La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Nous auditionnons aujourd'hui M. Jean Castex, coordonnateur national à la stratégie de déconfinement.

M. Castex est un grand serviteur de l'État : il a exercé les plus hautes fonctions au sein des administrations et des institutions de la République et présente l'avantage d'être vacciné contre l'esprit technocratique, car il est également maire d'une commune de plus de 6 000 habitants, Prades, où les électeurs lui renouvellent régulièrement leur confiance.

Nous avons le privilège de vous auditionner, Monsieur le coordonnateur national, alors que, jusqu'à présent, nous ne voulions pas vous détourner, même une heure, de cette priorité qu'est la préparation du déconfinement progressif ; maintenant qu'il est quasiment là, nous avons estimé qu'il était plus que temps de vous entendre. Notre but est non pas de vous entendre répéter les annonces faites par le Premier ministre, ce qui ne saurait être de votre registre, mais de vous faire préciser la façon dont vous envisagez concrètement l'organisation du déconfinement à compter du 11 mai.

Cette audition s'inscrit dans le cadre des travaux du comité de suivi de notre commission sur les mesures prises dans le cadre de l'épidémie de covid-19. Une partie seulement de mes collègues du comité sont physiquement présents, les autres étant reliés à nous par visioconférence. J'invite chacun à la plus grande concision, notre réunion devant impérativement se terminer à 11 heures.

Debut de section - Permalien
Jean Castex, coordonnateur national à la stratégie de déconfinement

Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très honoré de m'exprimer devant vous. C'est la première audition à laquelle je suis convié depuis qu'il y a un mois, j'ai pris, à la demande du Premier ministre, mes fonctions de coordonnateur national. Mon travail consistant à préparer « l'après 11 mai », je n'ai donc pas eu à gérer la crise sanitaire. Cette séparation est tout à fait judicieuse, tant cette crise est lourde et occupe pleinement ceux qui ont à la gérer directement.

Ma mission est interministérielle, rattachée au Premier ministre, signe que, même si les considérations sanitaires sont prédominantes dans la préparation du 11 mai, nous nous intéressons à tous les aspects de la vie de la Nation et que notre approche est globale. Nous préparons des éléments clés : quelle doctrine et quels moyens pour le déconfinement ?

Dans le cadre de ma mission, je propose et le pouvoir politique dispose : je ne suis pas décisionnaire et, comme certains points ne sont pas encore arbitrés, je vous précise d'emblée que je ne serai peut-être pas en mesure de répondre à toutes vos questions.

Je me suis entouré d'une toute petite équipe - il ne s'agit pas de nous substituer au service public -, avec des personnalités chevronnées comme le professeur Didier Houssin, dont chacun connaît l'expérience lors de la grippe aviaire H5N1, un préfet, un directeur général de centre hospitalier universitaire (CHU), ainsi que des techniciens qui tiennent la plume. Nous avons également un réseau de chercheurs en sciences sociales, car la compréhension des éléments sociaux et psychologiques sera décisive dans la période de déconfinement. La peur, souvent irrationnelle, est notre ennemie, mais elle peut également être notre alliée : il est donc essentiel que, aux côtés des sciences exactes, de la recherche d'un vaccin et de médicaments, les sciences humaines viennent en relais : nous les incluons dans le plan de déconfinement. Enfin, j'ai pris langue avec mes homologues étrangers, sachant que, devant cette crise inédite, chacun de nos partenaires a mis en place une équipe pour préparer le déconfinement. Nous avons de nombreux échanges, et nous comparons les mesures mises en place, leur efficacité et les facteurs de réussite.

Où en sommes-nous ? J'ai fait des propositions sur le cadre général du déconfinement qui vous a été présenté par le Premier ministre. Nous sommes désormais en phase d'affinement pour la mise en oeuvre opérationnelle. Le Premier ministre a rappelé que nous nous appuierons largement sur les acteurs territoriaux, qui sont chargés des responsabilités locales, en particulier sur le « couple » maire-préfet, mais aussi sur les partenaires sociaux dans les entreprises. Il est indispensable que l'État fixe les prérequis sanitaires et que de la souplesse soit laissée pour la mise en oeuvre concrète du déconfinement.

La sortie du confinement n'est pas la fin de la crise sanitaire. Nous commencerons, jusqu'au 2 juin prochain, par une première étape qu'on appelle parfois un « sas de déconfinement », pendant laquelle les contraintes sanitaires restent lourdes parce que nous devons assurer la protection de nos concitoyens, mais où nous cherchons aussi à faire redémarrer la vie de la Nation, car nous savons que les inconvénients du confinement sont lourds sur notre économie, sur notre société. Nous recherchons cet équilibre, comme le font nos homologues étrangers, entre le strict respect de la doctrine sanitaire et le redémarrage de la vie de la Nation. Nous avons « territorialisé » nos propositions et veillé à la cohérence d'ensemble. Les mesures que nous proposons s'expliquent par la conciliation entre cette double exigence : la santé de nos concitoyens et la reprise de la vie économique et sociale du pays. On ne peut faire comme avant, tout le monde ne peut pas aller partout tout le temps : il faut faire des choix, ce qui nous a conduits à fixer des priorités, comme la réouverture des écoles avant les lycées, la reprise de certaines activités plutôt que d'autres. Ces activités correspondent mieux au redémarrage de la Nation, lequel est nécessaire tant le confinement prolongé peut produire des conséquences aussi désastreuses pour notre pays que la pandémie elle-même.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Nous comprenons bien le moment particulier que constitue la fin du confinement et le début du déconfinement. Car si le confinement est simple à comprendre - c'est une décision nationale et générale -, le déconfinement passe par le comportement individuel de chacun d'entre nous et par des dizaines de milliers de décisions qui contribueront à la sécurité ou à l'insécurité sanitaire de notre pays. Pour autant, cela rend plus nécessaire un cadre national clair et lisible, et c'est une bonne chose que vous abordiez votre mission non pas seulement sous son seul angle administratif, mais dans sa réalité humaine, sociale, psychologique. Dans cette étape du déconfinement, où le comportement de nos concitoyens est décisif, cette compréhension est une clé de la réussite.

Cela dit, nous savons, en tant que sénateurs représentant des territoires, combien est grande la distance entre Paris et Villedieu-les-Poêles, pour ne pas citer Prades. Serons-nous prêts le 11 mai ? Et les entreprises ? Nos écoles ? Nos maires ? Nos transports en commun ? J'en suis personnellement inquiet, car on ne peut se permettre de l'approximation, surtout au début, dans cette période de « rodage » où les risques sanitaires sont les plus élevés.

Debut de section - Permalien
Jean Castex, coordonnateur national à la stratégie de déconfinement

Je suis bien d'accord avec vous Monsieur le président : le comportement de nos concitoyens est la clé de la réussite et cela est vrai aussi pour la période de confinement, en France comme ailleurs. La Première ministre néo-zélandaise l'a dit, alors que son pays est en pointe dans la lutte contre la pandémie : les avancées sont d'abord le résultat de l'action non pas du gouvernement et de l'État, mais des habitants eux-mêmes, en l'occurrence des Néo-Zélandais.

J'en profite pour signaler un petit relâchement dans le confinement, qui dure pourtant jusqu'au 11 mai : ce n'est pas bon, car si un tel relâchement se prolongeait après cette date, si les gestes barrières devaient être moins bien respectés alors que leur efficacité est la seule certitude que l'on ait contre la pandémie, on risquera une rechute. Voyez comment nos voisins allemands, qui commencent le déconfinement avant nous, font preuve de prudence dans cette période cruciale.

Serons-nous prêts le 11 mai, Monsieur le président ? Si vous attendez de moi la garantie que le dernier bouton de guêtre sera bien mis, je crains de vous décevoir, sachant combien de décisions sont à prendre dans la déclinaison territoriale du plan. Il y aura forcément des jours de calage. Mais s'il faut prendre trois jours de plus pour faire respecter toutes les règles sanitaires dans les écoles, on les prendra - il est très important que la machine redémarre, même si ce n'est pas exactement le 11 mai. Le Président de la République l'a même dit hier, lors de son déplacement dans un établissement scolaire, si le maire estime que l'école n'est pas prête, elle ne sera pas rouverte contre sa volonté.

Le sujet le plus délicat me semble être celui des transports collectifs dans les grandes collectivités, surtout en Île-de-France. Le métro est souterrain. Il y a beaucoup de monde mais peu de ventilation, ce qui rend la distanciation sociale très difficile. Mais comment la vie reprendrait-elle sans transports collectifs ? Et si chacun prend sa voiture, quels seront l'état des routes et la qualité de l'air ? Le maître-mot doit donc être la progressivité, il faut le dire clairement. Le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) recommande, et nous avons proposé d'en faire une obligation, le port du masque dans les transports collectifs, en plus des gestes barrières.

L'offre de transports collectifs ne sera pas complète dans un premier temps ; il y aura une montée en charge graduelle. Nous préparons, avec les préfets et les partenaires sociaux, par bassin d'emploi, une organisation des flux pour que certains horaires soient réservés à ceux qui doivent se rendre à leur travail parce qu'ils ne peuvent pas télétravailler. Nous demandons aux entreprises des horaires décalés de reprise et le maintien du télétravail partout où cela est possible. Les ministres compétents en débattent avec les partenaires sociaux.

En Île-de-France, le préfet de région a été chargé de préparer un plan de reprise avec la présidente de la région. Je n'entre pas dans le détail puisque ce plan n'est pas encore adopté, mais il est probable que l'on s'achemine vers un déploiement échelonné des transports publics après le 11 mai.

Si je vous disais qu'il n'y aura aucune difficulté, vous seriez en droit de ne pas me croire, mais il est clair que les transports publics sont essentiels et qu'ils seront ouverts - ils le sont d'ailleurs actuellement, en période de confinement. C'est l'un des sujets majeurs et des plus difficiles pour les semaines à venir.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Merci pour ces réponses. Je demande à mes collègues d'être concis dans leurs questions : je donne d'abord la parole à ceux qui sont présents au Sénat, puis à ceux qui sont en visioconférence.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Di Folco

Que disent vos homologues des pays qui ont déjà amorcé leur déconfinement : quelles sont leurs difficultés rencontrées et les enseignements qu'ils ont pu en tirer ?

Vous évoquez un « sas de déconfinement » jusqu'au 2 juin prochain. Commencez-vous déjà à préparer la période suivante, et de quelle manière ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

L'outil statistique que nous utilisons pour compter les nouvelles contaminations est-il fiable ? De l'échange que j'ai eu hier avec le préfet de mon département, j'ai compris que le compteur n'était pas fiable. La façon dont les urgentistes dénombrent les cas suspects de Covid-19 n'est pas homogène, et les médecins de ville n'y contribuent pas. Un protocole précis se met en place, mais il sera opérationnel depuis à peine une semaine quand, fin mai, le Gouvernement devra prendre des décisions importantes pour les mois à venir, en particulier ceux de l'été. Le Gouvernement sera-t-il certain de savoir si le compteur sera à la hausse ou à la baisse ?

Ensuite, disposez-vous d'une piste pour prendre en charge les surcoûts de la crise sanitaire dans le bâtiment et les travaux publics ? Ces surcoûts sont constatés, mais mal évalués, ils relèvent le plus souvent de contrats privés ; mais même pour les contrats publics, l'État n'a pas défini de règles. C'est un facteur de retard qui risque de perdurer et de rendre les entreprises réticentes à reprendre leur activité.

Enfin, considérez-vous possible et raisonnable d'organiser le deuxième tour des élections municipales le 21 juin ou le 28 juin 2020 dans les seules communes de moins de 1 000 habitants, à condition qu'elles s'organisent pour ne pas avoir plus 500 électeurs inscrits par bureau de vote ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je précise que M. Castex n'a pas d'intérêt lié à cette question des élections municipales puisqu'il a été élu dès le premier tour...

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Kanner

Je voudrais évoquer le changement de braquet intervenu entre le Premier ministre, déclarant mardi devant les députés qu'on prolongerait le confinement si les chiffres n'étaient pas satisfaisants pour le 11 mai, et le Président de la République, énonçant un choix politique en déclarant hier : « On y va ! ». Je ne vous demanderai pas de juger ce changement de discours mais, puisque le Président de la République annonce qu'on passe au déconfinement, avez-vous défini des critères qui nous conduiraient à devoir nous reconfiner ? Je ne cherche pas à ajouter de l'anxiété, mais c'est notre responsabilité politique de connaître et de faire connaître ces critères.

Enfin, ma région des Hauts-de-France a été classée en orange hier soir, dont acte. Néanmoins, je suis étonné que toute la région le soit, alors que la situation dans le Pas-de-Calais n'est pas celle de l'Oise : pourquoi un tel classement pour la région tout entière ?

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Quelles différences existera-t-il entre le déconfinement dans les départements rouges et et les départements verts, au-delà de l'ouverture des parcs et jardins publics ou des collèges ? Pourra-t-on se déplacer d'un département vert à un département rouge ? Comment seront définis les 100 kilomètres autorisés pour les déplacements : à vol d'oiseau ou par voie terrestre ?

Ensuite, le Gouvernement a mis l'accent sur la nécessité des tests. Le « couple » préfet-maire est censé s'en occuper, mais serons-nous en capacité de le faire ? Faut-il dépister toute la population, ou bien une partie seulement ? Il faut répondre précisément, c'est une attente de nos concitoyens.

Je m'inquiète, également, des difficultés accrues du fonctionnement de la justice. Des mesures d'urgence ont été rapidement prises, c'est normal, mais le fonctionnement aurait pu être maintenu à un niveau un peu plus élevé, alors que l'institution paraît aujourd'hui bloquée. C'est particulièrement inquiétant pour la justice civile, qui rend habituellement 2,5 millions de décisions chaque année. Après la grève des avocats il y a quelques mois, la sortie de la crise sanitaire risque d'être extrêmement difficile.

Enfin, nous ne parlons pas assez de la situation outre-mer, en particulier à Mayotte, où l'épidémie se développe alors que la situation matérielle y est très précaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Gatel

Vous avez rappelé que le 11 mai serait le début du déconfinement et pas l'aboutissement, et que le chemin sera sinueux et difficile.

Chargée, par notre commission des lois, de suivre l'impact de la crise sanitaire sur les collectivités territoriales, je commencerai par deux constats.

La différenciation entre les territoires, d'abord, est au coeur des préconisations : le cadre national doit être adapté aux réalités locales. Hier, nous avons eu un débat très intéressant concernant la différenciation du droit applicable sur les plages et les littoraux.

Ensuite, la coordination de l'action de l'État est un gage de réussite dans cette crise protéiforme, qui est à la fois économique, sanitaire et sociale : comme vous le faites à l'échelon national, il faut, à l'échelon départemental, une task force autour du préfet pour harmoniser l'action des services déconcentrés et des agences de l'État, en particulier l'agence régionale de santé (ARS). Sinon chacun y va de ses initiatives, ce qui n'est jamais bon en période de guerre...

Trois questions précises, ensuite. Comment pensez-vous possible de bien sécuriser l'action des élus locaux pendant cette période, notamment sur le plan de leur responsabilité pénale ? Pourquoi ouvrir les écoles maternelles et primaires avant les lycées, alors que la mise des gestes barrières y semble plus difficile ? Le protocole transmis par l'Éducation nationale vous paraît-il applicable partout, dans tous les établissements de toutes les communes ?

Debut de section - Permalien
Jean Castex, coordonnateur national à la stratégie de déconfinement

Je vais tout d'abord essayer de clarifier la situation s'agissant des indicateurs.

Le comité de scientifiques formalisé par la loi d'urgence du 23 mars 2020 a établi des indicateurs pour déterminer la date à laquelle, globalement, à l'échelle du pays, il serait possible de sortir du confinement. Ces critères scientifiques, similaires à ceux qui sont employés dans les pays voisins, portent sur les flux d'hospitalisation, les capacités en lits de réanimation et le taux de reproduction de la maladie. Sur cette base, nous sommes assurés qu'à la date du 11 mai, les conditions seraient réunies pour passer à la phase suivante. Nous avons par ailleurs fait le choix d'un déconfinement territorialisé.

Nous suivrons au jour le jour, ou presque, l'évolution de la situation épidémiologique. J'ai entendu les remarques quant à la robustesse des critères employés. Pourquoi, par exemple, prendre en compte le nombre de passages aux services d'urgence, et non les remontées des médecins généralistes ? Toutes ces questions sont très techniques. La direction générale de la santé ou Santé publique France sont sans doute plus à mêmes que moi d'y répondre. Mais l'idée est bien d'effectuer un suivi épidémiologique le plus fin possible et territorialisé.

Le succès du confinement a effectivement été variable selon les territoires. Demain, certains départements seront classés en vert et d'autres en rouge. Nous allons essayer d'éviter que le virus ne circule entre ces territoires, d'où la règle des 100 kilomètres. Cette distance devrait être calculée à vol d'oiseau, mais nous avons encore toute une série de mesures à affiner. Je pense, par exemple, au fait que l'on puisse circuler à l'intérieur d'un même département, y compris au-delà de 100 kilomètres. L'idée principale, qui explique notamment les décisions concernant les plages, est d'éviter les translations massives, les migrations de personnes, non pas parce que nous n'en voulons pas, mais parce que nous craignons la circulation du virus.

Pourquoi toute une région passe, d'un coup, du rouge au vert ? L'enjeu est de reconstituer les capacités hospitalières en réanimation. Or l'appréciation de ce critère ne peut se faire qu'à une échelle régionale. Sans cela, certains départements disposant de très peu de lits en réanimation, comme l'Ariège ou le Gers, resteraient en permanence en rouge. Mais les indices seront affinés à l'observation.

Je le précise, car, comme beaucoup, je suis frappé de voir à quel point la doctrine scientifique elle-même évolue. En discutant avec les scientifiques, j'ai fini par comprendre qu'ils passent, au fil de la progression de la pandémie, d'une connaissance par modélisation théorique à une connaissance tirée de l'observation, ce qui les conduit à revoir leurs positions. C'est peu sécurisant pour le pouvoir politique, sans doute inquiétant pour la population, mais cela démontre que l'on peut - et qu'il faut - s'adapter. Il est donc normal que les indicateurs s'affinent au fil des jours. C'est d'ailleurs pourquoi la différence entre départements en vert et départements en rouge se résume, pour la première phase du déconfinement, à l'ouverture des collèges et des parcs et jardins. Nous espérons ensuite non seulement avoir plus de départements classés en vert, mais aussi pouvoir accroître leurs marges de manoeuvre.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

De manière symétrique, pourrait-on envisager que les marges de manoeuvre soient diminuées dans les départements demeurant en rouge ? Pourrait-on rétablir localement le confinement en cas de circulation plus forte du virus ?

Debut de section - Permalien
Jean Castex, coordonnateur national à la stratégie de déconfinement

À partir du 11 mai, nous allons progressivement introduire l'exploitation des résultats des tests virologiques dans les critères. Au titre de cette politique de dépistage, dès que l'on constatera un nombre anormalement élevé de tests positifs, de patients atteints au-delà des cas contacts, il faudra se donner les moyens d'agir immédiatement. Au-delà d'une situation très localisée, on peut aussi imaginer, pour les départements en rouge, qu'il faille prendre des mesures adaptées aux circonstances si la circulation du virus est trop intense.

Ainsi, dans le plan de sortie du confinement, j'ai proposé la mise en place éventuelle d'un reconfinement. Ce n'est pas notre objectif mais cela se prépare et, si besoin, nous aurons un plan de reconfinement prêt.

Néanmoins, le meilleur moyen d'éviter ce scénario, c'est que tous, sur le territoire, nous respections les règles essentielles : gestes barrières, lavage des mains, port du masque dans certaines circonstances, test dès l'apparition de symptômes. C'est la clé de voûte, et un aspect intéressant de cette crise : la mobilisation nationale, la confiance dans le comportement des citoyens, constituera un facteur déterminant pour faire évoluer tous les départements vers un classement en vert.

Un mot sur le changement significatif qui sera opéré la semaine prochaine : nous allons mettre en place une politique massive de tests. Désormais, une personne qui ressentira un symptôme ressemblant au coronavirus devra immédiatement entrer en contact avec un médecin et sera systématiquement testée. Nous avons prévu, à partir des modélisations scientifiques, environ 700 000 tests par semaine et, au moment où je m'exprime, nous devrions être au rendez-vous.

Les personnes testées positives seront invitées à rester confinées chez elles. Elles seront contactées pour établir avec quelles personnes elles ont été en relation dans les heures précédant la survenue des symptômes. En fonction des circonstances, les cas contacts seront à leur tour testés et, si des porteurs de la maladie figurent parmi ces derniers, on reprendra le même processus avec eux. Ce dispositif permet de rompre la chaîne des contaminations.

Debut de section - Permalien
Jean Castex, coordonnateur national à la stratégie de déconfinement

Durant le confinement, la règle était que les gens restent chez eux. À partir du 11 mai, la règle sera qu'ils n'y restent plus. C'est pourquoi il faut tester très rapidement, renvoyer les personnes positives à leur domicile ou, quand ce n'est pas possible, dans des centres adaptés à cet effet, et effectuer des recherches systématiques sur les cas contacts. Cela conditionne la réussite du déconfinement, et demande la mobilisation d'une artillerie lourde. En effet, non seulement nous préconiserons aux porteurs de rester à domicile, mais nous les accompagnerons aussi, notamment en mobilisant les acteurs de terrain. Nous avons élaboré une circulaire pour décrire l'ensemble de ce dispositif. Sa réussite dépend toutefois des acteurs de terrain, sur lesquels nous allons nous appuyer.

La politique de tests étant une politique sanitaire, donc une politique d'État, nous souhaitons passer par le préfet de département, qui, bien sûr, devra travailler avec les maires. Ce sera l'autorité unique, même si l'ARS lui apportera légitimement son expertise technique et son concours. Il faut, certes, rapprocher la mise en oeuvre du terrain, mais aussi conserver une chaîne de commandement claire, lisible et unique.

S'agissant des enseignements tirés de nos voisins, les quelques pays qui sont en avance ne le sont pas de beaucoup. Mais les mêmes constats remontent partout : plus les gestes barrières sont respectés, plus les citoyens sont responsables, plus la politique de tests est efficiente et introduite dans les indicateurs de suivi du déconfinement, mieux ça marche !

Une majorité des pays qui nous entourent ont décidé de rouvrir leurs établissements d'enseignement, mais les positions sont très variées. Certains ont opté, comme nous, pour commencer par les petites classes, d'autres ont panaché, etc. Dans ce domaine, il n'existe pas de ligne directrice clairement établie. Le principe reste toutefois inchangé : comme on ne peut pas déconfiner tout le monde en même temps, il faut faire des choix, en s'appuyant sur des critères à la fois médicaux, pédagogiques et économiques.

Sur le plan de la santé, la littérature scientifique est à peu près claire : les plus petits sont parmi les moins malades. M. Blanquer et les services de l'éducation nationale ont constaté que le confinement avait aussi des effets dramatiques en matière d'éducation, notamment avec des phénomènes d'aggravation du décrochage scolaire, dont les conséquences seront démultipliées pour les plus petits. Un lycéen peut se garder, pas un enfant de 9 ans dont les deux parents ne peuvent pas télétravailler. Telles sont les raisons du choix que nous avons fait, mais les collèges reprendront aussi dans les départements en vert et nous verrons si les lycées peuvent reprendre en juin.

Certains estiment que nous ne sommes plus à un mois près pour la réouverture des établissements scolaires... On peut tout renvoyer à septembre, mais, dans ce cas, on n'est plus dans l'effort qui est le nôtre de remettre le pied à l'étrier. Évidemment, les maires râlent, notamment quand ils voient arriver le protocole sanitaire de l'Education nationale. Mais il n'y a pas d'autre solution, et ils savent qu'il n'est pas question de mettre le moindre enfant en danger en France. Les conditions de reprise des écoles doivent donner lieu à une discussion entre eux et les autorités académiques locales, avec le plus de souplesse possible, comme l'a précisé le ministre. Ce sera probablement plus facile en Lozère qu'en Seine-Saint-Denis, mais les remontées de terrain de ce département montrent que ce n'est pas infaisable.

Je connais la position du Sénat concernant la sécurisation de l'action des élus locaux, comme celle du Premier ministre, d'ailleurs. Cette question n'est ni facile à traiter ni négligeable. J'attire votre attention sur le fait qu'elle peut aussi concerner d'autres pans de notre société, notamment le monde de l'entreprise.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Nous avons traité cette question de manière globale. Je rappelle, à ce titre, que la décision d'ouvrir une école relève, non pas du maire, mais du directeur d'école, sous l'autorité de l'inspection d'académie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacky Deromedi

Mon propos concerne les Français résidant hors de notre pays qui souhaitent cet été rentrer en France, après avoir connu des périodes de confinement très strictes dans leur pays d'accueil. J'espère qu'aucune discrimination ne sera faite entre eux, qu'ils résident dans l'Union européenne ou ailleurs dans le monde.

Certes, la situation va évoluer en fonction de la propagation du virus. Il serait cependant souhaitable d'informer les Français résidant hors de France des mesures prévues pour l'instant. Je pense en particulier à la quatorzaine : pourra-t-elle être effectuée dans un lieu qu'ils auront choisi ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Vous avez dit que la réussite du confinement dépendait du comportement de nos concitoyens. Certes, mais c'est aller un peu vite en besogne... Cette réussite dépend aussi de la capacité d'anticipation des pouvoirs publics - il a fallu attendre le 17 mars pour que ceux-ci reconnaissent qu'il ne s'agissait pas d'une simple « grippette » -, des moyens mis en oeuvre et de la cohérence de l'action menée.

Sur ce dernier point, estimez-vous que l'État doit se contenter de « pondre » des circulaires, recommandations et protocoles ? La réussite du déconfinement ne dépend-elle pas aussi de la capacité réelle de tests ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Comme Françoise Gatel, je m'étonne que le Gouvernement ait choisi de déconfiner les écoles maternelles et primaires avant les lycées. Nos voisins allemands font le contraire. Si la priorité est l'égalité des chances et la lutte contre le décrochage scolaire, pourquoi ne pas avoir systématisé l'enseignement à distance, en s'appuyant sur l'expertise du Centre national d'enseignement à distance (CNED) ?

Le président Bas a précisé que la responsabilité de la réouverture des classes incombait aux directeurs d'école, et non aux maires, mais quid des activités périscolaires et du soutien scolaire ? Quelle règle sera appliquée : celle des 15 élèves maximum ou celle des 10 personnes maximum, enseignants et animateurs compris ?

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

Vous avez indiqué que le préfet serait l'autorité unique dans le département - c'est une bonne chose. Quelle en sera la traduction concrète ? Le préfet aura-t-il une forme de pouvoir hiérarchique sur les autres services de l'État, comme l'ARS et l'Éducation nationale ?

Le comité de scientifiques a indiqué que les brigades de suivi du covid-19 devrait compter 30 000 agents. Ces brigades seront-elles prêtes pour le 11 mai ?

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Lherbier

La région des Hauts-de-France est passée de rouge à orange. Quelles seront les conséquences pour les frontaliers belges ? Vous avez évoqué vos homologues dans des pays étrangers. Connaissons-nous les étapes que suivront nos voisins directs, comme la Belgique ou l'Italie ? Une communication précise sur ce point pourrait rassurer les habitants de notre région, car les 100 kilomètres nous mènent de l'autre côté de la frontière...

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Mon département, le Bas-Rhin, a été particulièrement touché. Les malades ont fait un test de « guérison » ; ils sont porteurs d'anticorps. Dans votre stratégie de déconfinement, tenez-vous compte de ces tests ?

Nos concitoyens ont programmé des vacances, pour certains dès juin. Vont-ils être autorisés à rejoindre leur lieu de villégiature en France ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

La liberté de circulation dans l'Union européenne est nécessaire pour que des dizaines de milliers de personnes se rendent à leur travail ou en retrouvent un. Auriez-vous des informations à nous communiquer sur ce point ?

Les passages aux frontières terrestres françaises ne donnent pas lieu, jusqu'à présent, à des contrôles de température ou à l'obligation de remplir des formulaires de contact. Avec le déconfinement, nous allons mettre en place la quatorzaine. Comment sera-t-elle mise en place ? À quelles frontières ? Avec quels contrôles et sanctions ?

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Kerrouche

Que se passera-t-il si le nombre de familles volontaires pour remettre leurs enfants à l'école est plus important que le nombre de places disponibles ? Comment faire en sorte que l'école bénéficie prioritairement aux élèves « décrocheurs » ?

Le 11 mai, les activités sportives de plein air pourront reprendre. J'ai entendu votre propos sur les plages, mais les habitants des littoraux ne comprennent pas pourquoi ils ne peuvent pas reprendre leurs activités comme ils en avaient l'habitude. Le concept de « plage dynamique » peut répondre à cette situation. Qu'en pensez-vous ? Il ne faut pas voir uniquement le risque de migration vers les littoraux : les habitants de ces territoires ont leur propre vie.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Dans mon département situé en zone frontalière, les habitants comparent leur situation à celle de leurs voisins allemands. Dans ce pays, les enfants doivent porter des masques à partir de 6 ans. Pourquoi ne pas faire de même ?

S'agissant de la réouverture des écoles, vous avez évoqué le délai de deux à trois jours dont disposeront les élus après le 11 mai pour s'adapter aux contraintes sanitaires. Certains maires ont décidé de ne pas rouvrir les écoles. Qu'en pensez-vous ?

Le Gouvernement a fait le choix de proposer des hébergements temporaires pour isoler les malades. Combien de personnes pourront être accueillies ? Le dispositif sera-t-il opérationnel dès le 11 mai ?

Debut de section - Permalien
Jean Castex, coordonnateur national à la stratégie de déconfinement

Je ne peux pas répondre aux questions concernant la circulation des personnes en provenance de pays étrangers et la quatorzaine, ces points n'ayant pas encore été arbitrés par l'autorité politique.

S'agissant de l'école, les décisions sont prises après avis des autorités sanitaires, en particulier du Haut Conseil de santé publique (HCSP). La doctrine est la suivante : le masque est fortement décommandé pour les enfants de moins de 6 ans ; pour les 6-12 ans, le masque est recommandé - nous en mettrons à la disposition des écoles - et obligatoire dans le cas où un élève présente des symptômes.

Le ministre de l'éducation nationale a demandé aux enseignants et aux directeurs d'école de contacter les familles dont les enfants sont des « décrocheurs scolaires » afin de les inciter à les remettre à l'école. C'est une priorité. Le choix du volontariat est le bon, car vos questions ont montré qu'il s'agissait d'un sujet anxiogène. S'agissant de la responsabilité des maires pour la réouverture des écoles, le Président de la République a été assez clair hier. Le CNED et les cours à distance continueront, car moins de la moitié des enfants reprendront le chemin de l'école dès la semaine prochaine.

Vu la limitation du nombre d'élèves par classe, tous les enfants ne pourront suivre en même temps des enseignements scolaires, ce qui nécessitera le recours aux activités périscolaires, lesquelles devront respecter exactement les mêmes normes que l'école. Les solutions seront trouvées localement : il pourra, par exemple, être fait appel à des associations pour renforcer les activités périscolaires de droit commun de la commune. Puisque le périscolaire devient une condition de l'effectivité de l'accueil du scolaire, le coût supplémentaire pour les collectivités territoriales sera à la charge de l'État.

S'agissant des plages, la question de M. Kerrouche est pertinente, mais il a fallu faire des choix. L'Espagne a aussi fermé ses plages. La nécessité d'éviter les grandes migrations nous a conduits à cette décision. En revanche, le sport en plein air individuel sera autorisé dès lors que les mesures de distanciation sociale seront respectées, que le nombre de participants n'excèdera pas dix et qu'il sera pratiqué en extérieur.

Si les écoles ouvrent et que les gymnases restent fermés, c'est parce que l'on considère que le retour des élèves est une condition plus importante de la reprise de l'activité que le sport individuel - en tant que président de l'Agence nationale du sport (ANS), je mesure mes propos. De plus, les écoles font l'objet d'une surveillance, contrairement aux gymnases.

Durant la première phase du déconfinement, nous devons être très précautionneux. Les décisions relèvent d'une logique cohérente. Il est plus facile de confiner que de déconfiner... Le déconfinement progressif nous permettra assez vite, en trois semaines, d'établir, grâce aux indicateurs épidémiologiques, un bilan qui soit le plus transparent possible. Le Gouvernement a fait le choix de mettre en ligne tous les avis du HCSP et du comité de scientifiques. La transparence est un gage de réussite de la gestion des crises. À la fin du mois de mai, nous verrons si nous pouvons passer à une nouvelle phase du déconfinement.

Le Gouvernement a annoncé que les grands rassemblements seraient interdits jusqu'à la fin du mois d'août, afin de permettre aux organisateurs de leurs dispositions. Des dispositifs d'accompagnement ont été mis en place et seront prolongés pour tous les secteurs qui ne rouvriront pas durant la première phase du déconfinement. Il faut offrir des perspectives. Je ne peux pas vous dire si les bars, cafés et restaurants rouvriront le 2 juin, mais nous devons nous y préparer.

Si nous ne faisons pas bien les choses, nous devrons passer la marche arrière. Alors, faisons tout pour passer la marche avant.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Monsieur le coordonnateur national, je vous remercie de cette audition passionnante. Nous vous inviterons de nouveau dans quelques semaines afin d'évoquer les premiers résultats du déconfinement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion, suspendue à 11 h 10, est reprise à 17 heures.