Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 8 décembre 2010 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

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La réunion

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La commission procède à l'audition du sénateur Francis Delpérée, professeur à l'université catholique de Louvain, sur la situation institutionnelle en Belgique.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Je vous souhaite la bienvenue au Sénat, Monsieur le professeur, et vous remercie d'avoir accepté de venir devant notre commission afin de nous parler de la situation institutionnelle de la Belgique.

Docteur en droit de l'université de Paris et docteur honoris causa de nombreuses universités, professeur de droit constitutionnel, de droit administratif et de droit public comparé à l'université catholique de Louvain, directeur de la Revue belge de droit constitutionnel, auteur de nombreux ouvrages et articles, parmi lesquels un manuel de droit qui fait autorité, vous êtes un spécialiste éminent et reconnu en matière de droit constitutionnel, de droit européen et sur les questions touchant au fédéralisme.

Depuis votre désignation au Sénat de Belgique, en 2004, vous êtes également un acteur important de la vie politique, notamment au sein de la commission des affaires institutionnelles. Vous êtes donc particulièrement bien placé pour évoquer la situation de la Belgique, que nous suivons avec une très grande attention et non sans quelques inquiétudes. En effet, depuis la démission du gouvernement d'Yves Leterme, le 26 avril 2010, les principaux partis politiques ne sont pas parvenus à s'entendre sur la formation d'un nouveau Gouvernement. Malgré plusieurs tentatives, et alors que la Belgique est confrontée, comme l'ensemble des pays européens, à une situation économique difficile, et qu'elle exerce jusqu'à la fin de l'année la présidence du Conseil de l'Union européenne, la Belgique ne dispose toujours pas d'un nouveau Gouvernement. Alors que le conciliateur royal Johan Vande Lanotte a remis, le 24 novembre, sa proposition de compromis, nous souhaiterions avoir votre éclairage sur les raisons de cette crise institutionnelle et les perspectives qui s'ouvrent actuellement.

Quelles sont les raisons qui expliquent le blocage actuel ? Pensez-vous qu'un accord reste possible, notamment sur le statut de Bruxelles-Hal-Vilvorde, les transferts de compétences et la loi de financement ? Quelles seraient les conséquences d'une évolution vers un modèle confédéral ? Quelles seraient les conséquences d'un échec des négociations ? Faut-il craindre un « plan B » avec partition du pays ?

Vous êtes nos plus proches voisins, et bien souvent nos cousins. Nous avons beaucoup de mal à comprendre la situation d'un pays avec lequel nous avons tant d'attaches.

Debut de section - Permalien
Francis Delpérée

« Voisins, cousins » : c'est une formule que j'ai comme vous utilisée, dans un article sur l'état de la décentralisation en Belgique et en France, publié dans les Mélanges Lavroff. Je vous remercie de votre invitation, et de l'intérêt que manifeste votre commission pour mon petit pays.

La Belgique naît, comme vous le savez, en 1830. Le roi des Belges Léopold Ier épouse Louise-Marie, fille de Louis-Philippe. La Constitution belge s'inspire de celle de la Monarchie de Juillet : un État unitaire, dans lequel la loi est la même pour tous, selon la formule lumineuse de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, un Etat cependant très décentralisé, qui est en fait « une terre de clochers et de beffrois », très attachée à ses racines locales.

En 1970, la Belgique devient un Etat fédéral. « La Belgique, Etat fédéral » : tel est d'ailleurs le titre d'un article que me demande, pour la Revue française de droit public, mon directeur de thèse, le grand Marcel Waline, gaulliste convaincu. Ce passage à l'Etat fédéral constitue une véritable révolution juridique. En matière d'enseignement, d'audiovisuel, de logement, de transports, la loi cesse d'être la même pour tous, elle diffère selon que vous habitez Bruxelles, Malines ou Namur.

Alors que l'Etat fédéral aura quarante ans dans quelques jours, le sol se fissure et des craquements se font entendre, mais non point sous le pas d'un ennemi extérieur, d'une puissance économique qui tenterait de prendre la main : non, le mal est endogène. Quel est donc ce mal qui nous gangrène ?

Il trouve ses racines tant dans le champ culturel que dans le champ économique, l'un et l'autre indissociables. A l'origine, la Belgique est francophone : ses élites politiques, économiques, culturelles le sont. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, apparaît un mouvement flamand qui cherche à se faire reconnaître. C'est un mouvement avant tout culturel, qui revendique l'usage de sa langue - bien que les grands auteurs flamands d'alors, Maeterlinck, Verhaeren, Rodenbach, écrivent en français. La souplesse des institutions belges permet d'autoriser l'usage du flamand dans l'administration, la justice, l'enseignement.

A partir de 1960, la revendication prend un tour politique : c'est une communauté qui veut s'affirmer, et par conséquent imposer le flamand comme seule langue d'usage. De là naît l'affaire de l'université de Louvain, vénérable institution qui remonte au XVe siècle - 1425 - et qui, assurant une partie de son enseignement en français, a dû alors déménager, avec armes et bagages, de vingt kilomètres, pour pouvoir continuer de le faire...

La carte de l'Europe ne manque pas de régions riches. On peut y ranger, à côté de la Catalogne ou de la Lombardie, la Flandre. Face aux difficultés économiques, la tentation est forte du repli. Avec la crise qui frappe aujourd'hui l'automobile ou la pétrochimie, certains en Flandre, qui se demandent si le partenaire wallon se redressera assez vite, craignent des transferts financiers Nord-Sud, via notamment notre système national très performant de sécurité sociale. C'est ainsi que, pour un certain nombre de dirigeants flamands, l'intérêt de la Flandre en vient à prendre le dessus sur la conception nationale d'une société politique unifiée. Par où l'on voit que les questions culturelle et économique se recouvrent.

Aujourd'hui, le mal est profond. Il n'y a pas de remède simple. Certaines formations se posent la question du divorce. Pour le moment, les Belges se rassurent en se disant qu'il demeure quelques obstacles au projet : Bruxelles, d'abord, l'Europe, ensuite, font achoppement sur cette voie. Cela ne signifie pas que la débâcle en sera empêchée, mais le parcours s'en trouve un peu compliqué.

Sans Bruxelles, qui compte, avec un million d'habitants, 10 % de la population du pays, la Belgique aurait disparu. L'intérêt dont témoignent la Flandre et les Flamands pour la ville marque assez leur embarras. Il est vrai qu'à la différence de Berne, capitale germanophone d'un pays à majorité alémanique ou d'Ottawa, capitale anglophone d'un pays à majorité anglophone, Bruxelles, capitale à majorité francophone dans un pays à majorité flamande, constitue un cas de figure assez singulier. Une capitale de surcroît enclavée en territoire flamand. Pour les francophones, pas question d'abandonner cette position stratégique. Pour les Flamands, c'est là une carte de visite autrement éclatante à présenter au monde que celle de Malines ou d'Anvers.

Autre écueil à l'ambition flamande, l'Europe, qui joue un rôle central dans le jeu politique belge et que l'on ne peut ignorer. Elle a dit son incompréhension et son inquiétude et chacun sait les risques qui y sont attachés pour Bruxelles : il ne manque pas, de par le territoire européen, de villes candidates à accueillir les institutions de l'Union...

L'inquiétude européenne se comprend d'autant mieux que la Belgique semble aller à l'inverse de ce que l'Europe tente de faire. Nous envoyons de fait un singulier message dans un continent qui veut tendre vers l'unité et la solidarité. Si deux peuples ne peuvent s'entendre au sein d'un petit État comme le nôtre, comment vingt-sept s'entendront-ils au sein de l'Union européenne...

Je suis de ceux qui pensent que l'Europe pourrait aider la Belgique. Non point par un interventionnisme malvenu, mais en proposant des politiques audacieuses, ouvertes sur le monde, afin d'aider les Belges à sortir de leurs querelles en regardant au-delà de leurs étroites frontières. A contrario, une Europe qui se montrerait faible, timide, incapable de porter des projets, aurait de fâcheuses répercussions dans notre pays.

Vous avez évoqué, monsieur le Président, la laborieuse formation de notre gouvernement. A la suite de la crise ministérielle, ouverte le 26 avril dernier, les scénarios les plus optimistes n'envisagent pas de dénouement avant mi-février. Songez-y : près d'une année sans gouvernement de plein exercice ! De quoi me remémorer l'article publié dans les Mélanges Charlier par celui qui fut aussi mon professeur, sur « les affaires courantes » ! Car rien d'autre ne peut se traiter.

Debut de section - Permalien
Francis Delpérée

Si l'on en croit les discours les plus optimistes... Mais la réalité est que l'on vit en veilleuse. Le roi ne nomme plus un ambassadeur - Paris le sait bien -, plus un conseiller d'Etat, plus un haut fonctionnaire, plus un général de brigade. Et M. Leterme, Premier ministre en charge des affaires courantes, en est à se féliciter, devant le parlement européen, de ne pas même pouvoir être renversé, car il n'y a plus d'opposition !

Face à une telle situation, les Belges sont perplexes, et marquent parfois quelque irritation face à ce qu'ils interprètent comme une impuissance de la classe politique. Mais le fait est que nous avons dépassé la crise ministérielle, pour entrer dans une crise d'Etat, dont il nous reste à espérer qu'une crise économique et financière ne viendra pas la doubler...

Les Belges pensent donc au lendemain. Ils sont dans leur majorité convaincus qu'ils vont vivre longtemps encore dans le conflit, qui s'étend à tous les domaines : compétences, moyens financiers, institutions, partage du régional et du national... Nous sommes entrés dans une période de turbulence appelée à durer.

Nos compatriotes se projettent aussi dans l'avenir, et imaginent, ce faisant, toute sortes de scénarios, y compris des scénarios post-Belgique, qui peuvent prendre deux figures : séparation ou sécession. Certains, en effet, songent à un scénario à la tchécoslovaque, la révolution de velours prenant la forme d'un divorce par consentement mutuel - avec la question incidente du nombre de partenaires, car la Belgique compte aussi, à l'est, quelque 70 000 germanophones ... Mais c'est oublier que la Tchécoslovaquie, lors de la partition, n'était pas membre de l'Union européenne et, surtout, qu'à la différence de ce qui prévaut en Belgique pour Bruxelles, Prague est une ville de Bohême : les Slovaques, qui voient dans Bratislava leur capitale, ne l'ont jamais revendiquée.

Un tel scénario, enfin, suppose de s'asseoir autour d'une table de négociations pour organiser le partage, répartir le poids de la dette, scinder les institutions, publiques et privées, organiser la séparation administrative dans des domaines très lourds, comme celui des infrastructures. Ce scénario se voit parfois accoler un correctif, le confédéralisme. De même qu'a été créé le Benelux, un traité pourrait associer Bruxelles, Flandre et Wallonie, Etats souverains décidés à se concerter dans certains domaines. Pour moi, il ne s'agit là que d'un paravent du séparatisme. Car le confédéralisme n'est pas une variante du fédéralisme, c'est même l'opposé. Une organisation fédérale à l'intérieur de l'État est tout autre chose que l'association de plusieurs États souverains. Et en matière d'association, nous ferions bien de nous rappeler notre passé colonial... Souvenons-nous des accords de coopération que l'on se promettait de passer avec le Congo après son indépendance : on n'a jamais rien vu venir, tant il est vrai qu'un État qui a gagné son indépendance souhaite la préserver.

Le deuxième scénario est celui de la sécession. De même que nous avons quitté les Pays-Bas en 1830, la Flandre pourrait proclamer son indépendance. Et se faire reconnaître par l'Europe, comme le Kosovo... Demeurerait alors une Belgique « résiduelle », peuplée de francophones, comptant quatre millions d'habitants sur la moitié de son actuel territoire, mais conservant son nom, sa nationalité, son roi, s'il le veut, son siège à l'Union européenne, aux Nations unies et dans les instances internationales où la Belgique est aujourd'hui partie. L'existence d'un tel micro-Etat, objectera-t-on, aurait-elle encore un sens ? Ce serait du moins une façon de montrer à ceux qui veulent entreprendre de détruire les États existants qu'ils ne peuvent détruire les structures institutionnelles. Je ne considère pas pour autant que les francophones doivent adopter une attitude de femme soumise qui reste au domicile conjugal pendant que son mari volage prend ses libertés : ils doivent au contraire prendre celle du conjoint qui entend conserver ses droits et sa dignité. La Belgique résiduelle pourrait ainsi se constituer la gardienne d'un héritage matériel et moral vieux de plus d'un siècle et demi.

Je vous ai parlé à coeur ouvert. Je vous ai dit mes maigres espoirs. Je n'en tire pas pour autant grande fierté. Peut-être les Belges ont-ils manqué d'imagination, peut-être se sont-ils fatigués de quarante ans de querelles : ce n'est pas une raison de baisser les bras. « Travaillez, prenez de la peine, c'est le fonds qui manque le moins », écrivait Jean de la Fontaine. J'ai labouré, j'ai semé : je ne suis pas à l'abri des intempéries, mais j'ai la conscience tranquille, même si l'avenir ne m'appartient pas pleinement.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

Comme sénateur représentant les Français de l'étranger, je sais que les Français de Belgique sont inquiets. Je vis dans un pays fédéral, l'Autriche, au sein duquel les provinces jouissent d'une large autonomie : la Belgique ne pourrait-elle s'en inspirer ?

Mon autre question porte sur la carte que pourrait constituer l'Union européenne. Le scénario de la sécession que vous avez évoqué laisse une Belgique résiduelle, membre de l'Union européenne, à côté d'une Flandre qui aurait à demander son adhésion. Voilà qui donne à la première un singulier pouvoir, puisqu'aux termes du Traité de Lisbonne, l'unanimité est requise pour toute procédure d'adhésion. Les francophones conservent donc quelque pouvoir sur les Flamands : l'argument ne pourrait-il valoir coup de semonce ?

Debut de section - Permalien
Francis Delpérée

Il est vrai qu'aux termes de l'article 1er de notre Constitution, nous sommes un État fédéral, au même titre, donc, qu'en Europe, l'Allemagne, l'Autriche...

Debut de section - Permalien
Francis Delpérée

Mais tous les Etats fédéraux dans le monde fonctionnent selon un fédéralisme multipolaire : cinquante Etats américains, dix provinces canadiennes, vingt-six cantons suisses, seize Länder allemands... Le fédéralisme belge est bipolaire, ce qui change tout.

Le fédéralisme multipolaire facilite la recherche d'équilibres, d'accommodements. En Belgique, tout se raisonne selon une ligne nord-sud. Je puis même vous dire que ce partage se retrouve au sein même de notre commission des affaires étrangères. Les positions n'y sont pas les mêmes sur l'Afrique : selon que l'on vient du sud ou du nord de la Belgique, la région des Grands lacs suscite plus ou moins d'intérêt. Ce clivage entre le Nord et le Sud se retrouve sur l'Irak : les uns étaient prêts à entrer dans la guerre, les autres pas, si bien que nous nous en sommes tenus à une position de compromis : nous n'irions pas sur le terrain, mais nos frégates seraient en mer... C'est en tous domaines que la concurrence est permanente : chacun se demande ainsi combien il paye et combien il reçoit...

Vous avez raison de relever que l'Etat belge restant membre de l'Union européenne en cas de sécession flamande disposerait d'une sorte de droit de veto théorique à l'entrée de la Flandre au sein de l'Union. Mais la Belgique résiduelle a-t-elle intérêt à laisser un territoire vierge d'Europe à ses frontières ? Il n'en reste pas moins qu'à une Flandre candidate à l'adhésion s'imposera, comme à tout candidat, le respect de l'acquis communautaire, et notamment la signature de la convention-cadre sur la protection des minorités nationales...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Besson

Quel est le rapport de force entre l'un et l'autre camp, celui des Flamands, plus séparatistes, et celui des Wallons, plus attachés à l'histoire ? Il m'a été donné d'assister à une réunion internationale où j'ai vu des représentants catalans jeter à terre le drapeau espagnol qui se trouvait sur la table. Retrouve-t-on le même ressentiment en Belgique ? Arrogance de riches Flamands d'un côté, rancoeur, de l'autre, de Wallons considérant qu'ils ont, au cours de la période industrielle, largement contribué à la richesse du pays ? Le problème du « vivre ensemble » se pose-t-il ?

Debut de section - Permalien
Francis Delpérée

Pour ce qui est du rapport des forces, si l'on ne dispose pas de recensement, on a néanmoins un ordre d'idées : les Flamands représentent quelque 60 % de la population, contre 40 % pour les francophones. Cela étant, l'une comme l'autre, les communautés ne sont pas homogènes. De très sérieuses études universitaires ont montré qu'en réponse à la question du sentiment d'appartenance, 60 % de la population, au nord, dit se sentir d'abord flamande et belge, ensuite, s'il n'y a pas incompatibilité, tandis qu'au sud, 90 % déclarent se sentir belges d'abord, et wallons, bruxellois ou germanophones s'il n'y a pas incompatibilité. L'un de mes collègues universitaires prédisait il y a vingt ans déjà, avec beaucoup de perspicacité, que nous marchions vers un partage en deux nations. La nation belge continue de fonctionner au sud, au centre et un peu au nord, tandis que la nation flamande, au nord, se constitue comme une partie du tout. Cela peut-il fonctionner ? Certainement pas, en tout état de cause, sur le modèle de l'État nation qui a prévalu au XIXe siècle. Cela étant, pour répondre à votre question, je ne vois pas apparaître de problème majeur de « vivre ensemble ». Je vous conterai une anecdote pour l'illustrer : j'ai vu, réunis autour d'une table d'hôtes à Orange, dix Belges, moitié flamands, moitié francophones, trinquer ensemble de bon coeur « à la Belgique » !

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Je puis conter une anecdote qui va dans le même sens. Je me trouvais en Bretagne à la mort du roi Baudoin et puis témoigner que tous les Belges, Flamands et Wallons, qui s'y trouvaient sont aussitôt rentrés à Bruxelles pour l'enterrement. Je suis sûr qu'il y avait alors à Bruxelles autant de Flamands que de Wallons dans la rue.

Debut de section - Permalien
Francis Delpérée

J'avoue avoir été assez désagréablement surpris par un dessin de Plantu, dans Le Monde, qui laissait entendre en substance : « le roi des Belges est mort, la Belgique est morte ». S'il est vrai que le roi Baudouin incarnait la continuité, et le sens du devoir, cela ne signifie pas pour autant que l'existence de la Belgique tient à une personne. Le peuple belge souhaite encore, dans sa majorité, vivre ensemble.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Besson

Je puis également témoigner qu'en Drôme provençale, dont je viens, et qui compte une forte communauté belge, la fête nationale de Belgique réunit Flamands et Wallons.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Berthou

Quel est le poids du roi dans la vie politique ? Autre question : le partage des sensibilités va-t-il jusqu'à une affinité politique, au nord, avec les Allemands et les Néerlandais, et au sud, avec nos positions ?

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Vous faites bien de poser la question du roi : le sénateur Delpérée est fin connaisseur de la famille royale : il a été précepteur de son altesse le prince Philippe de Belgique.

Debut de section - Permalien
Francis Delpérée

La formule de Thiers s'applique en Belgique à la lettre : « Le roi règne mais ne gouverne pas. » Il n'est aucune prérogative royale : tout acte du monarque doit obtenir le contreseing d'un ministre.

Autre est la question de l'influence qui peut être la sienne. Le roi est, de ce point de vue, l'horloger qui met de l'huile dans les rouages. Il peut aider le gouvernement à se constituer. Il y a quelques années, un discours du roi en visite à l'étranger, en pleine crise ministérielle, avait donné un coup de fouet. Il serait temps, disait-il, de terminer la composition du gouvernement. Quelques jours après, le gouvernement était formé... Le roi joue donc un rôle certes discret, mais utile. Comme sur l'échiquier, il ne se meut guère, mais concentre l'attention, et c'est bien pourquoi, à côté des attaques contre Bruxelles ou contre la sécurité sociale, on en voit aussi surgir contre le roi, auquel certains reprochent d'en faire trop.

Y a-t-il des sensibilités liées à la géographie ? Tel était, je crois, le sens de votre seconde question. Sans doute. Voyez comment se regroupent en Europe les sensibilités socialistes : il y a les socialistes latins et les socialistes nordiques. De telles lignes traversent aussi la Belgique. Pour autant, je ne parlerai pas d'affinités, au Nord, avec les Pays-Bas, et encore moins avec l'Allemagne. Certains s'imaginent aussi que les francophones du Sud pourraient être tentés par leur grand voisin méridional ... Je le dis sans détour, j'ai beaucoup de liens avec la France, je suis fier d'être chevalier de la Légion d'honneur, membre de l'Institut de France, mais je reste profondément Belge : de l'affinité culturelle au rattachisme politique, il y a une marge. Au reste, parmi les rattachistes de chez nous, on distingue les réunionistes...

Debut de section - Permalien
Francis Delpérée

et les rattachistes stricto sensu qui songent à un nouveau département de Sambre-et-Meuse au sein de la République française. Les premiers considèrent, eux, tout bonnement que les Wallons discuteront d'égal à égal leurs conditions avec la République française. Il en fut même pour vouloir s'appuyer sur l'article 88 de votre Constitution, qui prévoit des accords d'association. Telle était l'idée de Daniel Ducarme, mort aujourd'hui.

Debut de section - Permalien
Francis Delpérée

Actuellement, 5% des électeurs se prononcent en ce sens. La majorité des Belges s'interrogent. Avons-nous vocation à être les Canaques du Nord ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Estimez-vous que sur le plan culturel, et en particulier linguistique, les Wallons auraient pu faire plus et mieux pour donner droit de cité aux Flamands, en bâtissant un véritable bilinguisme, comme ont su le faire les Québécois ? Y a-t-il pour vous des mesures à prendre en ce sens aujourd'hui, pour peser sur le devenir du pays ?

Debut de section - Permalien
Francis Delpérée

Évitons les anachronismes. Projeter la situation actuelle sur 1830 serait une erreur : la Belgique de l'époque était francophone, le français était la langue officielle que parlaient ses élites politiques, sociales, économiques. Au cours du XIXe siècle, comme pour le breton ou le provençal, pour les langues minoritaires et populaires, des intellectuels et des artistes ont établi des grammaires et codifié une orthographe. Aurait-on pu faire mieux ? Le Grand Duché de Luxembourg l'a fait : le journal Luxemburger Wort mêle le français, l'allemand, le luxembourgeois. C'est un grand mélange...

Debut de section - Permalien
Francis Delpérée

Lors des fêtes, le grand-duc s'adresse à ses compatriotes en luxembourgeois...

Debut de section - Permalien
Francis Delpérée

Lorsque j'ai été invité à la Chambre des députés du Grand duché, en tant que père de la cour constitutionnelle, j'ai pu observer que l'on y débat en luxembourgeois, mais qu'on parle français au moment solennel de voter. La langue commune est le français, ce qui n'empêche pas qu'on parle luxembourgeois dans la vie quotidienne.

Debut de section - Permalien
Francis Delpérée

Nous aurions pu, à la fin du XIXe siècle, adopter cette idée d'une pluralité de langues avec le français langue commune. Quant au bilinguisme complet, si les dirigeants québécois connaissent bien le français, la situation générale est plus nuancée, certains refusant de parler anglais. En Belgique, au Sénat comme au Conseil d'État, si vous n'avez pas une connaissance au moins passive de l'autre langue, comprendre les débats devient compliqué, et l'on a recours à des écouteurs. Un certain bilinguisme est fondamental pour les dirigeants - et le roi est tenu au trilinguisme. De là à exiger la maîtrise de deux langues...

Debut de section - PermalienPhoto de Bernadette Dupont

Lors d'une visite d'un groupe interparlementaire, on nous a montré un centre commercial en Flandre. Les jeunes filles n'y parlaient que flamand. Cela reflète-t-il la réalité ?

Debut de section - Permalien
Francis Delpérée

Si certains Flamands se refusent à parler français à des Belges francophones, ils répondraient volontiers à des Français, à plus forte raison à des parlementaires français.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

Mon interrogation rejoint celle de M. Berthou. On sent aux Pays-Bas, vers lesquels se tournent les Flamands belges, une évolution vers des partis extrémistes, ce qui nourrit l'inquiétude. L'opposition au sein de la Belgique serait-elle aussi politique, se nourrit-elle des excès du moment ?

Debut de section - Permalien
Francis Delpérée

La proximité est surtout linguistique, culturelle et sociale. Les Flamands regardent les chaînes néerlandaises comme je regarde les chaînes françaises. Cela peut faire naître des sentiments différents, des sensibilités politiques divergentes dans les deux communautés. Cependant, aux Pays-Bas, on est protestant, alors que les protestants sont très minoritaires en Belgique, pays catholique. Les solidarités politiques entre La-Haye et Bruxelles ne sont pas évidentes : les Pays-Bas ne regardent pas vers la Belgique, et il faut être deux pour se marier...

Debut de section - PermalienPhoto de André Vantomme

Une question d'un parlementaire français dont les ancêtres étaient flamands. Comment l'armée belge traverse-t-elle cette épreuve ?

Debut de section - Permalien
Francis Delpérée

Elle connaît des difficultés importantes. Nous avons abandonné la conscription, et notre armée de métier parle anglais quand elle intervient en Afghanistan avec des Allemands ou des Canadiens. Il y a pour le moment un déséquilibre linguistique dans la désignation des généraux - un officier général, le colonel Genard a dénoncé le fait que tous les postes de responsables militaires étaient occupés par les Flamands et la représentation nationale vient de mettre en place un groupe de travail.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

Vous rendez-vous compte que ce qui se passe en Belgique n'est pas très bien vu par les autres pays européens, car certains craignent que cela donne des idées, par exemple aux Catalans ou encore ...aux Alsaciens ?

Debut de section - Permalien
Francis Delpérée

Je n'en suis pas fier, mais la crainte d'une contagion dans les autres pays européens est réelle ; c'est même pour cela que je n'ai jamais été autant invité à Barcelone pour parler de l'expérience belge.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

Les pays européens accepteraient-ils un nouvel État flamand ? Ce n'est pas sûr.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Et la République tchèque et la Slovaquie ? Nous sommes prêts à accepter l'adhésion du Kosovo et Monténégro qui se sont séparés de l'Etat serbe.

Debut de section - Permalien
Francis Delpérée

La Belgique a poussé très loin le fédéralisme. Aussi Kofi Annan s'en était-il inspiré dans un plan qu'il avait préparé pour Chypre - j'y ai d'ailleurs été invité maintes fois, comme à Barcelone. Nous avons poussé le zèle fédéral non seulement jusqu'à l'inscrire dans nos structures internes, mais aussi à le porter sur la scène internationale, contrairement à la Suisse, à l'Allemagne ou aux États-Unis, fidèles au principe « divisés à l'intérieur mais unis à l'extérieur ». En 1992, quand la reine des Pays-Bas a invité les chefs d'État et de gouvernement à signer le traité de Maastricht, ceux-ci sont arrivés en limousine sauf le Premier ministre belge qui a pris un minibus, car les régions, les communautés, etc. ont tenu à signer avec lui, au point que les autres Etats parties ont expliqué qu'ils comprenaient cette démarche, mais que la Belgique n'avait qu'un siège... Les réalités politiques, nous le savons, sont plus fortes que les constitutions et les traités.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Quid de Bruxelles dans le cas d'une sécession ? Ce serait insoluble.

Debut de section - Permalien
Francis Delpérée

Voilà le meilleur espoir, si je puis m'exprimer ainsi, de ceux qui, comme moi, veulent conserver un Etat fédéral. Mais n'espérez pas que les institutions européennes aillent en France ... En cas de scission, Berlin ou Vienne seraient candidates et occupent une place beaucoup plus centrale que Strasbourg en Europe.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Je vous remercie de cette importante intervention : vous l'avez compris, ce qui ne passe chez vous ne nous est jamais indifférent, au contraire, et nous souhaitons que, surmontant la crise, la Belgique reste la Belgique.

Debut de section - Permalien
Francis Delpérée

J'en accepte l'augure.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Avant de lever la séance, je dois me tourner vers M. Vantomme. Il a demandé un débat public sur le projet de loi de ratification de la convention sur les cours d'eau internationaux ; le ministère des affaires étrangères est en révolution, car il est très important de ratifier cette convention dans les temps, et l'ordre de jour de notre assemblée est très chargé. Pouvez-vous convaincre vos collègues socialistes de renoncer à cette demande de débat public ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Vantomme

Il n'est pas dans nos intentions de freiner l'adoption de la convention. Nous comprenons les motifs légitimes de votre demande ; en revanche, le groupe socialiste compte sur votre soutien s'il demande un débat sur cette problématique.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Je le ferai très volontiers s'il s'agit de l'inscrire à l'ordre du jour au titre de la commission. Il est toujours difficile d'obtenir un débat de politique étrangère et quand on m'en a proposé un de deux heures trente, j'ai préféré tenir que courir : il n'y a pas de vrai débat de politique étrangère sans le ministre des affaires étrangères. J'ai demandé qu'il ne fasse pas de déclaration initiale mais réponde pendant trente minutes aux interventions. Nous aurons donc deux heures.