Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de M. Bertrand de Mazières, directeur général, et de M. Benoît Coeuré, directeur général adjoint de l'Agence France-Trésor.
Au préalable, M. Jean Arthuis, président, a indiqué que le directeur général de l'Agence France-Trésor, dont le travail était parfaitement connu de la commission des finances et très apprécié, était auditionné pour la première fois. Il a souligné que l'audition faisait suite au rapport d'information établi par M. Paul Girod, conformément à l'article 57 de la LOLF en sa qualité de rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'Etat », appelant à une gestion consolidée des dettes de l'Etat. Il a indiqué que, du point de vue de la commission, l'Agence France-Trésor, en raison de sa compétence reconnue, avait vocation à assumer la gestion des différentes dettes de l'Etat, afin de résorber l'écart de taux existant entre l'émetteur souverain que représentait l'Agence France-Trésor et les autres gestionnaires des dettes de l'Etat, comme la CADES. Il a enfin souhaité voir présentés les indicateurs de performance développés par l'agence en application de la LOLF.
Procédant à l'aide d'une vidéo-projection, M. Bertrand de Mazières a tout d'abord présenté la nomenclature budgétaire retraçant les opérations liées à la gestion de la dette et de la trésorerie de l'Etat. Il a indiqué qu'il était responsable du programme 117 « Charge de la dette et trésorerie de l'Etat », doté de 39,2 milliards d'euros de crédits pour 2006, correspondant aux intérêts de la dette négociable de l'Etat, le montant de celle-ci s'établissant, au 31 janvier 2006, à 879,2 milliards d'euros. Il a expliqué que ce programme était le miroir de la première section du compte de commerce « Gestion de la dette et de la trésorerie de l'Etat », ce compte de commerce étant par ailleurs composé d'une seconde section, « hors norme de dépense », consacrée à la gestion active de la dette au moyen d'instruments financiers à terme. Il a rappelé que le besoin de financement de l'Etat, voté à l'article d'équilibre de la loi de finances initiale pour 2006, s'élevait à 119,5 milliards d'euros, contre 111 milliards d'euros en 2005 et 123 milliards d'euros en 2004.
Il a indiqué, en outre, que l'Agence France-Trésor avait la responsabilité du compte de concours financier « Avances à divers services de l'Etat ou organismes gérant des services publics », dont la nouvelle configuration, liée à la LOLF, permettait des reprises de dettes d'organismes tiers, du compte de commerce « Couverture des risques financiers de l'Etat », autorisant l'Etat à se couvrir contre les évolutions du taux de change, s'agissant par exemple de la contribution française à l'association internationale de développement libellée en dollars, ou contre les variations du prix des matières premières, en ce qui concernait l'approvisionnement des armées en carburéacteur. Il a fait observer, par ailleurs, que la caisse de la dette publique, établissement public administratif s'appuyant sur les services de l'Agence France-Trésor, était dotée de recettes issues de cessions des participations financières de l'Etat, et qu'elle avait vocation à amortir une partie de la dette publique.
Evoquant les suites du rapport d'information de M. Paul Girod, rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'Etat », M. Bertrand de Mazières a fait valoir les initiatives prises dans la ligne des propositions du rapport, relatives à une certaine centralisation de la gestion de la dette de l'Etat. Il a cité le passage à un financement de court terme pour Charbonnages de France, dans la perspective d'une reprise de cette dette par l'Etat, la reprise par l'Etat de la dette financière de l'Entreprise Minière et Chimique (EMC) et de la dette bancaire du fonds de financement des prestations sociales agricoles (FFIPSA) au premier janvier 2006, la substitution d'une avance du Trésor à un financement bancaire plus coûteux s'agissant du financement du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » et, enfin, la création du compte de commerce « Couverture des risques financiers de l'Etat ».
Il a ensuite montré que la faiblesse des taux d'intérêt avait permis d'atténuer de manière très significative l'impact de la progression de la dette, en ce qui concernait les charges d'intérêt supportés par le budget de l'Etat. Il a néanmoins souligné que la France était désormais exposée à un risque de taux, un choc permanent de 1 point sur le niveau des taux entraînant un surcroît de charge d'intérêt de près d'1 milliard d'euros en 2007. Soulignant une tendance à la remontée des taux à 3 mois et à 10 ans depuis plusieurs semaines, il a évalué la sensibilité de la charge de la dette à cette remontée des taux, pour 2006, à 450 millions d'euros, ce qui était à la fois important, pour le budget de l'Etat, et limité, si l'on rapportait ce montant au volume d'émission de l'année 2006.
S'agissant du volume d'émission à prévoir pour les années à venir, il a fait remarquer que le seul profil de remboursement de la dette négociable à moyen et long terme faisait état d'émissions annuelles de l'ordre de 80 milliards d'euros pour les années 2006, 2007 et 2008, plus proches des 90 milliards d'euros pour l'année 2009, sans prise en compte, à ce stade, de la nécessité de financer les déficits qui pourraient être enregistrés au cours de ces années. Il a ainsi montré que, même si l'Etat se trouvait en situation d'excédent, il devrait malgré tout émettre des emprunts pour rembourser la dette passée.
a ensuite souligné les innovations de l'Agence France-Trésor en ce qui concernait le lancement de nouveaux produits obligataires, indiquant que les obligations indexées sur l'inflation française ou de la zone euro représentaient désormais 9,9 % de l'encours de la dette et 15 % du programme d'émission pour 2006. Il a observé que la France avait été le premier émetteur souverain à lancer une obligation à 50 ans, dont la ligne avait déjà été abondée deux fois depuis la première émission, pour un montant global de 10,4 milliards d'euros. Il a expliqué que cette politique d'émission consistait à répondre aux besoins d'investisseurs se trouvant dans la nécessité de se couvrir contre le risque d'inflation, ou confrontés à des engagements de long terme, comme les fonds de pension.
Enfin, il a fait valoir que l'Agence France-Trésor avait mis en place, dès le projet de loi de finances pour 2002, des indicateurs de performance, présentés au Parlement, visant à évaluer son action, consistant, par exemple, en des indicateurs visant à comparer la politique d'émission à l'émission systématique, chaque jour ouvré, d'un volume constant de titres, ou à un programme type. Il a présenté les conclusions d'un graphique mesurant l'écart de taux, par rapport à la moyenne de la zone euro, des émetteurs souverains, soulignant que la France, avec l'Espagne, était depuis plusieurs mois dans la même situation favorable que l'Allemagne, alors que la Grèce et l'Italie bénéficiaient de conditions de marché de plus en plus défavorables.
Répondant à une question de M. Jean Arthuis, président, M. Bertrand de Mazières a indiqué que le pourcentage de la dette négociable détenue par des non-résidents, en croissance, s'établissait à 55 %, en attirant néanmoins l'attention sur la fragilité des statistiques de la Banque de France.
A une remarque considérant la prise en pension de titres de la dette publique par une banque centrale comme un financement monétaire du déficit, interdit par le traité de Maastricht, il a en outre répondu que, dans ce scénario, l'émetteur n'était pas partie prenante à l'opération, et que les titres étaient acquis sur le marché secondaire, et pas au moment des émissions d'obligations publiques.
a néanmoins admis que, sur un plan économique, la présence, dans le portefeuille d'investissement des banques centrales, de titres d'Etat, pouvait être assimilée à une forme monétaire de financement des déficits.
S'agissant des inquiétudes relatives à la solidité de la note « triple A » attribuée par les agences de notation à la France, M. Bertrand de Mazières a indiqué que, si la France figurait toujours dans la catégorie des meilleurs émetteurs souverains, sa position relative s'était dégradée au cours des derniers mois.
Interrogé par M. Paul Girod, rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'Etat », sur les raisons qui avaient conduit l'Agence France-Trésor à ne pas émettre de titres en devises alors que la caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) avait saisi cette opportunité, et sur la différence de stratégie d'émission de ces deux emprunteurs d'Etat, M. Bertrand de Mazières a indiqué que des émissions en dollars constitueraient, pour l'Etat, une opération qui ne serait pas marginalement gagnante, contrairement au moment où une telle possibilité avait été évoquée, en 2003, où un écart de taux favorable de l'ordre de 10 points de base pouvait être attendu. Il a fait valoir que, pour un gros émetteur, une émission en devises devait présenter les conditions de liquidité suffisantes, sur la durée, pour attirer les investisseurs, alors qu'un émetteur moins important, comme la CADES, pouvait répondre à des besoins ponctuels d'investisseurs, par le biais de placements privés. Il a souligné que la stratégie de l'Agence France-Trésor, payante sur le long terme, était de mener une politique d'émission transparente, stable, offrant des garanties de liquidité aux investisseurs.
A une question de M. Jean-Jacques Jégou sur les conditions dans lesquelles il pouvait être opportun de consolider la gestion des dettes de l'Etat et de la CADES, M. Bertrand de Mazières a indiqué que l'écart de taux entre les deux émetteurs, de l'ordre de 10 points de base, ne pourrait pas être complètement annulé si l'Agence France-Trésor reprenait la gestion des émissions de la CADES. D'une part, parce que ceci pouvait aboutir à augmenter, dans des proportions significatives, le besoin de financement de l'Etat aux yeux des investisseurs, ce qui pouvait éventuellement poser des problèmes d'image, d'autre part, parce que les titres d'Etat et les titres d'agence, comme ceux de la CADES, correspondaient à des allocations d'actifs différents au sein des portefeuilles des investisseurs. Il a fait valoir que toute création d'une structure d'émission distincte de l'Etat se traduisait mécaniquement par un écart de taux.
a en outre indiqué que l'écart de taux était encore plus important dans le cas des dettes garanties par l'Etat, citant les cas de l'UNEDIC et de l'ERAP.
a indiqué, par ailleurs, à M. Jean-Jacques Jégou que la dette de réseau ferré de France (RFF) n'était pas classée au sein de la dette des administrations publiques, car les redevances perçues par l'établissement avaient été considérées comme relevant du secteur marchand.
En réponse à M. Yves Fréville, M. Bertrand de Mazières a indiqué que l'évaluation de la dette « au prix de marché » n'était pas une priorité de l'agence, mais faisait l'objet d'un groupe de travail constitué au sein de l'OCDE. S'agissant de la coopération entre les émetteurs de la zone euro, il a indiqué que celle-ci existait, mais qu'elle était d'ordre opérationnel et technique, les émetteurs s'informant de manière officieuse avant des opérations importantes. Il a fait remarquer que les émetteurs souverains de la zone euro restaient des concurrents sur le marché obligataire.
s'est inquiété des perspectives de certification de l'Agence France-Trésor par la Cour des comptes. Il s'est montré sceptique sur l'opportunité d'un fractionnement de la gestion des dettes publiques. Il s'est demandé si le creusement des déficits publics de la zone euro ne pouvait pas avoir une répercussion forte sur les taux d'intérêt.
En réponse, M. Bertrand de Mazières a indiqué, tout d'abord, que l'Agence France-Trésor était déjà auditée, chaque année, par un cabinet d'audit privé. Il a observé qu'une centralisation des émissions de dette ne supprimait pas la totalité des écarts de taux existant auparavant et que si, dans le cas de la CADES, une telle décision était prise, elle avait vocation à être structurelle, et à s'appliquer dans la durée, sauf opération particulière pour laquelle, en raison des circonstances, une émission « commune » pourrait être lancée. Il a enfin remarqué que, dans la zone euro, la demande des investisseurs sur le marché obligataire avait tendance à rester croissante, notamment en raison du vieillissement de la population, ce qui avait un effet favorable sur les taux.
Erratum au bulletin des commissions n° 13 du 21 janvier 2006
A la page n° 2990, au 4e paragraphe, lire :
La commission a nommé :
sur le projet de loi n° 149 (2005-2006) ratifiant l'ordonnance n° 2005-1278 du 13 octobre 2005 définissant le régime juridique des organismes de placement collectif immobilier et les modalités de transformation des sociétés civiles de placement immobilier en organismes de placement collectif immobilier.