maintien à 30 jours du délai de recours devant la CNDA et l'adaptation du droit du sol à Mayotte, deux mesures introduites par le Sénat ; ainsi que la création d'un fichier comportant les empreintes digitales et une photographie des étrangers se présentant comme des mineurs non accompagnés.
Néanmoins, le texte transmis au Sénat en nouvelle lecture constitue, à mon sens, une véritable occasion manquée pour la politique migratoire de notre pays.
Des désaccords majeurs persistent notamment sur les modalités d'organisation de la rétention administrative. Le séquençage adopté par l'Assemblée nationale est en effet à la fois peu protecteur pour les étrangers et très contraignant pour l'autorité administrative et les tribunaux. En outre, le texte adopté par l'Assemblée nationale permettrait de placer en rétention un mineur accompagnant sa famille pendant 90 jours, alors que nous avions, au Sénat, instauré un « plafond » de 5 jours.
De même, nous avons pu constater un certain manque de considération pour l'action des collectivités territoriales en faveur de l'accueil des demandeurs d'asile, alors que le Sénat avait adopté plusieurs mesures visant à les soutenir.
Enfin, l'Assemblée nationale a adopté deux mesures clairement contraires à la règle de « l'entonnoir », résultant de l'article 45 de la Constitution : il s'agit de la suppression du rôle de coordination des centres provisoires d'hébergement (CPH) en matière d'intégration des réfugiés, à l'article 9 bis du projet de loi, et d'une habilitation à légiférer par ordonnance pour réformer le contentieux du droit d'asile devant les juridictions administratives et créer des procédures d'urgence devant la CNDA, à l'article 27.
Par conséquent, je vous propose de déposer au nom de la commission une motion tendant à opposer au projet de loi la question préalable, ce qui conduirait le Sénat à rejeter le texte transmis par l'Assemblée nationale, afin que celle-ci porte l'entière responsabilité de son contenu et sachant que rien ne permet d'augurer la moindre perspective d'amélioration.
Nous comprenons les contraintes d'agenda et d'organisation du travail parlementaire, mais nous ne partageons pas cette volonté de ne pas débattre du fond des désaccords qui existent entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Certaines dispositions adoptées par notre assemblée mériteraient d'être de nouveau soutenues !
De même, il ne faut pas théâtraliser les désaccords entre chacune des majorités des deux chambres : l'esprit du texte adopté en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale n'est pas très différent de celui que lui avait transmis le Sénat. Ainsi, je constate que les avancées obtenues grâce au groupe Socialiste et républicain ont été supprimées, tout comme les marqueurs habituels du groupe Les Républicains en matière de quotas migratoires. Sur le fond, je pense, qu'en l'absence de désaccord entre la majorité sénatoriale et celle de l'Assemblée nationale sur la politique d'asile et d'immigration, cela ne doit pas beaucoup vous déranger de laisser le dernier mot à l'Assemblée nationale.
Il me semblait pourtant, cher collègue, que votre groupe avait déposé une motion tendant à opposer la question préalable en première lecture...
En juin dernier, nous avons débattu de l'opportunité de ce projet de loi, sachant que les négociations européennes en cours nous conduiraient certainement à adopter des mesures de transposition.
À l'époque, nous avions considéré qu'il n'y avait pas lieu de modifier la loi, la question étant avant tout celle des moyens de la politique migratoire.
Dès lors qu'une nouvelle loi est en passe d'être adoptée, il faut en discuter jusqu'au bout, et en particulier de ses aspects les plus néfastes.
En outre, la décision du Conseil constitutionnel en date du 6 juillet dernier sur le principe de fraternité doit être prise en compte au regard de la suppression du délit de solidarité. Il serait regrettable que le Sénat ne participe pas à cette réflexion...
Notre groupe ne partage pas tout à fait la position du rapporteur sur la prise en compte par l'Assemblée nationale des améliorations apportées par le Sénat : en particulier, les mesures en matière de gestion des procédures d'immigration ont été reprises.
Nous comprenons qu'il soit recouru à la procédure de la question préalable, afin d'éviter une « lecture pour rien », chacun ayant réfléchi à sa position. L'Assemblée nationale n'aurait en effet guère de raisons de retenir davantage de mesures adoptées par le Sénat.
S'agissant de la procédure, la demande d'habilitation à légiférer par ordonnances pour revoir les règles contentieuses devant la CNDA ayant été longuement débattue en séance publique, la règle de « l'entonnoir » pourrait ne pas s'appliquer, même si, finalement, le Sénat a refusé cette habilitation.
Notre groupe comprend la préoccupation du rapporteur. En revanche, cette question préalable nous attriste pour deux raisons : d'une part, le texte améliore le droit existant ; d'autre part, nous étions dans l'idée non pas de présenter un contre-projet, mais de faire aboutir une réforme du droit d'asile et de la politique d'immigration compréhensible par nos concitoyens et permettant un meilleur fonctionnement de nos institutions. Nous avons également souligné les aspects européens de cette question.
L'échec de la commission mixte paritaire rend plus complexe la lecture des dispositions prévues dans ce projet de loi et seuls les extrêmes y trouveront satisfaction.
Notre groupe, à l'exception d'une dizaine d'entre nous, sera majoritairement défavorable à cette motion tendant à opposer la question préalable. Néanmoins, je pense qu'aucun des groupes de notre assemblée n'est prêt à assumer une nouvelle lecture et n'a préparé tous les amendements utiles à cette fin.
Vous souhaitiez vivement, M. Philippe Bonnecarrère, un accord en commission mixte paritaire, espérant que le vote par votre groupe d'un certain nombre de dispositions aurait permis à la négociation d'avoir lieu dans de bonnes conditions pour le Sénat, ce qu'ont empêché les décisions politiques qui ont été prises. J'entends également que vous ne souhaitez pas faire obstacle à la question préalable, même si votre groupe y est majoritairement défavorable...
Je souscris aux propos de M. Jean-Yves Leconte. Au nom de mon groupe, j'avais défendu en première lecture une motion tendant à opposer la question préalable parce que ce texte ne nous semblait pas utile, ce qu'a d'ailleurs souligné le Conseil d'État, précisant qu'aucune des lois précédemment adoptées en 2015 et en 2016 n'avait été évaluée. En outre, ce projet de loi ne prend pas en compte les questions européennes, d'intégration, etc.
Nous avons là affaire à une « question préalable de confort ». Tous ceux qui la voteront ne partagent pas forcément les mêmes idées sur le sujet. Par ailleurs, je m'inquiète de l'évolution du rôle institutionnel du Sénat. Sur des textes comme celui-ci, il est recouru constamment à la procédure accélérée, alors que, voilà quelques années, le Sénat y aurait consacré deux semaines en première lecture, avec ensuite deux lectures avant la réunion de la commission mixte paritaire. Pour notre part, nous avons déposé 29 amendements pour cette nouvelle lecture et pensons qu'il est utile de poursuivre le débat.
Si nous avions un mode de fonctionnement plus apaisé, l'Assemblée nationale pourrait reprendre les amendements adoptés par le Sénat en nouvelle lecture. Nous nous privons ainsi de la possibilité de faire valoir nos positions après la commission mixte paritaire. C'est pourquoi, dans le cadre de la révision constitutionnelle, nous sommes très attentifs à la procédure qui sera prévue après la commission mixte paritaire.
Il est prévu que la session extraordinaire se termine demain.
En inscrivant l'examen de ce texte à notre ordre du jour de cet après-midi, le Gouvernement ne nous laisse guère de choix. Cet ordre du jour prioritaire nous contraint à des procédures exagérément rapides.
Je rappelle que la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a aussi été examinée sous le régime de la procédure accélérée. On peut donc toujours changer de point de vue d'une année à l'autre !
Je veux être objectif : la dérive tendant à une quasi-généralisation de la procédure accélérée ne date pas de ce Gouvernement, elle a largement pris corps lors du quinquennat précédent, pour devenir systématique. Auparavant, il y a 10, 15 ou 20 ans, elle était beaucoup plus rare. Ainsi, le projet de loi constitutionnelle est le seul, depuis une année, à être examiné selon la procédure normale ! Et en inscrivant ce texte l'avant-dernier jour de la session extraordinaire, le Gouvernement présuppose le dépôt d'une motion de procédure. Mais nous pourrions faire le choix de mener le débat, auquel cas ce texte ne serait pas adopté au cours de cette session.
Je précise que nous comprenons les raisons pratiques et de cohérence qui guident le dépôt de cette motion tendant à opposer la question préalable, mais que nous nous abstiendrons.
EXAMEN DE LA MOTION TENDANT À OPPOSER LA QUESTION PRÉALABLE ET DES AMENDEMENTS
Nous avons tous regretté l'engagement de la procédure accélérée sur ce texte très important. En outre, les débats à l'Assemblée nationale et les choix retenus par nos collègues députés ont montré les divergences entre nos deux assemblées. Tout espoir d'accord ultime paraît vain et, compte tenu de ces désaccords profonds, il ne nous paraît pas utile d'aller plus loin. Ainsi, à titre d'illustrations, notre souhait de transformer l'aide médicale d'État en aide médicale d'urgence n'a pas été retenu ; de même que n'a pas été retenue notre proposition de systématiser la peine d'interdiction judiciaire du territoire, sauf décision contraire du juge.
Par ailleurs, la règle de « l'entonnoir » ne s'applique pas si les dispositions proposées sont en relation directe avec des dispositions intégrées au texte de première lecture et restant en discussion. Tel n'est pas le cas pour les deux dispositions litigieuses aux articles 9 bis et 27 du projet de loi que nous considérons avoir été adoptées en méconnaissance de l'article 45 de la Constitution. S'agissant de l'habilitation à légiférer par ordonnances pour réformer le contentieux de l'asile, si ces dispositions ont bien été débattues en première lecture, elles n'ont pas été adoptées et donc a fortiori pas été intégrées au texte de première lecture. Aucune disposition restant en discussion ne permettait donc de les réintroduire en nouvelle lecture. Pour l'ensemble de ces raisons, je vous propose d'adopter la motion tendant à opposer la question préalable.
La motion est adoptée. En conséquence, la commission décide de soumettre au Sénat une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi ; les amendements deviennent satisfaits ou sans objet.
Le sort des amendements examinés par la commission des lois est retracé dans le tableau suivant :
Je veux profiter de l'occasion pour vous remercier, monsieur le président, d'avoir conduit comme vous l'avez fait les travaux de la commission d'enquête sur l'affaire Benalla. Nous n'en entendons que du bien dans nos départements.