Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de M. Raoul Briet, président du conseil de surveillance du Fonds de réserve pour les retraites, et de M. Antoine de Salins, membre du directoire.
a rappelé le contexte dans lequel cette audition intervenait, évoquant les points essentiels de la dernière délibération du conseil de surveillance du Fonds de réserve pour les retraites (FRR), en date du 7 juin 2006 :
- un horizon de décaissement étendu de 2020-2040 à 2020-2050, en cohérence avec les récents travaux du Conseil d'orientation des retraites (COR) ;
- l'attachement du FRR à construire progressivement une identité d'investisseur fondée sur son horizon de long terme ;
- le recours à des hypothèses économiques et financières prudentes quant à l'évolution des économies et des actifs concernés, la prime de risque entre action et obligation étant portée de 1,5 % à 2,5 % ;
- une diversification du portefeuille propre à améliorer son rendement financier et à diminuer le risque global, le fonds pouvant désormais, d'une part, étendre son intervention au capital investissement, à l'immobilier, au financement d'infrastructures et aux indices de matières premières et, d'autre part, accroître la part globale des investissements en dehors de la zone euro de 25 % à 40 %.
Puis il a rappelé que le FRR avait pour objectif d'alimenter, à partir de 2020, les différents régimes éligibles par des sommes mises en réserve, depuis la création du fonds, afin de réduire les efforts de financement nécessaires pour assurer leur équilibre. L'objectif initial était d'accumuler près de 150 milliards d'euros d'ici à 2020, mais le rythme de l'alimentation semblait aujourd'hui insuffisant pour atteindre cet objectif. Le montant des réserves s'élevait, en effet, à 23 milliards d'euros fin 2005.
Enfin, M. Jean Arthuis, président, a énuméré les ressources du FRR, qui comprenaient les excédents éventuels de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), tout ou partie des excédents du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) -ressource qui n'avait donné lieu à versement qu'en 2001-, 65 % du produit du prélèvement social de 2 % sur les revenus de placement et du patrimoine, des ressources exceptionnelles, telles que, notamment, le produit de cessions d'actifs de l'Etat et, enfin, le produit des placements effectués par le fonds. Il a souligné que, seule, la fraction de la contribution de 2 %, qui représentait une ressource annuelle de 1,3 milliard d'euros, était pérenne et qu'à ce rythme, le FRR ne serait en mesure de couvrir que 22 % des besoins de financement des régimes de retraite éligibles.
Avant de donner la parole à MM. Raoul Briet et Antoine de Salins, il s'est tout particulièrement réjoui de la présence de M. Dominique Leclerc, rapporteur pour avis de la mission « Régimes sociaux et de retraite » au nom de la commission des affaires sociales, et rappelé que ce dernier était membre du conseil de surveillance du FRR, tout comme son collègue Jean-Jacques Jégou, membre de la commission des finances.
Procédant à l'aide d'une vidéoprojection, MM. Raoul Briet et Antoine de Salins ont effectué une présentation mettant l'accent sur les objectifs financiers du Fonds de réserve des retraites, sur son identité d'« investisseur responsable » et sur son rôle ultérieur dans le financement des systèmes de retraite.
a d'abord dressé un état de l'évolution des actifs du FRR qui tendaient, depuis la création du fonds, vers une cible de 55 % de placements en actions et de 45 % de placements en obligations. Si cet objectif avait été rapidement atteint, dès 2005, pour les actions, les obligations ne représentaient encore que 23,8 % de l'actif total, car leurs cours s'étaient avérés trop élevés, dans un contexte général de faiblesse des taux. Au total, l'actif du Fonds de réserve des retraites était estimé à 27,7 milliards d'euros au 1er janvier 2006.
Puis il a évoqué la performance globale du fonds, qui s'élevait, fin mai 2006, à 18,5 % depuis juin 2004. Il a concédé à M. Jean Arthuis, président, qui s'interrogeait sur la validité de ce chiffre compte tenu de l'évolution récente des valeurs boursières, que les plus-values latentes avaient diminué.
a alors précisé que ce montant comprenait 3,08 milliards d'euros correspondant à la soulte des industries électriques et gazières qui, gérée par le fonds pour le compte de la CNAV, faisait l'objet d'un traitement comptable particulier. Il a indiqué que les ressources du FRR, qui avaient culminé à plus de 5 milliards d'euros en 2002, s'établissaient à 1,5 milliard d'euros en 2005. Abordant les coûts de gestion du fonds, il les a estimés à 23 points de base, niveau comparable, au plan international, à celui observé dans des institutions analogues. Selon lui, une cible de 20 points de base pouvait même être ambitionnée dans un contexte d'augmentation du volume des actifs traités et d'adaptation de la réglementation applicable.
Puis M. Raoul Briet a abordé les perspectives qui s'offraient au FRR en termes de diversification des placements, de définition de son identité « d'investisseur responsable » et de clarification de son rôle à terme. Après avoir rappelé que l'horizon de décaissement des passifs passait de 2020-2030 à 2020-2040, en ligne avec les derniers travaux du conseil du COR, il a souligné que chaque euro investi par l'Etat dans le fonds ne pouvant être utilisé pour réduire la dette publique, le FRR se devait d'obtenir un rendement moyen supérieur à 4,4 % par an sur le long terme, ce taux correspondant à une estimation du coût moyen d'emprunt des sommes destinées à abonder le FRR.
a précisé que le scénario économique et financier de long terme privilégié par le FRR était prudent, car il se basait sur une croissance ralentie dans les pays développés et intégrait l'impact du vieillissement de la population sur les rendements à long terme des actifs financiers. L'écart de rendement entre actions et obligations, qui venait d'être rehaussé de 1,5 % à 2,5 %, demeurait inférieur à celui anticipé par les principaux opérateurs.
a estimé qu'il était nécessaire de concentrer l'attention sur l'allocation stratégique des actifs, dont l'évolution était susceptible de procurer les gains les plus importants. Il convenait aussi de diversifier les actifs afin de mieux maîtriser les risques à long terme et il apparaissait, à cet égard, que le choix effectué, en 2003, de se concentrer sur les actions et obligations, devait être complété. Aussi bien le conseil de surveillance s'était-il prononcé pour une diversification qui portait à la fois sur la nature des actifs (capital-investissement, fonds d'immobilier professionnel dans la zone euro, indices de matières premières et fonds de financement d'infrastructures) et sur les zones géographiques en diminuant la part des investissements dans la zone euro. Au total, la « cible stratégique » de quote-part d'obligations au sein de l'actif diminuait de 45 % à 30 % au profit de la cible de quote-part d'actions, qui progressait de 55 % à 60 %, et des actifs de diversification, qui avaient désormais vocation à représenter 10 % de l'actif total. Cette nouvelle « cible stratégique » adoptée par le conseil de surveillance devait aboutir, non seulement à une légère réduction des risques, mais encore à une augmentation de 0,3 point du rendement moyen espéré, pour atteindre 6,3 % par an à long terme. Au total, le rendement nominal dépasserait le seuil des 4,4 % avec une probabilité approchant 80 %.
Enfin, M. Antoine de Salins a estimé nécessaire de permettre au FRR d'investir directement dans des fonds ouverts ou fermés, ce qui impliquait une adaptation de son cadre juridique, qui imposait des procédures d'appel d'offres inadaptées, susceptibles de s'étendre sur une durée de dix-huit mois, alors que dans les pays voisins, des institutions comparables au FRR ne requéraient pas plus de sept mois pour les mêmes opérations.
Après s'être félicité de ce que le conseil de surveillance ait adopté à l'unanimité la nouvelle allocation stratégique, M. Raoul Briet a précisé la notion d'« investisseur responsable ». Le Fonds de réserve des retraites exerçait ses droits de vote par l'intermédiaire de ses gestionnaires. Ces derniers appliquaient, à cet effet, un « référentiel » détaillé, mis en oeuvre en 2005 avec succès puisque les trois quarts d'entre eux avaient effectivement exercé leurs droits de vote au cours de cet exercice. A côté de l'exercice des droits de vote, le FRR entendait promouvoir la prise en compte de critères extra-financiers par les gestionnaires chargés d'investir en son nom, sans procéder à des exclusions a priori, mais en tenant compte, dans le processus de sélection des sociétés, des critères tels que le droit du travail, le respect des fournisseurs et le développement durable. Ainsi, le FRR présentait une spécificité française dans les instances financières internationales en promouvant certains critères de responsabilité. M. Raoul Briet a indiqué que les autres fonds mis en place par des Etats voisins avaient fait le choix d'allocations stratégiques légèrement différentes, accordant généralement une plus grande pondération aux actions.
Puis M. Raoul Briet en est venu à la contribution potentielle du FRR au financement des régimes de retraite éligibles entre 2020 et 2040. Il a observé qu'avec la dotation minimale, soit 1,3 milliard d'euros par an de 2006 à 2020, le fonds ne pourrait couvrir que 22 % des besoins de financement des régimes concernés. Avec 3,7 milliards d'euros par an (soit la moyenne des sommes recueillies de 2000 à 2005) sur la même période, le fonds couvrirait 36 % des besoins de financement des mêmes régimes. Enfin, avec 6,1 milliards d'euros par an jusqu'en 2020, 50 % des besoins de financement des régimes éligibles seraient couverts. Pour conclure, M. Raoul Briet a estimé qu'il fallait fixer un cap au Fonds de réserve pour les retraites à l'horizon 2020, précisant à M. Jean Arthuis, président, qui s'interrogeait sur les ressources annuelles supplémentaires nécessaires au fonds, que 2,5 milliards d'euros, s'ajoutant à la recette pérenne de 1,3 milliard d'euros, constituaient probablement un minimum.
Un large débat s'est alors instauré.
après avoir estimé qu'on attendait du FRR une qualité de gestion lui permettant de faire apparaître un surplus par rapport au coût moyen de la dette de l'Etat, a estimé prudent d'évaluer ses ressources à long terme à 1,3 milliard d'euros par an, tant il était difficile de prévoir la nature des arbitrages que rendraient les gouvernements à venir. Puis il s'est interrogé sur le contenu exact de la notion d'« investisseur responsable » et, dans le cadre de la diversification des placements, sur la réflexion qu'avait pu mener le fonds concernant le type d'investissement susceptible de représenter l'immobilier, ainsi que sur l'utilité de la récente réforme des sociétés foncières avec la création des sociétés d'investissement immobilier cotées.
En réponse, M. Raoul Briet, après avoir précisé que le fonds constituait un outil transitoire pour permettre une montée en charge socialement acceptable des adaptations à apporter au système de pensions, a estimé que la question centrale était bien aujourd'hui celle de la « taille critique » du FRR. D'après lui, il était souhaitable que le fonds soit en mesure de couvrir la moitié du besoin de financement des régimes éligibles à l'horizon 2020-2040, et indispensable qu'il en couvre au moins le tiers. Le fonds n'était donc « viable » qu'à la condition de recevoir, en moyenne, au moins 3,7 milliards d'euros par an de 2006 à 2020.
Concernant les droits de vote, M. Raoul Briet a indiqué que le « référentiel » était suffisamment précis pour guider les gestionnaires en toute circonstance, et suffisamment indicatif pour laisser une part substantielle à leur appréciation personnelle.
a posé la question de l'application de ce « référentiel » aux entreprises concernées par des offres publiques d'achat (OPA). M. Antoine de Salins a précisé que, d'une façon générale, le CAC 40 ne constituait qu'une partie de l'horizon d'investissement du fonds, ce qui n'allait pas sans difficultés quand il s'agissait de connaître le droit s'appliquant à certaines sociétés étrangères, et donc de mettre en pratique le « référentiel ». L'obligation de vote faisait partie du mandat donné aux gestionnaires, mais aucun représentant du fonds ne siégeait aux différents conseils d'administration, ce qui correspondait aux pratiques des différents fonds de pension. Pour éviter que les gestionnaires du FRR n'émettent de votes divergents, un système de « coordination des intentions de vote » avait été mis en place.
s'est interrogé sur le calcul du seuil de « rentabilité » du fonds de 4,4 % et sur ce qu'aurait été le comportement du fonds lors de la formation de la bulle informatique. En réponse, M. Raoul Briet a indiqué que le taux de 4,4 % constituait un coût moyen constant basé sur des hypothèses conventionnelles de croissance et d'inflation sur la période 2006-2020. Puis il a précisé que, dans l'hypothèse d'une bulle financière, la définition d'une « cible stratégique » revenait à créer un butoir, car les autorisations de mouvements à court terme ne pouvaient pas s'écarter de plus de 6 points de la quote-part d'actifs qu'elle fixait. Dans cette occurrence, le fonds se serait donc trouvé dans l'obligation de revendre des actions dès que leur montant aurait représenté plus de 61 % de l'actif (55 % fixés par l'allocation stratégique + 6 points), puis, après l'éclatement de la bulle, contraint de racheter des actions dès que leur montant aurait représenté moins de 49 % de l'actif (55 % - 6 points).
s'est inquiété de ce que la situation du FRR paraissait moins bonne que celle des fonds comparables dans les pays voisins. En réponse, M. Raoul Briet a précisé que les projections montraient que la France était dans une situation médiane au sein de l'Union européenne, même si certains pays, tels que l'Espagne, l'Irlande et particulièrement la Suède, jouissaient d'une situation enviable. A cet égard, il était regrettable que la France n'ait pas commencé à constituer son fonds de retraite plus tôt, quand la CNAV produisait des excédents. Puis il a indiqué à M. Maurice Blin, qui s'interrogeait sur la possibilité de rattraper notre retard sur la Suède, que les politiques engagées vers le long terme faisaient partie du « modèle scandinave », mais qu'elles étaient insuffisamment acclimatées en France et dans l'Europe du Sud.
s'est alors interrogé sur la gestion des 3,08 milliards d'euros de soulte des industries électriques et gazières, et inquiété du relatif optimisme du FRR, alors que la nécessité de mener des réformes importantes se précisait. En réponse, M. Raoul Briet a précisé que la soulte était comptablement distincte des autres ressources du FRR, mais que sa gestion financière obéissait à la même allocation stratégique que les autres actifs du fonds. Puis il a estimé que le FRR ne dispensait pas des réformes, mais qu'il les facilitait, dans la mesure où il permettait de montrer que la consolidation de notre système de retraite était possible dans la durée et où il autorisait une plus grande progressivité dans sa mise en oeuvre.
s'étant inquiété de ce que l'existence d'un tel fonds ne puisse paradoxalement donner argument aux partisans de l'immobilisme en matière de réforme des retraites, M. Raoul Briet a considéré que le sujet des retraites n'avait été que trop traité sur le mode du « catastrophisme », qu'un discours alarmiste était en outre susceptible d'instaurer un climat de défiance porteur d'effets récessifs et qu'il était souhaitable de construire un discours d'ensemble sur les adaptations du système où le FRR apparaîtrait comme un outil qui n'exonérait pas de la réforme, mais qui visait à la favoriser.